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BLUE LINE NOVEMBRE 2021

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SOMMAIR

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N°09

NOVEMBRE 2021

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34 FEL CERCLES

La Fédération des Étudiants Libéraux et les cercles

DOSSIER GÉOPOLITIQUE DE LA LIBERTÉ

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La dernière dictature d’Europe

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COVID JEUNESSE

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OCCIDENT LIBERTÉS

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La transition démocratique espagnole et l'ombre de Franco

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Le Chah parti, les souris dansent

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L’histoire d’une quête vers la liberté Fin du conflit afghan ou comment conditionner la paix à la mise à mort des droits et libertés D’autres fenêtres

Lumière sur les idées noires Sommes-nous encore réellement libres en Occident ?

CARTE BLANCHE

Comment susciter l’intérêt de la politique chez les jeunes ?

/ DÉRISION / Génération décéZèbrée

BIBLIOGRAPHIE


ÉDITO Chères lectrices, chers lecteurs, Nouvelle année académique, nouvelle équipe et nouvelles idées. Après plus d’une année où nous fûmes privés de nos campus, nous sommes tous heureux de les retrouver. Les étudiants fraichement diplômés du secondaire pourront faire connaissance avec un nouveau sentiment de liberté. Malheureusement, ce sentiment peut manquer. À l'image de cette matinée du 15 août 2021 où les sanguinaires talibans ont repris la capitale afghane et ridiculisé une grande partie de l’Occident fuyant Kaboul comme un remake de Saïgon. Désormais, les étudiantes afghanes pourront étudier, mais sous conditions. Cette réalité, nous a rappelé qu’autour du monde toutes et tous ne peuvent profiter des libertés les plus fondamentales, les plus naturelles. C’est pourquoi, dans notre dossier central, nous vous emmenons en voyage à travers plusieurs continents pour mettre en lumière des situations plus qu’attristantes pour les libéraux que nous sommes. Néanmoins, il semblerait que, comme souvent, des solutions existent. Hors dossier, nos rédacteurs vous feront part de leurs réflexions en dénonçant des sujets passés sous silence durant cette crise du covid ; en explicitant certaines limites insidieuses à nos libertés ou en présentant, en carte blanche, un nouvel outil pour réconcilier la politique et la jeunesse. Je vous souhaite une bonne lecture ainsi qu’une très bonne année académique. Bienvenue à l’Université !

Constantin


{ FEL CERCLES }

LA FÉDÉRATION DES ÉTUDIANTS LIBÉRAUX ET

LES CERCLES TEXTES COMPILÉS PAR LA RÉDACTION

LE MOT D’ÖMER Cette année, j’ai l’honneur de présider la Fédération des Étudiants Libéraux, une organisation de jeunesse très particulière, car elle est pour moi (et de nombreux autres) le premier pas dans la sphère militante. Le but de notre asbl est de développer l’intérêt des étudiants pour les questions politiques, philosophiques et sociétales à travers le libéralisme. Le fait que ce soit la première fois qu’ils s’investissent dans une organisation politisée, pousse les jeunes à aborder ces questions de manière beaucoup plus subtile. C’est pour cela que nous nous efforçons quotidiennement, avec l’aide de nos cercles, à proposer des contenus trouvant le juste équilibre entre le ludique et le pédagogique. Si tu cherches à en connaitre plus sur la pensée libérale, à confronter tes idées, à t’épanouir en tant que citoyen et à profiter à fond de tes années dans le supérieur, la FEL est faite pour toi !

LES MOTS DES CERCLES Parce que la FEL c’est avant tout une fédération de cercles, qui de mieux pour vous présenter ces derniers que leurs propres Présidents ? En ce début d’année académique, voici leurs programmes et leurs ambitions.

CONSTANTIN ET KÉVIN, CO-PRÉSIDENTS DU CEL ULB Fondé en 1836, le Cercle des Étudiants Libéraux est le plus vieux cercle étudiant de l’ULB ainsi que la plus ancienne association libérale toujours en activité de notre pays ! Depuis sa création, fort de son histoire et des grands noms qui sont passés dans ses rangs, le cercle s’est donné pour but de faire rayonner un idéal de liberté et de tolérance dans le respect des principes du libre-examen. C’est cette tradition de la liberté qui est le moteur de l’engagement de nos membres. Conférences, débats, ciné-débats, rencontres avec des experts, dégustations ou club de lecture en passant par des collaborations internationales ou avec notre cercle frère de la VUB – LVSV Brussel, notre équipe énergique est heureuse de retrouver ses campus afin de tourner la page de plus d’une année d’activités en distanciel ! Et comme dans notre nom, il y a « étudiant », nous serons aussi présents lors de tous les évènements incontournables de l’ULB, que ce soit aux 6h cuistax de polytechnique, au beach volley de Solvay ou encore à la brassicole du Semeur. Des entrainements sportifs et de running sont aussi au programme. Si tu as la fibre libérale et que tu souhaites développer ton esprit critique tout en faisant de nouvelles rencontres et en profitant de la vie étudiante, fais-nous signe !

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{ FEL CERCLES }

ROMAIN, PRÉSIDENT DE ADEL – SAINT-LOUIS L’Alliance des Démocrates et des Étudiants Libéraux est le deuxième plus gros cercle de la FEL, nous en sommes fiers et nous voulons encore grandir, voilà la volonté de notre cercle. Grâce à une équipe nombreuse, nous pouvons réaliser davantage d’événements, de plus grande ampleur. Cette année par exemple, nous visons des personnalités connues comme Sophie Wilmès ou encore George-Louis Bouchez pour présider nos rencontres. Et ce n’est que le début ! Effectivement, d’autres projets sont encore en maturation, et ces derniers ne risquent pas de vous décevoir. Au contraire, ils éveilleront votre curiosité… L’un des projets de ADEL : devenir LE cercle de référence de l’Université Saint-Louis – Bruxelles. Cette année, nous comptons également être beaucoup plus proactifs concernant l’actualité par des réactions de nos membres sur certains articles. Réactions que nous publierons sur nos réseaux en plus des quizz et sondages que nous réalisons en story Instagram. C’est un ADEL à la fois beaucoup plus public, notamment grâce à un Drink de début d’année ouvert à toutes et tous, et à la fois davantage centré sur le monde estudiantin et le rapprochement de nos membres que nous vous offrirons cette année. ADEL est dans la place !

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VICTOR, PRÉSIDENT DU CELMONS

Notre cercle s’organise sur le campus de la FUCaM Mons et de la HELHA. Notre bureau est assez diversifié, nous prenons nos décisions après consultation de chacun de nos membres afin qu’ils puissent donner leurs avis et même nous donner d’autres idées. Nous souhaitons entendre toutes les propositions de nos membres car dans notre section chaque avis compte. Nous pensons que la liberté de pensée est quelque chose de très important et que ça permet un débat constructif entre nous. Nous avons comme objectif de recruter de nouveaux membres et de les rendre actifs dans notre section. L’année dernière, nous avons fait un live Instagram avec Sophie Rohonyi sur l’IVG et les droits des femmes, c’était une très bonne expérience que nous comptons recommencer avec d’autres acteurs de la politique belge. Nous comptons également faire sur le temps de midi des débats sur l’actualité du moment sur les deux campus. Alors n’hésite pas, rejoins-nous !

NATHAN, PRÉSIDENT DE LA FELU – LIÈGE Cette année, la Fédération des Étudiants Libéraux Unis part de très loin : le cercle se réveille difficilement après de nombreux mois sous hibernation totale. En effet, la covid ne nous aura pas épargnés. Le constat est douloureux, les défis sont nombreux et le chemin à parcourir risque d’être sinueux ; mais ensemble, avec l’arrivée de nouveaux membres, j’espère donner un souffle nouveau à cette fédération qui, fut un temps, était le deuxième cercle libéral de Belgique ! Notre ambition pour cette année est donc de recruter davantage de membres car ce n’est qu’ensemble que nous arriverons à faire revivre le cercle. Quant aux activités que nous entendons mener, elles sont diverses et visent toutes à nous donner de la visibilité, cela se fera par exemple grâce à des conférences autour de sujets sociétaux importants. La nature de nos évènements devra être pertinemment choisie afin de faire grandir nos rangs. D’ailleurs, n’hésite pas à nous rejoindre si tu souhaites parler libéralisme autour d’un verre dans le Carré !

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{ FEL CERCLES }

SARAH, PRÉSIDENTE DU CELN Le Cercle des Étudiants Libéraux de Namur, c’est avant tout un espace de rencontres et d'échanges où les étudiants auront l'opportunité de débattre de l'actualité, de discuter avec des personnalités du monde politique, d’assister à des conférences, de participer à des activités de terrain mais aussi à des réunions réservées aux membres, à des team building… Une fois débarrassé des éventuelles idées reçues, c’est d'un ton engagé et dynamique que chacun pourra ainsi affirmer ses valeurs libérales et acquérir davantage d'expérience. Membre actif ou passif, on a tout à y gagner. Convivialité et esprit d'équipe nous accompagneront également durant cette nouvelle année qui s'annonce débordante d'ambition. Parmi ses nombreux projets, cela fait quelque temps que le cercle met un point d'honneur à renforcer sa visibilité et sa présence sur le campus. Je compte bien tout donner pour relever ce défi. Avec une volonté de fer et une meilleure communication, je ne doute pas que notre travail portera ses fruits et j'en profite d’ailleurs pour remercier le bureau proactif et de confiance qui m'accompagne dans cette belle aventure.

NAMUR

DIEGO, PRÉSIDENT DU CEL LLN Le Cercle des Étudiants Libéraux de Louvain-la-Neuve est de retour cette année avec une équipe dynamique et plus motivée que jamais ! L’année académique écoulée nous a laissé un goût amer puisqu’elle nous a contraints à supprimer un certain nombre de projets. Fort heureusement, le lancement de ce nouveau chapitre de la vie de notre cercle s’annonce bien plus positif ! Nous revenons avec de nouveaux défis, de nouvelles idées et de nouvelles aspirations pour faire vivre le campus étudiant de Louvain-la-Neuve. Nous voulons nous mettre au service des étudiants néolouvanistes en leur proposant des activités ludiques, des conférences, des débats, et tant d’autres choses. Vous pourrez très vite nous retrouver lors de notre drink de rentrée ou via une activité très agréable que vous pourrez bientôt retrouver sur nos réseaux sociaux. Au nom de toute l’équipe, je vous souhaite une bonne rentrée à tous. Au plaisir de vous retrouver très vite !

NAMUR 6

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DOSSIER GÉOPOLITIQUE DE LA LIBERTÉ La géopolitique de la liberté. Ce thème s’est tristement imposé à nous à la suite des évènements de cet été en Afghanistan. Malheureusement, après un petit tour d’horizon, il nous semblait indispensable de revenir sur des situations parfois oubliées ou du moins trop peu médiatisées. De l’Asie en passant par l’Afrique et le Moyen-Orient, nous nous apercevons hélas qu’aucun continent n’est épargné par des privations de libertés, ou du moins, des signaux avant-coureurs qui menacent son intégrité. Même sur notre vieux continent, ces libertés qui nous paraissent parfois aller de soi n’ont pas été acquises sans heurts. Les cicatrices espagnoles et la plaie géante du Belarus nous témoignent que l’Europe n’est pas épargnée par la menace d’une perte de libertés. Dictature, répression, violence. Ces mots insoutenables pour des libéraux sont pourtant les caractéristiques d’une certaine réalité que nos rédacteurs ont essayé de décrypter. Nous allons essayer au travers de ce dossier central d’y voir un peu plus clair pour savoir, où (en) est la liberté ?

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{ DOSSIER GÉOPOLITIQUE DE LA LIBERTÉ }

BIÉLORUSSIE BIÉLORUSSIE LA DERNIÈRE DICTATURE D’EUROPE PAR ARTHUR WATILLON

En 1996, quelques années seulement après sa prise d’indépendance, l’ancienne république soviétique biélorusse tient ses premières élections présidentielles. Un homme, Alexandre Loukachenko, ancien chef de kolkhoze1, est élu président du jeune état slave. Quelque 25 ans plus tard, en 2020, l’homme fort de Minsk est triomphalement réélu avec près de 80 % des voix. Bien que cette longévité au pouvoir semble presque anecdotique pour un chef d’état surnommé le « dernier dictateur d’Europe », celle-ci est révélatrice de la chape de plomb mise en place sur la population biélorusse et, par le fait même, du manque de liberté qu’elle subit. Ainsi, comment la situation politique du Bélarus fait que la liberté y est comparable à peau de chagrin ?

Les kolkhozes et sovkhozes étaient les modes d’exploitation agricoles collectivistes de l’ère soviétique.

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© SHAVEL / SHUTTERSTOCK.COM

{ DOSSIER GÉOPOLITIQUE DE LA LIBERTÉ }

Un président omnipotent

Une dictature ne s’installe pas en un claquement de doigts, Alexandre Loukachenko l’a compris. Par conséquent, une fois hissé au pouvoir, celui-ci fait modifier la constitution en allongeant la durée de son premier mandat présidentiel de quatre à sept ans. Quoi de mieux également que de s’octroyer la possibilité d’ajourner le Parlement comme bon lui semble et de gouverner par décrets ? C’est le cas lorsqu’en 1996, à l’occasion d’un référendum sur l’extension de ses prérogatives, il décide de suspendre le Parlement et fait arrêter 89 députés jugés « déloyaux » sur les 110 que composent l’assemblée. Ceux-ci seront, de facto, remplacés par des soutiens au pouvoir. En 2001, Loukachenko met fin à la constitution démocratique. Pour se maintenir au pouvoir, Loukachenko va passer avec son peuple un « contrat » tacite, comprenant une double sécurité. Primo, une sécurité économique. La République biélorusse apparaît comme un véritable fantôme de l’ère soviétique. Effectivement, contrairement à d’autres anciens satellites du bloc de l’Est à la suite de la chute de l’URSS,

le pays n’a pas transposé le modèle du libre-marché à son économie. Au contraire, ceux-ci ont conservé un modèle socialiste, favorisant un contrôle étatique sur les principaux secteurs de production, garantissant un fonctionnariat important et mettant sous tutelle les entreprises, étatisées et dépendantes des subsides du pouvoir public. Secundo, une sécurité existentielle. La Biélorussie est enclavée entre deux mondes qui se font face : l’Europe et la Russie. Pour pouvoir garantir son pouvoir, Alexandre Loukachenko se doit de désapprouver l’UE, mais doit également éviter de trop se rapprocher de son grand voisin, la Russie, afin de conserver la spécificité nationale de son pays et donc son indépendance. Cette situation d’équilibre est complexe et permet au dirigeant de se présenter comme la seule figure protectrice, capable de maintenir l’indépendance biélorusse contre le spectre de la menace. Assurer son pouvoir nécessite également le contrôle de son image et de celle du régime. Il est donc nécessaire que les médias soient à la solde du pouvoir. Tradition soviétique oblige, la principale télévision publique, Belarus 1, se compare aisément à un canal permanent de propagande.

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{ DOSSIER GÉOPOLITIQUE DE LA LIBERTÉ }

Ce fut particulièrement le cas lors des manifestations populaires faisant suite au dernier scrutin présidentiel. De celles-ci, aucune image n’a été diffusée depuis la chaîne d’État. Pour des manifestations rassemblant parfois plus de 100 000 civils, dans un pays comptant à peine dix millions d’habitants, cela parait fort étrange.

Une opposition muselée

Depuis 1995, les observateurs étrangers expliquent qu’aucun scrutin organisé au Bélarus n’est considéré comme libre et équitable. Outre des scores staliniens, avoisinant constamment les 80 % pour le présidentiel, le régime procède systématiquement à l’interdiction de vote pour les candidats d’opposition ou les personnalités affichant explicitement leur soutien à ces derniers. En 2020, Alexandre Loukachenko a dû faire face à Svetlana Tikhanovskaïa, elle-même épouse d’un opposant au régime emprisonné. Celle-ci, jugée « inoffensive », a pourtant fait sensation en mobilisant des foules qui n’avaient plus été observées depuis l’ère soviétique. Désirant assumer le rôle d’une présidence de transition afin d’amener la Biélorussie vers des élections démocratiques et vers plus de libertés, la jeune femme a pourtant choisi de quitter le pays deux jours seulement après le vote, craignant pour sa sécurité. Grand bien lui a fait d’avoir choisi la voie de l’exil. En effet, les opposants restant au pays voient, jour après jour, la répression s’intensifier et sont constamment confrontés au risque d’être emprisonnés. Ces derniers mois, certaines arrestations ont défrayé la chronique. C’est le cas de Maria Kolesnikova, figure d’opposition de l’été 2020, condamnée le 6 septembre 2021 à onze ans d’emprisonnement ferme pour des motifs fallacieux (complot visant à s’emparer du pouvoir, atteinte à la sécurité nationale, création d’une formation extrémiste). Plus grave encore, le détournement d’un avion Ryanair dans l’objectif d’y arrêter un passager jugé « dangereux » pour le régime. Entraînant, au passage, le boycott de l’espace aérien biélorusse par l’Union européenne. Sans oublier, l’horrible affaire du jeune directeur d’ONG, aidant les personnes ayant fui le Bélarus, qui est retrouvé pendu dans un parc ukrainien. La piste d’un meurtre sous couvert d’un faux suicide s’avère ici bien entendu plus que probable. Enfin, pour s’assurer d’empêcher toute victoire d’opposition possible, la commission électorale interdit désormais également à celle-ci de procéder à son propre décompte des voix. Par conséquent, le régime fixe aujourd’hui les résultats des perdants en amont de l’élection.

Une révolte impossible

Sans surprise, à la suite du dévoilement des résultats de la dernière élection présidentielle, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Minsk pour protester contre un simulacre de scrutin et afficher leur soutien

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à l’opposition. Ces manifestations, favorables à une transition démocratique, continuent d’ailleurs toujours aujourd’hui à battre le pavé. Bien entendu, le régime tient à s’en prémunir, notamment en faisant interdire ce genre de rassemblements et en menaçant ceux qui s’y rendent de poursuites judiciaires par les autorités. Ce phénomène de contestation massive du régime n’est pourtant pas nouveau. En effet, après pratiquement chaque élection, des manifestations de l’opposition démocrate éclatent et sont, systématiquement, réprimées plus ou moins violemment par le pouvoir.

Cependant, même si le phénomène n’est pas nouveau, les manifestations monstres de l’été dernier diffèrent de celles ayant suivi les élections antérieures. Tout d’abord, il faut souligner l’ampleur de ces rassemblements, qui ont mobilisé un nombre de manifestants jamais vu dans l’histoire politique du Bélarus. On constate également une plus grande diversification au sein des contestataires. Alors qu’il y a 10 ans les cortèges étaient, pour la grande majorité, composés d’hommes adultes, aujourd’hui, on constate la présence de femmes, d’enfants, de jeunes. Selon Pascal Boniface, géopolitologue français, ce constat découle de l’impuissance du régime à contrôler, voire empêcher les manifestations d’avoir lieu. Cette faiblesse fait que la tactique de l’usure n’est pas une option envisageable pour Loukachenko. La peur change de camp et les gens qui craignaient autrefois de s’opposer à l’État se rendent actuellement compte que celui-ci n’est, tout simplement, pas assez puissant que pour les en empêcher. Ensuite, une autre dissemblance entre hier et aujourd’hui est générée par les nouvelles technologies, notamment avec les possibilités de partage qu’offrent les réseaux sociaux. En effet, au cours des années 90 et au début des années 2000, une seule chaîne d’informations étant autorisée à l’antenne, il suffisait pour le régime de dévier la caméra du champ des manifestations. Désormais, bien que les journalistes étrangers ne soient toujours pas autorisés à rentrer en Biélorussie, toute personne ayant un smartphone, en filmant, se transforme en reporter. Preuve de l’incapacité du régime, il n’est pas rare que l’ensemble du réseau internet du pays soit désactivé par le gouvernement afin que les images et vidéos de manifestations contre le régime ne soient pas diffusées sur le territoire national et en dehors. Toutefois, cela ne fait que retarder l’envoi des images. Constatant sa propre impuissance, le revers de la médaille est que le régime sombre dans une situation de paranoïa où, pour faire régner la peur, il arrive qu’en plein milieu d’une rue certains passants soient embarqués par la police, au hasard et sans raison. Enfin, la dernière différence mais non des moindres est la mutation de l’objet de la révolte. Alors qu’il y a une dizaine d’années les manifestants protestaient principalement contre les résultats des scrutins, les récentes manifestations remettent, elles, en cause l’ensemble du système biélorusse.


{ DOSSIER GÉOPOLITIQUE DE LA LIBERTÉ }

Finalement, Alexandre Loukachenko et ses méthodes de gouvernance ne sont pas pour autant désapprouvés par l’ensemble de la population. En effet, celui-ci a connu une popularité réelle et durable qui persiste encore aujourd’hui au sein des zones rurales et des générations nostalgiques de l’URSS. Cependant, un régime ne peut pas se maintenir en place uniquement sur base du taux d’adhésion de la population à son leader qui, ici, est déjà particulièrement mis à mal. Ainsi, au manque de liberté s’ajoutent des facteurs parfois plus profonds : une mauvaise gestion de la crise COVID par les autorités, une situation économique qui se dégrade et une pression grandissante de la part des deux blocs voisins, l’Europe et la Russie. Preuve de l’affaiblissement du pouvoir et de la crainte qui le saisit, la dernière cérémonie d’investiture présidentielle s’est tenue dans le secret. À l’instar de nombreux pays de l’exURSS qui ont connu pareille situation avant le Bélarus, ces facteurs poussent les observateurs à envisager qu’un potentiel « printemps biélorusse » se produise. 

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{ DOSSIER GÉOPOLITIQUE DE LA LIBERTÉ }

ESPAGNE ESPAGNE PAR ADRIEN PIRONET

À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe occidentale est désormais un espace de paix, où les tyrans sont refoulés au-delà de la frontière est-allemande. Les beaux jours semblent de retour pour les habitants du Vieux Continent. On en oublierait presque la présence du dictateur Franco de 1939 à 1979 en Espagne… Comment un pays, aujourd’hui démocratique, a su s’extirper des griffes du fascisme aussi rapidement sans heurt ? C’est l’Espagne dans laquelle nous allons nous plonger.

LA TRANSITION DÉMOCRATIQUE

ESPAGNOLE ET L’OMBRE

DE FRANCO 12

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{ DOSSIER GÉOPOLITIQUE DE LA LIBERTÉ }

Marche-arrière sur 36 années de franquisme

De 1936 à 1939, la République espagnole se déchire de l’intérieur, un mouvement nationaliste, dirigé par une partie de l’armée et soutenu par l’Église, se soulève face au gouvernement de gauche du Front populaire. Le conflit acquiert une dimension internationale toute particulière puisque chaque camp reçoit l’appui de nations étrangères. Francisco Franco, n’a, au début, qu’une influence minime dans cette guerre civile. C’est toutefois par une suite de coïncidences que les portes s’ouvrent à lui et qu’il passe d’inconnu à homme providentiel ; dès septembre 1936, il devient chef du gouvernement de la zone rebelle et pilote personnellement les actions militaires afin de mettre un terme aux conflits. Il devient El Caudillo, comme le Duce italien ou le Führer allemand, le seul maître à bord. En mars 1939, après de nombreux affrontements sur le territoire espagnol, Madrid tombe aux mains du Général Franco et des nationalistes. Les répressions envers «  l’autre Espagne  » sont particulièrement violentes. À partir de ce moment, et compte tenu du contexte particulièrement délicat en Europe1, les gouvernements français et anglais reconnaissent le nouveau gouvernement espagnol. Dès 1948, le pays reprend des couleurs et souhaite rattraper son retard sur l’Europe industrialisée. Il entre en relations étroites avec les États-Unis et bénéficie ainsi d’accords commerciaux et du précieux Plan Marshall. Cependant l’avènement des années 1950 va marquer le début de vives contestations : Franco délaisse la Phalange, le parti unique à tendance fasciste, qui l’avait soutenu durant la guerre civile, au profit de l’Église catholique. Cette dernière peut ainsi imposer ses codes moraux et sa vision conservatrice, ce qui déplait fortement à la jeunesse espagnole. En 1957, un profond remaniement a lieu dans le gouvernement qui modifie positivement la situation du pays. D’abord l’administration se réforme, devient beaucoup plus efficace et rationnelle. Ensuite la situation socio-économique, alors rurale et souffrant de retard, opère un revirement et se modernise ; les villes florissent. C’est la période de desarrollismo. Bien que la dictature soit en pleine rénovation, le fossé se creuse de plus en plus avec les citoyens. Ce qui n’était au départ qu’une opposition des jeunes face aux idées

conservatrices de l’Église commence à se répandre même au sein des partisans de Franco. À s’en tenir à la description ci-dessus, on pourrait s’imaginer que Franco est un despote bienveillant, non ? Historien à l’Université d’Oxford, Paul Preston dit : « Si on regarde le boom économique, oui, on peut dire que le régime de Franco "c’est super !" Mais si on regarde le coût : les gens assassinés par le régime, ceux qui ont souffert en exil… peut-on vraiment dire que Franco a été bon pour l’Espagne ? »2. Assurément, le dictateur n’hésite pas à réprimer les opposants, d’autant que le pays vit dans un système de parti unique ; il fait disparaître les personnalités gênantes, les fait torturer par la police politique, etc. Son comportement ne laisse pas indifférent en Europe : les touristes hésitent à visiter l’Espagne, des manifestations ont lieu à Paris, même le pape Paul VI tente de le réprimander moralement. En 1967, Franco, alors âgé de 77 ans, prend l’habitude de déléguer les tâches à ses hommes de confiance. Conservant malgré tout le pouvoir, son entourage commence à s’inquiéter du jour de sa disparition d’autant qu’aucun successeur n’est pressenti. Finalement, c’est Juan Carlos, héritier des Bourbon d’Espagne, qui est retenu. Ce dernier est en réalité un choix stratégique pour Franco, il le prend très tôt sous son aile et assure son éducation.

Mort de Franco : l’espoir des beaux jours et la transition démocratique

Sans surprise, le vieillissement de Franco produit un effritement fatal du régime. Après une lente agonie, il meurt le 20 novembre 1975 à 82 ans. La société, profondément divisée, pleure ou célèbre, selon les cas, la disparition du Caudillo. Près de 40 années après la domination autoritaire du Général Franco, l’Espagne espère retrouver les beaux jours. La situation dont hérite Juan Carlos n’est pas évidente, on parle encore aujourd’hui du « fantôme de Franco », qui marque profondément les rouages de l’Espagne et continue de gêner le régime démocratique actuel. Quoiqu’il en soit, deux jours après la mort de Franco, Juan Carlos prête serment et la République espagnole fait place à une monarchie constitutionnelle. Mais le changement de régime ne peut résoudre seul le problème. >>>>

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{ DOSSIER GÉOPOLITIQUE DE LA LIBERTÉ }

L’héritage de Franco est réellement machiavélique : le rôle limité du monarque associé aux institutions fascistes bloque tout espoir de changement. Juan Carlos, comme un pion, n’a pour seule mission que de faire fonctionner la machine malgré lui. Toutefois, la transition va s’opérer petit à petit. L’arrivée d’un nouveau Premier ministre, en 1976, Adolfo Suárez va apporter un nouvel élan. Bien que membre de la Phalange, il ne se montre pas opposé au changement. La pluralité de partis politiques est ainsi rétablie, ce qui permet une cohésion nationale de travail. Une révolution pacifique va s’opérer via un pacte, appelé « le consensus »3 entre tous les partis politiques. Cet accord se veut des plus étonnant, puisque les communistes arrivent à s’entendre avec les phalangistes malgré leurs idéaux diamétralement opposés. Ce pacte repose ainsi sur plusieurs points : d’abord sur la transition monarchique, qui pose un sérieux cas de conscience aux communistes ; ensuite sur une loi d’amnistie qui est promulguée et s’avère à double tranchant puisqu’en voulant le retour des opposants du régime franquiste, elle rétablit par la même occasion l’honneur des fascistes ; enfin sur les sujets d’autonomies régionales qui sont ignorées, l’État organise administrativement le territoire afin de centraliser le fonctionnement du pays, ce qui retarde des sujets explosifs comme l’indépendance de la Catalogne. Alors que l’Espagne n’est pas particulièrement acquise à la monarchie, en 1981, une tentative de coup d’État éclate. Des militaires nostalgiques du franquisme font une apparition musclée au Parlement et tentent d’arracher le pouvoir. Juan Carlos intervient alors à la télévision et stoppe immédiatement le mouvement insurrectionnel. Cela va le hisser dans le cœur de tous les Espagnols et le roi bénéficie désormais du soutien de son peuple. Finalement, la transition démocratique a été d’un pacifisme étrange mais a permis à l’Espagne de rapidement évoluer sans heurt. Cela n’a évidement pas été aussi simple que cela, l’intervention du «  consensus  » occupe une place majeure dans l’opération. C’est ainsi qu’Alfonso Guerra, homme politique socialiste dit : « À l’époque, nous avions deux alternatives : soit on faisait le procès politique du franquisme et la démocratie aurait pris 25 ans de retard ; soit on allait directement à la démocratie et le procès du franquisme était retardé de 25 ans, c’est ce qu’il s’est passé »4. Il a fallu agir rapidement, dans l’intérêt du pays, la transition démocratique a été privilégiée laissant planer le spectre de Franco sur l’Espagne. Nous pouvons donc légitimement nous demander quels sont les sacrifices que nous sommes prêts à faire pour la démocratie ? 

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NOTE Après l’annexion de l’Autriche et le démembrement de la Tchécoslovaquie en 1938, l’Allemagne nazie va pénétrer en territoire polonais le 1er septembre 1939 et ainsi déclencher les prémisses de la Seconde Guerre mondiale. 1

À la minute 21:32 dans le documentaire « Les derniers jours de Franco » d’Arte. 2

Que l’on peut également retrouver sous les termes « accord » ou bien encore « concorde ». 3

À la minute 42:35 dans le documentaire « Les derniers jours de Franco » d’Arte. 4


{ DOSSIER GÉOPOLITIQUE DE LA LIBERTÉ }

IRAN IRAN LE CHAH PARTI, LES SOURIS DANSENT PAR BASILE PUNTELLINI

La Terre ne peut tolérer deux soleils, ni l’Asie deux rois. Cette parole, attribuée à Alexandre le Grand, alors en guerre contre Darius III, roi de Perse, marque le début de l’Histoire entre deux mondes diamétralement opposés mais qui au fil des siècles se façonneront réciproquement : la Macédoine et la Perse, ou plutôt, l’Europe et l’Asie. Avec ses conquêtes triomphales, Alexandre et ses diadoques soufflèrent un vent hellène sur cet Empire perse décadent. La Grèce fut une mère fertile pour l’Europe. Elle fut la source d’une myriade de choses que nous connaissons et utilisons encore aujourd’hui comme la philosophie ou la démocratie. Dès lors, il paraît évident que sa rencontre avec la Perse l’a influencée mais aussi et surtout lui a permis de l’influencer en retour ! La Perse, renommée Iran en 1935, est un pays à part entière du Moyen-Orient et dans le monde musulman. Partons ensemble quelques instants au pays des Mèdes, des Séleucides et des Sassanides, des zoroastriens aux chiites, de Babylone et ses jardins suspendus à Téhéran et ses mosquées turquoises, de Gilgamesh à l’ayatollah Khomeini.

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{ DOSSIER GÉOPOLITIQUE DE LA LIBERTÉ }

Un peu d’Histoire…

Les Perses, ancien nom des Iraniens, sont un peuple musulman chiite. Ils ne sont pas issus du groupe ethnique arabe, c’est le cas pour bon nombre de pays musulmans comme la Turquie ou l’Indonésie. Leurs coutumes, leur langue et leur culture sont très distinctes du reste du monde islamique. En effet, la grande majorité des musulmans dans le monde sont sunnites (entre 87 et 90%), les autres chiites. L’Islam, tout comme le christianisme, au cours de son évolution, ne sera pas à l’abris de scissions en son sein. Sous l’impulsion d’Ismaïl Ier, la Perse se convertira au chiisme duodécimain au XVe siècle afin de réaffirmer sa différence face à l’Empire ottoman, alors puissance hégémonique dans le monde islamique. La Perse sera le premier pays du Moyen-Orient à se doter d’une constitution en 1906. Il basera toute son économie sur le pétrole. En 1921, Reza Pahlavi, exécutera un coup d’État afin de déposer l’Empereur Ahmad Chah, dernier représentant de la dynastie Qadjar. En 1926, Reza Pahlavi devient Chah, Empereur d’Iran. Son règne se caractérisera par de grands changements sociaux à marche forcée, une modernisation et occidentalisation de la société à coups d’infrastructures et de lois, la création d’un roman national iranien. Cette modernisation par la force se fera au détriment des populations locales et fera naître un sentiment de haine auprès d’une partie de la population envers son souverain.

De 1950 à nos jours…

Mohammed Reza Chah, fils de Reza Pahlavi Chah, continuera la même politique que son père : une hyper occidentalisation de la société suivie d’une modernisation des institutions. Ne prenant pas en compte l’avis des populations locales, il réprimera dans le sang tout opposant avec sa police secrète, la Savak. L’incompréhension du peuple accompagnée d’un changement des mœurs trop brutal, la corruption et l’inflation à la suite du premier choc pétrolier de 1973 conduiront à la Révolution iranienne islamique de 1979. Cette dernière établira la République islamique, système où la Charia, la Loi islamique, prime sur les lois de la Constitution et où les hauts clercs religieux, les marja (« source de tradition »), ont le rôle de juristes. Un homme, Khomeini, ayatollah, le plus haut rang du clergé chiite, s’élèvera contre la tyrannie du Chah. Lors du passage à un État théocratique, il deviendra le Guide suprême, et, avec ses fidèles, créera les Gardiens de la Révolution, corps d’armée considérable ne répondant que du Guide, chargé de protéger la République islamique. Ayant peur d’une tâche d’huile révolutionnaire chiite, l’Irak sunnite de Saddam Hussein entrera en guerre contre la toute jeune République chiite en 1980. Le conflit durera huit ans.

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Juste avant sa mort en 1989, Khomeini désignera son ami et confident, l’ayatollah Ali Khamenei, pour le succéder en tant que Guide suprême. Ce dernier, promouvra les visions et les volontés de Khomeini pour l’Iran, sans jamais faire valoir les siennes.

Libertés chéries…

En 1997, le président réformateur Mohammad Khatami, porteur de valeurs progressistes, sera élu à 70% des voix, preuve d’une volonté populaire d’un nouveau souffle démocratique. Cependant malgré cette volonté, l’ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad, sera adoubé par le Guide suprême Khamenei et reprendra la tête du pays de 2005 à 2013, il sera accusé de fraude présumée aux élections de 2009. En 2021 auront lieu les dernières élections présidentielles en date. Sept candidats seront admis à se présenter. Cependant, la candidature du conservateur modéré Ali Larijani, président du Parlement iranien (le Madjles) de 2008 à 2020 et seul candidat sérieux, sera rejetée. Celuici sera en effet évincé des élections par les Gardiens de la Révolution car jugé trop dangereux pour le régime théocrate. Cette pratique de sabotage est très courante lors des élections en Iran, tout candidat sérieux ne plaisant pas au Guide est éliminé. Les autres candidats n’auront été acceptés que pour donner en apparence un caractère démocratique à l’élection. De fait, toute cette mascarade sera mise en scène pour faire ressortir le septième candidat, préféré du Guide bien qu’impopulaire : Ebrahim Raïssi. Ce dernier remportera les élections amèrement : 51,5% d’abstention et 14% de vote blanc, jamais de tels taux d’abstention ne furent atteints depuis 1979, preuve de la volonté des citoyens iraniens d’écarter le clergé de la politique. Ce clergé, à la fois moralisateur et corrompu, amènera les Iraniens à délaisser la religion. L’Iran est une théocratie mais où les mosquées sont vides.

Solutions…

L’avenir d’un pays réside dans sa jeunesse, et cela est encore plus vrai pour l’Iran. En 2016, 39% des Iraniens avaient moins de 25 ans. Cette jeunesse n’a pas vécu les évènements fondateurs de la République islamique ce qui délégitime le régime liberticide. À l’époque du Chah, la jupe trouvait autant sa place que le voile. Pris entre modernité et coutumes, les Iraniens sont loin d’avoir un avis uniforme sur leur régime. On ne peut pas détruire un régime aussi sévère d’un simple coup de baguette magique. Cependant, des solutions existent sur le moyen et long terme. À moyen terme, l’Union Européenne et les États-Unis devraient apaiser les rapports diplomatiques avec Téhéran en levant les diverses sanctions et en relançant le plan d’accord sur le nucléaire JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action)


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duquel les États-Unis et Israël s’étaient retirés en 2018. Ceci, permettrait l’ouverture d’un dialogue et donnerait une lueur d’espoir au peuple car le régime serait obligé de faire des compromis avec l’U.E. et les États-Unis en vue de bénéficier d’une plus grande levée des sanctions économiques. À long terme, le soft power pourrait être une bonne solution, elle paraît en effet être la plus probante. La diaspora iranienne transmet déjà et partage son nouveau mode de vie en Occident auprès des Iraniens restés au pays. La culture, les libertés fondamentales européennes attirent une grosse partie de la jeunesse iranienne.

Pris entre modernité et tradition, entre libertés et servilité, l’Iran est à un moment charnière de son histoire. Les Chah d’hier faisaient le bonheur des aspirants à un modèle occidental, au détriment d’une population encore traditionnelle choquée par des mesures trop rapides et violentes. Les ayatollahs d’aujourd’hui font le bonheur des aspirants à un modèle oriental, au détriment d’une population tout juste modernisée et libérée choquée des mesures trop liberticides et brutales. Cependant, le temps s’écoule, les briseurs de traditions ne sont plus, et les briseurs de libertés, vieillissants, ne seront bientôt plus non plus. L’avenir de l’Iran, comme pour tout pays, est entre ses mains. L’espoir d’une nouvelle société plus démocratique, plus juste, plus libre anime une jeunesse sans repères. C’est au sein de cette jeunesse que sommeille le courage qui façonnera un nouvel Iran. Les monstres du passé ne pourront plus entraver les bâtisseurs de nouveaux lendemains. 

© JUSTINE EDELSTEIN / SHUTTERSTOCK.COM

Le rôle de l’Occident sera donc de limiter les sanctions pour ouvrir un dialogue et d’influencer et solliciter par son influence culturelle une jeunesse ayant soif de libertés.

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CAMEROUN CAMEROUN L’HISTOIRE D’UNE QUÊTE VERS

LA LIBERTÉ PAR TITUS SEDENA

Alors qu’il passe par des crises humanitaires, politiques et militaires, le Cameroun tente d’endiguer la période la plus conflictuelle de son histoire. Paul BIYA, actuel Président de la République du Cameroun, se trouve à la tête d’un peuple plus que jamais divisé. Et pour cause, la guerre civile, que l’on nomme communément «  la crise anglophone  », qui oppose la partie anglophone et la partie francophone du pays. Ce conflit a fait couler beaucoup d’encre dans la littérature et de sang sur le sol africain. Aujourd’hui, le monde continue de s’interroger… D’une part, vous vous questionnez à propos des origines exactes de ce conflit, des revendications de chacun des acteurs et de l’état actuel de la démocratie et des libertés sur le territoire. D’autre part, la communauté internationale ne cesse pas de s’interroger sur les pistes de solutions qui s’offrent au pays.

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À l’aune de l’histoire des peuples, il est aisé de déduire que les États-nations n’ont que très rarement envisagé leur avenir sous l’emprise d’autrui. En dépit de ce constat, les territoires sous mandat, tutelle et protectorat d’une autre puissance furent monnaie courante à travers l’histoire. Ces formes de dominations coloniales, peu importe leurs appellations, ont marqué l’histoire des peuples colonisés au fer rouge, à tel point que les blessures accumulées durant les régimes coloniaux ont fait émerger des conflits qui persistent toujours et mettent à mal les libertés et la démocratie au sein de ces pays. C’est notamment le cas au Cameroun, la mise à mal de la démocratie et des libertés est provoquée par des conflits de nature culturelle, politique et militaire qui ravagent le pays depuis maintenant un lustre. Pour comprendre l’origine de ces conflits et appréhender l’état de la démocratie et des libertés du Cameroun. Il faut remonter dans les méandres de l’histoire à l’époque des colonies et des guerres qui ont permis les prises d’indépendance et l’autonomie du pays.


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LA SOLUTION À CETTE CRISE NE PEUT SE TROUVER QUE DANS LE DIALOGUE.

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Au commencement, le Kamerun

Nous sommes en 1884, à l’époque du « Kamerun » où le territoire est une colonie sous le protectorat de l’Allemagne. La défaite allemande de 1914 durant la Première Guerre mondiale marque un tournant dans l’histoire du pays et la fin du régime de l’Allemagne camerounaise ou « Kamerun ». En 1916, le Cameroun est placé sous mandat de la Société des Nations, l’ancêtre de l’ONU, et confié à la France et l’Angleterre qui administrent le territoire en deux parties. D’un côté, la partie Nord-Ouest (partie occidentale) du pays revient à l’Empire britannique, car à l’ouest du Cameroun se trouve le Nigeria, également une colonie britannique à l’époque. De l’autre côté, la France choisit d’administrer la partie Sud et Est du territoire (partie orientale). Ensuite vers 1958, le Cameroun obtient une autonomie interne avant de parvenir à une indépendance totale en date du 1er janvier 1960 sous la présidence d’Ahmadou AHIDJO. À la suite d’un référendum en 1961, la partie nord du Cameroun anglophone décide de se rattacher au Nigeria. La partie sud du Cameroun anglophone, quant à elle, décide de rester annexée au Cameroun à la condition de conserver les systèmes hérités de l’Angleterre (juridique, législatif, scolaire, etc.). De ce consensus émerge le fédéralisme de chacune des régions du pays. Mais cette stabilité est de courte durée, car en mai 1972, l’ancien président du Cameroun, Ahmadou AHIDJO, proclame la République unie du Cameroun. Pour raisons de santé, ce dernier abdique en 1982 pour laisser la place à son Premier ministre de l’époque, Paul BIYA, aujourd’hui l’actuel Président de la République camerounaise. Durant ses 38 années au pouvoir (7 mandats), Paul BIYA fait face à une série de conflits armés, dont le plus marquant est la tentative de coup d’État du 6 avril 1984.

De la naissance d’une crise politique à un conflit armé

La crise anglophone est très certainement la lutte la plus meurtrière de toute la présidence de Paul BIYA. Cette crise à l’origine politique est devenue un conflit armé en 2017, pourtant il faut remonter à l’origine de l’unification du pays pour comprendre les bases de ce conflit. Le fédéralisme accordé jadis à la partie anglophone, et qui assurait aux anglophones la possibilité de conserver leurs systèmes éducatif et judiciaire ainsi que leurs mœurs, disparaît avec l’apparition de cette République unie. La première source de conflit entre les deux parties du pays réside donc dans le fondement même de cette république. Selon les anglophones, une centralisation trop importante du pouvoir s’opère et ils se sentent marginalisés au sein de leur propre pays. Ce problème étant considéré comme crucial pour eux, des groupements font leur apparition avec pour perspective de faire entendre leur mécontentement et leurs revendications.

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En 1995, le Southern Cameroons National Council (SCNC), un parti politique anglophone apparu pendant la réunification, marque un tournant dans la politique du pays. Ce parti tente d’imposer sur la scène politique le souhait d’une séparation avec l’ancienne fratrie francophone afin d’obtenir l’indépendance de ce qu’ils nomment l’Ambazonie (la partie anglophone). Par ailleurs, le Social Democratique Front (SDF) n’exige pas une dislocation du pays, mais défend plutôt une nouvelle fédéralisation de celui-ci. L’échiquier politique se dessine peu à peu. D’un côté, nous retrouvons le président Paul BIYA à la tête d’un gouvernement composé d’une écrasante majorité francophone et de l’autre les acteurs du monde anglophone tels que le SDF, le SCNC et les milices séparatistes d’Ambazonie. Sisiku AYUK TABE, l’ancien président autoproclamé de l’Ambazonie est arrêté, au Nigeria, en août 2019 et purge actuellement une peine de prison à vie dans un pénitencier de haute sécurité à Yaoundé (la capitale). À ce jour, le Cameroun qui tentait d’endiguer un pugilat politique d’envergure se voit devenir le théâtre de prises d’otage, d’enlèvements, d’assassinats et d’insurrections avec pour conséquences  : la dispersion des ethnies camerounaises ainsi que de la détérioration des libertés sur le territoire. En 2018, les Nations-Unies et le Norwegian Refugees Commission (NRC) ainsi que MondeAfrique et d’autres organisations internationales et humanitaires déplorent environ 530 000 réfugiés qui ont fui vers les pays alentour et 1800 à 2000 morts dus à l’escalade et l’intensité de cette guerre civile. En dépit d’une concertation nationale organisée par le président Paul BIYA et les acteurs concernés, la trêve entre l’armée et les milices d’Ambazonie est de courte durée. En partie à cause des modalités du procès et de l’incarcération de l’éphémère président de l’Ambazonie, Sisiku AYUK TABE, qui ont intensifié la conviction des séparatistes. Mais surtout à cause de l’animosité du conflit. En effet, l’invitation à un « cesser le feu », opérée sous l’impulsion du Conseil de sécurité de l’ONU conformément à la résolution 2565 de celui-ci, n’a rien donné elle non plus. À la suite de l’échec de toutes ces tentatives, les citoyens camerounais, ceux du monde et de la communauté internationale sont à court de solutions concernant ce conflit qui dévaste le Cameroun… Au moment où la diplomatie échoue et que la guerre ne résout rien, que pouvons-nous faire ? C’est dans ma quête de réponses que j’ai sollicité son excellence EVINA ABE’E Daniel, Ambassadeur du Cameroun en Belgique, pour une interview dans laquelle nous aborderons ensemble les revendications précises des milices anglophones ainsi que les solutions à ce conflit.


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INTERVIEW

AVEC SON EXCELLENCE

E vina AAbebe 'E Daniel, D aniel, AMBASSADEUR DU CAMEROUN EN BELGIQUE

  La crise anglophone est une thématique complexe dans laquelle il est compliqué de comprendre les revendications de chacune des parties. Pouvez-vous nous dire quelles sont les revendications précises des ambazoniens à l’heure actuelle ?

La crise anglophone trouve son origine dans des revendications socioprofessionnelles et corporatistes d’avocats et d’enseignants dans les Régions administratives au Nord-Ouest et Sud-Ouest du pays. L’Organisation des corpus de texte pour les affaires (OHADA) était l’une de ces corporations. Les revendications qui étaient à la base juridiques ou sociales ont fait place à une incursion armée sous l’impulsion d’une partie extrémiste de la diaspora qui a profité de ce climat d’instabilité. Vous n’êtes pas sans savoir que le Cameroun est traditionnellement qualifié d’exception interne en raison de sa résistance aux conflits externes. Mais depuis l’incursion de BOKO HARAM en provenance du Nigeria en 2012, les contrecoups des tensions politiques et sociales qui secouent la République centrafricaine ainsi que la crise du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun ont fait rapidement changer la situation. Pour l’heure, il est important de faire une distinction entre le peuple et les terroristes. D’une part, il y avait une partie de la diaspora provenant des régions concernées qui était porteuse de revendications. D’autre part, il y a les milices armées qui revendiquent une sécession du pays et qui

le manifestent à travers des enlèvements, assassinats, tueries de masse. Aujourd’hui, ces groupes armés se retrouvent fragmentés à cause des rivalités internes, du manque de cohésion, etc.

  Depuis 2016, la crise anglophone a fait couler beaucoup d’encre dans la presse internationale. En outre, elle a fait l’objet d’une interpellation de la part du gouvernement américain et du Conseil de sécurité de l’ONU. Dans ce contexte, s’agit-il d’un conflit d’ordre national ou international ? La crise dont nous parlons est une crise interne. Certes, il ne faut pas négliger les facteurs d’extranéité, que l’on retrouve dans l’action de certaines personnes malintentionnées, établies à l’extérieur du pays et en Occident. Ces derniers, comme vous le savez, ont apporté un soutien actif, tant matériel, humain que financier, à l’action des sécessionnistes terroristes qui ont pris ces populations en otage. Il me plaît toutefois de préciser que le Cameroun se réjouit de la solidarité et la volonté des pays amis comme de certaines organisations internationales de l’aider à faire face à ce conflit.

Cependant, le Cameroun est un État souverain et ne tolère donc aucune ingérence, fut-elle prétendument humanitaire. C’est donc tout naturellement que nous nous offusquons des relents d’interventionnisme qui se vêtent des oripeaux humanitaires pour pousser des agendas contraires aux intérêts de notre pays. >>

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Titus Sadena en compagnie de son excellence Evina Abe 'E Daniel.

  Le gouvernement camerounais a déjà organisé un grand dialogue national, en date du 4 octobre 2019 au palais des Congrès de Yaoundé. Pensezvous qu’une décentralisation du pouvoir soit une réelle piste de solution pour endiguer ce conflit ? Le grand dialogue national fut la concrétisation d’une promesse faite par le président de la République et la preuve que selon lui, la solution à cette crise ne peut se trouver que dans le dialogue. En vérité, aucun évènement politique et social n’aura entraîné dans notre pays, en si peu de temps, une telle prolifération institutionnelle et juridique.

Des réponses graduées ont considérablement enrichi le paysage institutionnel et le cadre législatif de notre pays, qui a été profondément aménagé et modernisé depuis 2016. Durant le grand dialogue, la décentralisation occupait en effet une place importante, avec un statut spécial pour les régions en crise. La loi N°2019/024 du 24 décembre 2019 portant sur le code général des collectivités locales décentralisées confère aux régions du Nord-Ouest et du

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Sud-Est un régime juridique particulier. Un autre aspect du statut spécial des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest réside dans leur dotation d’un Public Independent Conciliator, sorte d’Ombudsman chargé de recevoir les plaintes relatives au fonctionnement des administrations régionales dans leurs relations avec les citoyens et de veiller au respect de la spécificité régionale en matière d’usage de la langue anglaise. Conformément à cette loi, le président de la République a récemment, en date du 10 juin 2021, procédé à la nomination des Public Independent Concilitors dans les deux régions, en les personnes de Monsieur TAMFU Simon FAI, pour le Nord-Ouest et Madame TELEFEN Dorothy ATABONG, épouse MOTAZE, pour le Sud-Ouest.

  À la suite de ce grand dialogue national, quelles sont les pistes de solutions éducatives, sociales et démocratiques qui s’offrent au pays selon vous ? Il serait fastidieux de citer toutes les réponses qui ont été données par le gouvernement aux revendications de


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ces populations. Néanmoins, lors de la 76e session de l’assemblée générale des Nations Unies ce 25 septembre 2021 à New York, le ministre des Relations extérieures de la République du Cameroun a lu un discours dans lequel il aborde les aboutissements du grand dialogue national. Il cite ceci : « Nous poursuivons nos efforts dans nos régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, pour mettre fin aux tensions socio-politiques qui y sont entretenues par des groupes armés. À cet effet, nous avons mis en place un important dispositif comprenant : u n programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR),  un plan d’assistance humanitaire,  un plan de reconstruction de ces régions, u ne commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme, u n statut spécial qui octroie aux deux régions en question une assemblée régionale,  un « House of Chiefs »,  un exécutif régional,  et un « Public Independent Conciliator ». Pour ma part, je peux vous dire qu’en termes d’éducation et de social, la création de la National School of Local Administration en 2020 est l’un des marqueurs de la prise en considération des revendications qui émanent du grand dialogue. Je voudrais revenir sur la loi de 2019 portant promotion des langues officielles au Cameroun. Contrairement au bilinguisme à base territoriale qui est l’option couramment choisie, notamment au Canada et en Belgique, le Cameroun a opté pour le bilinguisme intégral ou individuel. C’est-à-dire que les langues ne sont pas confinées dans des territoires précis. Le français et l’anglais sont les langues officielles sur l’ensemble du territoire national. Il n’y a donc pas de frontière linguistique. La loi établit un équilibre entre la liberté d’usage de sa langue et de celle de prédilection par l’agent de l’État d’une part, et le droit d’exiger d’être servi dans la langue de son choix par l’usager. Pour preuve, depuis plus de 20 ans nous avons un ministre anglophone et francophone afin de tenir compte des prédominances linguistiques de chaque région. Parmi les 33 ambassades du Cameroun dans le monde, je pense que 8 ambassadeurs sont des anglophones à savoir au Brésil, République Démocratique du

Congo, Angleterre, etc. Parler aujourd’hui d’un conflit linguistique est finalement une erreur et le produit de la désinformation des médias. Au sujet de la démocratie, la main du gouvernement reste tendue à ces fils et filles qui ont pris la voie des armes. La commission nationale est chargée de les désarmer et de les réintégrer à pied d’œuvre. On a vu que ceux qui se sont volontairement démobilisés ont bénéficié d’un heureux accompagnement. Des libérations de prisonniers ont même eu lieu. En outre, le plan humanitaire d’urgence continue d’offrir aux déplacés internes et aux personnes affectées par cette crise, toute l’assistance dont elles ont besoin, où qu’elles se trouvent. Il faut bien le dire, le Gouvernement œuvre pour une solution politique à la crise, tout en garantissant aux populations vivantes dans ces régions la paix, la sécurité et la sérénité auxquelles elles aspirent. Pour terminer, je tiens à relever que les premières élections régionales de l’Histoire de notre pays se sont tenues le 6 décembre 2020 sur tout le territoire national. Il est évident que les choses évoluent et s’améliorent, mais chaque peuple avance en fonction de son rythme et de sa propre histoire. 

Je tiens à remercier, son Excellence l’Ambassadeur EVINA ABE’E ainsi que son Conseiller politique et la Chargée de Communication de l’Ambassade pour l’interview qu’ils m’ont accordée. À titre personnel, l’Histoire des peuples me démontre que les chemins qui mènent à la paix et la liberté peuvent amener les pays dans de nombreuses directions. Pour l’heure, je pense que le Cameroun se trouve à un carrefour. Je conclus en rappelant que la liberté n’est pas une chose acquise naturellement, mais qu’elle est le produit de nombreux combats. Il est donc impératif de lutter en permanence pour celle-ci, car même une fois acquise elle n’est pas immuable. Et comme le dirait Henri Jeanson : « Nous n’avons qu’une liberté : la liberté de nous battre pour conquérir la liberté ».

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AFGHANISTAN AFGHANISTAN FIN DU CONFLIT AFGHAN OU COMMENT CONDITIONNER LA PAIX À LA MISE À MORT DES DROITS ET LIBERTÉS PAR MIKAËL HOSSEINI

Après vingt années d’occupation américaine, les Talibans, organisation ultra-fondamentaliste sunnite, politico-militaire, religieuse et mafieuse, sont de retour à Kaboul. À l’heure où vous lisez ces lignes et pour de très nombreuses années encore, il serait saugrenu de mentionner le mot liberté lorsque l’on parle de ce pays multi-ethnique d’Asie centrale, composé de peuples divers au mode de vie archaïque, au fonctionnement tribal et au destin tragique, que constitue l’Afghanistan. Si avant la reprise du pouvoir par les Talibans, l’Afghanistan était le plus mauvais élève en matière d’égalité hommes-femmes dans le monde, qu’en sera-t-il dorénavant, maintenant que ces alliés d’Al Qaida ont reconquis tout le pays ? Partout dans le monde, on a osé croire à leurs promesses d’inclusion et de modération. Mais alors que les femmes afghanes témoignaient de leur peur de revivre sous l’autorité des islamistes, l’annonce du nouveau gouvernement taliban a fait l’effet d’une douche froide chez tous les amoureux de la liberté. Nous nous plongerons dans l’histoire de ce pays à la géographie accidentée, afin de comprendre pour quelles raisons les Talibans n’auront en rien changé leurs idéologies. Pire encore, ils sont devenus plus malins, plus pragmatiques, mais surtout plus déterminés que jamais à détruire sur leur chemin toute idée relative aux valeurs universelles des droits humains, aux libertés fondamentales et bien sûr à la démocratie et à l’état de droit.

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Un peu d’histoire…

C’est au début du 20e siècle que les notions de droits humains et de libertés fondamentales sont pour la première fois mentionnées dans l’histoire moderne du pays. En effet, un vaste programme de réformes est adopté en 1919 et va apporter des avancées considérables en la matière. La condition de la femme afghane est améliorée mais cela engendrera une vague de mécontentement chez une population beaucoup trop conservatrice. En 1929, le régime du roi est renversé et un régime religieux autocratique prendra place. Celui-ci supprimera toutes les avancées menées dix ans auparavant, de sorte que même plusieurs mois plus tard, lors du retour de la monarchie, les réformes sociétales resteront proscrites. Sous le régime de Zaher Shah (1933-1973), les droits de l’Homme sont généralement respectés, sauf pour les femmes afghanes. En 1965, la Loi sur la presse est décrétée, elle octroiera à cette dernière une liberté considérable, mais le roi ne s’empêchera pas de fermer les médias dissidents. La chute de la monarchie en 1973 laisse place à la république qui permettra la création de RAWA (l’Association Révolutionnaire des femmes en Afghanistan), une organisation phare dans la lutte pour les droits de celles-ci. En 1978, avec l’avènement des Communistes au pouvoir, une série de réformes collectivistes et sociales est mise en place. On instaure l’obligation pour les filles d’aller à l’école. Cependant, le régime communiste est brutal. Il réprime toute opposition sans concession. Des milliers d’opposants sont emprisonnés, parfois enlevés et même exécutés. Le régime pro-soviétique s’assagit avec le temps et en 1987, l’Afghanistan ratifie la Convention de l’ONU contre la torture, malgré le fait que persistent des violations des droits de l’Homme. Le président Najibullah tentera de réformer la liberté d’expression, mais en vain. De plus, de nombreux crimes contre l’humanité sont commis dans les années 90 par divers groupes armés. L’année 1992 signe la chute du régime communiste. Plusieurs groupes islamistes s’emparent du pouvoir et la charia est réinstaurée. Les droits des femmes se dégradent et les libertés fondamentales se restreignent. Cependant, les groupes islamistes n’arrivant pas à s’accorder sur la répartition du pouvoir, une nouvelle guerre civile débute cette même année. En 1996, le groupe le plus extrémiste gagne la guerre. Il s’agit des Talibans. Ceux-ci mettront en place un régime théocratique totalitariste avec la suppression des droits des femmes qui ne peuvent désormais ni étudier, ni travailler ; l’instauration d’une police religieuse chargée des châtiments corporels et exécutions sur la place publique ; l’interdiction pour l’aide internationale de pénétrer le pays.

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Après l’invasion américaine de 2001 qui chassera les Talibans du pouvoir, on assiste à un progrès en matière des droits des femmes (reprise de l’éducation et du travail) mais qui ne sera effectif que dans les grandes villes contrôlées par les forces de la coalition internationale. L’assassinat de militantes féministes restent aussi monnaie courante. Sous l’égide de la communauté internationale, est proclamée en 2004 la République islamique d’Afghanistan. Et pourtant, les violations aux droits humains restent quotidiennes. Les organisations onusiennes pointeront plusieurs constats alarmants, notamment l’absence d’un système judiciaire efficace. Bien que le droit à un procès équitable soit inscrit dans la nouvelle constitution, les principes de l’état de droit sont fréquemment violés, et ce, pour plusieurs raisons : manque de personnel professionnel et bien formé, manque de ressources matérielles, corruption systématique et ingérence illégales des politiciens et des seigneurs de guerre. En ce qui concerne la liberté religieuse, les résultats ne sont guère plus positifs. Les minorités religieuses sont rares et en voie de disparition et la constitution consacre toujours le crime d’apostasie dont la sentence n’est autre que la peine de mort.

De nos jours

Depuis la reprise de Kaboul par les Talibans en aout dernier, ceux-ci ne cessent de démanteler de manière systématique tous les droits humains acquis ces vingt dernières années. Les nouveaux maitres d’Afghanistan procèdent à des homicides ciblés de civils et de soldats qui se sont rendus. Dans certaines régions, internet est coupé pour éviter la circulation d’informations crédibles. Les journalistes et militants droits-de-l’hommistes sont désormais considérés comme les ennemis de l’intérieur : ils sont intimidés, menacés de mort, torturés, leurs domiciles sont perquisitionnés. Au début du mois de septembre, le ministre taliban de l’Intérieur décrète l’interdiction de tout rassemblement jusqu’à ce qu’une nouvelle législation chariatique en matière du droit de manifestation entre en vigueur. D’ici là, toutes les manifestations en faveur des droits humains seront violemment réprimées. Tout comme vingt ans auparavant, on assiste aussi à des scènes horrifiantes  : les Talibans égorgent et pendent leurs opposants sur la place publique pour dissuader la population de leur désobéir. Les personnes les plus vulnérables sont évidemment… les femmes. Non seulement elles sont désormais obligées de porter le voile islamique, voire la burka dans les régions les plus conservatrices, mais surtout elles disparaissent aussi peu à peu de l’espace public. Exclues du gouvernement transitoire, le ministère aux Affaires féminines est remplacé par le nouveau ministère de la Promotion de la Vertu et de la Prévention du Vice. De plus, et à l’instar de la première période où les islamistes radicaux régnaient,


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les femmes afghanes ne peuvent ni se rendre au travail, ni aller à l’université, « le temps qu’une bonne atmosphère islamique soit créée ». Seules les filles peuvent (pour le moment) continuer leur scolarité jusqu’à la 6e primaire. Enfin, l’émirat a récemment décrété l’obligation pour les jeunes femmes de se marier avec des Talibans, autrement elles seront réduites en esclaves sexuelles. Malgré ce déferlement de violations aux principes fondamentaux des droits humains, on assiste parallèlement à une vague de solidarité sur les réseaux sociaux. Des Afghanes expriment leur mécontentement à l’égard des nouveaux codes vestimentaires à travers l’Hashtag #DoNotTouchMyClothes en postant des photos en habits traditionnels afin de montrer « le vrai visage de l’Afghanistan », tandis que des jeunes garçons postent des photos avec une pancarte sur laquelle est écrite la phrase « We will not go to school without our sisters ». La guerre de communication ne fait que commencer…

Perspectives et expectatives

Bien que les rues de Kaboul semblent calmes, une chose des plus sûres, c’est que les Talibans n’ont guère changé leur vraie nature. Et même si cela fait vingt ans qu’ils n’ont eu cesse de démanteler les droits humains pour instaurer leur dictature de la conscience, dans ce pays où l’économie est au bord du gouffre et où la famine menace un tiers de la population, tout le monde veut savoir si la communauté internationale va reconnaitre le nouveau régime taliban. Un nouveau bras de fer se joue actuellement entre l’aide humanitaire et les droits de l’Homme. L’ONU, quant à elle, est prise dans un dilemme très délicat concernant sa mission d’assistance en Afghanistan : soit la continuer au risque de cautionner de facto la politique talibane ; soit de ne pas la renouveler au prix d’abandonner les Afghans (et surtout les Afghanes) à leur sort. Quoi qu’il en soit, le Secrétaire Général Antonio Gutteres estime que l’aide onusienne est essentielle pour le peuple d’Afghanistan, et que sa mise en œuvre requiert de dialoguer avec les islamistes. Mais ce qui est sûr, c’est que cette aide sert surtout de moyen de pression sur l’émirat islamique. Le principe est simple : si les droits fondamentaux des femmes afghanes sont bafoués, alors la communauté internationale ne reconnaitra jamais le régime taliban. Ce qui suspendrait définitivement l’aide économique et mettrait les Talibans dans une fâcheuse position par rapport à leur population. Car il est une chose d’emporter une guerre sur le terrain, mais il en est une autre que de la gagner sur le plan économique. Raison pour laquelle les nouveaux maitres incontestés de Kaboul évitent de dévoiler quoi que ce soit sur leurs plans d’avenir. Sommes-nous donc dans une impasse ? Rien n’est moins certain. Seul l’avenir nous le dira… 

LE PRINCIPE EST SIMPLE : SI LES DROITS FONDAMENTAUX DES FEMMES AFGHANES SONT BAFOUÉS, ALORS LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE NE RECONNAITRA JAMAIS LE RÉGIME TALIBAN. 27


{ DOSSIER GÉOPOLITIQUE DE LA LIBERTÉ }

D’AUTRES FENÊTRES… PAR CONSTANTIN DECHAMPS

Les thématiques touchant à ce que nous appelons « la géopolitique de la liberté » sont diverses et variées. Voici une série de fenêtres ouvertes sur des questions poussant à la réflexion.

Question 1 Les régimes permettant l'exercice de la liberté des citoyens sont-ils faits pour tout le monde ?

Question 2 La démocratie, en tant que garante des droits et libertés, est-elle le meilleur des régimes ?

Question 3 L’aide humanitaire est-elle une forme d’ingérence ?

Question 4 Devons-nous nous interdire d’intervenir dans un État qui ne respectent pas les droits et libertés les plus élémentaires de ses citoyens ?

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{ DOSSIER GÉOPOLITIQUE DE LA LIBERTÉ }

Question 5 Le principe juridique de nonintervention est-il un mal nécessaire ?

Question 6 Quelles seraient les contraintes les plus efficaces pour qu’un État respecte les droits et libertés de ses citoyens ?

Question 7 La démocratie et les libertés publiques s’imposent-elles ou au contraire s’apprennent-elles ?

Question 8 Faut-il continuer à verser des aides internationales à un régime liberticide ?

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{ COVID JEUNESSE }

LUMIÈRE SUR LES IDÉES NOIRES

LES CONSÉQUENCES PSYCHOLOGIQUES DU COVID-19 SUR LES JEUNES PAR MARGAUX DUSSART

En ce début de rentrée scolaire 2021, les auditoires rouvrent leurs portes, les bars sont désormais accessibles et les étudiants ont à nouveau l’occasion de prendre une bouffée d’oxygène. Cependant, nous ne pouvons plus négliger l’impact psychologique lié aux restrictions engendrées par la pandémie mondiale.

L’euphorie d’un retour à la vie sociale mise de côté, prenons ensemble le temps d’analyser les conséquences à court et à long terme de ce que nous avons vécu et qui n’est pas totalement terminé. Il va de soi que chaque personne a perçu les évènements différemment mais qu’énormément de jeunes ont mal vécu cette situation qui pourrait laisser des traces sur notre génération. « Du point de vue de la santé mentale, les jeunes sont la tranche d’âge la plus touchée par la crise sanitaire, la santé mentale des personnes plus âgées dépend énormément du contexte, chez les jeunes la situation est très différente, on a l’impression qu’il y a un effet général qui touche l’ensemble des jeunes » explique pour le journal l’Echo du 10 avril Olivier Luminet, professeur de psychologie de la santé à l’UCLouvain et membre du groupe d’experts « Psychologie et Corona ». Ce groupe d’experts a mené une enquête parmi les étudiants du supérieur : le 5 mars 2020, 35% d’entre eux souffraient de dépression, un an plus tard ce chiffre était de 55%. Notons que les statistiques étaient similaires

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pour les troubles anxieux, ce qui signifie que plus de la moitié des étudiants du supérieur étaient en souffrance psychologique. Parmi eux, 20% souffraient uniquement depuis la crise du Covid-19 et n’étaient pas au préalable déjà affaiblis psychologiquement. Plus concrètement, nous savons que les jeunes ont souffert et qu’ils subissent peut-être encore des séquelles de cette situation mais à quel moment celle-ci est-elle devenue si problématique ? Au début de la première vague, beaucoup de personnes ont attendu avant de consulter un médecin. Confrontés aux annonces de report de ce qui était non-urgent, confrontés au quasi-monopole de la santé physique et au fait que la santé mentale est parfois encore taboue, la situation s’est dégradée. Pendant ce temps-là, le deuxième confinement est arrivé et en a mis un coup au moral de pas mal de monde. Ce qui était alertant, c’est que nous avons pu constater une hausse de 80 % chez les moins de 15 ans d’un


{ COVID JEUNESSE }

passage aux urgences pour raisons psychiatriques suivi d’une hospitalisation. En évoquant les jeunes, les médias parlaient désormais d’état dépressif, de troubles anxieux mais également d’idées suicidaires et de pathologies psychiatriques relevant de soins. Par après, il y a eu une conscience collective de l’importance de la santé mentale, des messages concernant la détresse psychologique ont été diffusés à la télé ou sur internet, sachant que sur les réseaux sociaux, beaucoup de jeunes n’osaient pas témoigner. Mais quelles sont les raisons de ce mal-être, lié à la crise sanitaire, chez les jeunes ?

Les facteurs biologiques

À l’âge de l’adolescence et lors du passage à l’âge adulte, les jeunes ont besoin de se construire, le fait de ne plus avoir de liens humains pourraient métaphoriquement se rapporter à un château de cartes qui s’effondre engendrant une perte de repères auparavant construits grâce aux liens sociaux.

La société du devoir

Appuyant d’autant plus cette perte de repères chez les jeunes, un paradoxe s’est formé entre le renforcement des mesures et l’abaissement des droits fondamentaux ; nous avons pu constater une sensation générale de chaos dans la société. La violation de certains droits a également eu un impact psychologique important chez certaines personnes

opposées à celles qui acceptaient cette dérogation. Cette situation nous redirigeait paradoxalement tous dans une société du devoir et non plus de droit.

Le manque de recul

Nous le savons, il faut prendre du recul sur un évènement pour pouvoir l’analyser avec un regard plus rationnel et voir les potentiels effets de celui-ci. Aujourd’hui, nous ne sommes pas encore extérieurs à la situation, nous sommes encore dans l’émotion ; et cela est d’autant plus vrai pour les jeunes. Nous l’avons vu, certaines décisions gouvernementales ont eu un impact psychologique plus important sur les jeunes que sur le reste de la société. Cependant, nous pouvons ouvrir le débat sur les potentielles conséquences à long terme des effets psychologiques de la pandémie sur la « génération Covid-19 », notamment sur des faits purement sociétaux comme une recrudescence de comportements violents dû au sentiment d’injustice perçu durant la crise, ou comme une perte de cohésion de la société. La libération de la parole concernant la santé mentale chez les jeunes s’est propagée petit à petit depuis le début de la pandémie et il est nécessaire que cela continue. Ne négligeons plus la santé mentale des jeunes, ouvrons le débat, questionnons-nous sur l’avenir des jeunes à court et à long terme afin de ne pas engendrer une génération psychologiquement malade. Car encourager la jeunesse, c’est bâtir la société de demain. 

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{ OCCIDENT LIBERTÉS }

SOMMES-NOUS ENCORE RÉELLEMENT

LIBRES EN OCCIDENT ? PAR DYLAN N’KITA ET MARIE VAN OVERMEERE

Nous avons pour objectif, tout au long de cette année, de rédiger quatre articles qui seront publiés au fur et à mesure dans le Blue Line. Ces différents articles traiteront d’un seul et même sujet : l’évolution de nos libertés individuelles en Occident. Dans cette série de quatre épisodes, nous commencerons par une contextualisation générale de la liberté en Occident. Le deuxième épisode se consacrera à une approche historique reprenant l’évolution au fil du temps de nos libertés individuelles. Le troisième épisode exposera les ravages de l’omniprésence des nouvelles idéologies et en particulier du wokisme. Le dernier épisode présentera des solutions et des réponses concrètes face au déclin actuel de nos libertés.

Épisode 1er :

LA LIBERTÉ EN OCCIDENT, PAS ESSENTIEL ? Liberté, un mot qui est au cœur de l’actualité. À l’heure où la crise sanitaire redéfinit un concept ancré dans notre civilisation occidentale, par des mesures perçues comme liberticides, nous avons pris l’initiative d’analyser l’évolution paradoxale de nos chères libertés. En effet, c’est lorsqu’on nous en prive, qu’on réalise à quel point elles sont primordiales et fragiles à la fois. Nous l’avons constaté à la suite des indignations générales des populations occidentales face aux mesures restrictives telles que les confinements, les couvre-feux, la privatisation de la libre circulation des individus, le pass sanitaire… C’est une remise en cause profonde de notre modèle de société où la liberté devient l’exception et cède sa place à la restriction généralisée, laquelle se voit justifiée par la recherche de sécurité et le principe de précaution.

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{ OCCIDENT LIBERTÉS }

Nous pouvons également faire un parallèle avec une autre crise actuelle : la lutte contre le réchauffement climatique. Pour de nombreux détracteurs du libéralisme, la promotion des libertés individuelles dans son versant économique est incompatible avec le combat environnemental. Pour eux, ce combat justifie l’intervention d’un État fort limitant les libertés économiques des individus au nom d’un bien commun : la préservation de notre planète et de ses ressources. Cette écologie punitive est une réelle menace pour l’ensemble de nos libertés individuelles puisque le libéralisme économique n’est rien d’autre que l’application du libéralisme philosophique et politique aux actes économiques de la vie quotidienne. En outre, les hommes de l’État ne sont ni meilleurs, ni plus compétents, ni mieux informés que les autres et n’ont aucune qualité pour imposer à l’ensemble de la société leurs préférences personnelles et idéologiques dans les choix économiques (mais aussi politiques, culturels et sociaux) des individus.

sexisme... donnant plus d’importance aux libertés positives.

Avant de passer dans le vif du sujet, nous allons tenter de définir ce concept de liberté. Pour les libéraux classiques, la liberté est définie de manière négative. Pour ces derniers, la liberté est l’absence d’entraves extérieures dans les choix de chacun. C’est ainsi que les grands penseurs politiques anglais tels que Thomas Hobbes, John Locke et Adam Smith entendaient ce concept. A contrario, une approche positive de la liberté, précisée par les sociaux-libéraux comme John Stuart Mill, est également pertinente. Celle-ci résulte du désir de l’individu d’être son propre maître. En d’autres termes, elle est la possibilité pour un individu de faire quelque chose, d’agir pour réaliser son potentiel personnel. Elle est donc également synonyme d’autonomie et d’indépendance.

Les exemples ne manquent pas pour démontrer ces restrictions de liberté. Nous le remarquons rapidement avec l’engrenage des polémiques sur les réseaux sociaux. De fait, une partie de notre histoire semble ne plus plaire à certains groupes sociaux qui décident qu’il serait mieux de la censurer. On peut citer le déboulonnage des statues de personnages historiques tels que Christophe Colomb, Léopold II, Napoléon... n’étant plus perçus comme des bâtisseurs ou des explorateurs amenant de la richesse en Occident mais comme des colonisateurs, des tyrans racistes blâmés pour la traite des esclaves. Malheureusement, notre patrimoine historique n’est pas le seul à être touché, mais nous développerons ce sujet dans un autre article (cf. Épisode 3 : Les ravages de l’omniprésence des nouvelles idéologies).

Cela veut-il dire que la liberté est sans limite ? Que nous pouvons faire tout ce que nous voulons, quand nous le voulons, sans nous soucier de l’impact de nos faits, nos gestes et nos paroles sur autrui ? Face à ces enjeux, nous nous rendons très vite compte qu’il faut poser des limites pour se sentir libre. Sans limite ce serait l’anomie, la loi du plus fort. Mais quelles sont ces limites ? Comment sont-elles imposées ? L’État doit-il avoir le monopole légitime pour instaurer ces limites ? N’y a-t-il pas des risques de dérive lorsqu’il s’agit de dicter celles-ci ? C’est à ces questions existentielles que nous allons tenter de répondre. Ainsi, nous avons constaté que la liberté est une notion polysémique puisqu’il existe un pan positif et un autre négatif à sa définition. Dans l’approche positive, l’évolution montre de belles avancées dans certains domaines. Notamment dans le droit européen communautaire avec la consécration de la liberté de circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux ou le droit de vote pour les Européens résidant dans un autre État membre ou encore la reconnaissance des zones de libertés pour les homosexuels... Et aussi au niveau des mœurs avec l’acceptation de l’adoption homoparentale, de l’avortement ou encore la diminution du racisme, du

Cependant, un malaise est constaté auprès d’une partie de la population ayant le sentiment que les libertés individuelles (particulièrement dans leur aspect négatif) sont en recul depuis plusieurs décennies dans le monde occidental. Le contraste est frappant lorsqu’on compare les années 70-80, où l’absence de limites menait à l’excès (drogues, sexe...), à la situation actuelle, où les contraintes se multiplient dans les lois comme dans les mœurs. En 50 ans, une série de lois comme l’interdiction de fumer dans l’espace publique ont été légiférées et sont venues interdire ou restreindre des comportements individuels au nom d’un projet collectiviste (la santé publique, la planète, l’ordre public...). On remarque également une évolution évidente dans les mœurs guidée par le désir de vouloir rendre la société la plus inclusive et la plus égalitaire possible en négligeant le patrimoine culturel et les libertés de penser et d’expression d’autrui.

Nous pouvons déjà affirmer que les évolutions de nos libertés individuelles, en Occident, depuis le siècle des Lumières sont paradoxales. D’une part, nous remarquons une amélioration des libertés dans son versant positif (idée d’épanouissement personnel) mais d’autre part, nous constatons une détérioration des libertés individuelles dans son versant négatif (idée d’absence de contrainte). Tant le sujet est vaste que nous allons prendre plusieurs épisodes pour développer notre thèse et répondre à notre problématique. Il nous semble évident que cette remise en cause de nos libertés et de notre modèle de société nous questionne quant à notre avenir : ces atteintes aux libertés ne sontelles pas disproportionnées par rapport aux différents objectifs poursuivis tels que la lutte contre le réchauffement climatique ou la lutte contre la crise sanitaire  ? Cette détérioration n’entraînera-t-elle pas une remise en question de nos valeurs occidentales qui sont fondamentales  ? N’existent-ils pas des solutions plus libérales pour atteindre ces différents objectifs ? Si elles existent, pourquoi ne pas les mettre en œuvre ? 

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{ CARTE BLANCHE }

LA CARTE BLANCHE

COMMENT SUSCITER L’INTÉRÊT DE LA POLITIQUE

CHEZ LES JEUNES ? PAR ROMAIN BEAUMONT

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{ CARTE BLANCHE }

Chers lecteurs, chères lectrices. Je suis parti d’un constat bien connu qui a une nouvelle fois été confirmé lors des élections régionales en France cette année : les jeunes sont beaucoup plus abstentionnistes lors des élections que les autres tranches d’âges ; un constat que l’on peut aussi bien appliquer à la France qu’à la Belgique. Ajoutés à cela, la montée des extrêmes fait rage et la désinformation touche de plus en plus de personnes. Mais comment cela se fait-il ? Comment peut-on y remédier et redonner aux jeunes le goût de la politique en ces moments de crises autant climatique et environnementale que sanitaire voire démocratique ? C’est ce que je vais essayer de décortiquer dans cet article.

Une des possibilités pour rendre concrète l’action politique et la susciter auprès des jeunes est tout simplement de correctement les informer. Cela peut passer par les réseaux sociaux où les jeunes sont les plus actifs ; d’ailleurs, cette phase a déjà été amorcée par les hommes et femmes politiques grâce à la création et l’entretien de leurs profils, que ce soit sur Instagram, Tik-Tok ou encore YouTube. Nous pouvons, par exemple, citer Elio Di Rupo sur Tik-Tok, Georges-Louis Bouchez sur Instagram, la plateforme DreaMR sur YouTube, et même Emmanuel Macron sur tous ces réseaux à la fois – en ce compris YouTube où il a tenté de (et réussi à) toucher les jeunes en collaborant avec des Youtubeurs connus : McFly et Carlito. Cependant, ces personnalités attirent généralement plus par l’émotion que par un réel partage d’informations. Un manque de contenu est donc à déplorer, davantage sur Tik-Tok que sur Instagram. Nous pouvons ajouter que même dans le cas où ces personnalités entretiennent l’information politique, celle-ci est généralement noyée dans un flot continu d’informations mais également, et fort malheureusement, de désinformations. Pour susciter l’action politique chez les jeunes, d’autres initiatives ont également été entreprises. Nous pouvons citer l’asbl « Parlement Jeunesse » dont le travail est de familiariser les jeunes à la politique. Pour ce faire, elle les invite à participer à une simulation parlementaire et à se glisser dans la peau d’un député de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) pendant 7 jours. S’ajoutant à cette association, une myriade d’autres existent et sont subsidiées par la FWB afin de former des «  CRACS  », c’est-à-dire des Citoyens Responsables, Actifs, Critiques et Solidaires. Parmi celles-ci, nous pouvons mentionner, entre autres, les organisations de jeunesse telles que le Forum des Jeunes ou encore celle d’où provient ce magazine, la FEL (Fédération des Étudiants Libéraux). Néanmoins, ces initiatives touchent essentiellement un public déjà averti et les jeunes qui n’ont pas préalablement été sensibilisés à la politique ne s’orientent à priori pas vers ces associations. Une autre façon d'interpeller les jeunes est le renforcement

des débats, appelés « débats apprentis-citoyens », au sein des écoles. Ceux-ci permettent aux élèves de 5e et 6e secondaire de rencontrer des jeunes engagés au sein de jeunesses politiques. À ma connaissance - et je le regrette -, aucune référence à ce dispositif n'est visible dans les programmes des cours du troisième degré de l'enseignement secondaire ; du moins de l'enseignement catholique. Dans ces programmes, notamment celui du cours de français, seule la référence à l’émancipation de l’élève en tant que citoyen critique est mentionnée : « Le cours de français poursuit une visée d’intégration (…) et d’émancipation (formation d’apprenants réflexifs, d’acteurs culturels, de citoyens critiques et engagés) ». Néanmoins rien n’est dit sur la manière concrète d’y arriver… En effet, on y présente les « trois dimensions d’un jeune adulte », ce qu’est un citoyen adulte responsable et critique et la raison pour laquelle on demande d’élever les jeunes à ce stade. On y affirme qu’il faut apprendre à l’élève à bien sélectionner les informations et à bien défendre ses idées ; pourtant rien n’est mis en contexte, rien n’est expliqué dans la pratique. Même dans le cours le plus pertinent pour parler de politique, à savoir le cours de géographie (abordant un peu de géopolitique), rien n’est explicitement inscrit dans le programme dans l’enseignement libre subventionné concernant cette thématique. Cependant, au sein des compétences et savoirs requis pour le cours de géographie que la FWB demande pour l’enseignement secondaire ordinaire, on y retrouve les structures géopolitiques comme l’État, la nation, les communes, les régions et les organisations internationales. Si c’est un début, il est clair que ce n’est qu’un aperçu simpliste de la réalité des institutions. Force est donc de constater que, malheureusement, pour une grande majorité de jeunes, les différentes initiatives n’ont pas (assez) d’effets, probablement parce que ces dernières ne les touchent pas tous, pas de manière assez directe et concrète, et parce que ces jeunes n’y trouvent pas suffisamment d’intérêt. Ces solutions déjà engagées, mais insuffisantes, quelles autres idées pourraient être mises en place pour sensibiliser

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{ CARTE BLANCHE }

davantage encore les jeunes à la politique nationale et internationale ? Un projet viable serait une réforme de l’éducation exigeant qu’un cours de « politique » soit donné. Les élèves, tous les élèves – quel que soit le milieu social dont ils sont issus –pourraient dès lors trouver du réel intérêt à découvrir la politique belge afin de réussir ce cours et ainsi obtenir leur diplôme. Toutefois, l’instauration d’un cours de « politique » en classe n’est pas sans risque. Des dérapages pourraient être contre-productifs ! En effet, comment être sûr que ce genre de cours ne se transformerait pas en propagande d’un parti politique ? Comment essayer de présenter l’information et le panorama politique belge sans jugement de valeur ? Une solution serait de présenter un contenu plus descriptif qui introduirait la politique de manière précise et complète en intitulant ce cours : « Institutions Politiques Belges » (IPB). Actuellement, un tel cours existe déjà, il s’agit d’un cours universitaire de BAC 1 en Sciences Politiques aux Facultés Saint-Louis, mais le transférer en Humanités me paraît une nécessité. Pour les détracteurs qui penseraient qu’un cours universitaire en secondaire serait trop compliqué pour les élèves, je répondrais que ce cours de 4 mois à l’université pourrait être transposé sur 2 années en secondaire afin que les élèves aient le temps de bien l’assimiler. Celui-ci pourrait être donné en remplacement d’un cours, en continuité d’un autre ou être ajouté dans l’horaire de l’élève futur votant. Vous pourriez me demander pourquoi assommer les élèves avec toujours davantage de matières ? Pour des raisons déontologique, logique, politique et de respect du droit mais aussi des devoirs des citoyens. En effet, le droit de vote est accordé à 18 ans. Et c’est à ce même âge, au sortir de leur rhéto, que les jeunes élèves sont censés terminer leurs études secondaires et obtenir leur Certificat d’Enseignement Secondaire Supérieur (CESS). Couplé à cela, 18 ans est l’âge auquel les mineurs deviennent, aux yeux de la loi, majeurs. Ils deviennent dès lors responsables et possèdent davantage de droits, également, et fort malheureusement on l’oublie souvent, des devoirs. Parmi ces droits, nous pouvons mentionner le droit de vote (je le rappelle, obligatoire en Belgique), et parmi ces devoirs nous pouvons citer le devoir de s’informer sur les nouvelles lois qui voient le jour. De nouvelles lois proposées et votées par les élus que les citoyens élisent. Il me paraît donc logique qu’à leurs 18 ans, à l’heure d’aller voter, les élèves connaissent déjà leurs droits et devoirs en tant que citoyens ainsi que le paysage politique belge. Pourtant, aujourd’hui, à l’école, rien n’est enseigné sur ces questions et thématiques… Cela ne signifie pas que tous les jeunes ne connaissent rien à la politique, cela ne signifie pas non plus que ces nouveaux votants le font au hasard, mais du moins, cela signifie qu’ils ne sont sans doute pas aussi bien préparés que si un cours de présentation à la politique

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LES JEUNES SUBISSENT LES DISCOURS SIMPLISTES DES EXTRÉMISTES ALORS QUE LEUR ESPRIT CRITIQUE N’EST PARFOIS PAS SUFFISAMMENT FORMÉ. ILS SONT ALORS FACILEMENT MANIPULABLES. belge leur était donné ; surtout à l’ère où l’information provient en grande majorité des réseaux sociaux, les mêmes qui sont nourris abondamment par les extrêmes politiques. Ne croyez pas que je suis en train de rabaisser les jeunes, de mettre en avant leur mentalité immature ou que je ne les pense pas capables de s’informer par eux-mêmes. Ce que je veux souligner, c’est que la maturité ne vient pas du jour au lendemain, elle ne s’acquière pas d’un coup parce que l’on vient de fêter ses 18 ans. Et je pense que l’école a un sérieux rôle à jouer dans la formation politique de ses élèves. Mais le constat que la politique n’a finalement que peu de place dans la scolarité d’un jeune n’est pas l’unique responsable de son manque d’intérêt pour cet aspect de la société. Le manque de conscientisation effectué par les élus sur les jeunes futurs votants dans notre pays démocratique qu’est la Belgique pose également question. En effet, les jeunes subissent les discours simplistes des extrémistes alors que leur esprit critique n’est parfois pas suffisamment formé. Ils sont alors facilement manipulables. En témoignent les très jeunes élus que possèdent le Vlaams Belang et leur forte présence dans les mouvements de jeunesse, mais aussi la manière dont le Comac, le mouvement de jeunes du PTBPVDA, sévit et possède de l’influence sur les universités. Cela se démontre aussi par les résultats des votes des partis par tranche d’âge. Selon les sondages de mars 2021, en Wallonie, la tranche d’âge votant le plus pour le PTB sont les jeunes de 18-34 ans pour 24 %, suivi par les 35-54 ans pour 21.3%, et enfin les plus de 55 ans pour 13.8%. En Flandre, c’est exactement le même discours : 10.2% pour les 18-34 ans, 9.7% pour les 35-54 ans, et 6.2% pour les plus de 55 ans. Pour préserver notre démocratie, combattre les extrêmes et leurs discours, lutter contre la désinformation qui est


{ CARTE BLANCHE }

Les élus, en soutenant ce cours d’Institutions Politiques Belges au troisième degré du secondaire, protègent la démocratie, remplissent leur devoir d’information auprès des citoyens, et plus particulièrement auprès des adolescents, et permettent également de responsabiliser les jeunes sur l’importance du vote pour le futur démocratique du pays.

parfois véhiculée, nous nous devons de leur expliquer le fonctionnement de la politique belge et internationale. Même plus que cela, nous nous devons de les éclaircir sur l’ensemble de nos institutions… C’est bien du ressort des partis démocratiques que d’informer les citoyens ; à ce titre, l’élu a la responsabilité d’informer les jeunes pour qu’ils sachent réellement ce pourquoi et ce pour qui ils votent, et éviter par la même occasion les abstentions et les votes sans connaissance de cause. Également, cela permettrait d’un peu limiter l’influence de l’entourage du futur votant. Les élus, en soutenant ce cours d’Institutions Politiques Belges au troisième degré du secondaire, protègent la démocratie, remplissent leur devoir d’information auprès des citoyens, et plus particulièrement auprès des adolescents, et permettent également de responsabiliser les jeunes sur l’importance du vote pour le futur démocratique du pays. Ce cours d’IPB en secondaire pourrait garantir la bonne circulation de

l’information « politique », mais nous pourrions aller encore plus loin… Nous pourrions enrichir celui-ci avec des explications plus concrètes sur les phénomènes et actions politiques sous l’angle du fonctionnement des institutions belges. Ce cours, constamment actualisé, permettrait de croiser théorie et exemples. Ainsi, il deviendrait également un cours d’information sur des sujets aussi vastes que variés, car nous le savons, la politique est toujours un peu présente quelle que soit la thématique abordée. Ce cours permettrait de remédier également à la désinformation possible postées sur les réseaux sociaux. Pour sauvegarder notre démocratie, nous pouvons toutes et tous jouer un rôle. Il faut simplement souffler les bonnes idées à l’oreille des élus. Mais pas n’importe quels élus, car l’enseignement est une compétence communautaire ; nous devons donc nous adresser directement aux députés de la Communauté française - en particulier à la ministre de l’Éducation de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Caroline Désir – afin qu’ils y pensent, qu’ils y réfléchissent et qu’ils analysent

cette proposition. Une proposition qui n’est pas anodine au vu de la montée en Wallonie du PTB au détriment du PS, parti dont est membre Madame Désir. Selon moi, elle a les cartes en main. Sauver son parti, sauver la démocratie, sauver la Wallonie, elle le peut, grâce à une réforme de l’enseignement dont elle a la compétence. Car, informer les élèves sur la politique dans le cadre de leur cursus scolaire semble aujourd’hui être primordial. Vous l’aurez compris, je défends auprès de nos politiques l’instauration de ce cours - à la fois informatif, et à la fois exemplatif - afin qu’au sortir de leurs études secondaires, les jeunes puissent au mieux visualiser les enjeux et le fonctionnement des institutions politiques belges. Car pour nous prévenir d’une désinformation atteignant bientôt son apogée, pour nous prémunir d’une montée toujours grandissante des extrêmes, rien de tel qu’une bonne douche d’éclaircissements sur le fonctionnement de la démocratie. Une démocratie en péril, qui peut se reconstruire par l’information, l’enseignement et l’éducation ! 

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{ DÉRISION }

/ DÉRISION / PAR CORALIE BOTERDAEL

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{ DÉRISION }

Génération décéZèbrée Les gens font tellement de bruit ; s’entendent-ils encore penser ?! Ça crie, ça gronde, ça proteste. Ça s’indigne ! Çà et là, ce sont des attaques incessantes dans les médias, dans les dîners, sur les réseaux sociaux, sur les plateaux tv. Le monde est une arène où l’on s’engueule à mort pour se sentir en vie. Même les klaxons des voitures beuglent à tout-va. Il ne manquerait plus que les plantes vertes se mettent à hurler aussi. On est face à une véritable génération du mécontentement. Chaque mouvement d’orteil est prospecté pour y trouver matière à s’offenser. Les gens rouspètent sur tout et se complaisent à n’être d’accord sur rien ; ils parlent, ils parlent, mais quand est-ce qu’ils agissent ? Partout, ce sont des crises ouvertes à tout bout de champ infertile. C’est fatigant et est-ce utile ? Comme le souligne Laurent de Sutter : « On passe son temps à regarder dans le rétroviseur. L'indignation est ainsi le contraire absolu du pragmatisme ». On a toujours une bonne raison de s’énerver et on le fait de manière théâtrale mais surtout catégorique. Le zèbre a perdu ses rayures. Tout est soit noir soit blanc, il n’y a plus d’entre deux. Les idées ne cohabitent plus, ne s’entremêlent plus. Tout le monde estime avoir raison et plus personne ne veut mettre de l’Évian dans son Merlot ! Les avis sont de plus en plus tranchés, la nuance s’efface. L’info à gogo doit être courte et rapide, l’humour est désormais règlementé par le politiquement correct, les débats pour faire mouche

deviennent des luttes d’opposition. On ne pense plus clairement, on réfléchit selon deux camps. Tu es provaccin ou bien tu es antivax, tu es rouge ou bien tu es bleu. Si tu n'es pas pour, tu es contre, il n'y a plus de milieu. Tu es un allié ou un adversaire, et si tu émets des réserves, des doutes, si tu poses des questions, tu deviens de part et d’autre un ennemi. Pourquoi fautil tout rendre monochrome ? Pourquoi doit-on tout simplifier ? Pourquoi ne pourrait-on pas être un zèbre aux lignes multicolores ou un caméléon en pyjama rayé ? La pensée devient binaire. Pour satisfaire cette génération offusquée et lui permettre de pisser dans un Stradivarius, on divise, on police, on abrège. On axiomatise ! Et quel meilleur moyen pour ligaturer la réflexion que de réduire les richesses de la langue… Si on continue en ce sens, on va devoir radier la plupart des mots du dictionnaire : « Ah, non ! Celui-ci est trop long, on a du mal à le prononcer. Quant à celui-là, il est trop compliqué à écrire, son orthographe est désuète. Et lui, ah ça, c’est le pire d’entre tous, il a un double sens, il est trop difficile à comprendre ! » Et bientôt de rajouter : « Nous avons également décidé de supprimer la 26e lettre de l’alphabet, comprenez bien, 25, c’est un chiffre rond, ce sera aisé à retenir. » Au revoir zèbre, bazar et jacuzzi, ça va faire un buzz auprès de la Génération Z ! À ce rythme, nous aurons sous peu des encyclopédies de 15 pages, illustrations comprises. Le novlangue de George Orwell sonne aux portes de notre société dichotomique. 

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{ BIBLIOGRAPHIE }

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BLUE LINE | Novembre 2021


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CARTE BLANCHE : Comment susciter l’intérêt de la politique chez les jeunes ? PAR ROMAIN BEAUMONT • AUGRY L., « Régionales : 79% des 18-34 ans se sont abstenus au second tour », sur https://www.bfmtv.com/politique/elections/regionales/ regionales-79-des-18-34-ans-se-sont-abstenus-au-second-tour_AN-202106280032.html, consulté le 06/07/2021. • LATRIVE F., « Âge, diplôme, revenus… qui sont les abstentionnistes du second tour des législatives ? », https://www.franceculture.fr/politique/agediplome-revenus-qui-sont-les-abstentionnistes-du-second-tour-des-legislatives, consulté le 04/08/2021. • Institut de Recherches Économiques et Sociales de l’Université Catholique de Louvain, « Faut-il maintenir le vote obligatoire ? », dans Regards Économiques, numéro 11, mai 2003, https://sites.uclouvain.be/econ/Regards/Archives/RE011.pdf, consulté le 04/08/2021. • BIERME M., « Le pedigree douteux des députés VlaamsBelang » sur https://plus.lesoir.be/255076/article/2019-10-21/le-pedigree-douteux-desdeputes-vlaams-belang, consulté le 06/07/2021. • COPPI D., « Le vote des jeunes, tendances verts et rouge-rouge », sur https://plus.lesoir.be/365790/article/2021-04-11/le-vote-des-jeunestendance-verts-et-rouges-rouges, consulté le 06/07/2021.

DÉRISION PAR CORALIE BOTERDAEL • MAHLER T., Entretien avec Laurent de Sutter : « Pourquoi s’indigner à tout-va est totalement contre-productif », lepoint.fr, https://www.lepoint.fr/ societe/pourquoi-s-indigner-a-tout-va-est-totalement-contre-productif-28-08-2019-2332127_23.php?fbclid=IwAR08txV7_Ap8BI4-LT9v47ZH6Hb nU4rn34CrssGJOUsvSwXpI249XMnf2XE, consulté le 15 octobre 2021.

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