AUTOMNE-HIVER 2020-21
JARED LETO ISSN 1777-9375
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The Power of Freedom
POLARIS MARINER M E M O V O X
SOMMAIRE
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ÉDITO
par Giampietro Baudo
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NEWS
LE BEAU TRAVAIL DU STUDIO M/M (PARIS) LA GALERIE GAGOSIAN MET LE BUSTE DES FEMMES À L’HONNEUR THE PLACE TO BE : L’HÔTEL-RESTAURANT LES DEUX GARES SIGNÉ LUKE EDWARD HALL LA COLLAB GAGNANTE LOUIS VUITTON X NBA LIVRE : “ACROSS THE OCEAN” DE JIANI LIU
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MODE
RAFFERTY LAW auteure Cristina Manfredi, photographe Alan Gelati, styliste Chloe Beeney
34
MODE
TONNERRE DE BREST photographe Lorenzo Marcucci, styliste Giulio Martinelli
44
MODE
MANIFESTO photographe Carlos Teixeira, styliste Pablo Patané
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PORTFOLIO
CONVERSATION DE STYLE photographes Hector Tre, Fernando Sippel, Iñigo Awewave, Izack Morales, stylistes Francisco Ugarte, Charlie Ward, Javier de Pardo, Mariana Guerrero Dingler
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MUSIQUE
WOODKID, AUX ÂMES SENSIBLES, auteure Cristina Manfredi
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EXPO
NICK CAVE, LE GÉNIE EN PLEINE LUMIÈRE auteur Baptiste Piégay
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AMBASSADEUR
STAN WAWRINKA, TOUJOURS PLUS HAUT auteure Caroline Baud et Odile Habel
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ADRESSES 6
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OUVERTURE DOSSIER GLOBAL
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RENCONTRE
JARED LETO, ENTRE ABÎMES ET CIMES par Joshua Glass, photographe Cameron McCool, styliste Karla Welch
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RENCONTRE
GILBERT & GEORGE ET JW ANDERSON auteure Pamela Golbin
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OUVERTURE POWER OFF
par Joshua Glass
98
MODE
DECODING DRESS photographe Richie Talboy, styliste Daniel Gaines
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MODE
WHEN IN ROME photographe Filip Koludrovic, styliste Luca Falcioni
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MODE
BOLD TYPE photographe Ricardo Gomes, styliste Luca Falcioni
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MODE
LA VIE DE CHÂTEAU photographe GuillaumeMalheiro, stylistes Céline Bourreau & Raphael de Castro
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CINÉMA
LE REGARD SINGULIER DE VIGGO MORTENSEN auteur Baptiste Piégay, photographe Quentin de Briey
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ARCHITECTURE
STUDIO KO, CHERCHEUR D’AURA auteure Nathalie Nort, photographes Noël Manalili et François Halard
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RENCONTRE
SAMUEL FASSE ET MICHEL GAUBERT auteur Justin Polera, photographe François Quillacq, styliste Margaux Dague
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MODEACCESSOIRES
PREUVES À L’APPUI photographe Jennifer Livingstone
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LOOKING BACK
LES ANNÉES 70 VUES PAR L’OFFICIEL auteure Sophie Shaw
Jared Leto en X Karla.
Stan Wawrinka en Montblanc.
Viggo Mortensen en Raf Simons.
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Rafferty Law en Valentino.
Photos Alan Gelati, Montblanc, Quentin de Briey, Cameron McCool
QUATRE COUVERTURES EN OCTOBRE
Direction
L’OFFICIEL HOMMES GLOBAL
L'OFFICIEL HOMMES FRANCE
Consulting Global Chief Creative Officer Stefano Tonchi
Rédacteur en chef magazine Baptiste Piégay
Global Executive Director Giampietro Baudo Global Artistic and Casting Director Jennifer Eymère Global Contributing Creative Director Trey Laird Global Editorial Team Laure Ambroise | Mode Delphine Valloire | Magazine Global Casting, Production & Booking Joshua Glasgow Global Digital editorial director Joshua Glass
Global Co-Chairmen and Members of Executive and Administrative Boards Marie-José Susskind-Jalou et Maxime Jalou Global Chief Executive Officer, Director of Executive and Administrative Boards Benjamin Eymère Global Deputy Chief Executive Officer, Member of Executive and Administrative Boards Maria Cecilia Andretta Global Chief Creative Officer Stefano Tonchi Global Artistic and Casting Director Jennifer Eymère Global Editorial Committee Giampietro Baudo, Jennifer Eymère, Stefano Tonchi Executive Assistants Céline Donker Van Heel (c.donkervanheel@jaloumediagroup.com) Giulia Bettinelli (g.bettinelli@lofficielitalia.com)
Rédactrice en chef mode Anne Gaffié
Advertising
Executive editor Giampietro Baudo
Global Chief Revenue Officer Anthony Cenname Chief Revenue Officer France & Switzerland Jean-Philippe Amos Media Director Italian Market Carlotta Tomasoni Global Digital Ad Ops and Media Planning Ilaria Previtali
Rédacteur en chef horlogerie Hervé Dewintre Chef de rubrique photo Pascal Clément
Publicité
Directeur commercial France Jean-Philippe Amos (jp.amos@jaloumediagroup.com) Directrice commerciale L’Officiel Anne Marie Disegni (a.mdisegni@jaloumediagroup.com) Directeurs de publicité Stéphane Moussin (s.moussin@jaloumediagroup.com) Marina de Diesbach (horlogerie) (m.diesbach@jaloumediagroup.com) Traffic manager Adama Tounkara (a.tounkara@jaloumediagroup.com) Directrice commerciale - marché italien Carlotta Tomasoni (c.tomasoni@jaloumediagroup.com)
Secrétaire générale de la rédaction Françoise Emsalem Secrétaire de rédaction Jeanne Propeck Directeur de la production Joshua Glasgow
Global Head of content projects and fashion initiatives Caroline Grosso
Éditeur délégué
Membre du board exécutif Emmanuel Rubin (e.rubin@jaloumediagroup.com) Administration et finances Directeur administratif et financier, membre du board administratif Thierry Leroy (t.leroy@jaloumediagroup.com) Secrétaire général, membre du board administratif Frédéric Lesiourd (f.lesiourd@jaloumediagroup.com) Directrice des ressources humaines Émilia Étienne (e.etienne@jaloumediagroup.com) Responsable comptable et fabrication Éric Bessenian (e.bessenian@jaloumediagroup.com) Diffusion Lahcène Mezouar (l.mezouar@jaloumediagroup.com) Trésorerie Nadia Haouas (n.haouas@jaloumediagroup.com)
Consulting Executive Managing Editor Regan Solmo Global graphic team Giulia Gilebbi, Luca Ballirò Global Contributing design director Micheal Riso Global Managing Team Sabrina Abbas, Sara Ali, Jeanne Propeck CONTRIBUTEURS: Photographes Inigo Awewave Quentin de Briey Alan Gelati Ricardo Gomes François Halard Filip Koludrovic Jennifer Livingston Guillaume Malheiro Noël Manalili Lorenzo Marcucci Cameron McCool Izack Morales François Quillacq Fernando Sippel Richie Talboy Carlos Teixeira Hector Tre
Céline Bourreau & Raphael de Castro Philippe Combres Margaux Dague Luca Falcioni Daniel Gaines Pamela Golbin Mariana Guerrero Dingler Odile Habel Cristina Manfredi Giulio Martinelli Nathalie Nort Pablo Patané Javier de Pardo Justin Polera Nicolette Salmi Sophie Shaw Francisco Ugarte Charlie Ward Karla Welch Simonez Wolf
Rédacteurs et stylistes Caroline Baud Chloe Beeney
Traductrices Hélène Guillon Géraldine Trolle
Abonnements CRM ART – Editions Jalou CS 15245 – 31152 Fenouillet Cedex Tél. : +33(0) 5 61 74 77 73 ou abonnement.editionsjalou@crm-art.fr Vente au numéro France VIP, Laurent Bouderlique — Tél. : 01 42 36 87 78 International Export Press, Carine Nevejans — Tél. : 33 (0)1 49 28 73 28 International et marketing Director International Licensees and Brand Marketing, Flavia Benda Global Head of Digital Product, Giuseppe de Martino Global Digital Project Manager, Babila Cremascoli Global Media and Marketing Strategist, Louis Du Sartel Global Editorial Content and Archives Giulia Bettinelli Publications des Éditions Jalou L’Officiel de la Mode, Jalouse, La Revue des Montres, L’Officiel Voyage, L’Officiel Fashion Week, L’Officiel Hommes, L’Officiel Art, L’Officiel Chirurgie Esthétique, L’Officiel Allemagne, L’Officiel Hommes Allemagne, L’Officiel Argentine, L’Officiel Art Belgique, L’Officiel Brésil, L’Officiel Hommes Brésil, Jalouse Chine, L’Officiel Chine, L’Officiel Hommes Chine, L’Occiel Corée, L’Officiel Hommes Corée, La Revue des Montres Corée, L’Officiel Inde, L’Officiel Indonésie, L’Officiel Italie, L’Officiel Hommes Italie, L’Officiel Kazakhstan, L’Officiel Hommes Kazakhstan, L’Officiel Lettonie, L’Officiel Liban, L’Officiel Hommes Liban, L’Officiel Lituanie, L’Officiel Malaisie, L’Officiel Maroc, L’Officiel Hommes Maroc, L’Officiel Mexique, L’Officiel Moyen-Orient, L’Officiel Hommes Moyen-Orient, L’Officiel Pays-Bas, L’Officiel Hommes Pays-Bas, L’Officiel Pologne, L’Officiel Hommes Pologne, L’Officiel Russie, L’Officiel Voyage Russie, L’Officiel Singapour, L’Officiel Hommes Singapour, L’Officiel St Barth, L’Officiel Suisse, L’Officiel Hommes Suisse, L’Officiel Voyage Suisse, L’Officiel Thaïlande, L’Officiel Hommes Thaïlande, L’Officiel Turquie, L’Officiel Hommes Turquie, L’Officiel Ukraine, L’Officiel Hommes Ukraine, L’Officiel USA, L’Officiel Hommes USA, L’Officiel Vietnam Fabrication Impression, suivi de fabrication et papier par Roto3 Industria Grafica S.r.l., Via Turbigo 11/B, 20022 Castano Primo (MI). Imprimé sur des papiers produits en Italie et en Finlande à partir de 0 % de fibres recyclées, certifiés 100 % PEFC. Eutrophisation : papier intérieur Ptot 0,023 kg/tonne papier couverture Ptot 0,006 kg/tonne. Distribution MLP
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Dépôt légal octobre 2020 Commission paritaire N° 0419K89063 — ISSN 1777-9375 Édité par les Éditions Jalou SARL au capital de 606 000 euros représentée par Marie-José Susskind-Jalou et Maxime Jalou, co-gérants, filiale à 100 % de la société l’Officiel Inc. S.A.S. Siret 331 532 176 00095
Fondateurs GEORGES, LAURENT et ULLY JALOU † Directrice de la publication Marie-José Susskind-Jalou
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ÉDITO Pa r GI AM PI ETRO BAUDO
Jared Leto, une personnalité aussi talentueuse qu’irrévérencieuse, aux multiples facettes, sans règles. Sans règles, comme le sont aussi les nouveaux habits du pouvoir, à des années-lumière des stéréotypes des années 80 sculptés dans la mémoire collective. Dans ce portfolio, quatre photographes et une équipe de top modèles, dirigée par Reece Nelson et Alessio Pozzi, ont revisité les classiques, entre vintage et provocation. Enfin, l’icône hollywoodienne Viggo Mortensen nous raconte la réalisation de son premier film. L’artiste Samuel Fasse échange avec l’illustrateur sonore de la mode Michel Gaubert. Les architectes Karl Fournier et Olivier Marty du Studio KO reviennent sur leurs plus belles réalisations. Et le duo légendaire Gilbert Prousch et George Passmore engagent un dialogue sans complaisance avec le designer nord-irlandais Jonathan Anderson, de quoi stimuler notre réflexion. Ce que ce magazine fait et continuera de faire…
“Nous ne sommes pas provocateurs. Nous voulons simplement provoquer la reflexion.” Cette phrase, tirée de la conversation entre le duo artistique Gilbert & George et le créateur de mode Jonathan Anderson, a été le point de départ de ce numéro spécial de L’Officiel Hommes. Ici se côtoient des stars montantes comme Rafferty Law, des sportifs comme Stan Wawrinka, des icônes comme Nick Cave, des musiciens comme Woodkid, des visionnaires comme Virgil Abloh et des artistes comme Luke Edward Hall. Une agora prête à entamer une conversation autour de la mode, animée par des photographes appelés à interpréter les tendances de la saison ou choisis pour expliciter la mode masculine contemporaine. Mais ce numéro est aussi le premier dans lequel paraît un dossier global, destiné à créer un langage esthétique commun à toutes les éditions de ce magazine, né à Paris il y a cent ans et prêt pour une nouvelle ère. On y retrouve 12
MONSIEUR BLANC
NEWS
BEAU TRAVAIL Huit ans après un premier livre, il fallait bien un deuxième volume anthologique pour rendre compte de l’immensité des champs explorés par M/M (Paris), le tandem le plus aventureux de la création française qui a fait sauter avec joie les barrières entre les genres. Par BAPTISTE PIÉGAY
Photo courtesy galerie Air de Paris
Modules tridimensionnels Borderline, de M/M (Paris).
La curiosité sans œillères, le goût de l’inédit, l’appétit pour de nouvelles saveurs : autant de paramètres pour que l’équation de la longévité aboutisse à un résultat excitant. Assurément, Mathias Augustyniak et Michael Amzalag la connaissent sur le bout des doigts. Établi en 1992, leur studio de graphisme M/M (Paris) s’est imposé dans un rôle dépassant le simple cadre de l’accompagnement de projet : plus détonateur qu’illustrateur, plutôt narrateur libre qu’interprète littéral, leur travail évoquait les immenses Cassandre, pour l’intuition de la juste typographie, ou Roman Cieslewicz, par son imaginaire poétique, sa grâce allusive, les espaces ménagés pour que notre regard s’y glisse, s’installe, le fasse sien. Conceptions de pochette de disques, d’affiches pour le théâtre, de décors d’opéras, mise au point d’identité visuelle, ponts jetés entre leur activité et l’art contemporain (Douglas Gordon, Pierre Huygue),
ou encore la mode, avec ce “pradalphabet” pour la Maison Prada : on pourrait ainsi décliner un inventaire à la Perec (s’il fallait lier leur démarche à celle d’un écrivain, c’est l’auteur de La Vie mode d’emploi qu’on élirait, tant ils semblent partager une inclination pour la fantaisie et la souplesse pluridisciplinaire). Il est ainsi peu étonnant que des univers aussi, a priori, éloignés que ceux du chef Jean-François Piège ou d’Étienne Daho, aient trouvé chez eux des oreilles attentives et vu dans leurs yeux le reflet de leur propre gourmandise. La double exposition qui les met à l’honneur cet automne en est le témoin. Livre M to M of M/M Paris, Volume 2, Thames & Hudson (456 pages). Expositions à Paris : “D’un M/Musée à l’autre” au musée des Arts décoratifs (madparis.fr) et au musée d’Orsay (musee-orsay.fr), jusqu’au 10 janvier 2021.
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NEWS
ÉTERNEL FÉMININ Dix ans d’audaces et de chefs-d’œuvre : depuis son ouverture à Paris, la galerie Gagosian n’a cessé d’innover, d’étonner, d’impressionner. Son exposition anniversaire ne fera pas exception. Par BAPTISTE PIÉGAY
Photo The Richard Avedon Foundation
Brigitte Bardot, hair by Alexandre, Paris, January 1959, de Richard Avedon.
On s’en doutait dès l’annonce de l’implantation au cœur du Triangle d’or d’une antenne parisienne de la galaxie Gagosian : on y retrouverait la création contemporaine en majesté. De Cy Twombly à Sarah Sze, en passant par William Eggleston, Ed Ruscha, Jean Prouvé et Rodin, de la peinture à la sculpture, la photographie et les installations, sans oublier le mobilier, chaque exposition était un évènement. Bien sûr, il y avait la splendeur des pièces exposées, mais surtout un sens aigu de la mise en scène qui offrait aux œuvres une profondeur insoupçonnée. On garde ainsi un souvenir fort de l’exposition consacrée à Georges Bataille en 2018 ou de celle organisant la rencontre entre les travaux de Duane Hanson et d’Olivier Mosset. En écho à l’édition 2010 de la FIAC, pour laquelle India Mahdavi avait créé l’espace occupé par la galerie Gagosian, l’architecte et designer inventera à l’occasion
de son 10e anniversaire la scénographie de “Bustes de femmes”. Reprenant un motif aussi ancien que la pratique artistique – la représentation du buste féminin –, l’exposition croisera les regards que Richard Avedon, Jeff Koons, Man Ray, John Currin ou encore Cindy Sherman ont posé sur cet exercice de style. Elle offrira autant une mise en perspective d’une décennie de mise en lumière de l’art contemporain qu’une célébration de sa vitalité. En faisant le pari d’un retour aux sources, à un des grands topoï de l’histoire de l’esthétique, en démontrant que c’est le geste qui fait œuvre plus que le sujet, la galerie fait de son anniversaire un éloge d’un bel avenir, en construction perpétuelle. Exposition “Bustes de femmes”, jusqu’au 19 décembre 2020 à la galerie Gagosian, 4, rue de Ponthieu, Paris 8 e. Gagosian.com
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THE PLACE TO BE
TRUE COLORS Artiste, céramiste, décorateur d’intérieur et designer, l’Anglais Luke Edward Hall a imaginé deux nouveaux lieux à Paris : l’Hôtel Les Deux gares et le Café Les Deux Gares, auxquels il a apporté sa touche unique, entre maximalisme et nostalgie. Par DELPHINE VALLOIRE
Pour y parvenir, il faut prendre la rue d’Alsace, sur le côté de la gare de l’Est, monter un drôle d’escalier double, puis longer une vue époustouflante faite des toits gris et vert pâle des quais de la gare qui ondulent en vagues immobiles pour arriver enfin à un petit coin de rue, tranquille et lumineux, hors du temps. Là se trouvent l’Hôtel Les Deux Gares et son alter ego, un café-restaurant, situé juste en face. Pour recréer cet ancien petit hôtel de gare désuet, Adrien Gloaguen, fondateur du groupe Touriste, avait envie d’une ambiance cinématographique des seventies, celle des plus beaux films de Rohmer ou de Sautet, une “time capsule” avec un style singulier. Il confie cette réinvention totale au prodige du maximalisme à l’anglaise : Luke Edward Hall, touche-à-tout de génie et spécialiste d’une élégance excentrique à faire remonter le temps, dont ce sera le premier hôtel. Dès le lobby, on sait que le pari est réussi : des murs vert électrique, un sol en marbre à motifs chevron noir et blanc, un fauteuil bleu Klein, des touches chocolat, rouge et rose, des affiches de Salvador Dali et David Hockney, des fauteuils années 40 tendus de soie rayée et des livres anciens ou non minutieusement choisis et empilés sur une table. Le bistro décline les
mêmes codes avec un bar couleur rouge framboise, un plafond hypnotique avec un effet écailles de tortue et d’incontournables chaises Thonet. La carte, changeante, inspirée mais aussi très accessible, a été conçue par une jeune équipe de chefs (Jonathan Schweizer et Federico Suarez), et elle est déjà encensée par tous les critiques gastronomiques qui comptent dans la capitale, incluant un François Simon ravi. Tout cela est évidemment hautement instagrammable, mais il se passe quelque chose d’autre, l’atmosphère semble habitée d’un bel esprit et pas seulement grâce aux fantastiques portraits de l’illustratrice Fee Greening suspendus dans les couloirs, représentant des icônes comme Francis Bacon, Lucian Freud, David Bowie ou Oscar Wilde. Le panthéon personnel de Luke Edward Hall, lui aussi, regorge de héros, d’esthètes et d’artistes queer et “so british”. Il le revendique clairement dans ses interviews et dans son travail : avec ses dessins à la Cocteau (dont certains ornent les chambres de l’hôtel), les “Bright Young People” qu’il affectionne, dont faisaient partie le photographe Cecil Beaton et sa “muse” Stephen Tennant, le décorateur star du Swinging London David Hicks 16
Photo Benoît Linero
THE PLACE TO BE
L’artiste Luke Edward Hall a redesigné l’hôtel et le café Les Deux Gares, dans le 10e arrondissment de Paris.
THE PLACE TO BE
(dont on retrouve l’influence dans les motifs géométriques, rayures et chevrons), les peintres anglais Christopher Wood, Rex Whistler et Patrick Procktor, et une tendresse particulière dans le trait de ses portraits qu’on pourrait relier à Elizabeth Peyton. Le tableau des clefs à la réception n’a, lui, rien à envier à celui du Grand Budapest Hotel. Autre point commun entre Luke Edward Hall et Wes Anderson, tous les murs de l’hôtel se parent de couleurs, et quelles couleurs ! Vert olive, jaune d’or dans une salle de bains extraordinaire au dernier étage, parme clair, vert sapin, rose pale, caramel ou orange corail, des plinthes au plafond, contrastant avec des meubles sombres, qui prouvent le talent de ce coloriste extraordinaire. Pourquoi ? Dans un monde de plus en plus dématérialisé, vu sur écrans interposés, Luke Edward Hall assume son romantisme, son amour des beaux détails et des petites choses, sa liberté et surtout une vraie douceur, si nécessaire voire vitale en cette rude année 2020. L’intérieur de l’Hotel Les Deux Gares et ses couleurs font d’ailleurs écho à son propre intérieur, celui d’un ancien cottage du Gloucestershire, à Cotswolds, dont il a longtemps rêvé et qu’il a investi depuis juin 2019 avec son compagnon, l’architecte d’intérieur Duncan Campbell, et leur jeune lévrier whippet Merlin.
En regardant son travail, ce qui frappe le plus, c’est l’audace. Dans les couleurs bien sûr mais aussi dans le mélange des styles, des époques, des motifs, des références. Il tente et réussit haut la main dans la salle de gymnastique en sous-sol le mariage d’un papier peint rétro, une sorte de Liberty pastel un brin psychédélique édité par Svenskt Tenn et d’un sol à effet kaléidoscopique en carreaux rouge foncé et blanc. Réussie aussi l’alliance contre nature dans un salon entre un canapé couvert d’imprimé léopard et une toile de Jouy à dominante myosotis au mur. Il manie à la perfection cette fameuse touche de danger, cette fausse note essentielle contre l’ennui qui était chère à Diana Vreeland quand elle écrivait dans D.V. : “A little bad taste is like a nice splash of paprika. We all need a splash of bad taste, it’s hearty, it’s healthy, it’s physical. I think we could use more of it. No taste is what I’m against.” (Un peu de mauvais goût, c’est comme un soupçon de paprika. On a tous besoin d’une pincée de mauvais goût. C’est chaleureux, c’est sain, c’est physique. Je pense qu’on pourrait davantage s’en servir. Je ne suis que contre l’absence de goût.) Et de goût, Luke Edward Hall n’en manque vraiment pas. Pour le plus grand bonheur des futurs clients du double éden des Deux Gares. 18
Auteur Bertrand Waldbillig / Photos JĂŠrome Bryon - Didier Gourdon
Photos BenoĂŽt Linero
COLLAB
BELLE ÉQUIPE Terrain de jeu familier du créateur Virgil Abloh, l’univers du sport a décidément tout pour plaire à la maison Louis Vuitton. Fédérateur, noble, fécond, lucratif, emblématique… autant de qualités que de bonnes raisons pour lancer, le 20 novembre prochain, “LVxNBA”, une collection homme créée en partenariat avec la ligue de basket-ball américaine. Par ANNE GAFFIÉ
À l’époque où il fut nommé directeur artistique des collections hommes Louis Vuitton, d’aucuns se doutaient bien que l’Américain Virgil Abloh ne ferait pas dans la dentelle. C’était fin mars 2018, le phénomène streetwear battait son plein et le kid de Chicago était l’un des porte-drapeaux les plus prolixes de sa génération. Celui qui disait récemment (lors de sa collaboration avec Nigo) que le streetwear ne se met pas dans une boîte mais qu’il se régénère, pratique cet art depuis un bon moment déjà, comme en attestent ses nombreuses collaborations avec Nike, ou la ligne directrice d’Off-White, sa marque personnelle. Rien d’étonnant donc à ce que Virgil Abloh entame dès son arrivée chez Louis Vuitton une ère de collaborations placées sous le signe du sport qu’il porte aujourd’hui au pinacle avec une collection capsule élaborée en partenariat avec la NBA, ligue de basketball américaine dont on connaît la popularité jamais contrariée depuis les années 90. La National Basketball Association, c’est 24 milliards de dollars de droits de retransmission télé mondiale sur neuf ans négociés en 2014, ce qui donne une idée assez précise de son succès, jusqu’en Chine où elle compte près de 42 millions d’abonnés sur le réseau social Weibo ! De quoi placer sous les meilleurs auspices commerciaux le lancement officiel,
le 20 novembre prochain, de cette précollection homme printemps-été 2021 baptisée “LVxNBA”, comprenant prêt-à-porter et maroquinerie, accessoires et souliers, dont l’édition limitée marque autant la prudence liée à l’actualité que la stratégie marketing du drop bien senti. “Le basket-ball a bercé toute mon adolescence, explique Virgil Abloh. Mon idée ici était de fusionner l’excellence de son esthétique au savoir-faire de la maison Louis Vuitton. Un exercice relativement pointu pour lequel j’ai fait appel au designer Don Crawley, dont l’expertise dans le domaine n’est plus à prouver, et nous sommes partis de l’iconographie traditionnelle des deux mondes dans l’idée de les fusionner.” En résulte le téléscopage entre toile Monogram et logo iconique de la NBA, présenté sur Shai Gilgeous-Alexander, joueur du Thunder d’Oklahoma City connu pour son style hors terrain. “Les icônes de la mode sont imprévisibles. Tout comme les disciplines artistiques traditionnelles, les valeurs du luxe peuvent résonner dans le monde du sport. Cette collection rend hommage à la contribution culturelle du basket-ball et à sa diversité, à l’universalité et au puissant message de fraternité dont il est porteur aujourd’hui”, poursuit Virgil Abloh. Pour quelqu’un qui avoue être en mesure de savoir dunker, si tant est que les planètes soient bien alignées, l’action semble confirmée. 20
Photos Othello Grey
Ci-dessus, Virgil Abloh, directeur artistique de la ligne homme de Louis Vuitton. Page de droite, Shai Gilgeous-Alexander porte la collection “LVxNBA”.
FOOD
LE GOÛT DE MARSEILLE Depuis plus de 100 ans, la Corniche abrite la maison Passedat, une enclave de quiétude qui contraste avec le tumulte de la ville. Et toujours face à la mer ! Auteur : PHILIPPE COMBRES
L’Officiel Hommes : Comment décrivez-vous la cuisine Passedat, y a-t-il un fil conducteur ?
Gérald Passedat : Ça part de l’iode bien entendu, et on descend, par paliers successifs, dans les abysses afin de découvrir toutes sortes de poissons, mais c’est aussi une cuisine du peu. Notre végétation est aride, mais la souveraine Méditerranée, mon potager marin, comme j’aime à la décrire, inspire ma cuisine sans compromis, avec le fil conducteur du goût, de la pureté, de l’iode vif comme le mistral, mixé aux fruits et légumes de saison de l’arrière-pays. Circuit court, biodiversité… êtes-vous sensibles à ces nouvelles approches ?
Oui, ce sont des mots à la mode, mais c’est ce que je fais depuis plus de trente ans, c’est en fait l’école naturelle de la haute cuisine en général. La cuisine régionaliste que je pratique et la pêche raisonnée, c’est ce que l’on appelait, avant, le bon sens paysan. On ne commande pas, on prend ce que la Méditerranée nous donne. Et bien sûr, tout comme le régime crétois ou bien la diète méditerranéenne en général, je n’utilise jamais de beurre, ni de crème. Au dessert, la remontée en douceur, sans sucres, se fait juste par un filet de sève de boulot. C’est assez rare, cette prise de conscience,
peu de grands chefs se soucient de la digestion de leur mets raffinés !
Il faut ne pas oublier que dans le mot restaurant il y a “restaurer”, et ça veut bien dire ce que ça veut dire. On est là pour se faire du bien sans se faire du mal. Le régime crétois amène à une longévité, on le sait, et mon devoir est de prendre en compte la santé de mes visiteurs, et de mettre tout en œuvre pour que le repas soit une fête dans tous les sens du terme. Un grand repas, on le juge aussi 24 heures après, et seul le souvenir gustatif est admis, loin des digestions difficiles ! La musique et les arts en général ont une grande influence sur votre pratique, est-ce dû à vos origines ?
projets ensemble ! Quant à Rudy, il a réalisé les chambres de l’hôtel, il m’a confié la gestion des restaurants du Mucem qu’il a construit, et, oui, nous partageons la même vision. On constitue un bon trinôme et on travaille depuis longtemps, depuis nos lieux respectifs, à une vision globale de Marseille. Du coup, entre le MaMo (à la Cité radieuse Le Corbusier), Le Petit Nice, le Mucem et le projet Marsa cher à Ito sur l’île du Frioul se crée une passerelle naturelle et des échanges dynamiques autour de l’avenir de notre cité phocéenne, tournée vers les cultures internationales et la protection de notre environnement. Ensemble, on essaye toujours de voir le côté positif de Marseille, qui est pour nous un catalyseur d’énergie unique.
Oui, je viens d’une famille de mélomanes, ma mère était cantatrice et mon père ténor professionnel. J’avais un groupe de rock à 17 ans, j’ai toujours fréquenté le milieu interlope de la création, quand je vivais à New York, je fréquentais des musiciens, des compositeurs, des artistes de l’époque. Je pensais alors que la cuisine faisait partie de cette création, c’est là que j’excellais plutôt que dans le dessin ou avec ma guitare. C’est pour cette raison que je me suis mis à faire de la cuisine et à la partager.
Vous avez aussi reçu la visite de l’artiste Invader qui a envahi la ville de ses mosaïques pixelisées…
Vous êtes proche de l’architecte Rudy Ricciotti, le créateur Ora Ito est en résidence permanente au Petit Nice, partagez-vous leur vison d’avenir pour Marseille ?
- Le Petit Nice, corniche Président John Fitzgerald Kennedy,
Ito, je l’ai connu tout jeune et je l’ai tout de suite considéré comme mon petit frère, son esprit me surprend toujours, ce torrent d’hyperactivité et de créativité, à partir dans tous les sens, j’adore ça, on a encore beaucoup de
Tél. 04 91 19 17 80.
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J’ai toujours aimé recevoir les artistes au Petit Nice. Pour Invader, c’est Ora Ito qui l’a invité à envahir toute la ville de Marseille, depuis le centre d’art le MaMo où il a installé son atelier. Le résultat est une exposition accessible à tous, dans les rues et jusque dans les calanques, et forcément je suis très heureux qu’Invader ait posé une mosaïque sur le fronton de l’hôtel, une raison de plus pour venir nous visiter !
Marseille. Tél. 04 91 59 25 92. - Le Môle Passedat, musée des Civilisations d’Europe et de la Méditerranée, 1, esplanade J4, Marseille. - Exposition “Invader was here” au MaMo Centre d’Art de la Cité radieuse de Marseille, 280, boulevard Michelet, Marseille. Jusqu’au 11 novembre 2020. Et partout dans la ville, 24h/24.
Photos Aurélien Meimaris
Aux commandes, le chef étoilé Gérald Passedat, enfant du rock et de l’opéra, amoureux de jolis bolides et du Marseille noctambule des 70s. Il nous explique sa “cuisine du peu” et les projets qu’il entreprend pour sa ville natale qu’il chérit, entouré de ses amis artistes.
Le crĂŠateur Ora Ito et le chef GĂŠrald Passedat.
LIVRE
LA VOIX DU MILIEU Focus sur le phénomène Jiani Liu, jeune auteure dont le premier roman “Across the Sea” prend d’assaut la Chine.
Photo DR
Par NICOLETTE SALMI Traduction GÉRALDINE TROLLE
Après des décennies de travail diplomatique, les relations entre les États-Unis et la Chine s’effritent, favorisant une nouvelle ère remplie d’intolérance, de préjugés et de boucs émissaires. La jeune journaliste Jiani Liu, militante déterminée à changer le monde, lutte contre ce manque d’empathie entre les deux pays dans son premier livre, Across The Sea. Mais comment cette jeune femme d’affaires, prise entre son travail et son organisation à but non lucratif, Millennials of U.S.-China, a-t-elle commencé à écrire des articles sur des sujets aussi variés que le concept de la “tiger mom”, l’Ivy League, le rôle des millennials et de la Gen Z dans la reconstruction de la relation entre l’Est et l’Ouest ? Tout commence lors de son séjour à l’Université Brown, où elle écrit des chroniques pour le China Business Network autour de son expérience en tant qu’étudiante chinoise à l’université américaine. Ses chroniques deviennent vite populaires et attirent l’attention du rédacteur en chef du CBN qui, parti pour monter une nouvelle chaîne, la choisit pour une
première série de chroniques. Aujourd’hui auteure de son premier livre, Jiani Liu est l’une des journalistes les plus lues en Chine. Elle incarne la voix d’une jeune communauté mondialisée confrontée aux idées dépassées des générations précédentes. Abordant la culture, l’éducation, le féminisme et la pandémie du coronavirus, elle affirme que s’il existe des différences notables entre les deux pays, il existe aussi de grandes similitudes : tous deux mettent l’accent sur l’éducation et ouvrent des voies pour que les femmes réussissent dans le monde des affaires. Cependant, le racisme profond qui a émergé de la peur entourant la propagation du coronavirus a brouillé ces conversations culturelles et les a remplacées par une rivalité entre les deux gouvernements. En décidant de se concentrer sur sa vie professionnelle en Chine, suite à une longue série de lois strictes sur l’immigration promulguées en début d’année par l’administration Trump, Jiani Liu a pu “réfléchir et prendre le temps de tirer les leçons les plus significatives de son expérience”. 24
HIGHLIFE P E R P E T UA L C A L E N DA R M A N U FAC T U R E frederiqueconstant.com Tél. 01 48 87 23 23
* V I V E Z V O T R E PA S S I O N
L I V E YO U R PA S S I O N *
MODE
RAFFERTY LAW
Mannequin, musicien, acteur, le fils de Sadie Frost et Jude Law sera à l’affiche du film Twist réalisé par Martin Owen, début 2021, au côté de Michael Caine. À la même période sortira le premier album de son groupe, Outer Stella Overdrive.
Photographie ALAN GELATI
S tylis me C HL O E B EE NE Y
Aute ur e C R I ST I NA M ANFR E DI 26
Trad uct i on HÉ L ÈN E G U ILLO N
Manteau doublé et pantalon en laine grain de poudre avec bande latérale en cuir, sweat-shirt à capuche, sneakers Arthur à talon, BURBERRY. Chaussettes, SEX SKATEBOARDS. Bagues, THEO FENNELL, BLEUE BURNHAM et PI LONDON.
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“Merci à la famille Valentino et à Pierpaolo Piccioli de nous avoir invités, ma mère et moi, à votre merveilleux défilé.” Il y a tellement de Rafferty Law dans ce message avec lequel, sur son profil Instagram, il raconte son expérience de la dernière fashion week de Milan. À 23 ans, le fils des stars de cinéma Jude Law et Sadie Frost, qui a grandi dans le Londres qui compte, est prêt à conquérir le monde en tant que mannequin, acteur et chanteur. Beau depuis l’enfance, entouré d’artistes et libre d’exprimer sa créativité, on lui attribue quelques excès et, dernièrement, un flirt jamais confirmé avec la pop star Rita Ora. Début 2021 sortira Twist, une réinterprétation contemporaine d’Oliver Twist, le roman du xix e siècle de Charles Dickens, dans lequel il incarne le personnage principal au côté du monstre sacré Michael Caine, le tout dirigé par Martin Owen. Dans la même période sortira également le premier album du groupe avec lequel il joue depuis l’adolescence, Outer Stella Overdrive, dont fait partie également Rudy 28
Albarn, le neveu de Damon, voix charismatique de Blur. Le single Bad Times est déjà en train de percer grâce à la vidéo réalisée par Sadie, la mère de Rafferty. Celle-ci le guide aussi dans le milieu de la mode, qu’elle connait bien à travers son expérience de dirigeante de la marque Frost French. L’Officiel Hommes : Votre présence aux fashion weeks les plus importantes est devenue régulière. Quelle importance accordez-vous au monde de la mode ? Rafferty Law : J’avais environ 16 ans quand j’ai commencé à réfléchir avec ma mère à la possibilité de faire du mannequinat. Il m’a suffi de deux ou trois expériences pour comprendre que ça me plaisait beaucoup, parce qu’on entre en contact avec des gens stimulants, à commencer par les photographes. Cela a également renforcé l’estime de moi-même et à découvrir un aspect fondamental de mon caractère.
Ci-contre : Manteau patchwork en laine, pantalon en gabardine de laine, chemise, cravate et boots en cuir, LOUIS VUITTON. Page de gauche : Manteau, pantalon et chemise, CRAIG GREEN. Derbys à plates-formes en cuir, DR. MARTENS.
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Ci-contre : Complet et chemise en soie imprimée “Henry Moore”, et derbys en cuir à bout métallique, ALEXANDER McQUEEN. Page de gauche : Débardeur en laine, VALENTINO.
MODE
C’est-à-dire ? J’ai compris que pour bien travailler, je dois être sous pression. J’aime cette sensation de tension positive qui me pousse à donner le meilleur de moi-même. Quand on m’a confié le rôle d’Oliver Twist, je savais que je devais prouver que je le méritais vraiment, du coup je me suis préparé au maximum. Le style contemporain que le réalisateur a voulu donner au film supposait une grande agilité de mon personnage, alors je me suis engagé dans une intense préparation physique, avec un entraînement spécifique en salle de sport. Je voulais arriver sur le plateau au maximum de mes possibilités.
en scène et de communiquer avec le public. En fait, mon premier souhait était d’être footballeur, mais maintenant je sais que je suis plus heureux comme ça. Sans doute aussi parce que votre père peut vous donner davantage de conseils en matière de cinéma qu’en matière de football… En effet ! Pendant le confinement, nous avons fait ensemble un courtmétrage, The Hat, réalisé par Darren Strowger (l’actuel compagnon de sa mère, ndlr), et nous sommes heureux car en plus du fait que les recettes seront reversées à une association caritative, il a été nommé dans la catégorie Meilleur court-métrage britanni que au Raindance Film Festival. En le tournant, je me suis rendu compte de la chance que j’avais d’être entouré d’une famille et d’amis merveilleux. Si je garde la tête froide, que je travaille dur et que je ne me laisse pas abattre par les difficultés, je pense que je vais y arriver.
Et comment cela s’est-il passé ? Devant les caméras, tout s’est passé naturellement. Depuis que je suis petit j’expérimente et tente des choses, entre musique et art dramatique, je sens que peu à peu je réalise mon rêve, celui de me mettre 32
Ci-contre : Blouson, FILA. Page de gauche : Manteau en laine, col roulé, pantalon et derbys, STELLA McCARTNEY. Coiffure et maquillage Chris Sweeney avec les produits Davines et Augustinus Bader.
COVER-BOY
TONNERRE DE BREST
Photographie LORENZO MARCUCCI
Stylis me GI UL I O M ART IN ELLI 35
En haut : Débardeur en laine et cachemire et pantalon en cuir, FENDI. Bandana, perso. En bas : Veste, crop top et boots en cuir, NO21. Pantalon en coton et béret de marin, ARRIGO COSTUMI MILANO. Page de droite : Sweat-shirt en coton, PARAJUMPERS. Béret de marin, ARRIGO COSTUMI MILANO. Page précédente : Veste et pantalon en coton déperlant, BOTTEGA VENETA. Boots Turing en cuir clouté, JIMMY CHOO.
Gilet en coton, pantalon en laine vierge et boots en cuir, GIVENCHY. Marcel en coton et bĂŠret de marin, ARRIGO COSTUMI MILANO.
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Veste et short en cuir de veau, chemise Gainsburg en coton et boots en cuir, GUCCI. Béret de marin, ARRIGO COSTUMI MILANO.
En haut : T-shirt à manches longues en jersey et pantalon à pinces en cuir, DOLCE & GABBANA. Boots en cuir, NO21. En bas : Manteau en cachemire déperlant et cuir, chemise en popeline à col nœud et pantalon en drill de coton stretch, HERMÈS. Ceinture, CHURCH’S. Page de droite : Débardeur en maille semi-transparente et pantalon verni, ACNE STUDIOS. Boots Turing en cuir clouté, JIMMY CHOO.
T-shirt et pantalon en tissu technique, MARNI. Boots en cuir, NO21. Coiffure Chiara Bussei Maquillage Riccardo Morandin Assistant photo Liam Hughes Assistante stylisme Adele Baracco
Photographie CARLOS TEIXEIRA
St yl i sm e PA B L O PATA N É
MANIFESTO
Double page précédente, de gauche à droite : Veste en velours, chemise à carreaux, pantalon en velours côtelé, chapeau en feutre avec détail Interlocking G et sac Jackie 1961 avec motif GG Supreme, GUCCI. Blazer en cuir nappa et coton, pantalon en cuir nappa, FENDI. Chemise, ALESSANDRO GHERARDI. Cravate, THOM BROWNE. Ceinture, LOUIS VUITTON. Bomber en poils de lama, gilet en laine et soie, pantalon skinny, ERMENEGILDO ZEGNA. Chemise, ALESSANDRO GHERARDI. Cravate, THOM BROWNE. Lunettes et chaussures, LOUIS VUITTON.
En haut : Manteau check, PIACENZA CASHMERE. Blazer en laine et tricot de laine, MSGM. Chemise rayée, ALESSANDRO GHERARDI. Pantalon, LARDINI. Lunettes, MOSCOT. Pochette, LOUIS VUITTON. Chaussettes et mocassins, VERSACE. En bas : Complet en prince-de-galles et gilet, LARDINI. Chemise en coton, LOUIS VUITTON. Basque, ERMENEGILDO ZEGNA. Lunettes de vue, MOSCOT. Page de droite : -Pull en laine, chemise en popeline imprimée, pantalon en gabardine compacte et chaussures en cuir, PRADA. Chaussettes, SARAH BORGHI. -Gilet en tweed, chemise et cravate en popeline compacte, pantalon en gabardine et bottes en cuir, PRADA.
En haut : Cape en nylon, 5 MONCLER CRAIG GREEN. En bas : Manteau en laine imprimée, pantalon en mohair, VALENTINO. ceinture banane et derbys, VALENTINO GARAVANI. Boucles d’oreilles, MYRIL JEWELS. Chaussettes, SARAH BORGHI. Page de droite : -Costume avec pantalon taille haute, chemise Oxford avec cravate et manteau Chesterfield à paillettes, THOM BROWNE. -Veste frac avec applications animalières, jupe avec arc et corset, THOM BROWNE.
En haut et en bas : -Ensembe en velours et chemise en coton, DOLCE & GABBANA. -Manteau et pantalon en velours côtelé, DOLCE & GABBANA. Col roulé, PIACENZA CASHMERE. Sneakers, LOUIS VUITTON. Page de droite : -Manteau et cape rembourrés de plumes et longs moufles en tissu technique et cuir, GIORGIO ARMANI. -Combinaison à capuche en tissu technique, dossard rembourré de plumes, moufles en nylon et cuir, toque en tissu technique et plumes et guêtres couvre-bottes en tissu technique, GIORGIO ARMANI.
En haut : Veste en nylon imprimé, VERSACE. Col roulé en laine, MSGM. Sweatshirt, ERMENEGILDO ZEGNA. Pantalon, LOUIS VUITTON. En bas : Corset brodé sur un ensembe classique, GAULTIER PARIS. Page de droite : -Haut ajouré rebrodé de perles argentées et pantalon cigarette, ALEXANDER MCQUEEN. -Manteau et pantalon cigarette en laine rebrodée de sequins et chemise en popeline de soie, ALEXANDER MCQUEEN. Coiffure : Toni Pellegrino. Maquillage : Fausto Cavaleri. Set design : Lorenzo Dispensa. Assistant photo : Tiago Mulhmann. Assistante stylisme : Lisa Tedeschini.
MODE
CONVERSATION DE STYLE
Redéfinir le vestiaire de l’homme en abattant les barrières et en appliquant ses propres règles d’élégance. Quatre photographes internationaux confrontent leur regard autour du romantisme, de la mélancolie, de l’héritage et de la notion de genre.
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TERRE PROMISE PHOTOGRAPHIE HECTOR TRE – STYLISME FRANCISCO UGARTE
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Ci-contre : Chemise, GCDS. Pantalon, VERSACE. Chaussures, PRADA. Page de gauche : Pardessus en tissu technique, col roulé, gants et chaussures, PRADA. Pantalon en cuir, MARNI. Lieu : Queralbs, Catalogne.
Ci-dessus : Pull en laine bicolore et pantalon check, GIVENCHY. Chemise, MARNI. Page de gauche : Trench en gabardine de laine, chemise, chapeau, chaussettes destructurées et derbys lacées, MAISON MARGIELA. Épingle à nourrice, VERSACE. Coiffure et maquillage : Mariona Botella. Assistant : Alberto Trabalón.
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MÉLANCOLIE PHOTOGRAPHIE FERNANDO SIPPEL – STYLISME CHARLIE WARD
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À gauche : Complet, BOTTEGA VENETA. Ci-dessus : Manteau, pull et pantalon, JIL SANDER. Coiffure et maquillage : Ronaldo Escobar.
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LE GENRE IDÉAL PHOTOGRAPHIE IÑIGO AWEWAVE – STYLISME JAVIER DE PARDO
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Ci-contre : Pantalon à pinces, ANN DEMEULEMEESTER. Page de gauche : Manteau en laine, LOEWE.
Ci-dessus : Chemise et pantalon, PRADA. Boots, BOTTEGA VENETA. Page de droite : Manteau en néoprène, pantalon et bottines en cuir, LANVIN. Coiffure et maquillage : Lola Martinez. Set design : Cobalto Studio. Assistante photo : Clara Luz. Assistantes stylisme : Acuarela Beard et Borja Romea.
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COW-BOYS 70s PHOTOGRAPHIE IZACK MORALES – STYLISME MARIANA GUERRERO DINGLER
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À gauche : Manteau impression panthère, chemise rebrodée et jean, SAINT LAURENT PAR ANTHONY VACCARELLO. Colliers, EMANUELE BICOCCHI. Ceinture, NADA. Gants, WING & WEFT. (Main droite) Bracelets, CARTIER. (Main gauche) Bracelets et bague, EMANUELE BICOCCHI. À droite : Veste en shearling, chemise imprimée et pantalon check, SAINT LAURENT PAR ANTHONY VACCARELLO. Collier, GLD. Ceinture, NADA. Bagues, CARTIER.
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Total look, Louis Vuitton.
MUSIQUE
WOODKID, AUX ÂMES FRAGILES Auteure CRISTINA MANFREDI
Traduction HÉLÈNE GUILLON
Photo Albert Moya & Nicolas Loir
Le 16 octobre est sorti son nouvel album, “S16”, une réflexion sur le pouvoir de ceux qui savent admettre leurs faiblesses et demander de l’aide. Mais l’éclectique artiste français Yoann Lemoine est également prêt à partir en tournée, avec des costumes de scène conçus par Nicolas Ghesquière.
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MUSIQUE
Total look, Louis Vuitton.
Chanteur, musicien, écrivain, artiste visuel et réalisateur. C’est ainsi que Yoann Lemoine se définit, et un regard sur la diversité et le niveau de son travail suffit pour donner raison à ce Français de 37 ans, timide de caractère, extraverti dans ses idées. Son diplôme d’animation l’amène à d’abord à collaborer avec Sofia Coppola et Luc Besson, avant de créer des campagnes publicitaires – avec lesquelles il remporte une pluie de prix – et signer des clips vidéo pour des mégastars comme Moby, Katy Perry, Taylor Swift, Lana Del Rey, Harry Styles, jusqu’à ce que, en 2011, il donne un nouveau tournant à sa carrière. Il se choisit le nom de Woodkid, entre en studio et enregistre des morceaux comme Iron, Run Boy Run, Goliath, à l’architecture sonore complexe, s’appuyant sur des rythmes presque tribaux sur lesquels il déploie sa voix douce pour transporter le public dans un monde mélancolique, juste éclairé par une lueur d’espoir. Le tout soutenu par des vidéos puissantes, douloureuses et extrêmement raffinées. Le monde de la mode en tombe amoureux, à tel point que Nicolas Ghesquière, directeur de création de Louis Vuitton, lui confie une vidéo de campagne, puis, à plusieurs reprises, la conception des bandes-son des défilés de la marque. En retour, il crée, pour le chanteur tous les costumes de sa nouvelle tournée qui accompagne la sortie de son deuxième album, S16, enregistré entre Londres, Berlin, Paris, Los Angeles, Tokyo et l’Islande.
que, peut-être, tout n’est pas perdu. C’est une atmosphère proche de celle que nous vivons en ce moment… Quand avez-vous commencé à y travailler ?
Woodkid : C’était en janvier 2016 et, à travers la musique, je voulais exprimer l’amour que je porte à ma ville (Yoann Lemoine est né à Lyon puis s’est installé à Paris, ndlr) où j’ai beaucoup appris, à travers bien des folies, des difficultés, bref, j’avais des sentiments contrastés. Lorsque la crise sanitaire de la Covid a explosé, je me suis demandé si c’était bien le moment de promouvoir un disque aussi semblable à ce moment particulier que nous vivons, et puis je me suis dit qu’il fallait laisser les gens décider.
J’ai toujours eu plus de questions que de réponses. Prenons par exemple le changement climatique ou le capitalisme, ce sont des sujets auxquels je réagis toujours de manière non binaire, comme je le fais d’ailleurs pour mon identité sexuelle, ma conscience, ma relation avec le pouvoir. Mais si vous deviez donner le message de ce nouveau disque, comment le synthétiseriez-vous ?
Dans l’album, je parle du pouvoir qui découle du fait de savoir demander de l’aide. Je crois que les gens doivent apprendre à admettre leur fragilité, surtout lorsqu’ils sont victimes de dépression ou de dépendance. Recon-
L’Officiel Hommes : Dans votre nouveau disque, on ressent un mélange d’angoisse et d’espoir, des sentiments sombres éclairés par la conscience 70
Photos Albert Moya & Nicolas Loir
S16 est le symbole du soufre en chimie. Vous l’avez choisi comme titre de votre album pour suggérer une enquête sur la matière, sur ce qui compose nos cellules et nos cœurs. Avez-vous trouvé une réponse ?
MUSIQUE
Total look, Louis Vuitton.
naître une faiblesse est un merveilleux pas en avant, qui précède la demande d’aide proprement dite. Souvent, nous donnons de nous-même l’image de quelqu’un qui a tout sous contrôle, mais la vérité c’est qu’il y a des situations où l’on ne peut rien ou presque rien contrôler. Parfois, on se perd et il faut alors demander de l’aide et être prêt à saisir la main tendue.
à plusieurs reprises de m’occuper de la bande-son des défilés, en faisant toujours confiance à ma vision. C’est un processus très créatif, dans lequel j’apprends beaucoup. Vous ne vous sentez jamais submergé par tous ces fronts ouverts ?
Cela fait au moins sept ans que je suis toujours à la limite, mais c’est normal car je mets toute mon énergie dans mon travail et je veux faire les choses par moi-même. Créer est ma passion la plus grande, c’est une histoire d’amour, pas une contrainte. Le jour où faire de la musique sera une obligation, je changerai tout de suite d’approche. Aujourd’hui, tout ce que je produis vient d’une passion absolue, donc tant mieux pour moi si je suis submergé.
Dans votre travail, le lien entre le son et l’image est très fort, quelle stimulation ces deux éléments mis ensemble vous donnent-ils ?
D’un point de vue artistique, ils me permettent d’élargir mon potentiel, au niveau personnel ils m’aident à garder la bonne distance par rapport aux choses. Quand je suis sur scène en tant que musicien, ou quand je réalise une vidéo, j’oublie tout, je me déconnecte et alors je réussis à laisser les choses aller. J’essaie de ne pas donner trop d’importance à ce que je fais. Je ne veux pas être agressif envers moi-même ou les gens qui m’écoutent, au fond, ce n’est que de la musique. Ceci dit, sans bouleverser le monde, elle peut éveiller une forme de conscience, aider à créer une meilleure connexion entre les gens. Quand on voit les choses sous cet angle, tout change.
Quelles sont vos valeurs en tant qu’artiste ?
Je crois aux émotions et au talent, dans le sens d’une prédisposition individuelle que certains ont et d’autres pas. C’est la base. Mais ensuite il faut de l’engagement et de la curiosité. Travailler dur, apprendre à utiliser de nouveaux instruments et de nouvelles façons de faire les choses. Et être très critique quant à la qualité des résultats.
Qu’est-ce qui vous a marqué dans la collaboration avec Nicolas Ghesquière ?
Le respect que lui et toute l’équipe de Louis Vuitton manifestent pour mon travail. Nous nous sommes rencontrés lorsqu’il m’a commandé la campagne vidéo et la musique pour la collection automne/hiver 2017/18 et nous avons eu une très bonne entente. À partir de là, il m’a demandé
Y a-t-il quelque chose de nouveau que vous aimeriez essayer ?
Je viens de tourner une vidéo dans laquelle je joue pour la première fois. Je veux explorer ce que l’on ressent quand on incarne les histoires et les émotions des autres. 71
Photo courtesy of Royal Danish Library
Ink and Solace, peinture de l’artiste australien Ben Smith (2019), commandée pour l’exposition “Stranger Than Kindness”.
EXPO
NICK CAVE, LE GÉNIE EN PLEINE LUMIÈRE Mieux qu’une exposition, c’est une invitation à visiter l’univers (mental) de Nick Cave – son passé, son quotidien, son imaginaire – que nous adresse l’espace Black Diamond à Copenhague. C’est peu dire que l’on ressort merveilleusement secoué du séjour… Auteur BAPTISTE PIÉGAY
David Bowie (à la Cité de la musique à Paris), The Velvet Underground (au même endroit), Leonard Cohen (dans deux galeries de Copenhague) : la musique et ceux qui ont fait son histoire sont désormais des exercices de style incontournables de la muséographie contemporaine. Souvent, elle tangue sur le fil de la révérence iconographique, de l’illustration littérale, de la mise sous cloche de colifichets – évoquant irrésistiblement le vers de Mallarmé “Aboli bibelot d’inanité sonore.” Il est sans doute émouvant de voir exposée la première guitare de tel ou tel, mais, faute de perspective scénographique, le point de vue n’est guère stimulant. Écueil, précisons, esquivé par les exemples cités. Depuis deux ans, Nick Cave tient un forum* sur lequel il répond, avec sincérité, empathie et humour souvent, à des questions triviales ou essentielles – où il évoque la poésie, le spiritisme, le deuil, la méditation, le végétarisme. Dire qu’il n’était pas jusqu’alors connu pour son goût de la confession et que l’interviewer, au début des années 2000, était aussi délicat que danser le tango avec une otarie, relève de la litote. Il ne nous appartient pas de considérer le décès accidentel d’un de ses fils en 2015
comme un point de bascule dans le rapport qu’il entretient désormais avec son public. Cependant, son album le plus récent, le terrassant Ghosteen (2020, PIAS), composé dans la foulée abasourdie du deuil, atteste également d’une démarche artistique affranchie. ENTRE QUENEAU, FELLINI ET BURROUGHS
La curatrice Christina Back, à l’initiative de l’exposition “Stranger Than Kindness”, tenait à un postulat essentiel : un évènement non pas tant sur Nick Cave, qu’imaginé avec lui. “Il y a deux ans et demi, j’avais travaillé de la sorte avec Marina Abramovic. Ce qui m’intéressait, c’était de voir comment la dimension narrative du travail de Nick Cave pouvait se prolonger dans un cadre muséal, raconte-t-elle. Le résultat ne ressemble en rien à ce que nous évoquions dans nos premières discussions, il y a trois ans. L’évolution a été organique, collaborative, évolutive. En 2008, Nick a donné une grande partie de sa collection de livres, carnets, etc. à l’Arts Centre de Melbourne, qui en avait réalisé une exposition. Il fallait que ces éléments soient également associés. Nick nous a donné 73
sa bénédiction, mais sans beaucoup s’impliquer au début. Il y a un an et demi, il donnait un concert en ville et nous a rendu visite. J’ai pu lui expliquer que ce lieu (une annexe de la Royal Library, ndlr) lui serait dédié pour donner une expression spatiale à son travail. Au fur et à mesure, il s’est impliqué de plus en plus.” C’est ainsi que le visiteur avance de salle en salle, comme l’on explorerait l’histoire d’une création en mouvement, entre indices biographiques – la reconstitution d’une chambre londonienne, un épisode berlinois chaotique, des aventures amoureuses (avec une magnifique vitrine consacrée à sa relation avec PJ Harvey), œillades ironiques à l’intention des fans fétichistes (un chewing-gum recraché par Nina Simone…), dévoilement du quotidien (son bureau, sa bibliothèque), ambiances sonores conçues par Nick Cave lui-même et le musicien Warren Ellis, jusqu’à cette sidérante vidéo interrogeant des membres, et anciens membres, de son groupe The Bad Seeds, laissant affleurer des aspects de sa personnalité modérément flatteurs. “La dimension immersive était essentielle pour laisser la place aux visiteurs de se faire leur propre avis, reconnaît la curatrice. C’est pour ça que tout n’y est pas nécessairement
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Photos Anders Sune Berg, Bleddyn Butcher, courtesy of Royal Danish Library
Ci-dessus et ci-contre : vues de l’exposition. Page de droite : Nick Cave dans son appartement de Yorkstrasse, Berlin Ouest, en août 1985.
EXPO
“J’ai toujours été fan, depuis ma jeunesse, aussi bien de sa musique que de sa personnalité. Il est bien plus qu’un musicien. Il est de nos plus grands poètes modernes. Un genre de troubadour, à travers ses chansons il raconte la complexité de nos vies, de notre existence et de son sens. Cet aspect de son travail m’a toujours fasciné. L’avoir rencontré a renforcé cette fascination. Son charisme est incroyable, à l’image de tout ce qu’il crée.” ALESSANDRO MICHELE (DIRECTEUR DE LA CRÉATION DE GUCCI)
explicitement commenté, pour que surgissent d’autres interprétations possibles.” Le découpage thématique, épousant plus ou moins sa biographie, offre des témoignages parfois comiques (une lettre de son directeur de chorale adressée à ses parents, relevant que le jeune Nick se laisse distraire par les filles dans l’assistance), parfois bouleversantes (la lettre que Leonard Cohen lui adressa à la mort de son fils) ; elle évite, par d’habiles jeux de miroir aux alouettes la tentation rétro-nostalgique. “Il est de toute façon peu enclin à la nostalgie, mais ce projet lui a permis de se pencher sur son parcours avec beaucoup d’honnêteté, souligne Christina. Ces 45 ans de créations, tels qu’ils sont racontés ici, démontrent à quel point il n’a cessé d’évoluer.” Progresser à travers ce bric-à-brac quelque part entre Queneau, Fellini et Burroughs procure l’illusion, pas toujours confortable, de partager autre chose que des anecdotes, plutôt tout un monde immergé intensément sensible. “Nous avons beaucoup réfléchi au genre d’exposition que nous voulions monter, nous avons bien sûr regardé ce qui s’était fait auparavant dans ce genre. L’idée était vraiment d’offrir une
proposition artistique en soi, poursuit Christina. Il sait très bien construire une mythologie autour de lui, et c’est l’oscillation entre mon regard de curatrice et son apport personnel, ainsi que l’incertitude sur la véracité de ce qui est montré, qui nous intéressait. Marina Abramovic, par exemple, sait très bien, et très tôt ce qu’elle veut, réaliser une exposition est son médium d’expression. Ce qui n’est pas le cas de Nick, qui a un sens artistique inné, mais qui cherchait son chemin, qui ne pouvait être que le sien propre, et c’était passionnant à observer.” ALLURE IMPECCABLE
Il faut souligner l’apport essentiel de Gucci pour le soutien à la concrétisation de ce projet, qui a réclamé des miracles logistiques – “nous en sommes infiniment reconnaissants”, admet Christina. “Si quelqu’un se demande pourquoi je m’habille mieux qu’avant, la raison est simple : Gucci, explique Nick Cave (dont les standards vestimentaires n’ont pas peu contribué à une allure impeccable). Pendant quarante ans je n’ai jamais laissé un créateur m’approcher, 75
jusqu’à ce que je rencontre Alessandro Michele, et tout a changé. Qui peut résister à Gucci ! Alessandro est un génie. C’est aussi un ami. Que Gucci soit partenaire de cette exposition est un grand honneur.” Alessandro Michele, le directeur de la création de Gucci, détaille sa relation avec le chanteur : “J’ai toujours été fan, depuis ma jeunesse, aussi bien de sa musique que de sa personnalité. Il est bien plus qu’un musicien. Il est de nos plus grands poètes modernes. Un genre de troubadour, à travers ses chansons il raconte la complexité de nos vies, de notre existence et de son sens. Cet aspect de son travail m’a toujours fasciné. L’avoir rencontré a renforcé cette fascination. Son charisme est incroyable, à l’image de tout ce qu’il crée.” 800 mètres carrés, près de 300 objets, 8 salles (et une des villes les plus douces au monde, mais c’est une autre histoire) le confirment : il n’a jamais été plus clair que Nick Cave est un artiste complet, capital. •* Theredhandfiles.com • Exposition “Stranger Than Kindness: The Nick Cave Exhibition” au Black Diamond à Copenhague, jusqu’au 13 février 2021. 5.kb.dk
AMBASSADEUR
STAN WAWRINKA, TOUJOURS PLUS HAUT Joueur de tennis talentueux et pugnace, Stan The Man, comme on le surnomme, est le nouveau Mark-Maker de Montblanc. Il a présenté le premier casque MB01, sans fil et intégrant la réduction active de bruit, lancé par la maison ce printemps. Rencontre. Par CAROLINE BAUD
Comment s’est faite votre rencontre avec Montblanc ?
Êtes-vous passionné de musique ?
Stan Wawrinka : J’ai toujours beaucoup aimé la marque et notre rencontre s’est faite via des connaissances communes. La Suisse reste un petit pays ! Montblanc est symbole de qualité et d’expertise et ces valeurs sont très importantes pour moi.
Oui, j’aime beaucoup la musique, elle joue un rôle important dans ma vie quotidienne : que je sois en voyage pour les tournois, à la salle de sport pour m’entraîner ou simplement quand je me relaxe chez moi.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet et quelle part y avez-vous prise ?
J’écoute tous styles de musique, cela dépend des occasions. Si je suis à la salle de sport, j’adore écouter du son avec du rythme style house music. En voyage, je varie, du rock au hip-hop en passant par le RnB.
Photo DR
Quel style écoutez-vous ?
Montblanc est un véritable dépositaire de l’expertise d’artisans, que ce soit avec les cuirs faits dans leurs ateliers en Toscane ou avec les instruments d’écritures fabriqués dans la manufacture historique à Hambourg. Ce niveau de compétences et de recherche d’excellence est exactement à l’image de ce que j’applique tous les jours à l’entraînement et pendant les tournois : repousser mes limites grâce à ma passion pour mon sport. Cet alignement de valeurs avec Montblanc m’a donné envie de collaborer avec la marque.
La musique vous aide-t-elle à vous concentrer, par exemple avant un match, ou à vous détendre ?
Absolument. La musique joue un rôle énorme, surtout quand je dois être concentré et me recentrer sur moi-même, elle annihile tous les bruits extérieurs et me permet de me préparer au mieux à affronter ce qui m’attend. 77
AMBASSADEUR
“La musique joue un rôle énorme, surtout quand je dois être concentré et me recentrer sur moi-même, elle annihile tous les bruits extérieurs et me permet de me préparer au mieux à affronter ce qui m’attend.” STAN WAWRINKA
Que préférez-vous chez Montblanc ? Les stylos ? Les bagages ?
Malgré le succès, vous êtes resté modeste. Est-ce une valeur que vous devez à votre éducation ?
Étant en déplacement plus de 300 jours par an, j’ai une série d’accessoires, de véritables compagnons de voyage dont je ne peux me passer : cela va du sac à dos à la valise en passant par la ceinture Montblanc. Avoir des produits fiables et de qualité au quotidien me permet de me concentrer sur ce qui est vraiment important pour moi : ma famille et le tennis.
Oui, à mon éducation et à ma famille qui m’a transmis les bonnes valeurs. Je pense qu’il s’agit surtout de s’entourer des bonnes personnes, qui prennent soin de vous et veillent à votre meilleur intérêt Comment gérez-vous votre succès au quotidien ?
Pour moi, le plus important est avant tout de rester motivé au maximum afin de continuer à m’améliorer ; il ne faut jamais stagner ou se satisfaire de l’acquis. Je crois que c’est cela qui me maintient les pieds sur terre. Je veux toujours en faire plus.
Vous avez dit que le travail est essentiel pour réussir. Avant le talent ?
Absolument. Travailler dur est la chose la plus importante pour avoir du succès. Le talent peut vous amener jusqu’à un certain point, mais le travail et l’implication seront toujours les parts les plus importantes dans le succès. 78
Musique en tête Nouveau venu très remarqué chez Montblanc avec le lancement du premier casque audio sans fil overear de la maison. “Nous avons cherché à créer un casque qui ferait la synthèse d’une technologie de pointe, d’un design sophistiqué et du confort, car c’est ce qui compte vraiment aux yeux des voyageurs Montblanc, qu’ils soient à bord d’un vol long-courrier, en audioconférence à l’aéroport ou simplement en train de profiter de la route pour recharger leurs batteries”, explique Nicolas Baretzki, PDG de Montblanc. Côté look, les lignes du casque sont directement inspirées de l’esthétique minimaliste et élégante propre à l’identité de la maison. “Lorsque nous avons développé ces essentiels de voyage, précise Zaim Kamal, directeur créatif de Montblanc, notre objectif était non seulement de créer un casque offrant performance et fiabilité, mais aussi un design très distinctif avec des coussinets plus grands pour envelopper l’oreille, ainsi que des finitions en métal et en cuir élégantes qui lui confèrent cette touche Montblanc inimitable.” Le casque, dont le développement s’est fait avec le spécialiste américain du son Alex Rosson, intègre plusieurs fonctionnalités, notamment la réduction active du bruit et l’assistant Google pour des déplacements personnalisés grâce aux dispositifs de commande vocale. Compact et pliable afin de satisfaire aux besoins des voyageurs, le casque MB01 se décline en trois versions : cuir noir avec finitions métalliques chromées, cuir marron avec finitions métalliques dorées et cuir gris clair avec finitions métalliques polies. Chaque casque se présente dans une pochette en tissu fin avec un câble de charge USB de type C, un câble audio et un adaptateur pour avion. Montblanc.com
Photos DR
Par Odile Habel
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ADRESSES
5 MONCLER CRAIG GREEN moncler.com ACNE STUDIOS acnestudios.com ALAN CROCETTI alancrocetti.com ALESSANDRO GHERARDI alessandrogherardi.com ALEXANDER MCQUEEN alexandermcqueen.com ANN DEMEULEMEESTER anndemeulemeester.com ARRIGO COSTUMI MILANO arrigocostumi.com BALMAIN balmain.com BERLUTI berluti.com BLEUE BURNHAM bleueburnham.com BOTTEGA VENETA bottegaveneta.com BRUNELLO CUCINELLI brunellocucinelli.com BURBERRY burberry.com CANALI canali.com CARTIER cartier.fr CELINE celine.com CHRISTIAN LOUBOUTIN christianlouboutin.com CHURCH’S church-footwear.com CRAIG GREEN craig- green.com D’HEYGERE dheygere.com DIOR dior.com
DOLCE & GABBANA dolcegabbana.com DRIES VAN NOTEN driesvannoten.com DR. MARTENS drmartens.com DSQUARED2 dsquared2.com DUNHILL dunhill.com EGON egonlab.com EMANUELE BICOCCHI emanuelebicocchi.it ERMENEGILDO ZEGNA zegna.com FENDI fendi.com G.H. BASS & CO ghbass-eu.com GABRIELA HEARST gabrielahearst.com GAULTIER PARIS jeanpaulgaultier.com GCDS gcds.it GENTLE MONSTER gentlemonster.com GIORGIO ARMANI armani.com GIUSEPPE ZANOTTI giuseppezanotti.com GIVENCHY givenchy.com GLD thegldshop.com GUCCI gucci.com HERMÈS hermes.com KOLOR kolor.com
JIL SANDER jilsander.com JIMMY CHOO jimmychoo.com JOHN HARDY johnhardy.com JOHN LOBB johnlobb.com LANVIN lanvin.com LARDINI lardini.com LEMAIRE lemaire.fr LOEWE loewe.com LOUIS VUITTON louisvuitton.com MAISON MARGIELA maisonmargiela.com MARCO DE LUCA marcodelucagioielli.com MARNI marni.com MOSCOT moscot.com MSGM msgm.it NO21 numeroventuno.com OFF-WHITE off — white.com PARAJUMPERS parajumpers.it PI LONDON pilondon.co.uk PIACENZA CASHMERE piacenzacashmere.com PRADA prada.com RAF SIMONS rafsimons.com 80
ROCHAS rochas.com RUSLAN BAGINSKIY ruslanbaginskiy.com RYNSHU rynshu.com SAINT LAURENT ysl.com SARAH BORGHI sarahborghi.com SEAN SUEN seansuen.com SEX SKATEBOARDS sexskateboards.com STELLA MCCARTNEY stellamccartney.com STEPHEN JONES stephenjonesmillinery.com TAG HEUER tagheuer.com TAGLIATORE tagliatore.com THEO FENNELL theofennell.com THOM BROWN thombrowne.com TOM FORD tomford.com VALENTINO valentino.com VERSACE versace.com WALES BONNER walesbonner.net WING & WEFT wingweftgloves.com X KARLA xkarla.com YIE KIM yiekim.com
L’idée de mode masculine est à la fois un phénomène très moderne mais aussi un concept totalement ancien et dépassé. La mode n’a pas de genre et son affectation au binaire est une construction sociale que nous laissons enfin derrière nous. Les hommes ont en effet toujours été à la mode – suivant les tendances et changeant les formes et la couleur de leurs vêtements – mais longtemps ils ont dû cacher leur intérêt derrière une armure protectrice et le masque répressif d’un uniforme sombre. En fin de compte, la révolution féministe a permis l’évolution de l’identité masculine et a ouvert la porte aux hommes pour s’exprimer confortablement sur le plan émotionnel à travers la mode. Comme nous l’avons vu sur les podiums du monde entier, la séparation entre modes féminine et masculine touche à sa fin. Mais du point de vue de l’industrie, et en tant que consommateurs, nous ne sommes toujours pas prêts à dissoudre complètement ces distinctions, c’est-à-dire à porter les mêmes vêtements ou acheter dans les mêmes magasins. Jamais auparavant on n’avait vu une telle convergence de tendances, avec des créateurs comme Gucci et Balenciaga combinant la présentation de leurs idées pour hommes
et femmes sur le même podium et dans la même boutique. Mais les hommes ont encore de nombreux tabous à briser et de batailles à gagner contre une solide tradition d’inhibition et de conformisme. Ils sont à un stade d’évolution différent, selon l’endroit où ils vivent et ce que leurs normes culturelles leur dictent. Le magazine L’Officiel Hommes a été lancé à la fin des années 1970 lorsque l’idée de la mode pour hommes est devenue plus socialement acceptable et commençait à devenir une réalité sur le marché. Depuis, bien des choses ont changé pour faire tomber les barrières des conventions, et aujourd’hui la marque mondiale L’Officiel vise à parler aux hommes et aux femmes en même temps. Mais deux fois par an, nous ressentons le besoin de mettre l’accent uniquement sur les hommes, en célébrant les pionniers qui repoussent avec audace les limites de la mode, de l’art et de la culture : comme notre cover-star Jared Leto ou le duo d’art légendaire Gilbert & George, avec les nombreuses tendances de la mode représentées dans notre section spéciale dédiée à la nouvelle couture, Power Off. Ensemble, ces hommes regardent le miroir de la mode pour voir d’où ils sont venus et jusqu’où ils doivent encore aller.
Jared Leto, entre abîmes et cimes Après trois décennies crowd-surfing depuis les scènes de concert rock et de transformations drastiques sur grand écran, l’énigmatique acteur, musicien et provocateur revient sur sa vie à l’aube d’une nouvelle ère avec l’innovateur de la pop Finneas. Photographie CAMERON McCOOL Stylisme KARLA WELCH Il y a vingt ans, Jared Leto était perché sous héroïne, se lançant dans un tour de manège fantasmagorique à la Coney Island vers le grand abîme. En jouant Harry, le héros déchu de Requiem For a Dream, l’épopée psychologique de Darren Aronofsky, Leto a mérité les vivas de la critique, catapultant l’acteur et musicien (il a formé le groupe de rock culte Thirty Seconds to Mars avec son frère Shannon en 1998) en haut de l’affiche après des rôles secondaires mais électriques dans Girl, Interrupted ou Fight Club de David Fincher, des performances intenses doublées d’une méthode martyrisante. Pour la saga d’Aronofsky, Leto a fait scandale en vivant plusieurs mois comme un sans-abri à New York, s’abstenant de relations sexuelles et de repas réguliers pour se transformer physiquement, construisant jour après jour le regard émacié de son personnage toxicomane. Au cours des deux décennies qui ont suivi, Leto a continué à chasser les extrêmes – jouer un superméchant millennial dans Suicide Squad ou un trafiquant
de pilules transgenre dans le Dallas Buyer’s Club – avec des performances subversives, parfois bizarres qui soulèvent la question : n’a-t-il aucune limite dans ses défis ? De même, dans la musique et la mode, Leto a dissous les frontières de la norme hollywoodienne, en évoluant du rebelle et underground au maximalisme fluide imaginé par Alessandro Michele chez Gucci (pour qui Jared a joué l’égérie) et une nouvelle génération de TikTokers expérimentaux. En effet, Leto aujourd’hui, avec sa longue crinière et son physique bien construit, n’est plus le jeune rocker en jean serré qui foulait le sol du Vans Warped Tour. Au moment où l’on fête l’anniversaire de Requiem For a Dream, il parle avec son ami de longue date (et parfois collaborateur) Finneas O’Connell – plus connu sous le nom de Finneas, l’éminence grise de sa sœur Billie Eilish –, de son nouvel amour de l’escalade, des grands moments de ses performances live, et même de musique inédite. — Joshua Glass
CI-CONTRE : Veste, chemise et pantalon, SAINT LAURENT PAR ANTHONY VACCARELLO. PAGE DE DROITE : Blazer et pantalon, FEAR OF GOD X ERMENEGILDO ZEGNA. Chemise, XKARLA. Mocassins, G.H. BASS & CO. PAGE PRÉCÉDENTE : Chemise, SAINT LAURENT PAR ANTHONY VACCARELLO.
FINNEAS : Avant notre rencontre, j’ai lu une interview de toi dans laquelle tu dis aimer utiliser le pouvoir du non. Cela a vraiment influencé la manière dont j’ai mené ma carrière, et, je crois, Billie la sienne. Tu nous as incités à faire preuve de prudence dans nos engagements, alors je t’en remercie. Tu es si définitif et réfléchi dans les choix que tu fais que je voulais te demander s’il y a quelque chose que tu regrettes d’avoir refusé. JARED LETO : Je devrais probablement dire que je suis nul pour dire non, c’est pourquoi j’essaie d’être aussi attentif que possible. J’adore travailler. Je dois donc vraiment surveiller la quantité de travail à laquelle je m’astreins, car tout ce à quoi tu dis oui est un non à autre chose, et inversement. Je ne pense pas vraiment en termes de regret, mais si je devais mettre certaines choses dans cette case, il serait probablement moins question de refus de films que de passer plus de temps à escalader des montagnes et à être en plein air. C’est quelque chose que j’aurais aimé faire davantage dans ma vie. FO : C’est bien de savoir que l’escalade t’épanouit parce que l’épanouissement
vient à petites doses, en particulier pour les artistes. Il y a un certain degré d’accomplissement créatif dans la conception d’un album, bien sûr, ou j’imagine dans le tournage d’un film, mais il y a aussi tellement d’espace cérébral qui est consacré à réfléchir au prochain projet sur lequel on va travailler, ou au refrain de cette chanson qui n’est toujours pas le bon, etc. C’est ce que je ressens chaque fois que je travaille sur un album, donc l’idée que grimper t’apporte autant de satisfaction me procure beaucoup de joie. Tout le monde devrait trouver une activité qui apporte un sentiment d’excitation. Tu es sans doute aujourd’hui en position de donner beaucoup de conseils aux gens, mais je voudrais savoir à qui, toi, tu demandes conseil ? Ce qui est drôle avec la musique, c’est que quand tu travailles sur un album – en ce qui me concerne, je travaille sur des albums pendant des années –, un jour tu es au sommet du monde parce que tu as une illumination, et puis trois semaines plus tard, tu détestes ce que tu as fait. Je passe souvent par ces montagnes russes d’insatisfaction, de surprise et d’excitation. Or l’escalade c’est le plein air, la simplicité, cet instinct de base qui t’oblige à être complètement dans l’instant. En matière de conseil, je me tourne vers de nombreuses personnes. Quand je fais de la musique, ça peut être quelqu’un comme toi, ce que j’ai fait plusieurs fois. D’ailleurs, j’ai terminé une des démos sur lesquelles nous avons travaillé ensemble, je devrais te l’envoyer pour que tu l’écoutes.
JL :
FO :
S’il te plaît, j’adorerais l’entendre !
C’est plutôt cool. C’est super bizarre et super sombre, j’adore ça et je pense que tu vas adorer aussi. L’avantage de faire des films c’est que tu as le réalisateur, les scénaristes, les éditeurs et d’autres acteurs avec qui travailler. J’étais au téléphone l’autre jour en train de faire un enregistrement de voix pour Morbius, et je me suis arrêté et j’ai posé une question aux techniciens, que je me posais depuis des années. Je crois que je suis obsédé par l’apprentissage. Je suis hyper curieux et je veux apprendre tout le temps.
JL :
FO : C’est probablement pour cela que tu es si doué pour tant de choses. Tu peux également te permettre le luxe d’avoir des experts pour te donner des conseils. Pour moi, il n’y a pas de meilleur professeur qu’une personne passionnée par son domaine. J’étais récemment avec Steve Bellamy, qui dirige Kodak, et je lui ai posé une question simple sur la longueur des bobines de film. Si j’étais allé à l’école de cinéma et que j’avais étudié le film photo, cela aurait été une conférence ennuyeuse de six semaines, mais là j’avais l’impression d’absorber tout ce qu’il y a à savoir en dix minutes.
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Je pense que j’apprends aussi de mes amis. Je suis peut-être bon dans certains domaines, mais terriblement nul dans tellement d’autres. J’aime apprendre de mes amis… comment ils passent leur temps libre ; quelle est leur vie sociale. J’ai beaucoup à rattraper car j’ai été longtemps concentré sur mes objectifs de carrière et mes ambitions, pendant des d’années. Je consacre enfin plus de temps à d’autres choses, alors toi et d’autres personnes pourriez m’apprendre beaucoup là-dessus. JL :
Curieusement, cela ne me dérange pas du tout, mais j’aurais une relation complètement différente à ça si j’étais réalisateur. En tant qu’acteur, je trouve qu’il vaut mieux abandonner ce contrôle ou cette responsabilité une fois que tu as terminé la scène. À l’exception de Rescue Me que Mark Romanek a fait, j’ai réalisé toutes les vidéos de Thirty Seconds to Mars sous le pseudonyme de Bartholomew Cubbins. C’est l’un de mes secrets les moins bien gardés, mais c’est amusant pour moi car j’ai eu l’opportunité de travailler sans pression. Quand je sors un album, je passe autant de temps sur les clips vidéo et les composants visuels que sur les chansons elles-mêmes. Peut-être que c’est parce que j’ai toujours été inspiré par des groupes comme Pink Floyd, ou peut-être parce que j’ai abandonné mon cursus en art. J’ai toujours voulu être peintre.
JL :
FO : Je sais qu’aucun de nous n’a fait de concerts cette année, évidemment, mais l’été dernier, tu as fait un nombre terrifiant de scènes dans un laps de temps extrêmement limité à travers l’Europe. N’as-tu pas joué tous les jours pendant sept semaines ?
Tu as été très gentil avec moi et Billie bien avant que quiconque ne soit au courant de notre existence, et nous t’en sommes très reconnaissants. Nous avions tant besoin de conseils de la part de personnes plus avancées que nous sur ce long chemin. Tu nous avais dit que lorsque tu as commencé à faire de la musique, personne ne voulait signer ton groupe. C’était fou à entendre parce que ta musique a joué un rôle majeur pendant mon adolescence. Étaitce vraiment le cas ? FO :
JL: Oui, mais je pense qu’une partie du problème a pu venir de nous (rires)… Nous avions refusé de jouer à Los Angeles. Je crois que le concert le plus proche que nous avons fait était à Santa Barbara. C’était compliqué, même après notre signature. Nous n’avons pas vraiment eu de succès pendant sept ou huit ans, et notre première percée n’a eu lieu qu’en 2006 avec la chanson The Kill. Et même là, à un moment donné, les stations de radio ont refusé de diffuser notre musique. MTV a déclaré qu’elle ne cautionnerait jamais Thirty Seconds to Mars ! Depuis, nous avons remporté deux douzaines de MTV awards et joué probablement dans une douzaine de remises de prix MTV à travers le monde. Nous sommes devenus d’excellents partenaires, mais nous avons gravi les échelons du négatif absolu à un succès que nous n’avions jamais imaginé. J’ai tellement de gratitude pour toutes ces expériences. Lorsqu’on débute, on a hâte. Les principaux moteurs pour moi étaient la peur et l’échec, mais quand je regarde en arrière, c’est plutôt la gratitude. Même quand je me projette dans le futur, je ressens cette gratitude, c’est bien d’arriver à cette pensée.
En parlant de MTV, je ne savais pas que tu avais réalisé plusieurs de tes vidéos sous un pseudonyme. C’est une chose que Thirty Seconds to Mars et ma sœur ont en commun : la composante visuelle est si forte qu’elle rend la musique encore plus attrayante. J’entends depuis des années que tu ne regardes pas les films dans lesquels tu joues, alors réaliser un clip vidéo doit être un défi, car tu dois regarder ta propre performance…
FO :
CI-DESSUS : Jean, GUCCI. Sweatshirt, perso. PAGE DE DROITE : Chemise et T-shirt, SAINT LAURENT PAR ANTHONY VACCARELLO
AU début, MES PRINCIPAUX MOTEURS ÉTAIENT LA peur ET L’échec, MAIS QUAND JE REGARDE EN ARRIÈRE, C’EST PLUTÔT LA gratitude. MÊME QUAND JE ME PROJETTE DANS LE futur, JE RESSENS CETTE GRATITUDE. JL : On a toujours beaucoup tourné. On avait pris l’habitude de se plaindre à notre agent si on avait un jour de congé, alors il était courant pour nous de faire des spectacles 21 jours consécutifs, 18 jours consécutifs, puis 14 jours consécutifs. Si on avait un jour de congé au milieu, on se disait “mais qu’est-ce qu’on va faire ?” On n’en serait pas si on ne s’était pas engagé dans ce type de tournées. C’est drôle, au tout début de la carrière du groupe, à l’époque où j’étais à Cannes, Requiem For a Dream faisait ses débuts au festival du film et, comme vous le savez, je ne regarde généralement pas mes films. Darren Aronofsky m’a mis dans une situation critique. Il m’a traîné à la première et m’a dit : “Il faut regarder le film, il faut faire partie de cette expérience, monter les marches de la Croisette”, et je l’ai fait. J’ai regardé le film. Je me suis assis à côté de Hubert
d’arriver à un lâcher prise pour être vraiment dans le show. Ces moments sont glorieux. FO : Je pense exactement la même chose, si les lumières s’éteignent quelques millisecondes, je le remarque. S’il y a un gamin qui se bat avec un autre sur le côté droit de l’arène, je le remarque. Tout ça pendant que je joue de ma basse et que je chante. C’est vraiment incroyable à quel point on peut être attentif sur scène. JL : Oui, le cerveau peut se compartimenter, surtout lorsqu’on est dans un état de combat ou de fuite, avec des conséquences importantes. Mais il y a aussi ce qui se passe sur scène, pour moi, mon frère et 40 000 personnes, et je me sens complètement détendu, à l’aise et paisible. J’ai vécu ces moments d’absence totale d’inconfort, et c’est une sensation vraiment incroyable. L’intimité, tu sais. Que penses-tu qu’il va se passer avec les tournées dans le futur ? Maintenant, je regarde des photos de moi me tenant audessus de la foule ou traversant un public de 100 000 personnes au festival Rock Am Ring, et je me dis, est-ce que ça va se reproduire ?
Selby Jr. Alors que les lumières s’allumaient, on s’est regardé en larmes. Tout le monde était debout, donnant une standing ovation. Plus tard dans la nuit, on est allé chez Elton John – un genre de palais – avec les acteurs. Elton est un véritable supporter, il encourage les jeunes artistes, et il est vraiment à l’écoute. On parlait ce soir-là et je lui ai dit que je faisais de la musique depuis toujours. J’ai commencé en disant : “Mon frère et moi avons ce groupe Thirty Seconds to Mars.” Il a dit: “Faites une tournée, une autre tournée, puis une nouvelle tournée, et lorsque vous en aurez terminé, faites une autre tournée.” C’est vraiment Elton qui m’a encouragé à doubler les concerts parce qu’il m’a parlé de la façon dont cela avait changé sa vie à lui. Ce qu’il a dit a vraiment eu un impact sur moi. Je suis vraiment reconnaissant parce qu’il avait raison. FO : JL :
Je pense au rôle que les psychédéliques ont joué dans ma vie.
Comme Tiny Dancer (chanson d’Elton John, ndlr).
FO : Je ne prends pas de drogue, pas pour être rigoureux mais parce que ce n’est tout simplement pas très intéressant pour moi… JL : C’est bon, j’en ai pris assez pour nous deux, et pour ta sœur aussi.
La plus grande émotion est d’être sur scène, je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit qui rivalise avec le pouvoir d’être devant autant de personnes, chantant dans la paume de votre main. Jared, tu as une vie aux multiples facettes : tu es un acteur et musicien accompli, un grimpeur et un investisseur. As-tu le même sentiment de bonheur et d’euphorie lorsque tu es sur scène pour un grand concert, ou es-tu toujours concentré pour offrir la meilleure performance ? Es-tu capable de ressentir cette puissance et cette joie lorsque tu es sur scène ? FO :
JL : Oui, c’est le plus grand des sentiments, et tu as raison de dire qu’il n’y a pas de drogue au monde qui puisse rivaliser avec une course à pied au parc Yosemite ou être sur scène à Paris ou à Londres. Quand je joue, je travaille toujours. Je vais me dire : pourquoi le public à gauche n’est-il pas aussi enthousiaste que celui à droite ? Ou je vais voir ce g amin dans un coin et me donner pour mission de lui faire passer la meilleure nuit de sa vie. J’essaie aussi
Je pense que cela arrivera. Quand, je ne sais pas. Mais ça arrivera. Billie et moi avons des parents qui ont la soixantaine, donc ils présentent un pourcentage de risque plus élevé et, elle, souffre d’asthme, alors j’ai fait très attention. Je pense que la plupart des gens s’ennuient assez pendant cette pandémie. Donc, je pense que dès que les gens apprendront qu’il est même à moitié safe de retourner à Coachella, ils le feront. Les gens semblent préférer les expériences joyeuses à la sécurité à 100 %. Mais je suis tout à fait d’accord avec toi : quand tu regardes des images de concerts passés – surtout maintenant –, cela semble être une folie totale.
FO :
Il y a une photo que quelqu’un m’a envoyée, moi debout sur une barricade avec peut-être mille mains tendues pour toucher les miennes. Même après le vaccin, je pense qu’on va toujours se dire : Puis-je avoir une lingette humide ou quelque chose comme ça ? Je ne sais pas. Mais je crois que tu as raison, les gens sont prêts à sortir, à se réunir et à célébrer la vie et à passer un foutu bon moment. Je sais que moi, je le suis. — Propos recueillis par Finneas JL :
CI-CONTRE : Chemise, perso. Bague, JOHN HARDY. PAGE DE DROITE : Veste, chemise, pantalon et bottines, SAINT LAURENT PAR ANTHONY VACCARELLO. COIFFURE : Marcus Francis. MAQUILLAGE : Jamie Taylor avec les produits Augustinus Bader.
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Voir DOUBLE
Regards croisés entre le duo d’artistes Gilbert & George et le créateur de mode Jonathan Anderson sur les dualités de la vie et la pratique artistique.
Propos recueillis par PAMELA GOLBIN
notre vie est très important. Si vous rentrez dans un ordinateur un costume de chaque décennie des cent dernières années et que vous appuyez sur un bouton pour “faire la moyenne”, vous verrez apparaître à peu près les costumes que nous portons tous les jours. Nous aimons aussi beaucoup Oscar Wilde qui a écrit que la mode est si horrible qu’elle se doit de changer très souvent. J’ai été très influencé par votre travail quand j’étais à l’université, et je pensais que notre collaboration (en 2018 avec la marque JW Anderson, ndlr) était une bonne base pour en parler aux plus jeunes. Il y a une beauté dans l’humour britannique que j’apprécie. Quand on regarde vos œuvres du début des années 80, les hommes sont incroyablement séduisants.
JONATHAN ANDERSON :
L’OH : Jonathan, vous avez récemment été nommé membre du conseil d’administration du Victoria & Albert Museum de Londres.
L’IMPORTANT, depuis LE DÉBUT, CE N’ÉTAIT PAS QUE NOUS fassions DE L’ART, MAIS QUE NOUS soyons L’ART.
Photos Loewe ; courtesy Gilbert & George et Lehmann Maupin, New York, Hong Kong, Séoul et Londres, DR
—GILBERT
En tant que duo magistral, Gilbert & George exécutent à la perfection leur partition où l’un commence une phrase et l’autre la termine. Ce sont deux voix mais une réponse. Le couple d’artistes “so british” se complètent non seulement dans la pensée mais aussi dans leurs costumes-uniformes, devenus leur image de marque depuis leurs débuts, en 1967, alors qu’ils étudiaient encore la sculpture à la Saint Martins de Londres. Avec son air juvénile et sa mèche rebelle, tel un feu follet en mouvement perpétuel, l’Irlandais du Nord Jonathan Anderson semble être leur parfait opposé. Il partage son temps entre sa propre marque JW Anderson et la maison de luxe espagnole Loewe. Connu pour sa signature vestimentaire décalée, Anderson a trouvé sa dernière inspiration dans la devise de son compatriote Oscar Wilde : “Le secret de la vie est dans l’art.” Le créateur de mode ne cache pas non plus son admiration pour le travail de Gilbert & George, ayant déjà collaboré avec le duo en 2018, et nous rappelant au passage à quel point les générations continuent à s’influencer mutuellement. L’OFFICIEL HOMMES :
la mode ?
Pensez-vous qu’il existe une relation entre l’art et
Aucune. Absolument aucune. Nous n’avons jamais regardé la mode. Quand nous avons commencé à arpenter les rues de Londres en 1968, nous voulions être nous-mêmes, en grand. C’est pourquoi nous avions des costumes pour (…)
GILBERT :
(…) pour afficher notre respectabilité. En tant que membres de la classe inférieure, nous pensons qu’il est très important de porter un costume pour une occasion importante. Si vous sortez pour aller au travail, à un mariage ou à un enterrement, vous enfilez un costume. Et nous pensons que chaque jour de
JA : Oui, et c’est intéressant. Gilbert et George ont mentionné Oscar Wilde. Quand je pense au costume, c’est le costume en velours chocolat d’Oscar Wilde qui me vient en tête, et le V&A vient de l’acquérir. George, tu as raison. À part les revers et la taille, le costume a très peu changé depuis ces cent dernières années.
Nous voulons toujours nous démarquer et nous fondre dans la masse en même temps. Pour cela, le costume est aussi très pratique : vous n’êtes pratiquement jamais fouillés à l’aéroport et vous pouvez avoir une table dans n’importe quel restaurant.
GEORGE :
GILBERT : L’important, depuis le début, ce n’était pas que nous fassions de l’art, mais que nous soyons l’art.
Vous voulez dire que d’être sur votre 31 vous a toujours permis de vous en tirer ? L’OH :
Oh oui ! Nous nous en sommes toujours tirés en toute impunité, oui. Nous avons pu nous cacher d’une façon à la fois énorme et fantastique. GILBERT :
Habillés comme ça, nous pouvons faire ce que nous voulons. Le costume de ville est la version moderne du chevalier normand. C’est une armure masculine, non ? GEORGE :
GEORGE :
CI-DESSUS : Les artistes Gilbert & George, en 2015. PAGE DE GAUCHE, EN HAUT : Gilbert & George avec leurs “Object
Sculptures” sur le toit de la St Martins School of Art, Londres, 1968. EN BAS : Le designer Jonathan Anderson, et la collection Loewe printemps-été 2015 par Jonathan Anderson.
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L’OH :
Pour vous, Jonathan, quel est le rôle de la mode ?
JA: J’ai grandi en Irlande du Nord. Les vêtements pour moi sont devenus une forme d’arme. Nous devenons tous des personnages lorsque nous allons travailler ou sortons le soir. La mode peut être simplement utilitaire, ou s’aventurer dans la démesure, elle peut aussi s’envisager comme un moyen de se protéger. J’aime m’asseoir dans un parc et regarder ce que les gens portent, leur attitude, ce qui les fait se tenir. La mode est puissante dans la mesure où, à travers elle, vous pouvez dire la période dans laquelle vous êtes.
Pour nous, la mode est contre notre religion. Nous avons pris la décision de porter nos costumes et, comme l’habit pour un moine, c’est pour la vie.
GILBERT :
L’OH : Alors que Gilbert et George sont deux personnes mais un seul artiste, Jonathan, vous êtes un designer avec une double personnalité. Vous créez à la fois pour votre propre marque, JW Anderson, et pour la maison de luxe espagnole Loewe.
L’OH : Gilbert & George, vous venez de travailler sur une série d’œuvres
intitulée The New Normal. Comment s’est déroulé ce processus ?
CI-DESSUS : La performance “The Singing Sculpture”
de Gilbert & George, en 1992.
CI-DESSOUS : “Trapped,” 1980, et “Union Dance,” 2008,
par Gilbert & George.
GEORGE : Nous sommes très excités. Nous sentons vraiment que nous avons touché quelque chose, comme on dit. GILBERT : L’idée est venue en marchant dans les rues de Spitalfields. Nous voulions trouver un nom qui pourrait expliquer “existentialisme” en anglais. Et “normal” ne colle pas, c’est trop normal. Comme nous appelons toujours nos nouvelles images “new”, nous avons opté pour “new normal”. L’OH : La pandémie a provoqué des bouleversements incroyables dans les mondes de l’art et de la mode. Les foires d’art sont maintenant des salles de visionnage et la mode est une entreprise phygitale (nouvelle tendance la vente au détail qui allie le monde physique et le monde digital, ndlr). En quoi cela a-t-il changé votre façon de travailler ? GILBERT : En rien car, pour le moment, nous travaillons jour et nuit. Nous ne nous sommes pas arrêtés un seul jour jusqu’à présent.
Eh bien, la mode a vraiment changé. Mais je pense qu’on arrivait à la fin d’un cycle, et que le coronavirus n’a que précipité les choses. C’est à la fois effrayant et assez libérateur. J’ai davantage de temps pour réfléchir et lire. Ce que j’ai trouvé très difficile pendant le confinement, surtout en vivant à Londres, c’est de voir les inégalités économiques se creuser entre les gens.
JA :
Notre message principal reste le même : jamais les gens n’ont été aussi privilégiés qu’aujourd’hui. Nous sommes tous des enfants gâtés ! GEORGE :
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Photos Loewe ; courtesy Gilbert & George et Lehmann Maupin, New York, Hong Kong, Séoul et Londres, DR
JA : Je ne sais pas si vous avez vu le film Charlie et la Chocolaterie avec Gene Wilder, dont le personnage Willy Wonka doit se faire interdire de faire une chose pour la faire. Je veux dire par là que je refuse de penser que les vêtements sont pour homme ou pour femme. Tout cela s’est mis en place ans ma tête quand j’étais enfant et que je faisais du shopping avec ma mère, qui m’expliquait : “Pour les femmes, les boutons sont de ce côté, pour les hommes, de l’autre.” Cela me paraissait ridicule, et m’a conduit à sortir des normes pour ma marque. Pour Loewe, c’est une forme plus chic de moi-même qui s’exprime. C’est comme si je devais être plus calme, plus respectueux. Et j’ai le temps de l’Eurostar pour me mettre dans la peau du personnage avant d’arriver au siège de Loewe à Paris.
L’OH :
Que pouvons-nous y faire ?
GEORGE : L’artiste n’est pas là pour conforter les gens d’être comme
ils sont. Il est là pour montrer qu’il existe d’autres voies possibles.
GILBERT :
Nous voulons confronter le spectateur à ses difficultés.
On nous demande souvent pourquoi nous sommes provocateurs. Nous ne sommes pas provocateurs, certainement pas. Nous voulons simplement provoquer la réflexion.
GEORGE :
L’OH :
“L’art pour tous” est votre devise depuis longtemps.
GILBERT : Nous avons trouvé ce titre en 1969. Nous voulions faire de l’art et que tout le monde puisse en tirer quelque chose. L’OH :
LA MODE PEUT ÊTRE SIMPLEMENT utilitaire, OU S’AVENTURER DANS LA démesure, ELLE PEUT AUSSI S’ENVISAGER COMME UN MOYEN DE SE protéger.
Pensez-vous qu’il puisse y avoir une “mode pour tous” ?
—JONATHAN ANDERSON
JA : Oui. La mode est souvent vue comme une forme d’art élitiste,
mais que cela nous plaise ou non, nous sommes tous impliqués au quotidien dans cette étrange expérience publique de déguisement.
GILBERT : La mode, c’est énorme. C’est beaucoup plus grand que l’art parce que tout le monde veut se déguiser et se promener dans les rues de Londres, non ? L’art n’est en quelque sorte qu’un arbitre. L’OH :
Jonathan, comment voyez-vous votre rôle créatif ?
JA : Je me vois comme curateur d’idées, amenant différentes personnes dans des salles pour collaborer sur différents projets. Loewe a une fondation d’art qui promeut et décerne des prix dans les domaines de la poésie, de la danse, de la photographie et des arts et métiers. Et c’est très important. L’un de mes plus grands héros est William Morris (un des chefs de file du mouvement anglais Arts and
CI-DESSUS : Défilé Loewe Homme automne-hiver 2020. À GAUCHE : Veste, sweat-shirt et sac de la collection capsule
JW Anderson x Gilbert & George, 2018.
Crafts, ndlr), qui voulait vraiment donner la priorité aux artisans. Au départ, Loewe était une coopérative allemande d’artisans. À ce jour, les descendants de la génération d’origine travaillent toujours à l’usine. Il sont devenus des maîtres artisans et me guident car ils savent travailler le cuir, ce qui est incroyablement difficile. Nous avons été très impliqués dans le mouvement Arts and Crafts. Nous avons probablement l’une des plus grandes collections de cette période.
GILBERT :
GEORGE : Notre art est fait à la main mais personne ne s’en aperçoit,
et tant mieux. Nous voulons donner la sensation que ça passe directement de la tête et du sexe au mur.
JA : J’ai été très privilégié de venir chez vous et d’avoir observé le genre de paradoxe qu’il peut y avoir entre les Arts and Crafts et votre vision. Il a cette folie dans la juxtaposition.
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institution muséale de Londres m’a invité à faire une rétrospective. Je pensais que c’était étrange de faire ça à mon âge. C’était aussi un moment bizarre dans la vie politique en Grande-Bretagne. J’en avais marre de Londres et de ses grandes institutions, alors j’ai décidé d’accepter la proposition de Wakefield. J’ai eu l’idée de regarder comment les artistes, les créateurs de mode, les architectes, les potiers et les danseurs interprétaient le corps, en incluant des œuvres d’Eileen Gray à Jean Arp. Cela a pris trois ans pour monter l’exposition, mais ce fut une expérience incroyable. L’OH :
Qu’avez-vous exploré avec cette exposition ?
Je cherchais comment la sculpture classique interprétait le corps. J’aime l’idée d’ornementation, que le corps devienne cette sorte de vaisseau. Vous décorez un objet précieux qui est la forme humaine. Pour moi, l’exposition consistait à casser les règles. J’ai appris l’importance de les enfreindre dans n’importe quelle forme d’art afin de se trouver soi-même.
JA :
La séduction joue-t-elle un rôle important dans votre travail ?
Très important. Nous voulons séduire le spectateur. Nous aimons quand un monsieur âgé avec deux cannes vient et nous dit : “C’est une exposition formidable car cela me fait vraiment peur.” Nous voulons avoir un effet sur le spectateur.
GEORGE :
L’OH :
Quelle est l’importance de la chance dans tout ça ?
GILBERT : Ah ! Le destin. Tout est question d’accidents avec le destin.
Tout ce que nous faisons est accidentel et rien d’autre.
Quand nous allons au studio pour créer de nouvelles images, nous y allons la tête vide. Nous soulevons les images de l’intérieur de nous-mêmes sans être conscients de ce que nous faisons. Si nous étions conscients, si on avait un plan, nous ne ferions jamais les images que nous faisons.
GEORGE :
Jonathan, en 2016, vous avez organisé une exposition, “Disobedient Bodies” (Les Corps désobéissants). Comment était-ce ? L’OH :
Le musée Barbara Hepworth de Wakefield m’a demandé de collaborer sur un projet d’exposition. En même temps, une
JA :
L’OH : Comment définissez-vous la beauté et quel est son rôle dans votre travail ?
La beauté est là pour porter le message. Couleurs et formes ne servent que cet objectif de transmission.
GEORGE :
Tout change partout, tout le temps. La culture est la plus grande force.
GILBERT :
GEORGE : Nous disons toujours “Interdisez la religion” et “Dépénalisez le sexe”. Ce sont nos deux devises principales. Je suis toujours étonné quand les gens demandent ce que nous entendons
NOUS NE sommes PAS PROVOCATEURS, CERTAINEMENT PAS. Nous VOULONS SIMPLEMENT provoquer la RÉFLEXION. —GEORGE
par là. Ils ne savent pas qu’au moment où nous parlons, il y a des gens gisant sur le sol des cellules de la police dans plus d’une centaine de pays, affamés, et ne sachant pas s’ils seront exécutés ou non, juste pour avoir eu des relations sexuelles. C’est la même chose avec le bannissement de la religion. Uun jour, on a frappé à notre porte. C’était un pasteur âgé qui a dit : “J’adore ce que vous faites, interdire la religion, c’est merveilleux.” J’ai répondu : “Merci beaucoup, mais pourquoi pensez-vous cela ?” “Oh, c’est très simple. Je rencontre ma congrégation le dimanche. Ce sont tous mes amis, mais je EN HAUT : “Bloody Mooning,” 1996, par Gilbert & George. EN HAUT : “Playboy,” 2011, par Gilbert & George.
Photos Loewe ; courtesy Gilbert & George et Lehmann Maupin, New York, Hong Kong, Séoul et Londres, DR
L’OH :
familial. Nous n’avions pas d’argent mais nous savions que nous étions des artistes. Nous avons erré dans les rues de Londres pour trouver la vie. Près de la gare d’Euston, nous sommes tombés sur un magasin vendant des objets d’occasion devenus indésirables : des abat-jours, le téléphone de l’année dernière et tous les détritus de la vie humaine. À l’intérieur, il y avait un disque qui s’appelait Sous les arcades. Nous avons pensé que c’était très étrange car près de chez nous, à l’époque, il y avait des clochards sous les arcades comme ça. Nous l’avons apporté à un ami qui avait un phonographe, et nous avons été sidérés. Les paroles exprimaient la façon dont nous voyions la vie chaque jour dans l’East End de Londres. “Le risque pour lequel nous n’avons jamais signé, la culture qu’ils peuvent garder, il n’y a qu’un seul endroit que je connais et…
ne veux pas qu’ils soient religieux. Je veux qu’ils soient bons.” Grand moment. Vous êtes si généreux. Je crois que c’est pour ça que je vous aime. Quand je regarde votre travail, je suis téléporté. Il rend humble et c’est remarquable. L’OH : Comment avez-vous trouvé votre signature ? JA :
GEORGE : Eh bien, contrairement aux autres étudiants, lorsque nous avons quitté l’université, nous n’avions pas de filet de sécurité
GILBERT & GEORGE : (chantant ensemble) … c’est là où nous dormons. Sous les arcades, je rêve mes rêves. Sous les arcades, sur les pavés où nous nous couchons, chaque nuit vous me trouverez, fatigué et usé…” GEORGE : GILBERT :
Et c’est à ce moment-là que nous avons trouvé la vie.
Après cela, nous n’avons jamais changé.
GEORGE :
L’art était la vie et la vie était l’art. Un seul tout.
Incroyable ! En ce qui me concerne, j’ai l’impression de n’avoir toujours pas trouvé mon style, ma signature. Je suis toujours en quête de quelque chose ! JA :
EN HAUT : Détails de la collection JW Anderson automne-hiver 2020.
au milieu : Campagne Loewe printemps-été 2018 photographiée par Steven Meisel.
EN BAS : Images de l’exposition “Disobedient Bodies” de Jonathan Anderson au
musée Hepworth Wakefield.
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Vous connaissez ce look. La veste ajustée à double boutonnage, les épaules larges, le fameux ensemble trois pièces. Glorifié dans les assemblées des salles de conférence des années 80, dans les déjeuners tardifs ou les verres pris avant dîner dans le vieux Four Seasons de la 52e rue à Manhattan. S’habiller “de puissance” a toujours été plus qu’une simple fantaisie. C’était une impertinence féroce, un style de vie qui ne se gagne pas au fil du temps, mais qui se saisit dans un accord signé en une minute, récompensé par des martinis secs avec un zest. On pourrait penser à Richard Gere avec un manteau en poil de chameau de Giorgio Armani dans American Gigolo ou aux chemises aux poignets retroussés que Michael Douglas porte sous des bretelles serrant la poitrine en jouant Gordon Gekko dans Wall Street. Alors que les femmes ont rapidement gagné les bureaux et gravi les échelons de l’entreprise, les héroïnes cinématographiques ont fait de même, vêtues de vestes à épaules rembourrées et de pulls à col roulé. Le “power suit” féminin a porté le premier coup au plafond de verre professionnel. Avance rapide jusqu’à aujourd’hui, où la certitude et l’excès d’hier ont été remplacés par la facilité et l’ambiguïté familière. Notifications push contre cocktails de salon, pantalons de survêtement contre costume-cravate. Le Four Seasons – comme d’autres symboles de la vie professionnelle – n’est plus ouvert, et le monde que nous regardons à travers nos écrans est très différent de celui d’avant. Avec la vie à la maison et les interactions sociales soit
réduites par les télécommunications soit relâchées lors de dîners distanciés servis sur les trottoirs à ciel ouvert, s’habiller n’est plus tout à fait la même chose. Le monde d’avant se réalignera-t-il jamais avec notre nouvelle réalité ? Les défilés semblent affirmer, au moins, que les designers ont réimaginé le tailoring de la mode masculine avec une perspective pleine de charme cet automne. La collection automne-hiver 202021 de Miuccia Prada, par exemple, joue sur le contraste du tricot rétréci et des costumes en laine classiques monochromes, tandis que, dans un autre monde, Virgil Abloh pour Louis Vuitton projetait un costume à la coupe ajustée entièrement imprimé de nuages et orné de cuir avec de fugaces volants et des détails pratiques. Nous avons vu des dizaines de fois cette oscillation entre coupes traditionnelles et modernes, au moment où la mode confort offre des arguments assez forts, mais ne sommes-nous pas déjà sur la brèche vers quelque chose de différent… Dans ce portfolio mode, L’Officiel repense un dressing sans les pouvoirs auxquels nous sommes habitués. Sera-t-il flamboyant, avec une quincaillerie décorative ornant chaque costume sur mesure ? Ou sera-t-il plus nostalgique avec un côté années 80 revisitées ? À mesure que la culture change, les uniformes évoluent également, pour préserver quelque chose de précieux, la confiance en soi. —Joshua Glass 97
DeCOdiNg DRESS
L’environnement de travail réinventé laisse place à une certaine expérimentation empreinte de rêverie dans les standards vestimentaires. Photographie RICHIE TALBOY Stylisme DANIEL GAINES
CI-DESSUS : DONOVAN, Costume, GIVENCHY. Polo ton sur ton, GABRIELA HEARST. Chemise, PRADA. Cravate, HERMÈS. PAGE DE GAUCHE : MBAYE, Veste, chemise et cravate, VERSACE. PAGE PRÉCÉDENTE : MAXIMILIAN, Trench et chemise, DIOR. Cravate, perso.
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CI-CONTRE : JAYDEN, Veste classique et chemise, CANALI. Cravate, perso. PAGE DE DROITE : SAIDOU, Chemise sans manches, PRADA. Cravate, perso.
CI-DESSUS : MAXIMILIAN, Costume et chemise, GABRIELA HEARST. Cravate, perso. PAGE DE DROITE : DAMIEN, Veste, TOM FORD. Pull, BRUNELLO CUCINELLI. Cravate, perso.
Coiffure : Eric Williams. Maquillage : Mariko Arai.
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ROME WHEN in
Quand l’allure se mesure à la Ville éternelle. Défiant le temps, à la fois classique et passionnée. Photographie FILIP KOLUDROVIC Stylisme LUCA FALCIONI
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CI-DESSUS : Blazer et chemise, FENDI. Boucle d’oreille en argent, MARCO DE LUCA. PAGE DE GAUCHE : Manteau en laine, col roulé en latex, pantalon et chaussures en cuir, GIVENCHY. PAGE PRÉCÉDENTE : Manteau-cape en laine, LOEWE. Bottes, FENDI.
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CI-DESSUS : Veste et chemise, ERMENEGILDO ZEGNA. Bagues, MARCO DE LUCA. PAGE DE GAUCHE : Manteau en laine, chemise en popeline et pantalon, PRADA.
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CI-DESSUS : Blazer et col roulé, TOM FORD. Boucle d’oreille, MARCO DE LUCA. PAGE DE DROITE : Manteau, pantalon et boots, BOTTEGA VENETA.
Coiffure : Danilo Spacca. Maquillage : Claudia De Simone. Assistants stylisme : Carolina Spezzi et Claudio Dianetti.
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Juste un Clou necklace in yellow gold and diamonds, Clash de Cartier ring in white gold, Juste un Clou ring in white gold and diamonds, Juste un Clou bracelet in white gold and diamonds, Pasha de Cartier watch CARTIER Bodysuit and jacket ALAĂ?A Skirt and boots COPERNI OPPOSITE PAGE: Same as above
BOLD
type
Jouant avec la peau, la lumière et les nuances monochromes, les pièces maîtresses de la saison ont le courage d’oser. Photographie RICARDO GOMES Stylisme LUCA FALCIONI
CI-CONTRE : Blazer croisé, col roulé et écharpe en laine, BERLUTI. Chapeau, RUSLAN BAGINSKIY. Boucle d’oreille, ALAN CROCETTI. PAGE DE DROITE : Blazer en laine check, haut en latex, pantalon, chapeau et chaussures lacées, GIVENCHY. Boucle d’oreille, ALAN CROCETTI. PAGE PRÉCÉDENTE : Blazer en tissu lamé et chemise, ALEXANDER McQUEEN. Chapeau, RUSLAN BAGINSKIY. Lunettes de soleil, GENTLE MONSTER.
PAGE DE GAUCHE :
CI-CONTRE : Costume rayé et chemise imprimée, MSGM. chapeau, STEPHEN JONES. Blazer en tissu brodé à revers en satin et chapeau, VERSACE. Boucle d’oreille et bague, ALAN CROCETTI. Collier, perso.
CI-CONTRE : Blazer, chemise, col roulé et pantalon, BOTTEGA VENETA. Chapeau, STEPHEN PAGE DE DROITE : Smoking à revers en satin brodé, VERSACE. Chapeau, STEPHEN JONES. COIFFURE ET MAQUILLAGE :
Brady Lea.
ASSISTANTS STYLISME :
JONES. Collier, ALAN CROCETTI. Chaussures, GUCCI. Boucle d’oreille et bague, ALAN CROCETTI. Collier, perso.
Silvia Vitali et Jiois Gallo.
La vie de
CHÂTEAU Un après-midi langoureux met en valeur les textures et les motifs les plus opulents. Photographie GUILLAUME MALHEIRO Stylisme CÉLINE BOURREAU & RAPHAEL DE CASTRO
CI-DESSUS : Chemises en coton imprimé et pantalons, VALENTINO. PAGE PRÉCÉDENTE : DE GAUCHE À DROITE, Chemise, pantalon et sac en bandoulière, RYNSHU. Chemise et pantalon, MSGM. Grand manteau doublé, SEAN SUEN.
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DEVANT, Veste à imprimé animalier et pull en laine, DRIES VAN NOTEN. Pantalon, MSGM. Mocassins, GIUSEPPE ZANOTTI. DERRIÈRE, Veste et pantalon en laine check et chemise, MSGM. Mocassins, CHRISTIAN LOUBOUTIN.
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CI-DESSUS : DE GAUCHE À DROITE, Veste en mouton, pull, pantalon et sandales. Veste en tissu drapé, chemise et cravate.
T-shirt à manches longues, gilet et pantalon. Le tout, BALMAIN.
PAGE DE DROITE : DEVANT, Manteau en laine rebrodée, DIOR. DERRIÈRE, Manteau en laine et boucle d’oreille, DIOR.
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CI-DESSUS : Manteau en laine et peau, HERMÈS. PAGE DE DROITE : Complet en prince-de-galles, GIORGIO ARMANI.
Coiffure : Simon Chossier. Maquillage : Ophélie Crommar. Merci au château de Ferrières.
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Un regard
singulier
Pudique, fin, sensible : Falling, le premier long-métrage réalisé par Viggo Mortensen, ressemble à l’idée que l’on se faisait de son auteur. Échanges avec un acteur rare, donc précieux. Propos recueillis par BAPTISTE PIÉGAY Photographie QUENTIN DE BRIEY
Falling est, littéralement, l’histoire d’une chute – celle d’un homme, Willis (Lance Henriksen, sensationnel de nuances) frappé par une maladie neuro-dégénérative. Le film remonte patiemment le fil du temps, depuis l’enfance de son fils, John (Viggo Mortensen), jusqu’à l’âge adulte, en passant par l’adolescence, ne cherchant jamais à rendre aimable un personnage foncièrement détestable – homophobe, vaguement raciste (à ce titre, le couple que John forme avec son compagnon Eric le hérisse particulièrement) –, mais juste à représenter son humanité dans sa complexité, à filmer les malaimables qui aiment mal. Avec beaucoup de délicatesse, Mortensen raconte autant la détresse devant la maladie que la vie qui persiste – ordinaire, prosaïque, tendre.
JE N’AI jamais CONSIDÉRÉ QU’ÊTRE ACTEUR ÉTAIT UNE forme D’ART ÉTRANGÈRE AUX autres. L’OFFICIEL : Quand et comment est né ce film ?
La première fois que j’ai voulu trouver le financement pour réaliser un film que j’avais écrit, c’était il y a vingtquatre ans. Depuis, j’ai tenté à de nombreuses reprises de monter des projets, avec d’autres scénarios que j’avais écrits. Il m’a fallu plusieurs tentatives, et quatre ans, pour donner vie à Falling. Cette histoire m’est venue après l’enterrement de ma mère. J’ai voulu me replonger dans les souvenirs que je gardais de sa relation avec mon père, et de l’éducation que nous avions reçue avec mes frères. Si Falling est mon premier film, c’est parce qu’il s’agit du premier que j’ai réussi à faire financer.
L’O : De quels cinéastes, parmi tous ceux et celles avec qui vous avez travaillé,
pensez-vous avoir le plus appris ?
J’ai eu l’immense chance d’avoir été à très bonne école avec d’excellent(e)s cinéastes, et d’avoir appris beaucoup des films dans lesquels je ne jouais pas. Je pourrais citer des dizaines d’exemples de scénarios, de direction artistique, d’éclairage, que j’ai admirés, ou détestés. Bien que je n’aie jamais consciemment imité le travail ou le style de qui que ce soit, je pense que tout ce que j’ai vu au cours de ma vie a forcément influencé ma façon de raconter des histoires. Mais il y a trois aspects de méthodologie que j’ai adoptés : préparer le tournage aussi soigneusement que possible et autant en amont que possible ; rester à l’écoute des suggestions de la part de l’équipe et de la distribution ; et être présent tout au long du montage. PAGE DE GAUCHE ET PAGES PRÉCÉDENTES : Veste
récit adopte un rythme très contemplatif, il avance avec beaucoup de douceur. C’était un choix dès l’écriture ou qui s’est imposé au tournage ? VM : Le rythme et le recours aux silences dans certaines scènes ont été dictés à la fois par l’histoire elle-même, sa dimension plastique, le mixage du son, sa cadence, et par ce qui s’est imposé au montage. Les réactions non-verbales des personnages, notamment pour le rôle de Willis (interprété par différents acteurs, selon la séquence chronologique du récit, ndlr) étaient aussi importantes que les dialogues. En ce qui concerne la musique, en tant que spectateur, je n’aime pas tellement lorsqu’elle m’indique explicitement ce que je suis censé ressentir ou penser. Bien avant le premier jour de tournage, je savais que Falling exigeait une musique discrète. L’O : Comment avez-vous travaillé avec Marcel Zysking, le directeur de la
photographie ? Avec des moodboards très précis ?
VM : Pas exactement. J’ai en effet partagé avec lui des photographies, que j’avais prises moi-même ou signées par d’autres artistes. Je lui ai aussi indiqué les quelques films dont l’identité visuelle me semblait rejoindre ce que j’avais à l’esprit pour Falling, en termes d’éclairage, de positionnements des caméras, de cadrages, etc. Nous avions une idée très précise de ce à quoi nous aspirions car, huit mois avant le début du tournage, et même avant que nous ayons trouvé les financements nécessaires pour faire le film, nous avions commencé à filmer dans les lieux où nous finirions par tourner. Cette étape a été cruciale : l’idée était de réunir des plans, tournés dans des zones rurales où se déroule le récit, à différentes saisons, pour les utiliser comme projections visuelles des souvenirs des protagonistes. Non seulement nous y sommes parvenus, mais cela nous a permis de faire connaissance professionnellement, et de réaliser que nos approches esthétiques se rejoignaient. L’O : Avez-vous
VIGGO MORTENSEN :
VM :
L’O : Le
demandé conseils aux réalisateurs et réalisatrices avec qui vous avez travaillé ? VM : J’ai fait lire le scénario à certains. Et à un ami éditeur. Je voulais avoir un retour sur ce qui marchait, ou pas, en termes de structures et de rythme narratif. Heureusement, il leur a plu, et j’ai reçu quelques avis qui m’ont permis de l’affiner.
Qu’attendez-vous, en tant qu’acteur, sur un plateau ? Une direction d’acteur très ferme ou laissant plus d’espace et de liberté ? L’O :
J’aime les cinéastes qui arrivent extrêmement bien préparés, et savent ce qu’ils veulent, mais qui ont aussi assez confiance en eux pour rester à l’écoute des remarques de l’équipe.
VM :
L’O : Vous-même, sur le plateau de Falling, comment vous comportiez-vous ? VM : J’ai essayé de m’adapter aux besoins de chacun. Naturellement, les acteurs les plus jeunes avaient besoin de directives plus explicites, mais j’ai tenu à leur permettre d’être libres. L’O : Vous écrivez de la poésie, composez de la musique. Est-ce que vous tenez
à ne pas vous cantonner à un seul champ d’expression artistique ?
Je n’ai jamais considéré qu’être acteur était une forme d’art étrangère aux autres. Écrire, faire des photos, réaliser, composer de la
VM :
et pantalon, RAF SIMONS. Sweat-shirt, TAGLIATORE.
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musique… sont des langages différents qui, selon moi, entretiennent un rapport entre eux. Ce sont les branches d’un même arbre.
L’O : Est-ce que vous considérez qu’en tant qu’artiste vous avez un devoir de
L’O : Un aspect du film m’a beaucoup frappé : il ne porte aucun jugement sur
VM : Je suis un être humain et un citoyen du monde. En tant que tel, j’ai autant le droit, ni plus ni moins, que n’importe qui d’autre de m’exprimer sur tel ou tel sujet, et quoi que l’on pense de mon degré d’expertise ou de pertinence.
VM : Oui. Personne n’est réductible à une seule dimension. Quand je prépare un rôle, que ce soit comme acteur ou comme auteur, je cherche toujours à en faire ressortir les contradictions qui caractérisent n’importe qui.
LE degré DE COURTOISIE ET DE respect QUE J’ACCORDE À chaque PERSONNE EST LE critère LE PLUS IMPORTANT POUR ÉVALUER MON évolution.
le personnage de Willis, qui est pourtant odieux. Il m’a fait penser à ces vers de Leonard Cohen : “And the dealer wants you thinking/That it’s either black or white/Thank God it’s not that simple/In my secret life.” Estce que vous y reconnaissez votre démarche ?
L’O : Est-ce que votre filmographie représente votre biographie ? VM : Nous sommes définis par les choix que nous faisons au quotidien ;
j’imagine donc que les rôles que j’ai choisis et la façon dont je les ai interprétés appartiennent à mon évolution personnelle, à mon histoire. J’aimerais m’aventurer à dire, cependant, que la façon dont j’interagis avec les autres et dont je les traite, le degré de courtoisie et de respect que j’accorde à chaque personne que je rencontre, dans le cadre privé ou professionnel, est le critère le plus important pour évaluer mon évolution. L’O : Que cherchez-vous dans un rôle ? Vous y retrouver ? Ou, à l’inverse, y
découvrir quelque chose qui vous est totalement étranger ?
VM : À l’origine, je n’essaie pas de me retrouver dans un personnage, mais plutôt de trouver une histoire qui m’intéresse, et que j’aurais aimé voir en tant que spectateur. Une fois que j’ai accepté un rôle, j’essaie de trouver une connexion pour l’exploiter, et accentuer, le cas échéant, un trait de mon caractère, si cela peut contribuer à l’élaboration de mon rôle. Par principe, il n’y a aucun personnage que je ne m’imaginerais pas jouer. Chaque rôle que je joue implique de distinguer un point commun, même infime, avec moi. Le reste du travail repose sur mon imagination, à laquelle je ne fixe aucune limite.
prendre la parole pour défendre telle ou telle cause ?
L’O : Quelles scènes, au théâtre ou au cinéma, vous ont durablement marqué ?
VM : Je me pose une question sur mon personnage qui peut déboucher sur une multitude de réponses : “Que s’est-il passé dans la vie de ce personnage avant la première page de ce scénario ?”
VM : Il y en a beaucoup trop pour les citer. Pendant le confinement, j’ai revu beaucoup de films que je n’avais vus depuis longtemps. Certains que j’avais aimés il y a des années me plaisaient toujours autant, si ce n’est plus, et d’autres, moins. Du coup, je crois que ce qui m’inspire évolue, ou plutôt que j’évolue de telle façon que les moments qui me font forte impression ne sont plus nécessairement les mêmes.
L’O : Vous n’êtes pas présent sur les réseaux sociaux, à une époque où c’est peu
L’O : Quels sont les films, livres et disques qui vous ont récemment plu ?
L’O : Avez-vous une méthode de travail d’avant de commencer un tournage ?
commun…
VM : Il
n’y a pas assez d’heures dans une journée, je n’ai donc aucune intention d’ajouter une nouvelle activité que je trouve frivole la plupart du temps. Mes jours sur terre sont déjà assez occupés pour ne pas les lester d’une dépense d’énergie chronophage. L’O : Avez-vous des modèles vous guidant dans votre carrière ? VM : Je
me fie à mes instincts autant que possible, et si je peux me le permettre, j’attends de trouver la bonne histoire. Je n’ai aucune idée préconçue, ni de genre, ni de nationalité, ni de budget, sur ce qui peut m’intéresser…
Burning the Books de Richard Ovenden, dont j’ai beaucoup appris, tout comme All For Nothing (Schluss! en français) de Walter Kempowski et d’Apeirogon de Colum McCann. Revoir Une Journée particulière d’Ettore Scola, Hiroshima, mon amour d’Alain Resnais, L’Atalante de Jean Vigo et Les Saints Innocents de Mario Camus, était un vif plaisir. J’ai beaucoup écouté le pianiste de jazz Bill Evans, le trompettiste Ibrahim Maalouf, la pianiste Martha Argerich et le groupe Skating Polly. VM :
Falling, de et avec Viggo Mortensen. Avec également Lance Henriksen, Laura Linney, Terry Chen et Hannah Gross. En salles le 4 novembre.
PAGE DE DROITE : Manteau, PRADA. Chemise, DRIES VAN NOTEN. Pantalon, TAGLIATORE. Boots, JOHN LOBB. STYLISME: Simonez Wolf. COIFFURE : Fidel Fernandez. ASSISTANT PHOTO : Achraf Issami. ASSISTANTE STYLISME : Maya Valere-Gille.
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CHERCHEURS D’AURA Palais, riad, villa brutaliste, hôtel californien, appartement haussmannien ou bar british, les multiples projets architecturaux de Studio KO s’enchaînent comme autant de scénarios semés aux quatre coins de la planète. Rencontre. Karl Fournier et Olivier Marty, alias Studio KO, ont commencé par laisser leur empreinte aux pieds de l’Atlas. Entre le Maroc et eux, c’est d’abord une histoire d’amour. Discrètement mais non sans vision, ils ont gravé dans la terre crue et le béton bouchardé le vocabulaire de leur mantra. Un jour, la mode a fait irruption dans leur vie par le biais d’un musée haute couture. Une épiphanie qui a hissé le duo sur le podium des architectes et designers les plus brillants de leur génération. Dans leur architecture, l’épure, la tension, la lumière appellent à la contemplation. À l’intérieur, où ils savent doser les élégances, l’avant-garde et le vernaculaire dansent le même slow. Parfois une touche d’or illumine l’ombre d’un mur, le contrepoint à une frugalité recherchée. L’OFFICIEL HOMMES :
parcours ?
Pourquoi le Maroc compte-t-il autant dans votre
STUDIO KO : Cela a commencé, pendant nos études d’architecture aux Beaux-Arts, par un coup de cœur pour le pays, les paysages,
la lumière, la chaleur et l’envie d’y travailler. C’était encore le xxe siècle, il n’y avait pas foule comme aujourd’hui à Marrakech, et rapidement, on y a fait des rencontres décisives comme celle de Jean-Noël Schoeffer, propriétaire là-bas – et encore aujourd’hui – d’une des premières maisons d’hôtes. Très vite s’est nouée une amitié profonde, quasi fraternelle. Le Maroc, c’est un peu comme le “Protect me from what I want” de l’artiste Jenny Holzer : de temps en temps les choses que l’on désire le plus arrivent. D’abord un projet pour la famille Hermès, suivi d’un autre pour les Agnelli. Cette typologie de clients a induit la suite, sans calcul, sans préméditation aucune. Cela a aussi coïncidé avec le boum phénoménal qu’a connu la destination dans ces années-là. En tant qu’architectes français, nous ouvrions en quelque sorte la voie sans savoir qu’autant de nos compatriotes s’engouffreraient dans la brèche. De deux collaborateurs sur place à l’époque, Studio KO Marrakech est passé à cinq, puis dix et en compte désormais entre vingt-cinq et trente, en fonction de l’importance des projets sur place.
Propos recueillis par NATHALIE NORT Photographie NOEL MANALILI Réalisation LAURE AMBROISE
Karl Fournier et Olivier Marty, alias Studio KO, photographiĂŠs par Noel Manalili.
L’O : Comment
cette façon d’imbriquer art, mode et architecture a-t-elle servi de catalyseur au musée YSL ? SK : Ce musée scelle une réconciliation entre l’art et la mode. Il est l’illustration d’un engouement, d’une épiphanie. Longtemps les musées ont regardé la mode de haut, sans vraiment mesurer ce que cet univers dit de notre époque, de nos préoccupations. Aujourd’hui, il n’est qu’à voir les rétrospectives de couturiers se multiplier au musée pour comprendre que la prise de conscience a enfin eu lieu. L’O : Quelle orientation avez-vous suivie ? SK : Au départ nous étions peu familiers du travail de SaintLaurent, ce sont les archives de la fondation à Paris qui nous ont permis de découvrir l’incroyable richesse de son talent, un foisonnement, une insatiable curiosité qui a révolutionné l’époque. La volonté de Pierre Bergé à travers ce musée, au-delà de l’hommage au couturier dont il avait partagé la vie, était de se servir du nom de Saint-Laurent pour attirer les gens et les plonger
MAINTENANT MISSONI fait SON lit, JACQUEMUS PASSE À table… À L’INVERSE, NOUS serions BIEN incapables DE CRÉER UNE collection DE VÊTEMENTS.
dans un bain de culture. Pour les Marocains, cet accès à la culture n’est pas si facile. Peu de musées encouragent à l’éveil artistique autrement que par l’histoire ou le patrimoine. Sa vision était donc, en parallèle des collections permanentes issues de la fondation YSL, d’accueillir des artistes, marocains et internationaux, des expositions temporaires, de programmer des concerts, des conférences, des films, d’ouvrir aux étudiants et chercheurs son importante bibliothèque traitant du monde berbère, de botanique ou de mode. En faire un lieu de curiosité, “ouvert sur la ville et sur la vie”, était essentiel à Pierre Bergé qui, dès les prémices du projet, nous a interdit “d’en faire un mausolée”. L’O : Avant le musée YSL, vous avez été à l’origine des boutiques AMI d’Alexandre Mattiussi… SK : Avec Alexandre, le courant est passé tout de suite. Il nous 138
Photos Dan Glasser
—STUDIO KO
Photos Dan Glasser, Adrien Gaut
incapables de dessiner une collection de vêtements. Parce que c’est un métier, que nous ne l’avons pas appris des années durant, ni même abordé par l’expérience. Autres travers de la mode à s’imposer dans l’univers de la maison, le rythme, la saison doivent épouser la tendance du moment. Et la presse déco se plie à ce diktat ! Notre métier devrait plutôt viser l’intemporalité, loin des effets de mode. L’O : Durer, est-ce la force de Flamingo Estate, pour laquelle Richard Christiansen a fait appel à vous ? SK : La dimension narrative de cette villa de Los Angeles était son meilleur atout. Elle a un tel pouvoir d’attraction que Richard l’a achetée sans même l’avoir visitée. Le papy qui l’occupait depuis quarante ans vivait au milieu des vestiges de sa vie de producteur de porno gay, dans une accumulation de milliers de diapos, de bobines de films, d’accessoires et de décors. Quand Richard a enfin pu acheter la maison, il nous a appelés pour imaginer la suite “de son jardin de plaisir et de fantaisie”.
a parlé non pas de boutique mais de mode, de la façon dont il crée et des nombreuses questions qui animent son métier. Notre proposition l’a séduit parce qu’elle rencontrait la voie médiane, un vestiaire à la fois portable et atypique, une ligne de crête assez risquée qui assume autant le baroque de la culture urbaine qu’un certain classicisme. Pour les sept boutiques, de Paris à Hong Kong en passant par Londres et la Chine, il s’agissait de retranscrire un ADN qui cultive volontiers cet antagonisme jamais fortuit. L’O : Quel est votre rapport à la mode masculine ? SK : Compliqué, parce que s’habiller n’est pas un geste anodin, et cela demande de l’attention. D’ailleurs nous avions voulu dessiner notre propre uniforme, identique pour nous deux, à peine variable selon la saison. Une sorte d’identité visuelle rapportée au corps. L’O : N’y a-t-il pas une sorte d’entrisme de la mode dans le champ de l’architecture ? SK : Oui, la mode s’oblige continuellement à une croissance sans limites et vampirise notre métier d’architecte. On fait maintenant signer l’agencement d’un restaurant ou le dessin d’une lampe par des stylistes renommés. On a eu Armani, Lacroix ou Gaultier pour rhabiller les intérieurs. On voit maintenant que Missoni fait son lit ou que Jacquemus passe à table. À l’inverse, nous serions bien Page de gauche : le musée YSL de Marrakech et la piscine de la villa K à Tagadert, Maroc. Page de droite : (haut) la villa G à Bonnieux, France ; (milieu) la villa DL à Essaouira ; (bas, gauche) la villa D à Al Ouidane, Maroc, et (bas, droite) un détail de la boutique Balmain à New York.
L’O : Projet fou ou projet pour un fou ?
Les deux, mais Richard est un fou sympathique. Il avait déjà en tête des maisons brutalistes sur fond d’agaves géantes et de désert. Son séjour au Chiltern Firehouse a été le déclic ; notre pitch de famille edwardienne chassée de son château lui a plu. Le timing californien était idéal puisqu’à l’époque André Balasz nous consultait pour relooker trois appartements de Chateau Marmont. Pour Flamingo Estate, le béton s’est vite imposé dans la construction de l’escalier, entre ziggourat et villa Malaparte, ainsi que pour le pavillon de bains. On a imaginé cette pièce comme le climax de sa journée. Lui qui prend deux bains par jour peut s’y ressourcer, allumer un feu de cheminée, phosphorer. La lumière et la couleur jouent ici un rôle essentiel. Amis écolos, n’ayez crainte, on a veillé à ce que l’eau des bains serve à l’arrosage du jardin ! SK :
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À Flamingo Estate vu par
FRANÇOIS HALARD pour L’OFFICIEL
À Flamingo Estate, à Los Angeles, le pavillon de bains et le jardin, imaginé en collaboration avec le paysagiste Arnaud Casaus.
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Photos François Halard pour L’Officiel.
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Photos courtesy François Halard
CI-DESSUS : détail des escaliers de Flamingo Estate. PAGE DE DROITE : le pavillon bureau dans le jardin de Flamingo Estate, tout en briques vernissées vertes.
WORLD WIDE Artiste déconstruisant la mode, Samuel Fasse s’entretient avec l’architecte sonore Michel Gaubert sur les libertés et les échecs du sensoriel et d’Internet. Propos recueillis par JUSTIN POLERA Photographie FRANÇOIS QUILLACQ
SI VOUS PRENEZ une IMAGE ROUGE, QUE VOUS mettez DE LA MUSIQUE QUI vous FAIT PENSER JAUNE, alors PEUT-ÊTRE que LE RÉSULTAT SERA UN ORANGE sur DU BLEU. —MICHEL GAUBERT
En 2017, le jeune artiste Samuel Fasse a présenté Le Regard ailleurs, une œuvre immersive au Palais de Tokyo en parallèle de la programmation de la fashion week d’automne de Paris. L’exposition a marqué à la fois la première collection de ce diplômé de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers et l’émergence de sa pratique hybride, et Fasse est apparu comme un prodige des pratiques performatives. Depuis, il remet en question la notion même d’auteur, dissolvant immédiatement sa propre qualité d’auteur en collectifs et collaborations. L’exposition de Fasse était un Gesamtkunstwerk – ce que le monde de l’art appelle une œuvre totale –, un spectacle qui se déplaçait entre le réel et l’irréel, le physique et l’immatériel, le plastique et le virtuel. Contrairement à d’autres installations artistiques immersives, le spectateur a expérimenté un punctum – une fracture dans l’espace et le temps – parce qu’il pouvait voir l’artiste mais pas ce que l’artiste lui-même voyait. Ils partageaient la même pièce mais existaient dans des réalités distinctes. La vidéo enregistrée de la performance bouge entre les sujets dans un monde virtuel en 3D, avec la composition musicale de la pièce comme fil conducteur que le spectateur et l’artiste partagent. La musique est ainsi au cœur du travail collaboratif de Fasse, qui comprend des danseurs, des artistes, des producteurs de textile, des artisans et d’autres sommités de la scène underground et des ballrooms parisiens comme la légendaire House of Ninja. Le créateur sonore parisien Michel Gaubert est omniprésent dans le monde de la mode et a fait plus que quiconque pour façonner l’expérience du défilé contemporain. Depuis les années 1990, il crée des paysages sonores immersifs pour les shows de visionnaires tels que Karl Lagerfeld, Raf Simons et Dries Van Noten. Et si la plupart de ses mix ne durent pas plus de 10 minutes, beaucoup sont restés dans la mémoire collective de la mode et sur les playlists depuis des décennies. Les performances de Fasse ont une durée similaire mais leur force réside dans la transformation de l’œuvre longtemps après la fin de l’événement lui-même. L’expérience est un voyage, ou un trip. Et l’on peut en sortir transformé. Michel dit que le son est une expérience visuelle. Qu’est-ce que cela signifie pour vous deux ? L’OFFICIEL HOMMES :
MICHEL GAUBERT : Je pense que la musique est le compagnon auditif
d’un défilé de mode. L’ensemble du spectacle est essentiellement une image que vous créez. La musique accompagne la mode mais elle apporte aussi une autre image. Si vous prenez une image
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rouge, que vous mettez de la musique qui vous fait penser jaune, alors peut-être que le résultat sera un orange sur du bleu. C’est une juxtaposition de choses réunies. SAMUEL FASSE : C’est drôle parce que, lorsque je t’ai rencontré pour la
première fois Michel, une de nos conversations a été de t’expliquer ma pratique artistique. Cette idée de juxtaposer ces différents éléments pour en faire quelque chose de plus est similaire à ma vision. Je veux montrer l’image globale de ma pratique, mais c’est bien d’avoir quelque chose de physique qui s’ajoute à quelque chose de plus abstrait.
MG : Lorsque vous voyez un film, vous mémorisez la bande-son, et lorsque vous l’entendez, vous voyez le film dans votre esprit. Il y a tellement de défilés de mode dont je me souviens par leur musique.
Oui, c’est vrai, le son peut nous transporter. Quand j’essaie de construire des écosystèmes, c’est vraiment comme si les corps devenaient leurs propres déclencheurs. C’est une composition musicale en temps réel qui se fait seule. Tu te souviens, Michel, j’avais l’habitude de travailler avec Jackson et son Computerband (le musicien Jackson Fourgeaud, ndlr). Nous avons constitué un lexique des sons qui ensuite fusionnaient. À partir de là, j’ai commencé à faire de la musique par le geste.
SF :
L’OH : Depuis les années 1990, le terme “authenticité” est critiqué, et la notion même de créateur de mode en tant que “grand auteur” s’est effondrée. Les marques sont devenues plus que la vision d’un seul artiste, et l’idée de collaboration a changé. Michel, il y a eu d’énormes changements dans le monde, comme la naissance d’Internet, depuis l’époque même où vous avez commencé à travailler avec Karl Lagerfeld… MG : Pour la musique en effet, Internet n’existait pas vraiment, il a fallu attendre le milieu des années 90, voire le début des années 2000. Je me souviens que j’étais à New York en 2001, je travaillais sur un défilé qui, au dernier moment, a été annulé. Mais une semaine plus tard, il est finalement reprogrammé, j’ai donc dû envoyer la musique de Paris… Le fournisseur a dû se rendre dans un bureau pour avoir un plus haut débit et la réceptionner. Il a fallu 45 minutes pour envoyer 10 minutes de musique. Au milieu des années 2000, cependant, tout a changé. Nous avons eu un accès immédiat à tant de choses… On peut voir, entendre et lire beaucoup de choses désormais. Nous sommes tous fondamentalement devenus nos propres éditeurs.
DE HAUT EN BAS : Veste, DRIES VAN NOTEN. Pantalon, BOTTEGA VENETA. Bracelet, D’HEYGERE. Chemise et pantalon, HERMÈS. T-shirt, BORD PARIS. Boots, BOTTEGA VENETA. Veste, ROCHAS. Pull et pantalon, LANVIN. PAGES PRÉCÉDENTES, À GAUCHE : Veste, chemise et collier, CELINE PAR HEDI SLIMANE. À DROITE : Pull, BOTTEGA VENETA. Col roulé, LEMAIRE. Pantalon et chaussures, BORD PARIS.
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L’OH : Je suis également intéressé par ce changement parce que beaucoup d’entre nous n’ont jamais vu – ou entendu – un défilé avant qu’il ne soit numérisé. La mode est désormais passée d’un statut réservé aux “initiés” aux “outsiders” qui y ont accès. Comment pensez-vous que les choses ont changé ?
Cela a été très progressif. Nous avions des idées que nous ne pouvions pas concrétiser parce que la technologie n’était pas encore là. J’ai fait quelque chose avec Bruce Nauman pour Viktor & Rolf en 2010 : des CD comme art sonore pour le défilé. Ensuite, la vidéo a été mise en ligne sur un site d’actualités, mais on ne pouvait pas lire la musique faute de droits d’utilisation. Tout a commencé à devenir fou. C’était au début du streaming. Maintenant, la plupart du temps, les gens acceptent parfaitement que vous utilisiez tout. Peut-être qu’on se rapproche d’une attitude à la Richard Prince.
MG :
Est-ce que maintenant les gens voient tout sur Internet comme étant libre de droits ? Tout le monde peut utiliser ce qu’il aime ?
sur Instagram où je poste beaucoup de photos, certaines que j’ai prises moi-même et d’autres qui sont de provenance inconnue. Une fois, j’ai posté une photo d’un chien et le créateur de l’image s’est énervé contre moi : ‘Vous volez mon travail. C’est une photo que j’ai prise.’ Il m’a dit que je devais la supprimer et être signalé à Instagram. Je lui ai demandé de me laisser le taguer dans le crédit avec une ligne de courtoisie. ‘Pourquoi est-ce que vous êtes si contrarié de posséder une photo de votre chien sur la plage ?’ Pourquoi poste-t-il une image sur Instagram s’il ne veut pas que les gens la prennent ? Oui, je pense que c’est un changement majeur qu’Internet a apporté. La propagation de votre travail mais sans savoir comment celui-ci est perçu. C’est l’une des principales composantes de ma recherche artistique : la réception et la représentation.
SF :
L’OH :
MG : Tout devrait être libre de droits
d’auteur parce qu’autrement tout sera protégé par des droits d’auteur. Les gens vont breveter les modèles, ils peuvent même demander aux gens assis au premier rang d’être copyrightés. La vie ne peut pas exister de cette façon. Tout serait extrêmement plat.
TOUT LE MONDE VEUT VOUS mettre DANS UNE BOÎTE, vous CATÉGORISER, C’EST PLUS rassurant. MOI, JE N’ACCEPTE PAS les CATÉGORIES.
L’OH : Vous êtes tous les deux très ouverts à l’idée d’être des artistes ou des créateurs queer. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ? MG : Pour moi, être un artiste queer en 2020 signifie la même chose qu’être un artiste queer dans les années 90. Je n’ai jamais fait de coming out. Je pense qu’il est très important d’être qui je suis et de ne pas se soucier de ce que les gens pensent de moi. Je me fiche des autres. Parfois, je ne vais pas à la Gay Pride parce que je ne suis pas un activiste de première ligne qui se bat pour ses droits, mais je fais ma part. Je fais savoir aux gens qui je suis dans tout ce que je fais ; il n’y a pas de dualité. Et il est important qu’on sache que je suis queer car cela aide aussi beaucoup de gens. C’est pourquoi je le dis ouvertement. Être soi-même, c’est ce qui compte le plus pour moi.
SF : Parce que j’ai grandi avec Internet, je n’ai jamais eu aucune de ces expériences avec les droits d’auteur. C’est déjà stressant pour moi de trouver des éléments de mon travail sur le web ! En vérité, je n’y pense jamais quand je travaille sur un concept. Je suis tout à fait —SAMUEL FASSE pour la collaboration et la diffusion de mon travail sur le web aussi loin que possible. J’utilise également les SF : Je travaille toujours avec des nouvelles technologies dans mon personnes proches de moi. J’ai travail. Les gens de partout peuvent prendre une des pièces et souvent des interprètes trans et POC dans mon travail, et on me l’utiliser pour quelque chose d’autre. Je me souviens qu’un jour, demande souvent ce que j’essaie de dire avec ça. On pense que je un ami travaillait dans un bureau de création en Asie et suivait veux délivrer un message sur les problèmes des transgenres, mais les tendances dans le monde. Il m’a écrit : ‘Oh mon Dieu, une de tes ce n’est pas ça. Ces interprètes sont tout simplement mes amis, performances est diffusée en Corée en ce moment !’ À ce moment, j’ai et si je devais dire quelque chose sur leurs problèmes je le ferais réalisé qu’une de mes œuvres pouvait être montrée et expérimentée d’une autre manière. À notre époque, nous avons la liberté d’être n’importe où. Le travail peut se propager à travers le monde d’une qui nous sommes – à Paris du moins. Tout le monde veut vous manière que vous, en tant qu’artiste, ne pouvez pas contrôler. mettre dans une boîte, vous catégoriser, c’est plus rassurant. Moi, Dans mon travail, il y a des moments intimes que je partage je n’accepte pas les catégories. dans le temps et l’espace où ils se produisent, et l’expérience après m’échappe. Vous ne savez pas quels seront les effets : négatifs ou MG : Quand vous regardez l’état du monde, les gens sont en train positifs. d’être privés de leurs droits fondamentaux. Nous sommes en 2020 et j’aurais aimé que nous soyons allés plus loin que là où nous MG : La mode suscite beaucoup de réactions négatives. Ce que je sommes actuellement. D’un côté, nous nous battons et les gens fais, je le fais pour moi-même et pour les personnes avec lesquelles deviennent plus ouverts. Mais d’un autre côté, les gens veulent je travaille. C’est la même chose pour vous. Il y a des gens qui vont tout remettre dans un placard. Je ne suis pas un combattant, mais vous suivre et vous comprendre, tandis que d’autres vous regardent en mettant mes goûts en avant, j’espère pouvoir contribuer à un et pensent vous comprendre, mais ce n’est pas le cas. C’est pareil changement dans le monde.
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À GAUCHE : Costume, bague et boots, GIVENCHY. T-shirt, PONZI. Collier, perso. AU CENTRE : Pull, pantalon, bracelet et boots, SAINT LAURENT PAR ANTHONY VACCARELLO. Collier, perso. À DROITE : Veste, DSQUARED2. Pantalon, ACNE STUDIOS. Bracelet, D’HEYGERE. Boots, LEMAIRE. Collier, perso. Stylisme: Margaux Dague. Coiffure : Fidel Fernandez. Assistante photo : Yvonne Dumas Milne. Assistante Stylisme : Lea Sanchez.
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Preuves à l’appui
Chemise boutonnée impeccable, cravate en soie, mocassins en cuir… Jusqu’à très récemment, les basiques de la garde-robe pour hommes étaient immuables, mais grâce aux révolutions dans l’expression du genre et de la masculinité, ce n’est plus le cas. À l’approche du centenaire de L’Officiel, nous vous avons à nouveau demandé, à vous nos lecteurs, de nous indiquer vos accessoires les plus désirables de cette saison. Et vous êtes des milliers à avoir répondu, à travers le monde entier, sur les réseaux sociaux, partageant vos habitudes d’achat et sélectionnant les pièces les plus prometteuses pour l’automne-hiver 2020-21. Des souliers brogues à bouts carrés de Burberry aux lunettes de soleil oversized rouges Loewe, vos choix reflètent les mouvements de la mode masculine d’aujourd’hui. Alors que les couleurs neutres et les formes classiques règnent toujours, l’ajout d’un accessoire plus audacieux offre un tailoring parfait doté d’un nouveau swag. Exemples ? Le sac à bandoulière de Dior porté avec des gants jusqu’aux coudes, ou un collier de cristaux Gucci drapé au hasard sur un manteau et un blazer. Alors que les hommes et les femmes commencent à partager à la fois leurs placards et les podiums, la définition de la mode masculine s’est étendue à une expérimentation brillante. Mais bien sûr, aucune garde-robe ne serait achevée sans une montre classique. Photographie JENNIFER LIVINGSTON
PAGE DE DROITE :
CI-CONTRE : Sac, BOTTEGA VENETA. Chaussures, BURBERRY. PAGE PRÉCÉDENTE : Sacs, DIOR.
CI-CONTRE : Chapeau, GIVENCHY. PAGE DE GA UCHE : Lunettes de soleil, LOEWE.
CI-CONTRE : Montre, TAG HEUER. PAGE DE GAUCHE : Collier, GUCCI.
PAGE DE GAUCHE :
CI-CONTRE : Chaussures, PRADA. Bonnet, SAINT LAURENT PAR ANTHONY VACCARELLO.
Le style des années 70 était aussi radical en son temps qu’il ne l’est aujourd’hui. Les années 70 ont été un champ d’expérimentation. S’appuyant sur le dandysme moderne de la décennie précédente, la mode masculine, en particulier, était audacieuse et flamboyante, redéfinissant la perception collective du style masculin. Plusieurs années avant l’avènement de L’Officiel Hommes, et d’autres publications de style créées uniquement pour les hommes, L’Officiel a reconnu cet impact sur la mode. À partir d’une édition de 1972 qui mettait en avant les silhouettes les plus ajustées et les plus évasées de la décennie, ainsi qu’une abondance de tissus écossais, le magazine a commencé à consacrer un dossier à la mode masculine dans chacune de ses éditions. Les pages reflétaient les nouvelles excentricités de style portées à l’extrême par des icônes
comme David Bowie et Mick Jagger. Avec ses couleurs saturées, ses imprimés branchés et ses vêtements décontractés faits sur mesure, la garde-robe masculine s’est transformée en quelque chose qui mérite d’être regardée. L’influence des années 1970 se retrouve dans les dernières collections pour hommes. Satin, daim, volants, imprimés mélangés sont privilégiés cette saison par des maisons comme Gucci, Dries Van Noten et Givenchy. Rétrospectivement, l’incursion de L’Officiel dans le monde de la mode masculine reflète sa nature pionnière, à l’origine des notions actuelles du style masculin : regarder vers l’avenir tout en se délectant du présent. —Sophie Shaw
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