BLUE LINE NOVEMBRE 2022
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SOMMAIR
BLUE LINE
N°13
NOVEMBRE 2022
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USA FUSILLADES
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DOSSIER
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Fusillades en milieu scolaire
ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR EN BELGIQUE Décret Paysage : Vers un horizon de réussites ou de réformes ? Après le décret Paysage, quid de la bourse d’étude ? Stages rémunérés RFEI : un sérieux projet en manque de maturité
CARTE BLANCHE
Le port de signes convictionnels
D’autres fenêtres
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EUROPE INFLATION
Inflation : Le nouveau « maux » européen ?
DÉRISION
Les Jardins de la tolérance
BIBLIOGRAPHIE HOMMAGE
ÉDITO
Chères lectrices, Chers lecteurs,
Les mondes qui nous entourent sont en constante évolution. Je ne vous apprends rien en vous disant que celui de l'enseignement supérieur est en pleine restructuration. Sachant que nos études prennent une partie plus ou moins importante de nos vies, nous avons décidé que la 13e édition du Blue Line magazine, également la 1re de cette nouvelle année académique, s’attarderait sur le monde de l'enseignement supérieur. Dans le Dossier Central, vous trouverez des articles qui abordent des sujets qui nous affectent tous de près ou de loin. Du salaire pour les stages étudiants au port de signes convictionnels en passant par la qualité de la formation des enseignants. Nous avons également eu l’opportunité d’interviewer Valérie Glatigny, la ministre de l’Enseignement supérieur au Gouvernement de la Fédération Wallonie Bruxelles, sur les reformes du décret Paysage en ce début d’année académique 2022-2023. Si tu te questionnes sur ces sujets, si tu es un étudiant boursier qui s'inquiète de l'évolution des critères d'accès aux bourses, si tu estimes que tout travail mérite salaire mais ne comprends pas pour quelles raisons ton stage étudiant n'est pas rémunéré, alors, ce Blue Line s'adresse à toi. En sus, vous découvrirez, hors du Dossier Central, des articles qui dépassent nos frontières. Le 1er touche à l’enseignement mais vous amène aux pays de l’Oncle Sam traitant des fusillades dans les écoles et de la gestion des armes à feu aux États-Unis. L’autre est un article économique qui se concentre sur l’inflation des prix dans un monde affecté par le conflit entre l’Ukraine et la Russie, il explique à quoi est due l’inflation en déconstruisant les théories simplistes à l’aide d’une solide argumentation et avance des pistes de solutions. Comme quoi, malgré un fil d’actualité qui parait assez sombre, les rédacteurs de cette édition vous proposent des réponses positives à ces diverses thématiques. Enfin, comme de coutume, le Blue Line s’achève par une Dérision rédigée par les soins de notre détachée pédagogique qui vous emmène dans un monde bien à elle où elle interroge le principe de la tolérance et la reconnaissance des identités. Une agréable lecture à tous. Titus
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USA:
LE STYLO ET LE FUSIL PAR ARTHUR WATILLON
Trevor Bexon / Shutterstock.com
« Nulle part ailleurs, les enfants vont à l’école en pensant qu’ils pourraient être abattus ce jourlà […] et [dans notre pays, ndlr] c’est un choix ». C’est par ces mots que le sénateur démocrate du Connecticut, Chris Murphy, suppliait ses collègues républicains de trouver des solutions contre la violence des armes à feu qui ravage le pays de l’Oncle Sam. Cette prise de parole fait suite au massacre d’Uvalde, qui a causé la mort de 21 personnes, dont 19 enfants dans une école primaire du Texas. Cette tuerie de masse en rappelle bien d’autres, mais celle-ci peine à surprendre de nouveau, tant elles sont nombreuses. Tristement, le cas des fusillades en milieu scolaire n’est que l’une des conséquences tragiques de l’épineuse question du port d’armes dans la société américaine. Comment expliquer, dans un pays où les appels à la régulation de ces armes sont soutenus par le président luimême, un tel blocage sur cette problématique ? >>
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Glynnis Jones / Shutterstock.com
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Depuis 2012, 239 fusillades ont eu lieu en milieu scolaire. Pour la seule année 2020, 4000 enfants sont morts par armes à feu, ce qui en fait la première cause de mortalité pour les moins de vingt ans1. La raison de ce fléau s’explique par des conditions d’obtention d’une arme à feu particulièrement élémentaires, puisqu’il suffit uniquement d’être âgé d’au minimum 18 ans et de posséder un casier judiciaire vierge. Et ces conditions minimales se justifient par le fait que posséder une arme est effectivement un droit aux États-Unis, un droit garantit par la Constitution. En effet, le deuxième amendement accorde le droit à tout citoyen américain de détenir des armes : « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit du peuple de détenir et de porter des armes ne doit pas être transgressé. ». Face à ces chiffres, la question se pose : pourquoi s’obstiner dans cette direction mortifère ? En fait, dans un pays où le président de la nation lui-même se dit « écœuré et fatigué » par ces fusillades à répétition et « déterminé à interdire les fusils d’assaut », la question est plutôt de comprendre pourquoi la situation ne change pas.
LES RAISONS DE L’INERTIE Premièrement, le blocage est juridictionnel. Comme mentionné, le droit de porter une arme est inscrit dans la Constitution, via le second amendement. En tant que plus haute juridiction du pays, la Cour Suprême en est la garante, tant au niveau de son interprétation que de l’application de celle-ci. À (large) majorité conservatrice2, la Cour Suprême procède à une lecture « originaliste » de la Constitution, soit à une interprétation en accord avec la signification que celle-ci avait lors de sa proclamation, en 1787. Par conséquent, lorsqu’ils sont appelés
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à donner leur avis sur la question, les juges de ce plus haut pouvoir judiciaire se rangent toujours derrière l’optique de laisser un maximum de liberté possible aux individus. Dans ce cas, la liberté de s’armer. Cette posture juridique de la plus haute cour du pays n’est pas sans conséquences. Ainsi, pour l’État de New-York, la Cour Suprême a invalidé plusieurs lois prévoyant des restrictions au port d’armes. À titre d’exemple, une loi de 1913 limitant la délivrance de permis de port d’armes dissimulées a été invalidée par l’instance, renforçant ainsi la possibilité de porter une arme en dehors de son domicile. Dernièrement, la loi new-yorkaise obligeant les citoyens désireux de porter une arme d’obtenir un permis au préalable pourrait également être abrogée. Le deuxième blocage est politique : le pouvoir fédéral se retrouve dans l’impasse. Particulièrement clivée, la société politique américaine ne parvient plus à s’entendre, républicains et démocrates peinent à collaborer. Cette tâche est rendue d’autant plus compliquée que le Sénat est composé de 50 démocrates et de 50 républicains. La présidente du Sénat, la vice-présidente démocrate Kamala Harris, a la possibilité de départager une majorité simple. Toutefois, la parade législative du « filibuster », destinée à bloquer le vote d’un projet de loi, ne peut être contournée que si les démocrates obtiennent au minimum 60 voix en leur faveur. Mission impossible, selon la politologue spécialiste des États-Unis Nicole Bacharan : « Aujourd’hui, le blocage politique est tel que rien ne bougera. De plus, il n’y a pas de consensus parmi les démocrates ». En effet, certains démocrates sont les représentants d’États plus conservateurs, comme la Virginie ou l’Arizona. Conjointement à ce clivage, les carrières politiques américaines se font et se défont à coups de PAC’s (political action committee)3 et autres généreuses donations. Ces millions de dollars sont allongés par de puissantes associations, dont le lobby des
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armes, la NRA (National Rifle Association), qui finance de nombreuses campagnes politiques en échange du soutien des élus envers le second amendement. Enfin, un troisième blocage vient aussi et avant tout d’une question d’identité. Effectivement, au-delà des considérations économiques et juridico-politiques, le rapport des Américains aux armes à feu renvoie à leur histoire et à leur identité. Les armes à feu sont ainsi associées à de nombreux épisodes de ce qui a fait l’Amérique : la « Conquête de l’Ouest », réalisée par des « pionniers » armés, la guerre d’Indépendance, obtenue – en partie – par la prise d’armes des colons. La Constitution américaine de 1787 va d’ailleurs dans le sens de l’histoire : pour éviter de devoir de nouveau faire face à un gouvernement tyrannique qui interviendrait abusivement dans la vie des individus, le droit à l’insurrection se superpose au droit à l’autodéfense.
DES SOLUTIONS ? OUI, TANT QU’IL Y A DE L’ARGENT À SE FAIRE… Bien que celles-ci puissent questionner les Européens, dans l’Amérique de l’argent-roi, les solutions ne manquent pas. Le credo ? Profiter de l’inquiétude générale pour vendre, encore davantage, d’armes et de systèmes de défense. Pour les pro-armes, la solution est aussi simple que la trame des westerns de John Wayne : armer les « good guys » pour abattre les « bad guys ». Ainsi, l’inquiétude du milieu scolaire est telle que le marché des armes à feu n’a pas tardé à envahir celui-ci. En effet, dans certains états, les professeurs sont désormais autorisés à s’armer afin de lutter contre les tueries de masse. Ceux-ci se verraient former par… la NRA. Cette dernière, à la suite du massacre de Sandy Hook (école primaire du Connecticut), a également proposé de poster des gardes armés dans chaque école. L’influent sénateur texan Ted Cruz proposait quant à lui d’armer la police devant les établissements scolaires. À la suite de la fusillade de Columbine (1999), les écoles ont progressivement adopté des moyens de limiter la rentrée des armes à feu au sein de l’établissement. Présence de tourniquets, cartes d’accès, multiplication des caméras de
LES CHIFFRES DES ARMES À FEU AUX ÉTATS-UNIS
17.194 personnes Selon le Site Gun Violence Archive, qui recense les incidents impliquant des armes, du 1er janvier à la fin du mois de juin 2022, 17 194 personnes ont été tuées par balle aux États-Unis, dont 650 mineurs. Cela représente une moyenne de 119 décès par jour. Parmi les victimes, 9.570 personnes sont décédées par suicide, 7.629 ont été tuées lors d’un homicide. En dix ans (2010-2020), 404.168 décès ont été causés par armes à feu aux USA. L’année 2017 a enregistré un record de 58.114 décès. En 2021, 1.560 mineurs sont tués et 4.132 sont blessés. 2020, le taux d’homicide américain est de 6,1 pour 100.000 habitants. Selon le projet Small Amrs Survey, près de 400 millions d’armes étaient en circulation dans la population civile américaine en 2017, soit 120 armes par personnes. À ce nombre d’armes légales si additionnent aussi les armes « fantômes », vendues en pièces détachées ou réalisées par des imprimantes 3D.
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Mortalité accidentelle ou volontaire, toute cause confondue.
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6 juges sur les 9 de la Cour sont conservateurs. Les comités d’action politique sont des organisations privées visant à récolter
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des fonds afin de favoriser (ou de gêner) la candidature d’une personnalité politique.
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surveillance ou de détecteurs de métaux, l’encouragement à adopter des sacs à dos transparents, histoire d’être certain qu’une arme ne puisse passer inaperçue, transforment certains établissements en de véritables écoles-forteresses. Outre-Atlantique, il sera bientôt plus difficile de pénétrer dans l’enceinte d’une école que de traverser les portiques de sécurité d’un aéroport. Constatant l’impuissance du pouvoir fédéral, certains états tentent également de résoudre le problème « à la racine ». Par exemple, les armes fabriquées avec des imprimantes 3D, qui ne peuvent tirer qu’avec une seule munition, mais retrouvées sur des scènes de crime, ont été interdites par de nombreux états, comtés et villes. De nombreux États, dont la Californie, le Connecticut ou Washington DC prennent également des mesures pour interdire ou réglementer la possession de fusils d’assaut ou la possibilité de se faire livrer un pistolet en kit. Quelques lueurs d’espoir sont également envisageables au niveau fédéral. Dernièrement, au Sénat, un projet de loi visant à empêcher les personnes considérées comme représentant un danger pour elles-mêmes ou les autres, ou encore les personnes condamnées pour violences contre leurs partenaires, d’acquérir des armes à feu, a été adopté par 65 voix contre 33. Finalement, peut-on parler d’une réelle avancée ou de la simple considération du bon sens ? Selon les spécialistes, difficile d’imaginer un quelconque changement substantiel, la grande majorité de la population souhaitant réglementer la vente d’armes à feu, mais en rien l’interdire. De plus, assez fatalement, les ventes d’armes bondissent systématiquement après chaque tuerie. En effet, devant l’insécurité et l’horreur, beaucoup d’Américains pensent d’abord à s’armer. Face à une telle situation, la longue et macabre liste des tueries tend à s’allonger, jusqu’où ira-t-elle avant que les États-Unis ne résolvent la question ?
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DOSSIER L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR BELGE Tout un chacun militerait pour subsister dans un monde qui lui offre la béatitude à laquelle il aspire en tant qu’être humain. En corollaire, en tant qu’étudiants nous avons à cœur de connaitre un monde de l’enseignement supérieur bien plus satisfaisant. Malcom X disait : « L’éducation est un passeport pour l’avenir, car demain appartient à ceux qui s’y préparent dès aujourd’hui ». Aussi belle soit cette citation, il reste néanmoins légitime de s’interroger sur un élément essentiel. À l’heure d’aujourd’hui, le monde de l’enseignement supérieur estil suffisamment efficient que pour nous garantir ce passeport pour l’avenir et nous apporter le sentiment d’ataraxie propice au bon déroulement de nos études ? A contrario de celles et ceux qui languissent à l’idée de s’ériger porte-parole des lamentations de l’un ou l’autre congénère étudiant afin de se livrer corps et syllabus à du bashing politique ; nous, « étudiants libéraux », sommes dans une autre optique car nous croyons en la force des individus à faire émerger les solutions à leurs problèmes. Dans cette perspective, les rédactrices et rédacteurs de ce Blue Line vous offriront des articles dans lesquels seront abordées des pistes de solution pour l’avenir du monde de l’enseignement supérieur en Belgique. Telle est la raison de ce dossier central.
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{ DOSSIER ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR }
DÉCRET PAYSAGE VERS UN HORIZON DE RÉUSSITES OU DE RÉFORMES ? PAR TITUS SEDENA
Le décret du 7 novembre 2013 qui définit le cadre de l’enseignement supérieur, plus communément appelé « décret Paysage » ou « décret Marcourt » a fait l’objet de réformes en décembre 2021 qui entrent en vigueur en ce début d’année académique 2022-2023. Force est de constater que depuis les années 90, les réformes du cadre de l’enseignement supérieur ne cessent de s’enchainer au rythme des législatures. D’emblée, on en viendrait à s’interroger sur la cause de ces réformes intempestives et sur leurs résultats. Ont-elles contribué à la hausse du taux de réussite des étudiants ou ont-elles uniquement servi à pallier le manque de gestion et d’efficacité des gouvernements antérieurs ? Qu’est-ce qui fait réellement défaut dans la conception du décret Paysage et quels sont les ajustements dont celui-ci a besoin afin d’éviter d’autres réformes et processus administratifs lourds et coûteux. Le décret Paysage nous guide-t-il vers un horizon de réussites ou de réformes interminables ? Tentons d’y voir plus clair.
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{ DOSSIER ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR }
Au moment de son entrée en vigueur en 2014, le décret Paysage a été décrit comme une avancée majeure de l’organisation du paysage de l’enseignement supérieur. En effet, il est le résultat d’un long processus d’analyse appuyé par des séances de concertations regroupant des experts provenant de toutes les Universités, Hautes écoles et Hautes écoles des arts de Belgique francophone. À l’aide de leur expertise, ces experts ont contribué aux orientations des réformes dudit décret. Et pourtant, à tort ou à raison, force est de constater qu’à l’instar des précédentes réformes, celles qui sont entrées en vigueur ce mois de septembre 2022 ont suscité de vives réactions au sein de la communauté estudiantine et des organisations de jeunesse politique qui voient en cette réforme une très mauvaise solution à un vrai problème. Mais de quel problème s’agit-il ? Est-ce un manque de compréhension des récentes réformes du décret ? Certes, des questions d’ordre pratique au sujet des nouveaux fonctionnements du décret Paysage, parfois mal compris par certains étudiants, avaient vu le jour. Une problématique qui fut instantanément réglée par la ministre de l’Enseignement supérieur et son Cabinet qui ont mis en place une importante campagne d’information au sujet des nouvelles réformes de ce décret que ce soit sur une page interactive consultable sur le site de la Fédération WallonieBruxelles (FWB) ou sur les réseaux sociaux abondamment utilisés par la jeunesse à savoir Facebook, Instagram ou Twitch. Les problématiques de l’enseignement supérieur Jadis, les problématiques auxquelles faisaient face les politiques de l’enseignement supérieur résidaient dans les principes mêmes qui ont fondé l’enseignement supérieur. Ces fondements, c’est-à-dire ceux de liberté et de neutralité de l’enseignement, font leur apparition en 1831 dans l’article 17 de la Constitution belge, modifié en article 24 par le constituant en 1988, qui stipulait que « L’enseignement est libre », laissant au chef de la famille, à savoir le père, le droit absolu du choix de l’école de ses enfants. Bien que les guerres scolaires opposant chrétiens et libéraux ont bâti les fondements philosophiques de l’enseignement, c’est la signature du Pacte scolaire en 1958 qui mit un terme à ces fameuses guerres. Toutefois, ce pacte instaura une logique de concurrence entre les Hautes écoles et Universités ayant pour corollaire ce que certains qualifient vulgairement de marché scolaire. À ce jour, l’ensemble des modifications mises en place par les précédents réformateurs de l’organisation de l’enseignement supérieur en viennent à remettre en question les principes de liberté qui ont fondé le cadre de l’enseignement en Belgique. Des réformes successives, motivées par une lutte profonde contre les inégalités scolaires provoquées par les inégalités sociales qui impactent les étudiants dans le cadre scolaire, voient le jour. C’est dans cette perspective que Jean-Claude Marcourt (PS), l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur durant le gouvernement de la Communauté française Demotte II entre 2009 et 2014 (coalition Ps/Ecolo/Cdh), a tenté à l’aide du décret Paysage de réorganiser l’enseignement supérieur selon une logique de proximité géographique permettant une
meilleure démocratisation de l’enseignement supérieur, la création de l’ARES (Académie de Recherche et d’Enseignement Supérieur), etc. Il s’avère que la problématique la plus souvent évoquée reste le manque de moyens financiers dont l’enseignement supérieur dispose sous prétexte que les budgets qui lui sont accordés ne permettent pas de garantir les performances et la qualité de l’enseignement supérieur en Communauté française. C’est notamment le cas de Quentin David, l’actuel directeur du pilotage du système éducatif à la FWB, qui mentionne dans son article, « Performances et refinancement de l’enseignement supérieur en Communauté française », publié en 2013, qu’une réorganisation et un refinancement de l’enseignement s’imposent sans quoi la capacité des universités francophones à maintenir leurs performances sera fortement remise en question. Le décret Paysage Les réformes du décret Paysage de ce début d’année académique 2022-2023 ont pour principale ambition : « d’amener davantage d’étudiants vers la réussite de façon plus efficace et rapide, en structurant mieux la manière dont ils avanceront dans leur parcours académique, et en clarifiant le nombre d’années dont ils disposent pour obtenir leur diplôme ». D’une part, une réforme motivée par l’objectif de conduire plus d’étudiants vers la réussite laisserait sous-entendre qu’il y a eu une baisse dans le taux de réussite de l’enseignement supérieur ces dernières années. Or, la ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Glatigny (MR), a elle-même confirmé dans une interview pour La libre durant l’année académique 20202021, qui fut impactée par la Covid-19, que : « Les étudiants de nos universités francophones présentent des taux de réussite légèrement supérieurs à une année normale, y compris en début de parcours ». D’autre part, selon toute vraisemblance, « amener davantage les étudiants vers la réussite de façon plus efficace et rapide » devrait, et à juste titre, être la motivation première de l’enseignement supérieur, voire de tous les types d’enseignement confondus. D’emblée, comment expliquer que cette nouvelle réforme du décret Paysage n’apparait que si tardivement ? Il est légitime de se questionner sur les éléments qui ont poussé vers cette réforme. Force est de constater que les réformes se succèdent législature après législature et que cela n’est pas près de s’arrêter. À quoi doit encore s’attendre le monde de l’enseignement supérieur ? Plusieurs points restent à éclaircir. C’est dans ma quête de réponses que j’ai sollicité Valérie Glatigny, la ministre de l’Enseignement supérieur au Gouvernement de la FWB afin de m’entretenir avec elle lors d’une interview dans laquelle nous aborderons ensemble les récentes réformes du décret Paysage, les tendances politiques qui provoquent des changements structurels importants dans le fonctionnement de l’enseignement supérieur ainsi que certaines thématiques qui suscitent de nombreux débats de la sphère estudiantine. >>
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Discussion avec
Valérie Glatigny Interview avec Valérie Glatigny (MR), ministre de l’Enseignement supérieur au Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Les récentes réformes du décret Paysage sont interprétées comme un durcissement des conditions de réussite par certaines organisations étudiantes qui voient en cette réforme une très mauvaise solution à un vrai problème. Que leur répondriez-vous ? Le Décret précédent menait à un allongement des études qui pénalisait les étudiants les plus fragiles. On a voulu répondre à cela en remettant du cadre au début du parcours avec, en parallèle, une augmentation considérable des aides à la réussite ainsi qu’une réforme des allocations d’études.
Nous mettons en place une dynamique qui amènera les étudiants à réussir plus vite les 60 premiers crédits de leur cursus. Cela leur permettra de savoir s’ils sont bien sur une trajectoire de réussite. Les étudiants qui éprouvent des difficultés à décrocher ces 60 premiers pourront faire appel à des aides à la réussite qui ont été renforcées. Si, à l’issue de sa première année, l’étudiant n’a pas réussi 30 crédits ou plus, il devra suivre des activités de remédiation obligatoire. Le message que nous souhaitons faire passer aux étudiants est que l’extrême flexibilité de l’ancien système peut être un cadeau empoisonné. Des étudiants ont l’impression qu’ils peuvent constamment réessayer au point d’arriver après 3 ou 4 années sur les bancs de l’université sans avoir décroché les 60 premiers crédits. Cette situation les précarise, et certains se retrouvent du jour au lendemain non-finançables. D’un coup c’est la porte de l’enseignement supérieur qui se ferme devant eux. Ce pari de l’extrême flexibilité ne s’est pas avéré payant pour les étudiants. Nous remettons donc des balises claires au début du parcours. On essaye d’inciter l’étudiant à déceler rapidement s’il y a un problème afin qu’il puisse se réorienter rapidement sur une trajectoire de réussite. Cette réforme ne vise pas à sortir plus d’étudiants de l’enseignement supérieur, comme certains essayent de le faire croire. C’est totalement l’inverse. C’est essayer d’avoir davantage de gens diplômés et diplômer plus rapidement.
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Vous évoquiez les aides à la réussite. Quelles formes pourraient-elles prendre ?
Nous laissons cela à l’appréciation des établissements, car ils connaissent mieux que quiconque les besoins des étudiants. Le message que nous souhaitons faire passer aux étudiants est de se tourner vers leurs établissements. Si vous avez réussi moins de 30 crédits sur une année académique (alors qu’une réussite équivaut à 60 crédits) alors il y a un problème. Donc il est impératif de déterminer si le problème est dû à une absence de prérequis (niveau en mathématique, connaissances linguistiques particulières, etc.). Ces activités de remédiation ont pour avantage de permettre à l’étudiant de déceler où sont les problèmes et trouver les solutions ciblées par rapport à ceux-ci. Aujourd’hui, le monde de l’enseignement supérieur voit arriver en son sein des étudiants avec des parcours plus variés qu’autrefois. C’est une bonne chose de voir des étudiants qui viennent de tous horizons (ex.: parcours professionnels antérieurs, moyenne d’âge plus élevée, etc.). Mais ces différents publics n’ont pas toujours forcément les prérequis attendus classiquement, d’où l’utilité de ces activités de remédiation. Rencontrer l’augmentation du nombre d’étudiants dans l’enseignement supérieur est un défi de taille, et nous comptons bien y arriver.
Lors de la législature 2009-2014 (coalition Ecolo/ PS/Cdh) qui a abouti au décret Paysage, comment pouvez-vous expliquer que l’excellence des étudiants ne fut pas l’une des priorités durant des débats au Parlement ? En tant que libérale, il me semble essentiel d’associer deux valeurs complémentaires : l’excellence, mais aussi l’égalité des chances. L’égalité des chances dans l’enseignement est importante pour nous libéraux, mais nous voulons aussi que l’excellence y trouve pleinement sa place !
Le pari qui a été fait par la majorité précédente était celui de l’extrême flexibilité, en pariant sur le fait qu’en donnant de nombreuses années à un étudiant pour terminer ses études, il y arriverait finalement. Ce pari ne s’est pas avéré gagnant. Les étudiants allongeaient la durée de leurs études, sans pour autant que nous ayons vu le nombre de diplômés augmenter. C’était particulièrement vrai pour les boursiers. Un chiffre l’illustre parfaitement : sous le décret Bologne à savoir avant le décret Paysage, il y a eu 18% des étudiants boursiers qui terminaient leur bachelier dans les temps. Ils n'étaient plus que 14 % avec le décret Paysage. Les difficultés pouvaient donc s’accumuler sur plusieurs années sans jamais être rencontrées, et les étudiants perdaient, parfois même sans s’en rendre compte, leur finançabilité et voyaient la porte de l’enseignement >>
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supérieur se fermer devant eux. L’extrême flexibilité du système pouvait se retourner contre l’étudiant et devenir un cadeau empoisonné. C’est ce qui m’a motivé à agir et c’était vraiment l’idée de remettre au cœur du système plus de structure, en particulier au début du parcours. Cette absence de cadre, comme je l’ai illustré, tend à pénaliser les plus fragiles, ceux qui n’ont pas forcément les codes de l’enseignement supérieur. Nous sommes aussi en train de travailler sur une réforme des allocations d’études pour augmenter le champ des bénéficiaires, et nous avons revu à la hausse le budget des allocations d’études. Je ne suis pas suspecte de ne pas prendre à cœur l’égalité des chances, au contraire. L’égalité des chances et l’égalité d’accès à l’enseignement supérieur est au cœur du projet libéral.
Quentin David, l’actuel directeur du pilotage du système éducatif à la FWB a mentionné dans son article, « Performances et refinancement de l’enseignement supérieur en Communauté française », publié en 2013, qu’une réorganisation et un refinancement de l’enseignement s’imposent sans quoi la capacité des universités francophones à maintenir leurs performances sera fortement remise en question. Sachant que le décret Paysage
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se penche déjà sur l’aspect de la réorganisation. Qu’en est-il de la situation financière de la FWB ?
En effet, de plus en plus d’étudiants entrent dans l’enseignement supérieur. Celui-ci est financé par le principe de « l’enveloppe fermée », à savoir un système qui fige les moyens alloués aux universités et hautes écoles. Cette situation a pour conséquence un définancement de l’enseignement supérieur. Plus il y a d’étudiants sur les bancs de nos établissements, moins il y a d’argent consacré à chacun. Il fallait corriger cette tendance négative. Je ne vais pas dire que le gouvernement précédent n’a rien fait, ce ne serait pas exact. Mais nous avons souhaité au début de cette législature, en 2019, mettre un coup d’accélérateur au refinancement de l’enseignement supérieur. Nous avions initialement prévu de mettre 50 millions en plus chaque année à l’horizon 2024. Nous avons revu en cours de législature notre ambition à la hausse, et ce seront finalement 80 millions. C’est une bonne chose d’avoir de plus en plus d’étudiants dans l’enseignement supérieur, car un diplôme est un sésame pour l’emploi. Toutefois, nous sommes face à un défi budgétaire, car nous devons être en mesure de rencontrer un nombre de plus en plus élevé d’étudiants, ce
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qui nécessite de recruter davantage de professeurs. Nous savons bien que malgré une situation budgétaire qui n’est pas très favorable en FWB, avec une dette importante, notre seule et unique option est d’investir dans nos jeunes, car nous n’avons pas d’autres matières premières en FWB que la matière grise de nos étudiants, leurs cerveaux, leurs compétences. Il est donc impératif de ne pas couper dans les financements, mais justement de faire le mouvement inverse, à savoir refinancer. En sus, il est impératif d’augmenter la taille des locaux, de rafraichir des auditoires qui ne sont plus aux normes ou en construire des nouveaux pour certains établissements et en particulier à Bruxelles. En plus du refinancement, dont une partie sera dédiée aux bâtiments, nous avons aussi débloqué de l’argent au niveau européen. Un montant de 35 millions est prévu pour nos universités. À cela s’ajoutent à peu près 200 millions qui sont prévus pour nos Hautes écoles, les écoles supérieures des arts et les établissements de promotion sociale. Ces montants joueront un rôle de soutien et de levier pour que nos établissements puissent rencontrer le défi énergétique. Ces montants sont devenus d’autant plus importants et utiles qu’après la crise sanitaire, une autre crise nous rattrape, à savoir celle de l’énergie. Réussir la transition énergétique est la solution de long terme à cette nouvelle crise. C’est notre objectif, tant via le plan de relance européen, que via la part du refinancement dédié aux infrastructures.
Selon le registre des certifications du Cadre francophone des certifications (CFC), le grade de Master de l’enseignement supérieur est décerné aux étudiants qui ont acquis des connaissances hautement spécialisées et des compétences qui font
suite à celles qui relèvent du niveau de Bachelier. Dans ce contexte, quels sont les éléments dans le fonctionnement de l’enseignement supérieur en FWB qui expliquent qu’un stage d’étudiant en Master n’est pas rémunéré comme c’est le cas en Suisse (selon les cantons) et en France (selon les départements) ? Il s’agit d’une question en lien avec le droit du travail, cela dépend du fédéral. Une des raisons pour lesquelles on ne rémunère pas des stagiaires est le risque d’induire un effet de concurrence avec les autres travailleurs en place. Par ailleurs, un étudiant, même en Master, doit avoir droit à l’erreur, et à un encadrement pédagogique. Un étudiant stagiaire dans un hôpital ne doit par exemple pas être exposé tout seul aux demandes d’un patient. L’idée n’est pas de considérer l’étudiant comme un travailleur avec toutes les exigences de qualité qu’on attend d’un professionnel. Il doit y avoir un maitre de stage présent pour accompagner l’étudiant stagiaire, qui a le droit à l’erreur et à des conseils. C’est le principe d’un encadrement pédagogique. En sus, du point de vue syndical, il y avait aussi certaines inquiétudes que, in fine, des étudiants en stage prennent la place des travailleurs. Même du côté des étudiants, tout le monde n’est pas unanime sur cette question, car certains craignent de ne plus être traités comme des étudiants qui ont un droit à l’erreur et qui sont avant toute chose en apprentissage. Des conventions de stage tripartites sont d’ailleurs mises en place pour protéger le stagiaire en soins infirmiers. C’est important de rappeler qu’un étudiant n’est pas un membre du personnel, ce n’est pas un travailleur. Il s’agit avant tout d’un étudiant qui est là pour apprendre et qui se trouve sous la responsabilité d’un établissement supérieur.
Cette interview fut l’opportunité d’obtenir des réponses au profit de toute la communauté estudiantine des Hautes-écoles et Universités de Belgique francophone. Je tiens tout particulièrement à remercier Madame la ministre Glatigny pour l’interview qu’elle m’a accordée dans le cadre de la rédaction de cet article pour le Blue Line magazine de la Fédération des Étudiants Libéraux. Madame la ministre Glatigny disait que de plus en plus d’étudiants dans l’enseignement supérieur est une bonne chose, car un diplôme est un sésame pour l’emploi. On ne peut qu’être d’accord sur ce point. Sachant que le monde professionnel nous imposera l’excellence. De facto, il me parait logique que le monde de l’enseignement supérieur incite les étudiants à poursuivre une trajectoire de réussite afin de rencontrer cette optique d’excellence. Malcom X disait : « L’éducation est un passeport pour l’avenir, car demain appartient à ceux qui s’y préparent dès aujourd’hui ». À titre personnel, je pense que les réformes du décret Paysage d’aujourd’hui, nous garantiront notre passeport pour le monde de demain.
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APRÈS LE DÉCRET PAYSAGE,
QUID DE LA BOURSE D’ÉTUDE ? PAR NASSIM SABIBI
À partir de la rentrée académique du supérieur 2022-2023, le décret Paysage change complètement les conditions de réussite. En résumé, les étudiants concernés ont intérêt à valider tous leurs crédits afin de réussir leur année. Fini les casseroles accumulées et les stratagèmes. D’ailleurs, la sévérité découlant du décret implique que les conditions d’études pour un étudiant soient bien plus optimales. Or, cela n’est possible que lorsque la situation financière est saine et non préoccupante… Ainsi se pose la question de la pertinence des conditions actuelles d’octroi d’allocations d’études supérieures !
RÉGLEMENTATION Tout d’abord, contextualisons la problématique et voyons quelles sont ces conditions (accessibles sur la page concernée de la Fédération Wallonie-Bruxelles ). Elles sont au nombre de quatre et se basent sur les revenus du ménage, sur les revenus cadastraux et locatifs, sur le cursus éducatif de l’allocataire et sur la nationalité. 1. Maxima des revenus (annuels) Le bénéficiaire ne doit pas voir ses revenus dépasser un certain montant, calculé selon le nombre de personnes à charge (cf. tableau). Les ressources visées concernent les revenus imposables, les allocations et revenus de remplacement, les revenus issus d’organisations internationales et enfin les revenus non imposés en Belgique.
PERSONNE(S) À CHARGE
REVENUS MAXIMA
0 1 2 3 4 5
24.395,55 € 31.900,400 € 38.938,87 € 45.503,25 € 51.601,18 € 57.699,11 €
par personne supplémentaire
ajouter : 6097,93 €
Ne sont pas pris en compte les revenus du candidat, ceux de sa fratrie et ceux des colocataires et/ou propriétaires d’immeubles loués. 2. Revenus cadastraux et loyers bruts Le candidat n’a pas accès à l’allocation si le titulaire des revenus voit ses revenus cadastraux (à savoir le montant indexé) et revenus locatifs bruts dépasser 1091 €. 3. Cursus éducatif Le candidat doit simplement envoyer une attestation d’inscription définitive à un établissement ou à une année préparatoire à l’enseignement supérieur. Il se verra par contre refuser l’octroi d’allocations d’études
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supérieures s’il a obtenu un diplôme de même niveau ou s’il présente un doctorat, un master de spécialisation ou s’il s’inscrit en promotion sociale. 4. Nationalité Le candidat doit être en possession d’une composition de ménage belge lors de sa demande. Les conditions varient en fonction de sa résidence ou non au sein de l’Union européenne, si non du nombre d’années de résidence en Belgique. Les statuts de réfugié ou d’apatride sont également des conditions favorables à la réception d’une bourse. Décret strict, à l’image de l’accessibilité au Saint Graal !
QUESTIONNEMENT Après cet assommant mais nécessaire récapitulatif, et compte tenu du nouveau décret Paysage, posons-nous une question qui va de soi : Ne devrions-nous pas alléger les conditions d’accès à la bourse ? Avant d’argumenter en faveur de cette idée, illustrons le propos par un exemple concret, le mien ! Issu d’une famille que l’on peut qualifier de classe moyenne (père ouvrier, mère au foyer), mes parents se sont offert un immeuble à Bruxelles par le biais d’un crédit hypothécaire. Pourquoi ? Simplement afin de s’assurer un confort pour leur retraite ! Condition (décidément ce mot est populaire dans cet article) pour se voir octroyer ce crédit : bénéficier de revenus locatifs !
SOLUTIONS L’enjeu majeur de la bourse se situe au niveau du minerval qui représente un coût assez conséquent survenant après les vacances. La FWB doit impérativement tenir compte de cet élément important afin de permettre à un grand nombre de ménages de respirer au mois de septembre ! 1. Augmenter le seuil des revenus du ménage En se basant sur les chiffres du président du MR GeorgesLouis Bouchez, un salaire de type classe moyenne se situe entre 1500 et 6000 € net par mois. Toujours selon lui, le salaire médian est d’à peu près 2200 € net. Si l’on se réfère à ce salaire médian, une personne issue de la classe moyenne gagne 26400 € net par an et se retrouve donc au-dessus du minimum des revenus maxima, à savoir 24395,55 € brut… Une augmentation du seuil des revenus d’un ménage est donc nécessaire afin de permettre à la classe moyenne d’accéder, elle aussi, à la bourse.
Certes, la description tend à faire penser que cette situation m’assure un confort financier, détrompezvous ! Sans mon travail d’étudiant, il me serait difficile de payer le minerval (835 €), les nombreux syllabus ou encore un ordinateur portable. Beaucoup de personnes se reconnaitront dans cet exemple. S’ajoutent à cela les prix de l’énergie exorbitants (pour lesquels la classe moyenne attend de réelles solutions par ailleurs) et la rentrée devient un cauchemar. Nous avons la chance de vivre dans un pays promulguant l’égalité des chances à travers des aides sociales en tout genre pour les moins favorisés. Si nous devons nous assurer que cela persiste tout en corrigeant les quelques possibles défauts de notre système social, il est impératif de se pencher sur la classe moyenne, souvent oubliée par la gauche voire essorée financièrement… Dénoncer est une chose, proposer en est une autre.
2. Revoir la condition liée aux propriétaires En ce qui concerne les propriétaires (que certains à gauche voient comme des multimilliardaires…), la question devient plus complexe. Soit nous pourrions augmenter le chiffre de 1091 € après une étude sur la question, soit nous pourrions supprimer la condition. Autre alternative, l’État pourrait se baser sur le nombre de biens immobiliers, à savoir posséder au maximum un bien pour entrer dans les conditions. 3. Endiguer la pénurie de certains secteurs La bourse d’étude peut également être un outil pour stimuler certains secteurs en pénurie en favorisant l’inscription aux études supérieures correspondantes. Afin de rendre l’apprentissage des métiers en pénurie attractif, un plus grand nombre de bourses d’étude pourraient être octroyées aux étudiants intéressés. De cette manière, nous pourrions combler le déficit dans les nombreux métiers touchés . Ceuxci concernent aussi bien le secteur économique, hôtelier ou encore médical. Quoi qu’il en soit, lorsque l’on combine les deux paramètres qui sont l’inflation et le décret Paysage, il semble que pour tout un chacun, il est impératif de se pencher au plus vite sur la question de la bourse d’étude.
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STAGE RÉMUNÉRÉ UN SYSTÈME METTANT FIN À UN ÉCART DANS L’ÉGALITÉ DES CHANCES PAR ALBAN DURAKU ET ZÉLIA SELAMET
La Belgique est, selon l’Eurobarometer Survey, le pire élève de l’Union européenne en ce qui concerne l’exploitation de jeunes pour un travail non rémunéré. En effet, seuls 18% des stages seraient payés dans notre royaume. Dans notre pays, beaucoup d’entreprises voient les stages comme une expérience formatrice permettant de développer une expérience technique et professionnelle pour les stagiaires. Dès lors, elles considèrent que la technicité et l’expérience acquises par le stagiaire équivalent à un salaire. Elles estiment également que l’encadrement des stagiaires constitue un investissement de leur temps qui est purement éducatif.
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{ DOSSIER ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR }
FAIRE UN STAGE – CHOIX PAS TOUJOURS AVANTAGEUX ? Notons toutefois, que bon nombre d’étudiants décident de sacrifier un potentiel job étudiant pour pouvoir réaliser un stage. La situation actuelle belge impose donc aux jeunes étudiants de faire un choix entre avoir un salaire via un job étudiant ou devenir stagiaires, l’espace de quelques semaines, gratuitement afin de peaufiner leur curriculum vitae. Nous pouvons constater, par ce simple dilemme, que les personnes les moins aisées réfléchiront davantage avant de se lancer dans la recherche d’un stage. Ne serait-ce pas une rupture d’égalité/équité, entre l’étudiant aisé ne devant pas chercher de job étudiant et pouvant donc se consacrer à son expérience professionnelle et l’étudiant précarisé pour qui la recherche d’un job étudiant est primordiale pour ses besoins les plus directs ? D’autant plus que la réalité du marché de l’emploi exige de nos jours une surqualification des jeunes diplômés. La grande « dis’ » et des stages extrascolaires dans de grandes firmes deviennent de plus en plus des critères de recrutement et de sélection pour les employeurs. Sans étayer de grands débats sur les chances de réussite scolaire des personnes vivant dans des conditions les plus précaires, le prochain cheval de bataille de notre système éducatif pourrait être l’exigence de la rémunération pour les stages. Ainsi, cela permettrait d’éviter la situation dans laquelle : « Par manque d’opportunités et donc d’expériences à faire valoir pour obtenir les postes pour lesquels le jeune a étudié, il finit par être déclassé », comme le dit si bien Jean Kitenge dans son article Il est nécessaire de rémunérer les stages des étudiants.
STAGE HORS CURSUS – AVIS DU COMITÉ EUROPÉEN DES DROITS SOCIAUX Un premier pas vers la rémunération des stages a été fait à la suite d’une réclamation du Forum européen de la jeunesse faite en 2017 au Comité européen des droits sociaux (CEDS), le Conseil de l’Europe a décidé qu’il fallait intensifier les efforts pour lutter contre les faux stages et respecter le droit des jeunes à l’obtention d’un salaire équitable. En ce sens, la CEDS a considéré que lorsqu’un stage constitue l’exécution d’un travail réel et authentique sans permettre une véritable expérience d’apprentissage (faux stage), il
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faut considérer le stagiaire au même titre qu’un travailleur et lui accorder une rémunération en conséquence. La CEDS invite ainsi les autorités nationales à s’assurer que les stages amènent une vraie expérience d’apprentissage et ne soient pas utilisés dans le but de ne pas recourir à des employés réguliers. Le CEDS a donc estimé que le fait de ne pas rémunérer des stages effectués hors cursus peut être source de discrimination, en ce que les personnes issues de milieux moins aisés sont défavorisées face à celles pouvant s’abstenir d’avoir des revenus pendant une plus longue période.
STAGES À L’ÉTRANGER – FUITE DES CERVEAUX ? Les pays voisins tels que la Suisse, la France et le Luxembourg prévoient des systèmes de rémunération pour les stagiaires qui ont de plus en plus tendance à se rediriger vers ces pays pour parfaire leur formation. En effet, les étudiants peuvent légitimement considérer que tout travail mérite salaire. Plus encore, lorsqu’ils effectuent un stage auprès de grandes structures/entreprises pour lesquelles leurs heures prestées sont facturées aux clients. D’un côté, nous avons en Belgique une situation où, malgré l’aspect éducatif du stage, ce dernier permet aux entreprises/structures de gagner de l’argent sans qu’aucune compensation financière soit allouée aux étudiants. De l’autre, nous avons des pays qui offrent une formation équivalente, voire meilleure, aux stagiaires et qui récompensent financièrement leur travail. Sans vouloir faire d’hyperbole, cette situation pourrait à long terme entrainer une fuite des talents belges qui se voient proposer des offres d’emploi à l’étranger, généralement dans le lieu de leur stage. Seront développées en ce sens cidessous les situations françaises et luxembourgeoises de la rémunération des stages.
EXEMPLES POSITIFS – FRANCE ET LUXEMBOURG En France, le stage est décrit comme « une période temporaire de mise en situation d’un étudiant en milieu professionnel » et la rémunération des stagiaires n’était, avant la loi du 10 juillet 2014, pas obligatoire. Depuis cette loi, les stagiaires effectuant un stage de plus de deux mois bénéficient d’une gratification afin d’éviter les abus qui pourraient survenir. On parle de gratification minimale.
{ DOSSIER ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR }
La rémunération du stagiaire est obligatoire pour le stage d’une durée de plus de deux mois. Lorsque la durée du stage est inférieure à deux mois, il ressort de la volonté de l’employeur d’octroyer ou non, une gratification. Le taux horaire minimal de cette gratification est égal à 3,90 € par heure de stage au 1er janvier 2022, soit 15% du plafond de la Sécurité sociale, et doit être versé mensuellement et non pas en fin de stage. Il est par ailleurs prévu que les organismes publics ne peuvent verser une gratification supérieure à ce montant risquant alors une requalification en contrat de travail. Au Luxembourg, le sort des stagiaires est réglé par la loi du 4 juin 2020 portant modification du Code du travail en vue d’introduire un régime de stages pour élèves et étudiants. Les stages doivent garantir au stagiaire « un caractère d’information, d’orientation et de formation professionnelle » et ne peuvent attribuer au stagiaire des tâches semblables à celles qu’un salarié pourrait prétendre. Il existe une rémunération pour les stagiaires, mais sous quelques conditions. En effet, le système luxembourgeois d’indemnisation des stagiaires varie selon la durée du stage. Il convient tout d’abord de distinguer les stages conventionnés des stages pratiques. Le stage conventionné est celui effectué dans le cadre d’un cursus scolaire ou universitaire tandis que le stage non conventionné – aussi qualifié de « stage pratique » – est celui effectué par une personne de son propre gré, qui ne dépend donc pas d’une université ou d’un établissement scolaire et qui permet d’acquérir une certaine expérience professionnelle.
HARMONISATION EUROPÉENNE – ÉGALITÉ ET IMPLICATION À la lumière de ce qui a été exposé précédemment, force est de constater que la rémunération des stages fait l’objet de différents traitements en fonction de l’endroit où on se situe. Il est toutefois regrettable de constater que la Belgique ne garantit à ses stagiaires aucune règlementation générale s’appliquant à tous les stages accomplis sur son territoire. Pourtant, la Belgique ne manque pas d’exemples, puisque les pays qui lui sont limitrophes ont quant à eux prévu un système de rémunération pour leurs stagiaires. Nous pouvons espérer que la Belgique légifère sur ce point afin de permettre à de jeunes stagiaires de se plonger dans le milieu professionnel, favoriser leurs apprentissages, leurs connaissances, tout ceci en leur accordant une rémunération. La rémunération doit être perçue de la part des stagiaires comme leur permettant de donner un maximum de leurs capacités et leur énergie tout en étant rémunérés et ainsi, le stage pourrait être substitué à un éventuel job étudiant. Pour l’employé, la rémunération permettra d’observer de meilleurs résultats de travail au sein de l’entreprise puisqu’une contrepartie au travail de ces jeunes sera garantie. De plus, une relation de confiance s’installera entre les deux parties, permettant d’envisager une possible future relation de travail. Il serait également souhaitable d’observer une intervention européenne en la matière. Une harmonisation européenne sur l’essence même de ces rémunérations est enviable tout en tenant compte du salaire minimum moyen du pays membre.
Pour les stages conventionnés, l’indemnisation est égale à « au moins 30% du salaire social minimum pour salariés non qualifiés ». L’indemnisation pourra ne pas avoir lieu lorsque deux conditions sont remplies. En effet, s’il y a une interdiction de rémunération prévue par l’établissement scolaire et que celle-ci est une condition de reconnaissance même du stage, le stagiaire n’aura droit à aucun revenu.
La rémunération des stages pourrait avoir deux objectifs : Limiter la discrimination et l’écart de chances entre les personnes les plus précarisées et les plus aisées. Le stage rémunéré aura pour conséquence de ne pas mettre les étudiants face à un dilemme opposant leur job étudiant et un stage « gratuit ». La rémunération peut être également un incitatif à la performance du stagiaire. En effet, sans prétendre que ceci est un fait avéré, la non-rémunération d’un travail peut amener à un désintérêt voire à un manque de motivation. Un salaire même minimal pourrait responsabiliser davantage le stagiaire qui se verrait comme un élément à part entière de l’entreprise et qui en conséquence serait beaucoup plus impliqué.
Pour le stage pratique, une rémunération à hauteur de 40% du salaire social minimum pour les salariés non qualifiés est prévue pour les stages accomplis pendant une durée allant de quatre à douze semaines. Lorsque la durée du stage se situe entre douze et vingt-six semaines, les stagiaires seront indemnisés à hauteur de 75% du salaire social minimum pour salariés non qualifiés.
Ajoutons toutefois que l’actuel ministre de l’Économie et du Travail, Pierre-Yves Demargne (PS), promet d’intervenir et déclare que : « Les stages non rémunérés sont une forme de concurrence déloyale, d'abus des jeunes travailleurs et une manière de renforcer les inégalités sur notre marché de travail ». Dans l’attente, d’éventuels changements, nous nous rallions bien évidemment à sa position.
Pour ces deux types de stage dont la durée ne dépasse pas quatre semaines, l’indemnisation du stagiaire est facultative. Lorsque le stage dure quatre semaines ou plus, des différences sont à observer.
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{ INTERNATIONAL POLITIQUE }
RÉFORME DE LA FORMATION INITIALE DES ENSEIGNANTS :
UN SÉRIEUX PROJET EN MANQUE DE MATURITÉ ? PAR ROMÉO BIENFAIT
La réforme de la formation initiale des enseignants (RFIE) en Belgique vise à créer une meilleure qualité d’enseignement pour les étudiants et les enseignants. La réforme souhaite améliorer la qualité de l’éducation et la rendre plus accessible. Elle a également pour objectif de doter les enseignants de meilleures compétences. Inclus dans le Pacte pour un enseignement d’excellence, la RFIE prévoit un passage à 4 ans de formations, soit 3 ans de bachelier et 1 année de master. Il s’agira d’une co-diplomation entre les hautes écoles, universités et écoles supérieures des arts. Elle insiste sur la réalisation d’un stage de longue durée lors de la dernière année d’étude.
UN SOUCI DE CALENDRIER D’abord approuvée en 2019, cette réforme devait prendre place à la rentrée 2020. Ensuite postposée d’une année, elle se frottera à la crise covid et à une modification du fond qui reportera son entrée en vigueur pour septembre 2022. Enfin, ce sera visiblement pour 2023. La mise en place de la réforme dure depuis tellement d’années que le nouveau rythme scolaire de l’enseignement obligatoire interfère avec le calendrier de l’enseignement supérieur. Sur le fond, le changement des rythmes scolaires de la ministre Caroline Désir aidera les élèves. En revanche, sur la forme, elle empiète sur la formation des enseignants. Inscrits dans deux calendriers différents, il
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est très difficile de conjuguer les périodes de stages des étudiants de 3e année. D’ailleurs cette année, certaines hautes écoles ont dû renoncer à une semaine de stage pour les sections préscolaire, primaire et AESI (Agrégation de l'enseignement secondaire inférieur). Notons aussi que la rentrée scolaire des enfants se déroule pendant la seconde session d’examen des années diplômantes. Inutile de rappeler qu’il est primordial pour tout enseignant de démarrer l’année académique avec ses élèves. Il en va de la qualité de leurs formations mutuelles. Au lieu de resserrer les liens, ces conflits horaires entre l’enseignement obligatoire et supérieur creusent un fossé. Selon plusieurs observateurs, il serait intéressant d’adapter le calendrier des sections pédagogiques à la réalité des écoles. D’une part, pour faciliter les échanges et d’autre part, pour éviter aux professeurs de vivre une vie de famille déconnectée.
{ INTERNATIONAL POLITIQUE }
UN DIPLÔME EN PÉRIL ?
ASPECTS POSITIFS
Si le risque de ne pas avoir la possibilité d’enseigner dès la rentrée des classes est une réalité, les étudiants sont aussi confrontés aux nouvelles règles du décret Paysage. En effet, ce décret prévoit explicitement l’interdiction d’anticiper des crédits de master avant d’avoir validé l’entièreté de ceux en bachelier. Or, en filière pédagogique, les étudiants pourraient se voir refuser l’accès à leur unique année de master s’il possède 1 seul crédit de bachelier non validé. Il semble inimaginable d’empêcher un étudiant de suivre les cours de master parce que le professeur de morale l’a sanctionné d’un 9 sur 20 en BAC3 et de lui demander de refaire une année complète juste pour valider 1 crédit. Bien que le ridicule ne tue pas, il peut toutefois dégoûter plus d’un étudiant désireux de devenir enseignant. Revoir la règle pour les années diplômantes paraît pertinent.
Restons optimistes, la RFIE aura à plusieurs égards des effets positifs sur l’avenir. En effet, maintenant dotée d’un master et d’une co-diplomation, la formation entre dans le niveau 7 du cadre européen des certifications. Cela signifie que les étudiants seront capables d’appliquer des démarches liées à de la recherche et/ou de l’innovation. Sera-t-il suffisant pour que le diplôme soit enfin reconnu en France ou ailleurs en Europe ?
MAITRES DE FORMATION PRATIQUE Une inquiétude quant à l’avenir des Maitres de formations pratiques (MFP) est partagée entre les hautes écoles et les conseils étudiants. Les MFP sont des enseignants qui sont directement sur le terrain. Il s’agit généralement de professeurs exerçant un mi-temps à l’école et un mi-temps dans les classes de formations de futurs enseignants. Le souci est qu’aujourd’hui la RFIE réclame désormais qu’un MFP effectue 1 an de formation en Master spécialisé de formation d’enseignant. Sur le principe cela semble idéal, mais là où le bât blesse est qu’il est nécessaire d’avoir réalisé au préalable 5 ans d’études pour suivre la formation. Dès lors, exiger autant d’années d’étude déconnectera les MFP du terrain duquel ils sont censés être les représentants.
Ce changement amènera aussi plus d’enseignants à solliciter le FNRS (Fonds de la recherche scientifique) afin de contribuer à des recherches en classe. Démarche récurrente chez nos amis québécois, les champions de la pédagogie. Encadré avec des séminaires, le stage de longue durée aidera les futurs enseignants à prendre de l’assurance et plus d’autonomie. L’occasion idéale pour exercer différentes pratiques et se tester dans des conditions réelles. Ce stage préviendra d’éventuels départs prématurés et préparera au mieux pour les carrières à venir. Cependant même si le projet semble sérieux et qu’il aura des conséquences certainement positives pour le futur, à l’heure actuelle, il y a un manque de maturité effectif dans la réforme. D’abord, soulignons les reports successifs de sa mise en application entrainant des conflits entre calendrier de l’enseignement obligatoire et supérieur. Ensuite, il y a un dispositif de validation de crédit absurde qui fait perdre une année complète aux étudiants. Enfin, notons certaines conditions excessives pour devenir MFP. Un sérieux scan du dossier est nécessaire afin d’apporter une maturité suffisante au projet pour qu’il soit efficace à l’avenir. Une révision qui peut faire de la RFIE un modèle à suivre dans l’amélioration de notre système éducatif belge.
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LA CARTE BLANCHE
LES SIGNES CONVICTIONNELS DANS L’ESPACE PUBLIC ENTRE IDENTITÉ ET NEUTRALITÉ PAR DIEGO D’ADDATO
La politique est un petit jeu dans lequel les personnalités qui la composent s’amusent à se chamailler. Parfois, sur des sujets bénins, elles prétextent de forts désaccords et cherchent à avoir le plus de place dans l’espace public, médiatique et dans l’esprit de la population. À cet égard, la politique est la cible de nombreuses critiques, d’attaques au quotidien de citoyens qui se lassent d’elle, qui ne ressentent plus pour elle, qu’un simple dégoût, qui la trouvent vidée de son sens. Entre la lutte sur l’augmentation des salaires, quelques billets agités par-ci ou par-là, et le recul de l’âge de la retraite, 65 ou 67 ans, deux ans qui ne changent sans doute pas grand-chose ; il est aisé de comprendre l’hostilité grandissante du peuple envers la sphère publique. Cependant, certains sujets plus sensibles permettent encore de créer des liens entre la population et la scène publique : la guerre, l’évolution des coûts de l’énergie, l’immigration, les questions culturelles, etc. C’est de cette dernière catégorie que nous allons traiter dans cet article, en particulier la thématique du port de signes religieux, un thème qui touche les jeunes, qui est conflictuel et où la demi-mesure et les faux semblants sont compliqués à mettre en œuvre.
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LES CONFLITS AUTOUR DE LA RELIGION NE SONT PAS NOUVEAUX Dans l’Histoire, les conflits de religion n’ont jamais cessé, ils persistent toujours dans certaines régions du globe faisant, encore à l’heure actuelle, des morts, détruisant et augmentant la pauvreté. Nous observons, depuis plusieurs générations, que la culture religieuse en Europe et donc en Belgique est ébranlée par l’affirmation d’autres croyances que le culte traditionnel catholique. Les vagues successives d’immigration depuis les années 60 ont vu naître un ancrage de ces nouvelles religions. Nous constatons encore aujourd’hui que demeure au centre du débat cet interminable combat entre les conservateurs, s’effrayant du remplacement du catholicisme, et les progressistes, accueillant le changement et la diversité avec amabilité et enthousiasme. Certes, cette description un peu caricaturée laisse penser à une guerre bénigne, cependant comme dans un certain nombre de conflits, ils ont pu apporter leur lot de malheurs. Comme pour de nombreux thèmes et en particuliers les plus sensibles, tel que la religion, le regard que l’on porte sur le passé nous a conduits à poser des choix et prendre les précautions nécessaires pour éviter que le problème reste central au sein de la société. C’est ce qui a amené à opter pour un système de neutralité en Belgique.
LE SYSTÈME DE NEUTRALITÉ DE L’ÉTAT BELGE Pour comprendre correctement comment fonctionne le système de neutralité de l’État belge, nous allons le mettre en parallèle avec la laïcité de nos voisins français. La France entend séparer les institutions publiques des organisations religieuses en suivant un principe de laïcité qui empêche l’influence des religions sur le pouvoir politique et administratif. De cette séparation se déduit la neutralité de l’État, des collectivités territoriales et des services publics. En Belgique, nous fonctionnons selon le principe de neutralité qui est d’ailleurs inscrit dans la Constitution. Concrètement, cela signifie que l’État et donc de facto les agents de l’État doivent être neutres dans leur fonction. Ils ne peuvent véhiculer aucun courant philosophique, politique ou religieux sans impacter directement l’État qui se doit d’être neutre. Il convient
de séparer cette neutralité dans le domaine public et dans l’espace public, où évidemment toute personne est libre d’exprimer ses croyances et d’assumer sa religion comme il l’entend. Il est donc demandé à ces agents de maintenir une neutralité dans l’exercice de leur fonction, c’est la seule possibilité pour conserver une neutralité de l’État. Imaginez une seconde avoir un enseignant avec un badge du PTB, un agent de l’administration communale avec un hijab ou quel qu’autre signe convictionnel, auriez-vous l’impression de vivre dans une société où l’État est neutre sur toutes ces questions ? Sur ce point, nos voisins du sud et nous fonctionnons donc de la même façon. Cependant, persiste un principe sur lequel nous n’adoptons pas la même philosophie : celui du financement des cultes. Là-dessus, la France a choisi de séparer complètement le culte religieux de l’État en ne reconnaissant et donc ne finançant aucune religion. Au contraire, en Belgique, les cultes religieux font l’objet, lorsqu’ils sont reconnus, d’une subsidiation. À l’heure actuelle, 6 cultes différents sont reconnus par l’État : les cultes catholique romain, orthodoxe, israélite, anglican, protestant-évangélique et islamique. Selon les informations du SPF Justice, cette allocation s’élève, rien que pour l’année 2020, à près de 100 millions d’euros.
LA NEUTRALITÉ ET LE PORT DE SIGNES CONVICTIONNELS DANS L’ENSEIGNEMENT Si le principe de neutralité s’applique aux agents des services publics, la question se pose naturellement aussi dans le domaine de l’enseignement. Ce dernier est d’ailleurs fréquemment secoué par la question de la neutralité quant aux croyances religieuses et le port des signes convictionnels reste un sujet de discorde. Le législateur, pour statuer sur la question du port des signes religieux et convictionnels, a choisi de varier la règle en fonction du degré scolaire dans lequel un enfant s’inscrit. On différencie donc les élèves/étudiants de l’enseignement primaire, secondaire et supérieur. Pour l’enseignement primaire, peu de cas de port de signes visibles sont à recenser, la question reste donc à l’entière disposition de l’école qui a la possibilité d’interdire complètement ces symboles suivant une procédure particulière. En secondaire, la norme est plutôt à l’autorisation du port
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de ces signes par l’élève. Sauf cas extrême, on considère que c’est permis. C’est ici les principes de « la liberté individuelle de pensée, de conscience et de religion » ainsi que « d’interdiction de discrimination » qui sont mis en avant. Enfin, dans le supérieur, il faut distinguer l’enseignement libre et l’enseignement officiel. Pour l’enseignement libre, la jurisprudence fait force de loi. On considère que les établissements peuvent opter pour une neutralité exclusive (qui se fait sous conditions particulières et avec l’accord d’un juge) ou inclusive. La neutralité exclusive consiste à interdire tous les signes philosophiques ou religieux afin d’assurer une certaine cohésion interne ; alors que la neutralité inclusive autorise le port de signes philosophiques ou religieux pour laisser s’exprimer la diversité de la société. Pour l’enseignement officiel, le port de signes convictionnels avait longtemps été interdit mais depuis 2021, ils sont à nouveau autorisés. Pour précision, l’enseignement officiel constitue 5 Hautes-Écoles, 5 Écoles Supérieures des Arts et 29 établissements de Promotion sociale, partout en Fédération WallonieBruxelles (FWB). La particularité de toutes ces écoles est que l’enseignement y est organisé par WallonieBruxelles Enseignement, organe autonome qui assure la mission des Pouvoirs Organisateurs (PO) au sein des établissements sous la coupole de la FWB.
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LE PORT DU VOILE A UNE INCIDENCE EN MILIEU SCOLAIRE La question de la présence du voile à l’école et à l’université fait débat et divise. Certains estiment que les discours doivent être nuancés, cependant en tant que libéral, je pense que se positionner sur la thématique du port de signes religieux dans le monde scolaire est primordial. Cette question de société est certes délicate, mais assumer ses opinions est important et constitue la base même d’un engagement politique.
LE VOILE ET LA PRESSION SOCIALE Le port de signes convictionnels, en particulier du foulard, dans l’enseignement est un problème et peut impliquer une sorte de pression sociale. Nous savons tous que l’influence exercée par notre entourage modifie nos choix. Il est clair que pour des jeunes femmes en pleine construction de leur identité, il est d’autant plus difficile de résister à la pression sociale qui les pousse à se couvrir. Ne pouvons-nous d’ailleurs pas aisément imaginer que plus il y a de femmes portant le voile plus il est compliqué pour celles qui ne souhaitent pas le porter de s’en défaire ?
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Il est évidemment difficile d’évaluer la proportion de femmes qui portent le voile de manière libre et réfléchie et la proportion de celles qui le portent sous la contrainte. L'autonomie de choix de chacune reste floue et nous laisse perplexes. C’est là toute l’ambigüité du voile. Or, cette incertitude doit, selon moi, être absente à l’école.
LE VOILE ET LE HARCÈLEMENT Il convient également de rappeler les discriminations que peuvent impliquer les signes convictionnels religieux ou politiques. Le harcèlement est une problématique particulière qui touche de nombreux élèves et étudiants au sein même des établissements scolaires ou sur les réseaux sociaux. Selon plusieurs études, la religion fait partie des premières causes de harcèlement. C’est d’ailleurs pourquoi le sujet de l’instauration de l’uniforme à l’école revient continuellement sur le tapis. La bien-pensance nous souffle constamment d’assumer la différence, la diversité ; d’après moi, dans certains domaines, c’est une erreur. L’apparence physique ou les signes religieux peuvent causer de graves disparités qui mènent parfois à de tragiques évènements comme la déscolarisation ou pire, le suicide. En effet, le poids des regards et de la discrimination est a fortiori encore plus difficile à supporter quand on est jeune.
LE VOILE ET L’IMAGE DE LA FEMME N’oublions pas que, même si ses interprétations sont multiples, que certains le voient comme une affirmation d’identité, le voile islamique s’inscrit avant tout dans une logique de restrictions. La femme doit y dissimuler ses attraits. C’est un signe qui l’infériorise, qui attaque directement son intégrité. Il n’est pas normal qu’au 21e siècle, une femme doive cacher une partie de son corps sous prétexte que l’homme ne serait pas capable de se maîtriser. Si, sous couvert d’une religion ou d’une croyance particulière, on interdisait aux hommes de porter des shorts, parce que « soi-disant » les femmes seraient ébranlées et déstabilisées à la vue des jambes de l’homme, on crierait au scandale ! Le voile en tant que symbole de soumission de la femme n'est pas acceptable à notre époque. D’autres signes convictionnels religieux comme la kippa ou la croix que porte un catholique autour de son cou ne pèsent pas autant dans le message qu’ils véhiculent. J’estime qu’il est temps que l’ensemble de la société évolue et que l’État prenne une position ferme et claire.
LE VOILE ET SON CARACTÈRE OSTENSIBLE
reste pas moins que par définition, il est visible, apparent, ostensible. Notre culture en Europe est de nature discrète, nous ne sommes pas dans une démarche où l’on exhibe de la sorte nos croyances au point de les imposer à l’autre. Je pense que la force de nos valeurs et de nos croyances est bien faible si nous avons besoin de les afficher pour y croire... Bien entendu le port du foulard ne doit pas être stigmatisé, mais il ne doit pas non plus être banalisé ; c’est un acte engagé, presque militant. Or, dans l’enseignement, le principe de neutralité doit en toutes circonstances prévaloir.
LE TEMPS DE CHOISIR EST ARRIVÉ Malgré le désintérêt certain de la population à l’égard de la politique, le fonctionnement dans nos sociétés fait que le pouvoir de décision est encore dans les mains des politiques. Même s’il est évident que les manœuvres politiciennes peuvent donner l’impression que les gens ont du pouvoir législatif, il n’en reste pas moins que des décisions fortes et strictes doivent être prises pour que les grands principes de neutralité et laïcité soient appliqués. Par conséquent, cet article ne vise pas à attaquer directement le voile et les autres signes religieux musulmans, mais bien à encourager à se positionner de façon stricte, sérieuse sur ce sujet de société. La Gauche de manière générale a contribué ces dernières décennies à la déconstruction de l’identité belge, chrétienne telle que l’Histoire l’a connue depuis des siècles. Soulignons que vouloir s’assurer un seuil électoral ne devrait pas être un motif suffisant pour en arriver à cette situation. Ces différents remaniements politiques et culturels ont d’ailleurs concouru à la montée des extrêmes dans de nombreux pays européens, on le voit encore récemment avec la France ou l’Italie. L’objectif de la neutralité, qui sépare politique et religion, n’est-il pas de garantir la liberté individuelle en instaurant des garde-fous afin d’empêcher le religieux d’exercer une influence sur les individus ? Il est donc très important de préserver certains domaines de la loi religieuse. C’est pour cette raison que je suis convaincu que les principes de neutralité et de laïcité devraient s’étendre à l’espace public et à l’enseignement pour tous, et non se cantonner à l’administration. Selon moi, les signes convictionnels devraient être tout simplement interdits dans les établissements scolaires : primaires, secondaires, supérieurs et universitaires.
Loin de vouloir réduire le port du voile à du prosélytisme ou à un signe avant-coureur de radicalisation, il n’en
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D’AUTRES FENÊTRES… PAR TITUS SEDENA
L’innovation ! Voici ce que je préconise pour changer le monde. Et je suis d’avis que le monde de l’enseignement supérieur n’échappe pas à la règle. Toutefois, cela nécessite un travail colossal pour y parvenir. C’est pourquoi je vous propose diverses « fenêtres » qui touchent à l’enseignement afin d’alimenter votre réflexion sur le sujet. Voici des films ou livres dans lesquels les personnages, souvent des enseignants, ont dû faire face à des problèmes et n'ont pas eu d’autres choix que d’innover.
FILM
Freedom Writers ou Écrire pour exister Richard LaGravenese, 2007.
Les armes à feu dans les universités aux États-Unis, les conflits ethniques, les inégalités de genre, le décrochage scolaire. Voici l’histoire d’une enseignante novice de 23 ans, Erin Grunwell, qui commence sa carrière dans un lycée de Long Beach où se côtoient fils de bourgeois et jeunes des quartiers défavorisés. D’abord enthousiaste, elle est brutalement rattrapée par la réalité, Erin réalise enfin pourquoi elle a eu le job… personne n’en voulait... Son superbe optimisme sera très vite écrasé par les difficultés qui affectent la Wilson High School. Le mépris et l’ignorance que ses élèves lui témoignent n’est que le début. Les rivalités de gang entre les Noirs américains, les Latinos et les Asiatiques s’immiscent rapidement au sein même de sa classe. Erin trouve heureusement, à l’aide de l’écriture, la solution pour permettre à ces jeunes de comprendre qui ils sont, de comprendre les gens qui les entourent et le monde afin qu’ils puissent exister dans celui-ci.
Ayant moi-même découvert ce film dans le cadre d’un cours scolaire, je le recommande à tous ceux qui souhaitent savoir comment approcher la thématique de la gestion des armes à feu aux États-Unis au sein des lycées.
FILM
Les Choristes
Christophe Barratier, 2004.
Pour ceux qui ne le connaissent pas déjà, le film « Les Choristes » raconte l’histoire de Clément Mathieu, professeur de musique sans emploi qui accepte un poste de surveillant dans un internat de rééducation pour mineurs en 1948. Il constate très vite la politique de fer à l’encontre des enfants qui les prive de nombreuses libertés. Grâce à la musique et la chorale qu’il mettra en place, Clément Mathieu fera émerger ce qu’il y a de meilleur dans ces enfants destinés à terminer aux oubliettes.
Ayant vu ce film à plusieurs reprises, je vois en cette réalisation d’une part, le moyen d’insuffler la volonté de faire du chant chez des enfants laissés à l’abandon et d’autre part, l’espoir de créer un climat paisible et harmonieux dans un environnement qui n’est pas prédisposé à l’être du tout. Le film « Les Choristes » est un magnifique exemple pour illustrer comment des petites choses peuvent changer le quotidien des enfants. Une source d’espoir pour les éducateurs et professeurs au sein des centres de jour et prisons pour jeunes. 28
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LIVRE
Le Cercle des poètes disparus Peter Weir, 1989.
Il en faut peu pour marquer une vie, surtout pour un enseignant. Ce fut le cas de John Keating, professeur de lettres à Welton, un collège du Vermont dans les années 60. Un peu de lecture, de philosophie et de passion. Les clés pour ouvrir la porte de la liberté. M. Keating serait du même avis que moi. Il se distingue de la plupart des enseignants de son époque par sa passion de la poésie, son amour pour la liberté et l'anticonformisme. Il fut l’inspiration de ses étudiants et transforma leur vie à jamais.
Nous rencontrons parfois des difficultés à nous mettre à la place des autres. Nombreux ont du mal à comprendre ce qui se passe dans l’esprit d’un lecteur passionné. C’est la raison pour laquelle je conseille cet ouvrage.
LIVRE
J’ai exécuté un chien de l’enfer. Rapport sur l’assassinat de Samuel Paty David Di Nota, 2021.
Le livre « J’ai exécuté un chien de l’enfer. Rapport sur l’assassinat de Samuel Paty » nous replonge dans un épisode que nous n’avons pas oublié, l’assassinat du professeur Samuel Paty perpétré le 16 octobre 2020. Dans cet ouvrage, datant du 7 octobre 2020, David Di Nota tente de décrire la mécanique qui conduit à cet assassinat à l’aide de deux écrits administratifs, avant et après l'assassinat, ainsi que des documents consultables par tous, la position officielle de l'institution face aux événements, etc. Ce court extrait de Di Nota nous rappelle en quelques mots cette tragique histoire : « Tout est parti d'une élève qui n'était pas présente à ce cours. Cela entraîne des pressions de la part de ceux qui se disent offensés, et en vertu de la politique des accommodements raisonnables, il a fallu absolument que le prof reconnaisse une erreur qu'il n'avait pas commise : demander aux musulmans de sortir. Lui le répètera trois jours avant sa mort : ce n'est pas ce qu'il a demandé ».
Je conseille cette lecture car les convictions religieuses dans l’enseignement sont la source de houleux débats. L’État se doit d’être neutre en la matière, en corollaire l’enseignement aussi, toutefois cela n’exclue pas la possibilité d’en discuter ou d’en débattre. N’importe quel professeur aurait pu se retrouver dans la situation de Samuel Paty. C’est pourquoi je pense que ce livre s’adresse aux enseignants comme à leurs élèves. 29
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INFLATION
LE NOUVEAU « MAUX » EUROPÉEN PAR NATHAN VOKAR
Le 24 février 2022, le président russe Vladimir Poutine, au cours d’une allocution télévisée, annonce une opération militaire spéciale en Ukraine. Selon l’autocrate, cette opération ne vise aucunement à envahir l’Ukraine mais bel et bien à démilitariser et dénazifier le territoire ukrainien. Il affirme même soutenir le droit du peuple ukrainien à l’autodétermination. Malheureusement, les événements qui vont suivre sont loin de nous être inconnus et illustrent clairement une grande violation du droit public : une invasion illégitime d’un territoire souverain. À l’ouest, les Européens observent ce sinistre spectacle à la lueur de leurs valeurs. Les actions du président russe, à l’antipode de la pensée libérale et démocratique européenne, froissent nos dirigeants qui ne tardent pas à réagir. Du simple message de non-approbation, on passe en quelques semaines seulement à des sanctions d’ampleur comme l’interdiction pour les compagnies aériennes russes de survoler l’espace aérien européen ou encore le bannissement des banques russes du système bancaire SWIFT, ce qui rend les opérations bancaires très complexes, voire impossibles. On arrive même à instaurer un embargo sur le charbon russe, malgré la dépendance de certains pays européens. La Russie ne tarde pas à répliquer aux sanctions européennes et bientôt, une crise énergétique d’ampleur se propage sur un continent déjà très dépendant aux matières premières extraites à l’est. Les entreprises et ménages européens assistent alors à l’envolée de leur pouvoir d’achat derrière le spectre de l’inflation. Mais quelles sont les causes de cette inflation ? L’invasion russe et les sanctions économiques prononcées à l’égard de l’Union européenne en sont-elles les seules causes ? C’est ce que je vous invite à découvrir à travers cette petite chronique économique.
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{ EUROPE INFLATION }
#1 LE QUANTITATIVE EASING INCONTRÔLÉ EST-IL LA CAUSE DE L’ENVOLÉE DES PRIX ? En 2015, la Banque centrale européenne (BCE), s’inspirant de son homologue américaine la FED (Federal reserve system), lance son programme d’assouplissement quantitatif (quantitative easing en anglais). Ce programme consiste à ce que la BCE rachète des titres financiers contre des liquidités. Mais quel est le fonctionnement concret de ce programme ? Prenons un exemple. Imaginons que dans une économie, il n’y a que deux types de profils : ceux qui consomment tout ce qu’ils gagnent et ceux qui épargnent une partie de leurs revenus. Dans ceux qui décident d’épargner, certains confient une partie de leur épargne à des sociétés de gestion qui sont chargées de faire fructifier le capital prêté. Ces sociétés de gestion achètent alors des titres financiers comme des actions et obligations en espérant que la valeur de ces actifs augmente. Le quantitative easing consiste à ce que les banques centrales, la BCE dans l’exemple qui nous intéresse, achètent ces produits financiers. Elles font donc aller leurs planches à billets pour financer l’achat de ces actifs. Quant aux sociétés de gestion, elles achètent d’autres actifs avec l’argent reçu afin d’honorer le contrat qui les lie à leur client. On pourrait alors se demander quel est le but d’un tel programme ? Ce mécanisme permet de stimuler l’économie et de favoriser les investissements. En effet, l’action de l’institution de Francfort accroit la pression sur l’offre de titres financiers (cela en raison de l’achat constant de ceux-ci). Par la simple loi de l’offre et de la demande, le prix des titres financiers augmente. Sauf que quand le prix d’une obligation monte, son rendement et son taux baissent. Le programme d’assouplissement d’actifs permet donc de baisser les taux et donc d’encourager à l’investissement car quand l’emprunt coûte moins cher, les entreprises sont plus friandes de mettre à l’agenda des projets qu’elles n’auraient pas réalisés dans d’autres circonstances et les ménages préfèrent dépenser plutôt que de voir leurs économies dormir sur un compte sans leur rapporter le moindre centime. Le principe du quantitative easing est-il réellement coupable de l’inflation actuelle ? L’échange qui s’opère entre la BCE et les sociétés de gestion accroit les liquidités présentes dans l’économie,
ce qui pourrait nous faire croire que cela crée de l’inflation. Cette affirmation est pourtant fausse car dire qu’accroitre le stock monétaire présent dans une économie cause de l’inflation est aussi réducteur que dire que manger de la viande fait grossir. Manger de la viande peut faire grossir mais ne fait pas toujours grossir. Un autre indice qui permet de réfuter la thèse selon laquelle le quantitative easing serait responsable de l’inflation actuelle est simplement le timing. En effet, la BCE échange des titres financiers contre de la monnaie depuis 2015, on ne peut donc pas affirmer que l’inflation actuelle est due à la soudaine envie des épargnants de consommer. Enfin, l’argent que les sociétés de gestion reçoivent est affecté à l’achat d’autres titres financiers, car c’est leur mission même que d’acheter des actifs. Or, les titres financiers ne sont pas considérés comme des biens de consommation mais comme des biens d’investissement. Les titres financiers ou les biens immobiliers étant considérés comme des biens d’investissement, ils ne sont pas repris dans le panier de la ménagère. Pourtant c’est le panier de la ménagère, autrement dit l’ensemble des produits alimentaires et d’entretien les plus courants, utilisé comme référence pour le calcul du coût de la vie, qui permet de calculer l’inflation présente au sein d’une économie.
#2 POURQUOI LES PRIX DE L’ÉNERGIE ONT-ILS TANT EXPLOSÉ ? L’énergie étant un bien de consommation fondamental, sa part est importante dans le panier de la ménagère. Son augmentation a donc un impact non négligeable sur l’inflation ressentie dans les pays européens. Or, ces derniers dépendent énormément de l’importation du gaz russe. Malheureusement, en réplique aux sanctions de l’ouest, la Russie en a volontairement diminué l’exportation et a fini par couper les vannes aux pays européens. Cette situation est assez simple à analyser d’un point de vue économique : l’offre s’étant fortement contractée et la demande étant resté inchangée, le prix du gaz s’est envolé. Pourquoi l’électricité a-t-elle également augmenté ? On comprend facilement pourquoi le prix du gaz et des autres sources d’énergies fossiles provenant de Russie a augmenté, mais on comprend moins pourquoi le prix de l’électricité produite en Belgique, parfois même à partir d’énergies renouvelables, s’est également envolé. Le prix de marché de l’électricité est déterminé par le >>
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coût marginal de la dernière centrale qu’il faut mettre en service pour couvrir la demande. Très souvent, il s’agit d’une centrale au gaz, et comme expliqué précédemment, le prix du gaz a grimpé en flèche. Le prix du Mwh d’électricité étant fixé au niveau du marché européen, ce sont les producteurs d’électricité renouvelable qui remplissent leurs poches. En effet, leurs coûts de production n’augmentent pas significativement et pourtant, ils alignent leur prix à celui actuellement en vigueur sur le marché. Ces producteurs gagnent alors ce qu’on appelle des surprofits au détriment de nombreux consommateurs. Un autre facteur entrant en cause est l’influence du taux de change sur le prix de l’énergie. Le taux de change a de fait une importance majeure car quelle que soit la devise utilisée dans un pays, l’énergie qu’on achète est toujours payée en dollars. Malheureusement pour nous, actuellement, l’euro est plus faible que le dollar, cette différence provoque de l’inflation. En effet, quand une monnaie est faible, ce qu’on achète dans une devise plus forte nous coûte plus cher, ce qui explique l’inflation. En Suisse, on observe le phénomène contraire : pour le moment, le franc suisse est considéré comme une valeur refuge. La demande y est donc forte pour une offre qui ne fluctue pas, puisque la Banque nationale suisse (BNS) n’a pas décidé d’imprimer plus de billets. Résultat, la devise du pays de la vache Milka est en hausse.
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#3 QUELLES SONT LES AUTRES CAUSES DE L’INFLATION ACTUELLE ? L’Ukraine, qui avant la guerre, était le quatrième exportateur mondial de blé et de maïs, était considérée comme le grenier céréalier du monde. Malheureusement, l’invasion injustifiée du territoire ukrainien par les forces armées russes a ravagé une bonne partie de la production agricole. Or, on sait que beaucoup de denrées alimentaires requièrent la transformation de céréales telles que le blé dans leur processus de fabrication. Cette destruction de la production alourdit encore une fois la demande qui pèse sur les marchés mondiaux et augmente drastiquement le prix de vente. Aussi, la crise climatique que notre planète est en train de traverser, n’est pas sans effets sur la production agricole. Ainsi, deux pays densément peuplés : l’Inde et le Pakistan ont cette année, connu une sécheresse intense qui a fait perdre aux agriculteurs une immense partie des récoltes. Ces deux pays asiatiques viennent alors s’ajouter à la demande mondiale de nourriture et intensifient à leur tour la pression sur la demande, ce qui se ressent sur les chaines d’approvisionnement.
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#4 EXISTE-T-IL DES SOLUTIONS ? Selon Bruno Colmant, si on ne fait rien, 40% de la population belge risque de se retrouver sous le seuil de pauvreté. Le célèbre économiste bruxellois va même jusqu’à prédire une crise économique semblable à celle ayant eu lieu dans les années 30, car tous les pans de l’économie sont affectés. Il est clair que cette situation est extrêmement alarmante et appelle des solutions concrètes. On ne peut tolérer, qu’en raison des coûts démesurés de l’énergie, les entreprises doivent mettre leurs employés au chômage technique, les ménages doivent se saigner pour parvenir à payer leurs factures ou que les étudiants doivent souffrir de l’explosion des charges de leur kot. Pour aider nos entreprises, nos ménages et nos jeunes, les pouvoirs publics ont quelques leviers, bien que la plupart se trouvent au niveau européen, certaines pistes sont possibles au niveau national. En voici quelques-unes. - Limiter la demande : C’est ce que la Commission européenne préconise en ce moment : elle demande aux Européens de limiter leur consommation afin de diminuer la pression que connaissent les marchés énergétiques. Se déplacer en transport en commun au lieu de systématiquement prendre la voiture pour de petits trajets, régler le thermostat sur une température plus basse ou porter un pull sont autant d’efforts individuels qui vont dans la direction préconisée par la BCE et qui, en plus de diminuer la demande, allègent nos factures énergétiques. L’État a d’ailleurs concrétisé cette injonction : c’est pour cette raison que dans les universités, le chauffage est réglé sur 19 degrés maximum et que l’éclairage public est éteint de 22h00 à 5h00 sur les autoroutes. - Développer l’indépendance énergétique belge : En raison du changement climatique, l’Union européenne a décidé d’arrêter de financer les filières fossiles en Europe. Il faut ajouter à cela, l’activisme de certains pour démanteler les centrales nucléaires et éviter la construction de nouveaux réacteurs. Ces deux actions ont eu pour conséquence de rendre notre pays, et beaucoup d’autres pays européens, dépendants au niveau énergétique. Il serait donc tant de refinancer notre indépendance énergétique ! C’est d’ailleurs ce que préconise l’ingénieur liégeois Damien Ernst quand il parle de prolonger Tihange 2 et Doel 3. Sur le plan scientifique, il serait tout à fait possible de prolonger ces deux centrales sans affecter la sécurité qui est de mise lorsque l’on traite avec des composants
radioactifs. Selon les calculs du professeur liégeois, il va nous manquer 400 térawattheures d’électricité en Europe l’hiver prochain. Le nucléaire pourrait remplacer entre 30 et 40 térawattheures de gaz. - Réformer le marché : Cette solution a été citée de nombreuses fois. Pourtant, ce qui se passe en ce moment est simplement l’illustration d’une offre très peu disponible par rapport à la demande, qui elle, est forte. La révision de la fixation des prix de l’énergie prendra du temps. Or, mise à part lorsqu’il y a une distorsion dans l’offre ou la demande, le marché fonctionne et permet la mise en place d’une concurrence saine entre les différents opérateurs. Ce n’est donc pas la solution à privilégier à court terme. - Faire supporter une partie du coût par les pouvoirs publics : Cette mesure pourrait s’avérer extrêmement dangereuse car elle aurait sans nul doute un effet boomerang. En effet, depuis la crise sanitaire que nous avons traversée, de nombreux États se sont énormément endettés (sans compter l’endettement déjà présent dans certains pays), le fait que les pouvoirs publics supportent une partie du coût de l’énergie ne ferait qu’alourdir la dette publique. Les citoyens seraient rassurés à court terme, mais à long terme, la dette les rattraperait bien vite. Ces solutions ne constituent qu’une partie des pistes envisagées, dans un souci d’exhaustivité, il incombe au lecteur de se renseigner au jour le jour par le biais de la presse sur cette thématique au combien importante car l’actualité politique et les solutions sont quotidiennement reboutées ou adoptées, ce qui est positif quand on pense aux maux majeurs que cette crise cause. En guise de conclusion, j’aimerais revenir sur une des propositions développées. Face à l’augmentation des prix, le gouvernement a décidé d’octroyer des chèques énergie aux citoyens afin de les aider à payer leurs factures énergétiques et donc de les soulager d’un lourd fardeau qui, malheureusement, s’alourdit toujours plus. Si cette mesure semble constituer une véritable bouffée d’air pour de nombreux Belges, je me demande toutefois si cette politique tout en restant isolée a un réel impact ? Pour moi, cette décision ne constitue qu’un écran de fumée : n’étant pas capable d’estimer combien de temps cette crise va durer, il m’aurait paru plus intelligent et intéressant d’octroyer des chèques destinés à la rénovation des bâtiments, et d’autres, incitant à investir dans des batteries ou des panneaux solaires. Je reste convaincu que lorsque le problème provient d’un système politique autocratique et de son bon vouloir, la seule solution pour le régler est de couper court à toute indépendance de cet État !
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{ DÉRISION }
/ DÉRISION / PAR CORALIE BOTERDAEL
Les Jardins de la tolérance Notre monde actuel est un véritable éloge à la reconnaissance des identités. Chacun est caractérisé par son apparence, ses intérêts et ses agissements. En ce sens, la tolérance est l’une des valeurs les plus défendues de notre société. Elle est une obligation libre et morale. Accepter les identités physiques, idéologiques et comportementales que l’on n’approuve pas soi-même va de soi. Bien sûr, il ne s’agit pas de toutes les comprendre, ce serait impossible, elles sont aussi nombreuses sur terre que les puces sur un marché de la fripe. Mais on doit admettre qu’elles ont le droit de s’épanouir, à côté de nous. Il y a de la place pour tous dès que chacun a trouvé sa place. C’est pourquoi, on doit décider en son âme et science avec qui, et donc où, on va vivre et construire son existence. Il parait qu’il y a longtemps, sur les réseaux sociaux, plaqués et planqués derrière leurs écrans, certains crachaient des messages de haine ; les harcèlements en tout genre pullulaient à tout va. Les bulles de filtrage furent alors multipliées, les algorithmes inondèrent les moteurs de recherche afin de personnaliser les contenus et préserver la tolérance. Aujourd’hui, on ne peut s’abonner qu’au compte d’un des membres de son Jardin et on ne peut communiquer qu’avec l’un des siens. Ce protocole, qui ceint l’expression de chacun en son sein, fait partie de la Charte de l’Identification identifiable des identités non
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{ DÉRISION }
identiques. Celle-ci fut mise en place avant notre ère pour éviter que les hommes se chamaillent pour un rien, pour une couleur de peau ou une croyance, et qu’ils pinaillent jusqu’au bain de sang. Notre enseignement se base lui aussi sur ce principe de diversité d’être, de penser, d’apprendre. Chacun avance selon ses énergies et ses envies. Il n’y a plus de classe, plus d’année scolaire. On ne dit d’ailleurs plus « scolarité », on parle avec simplicité de « pédagogie quantique et matricielle décentralisée du projet par résolution coopérative à effet vicariant ». Désormais, on peut aller au cours que l’on veut, quand et où l’on veut. Grâce à la téléportation sensorielle, il n’y a plus d’écoles, plus d’établissements scolaires. L’apprentissage est partout. On s’inscrit on-line à un cours donné par un professeur certifié et on atterrit chez lui dans un local que tous les enseignants doivent installer à côté ou sur le toit de leur habitation. D’ailleurs, en ce qui me concerne, le prochain cours que je vais suivre porte sur la dernière grande période historique avant la nôtre. J’ai déjà vu la Préhistoire, le Moyen-Âge et les Temps Modernes. J’ai évité jusqu’à présent la fin de l’Antiquité que je trouve par trop barbare. Par contre, je me lance maintenant dans l’étude de l’Époque des Possessions ; elle s’étend de 1789 à 2048, débutant à la Révolution française et terminant avec l’apparition des Jardins. L’Histoire, validée par le Comité doctrinal, explique qu’afin d’étouffer les conflits grandissants, les discordes économique, politique et ethnique, mais également écologique, énergétique et alcoolique, l’on décida de créer des Jardins. Comme nos dirigeants ne parvenaient plus à préserver les conditions d’une existence sociale commune, comme les États et les nations ne faisaient plus sens, comme les gens fort différents peinaient à vivre ensemble, ceux qui se ressemblaient furent rassemblés. « Chacun sa route, chacun son Jardin, laisse son espace à ton voisin ! », fut la nouvelle devise scandée par tout le monde, et tout particulièrement par mon tonton, David. Plusieurs Jardins virent le jour à droite à gauche dans les paysages variés des pays supprimés. Aujourd’hui, certains regroupent des milliers de personnes, d’autres sont bien plus nucléaires. Ils se développent ou rétrécissent à date fixe tous les cinquante ans en fonction de l’évolution sociologique des valeurs identitaires. Seules les valeurs fondatrices sont immuables. Le moindre changement est étudié et consigné, tout est cadenassé. Il n’y a pas de hiérarchie avouée, pourtant certains Jardins sont plus connus que d’autres.
Dans les forêts épaisses, par exemple, résident les professeurs certifiés, adulés et épuisés, qui s’informent, se forment et performent 23 heures sur 24 donnant tout pour leur vocation. Au cœur des marais, derrière les roselières, des femmes véganes et dénatalistes habitent telles des Amazones dans des écovillages et fabriquent leurs brosses à dents et leurs godemichets en crottes de mollusques. Tandis que sur le toit des anciennes villes titanesques, les actionnaires gardiens des cryptomonnaies gouvernent leur microcosme grâce à une devise numérique qui n’a de valeur plus qu’à leurs yeux. Au bord de la mer et de l’implosion, les geeks pur-sang, affalés dans des fauteuils de gaming, vivent quant à eux à travers des clones qu’ils pilotent à distance grâce à la 9G. À l’inverse, au creux des canyons, les sportifs, drogués au CrossFit et à la vie sauvage, observent les animaux in natura en vue de développer leurs capacités et devenir les vedettes d’un docu-Lanta sur Netflix. Plus loin, dans le désert polaire quasi déglacé, les MILF – entendez par là, les magnats de l’indignation lucide et fanatique – tentent de régler le dérèglement climatique qui les désespère à partir de pelures d’oranges. Et en plein centre, dans les brumes du plat pays, sur le lopin de terre qu’on nommait autrefois la Belgique, les conciliants – alias, les braves indécis adeptes du compromis – vivent en disgrâce de n’avoir pas pu choisir un camp. C’est là que je vis, c’est là que je suis. Comprenez bien, je n’ai pas de trait identitaire singulier, pas de caractéristique spécifique à afficher ; du coup, je ne sais pas où aller, à quel groupe m’apparenter, je me retrouve un peu dans chacun d’eux. J’aurais pu créer mon propre Jardin, rien ne l’interdit, mais je n’ai pas envie de vivre comme un ermite en barbe et jogging. Je préfère rester avec des parias que m’isoler. Tout le monde sait qu’il vaut mieux être mal accompagnée que seule. La reconnaissance de chaque être dans son essence a créé de nouveaux sentiments d’appartenance. Pour ma part, je n’en ressens aucun, je suis une fleur sans jardin, un fruit sans verger, un détritus sans recyparc. J’aurais sans doute préféré une société moderne moins tolérante, mais plus ouverte. La tolérance n’est-elle pas fille de l’indulgence, sœur de la condescendance et cousine de l’indifférence ? L’ouverture, c’est autre chose. Ce n’est pas autoriser que chacun vive en bon voisin qui clôture haut son Jardin ; c’est ne pas forcément tout tolérer d’emblée, mais essayer de comprendre, parfois échouer, et cependant apprécier de vivre tous ensemble dans un monde à la fois unifié et extrêmement divers.
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{ BIBLIOGRAPHIE }
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Les signes convictionnels, un éternel problème : Entre identité et neutralité PAR DIEGO D’ADDATO Unia, « Signes religieux portés par des élèves et des étudiant.e.s », https://www.unia.be/fr/criteres-de-discrimination/convictions-religieuses-ouphilosophiques/signes/enseignement/eleves-et-etudiantes, consulté le 24 septembre 2022. SPF Justice, « Cultes et laïcité – Budget », https://justice.belgium.be/fr/themes_et_dossiers/cultes_et_laicite/budget, consulté le 24 septembre 2022. Gouvernement de France, « Droits et libertés – Qu’est-ce que la laïcité ? », https://www.gouvernement.fr/qu-est-ce-que-la-laicite, consulté le 24 septembre 2022. Belga, « Les signes convictionnels autorisés dans l’enseignement supérieur dès la prochaine rentrée académique », publié sur le site de la RTBF, https://www.rtbf.be/article/les-signes-convictionnels-autorises-dans-l-enseignement-superieur-des-la-prochaine-rentree-academique-10675006, consulté le 24 septembre 2022.
Inflation : le nouveau « maux » européen PAR NATHAN VOKAR Articles en ligne : Conseil de l’Union européenne , « Sanctions de l’UE contre la Russie liées à la situation en Ukraine (depuis 2014) », sur https://www.consilium.europa. eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-against-russia-over-ukraine/#sanctions consulté le 18 septembre 2022. BCE, « Nous avons relevé les taux d’intérêts. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ? », sur https://www.ecb.europa.eu/ecb/educational/explainers/ tell-me-more/html/interest_rates.fr.html#:~:text=Lorsque%20les%20prix%20augmentent%20trop,de%20tensions%20pour%20les%20 consommateurs. Consulté le 18 septembre 2022. Vidéo en ligne : Ln24, « SOS: Tous ensemble face à la crise », sur https://www.ln24.be/2022-09-06/sos-tous-ensemble-face-la-crise-0, consulté le 18 septembre 2022.
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BLUE LINE | Novembre 2022
Photographie © Ville de Confians-Sainte-Honorine
{ HOMMAGE }
« L'INDIVIDU EST FAIT POUR PRENDRE SA LIBERTÉ, L'INVESTIR, S'ÉLEVER, S'ACCOMPLIR EN FONCTION DE SES IDÉES ET DE SA CAPACITÉ À CRITIQUER. » (Claude MICHELET) 37
© Fédération des Étudiants Libéraux
BLUE LINE PRÉSIDENT ET ÉDITEUR RESPONSABLE : Ömer CANDAN Avenue de la Toison d’or, 84 - 86 1060 Bruxelles
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RÉDACTEUR EN CHEF : Titus SEDENA
ASSISTANTS DE RÉDACTION : Coralie BOTERDAEL - Louis MARESCHAL
RÉDACTION : Coralie Boterdael, Diego D’Addato, Alban Duraku, Nassim Sabibi, Titus Sedena, Zélia Selamet, Nathan Vokar, Arthur Watillon
DIRECTION ARTISTIQUE : Daphné ALGRAIN
AVEC LE SOUTIEN :
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