Blue Line 01

Page 1

BLUE LINE OCTOBRE 2019

{ 01


4

8 10 14 16 18 20

21

©/Shutterstock

28

7

26

4 7

OCTOBRE 2019 ©/Shutterstock

SOMMAIR

BLUE LINE

N°01

BELGIQUE CONSTITUTION Une oeuvre à restaurer

DOSSIER LES FEMMES EN POLITIQUE Femmes d’hier à aujourd’hui. L’évolution de la place et des droits de la femme dans la société Portrait de 5 femmes qui ont marqué le monde Valentine Delwart à la loupe Primaires démocrates. La gent féminine prête à en découdre D’autres fenêtres… Des femmes de renouveau. Une ascension dans un monde masculin

21

INTERNATIONAL POLITIQUE ITALIENNE

25

/ CARICATURE /

26

CARTE BLANCHE

28

SOCIÉTÉ BELGIQUE / CONGO

30

SOCIÉTÉ EXPRESSION

32

SOCIÉTÉ LIBÉRALISME

33

RÉSEAUX SOCIAUX

Les leçons de Salvini

Midi… La pénurie, un plat qui se mange froid Le nucléaire : une sortie à quel prix ? Je t’aime moi non plus : Les relations belgo-congolaises Liberté d’expression : « C’était mieux avant ? » Le Libéralisme, c’est quoi ?


ÉDITO Chers lecteurs, chères lectrices, Nouvelle année académique, nouveau projet ! Comme vous pouvez le remarquer, notre magazine fait peau neuve. Il est totalement réformé : par son format, son nom et sa présence sur le terrain numérique. Cette réforme témoigne de notre volonté d’être toujours en mouvement, elle montre combien nos observations, réflexions et projets évoluent sans cesse. Au fil des pages, vous découvrirez notre dossier central. Celui-ci est consacré à la femme en politique. La féminisation des gouvernements est un lent processus dont les pourtours se profilent depuis longtemps. Ce phénomène nous tient à cœur, c’est pour cette raison que nous avons voulu rendre hommage aux femmes qui ont contribué et contribuent encore à ces changements. Hors dossier, vous trouverez différents articles de nos membres. Les thématiques sont laissées à leur libre initiative, notre objectif étant de laisser les pensées libérales s’exprimer sans contrainte. Ces idées, qui viennent se greffer les unes aux autres comme une chaine, se combinent pour former une ligne. Une ligne infinie qui avance et dessine notre vision libérale. D’où le nouveau nom du magazine : Blue Line. Je vous souhaite une très belle lecture,

Adeline


{ BELGIQUE CONSTITUTION }

UNE OEUVRE

À RESTAURER PAR ARNAUD DEVOS

La Belgique, connue pour ses frites, son chocolat, ses gaufres et son Manneken-Pis, est aussi célèbre pour ses problèmes linguistiques. Depuis la révision mineure de 196768, la Constitution belge ne cesse d’être modifiée mettant en doute son caractère robuste alors que jusqu’à la moitié du 20e siècle, elle n’a été modifiée que deux fois depuis sa création, le 7 février 1831. La mélodie ne change pas. À chaque moment difficile, le diable communautaire ressuscite créant un risque de blocage institutionnel. Depuis toujours, on navigue sans boussole ne connaissant pas le lieu exact d’arrivée. À nouveau, à la suite de résultats électoraux particulièrement difficiles au niveau fédéral lors des élections législatives du 26 mai 2019, la N-VA a brandi ses exigences communautaires alors qu’au cours de la campagne électorale, cette problématique n’a été que partiellement effleurée lors des débats.

4

BLUE LINE | Octobre 2019

Depuis la première grande réforme de l’État en 1970, les compétences ont toujours été transférées dans le même sens, à savoir, vers les entités fédérées et ce au détriment du niveau fédéral. Cependant, malgré les différentes réformes de l’État, le point d’arrivée n’a jamais été atteint à cause d’un appétit toujours plus grand de certains. Or, ce faisant, on détricote la maison belge et on ne modifie pas sa Constitution dans un sens positif visant à la rendre plus précise, concise, compréhensible et complète. Bel et bien entendu, la 6e réforme de l’État par son caractère incomplet appelle l’adoption d’une nouvelle réforme mais cependant, il faut dorénavant avoir l’audace de trancher enfin la question épineuse et de se demander ensemble, Francophones et Néerlandophones, si notre pays a encore un avenir. Si oui, sous quelle forme ? Avec 4 régions, pour enfin simplifier notre système bien trop complexe  ? Avec quelles compétences au niveau fédéral ? Il est temps de savoir répondre à cette question car cette instabilité constante n’est ni productive ni tenable. Surtout, si certains nationalistes souhaitent atteindre leur but final, à savoi,r le séparatisme, par le biais de l’activation constante de l’article 195 de la Constitution, prévoyant les procédures requises pour modifier ladite Constitution. En effet, ce serait faire fi du décret intangible de 1830, adopté et exclu du champ d’application dudit article par le Congrès national, c’est-à-dire le pouvoir constituant originaire, qui consacre l’indépendance du peuple belge. Autrement dit, si le but final est le séparatisme, il faut provoquer une révolution juridique au lieu de le faire par petits pas en écornant notre système constitutionnel. Cependant, une modification constitutionnelle, malheureusement perçue chez nous comme un bourbier sans fin de querelles linguistiques, n’est pas forcément négative et elle est parfois même souhaitable au regard des imperfections de notre loi fondamentale. Quelques exemples…


{ BELGIQUE CONSTITUTION }

Révision de l’article 7bis de la Constitution Pour rappel, avant les élections législatives du 26 mai 2019, la majorité des 2/3 n’avait pas été atteinte à la Chambre des représentants pour insérer l’idée d’une politique climatique efficace dans la Constitution. Or, aujourd’hui, au regard de l’urgence climatique, il est temps de mentionner cette impérativité dans notre loi fondamentale.

Être juge et partie à la fois

L’article 48 de la Constitution précise que la Chambre, dès lors les députés élus, tranche les contentieux relatifs à l’élection de ceux-ci. Par conséquent, cette disposition accorde un pouvoir juridictionnel aux membres de l’assemblée et ce en première et dernière instance en excluant tout recours possible devant une réelle juridiction. Une disposition bien désuète qui doit être modifiée au plus vite. Surtout que cette pratique peut être condamnée par la Cour européenne des Droits de l’Homme ayant déjà jugé que ce mécanisme ne garantit pas un procès équitable.

Les sénateurs cooptés

L’article 67 de la Constitution, qui règle la composition du Sénat, prévoit la nomination de sénateurs cooptés. Dans le cadre de la 6e réforme de l’État, le pouvoir constituant dérivé a préservé cette fonction législative, alors qu’il souhaitait mettre sur pied un véritable Sénat fédéral, en défendant la plus-value de ceux-ci grâce à la nomination d’experts. Or, dans les faits, les partis politiques désignent plutôt des candidats malheureux aux dernières élections pour les réconforter. Dès lors, ne devons-nous pas modifier ledit article pour supprimer ce groupe de sénateurs ? Plus globalement, on revient à une question récurrente: à quoi bon conserver le Sénat aujourd’hui au regard de ses maigres prérogatives ? Est-ce qu’il n’est pas souhaitable de transformer la chambre haute en une assemblée citoyenne où les membres seraient désignés par tirage au sort ? Ainsi, on créerait un organe de démocratie directe permettant éventuellement de combler le fossé entre le politique et les citoyens.

Le parlement et la guerre

L’article 167 de la Constitution précise que le Roi, soit le gouvernement fédéral, «  commande les forces armées, et constate l’état de guerre ainsi que la fin des hostilités  ». La disposition en question prévoit simplement d’informer les Chambres quand «  l’intérêt et la sûreté de l’État le permettent ». Ne faut-il pas, au regard de l’importance du sujet, modifier ledit article pour enfin accorder davantage de prérogatives aux Chambres, et dès lors aux représentants du peuple, en la matière ?

La circonscription fédérale

Afin de respecter l’esprit de l’article 42 de la Constitution qui affirme fièrement que « les membres des deux Chambres représentent la Nation, et non uniquement ceux qui les ont élus », n’est-il pas temps d’adopter une circonscription fédérale poussant les candidats à s’intéresser aux problèmes de l’ensemble des Belges et non pas uniquement à ceux de leur circonscription ou de leur communauté linguistique ?

Les délits de presse

L’article 150 de la Constitution prévoit que pour les délits de presse, « le jury est établi ». Autrement dit, lesdits délits sont tranchés devant la Cour d’Assisses. Or, celle-ci coûte chère et la procédure prévue devant elle est relativement lente. Ce pour quoi, l’actuel ministre de la justice, Koen Geens, avait adopté une loi pot-pourri II visant à contourner autant que possible cette juridiction. Cependant, la Cour constitutionnelle a annulé plusieurs dispositions de ladite loi. Pour autant, dans les faits et ce depuis plusieurs années, les délits de presse sont rarement jugés par la Cour d’Assisses et par conséquent, ceux qui commettent l’infraction bénéficient d’une impunité. Le pouvoir constituant dérivé avait relevé ce problème en excluant la compétence de ladite Cour pour les « délits de presse inspirés par le racisme ou la xénophobie ». Ainsi, ledit constituant évitait une situation d’impunité. Aujourd’hui, il est temps d’aller encore plus loin en modifiant l’article 150 de la Constitution afin de retirer la compétence de la Cour d’Assises pour l’ensemble des délits de presse.

Des nouveautés pouvant être intéressantes

La Belgique est l’un des rares pays à ne pas être doté d’un préambule constitutionnel. Or, celui-ci peut clarifier la volonté du constituant et préciser les grands principes de notre société. Par ailleurs, l’insertion du principe de laïcité semble opportun. Sur ce point, on peut se calquer sur la Constitution française.

5


{ BELGIQUE CONSTITUTION }

Des Belges et de leurs droits

L’intitulé du titre II de notre Constitution doit être changé car il ne correspond plus à la réalité. En effet, les droits consacrés au sein de ce titre II sont dorénavant accordés aux nationaux mais également aux étrangers sous réserve de quelques exceptions. En ce domaine, on a fait des progrès considérables. Malheureusement, ledit titre II est vétuste au regard des instruments internationaux ratifiés par la Belgique, telle que la Convention européenne des Droits de l’Homme. Dès lors, il faut revoir cette partie de la Constitution. Pour preuve, le titre II ne regroupe pas une disposition interdisant la torture tel que l’article 3 de ladite Convention. Cependant, pour suppléer à ces manquements, les citoyens et les juridictions peuvent se baser sur celle-ci et la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme.

Le fameux article 195 de la Constitution

Cet article est totalement dépassé. Il ne répond plus aux réalités d’aujourd’hui. Celui-ci n’a jamais été modifié depuis l’adoption de la Constitution du 7 février 1831 par le Congrès national. Il doit absolument faire l’objet d’une profonde modification. De nombreux politiques prétendent que vouloir modifier ledit article, c’est risqué d’ouvrir la boîte de Pandore. Or, un pays qui n’arrive pas à modifier un article sans risquer sa survie a-t-il encore un avenir ? La modification dudit article est peut-être la démonstration de la capacité de la Belgique de savoir répondre à la question épineuse présentée plus haut : quel est l’avenir de notre Royaume ? L’article a besoin d’être revu car, ayant été adopté en 1831, il ne parle pas des entités fédérées qui de fait, ne participent pas à la modification de la Constitution. Par ailleurs, il impose des exigences moindres que l’article 4, alinéa 3, de la Constitution consacrant la procédure pour l’adoption d’une loi spéciale, ce qui constitue une anomalie. En effet, la loi spéciale est hiérarchiquement inférieure à la Constitution. La procédure prévue, au sein dudit article 195, est depuis longtemps écornée par des pratiques visant à détourner la volonté inscrite dans ledit article en dressant par exemple la liste d’articles ouverts à révision en fin de législature, ainsi les Chambres ne sont pas dissoutes en pleine mandature et la campagne électorale ne se résume pas simplement aux questions institutionnelles. Autrement dit, sa modification est plus que nécessaire. Pour conclure, le pouvoir constituant dérivé a du boulot… 

6

BLUE LINE | Octobre 2019


DOSSIER

LA FEMME EN POLITIQUE

La place de la femme dans la société est en perpétuelle construction. Comme le disait Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient ! » L’histoire nous apprend que hommes et femmes n’ont pas toujours été traités sur un pied d’égalité. Un exemple en la matière est éloquent : tandis que le suffrage universel masculin a été mis en place en 1919, les femmes n’ont obtenu le droit de vote qu’à partir de 1948… c’est dire ! Heureusement, au fil des siècles, la gent féminine a gagné de plus en plus de droits, et aujourd’hui, grâce à la contribution de nombreuses femmes, leur place sur la scène sociale comme sur la scène politique n’est plus du tout la même qu’avant. C’est pour cette raison que nous avons décidé de consacrer notre dossier central à ces femmes qui ont joué un rôle important pour la vie de leurs semblables. Il s’agit d’appréhender par des portraits, des interviews, ou encore l’historique de l’évolution des droits des femmes, comment à travers leurs actions elles ont œuvré pour changer les mentalités. Enfin, n’oublions pas que la place de la femme dans la société est en continuelle évolution et que nombreuses sont celles qui contribuent encore aujourd’hui à ces changements.

7


{ DOSSIER FEMMES EN POLITIQUE }

FEMMES D’HIER À AUJOURD’HUI L’ÉVOLUTION DE LA PLACE ET DES DROITS DE LA FEMME DANS LA SOCIÉTÉ PAR ALEXANDRE SOMMA

S’il nous parait presque normal qu’une jeune fille du nom de Greta Thunberg fasse un discours à la tribune des Nations-Unies, il aura fallu un long chemin pour en arriver là… La place de la femme dans la société, et son accès aux mêmes droits que les hommes, a bien évolué au cours de l’histoire.

8

BLUE LINE | Octobre 2019


{ DOSSIER FEMMES EN POLITIQUE }

Il faut remonter au XIVe siècle, à Christine de Pisan, pour apercevoir les prémisses de l’intronisation des femmes dans des domaines réservés traditionnellement aux hommes… Considérée comme la première auteure ayant pu vivre de sa plume, Christine de Pisan a initié ce mouvement. À partir de ce moment-là, l’on voit progressivement des femmes peu à peu s’émanciper et prendre conscience de leur rôle et de leur place au sein de la société. Il y a eu ensuite Jeanne d’Arc, Simone de Beauvoir ou encore Simone Veil, mais le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il aura fallu beaucoup de temps et d’énergie avant que les femmes s’affranchissent et que leurs droits s’étendent peu à peu... La Belgique a d’ailleurs accumulé beaucoup de retard concernant l’évolution des droits de la femme et, par conséquent, de la place qu’elle occupe au sein de la société. Il faudra effectivement attendre 1880 pour qu’il y ait une véritable avancée en la matière avec l’ouverture aux femmes de l’université libre de Bruxelles. Et il faudra encore patienter dix ans pour que soit votée une loi reconnaissant aux femmes le droit d’être diplômées d’une université belge. Les choses se mettent alors en place… En 1900, les femmes obtiennent le droit de signer un contrat de travail et de toucher leur propre salaire. À l’issue de la Première Guerre mondiale, en 1919, le droit de vote est accordé pour la première fois à certaines femmes comme les mères et veuves d’hommes tués par l’ennemi, de même que les femmes ayant été emprisonnées ou condamnées par l’occupant. Un an plus tard, la loi accorde aux femmes le droit de vote pour les élections communales ainsi que le droit d’éligibilité à tous les niveaux de pouvoir, mais les femmes mariées doivent fournir l’autorisation de leur mari pour exercer leur mandat. Au terme de la Seconde Guerre mondiale, les femmes acquièrent le droit de vote pour les élections parlementaires belges. Et en 1948, toutes les restrictions au droit de vote des femmes sont supprimées. La seconde moitié du XIXe siècle connait encore bien des évolutions. Dans le début des années 60, le premier centre de planning familial ouvre en Région bruxelloise afin de lutter contre les avortements clandestins. Cela marquera une réelle avancée pour les droits des femmes. En 1981, la loi Moureaux, ou loi contre le racisme et les discriminations, prévoit désormais de sanctionner toute personne discriminant sur base du sexe. En 1990, l’IVG est partiellement dépénalisée à la suite d’une longue période de chamboulement politique. Et quatre ans plus tard, la loi Smet-Tobback, dite « des quotas », révolutionne la place de la femme dans la vie politique belge en établissant que l’ensemble des listes électorales doivent être composées d’au minimum un tiers de femmes et ce pour la totalité des scrutins électoraux. Les choses continuent d’avancer… En 2002, la loi impose la parité sur les listes électorales, au moins un candidat de chaque sexe doit figurer dans les trois premières places. En 2009, la présence d’un représentant de chaque sexe aux deux premières places de chaque liste devient obligatoire. En 2018, un maximum de deux tiers de personnes de même sexe est

dorénavant exigé dans les collèges communaux bruxellois et wallons, et provinciaux wallons. La même année, l’alternance de candidates et candidats sur les listes électorales communales et provinciales, appelée « le principe de la tirette », s’applique pour la première fois en Wallonie et à Bruxelles… 

L’AVIS D’ALEXANDRE SOMMA : QUOTA OR NOT QUOTA ? Telle est la question qui se pose de plus en plus, que ce soit au sein d’organes décisionnels, dans les procédures de recrutement ou encore dans la composition des services publics. Dans le cadre de ce dossier, j’ai à cœur de me positionner sur ce sujet de société. Selon moi, si l’instauration d’un quota poursuit un but louable en ce sens qu’elle vise à un meilleur équilibre entre les sexes, elle pourrait être plus nuancée dans les faits. De fait, en favorisant positivement un sexe par rapport à un autre, l’on créé, de facto, une forme de discrimination envers le sexe opposé. Dit autrement, l’application d’un quota quel qu’il soit permet certes d’encourager une plus grande mixité dans les organes décisionnels, mais peut parfois également être assimilé à un faux ami. En Belgique, les quotas visant la parité homme/femme au sein de la fonction publique sont garantis par la législation, et plus précisément par les articles 10 et 11bis de la Constitution, la loi Smet-Tobback et un certain nombre de dispositions législatives. Par ailleurs, de plus en plus de sociétés, ASBL et ONG prévoient, dans leurs statuts, des règles spécifiques en faveur de la parité au sein de leurs organes décisionnels. Aujourd’hui, ces quotas permettent assurément à plus de femmes d’accéder à des fonctions exécutives, que ce soit au sein de la fonction publique ou dans le secteur privé. De cela, je m’en réjouis. Aussi, au niveau mondial, il est intéressant de constater que l’accession des femmes à des postes à responsabilités, au niveau politique, n’a fait qu’augmenter ces dernières années. Ceci étant, concernant les quotas et pour rebondir sur mon introduction, ma crainte est la suivante : en instaurant ce dispositif, l’on place au second plan le critère de compétence, étant donné que l’accession à des postes à responsabilités se fait via le principe des quotas, sorte de critère dit « protégé ». Dans un monde idéal, la compétence devrait primer sur toute considération. Il faut, de mon avis, trouver un juste équilibre en mixant plusieurs critères, et non, en privilégiant le seul critère basé sur le sexe de la personne. Plus généralement, je pense que la lutte contre les discriminations est un combat du quotidien et doit réunir tant les hommes que les femmes. Le quota, idée intéressante, n’est pas une fin en soi. Ce qu’il faut, c’est changer les mentalités, faire en sorte que la femme devienne l’égal de l’homme, et que ses qualités propres prennent le dessus sur tout autre considération.

9


{ DOSSIER FEMMES EN POLITIQUE }

PORTRAIT DE

5

FEMMES

QUI ONT MARQUÉ

LE MONDE PAR ADRIEN PIRONET

Une femme qui conduit un camion ça peut surprendre. Une femme capitaine d’entreprise ça fait sourire, mais une femme en politique, ça vous fait quoi ? Voyons ensemble cinq figures féminines qui se sont battues pour changer le monde.

10

BLUE LINE | Octobre 2019


{ INTERNATIONAL POLITIQUE }

OLYMPE DE GOUGES (1748-1793)

{

« La femme a le

droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir le droit de monter à la tribune.

»

Madame de Gouges n’a certes pas connu longtemps la période révolutionnaire en France, mais ses revendications et son action sont significatives. Son activité première est de prendre la plume, toutefois elle entre en politique assez rapidement dans une époque où le rôle de la femme reste extrêmement restreint. L’écriture, art dans lequel elle excelle, lui permet de traiter différents sujets : comme l’abolition de l’esclavage des Noirs, mais son ouvrage majeur reste la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Ce texte, qui prend pour exemple la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’ironise par certains passages tout en luttant sérieusement sur le fond, pour les droits de la femme. Elle redouble d’efforts pour plaider l’égalité des droits. Notamment entre les hommes et les femmes, mais également entre les classes économiques. Très moderne pour son époque, entre autres en raison du contexte de sa vie privée, elle se positionne en faveur du divorce, qui sera autorisé par une loi en 1792. Malgré l’odyssée sentimentale qu’Olympe de Gouges a vécue, l’obtention de la légalisation du divorce est un pas majeur dans les libertés de la femme. Les dames ne peuvent pas encore totalement disposer de leur corps, comme nous le verrons avec les personnalités suivantes, mais c’est un premier pas. Au-delà de ces positions, elle milite activement, dans les dernières années de sa vie, pour le droit de vote en faveur de tous. En outre, elle s’acharne aussi à interdire la peine de mort, en vogue  à l’époque. Ses positions plutôt libérales déplaisent au régime de la Terreur. Robespierre lui réserve le même sort qu’à d’autres : la guillotine.

EMMELINE PANKHURST (1858-1928) Emmeline Pankhurst, activiste britannique, a laissé une empreinte importante pour la postérité. Son nom ne vous dit peut-être rien, mais si je vous dis qu’elle a fondé l’Union Féminine Sociale et Politique, mouvement dont les militantes étaient surnommées les suffragettes, la brume se lève et la lumière s’allume ! À l’origine, elle s’engage dans les partis traditionnels du royaume, mais est rapidement déçue. Elle qui désire plus d’avancées pour la cause féminine, elle décide finalement de faire bouger les lignes de sa propre initiative. Ainsi, elle n’hésite pas à recourir à des méthodes qui sortent de l’ordinaire : enchainements à des lampadaires, grèves de la faim, enfarinages de députés masculins et mises à feu d’immeubles.... Autant dire qu’elle est bien connue des services de police anglais, et qu’elle se révèle être un personnage haut en couleur. Derrière ces actes, le combat qu’elle mène est laborieux. Elle veut obtenir à tout prix ses revendications. Son objectif : davantage de droits pour les femmes dans une époque où la société est profondément machiste. Son approche est fortement décriée par l’opinion publique, cependant les avancées a postériori sont réelles. Le mouvement des suffragettes est un prérequis pour l’obtention du vote des femmes en 1918. C’est une première étape, puisqu’elles peuvent désormais voter à partir de l’âge de 30 ans. Néanmoins, les hommes, eux, sont admis dans l’isoloir dès 21 ans. Le combat n’est pas terminé. Ce n’est qu’en 1928 que les deux sexes sont mis sur un pied d’égalité, les jeunes femmes de 21 ans peuvent, dès ce moment, se rendre au vote.

« Des actions, pas des mots.  » 11


{ DOSSIER FEMMES EN POLITIQUE }

{

MARGARET THATCHER (1925-2013)

« Si vous voulez des discours, demandez à un homme. Si vous voulez des actes, demandez à une femme.

»

En politique, les femmes n’ont pas toujours bonne presse, Margaret Thatcher en est l’exemple parfait. Diplômée en chimie, elle révolutionne déjà les choses en participant à l’invention de la « crème glacée molle », la glace moderne. Néanmoins, c’est pour son parcours politique qu’elle occupe une place de choix dans cette liste. Elle rejoint le parti conservateur anglais et n’hésite pas à arborer des positions farouches contre le socialisme. En réalité, elle attache une importance capitale au mérite et prône une politique libérale forte : réduction du pouvoir des syndicats, diminution du coût du travail, hausse de la productivité mais également de la précarité. En 1959, elle est élue députée au parlement britannique qui compte alors seulement 25 femmes sur les 650 députés. À partir de 1970, elle entre par la grande porte au gouvernement en se voyant confier le portefeuille de l’Éducation. Moins de dix ans plus tard, elle devient la première femme locataire du 10, Downing Street. Madame Thatcher obtient de brillants résultats électoraux, fruits de son travail acharné. Elle occupe le poste de Premier ministre pendant 11 ans. Cependant, son troisième mandat marque un tournant pour elle, sa réputation de femme intransigeante et ferme lui fait beaucoup de tort. La Dame de fer est alors obligée de quitter ses fonctions en cours de route. On serait tenté de diaboliser le personnage, mais néanmoins, elle a accompagné plusieurs évolutions positives pour les femmes. Malgré le courant majoritaire de son parti, elle vote en faveur de la dépénalisation de l’homosexualité ainsi que de la légalisation de l’avortement.

SIMONE VEIL (1927-2017) Il serait incohérent d’entreprendre la création d’une telle liste sans présenter Simone Veil, figure majeure de la République française. À seulement 16 ans, elle est déportée dans le centre d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Après avoir survécu à la Shoah, elle devient magistrate et le restera jusqu’en 1974, année où elle entre dans le gouvernement Chirac Ier, sous Giscard d’Estaing. La France conservatrice des années Giscard est bousculée lorsque Simone Veil devient ministre de la Santé. Elle porte au parlement la dépénalisation de l’avortement, c’est ce qu’on appellera la loi Veil. Celle-ci marque un tournant fondamental dans le monde politique ainsi que pour la liberté des femmes. Cet événement place directement Simone dans la position de symbole de l’émancipation de la femme. Par la suite, elle occupe diverses fonctions en politique, de Députée européenne elle devient la première Présidente du Parlement européen. Ses réalisations ne s’arrêtent pas à la loi Veil, puisqu’elle participe activement à la paix au sein de l’Europe, notamment par les bonnes relations franco-allemandes. Son fort caractère lui permet d’affronter son passé lorsqu’elle mène des actions pour la mémoire de la Shoah.

{

« Ma revendication en tant que femme c'est que ma différence soit prise en compte, que je ne sois pas contrainte de m'adapter au modèle masculin. »

12

BLUE LINE | Octobre 2019

© Marie-Lan Nguyen / Wikimedia Commons


{ DOSSIER FEMMES EN POLITIQUE }

ANGELA MERKEL (1954-) Véritable pilier de la construction européenne, cette femme forte partage au moins un point commun avec Margaret Thatcher, elle est également diplômée dans un domaine scientifique. L’actuelle chancelière allemande est en effet physicienne de formation. Elle nait dans un contexte particulier, puisque l’Allemagne est divisée en deux parties. Fait assez curieux, elle vit dans la partie Est, plus communément appelée la RDA. Elle adhère également un mouvement de jeunesse communiste. Angela entre dans la « cour des grands » lorsqu’elle rejoint en 1990 le gouvernement Kohl IV. Elle a l’opportunité d’occuper le ministère des Femmes et de la Jeunesse. Dès ce moment, elle ne cesse d’évoluer. En 1998, elle marque un tournant en Allemagne, puisqu’elle devient la première Présidente du parti social-chrétien. Enfin, en 2005, elle arrive au sommet de l’État et occupe la chancellerie fédérale d’Allemagne. Poste qu’elle occupe depuis lors sans discontinuer. Malgré son tempérament plutôt serein et d’apparence maternelle, elle sait gérer la chose publique avec conviction et force. Certains voient d’ailleurs en elle un pendant féminin de Bismarck. Elle a prouvé, malgré un certain revers avec la crise migratoire de 2015, qu’elle a su garantir un bon bilan lors de la crise économique de 2010. Personnalité discrète, elle guide l’Allemagne vers des relations amicales avec la France, véritables nations clés de l’Europe. Malgré cette entente, elle désire l’ouverture vers la GrandeBretagne et les pays de l’est. À mes yeux, sa plus grande réussite est le maintien des liens de paix et d’ouverture aux autres pays. Elle aurait pu renforcer son pays au détriment de ses voisins, ce qu’elle n’a pas fait.

Assurément, les femmes peuvent briller aussi bien que les hommes en politique. À l’instar de ces cinq grandes figures féminines, elles peuvent éveiller les consciences et faire changer les choses. Et si l’on aura attendu longtemps pour les voir entrer dans une assemblée par la grande porte, les dames de la politique sont un atout et une force ; elles ont sérieusement de quoi faire rougir leurs collègues masculins.

13


{ DOSSIER FEMMES EN POLITIQUE }

VALENTINE DELWART

À LA LOUPE

PROPOS RECUEILLIS PAR KEVIN KARENA

Valentine Delwart, échevine des Finances, de la Jeunesse, de l’Emploi et de l’Action sociale à Uccle, répond à nos questions. Cette femme de 39 ans, nourrisant une réelle passion pour le football, transcende les clichés et s’exprime pour vous sur sa vie en politique en tant que femme.

Pourquoi avoir fait le choix de la politique ? J’ai toujours eu un réflexe d’engagement avant même de faire de la politique que ce soit en mouvement de jeunesse ou autre. C’est donc tout naturellement qu’à l’issue de mes études, dans la recherche d’un espace où m’exprimer, la politique s’est imposée à moi.

Vous souveniez-vous de votre premier engagement ? Je suis évidemment passée par la case « déléguée de classe » et, pour l’anecdote, je m’étais présentée en ticket à l’époque. Je me souviens également qu’à l’âge de 15 ans, j’étais bénévole dans une école de devoirs où j’allais deux fois par semaine avec une copine encadrer et aider les plus jeunes. C’est quelque chose qui me donnait énormément de satisfaction. Prendre du temps pour aider et s’engager pour les autres, ça a toujours été un plaisir.

14

BLUE LINE | Octobre 2019

Selon vous, quel impact les femmes peuvent avoir en politique ? Je pars du principe qu’on est toutes différentes. Je travaille avec beaucoup de femmes et si je devais tirer un dénominateur commun entre nous toutes, c’est le désir de s’engager de manière tangible. Les femmes sont souvent plus dans le concret que l’abstrait. Elles veulent être utiles. Indépendamment de leur tempérament personnel, qu’il soit doux ou volcanique, elles sont dans une dynamique de réalisation. En particulier celles avec qui j’ai le plaisir de travailler au quotidien au niveau local. On pourrait définir cela comme un trait de caractère très terre à terre. Je pense que la dimension très concrète de l’engagement local parle vraiment aux femmes.


{ DOSSIER FEMMES EN POLITIQUE }

Les femmes ont-elles un leadership maternel ? Cela varie certainement d’une femme à l’autre. Bien sûr, ça peut être un trait apparent, mais je ne pense pas que ce soit un trait exclusivement féminin. J’ai déjà vu de tout, il est difficile, voire impossible, de faire une généralité.

Comment manage-t-on vie professionnelle et vie de famille ? Y a-t-il incompatibilité ? Contrairement à ce que pensent certains, il n’y a pas d’incompatibilité de principe, mais il arrive parfois qu’il y ait une incompatibilité de réalisation, et ça peut être très frustrant. Il y a peut-être aussi une question de choix. Parfois on a certaines aspirations, mais on est restreint par les contraintes du quotidien sans une grande collaboration et égalité de droits entre les hommes et les femmes. Personnellement, je ne peux y parvenir que parce qu’on est une équipe à la maison. Si mes enfants n’avaient pas un papa qui peut être disponible et compenser mes éventuelles absences et inversement, ce ne serait pas faisable. À mon sens, c’est peut-être le combat prioritaire pour permettre la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. On peut en tout cas voir que pas mal de chemin sur le plan culturel a déjà été réalisé.

Les femmes sont-elles plus prudentes que les hommes ? J’ai toujours du mal avec les vérités absolues mais c’est vrai qu’empiriquement, si je dois regarder autour de moi, on sent parfois cette prudence, ce réflexe de manquer de légitimité. Les exemples de femmes inspirantes démontrant qu’il faut d’abord croire qu’on est capable ne manquent pas.

Quid de la discrimination positive ? Est-ce une bonne direction ou un semblant de solution ? Disons que c’est un mal nécessaire parce que ça a été de nature à faire avancer les choses. Pour illustration, sans le principe de la tirette, la représentation féminine ne serait sans doute pas ce qu’elle est aujourd’hui. Mais ce n’est certainement pas suffisant pour lever toutes les barrières. On pourrait trouver ça humiliant de passer par là pour avoir l’opportunité de démontrer ses capacités, mais force est de constater que c’est quand même plus efficace que de simplement laisser le temps faire son œuvre. Aujourd’hui, on a un peu de recul pour analyser les quotas et jusqu’à preuve du contraire, les parlements ne se sont pas effondrés et les conseils administratifs, si pas encore paritaires au moins composés d’un tiers de femmes, ne conduisent pas à la ruine des entreprises, tout du contraire.

Avez-vous été victime de sexisme ? Avez-vous une anecdote ? Oh ! oui, j’en ai plein ! J’entre dans une salle où il va y avoir une réunion à laquelle j’assiste, voire même une réunion que j’ai convoquée et que je vais présider, et quand j’entre, pour peu que mes interlocuteurs ne me connaissent pas encore, et parfois même quand ils me connaissent, ils me demandent le café ! C’est évidemment le plus petit degré de sexisme mais c’est récurrent. C’est pareil pour les tâches strictement administratives ou autre, de façon assez spontanée, c’est vers moi, la femme, qu’on se tourne, et peut-être que parfois j’aurais dû dire non plus vite. Il y a aussi le cas où lorsqu’il faut faire des photocopies, s’il y a un homme et une femme dans la pièce, c’est la femme qui doit s’y affairer. Comme si on était les seules à avoir le diplôme adéquat pour faire fonctionner une photocopieuse.

Voudriez-vous adresser un mot aux jeunes femmes qui craignent parfois ce monde réputé plutôt masculin ? Alors tout d’abord, ce n’est plus un monde si masculin et s’il y a bien une chose que les femmes doivent s’approprier au même titre que les hommes, c’est la chose publique et donc la politique. Avoir peur, c’est le plus mauvais des réflexes. Quand on a l’envie, il faut surmonter cette peur et se rappeler qu’on est chacun maitre de son destin ! Quand on se croit capable et qu’on a quelque chose à apporter, ça vaut la peine de se lancer. Attention, je ne dis que ce sera simple, mais ça vaut la peine de persévérer et de prendre exemple sur les femmes qui nous inspirent. Ce qui serait le plus regrettable, c’est de s’auto-censurer par peur de sauter le pas.

« S’il

y a bien une chose que les femmes doivent s’approprier au même titre que les hommes, c’est la chose publique et donc la politique. »

15


{ DOSSIER FEMMES EN POLITIQUE }

PRIMAIRES DÉMOCRATES LA GENT FÉMININE PRÊTE

À EN DÉCOUDRE PAR ANTOINE DUTRY

Aux élections présidentielles 2016, Hillary Clinton subit les affres du système électoral américain. Elle doit s’avouer vaincue après avoir pourtant obtenu 3 millions de voix de plus que le candidat républicain, et aujourd’hui Président étasunien contesté et contestable, Donald Trump. À l’époque, Miss Clinton devenait la première femme à briguer la présidence de la nation la plus puissante du monde. Trois ans plus tard, les temps ont changé et la gent féminine mène en effet la vie dure aux Biden, Sanders et autres candidats à la primaire démocrate. Comme un symbole, ces femmes se présentent à un moment où elles n’ont jamais autant fait l’objet d’attaques virulentes et de remarques sexistes de la part du Président américain himself. On a choisi de vous présenter cinq d’entre elles.

TOP 5 DES PRÉVISIONS ÉLECTORALES Octobre 2019

BIDEN WARREN SANDERS

29.4%

23.4%

15.4%

Nouveau sondage par RealClearPolitics

16

BLUE LINE | Octobre 2019

BUTTIGIEG

HARRIS

5,6%

5,2%


ELIZABETH WARREN

La dame aux selfies n’en finit plus de surprendre. Agée de 70 ans, élue sénatrice du Massachusetts, elle se positionne très à gauche sur l’aile progressiste du parti démocrate au sein duquel sa popularité ne fait que croitre. Et pour cause, sa campagne fait largement écho à son combat mené depuis 2008 où elle n’a eu de cesse d’attaquer les milliardaires et les grandes entreprises, responsables, selon elle, de nombreux abus au détriment de la classe moyenne. Dans les récents sondages, elle truste les premières places avec l’infatigable Joe Biden. Actuellement, elle est la candidate aux primaires la plus en vue.

©/Shutterstock

©/Shutterstock

©/Shutterstock

{ DOSSIER FEMMES EN POLITIQUE }

KAMALA HARRIS

D’origine indienne et jamaïcaine, à 54 ans, Kamala Harris fut, en 2016, la deuxième Afro-Américaine élue au poste de sénatrice de Californie. Avant ça, en 2010, elle devenait, déjà, la première femme procureur de l’État californien. Politiquement parlant, elle est plus modérée que sa comparse du haut et elle a à cœur de défendre tant les minorités que les groupes dits « marginalisés » tels que les femmes et les personnes de couleur. Au Sénat, elle s’est faite un nom pour avoir ardemment auditionné certains candidats ministrables au sein de l’administration Trump, un Président qu’elle ne porte, en tous les cas, pas dans son cœur.

KIRSTEN GILLIBRAND

Elle aussi sénatrice, de New-York, Kirsten Gillibrand est souvent décrite comme étant la figure de proue du mouvement #MeToo de l’autre côté de l’Atlantique, en combattant notamment les violences et le harcèlement dont sont victimes les femmes, a fortiori dans le milieu militaire. Elle a 52 ans et, sur le plan politique, son appartenance à l’aile conservatrice (tant sur la question du port d’arme que de la politique migratoire) du parti démocrate lui colle à la peau, bien qu’elle cherche désormais à adoucir ses positions.

©/Shutterstock

TULSI GABBARD

À 37 ans, l’ex-militaire siège actuellement à la Chambre des Représentants et est l’une des plus jeunes candidates à l’investiture démocrate. Sur le plan de la politique étrangère, son passé dans l’armée lui fait dire que les États-Unis ne devraient prendre part à aucune guerre dans le monde, mais plutôt miser sur le maintien de la paix et la coopération. Elle a notamment rencontré Bachar-elAssad, ce qui lui est encore largement reproché. Au sein du parti démocrate, on la dit plutôt progressiste, elle a notamment soutenu Bernie Sanders en 2016. Dans les sondages, la jeune samoane peine à atteindre les 2% d’intentions de vote.

©/Shutterstock

AMY KLOBUCHAR

Décrite comme étant « centriste », Amy Klobuchar a souvent souhaité travailler de concert avec les républicains, ce qui dénote compte tenu de la logique de polarisation qui caractérise la vie politique américaine. Soucieuse de la thématique climatique, elle a, par exemple, annoncé que, sous présidence, elle ramènerait les USA dans l’accord de Paris dès le premier jour de son mandat. Sénatrice du Minnesota et âgée de 54 ans, elle n’obtient pas les faveurs des pronostics. 

17


{ DOSSIER FEMMES EN POLITIQUE }

D’AUTRES FENÊTRES… PAR CORALIE BOTERDAEL

Parce qu’elles ont escaladé des murs et enfoncé des portes, voici d’autres fenêtres à ouvrir pour prolonger la réflexion sur les femmes et la politique.

LIVRE

Le siècle de la femme. Comment le féminisme libère aussi les hommes de Alexander de Croo, Broché, 2018.

Alors que l’égalité de genre est devenue un sujet que les politiques ne peuvent plus ignorer, Alexandre de Croo ouvre les yeux (les siens et ceux des autres). De fait, dans le cadre de ses fonctions, il a pris conscience que dans notre monde actuel le rôle donné à la femme manque d’ambition. Face aux préjugés et stéréotypes qui régissent celui-ci, il écrit Le Siècle de la femme comme un plaidoyer pour l’égalité entre la femme et l’homme. Il y aborde des sujets comme l’écart salarial, les perspectives professionnelles, le rôle de la femme dans le fonctionnement de la vie familiale ou encore les discriminations liées au genre.

À bouquiner si vous pensez que le futur s’écrira au féminin !

LIVRE

Des intrus en politique. Femmes et minorités : dominations et résistances

de Mathilde Larrère et Aude Lorriaux, Éditions du Détour, 2018. S’il est vrai que les représentants politiques ont longtemps été des hommes blancs et aisés, la situation a aujourd’hui changé et des personnes jusque-là discriminées et exclues du pouvoir ont acquis nombre de responsabilités. Mathilde Larrère et Aude Lorriaux ont interrogé plus de trente personnalités politiques des femmes, des personnes racisées, homosexuelles ou issues de classes populaires -, des échelons locaux aux plus hautes fonctions nationales, au sein des institutions comme à l’intérieur des partis. Elles leur ont demandé comment elles vivent avec les identités auxquelles on tente parfois de les réduire, comment elles les cachent ou les revendiquent dans le champ politique.

À lire pour sa réflexion sur la République et les luttes politiques. 18

BLUE LINE | Octobre 2019


{ DOSSIER FEMMES EN POLITIQUE }

©/Shutterstock

SÉRIE

The Handmaid’s Tale. (La Servante écarlate)

de Bruce Miller, fiction dystopique, États-Unis, 2017.

Inspirée des romans de Margaret Atwood, la série The Handmaid’s Tale met en scène une dystopie où les femmes sont privées de libertés. En effet, dans cette société aussi totalitaire que phallocratique, les hommes occupent toutes les positions du pouvoir tandis que les femmes ont été démises de leur statut de citoyennes à part entière. Leurs droits ont totalement disparu : elles ne peuvent ni travailler, ni posséder d’argent, ni être propriétaires, ni lire. Ce récit, situé dans un avenir proche, pose la question de condition de la femme tout en montrant comment une société dite démocratique peut basculer en quelques instants.

À découvrir pour la manière insoutenable dont sont traitées les femmes dans cet univers.

TÉLÉFILM

La Loi. Le combat d’une femme pour toutes les femmes de Christian Faure, biopic, France, 2015.

Le 29 novembre 1974, l’Assemblée nationale adopte la loi légalisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG), donnant ainsi aux femmes le droit de disposer de leur corps. Le film retrace les quatre jours de débats précédant la signature de ce texte et le combat de Simone Veil, ministre de la santé, qui affronte seule une majorité et négocie avec les politiques et le clergé. Durant ces quatre jours rien ne lui sera épargné : tractations politiques, solitude, débats ouverts, injures et violences faites à sa famille…

À regarder afin de comprendre cette femme digne et forte, emblème de la lutte des femmes. 19


{ DOSSIER FEMMES EN POLITIQUE }

DES FEMMES DE RENOUVEAU :

UNE ASCENSION DANS UN MONDE MASCULIN PROPOS RECUEILLIS PAR ERNEST MAES

Dans le cadre de notre dossier, deux femmes qui ont réussi à se faire un nom dans le domaine de la politique belge ont été interviewées. Il s’agit d’Alexia Bertrand (AB), chef de file MR au parlement bruxellois, et de Carine de Saint Martin (CDSM), bourgmestre faisant fonction dans la commune de Frasnes-Les-Anvaing.

Tout d’abord mesdames, j’aimerais vous poser une question en rapport avec l’image et la place de la femme en politique à notre époque et plus particulièrement en 2019 : Selon vous, est-ce difficile pour une femme de s’imposer dans un monde assez masculin ? AB : Je vous répondrai tout d’abord que de plus en plus de femmes font carrière dans la politique, mais que malgré tout, il s’agit encore d’un monde majoritairement masculin pour différentes raisons. Cela se constate aux différents niveaux de la politique. Mais ce qui met en lumière cette réalité, c’est qu’au plus haut niveau de la politique, il n’y a presque qu’exclusivement des hommes. En effet, il y a encore aujourd’hui peu de femmes ministres ou secrétaires d’État. CDSM : Moi de même, je constate effectivement que peu de femmes se retrouvent dans les hautes sphères de la politique. Mais par contre, je remarque qu’au niveau de ma commune, le nombre de femmes au collègue communal a été atteint non pas grâce aux quotas mais grâce aux votes. C’est une belle évolution que de voir qu’on a atteint le nombre de femmes sans avoir besoin de recourir à un quota.

Selon vous, comment se fait-il qu’encore aujourd’hui les hommes dominent la politique par leur nombre et les rangs hiérarchiques qu’ils possèdent ? AB : La réponse est assez simple. La politique est encore aujourd’hui un monde essentiellement masculin, car ils connaissent bien le jeu de la politique, ils sont faits à celuici. Les femmes sont en général plus novices en la matière,

20

BLUE LINE | Octobre 2019

c’est-à-dire qu’elles sont moins à jour quant au jeu politique, et elles veulent aussi simplement moins entrer dans le jeu de conflits. Quant au niveau de leur rang hiérarchique, les femmes mettent plus généralement de côté leur égo pour servir l’intérêt général. CDSM : C’est effectivement exact, je remarque qu’à mon niveau de pouvoir (c’est-à-dire au niveau communal), les femmes sont d’une part, moins nombreuses que les hommes même s’il cela s’équilibre, et que par ailleurs, elles tendent plus à rechercher l’intérêt général qu’à viser une carrière personnelle. Elles se mettent de côté pour parfaire leur travail dans l’intérêt de tous et plus particulièrement de la commune. Cela se remarque énormément.

Une dernière question : celle des discriminations. Êtesvous ou avez-vous été soumises à des traitements différentiels par rapport à vos collègues masculins ? AB : Personnellement, je n’ai jamais subi de discriminations ou de critiques de la part de mes collègues masculins. Mais certaines collègues en ont déjà subies. De manière générale, ce genre de comportement se traduit par des remarques insidieuses, sous la forme de sous-entendus. CDSM : Pour répondre à cette question, moi-même ayant toujours été entourée d’hommes depuis ma plus tendre enfance, je suis parvenu à me créer une carapace politique et j’ai toujours réussi à faire preuve de tact pour être considérée à l’égal des hommes. Je n’ai donc jamais moimême subi différentes discriminations ou critiques quant au fait que je sois une femme qui fasse de la politique. 


{ INTERNATIONAL POLITIQUE ITALIENNE }

LES LEÇONS DE

SALVINI PAR GUILLAUME ERGO

L’Italie est un des laboratoires politiques de l’Europe où se construisent et prennent forme les idées destinées à transformer l’État, la société, la politique. Cela commença avec les Romains et leur concept de citoyenneté, leur droit public, leur impérialisme. Cela se poursuivit avec l’Église puis la Renaissance. Là, aux prédicateurs de l’Humanisme, Machiavel répondit en théorisant la raison d’État dans son intemporel Prince. Plus tard, les Italiens conçurent le totalitarisme avec la prise du pouvoir de Mussolini. Après leur défaite de 1945, la Botte devint l’exemple d’un gouvernement chrétien-démocrate. Enfin, faut-il le rappeler, l’Italie figura, en 1957, parmi les fondateurs des institutions européennes, au même titre que le Benelux ou que le « couple » franco-allemand. En un mot comme en cent, ce qui se passe dans la Botte mérite toute l’attention des observateurs avisés.

21


©/Shutterstock

{ INTERNATIONAL POLITIQUE ITALIENNE }

Pendant un an, l’Italie a eu un gouvernement « populiste » alliant l’inclassable Mouvement Cinq Étoiles (M5S) et la droite souverainiste, la Ligue. Néanmoins, cet été, un retournement complet de situation s’est produit. Rappelons les faits et tirons-en des leçons….

L’Italie en 2018

RÉSULTATS DES LÉGISLATIVES ITALIENNES DE 2018 32% 17% 14% 18%

MOUVEMENT CINQ ÉTOILES

dirigé par Luigi Di Maio

LA LIGUE

dirigé par Matteo Salvini

FORZA ITALIA dirigé par Silvio Berlusconi

PARTI DÉMOCRATE

dirigé par Matteo Renzi

Les élections générales italiennes du 4 mars 2018 ont laissé le paysage politique chamboulé. Le Mouvement Cinq Étoiles se retrouve clairement en tête avec 32% des voix. Il est naturellement le parti

22

BLUE LINE | Octobre 2019

appelé à gouverner, mais avec qui ? Le second vainqueur est la coalition du centre-droit formé par la Ligue de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi. D’ailleurs, seconde surprise de ces élections, la « petite » Ligue a dépassé son allié Forza Italia avec 17% des voix et son dirigeant, Matteo Salvini, peut se vanter d’un score personnel remarquable. Le Mouvement Cinq Étoiles s’est formé par un rejet de la politique traditionnelle incarnée en Italie par Silvio Berlusconi et Matteo Renzi. Une coalition avec un de ces deux leaders et leurs partis semble donc improbable pour ne pas dire impossible. Cependant, la Ligue a fait campagne main dans la main avec le parti du Cavaliere Berlusconi et ils gouvernent ensemble certaines régions du Nord. Finalement, alors que les discussions entre partis mènent le pays vers l’impasse, Silvio Berlusconi renonce à entrer dans un gouvernement tout en laissant son allié le faire, sans impacter les rapports de force locaux. Dès lors, la Ligue et le M5S se mettent en rapport et négocient la formation d’un gouvernement inédit tant dans le programme que dans les personnalités chargées de le mettre en œuvre.

La plus grosse pierre d’achoppement entre eux est le choix du Premier ministre. Mais cet obstacle est surmonté par le choix d’un professeur de droit, jamais encarté mais proche des idées du M5S, Giuseppe Conte. Les deux dirigeants des partis se taillent la part du lion. Ligui Di Maio prend la tête d’un super-ministère du Travail et du Développement économique tandis que Matteo Salvini devient ministre de l’Intérieur. Tous deux sont également nommés vice-Premiers ministres. De manière surprenante, c’est le président de la République italienne, Sergio Mattallera, qui trouble cette entente. Dépassant son rôle constitutionnel limité, plutôt d’ordre protocolaire et symbolique (comme le président allemand ou la reine d’Angleterre), Mattallera s’oppose à la nomination de certains ministres qu’il juge trop eurosceptiques. Après une courte crise, pendant laquelle la destitution du président est envisagée par le M5S, des nouveaux noms sont proposés et validés.

Un nouveau triumvirat au pouvoir

Le nouveau triumvirat est inédit  : alliance entre deux populismes, mélange entre souverainisme et antisystème. La Commission européenne les met déjà en garde


{ INTERNATIONAL POLITIQUE ITALIENNE }

et certains dirigeants de l’Union les regardent avec scepticisme en misant sur un effondrement immédiat de l’économie, de popularité etc. En dépit de tout cela, le nouveau gouvernement va entamer ses nouvelles politiques : réflexion sur un revenu universel, mise en place d’un nouveau système fiscal, abaissement de l’âge de départ à la retraite… Ces mesures populaires coûtent cher au budget. La Commission européenne menace de prendre des sanctions contre l’État italien. Ces contraintes soudent les Italiens autour de leurs dirigeants. Elles sont perçues comme de l’ingérence étrangère et antidémocratique. Pourtant, ce n’est pas pour des raisons budgétaires que l’Italie va attirer l’attention du monde mais pour sa nouvelle politique migratoire. En effet, dès son entrée en fonction, le ministre Salvini fait fermer les ports italiens aux « taxis de la mer » qui convoyaient les migrants de l’Afrique du Nord à l’Europe. Il fait en outre voter plusieurs décrets qui renforcent l’arsenal italien dans la lutte contre l’immigration illégale et le trafic d’êtres humains. Le combat contre la maffia continue. Salvini obtient l’extradition de certains terroristes des Brigades rouges évadés dans divers pays. Bien que cela soit moins médiatisé, l’Italie se rapproche du groupe de Visegrad, de la Roumanie, de l’Autriche et de la Russie, en demandant notamment la levée des contreproductives sanctions contre le pays des tsars. La signature de juteux contrats entre industriels russes et italiens témoigne des bonnes relations entre le Kremlin et le Palais du Vinimal (siège du ministère de l’Intérieur. De plus, l’Italie signe aussi des accords concernant le gigantesque projet chinois des «  Nouvelles routes de la soie  » pour en devenir un des premiers et principaux débouchés.

Le navire humanitaire «Aquarius», affrété par les ONG européennes SOS-Mediterranean et Médecins Sans Frontières.

Un triomphe impérial pour Salvini

Les Italiens apprécient largement la politique gouvernementale, surtout en matière d’immigration. Cela se traduit par des victoires à chaque scrutin local où la Ligue effectue à chaque fois un beau score. Les succès qu’enchaînent Matteo Salvini font de lui le nouveau soleil de la galaxie souverainiste. Soleil qui en vient à faire de l’ombre à son alliée française Marine Le Pen…

« Les succès

de Salvini font de lui le nouveau soleil ombrageant Marine Le Pen.

»

Stratège, le Milanais entend capitaliser son leadership et sa popularité pour réunir les conservateurs et les souverainistes de droite de toute l’Union européenne lors du scrutin européen de mai. Si son but n’est pas d’y former une majorité, il veut leur donner un poids suffisant pour

influencer l’UE, surtout en matière de compétence des États-membres et de migration. Soulager la pression de Bruxelles sur Rome est certainement un des buts de cette manœuvre. Les élections européennes voient une forte poussée nationaliste. Ils forment désormais le 4e groupe du parlement européen. Par ailleurs, si les relations entre Bruxelles et Budapest continuent de se détériorer, comme c’est à prévoir, les élus du Fidesz hongrois risquent de se joindre à eux.

La Roche tarpéienne est proche du Capitole

Fort du succès des européennes, Matteo Salvini demande en août une réorganisation du gouvernement (en y faisant entrer de nouveaux ministres issus de la Ligue) et des ajustements de politiques. Face au refus de son allié du M5S, il annonce sa démission de son poste de ministre. Une nouvelle crise politique éclate. Commence alors une course folle pour faire barrage au «  bulldozer milanais » qui est crédité de 40% des voix en cas d’élections. Ce score lui permettrait de diriger seul le pays, sans partenaire frileux de coalition.

23


{ INTERNATIONAL POLITIQUE ITALIENNE }

« Salvini

inspire de la peur à ses rivaux politiques et adversaires européens.

©/Shutterstock

»

Déconsidéré pour son inexpérience ministérielle et marginalisé par Salvini, Ligui Di Maio peine à trouver une alternative à la fin de son alliance. L’opposition menée par le Parti démocrate (PD, centre-gauche) devient Janus (le dieu romain à deux visages) : elle applaudit d’une tête la fin du gouvernement honni et redoute de l’autre tête de nouvelles élections où elle serait balayée. Sous la pression des institutions européennes décidées à lui faire barrage, le M5S et le PD s’allient de justesse. Giuseppe Conte, devenu expert en retournement de veste, reste Premier ministre mais d’un gouvernement nettement orienté à gauche, fidèle jusqu’à la soumission à l’UE. Rejeté dans l’opposition, le « Capitaine » a d’ores et déjà prévu d’organiser des manifestations contre ce qu’il considère comme un déni de démocratie.

24

BLUE LINE | Octobre 2019

De fait, sa popularité demeure intacte. Le M5S aime encore moins le PD que la Ligue. Il y a tout lieu de penser que la nouvelle coalition sera plus bancale que l’ancienne. Un retour aux urnes avant la date prévue n’est pas à exclure.

d’un Français ou d’un Suédois. Un Allemand ne réfléchira jamais comme un Grec ou Portugais. Néanmoins, les peuples européens se caractérisent par des mêmes racines, des mêmes mouvements de pensée, un même mode de vie.

Une politique guidée par le peuple

Les Italiens ont vécu l’arrivée de masses d’immigrés comme un traumatisme et la politique de l’UE comme un abandon. Si on ne veut pas voir de populistes au pouvoir demain, il faut que l’UE agisse concrètement en matière d’immigration ou laisse aux États la responsabilité de le faire. Elle pourrait, par exemple, sortir les dépenses en matière de sécurité et d’intégration de la règle des 3% de déficit.

Nous pourrions conclure que Matteo Salvini n’a pas été un bon lecteur de Machiavel ou qu’il n’a pas mesuré le degré de peur qu’il inspire à ses rivaux politiques et adversaires européens. Mais, nous ne nous arrêterons pas à ça. La prise du pouvoir par Salvini, et la montée en général du populisme en Europe, démontre une crainte, ou plutôt une problématique enfouie par des décennies de «bien-pensance ». L’Europe n’est pas un droit, un marché intérieur, une monnaie unique ni même un État d’ailleurs. L’Europe est une civilisation. Tout le reste procède de cette simple réalité. Certes, un Irlandais sera toujours différent

Une autre politique en matière d’immigration est possible. Si elle ne doit pas être dictée par les populistes, elle doit répondre à la volonté des peuples. Car, dans toute démocratie, qu’y a-t-il de plus important que le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ? 


{ CARICATURE }

/ CARICATURE / PAR CORALIE BOTERDAEL

Des remèdes sont alors maladroitement apportés sur un plateau… En effet, il est possible d’octroyer des titres de pénurie à des candidats bleus cuits sur le grill. Mais si ces candidats excellent dans leur domaine, qu’en est-il de leur formation pédagogique ? Il est également envisagé de faciliter le retour au métier pour des personnes qui ont précédemment quitté la profession. Mais si ces dernières sont parties, qu’en est-il de leur enthousiasme à remettre le couvert ? Il est enfin prévu d’encourager les enseignants à prester des heures supplémentaires avec avantages fiscaux. Mais si l’idée est appétissante, qu’en est-il de la quantité et de la qualité de travail ? Ces solutions à l’emporte-pièce ne donnent pas naissance à des profs excellents comme le scande l’élève sur la vignette mais plutôt à des enseignants fort peu dans leur assiette qui jettent rapidement l’éponge.

Midi… La pénurie,

un plat qui se mange froid La pénurie s’aggrave et tartine les pages des journaux. Or, la recette proposée par les politiques pour redonner aux professeurs le goût de l’école doit encore mijoter. La pénurie des professeurs infuse surtout dans l’enseignement secondaire et pour certaines matières comme les langues première et seconde, les mathématiques, les sciences ou la géographie. Elle gélifie aussi principalement dans les grands centres urbains et dans les écoles réputées « difficiles » où les conditions de travail sont considérées comme pénibles. Et à l’instar d’un nappage qui s’étale, celle-ci se répand et touche de plus en plus d’établissements. Hélas, la problématique ne va pas en s’améliorant car tandis que beaucoup de jeunes professeurs partent endéans les cinq ans, les étudiants délaissent les formations au métier de l’éducation. Face à cette pénurie, des parents se tournent vers les cours particuliers, certains établissements scolaires font même appel à des sociétés privées. D’une part, cette solution réservée au gratin coûte cher et invalide l’idéal de gratuité de l’enseignement ; d’autre part, ces coachs achetés sous cellophane n’ont pas été formés pour donner les cours qu’ils dispensent.

Cette pénurie s’explique notamment par le fait que la majorité des enseignants ne se sentent pas considérés, soutenus ou reconnus par l’institution scolaire, la société ou les politiques. Ils sont pris dans le donut vicieux du nombre d’élèves par classe qui augmente car il n’y a pas assez de professeurs et des professeurs qui partent car il y a trop d’élèves. Ils sont souvent perçus comme des barmans faisant avaler aux élèves la lie du savoir à coup de photocopies, ou pire, comme des budgétivores profitant des deux délicieuses garnitures que sont juillet et aout. Ils ont perdu la position sacralisée du « maitre d’école », leur charge de travail est sous-estimée et le constat est amer. Les politiques en sont conscients et une réflexion pour rendre la profession plus alléchante est mise sur le feu. La réforme à la formation initiale des enseignants en herbe, postposée d’un an, est une bonne initiative. Cependant celle-ci valorise les études et donc les détenteurs du diplôme et non le métier, la fonction en tant que telle. L’idée de permettre aux enseignants expérimentés d’aménager leur fin de carrière en mettant leur expérience au profit de leur école tout en réduisant leur temps de travail face à la classe est à nouveau une piste intéressante. Néanmoins, à court terme, loin de régler le problème de la pénurie, elle risque de l’accentuer. Il semble donc que ces réponses sorties trop tôt des fourneaux ne sont pas assez gonflées pour faire monter le soufflé et que le Pacte d’Excellence doit encore étuver avant de devenir un plat chaud prêt à servir. 

25


{ CARTE BLANCHE NUCLÉAIRE }

LA CARTE BLANCHE

LE NUCLÉAIRE

UNE SORTIE À QUEL PRIX ? PAR AMAURY ERNST

La Belgique a choisi de sortir du nucléaire en 2025 mais est-ce vraiment réaliste ? La sortie progressive de l’utilisation de l’énergie nucléaire prévue par la loi du 31 janvier 2003 fut modifiée en 2013 pour reporter le moment de la fermeture des réacteurs belges. En matière de nucléaire, deux points sont à soulever. Premièrement, le nucléaire produit la plus grande partie de l’électricité utilisée dans notre pays. Deuxièmement, l’écologie est centrale lorsque l’on parle de l’énergie nucléaire. Quoi qu’il en soit, si l’on veut en sortir, les alternatives sont certes nombreuses mais souvent chères.

La centrale nucléaire de Doel est localisée sur le territoire de Doel sur la rive gauche de l’Escaut en Belgique.

26

BLUE LINE | Octobre 2019


{ CARTE BLANCHE NUCLÉAIRE }

La première fermeture de réacteur belge est prévue pour octobre 2022 tandis que les autres suivront durant les années 2023 jusqu’à 2025. Cela peut paraître une bonne chose mais l’est-ce vraiment ? Un problème directement causé par la fermeture des centrales nucléaires est simple : le coût de démantèlement de ces dernières. De fait, pour chaque réacteur démantelé, il faut nettoyer et évacuer avec précaution les sites et les déchets. Cela a évidemment un prix ! D’après le coprésident d’Ecolo, Jean- Marc Nollet, un tel travail pourrait faire grimper les coûts jusqu’à environ 36 milliards d’euros.1 Concernant la productivité énergétique, elle, est extrêmement importante pour la Belgique, et contribue, selon des statistiques de la Fédération belge des entreprises électriques et gazières (2018)2, à hauteur de 39 % pour la production belge d’électricité. En comparaison, l’énergie produite par les sources fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel) est de 35,4% et par les énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse, déchets, hydraulique, etc.) de 25,6%. Cela veut dire que si nous arrêtons le nucléaire, la Belgique ne produira plus que 61% de l’énergie produite aujourd’hui. Comment peut-on croire qu’il est possible de vivre avec une production réduite d’un peu plus d’un tiers alors que le monde ne cesse d’évoluer vers des technologies de plus en plus gourmandes en énergie électrique ?

TAUX D’ÉLECTRICITÉ PRODUIT PAR LES CENTRALES NUCLÉAIRES 25%

EN EUROPE

18%

AU ROYAUME-UNI

3,5%

AU PAYS-BAS

71,6%

EN FRANCE

11,6%

EN ALLEMAGNE

4-5

Après l’arrêt des réacteurs nucléaires belges, il faudra par ailleurs trouver l’énergie manquante. À première vue, la solution la plus indiquée semble être celle de l’importation. Avant de déterminer la quantité d’électricité dont la Belgique aura besoin, il est intéressant de savoir que notre pays a importé 22% de l’énergie consommée en 2018. Quelle quantité d’énergie faudra-t-il importer à la suite de la sortie du nucléaire ? Selon Damien Ernst, professeur à l’Université de Liège : « Avec un début de fermeture vers 2022, on va probablement arriver à plus de 50, voire 60% d’importation d’électricité à l’avenir. Cela ne serait pas très étonnant car, en Belgique, nous sommes très limités, en termes de ressources renouvelables, et en éolien, et en solaire. Donc on peut penser qu’à terme, même l’énergie renouvelable sera

importée d’autres pays ». Si on s’informe sur la manière dont est produite l’énergie dans les quatre pays qui exportent en Belgique, on arrive à se poser cette question : est-ce vraiment intéressant d’arrêter le nucléaire pour acheter, à l’étranger, de l’énergie nucléaire et fossile ? Un problème se présente également face à l’importation de l’énergie : la hausse des prix. En effet, les coûts de production de l’électricité pourraient potentiellement exploser entre 2018 et 2050. En plus du prix de production, le coût d’importation de l’énergie va augmenter en proportion de l’augmentation du rachat de l’énergie à l’étranger. En 2020, l’importation devrait coûter 300 millions d’euros et passer à 900 millions en 2030. Pour continuer, l’énergie nucléaire est une énergie « propre » sur le plan du CO2. En effet, l’empreinte carbone des usines nucléaires est de 7 à 12g de CO2 par kilowattheure contrairement à plus de 1000g de CO2 par kilowattheure pour les centrales à charbon. Il est évident qu’il faut mettre un bémol sur le côté « écologique » du nucléaire. Cela car il est connu et reconnu que l’énergie nucléaire rejette des déchets radioactifs qui sont le plus souvent enfouis à 500 mètres dans le sol. Il y a également une nuance à mettre sur les déchets radioactifs : une usine permet d’en partie les recycler. En effet, l’usine de retraitement de la Hague, située en France, permet de recycler 96% des combustibles nucléaires usés en matières énergétiques à retraiter partiellement. Ceuxci peuvent, par exemple, servir à la médecine nucléaire et permettre ainsi de développer de nouvelles thérapies contre le cancer. Cela peut apparaître comme la solution aux effets néfastes des déchets radioactifs, cependant ce n’est malheureusement pas aussi facile. Pour la simple raison que cette usine française est pratiquement unique au monde et qu’elle ne peut traiter plus de déchets qu’elle ne le fait déjà. Pour conclure, la sortie du nucléaire va chambouler beaucoup d’aspects en Belgique. À mon avis, la sortie en 2025 se fait beaucoup trop tôt. Le nucléaire produit encore une énorme part de notre énergie et les énergies renouvelables ne sont pas encore assez efficaces pour totalement remplacer l’électricité produite par les réacteurs nucléaires. De même, certains indicateurs montrent que notre pays va devoir accroitre son importation d’énergie. Selon moi, la solution la plus pragmatique et logique serait d’attendre et d’accentuer le développement de dispositifs alternatifs. Attendre que les énergies renouvelables se développent. Attendre avant d’aller acheter de l’énergie qui produit plus de CO2 et de déchets nucléaires que notre propre production belge. Attendre car l’énergie va coûter de plus en plus cher et ce n’est pas en important que les prix vont descendre. Le projet de sortie totale du nucléaire en 2025 me semble donc dangereux. Dangereux sur le plan économique et même écologique. Voilà pourquoi, patienter et analyser la situation dans son ensemble me semble la seule véritable solution actuelle. 

1 https://www.lalibre.be/belgique/il-manquera-21-9-milliards-pour-sortir-du-nucleaire-previent-jean-marc-nollet-5a62e4d9cd7083db8ba8b3f5 2 https://www.febeg.be/fr/statistiques-electricite 3 https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Nuclear_energy_statistics 4 https://www.oecd-nea.org/ndd/pubs/2018/7416-ned-2018.pdf

27


{ SOCIÉTÉ BELGIQUE / CONGO }

JE T’AIME

MOI NON PLUS :

LES RELATIONS BELGO-CONGOLAISES

©/Shutterstock

PAR KEVIN KARENA

28

BLUE LINE | Octobre 2019


{ SOCIÉTÉ BELGIQUE / CONGO }

Alors que Félix Tshisekedi, le président de la République démocratique du Congo (RDC), venait le 17 septembre à Bruxelles, la capitale de l’ancienne puissance coloniale, et prononçait ces mots : « La Belgique est mon autre Congo. [...] Toujours, je me sentirai chez moi dans ce pays », il est l’heure de faire une petite mise au point sur les rapports entre la Belgique et la RDC.

D’une histoire douloureuse…

En 60, après la proclamation de l’indépendance du Congo le 30 juin, survint ce qu’on appelle le contentieux belgo-congolais qui désigne l’ensemble des problèmes financiers restés en suspens à la suite de la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays. Après moultes tractations, les déclarations de MM. Spaak et Tshombe de février 1965 à Bruxelles débouchèrent sur un accord qui tendait à régler de manière définitive et équitable l’imbroglio des relations belgo-congolaises. On se souviendra également de cette phrase de Mobutu en 1989 à Léo Tindemans, alors ministre des Affaires étrangères : «  J’attendais des amis, j’ai trouvé des comptables ». Ou encore des élans de Wilfried Martens, Premier ministre, qui déclarait : « J’aime ce pays, sa population et aussi ses dirigeants ». Puis de la rupture des relations diplomatiques quelques mois plus tard. Plus récemment, en 2018, la RDC a menacé de mettre un terme aux relations en décidant de manière unilatérale de fermer son consulat d’Anvers et par ailleurs d’appeler la Belgique à fermer son consulat à Lubumbashi. Une réponse pour le moins hostile qui survenait après la décision de la Belgique de réduire sa coopération avec les autorités congolaises, aussi longtemps que des élections valables ne seraient tenues.

… à un constat cannelé…

Des relations saines et durables entre la Belgique et la RDC, entre Belges et Congolais, ne pourront se construire que sur la base d’un alignement des intérêts de chacun (États, organisations ou individus). Il est nécessaire d’établir une véritable vision stratégique et dépassionnée de la relation entre nos deux pays. Un rapport de la fondation Roi Baudoin de 2014 nous rappelle quelques points d’attention toujours d’actualité qu’il faut exploiter pour bonifier cette relation qui a trop longtemps évolué en dents de scie. Il existe un contexte favorable à l’établissement d’un partenariat stratégique mais pour ce faire, il faut reconstruire de bonnes relations économiques belgo-congolaises et redonner un souffle nouveau aux échanges bilatéraux et culturels.

… jusqu’à la visite officielle du Président

Le mardi 17 septembre, ce qui n’avait plus eu lieu depuis plus de 12 ans est enfin arrivé, un président congolais a à nouveau foulé le sol de la Belgique. Félix Tshisekedi, le président nouvellement élu, démarre une visite officielle à Bruxelles qui durera 5 jours. Un séjour d’une forte intensité car il s’agit de rediscuter les enjeux communs et particulièrement les enjeux économiques. Ceci dans le but de relancer la coopération, de normaliser les relations et notamment de prévoir la réouverture des consulats à Anvers et Lubumbashi. Pour recevoir le chef d’état, notre pays a mis les petits plats dans les grands. Comme le mentionnait Le Soir dans son édition du 17 septembre 2019 : « la Belgique n’a pas lésiné sur les symboles de légitimation : honneurs militaires, réception par le roi Philippe, signature de lettres d’intention et rencontre avec les milieux d’affaires ». Initialement quatre textes importants traitant des tenants et aboutissants de la reprise de la coopération devaient être signés. Sur les quatre, seul l’accord sur la coopération militaire est encore en cours de négociation. Durant cette visite, le Président congolais a porté une attention particulière au patronat pour leur faire part de ses priorités socio-économiques dans le but d’attirer de nouveaux investisseurs étrangers. Dans la continuité de sa campagne de séduction des investisseurs belges, le président congolais a tenu un discours affectueux et fraternel au siège de le FEB (Fédération des Entreprises de Belgique), rappelant son lien affectif avec notre pays qui durant son enfance, a été pour lui une terre d’accueil. Et il a également insisté sur les liens historiques indéfectibles dans lesquels la Belgique et le Congo ont tissé leur relation. Il s’est ainsi exprimé : « L’image que vous avez du Congo peut expliquer la frilosité de certains mais en restant de côté, vous risquez de rater des opportunités », un appel du pied percutant à destination des investisseurs belges. Allons-nous assister à la naissance d’un nouveau dynamisme belgo-congolais ? Wait and see ! 

29


{ SOCIÉTÉ EXPRESSION }

LIBERTÉ D’EXPRESSION : « C’ÉTAIT

MIEUX AVANT » ? PAR ADRIEN PIRONET

Étant progressiste, je ne suis pas de ceux qui disent : « c’était mieux avant ». Malgré tout, on peut se demander si la véritable liberté d’expression existe encore. Il est vrai, elle semble tellement encadrée aujourd’hui, qu’il devient légitime de jeter un regard en arrière sur la conception qu’on en faisait par le passé. Un exemple vaut mieux qu’une longue théorie : prenons le cas du film des Aventures de Rabbi Jacob, notamment le gag où Louis de Funès se retrouve avec le visage totalement noir dû à un échappement de voiture. Cette scène quasi mythique reste, pour la plupart des personnes, juste un bon gag sans arrière-pensée raciste.

Aujourd’hui, je suis tenté de comparer cette situation avec l’actualité du Premier ministre canadien, Justin Trudeau, qui fut discrédité par deux « dossiers » de blackface alors qu’il était en pleine campagne. Pour ceux qui ne connaitraient pas ce terme anglais, il correspond à la situation où quelqu’un se grime le visage en noir. Or, ce maquillage caricature les stéréotypes qui pèsent sur les personnes de peau noire. Son origine est graveleuse. De là, découlent deux types de réactions : soit on le considère comme une simple blague, soit comme une forme de racisme ordinaire. Pour revenir à Justin Trudeau et être tout à fait clair, je dois évoquer deux dossiers différents qui ont fait surface et ont entrainé le discrédit sur lui. Premièrement, une vidéo de celui-ci où, dans les années 90, il fait des gestes habituellement associés aux primates, tout en étant grimé. Dans ce cas-ci, les faits sont ambigus et je comprends que son attitude puisse indigner. Ce n’est pas tolérable, surtout de la part d’un chef de gouvernement. Deuxièmement, une photo de 2001 publiée par le Times dans laquelle Justin Trudeau est déguisé, le visage grimé, à une soirée privée. Il n’offense à priori personne. On est donc loin du Prince Harry déguisé, également lors d’une fête privée, avec un brassard nazi. Même si, sur le fond, la signification peut s’y rattacher, cette situation me paraît beaucoup plus scandaleuse pour la liberté d’expression que pour le respect des personnes. C’est précisément, là où, à mon sens, la liberté d’expression souffre. Est-on encore libre de dire, de faire ce que l’on veut ? Évidemment, chaque pays a sa culture, ses propres mœurs, une situation identique peut être perçue de diverses manières selon que l’on soit en Grande-Bretagne, au Canada ou en Belgique. Notons également la polémique autour du Père Fouettard dont l’origine n’est pas une question de stéréotypes, simplement de contexte lié à la création du personnage.

30

BLUE LINE | Octobre 2019


©/Shutterstock

{ SOCIÉTÉ EXPRESSION }

Pour revenir en Belgique et à la situation qui nous concerne, abordons le cadre légal nécessaire pour comprendre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. La liberté d’expression, ou d’opinion, est un vieux principe déjà énoncé dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. De plus, la Constitution belge traite de la liberté d’opinion, notamment religieuse. Néanmoins, ces deux textes d’importance ne fondent pas une liberté absolue d’expression. La loi peut la limiter. D’ailleurs, il est normal que l’on ne puisse pas tout dire, puisque nous vivons en société, avec autrui. De ce fait, plusieurs lois ont déjà réduit le champ d’application de cette liberté d’opinion : la loi Moureaux de 1981 me semble la plus pertinente dans l’affaire des blackface. Effectivement, elle incrimine les comportements discriminants, l’incitation à la haine, ou la ségrégation - par exemple en raison de la couleur de peau. La question est donc la suivante : ce genre de pratique est-elle un humour borderline ou un comportement raciste ? Je serais tenté de vous répondre qu’il s’agit d’humour, parfois exprimé par certains de manière douteuse, j’en conviens. Mais, j’ajouterais que toute chose a ses limites. Et si certains diront que c’est justement l’excès qui rend la chose drôle, il est utile de se positionner dans la peau du public que l’on peut blesser, avec le contexte historique pour repère. D’ailleurs, Justin Trudeau, conscient de sa faute, s’est excusé : « La réalité, c’est que j’ai blessé

des gens que j’étais censé défendre et aider, et j’en suis profondément désolé ». Ceci dit, bien que la pratique du blackface me semble être apparenté à de l’humour, elle ne me paraît pas forcément drôle à priori, puisqu’elle se moque du comportement de personnes. C’est davantage une blague qui porte sur la forme que le fond, à l’image du débat Macron-Le Pen. Derrière la pratique, il est fondamental de comprendre l’origine de ce geste, comme décrit plus haut. Si les débats et l’humour ne portent plus que sur le show et non sur les idées, alors oui, « c’était mieux avant ». La liberté d’expression m’apparaît davantage comme une science noble, qui doit être bien maitrisée à l’instar de la rhétorique, parfois avec choc. C’est un don qu’a l’individu libre. C’est à lui de s’en servir avec finesse, comme un être humain de 2019 éduqué et vivant en société et non comme un « homme des cavernes ». Cette liberté fondamentale a parfois dû se faire de manière non-conventionnelle ; pensons aux mouvements de la Révolution française, et des principes énoncés, qui ont pu paraître totalement fous pour le monde de l’époque. Il est simplement dommage que l’éducation et le bon sens ne soient pas encore maîtrisés par tous. Alors non, la liberté d’expression n’est pas morte ! Elle doit seulement s’exercer dans le cadre global d’une société démocratique, d’une population hétérogène, et surtout, dans le respect du vivre-ensemble. Alors, ne disons pas : « c’était mieux avant », mais « ce sera mieux dorénavant ». 

31


{ SOCIÉTÉ LIBÉRALISME }

LE LIBÉRALISME,

C’EST QUOI ? PAR LOUIS RIFAUT

La majorité de nos détracteurs caractérisent les libéraux comme étant des « néolibéraux », conservateurs, capitalistes, vivant dans une extrême richesse et ne connaissant en rien la misère. Cette vision du libéralisme erronée est compréhensible de la part de gens qui n’y connaissent rien, ou en tout cas, qui ne veulent prendre en considération qu’un aspect économique poussé à l’extrême de ce qu’est notre idéologie. Pourtant le libéralisme revêt bien des aspects.

En exagérant un peu, nous pourrions dire qu’il y a autant de formes de libéralisme qu’il existe d’hommes et de femmes revendiquant leur appartenance à cette doctrine. De plus, le libéralisme ne renvoie pas exactement aux mêmes réalités selon qu’on l’analyse suivant un point de vue philosophique, politique, culturel ou encore économique. De par cet article, ce sont les grands traits de chacun de ces aspects du libéralisme que je souhaite mettre en avant ; même si, entendons-nous bien, écrire une simple page dans ce magazine est insuffisant pour en aborder tous les aspects de manière exhaustive, que ce soit en matière d’auteurs ou d’idées libérales. Le libéralisme philosophique met en évidence la relation entre les individus et la société en soulignant que la société est composée d’individus et que la société doit s’organiser autour de ceux-ci. L’individu est alors vu comme étant central et doté de droits inaliénables. Dans cette optique, le libéralisme promeut un certain nombre de libertés : liberté de culte, liberté de conscience, liberté d’expression, liberté d’association, liberté d’entreprendre, etc. mais également le droit à la propriété privée, fondement inséparable du libéralisme. Quand on pense libéralisme philosophique, on pense inévitablement à John Locke, considéré comme l’un des pères du libéralisme, ou encore aux philosophes des Lumières. Le libéralisme politique consiste en un prolongement de l’aspect philosophique. Il se concentre sur l’organisation du pouvoir au sein de la société en mettant l’accent sur le fait que les parties priment sur le tout et qu’il n’y a pas d’opinion générale mais que des opinions particulières. C’est cet aspect-là qui fait que la tolérance et le pluralisme sont des valeurs centrales au sein du libéralisme politique, contrairement à d’autres idéologies.

32

BLUE LINE | Octobre 2019

Le libéralisme culturel s’applique à rejeter des valeurs jugées traditionnelles et autoritaires. Tout comme le libéralisme philosophique et politique, il prône une liberté et une indépendance propre par rapport aux discours nationalistes et aux politiques répressives. Il ne veut pas que la société impose des comportements mais que les individus développent leur propre opinion de manière autonome, individuelle, libre ; à l’inverse de nos détracteurs qui veulent imposer leur façon de voir le monde. C’est grâce au libéralisme culturel que nous avons connu des avancées en fait de cohabitation hors mariage, d’avortement ou encore de liberté sexuelle. Le libéralisme économique s’inscrit dans la lignée des points de vue philosophique et politique, mais peut aussi s’en détacher. Ainsi, il défend à tout prix la liberté de marché et la liberté des individus de sorte que l’initiative entrepreneuriale soit favorisée. Aussi, selon qu’on se place dans la lignée de tel ou tel auteur (Locke vs Smith), le libéralisme économique sera opposé à tout interventionnisme étatique, ou au contraire, tolérera une intervention limitée. Il fonctionne selon des lois naturelles autorégulatrices, on parlera notamment de la «  main invisible » d’Adam Smith. Dans cette optique, il prône la libre circulation des marchandises, la libre concurrence ou encore, la privatisation des entreprises publiques. En conclusion, nous pouvons dire que le libéralisme se construit autour de ces 4 grandes composantes. Par conséquent, contrairement à ce que certains affirment, le libéralisme ne se limite pas à l’économie. C’est une idéologie noble qui trouve sa base dans une vision philosophique où les libertés individuelles dépassent tout le reste. 


{ RÉSEAUX SOCIAUX }

VU SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX Certains usent (et abusent) des réseaux sociaux. L’actualité, elle aussi, n’y échappe pas. Parce qu’on ne peut se résoudre à garder ces quelques « perles » pour nous, en voici un échantillon. Attention, ça pique !

Du trollisme à l’état pur.

La Manif pour Tous a tout faux.

Dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas.

Les épouses des chefs d’États en visite bucolique.

C’est l’histoire de l’arroseur arrosé.

33


© Fédération des Étudiants Libéraux


BLUE LINE PRÉSIDENT ET ÉDITEUR RESPONSABLE : Adrien PIRONET Avenue de la Toison d’or, 84 - 86 1060 Bruxelles

CONTACT  : Tél : +32 2 500 50 55 info@étudiantslibéraux.be

RÉDACTRICE EN CHEF : Adeline BERBÉ

RÉDACTION : Coralie Boterdael, Arnaud Devos, Antoine Dutry, Guillaume Ergo, Amaury Ernst, Kevin Karena, Ernest Maes, Adrien Pironet, Louis Rifaut, Alexandre Somma

DIRECTION ARTISTIQUE : Daphné ALGRAIN

AVEC LE SOUTIEN :


ÉTUDIANTS L I B É RAU X


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.