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PROJET COMMUN

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BIBLIOGRAPHIE

BIBLIOGRAPHIE

3. HABITANT IMPLIQUÉ, BATISSEUR MÉDIATEUR : QUELLES

COMPÉTENCES POUR UN PROJET COMMUN.

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Dans cette dernière partie du mémoire, il s’agira de mettre en perspective tous les enseignements qui ont été acquis grâce aux parties précédentes. Nous essayerons d’entamer une réflexion sur quelquesthématiques du projet participatif urbain qui semblent encore aujourd’hui nécessiter une remise en question et une recherche plus approfondie. L’objectif ici n’est pas de proposer des solutions à des systèmes qui ne fonctionnent pas encore, mais de proposer des pistes de recherche qui pourront alimenter une future réflexion.

En effet, le projet participatif a pour avantage d’être un processus plutôt novateur à l’échelle de l’histoire de l’habitat. Il est donc support d’une adaptabilité et surtout d’une capacité d’évolution intéressante qui fait de ce sujet une réelle problématique d’étude.

Si les théoriciens en font une étude souvent très précise et poussent la participation dans des retranchements parfois philosophiques et très théoriques, nous essayerons ici de trouver l’inspiration dans la pratique pour tenter de proposer ses réflexions. Car si la participation consiste à « faire », il est difficile de s’en accaparer à travers la littérature et de la retranscrire dans l’écriture. Les réflexions de ce mémoire prendront alors peut être la forme de questions ouvertes, de suppositions, parfois maladroites, elles évolueront à tâtonnement à l’image du projet incrémental. Mais elles auront le mérite d’être écrites ici et de peut-être pouvoir proposer un débat.

Dans un premier temps, il s’agira de comprendre les limites du projet participatif en se basant sur les observations réalisées lors des études de cas, et alimentée par différents ouvrages. Ensuite, nous verrons de quelle manière ces limites peuvent engager une réflexion et définir des leviers permettant de faire avancer l’histoire de la participation dans les projets de réhabilitation des quartiers d’habitat social.

3.1 Les limites à l’implication des habitants dans la réhabilitation des quartiers populaires.

Les précédentes études de cas nous montrent qu’il existe encore aujourd’hui des limites à l’implication des habitants dans la réhabilitation des quartiers d’habitat social. Dans cette troisième partie, nous relèverons plusieurs points qui méritent de pousser notre réflexion. Tout d’abord il s’agira de s’intéresser à l’ambiguïté de la relation entre l’habitant et les bâtisseurs qui constitue un des freins importants au dialogue, puis nous verrons de quelle manière la participation habitante peut être instrumentalisée à des fins de marketing politique par les institutions publiques. Enfin, nous reviendrons sur le phénomène d’injonction participative qui existe depuis les années 70 et qui est encore trop ancrée dans les politiques de rénovation urbaine.

3.1.1 Une relation bâtisseur-habitant encore complexe

La relation entre l’habitant et le bâtisseur se doit d’être construite sur une confiance commune.

Sans confiance, la création d’un projet participatif est vouée à l’échec, puisqu’elle est le pilier de relations structurées entre les individus. Le positionnementhiérarchique des institutions pose encore problème dans ces tentatives d’intégrer les habitants.

Yona Friedman dans Utopies réalisables , explique la manière dont une utopie imaginée par une communauté face à une situation qui ne lui convient pas, peut être réalisée si elle répond à certains critères. Si l’on considère un projet participatif en tant qu’« Utopie réalisable », il doit alors satisfaire à ces différents critères pour être réalisable.

Le premier point consiste en la nécessité de prendre en compte un consentement massif. Si une utopie veut se transformer en projet, elle doit être réalisée avec l’accord de chacun.

« Il ne suffit pas de découvrir un remède à une maladie, il faut que le malade consente à le prendre »97

Or, les précédentes études de cas décrivent comment les institutions s’emparent d’un problème (restons dans la métaphore) : « des habitants malades dans un quartier insalubre » et décident de soigner le mal : nous réhabiliterons ce quartier et vous y participerez.

Julien Charles dans La participation en actes étudie différents cas de processus participatif. Il fait état de différentes critiques sur la participation dont celle du consentement et de la « capacité » de chacun face à la participation. Il écrit :

« Participer fait peser certaines exigences sur ceux qui souhaitent s’impliquer » et « Chacun ne dispose pas en tout temps et en tous lieux des ressources nécessaires pour mettre en œuvre les compétences attendues par les institutions, y compris démocratiques. »98

Demander leur consentement aux habitants dès le début des opérations, est un premier pas vers la confiance mutuelle. L’auteur avertit les institutions, que la participation n’est pas juste un fantasme illusoire de l’architecte et des communautés de commune, et qu’elle n’est pas la solution miracle qui rendra la vie dans les quartiers plus belle demain. La participation peut ne pas émerveiller l’habitant, elle peut ne pas l’intéresser ou tout simplement ne pas l’affecter.

97 FRIEDMAN Yona, Utopies réalisables, Edition L’éclat/poche, 2000

98 CHARLES Julien, La participation en actes, Desclée de Brouwer, 2015

« Il est erroné de considérer tous les participants comme des êtres capables de rationaliser de prime abord leurs expériences quotidiennes dans le format exigé par les animateurs de la participation. Et quand bien même certaines personnes le seraient, il est tout aussi incorrect d’affirmer qu’elles ne peuvent sortir que grandies de cette expérience »99 .

Dans son ouvrage, Yona Friedman relève aussi un point intéressant sur la construction des utopies réalisables. Il fait écho à notre histoire avec la réutilisation du terme paternalisme. Selon lui, il existe deux types d’utopies : les utopies paternalistes ou non paternalistes.

Comme on l’a vu, lorsqu’une collectivité fait face à une insatisfaction générale, celle-ci peut générer une utopie réalisable. La solution qui lui sera apportée pourra soit venir d’un individu de la collectivité, soit d’un opérateur considéré comme expert qui formule une proposition technique. Pour Yona Friedman, l’implication de cet expert extérieur à la collectivité s’apparente à une démarche qu’il nomme alors utopie paternaliste.

« Ce sont des individus qui savent mieux que les autres ce qui est bon ou n’est pas bon pour les autres ».100

Bien entendu, le choix de ce terme n’est pas anodin puisqu’il nous rappelle les processus de fabrique de l’habitat de l’ère industrielle et du fonctionnalisme.

Dans le cadre d’une utopie non paternaliste : la collectivité est elle-même opératrice des propositions techniques, les connaissances sont diffusées par tous et pour tous dans un consentement collectif.

Il est intéressant de voir la manière dont la permanence architecturale de Sophie Ricard s’empare de ces deux situations et réussi à en faire un mélange intéressant. D’un côté l’architecte a le rôle d’experte et propose une solution aux habitants, d’un autre côté, elle fait elle-même partie du groupe et de la collectivité. Pour le cas du quartier du Pile, on assiste à un projet qui pourrait répondre à un comportement paternaliste vis-à-vis des habitants.

La verticalité dans la prise de décision est un frein à la mise en confiance des habitants dans le projet. Par ailleurs, on observe souvent qu’elle génère une vision biaisée de l’habitant perçu comme un être immature.

99 Idem 100 FRIEDMANN Yona, op. cit

« Cette catégorisation paternaliste des habitants des quartiers populaires comme des êtres infantiles est aux antipodes de celle du citoyen, détenteur de capacité de jugement et de détachement, qui possède les qualités requises pour s’occuper des deniers publics. » 101

« Hoggart102 avait déjà analysé comment les pauvres sont vus comme des « enfants » immatures, des « innocents » qui n’ont pas les compétences adéquates en matière de responsabilité civique »103

La manière dont sont réalisées les études sociologiques préalables sur le terrain alimente cette distance entre l’habitant et les institutions. En effet, cette étape d’analyse et de diagnostic peut amener les professionnels à pratiquer le terrain sous le prisme de cartographies, de chiffres ou de noms dans un rapport. A l’occasion des phases de concertation avec les habitants, les professionnels se heurtent alors à la vision des habitants qui remettent en question leurs analyses théoriques.

104

101 CARREL, Marion, Faire participer les habitants ? Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires. Nouvelle édition (en ligne). Lyon : ENS Éditions, 2013

102 HOGGART, Richard, La culture du pauvre, Collection Le sens commun, 1970

103 CARREL, Marion, op.cit

104 CHARLES Julie, op.cit

3.1.2 La participation citoyenne comme nouvel outil de marketing politique

De manière générale, le lien entre politique et participation est fondamental. Si l’histoire nous montreque les tentatives de prise de contrôle de l’habitat par les habitants ont été pour la plupart stoppées par les institutions, les études de cas précédents nous confirment que le problème persiste encore de nos jours. La politique hétéronome et hiérarchisée en est pour quelque chose. Les savoirs sont encore répartis de manière pyramidale dans notre société. Et même si les institutions peuvent donner une voix aux habitants, il s’avérera toujours qu’à l’image du quartier du Pile, c’est l’institution qui est le dernier pouvoir décisionnaire.

En parallèle, les récents projets nous montrent comment la politique s’approprie la question de la participation habitante à travers un marketing urbain. De la même manière que les crises qui ont permis à des architectes et au pouvoir de cantonner les populations dans des habitations fonctionnelles, les nouvelles tendances participatives peuvent satisfaire les intérêts politiques des institutions.

L’habitat participatif peut être considéré comme uneinnovation, il devient alors un outil politisé dans un contexte de compétition et de concurrence entre les villes (un peu à l’image des lancements des grands projets urbains modernistes à l’époque). La montée en puissance des labels et des prix amplifie ce phénomène. L’habitat participatif est alors considéré comme un effet de mode, il fait partie des nouveaux critères qui définissent la qualité de la réhabilitation des vieux quartiers dans les villes.

« Dans son dossier de candidature au prix EcoQuartier de 2011, l’Ile Saint Denis a introduit un projet d’habitat coopératif, salué par le jury au titre de la catégorie « susciter des comportements éco-participatifs solidaires et responsables ». Interrogée sur la mise en œuvre de ce projet, la chef de projet de l’éco-quartier indique qu’il a été intégré « parce que c’était l’occasion », sans véritable perspective »105

Par cette politique, l’objectif des villes est de se hisser au rang des métropoles qui s’impliquent dans les questions sociales et dans les quartiers d’habitat social. L’exemple du Pile illustre encore assez bien cette problématique. Si au départ, la communauté de commune opte pour un projet de concertation, ce sont les architectes de l’équipe Pile Fertile qui ont dû, à la rédaction de leur projet, forcer les élus à accepter une réelle part de participatif. La concertation est le

105 DEVAUX Camille L’habitat participatif, Edition Presses Universitaires de Rennes, 2015

terme qu’on retrouve plus généralement dans les textes des grands projets politiques urbains à vocation « participative ». Dans le langage commun, on parle alors de « participation », cependant il faut faire attention à la différence entre ces deux définitions. Comme l’écrit Patrick Bouchain

« C’est le fond qui, une fois posé, fait la forme, qui est elle-même l’expression du groupe qui a été constitué pour réaliser l’ouvrage. Ainsi on instaurerait une vraie démocratie participative, alors que le politique, coupé de sa base, a tendance à mettre en place des structures parallèles aux structures démocratiques par des voies de concertation souvent bavarde »106

Il y a donc un côté très paradoxal dans la volonté des communautés de communes d’intégrer la participation (ou concertation) des habitants dans les projets de réhabilitation des quartiers. L’aboutissement du projet du Pile qui a mené à l’exclusion de centaines de foyers illustre l’incohérence du processus. Un jour, la ville demande aux habitants de leur accorder leur confiance dans le cadre du projet, le lendemain celle-ci est brisée. Cela montre aussi qu’une action, une parole, peut détruire des années de travail. Le paradoxe entre tenir un discours politique et social, et expulser des personnes âgées de leur domicile peut briser la relation de confiance établie. La question de la réhabilitation des anciens quartiers est d’autant plus importante car le lien entre l’habitant et son habitat fait lui-même souvent partie du patrimoine.

Finalement, il est aujourd’hui nécessaire de faire renaitre une vraie relation entre la politique et les projets pour s’assurer d’une synergie.

106 BOUCHAIN Patrick, Construire autrement, Edition Actes Sud, 2006

3.1.3 Des pratiques qui freinent encore les démarches : l’injonction participative

Comme on a pu le voir dans les deux parties précédentes, le sort des quartiers d’habitat social a toujours été entre les mains d’institutions publiques ou privées. Que ce soit dans le cadre de leur création, mais aussi dans la réhabilitation de ce patrimoine. L’implication de l’habitant dans le projet est considérée comme un paramètre ou un outil qui va permettre aux institutions de mieux cerner le site ou les enjeux.

Généralement, ce processus participatif fait intégralement partie du projet sous la forme d’une injonction participative. Cette expression voit le jour dès les premières politiques sociales de rénovation urbaine. Dans les années 70, les luttes urbaines prônent une autogestion populaire et s’opposent aux « simulacres participatifs » du gouvernement. Pour apaiser les tensions, le gouvernement lance ses programmes de concertation pour le projet urbain en essayant de calmer les mouvements populaires.

« La critique marxiste taxe à cette époque d’« immense comédie » cette démocratie urbaine animée par la peur de la révolution. L’appel gouvernemental à un urbanisme participatif et au « droit à la ville » en référence au philosophe Henri Lefebvre (Lefebvre, 1968), vise en réalité, selon les marxistes, à contrôler et encadrer les couches populaires. Il s’agit de changer la ville pour éviter de changer la société, de soigner les malaises sociaux par l’urbain, de faire croire à une « cité sans classes ».»107

Dans les années 80, Albert Mollet fait part de l’échec de la participation dans les processus de renouvellement urbain et relève de manière très juste le paradoxe entre ces habitants délaissés et la volonté de les faire participer :

« Dans les milieux défavorisés, il n’existe pas de « demande » exprimée de participation et cela se comprend aisément. La participation suppose un minimum de partenariat, de reconnaissance de l’un par l’autre, l’appartenance à une culture commune. Or ces milieux sont justement ceux des exclus, des personnes ou des groupes désignés sous forme négative, les rejetés de la cité. Exiger d’être consultés, ou seulement écoutés sur leurs conditions de vie, ce

107 CARREL, Marion, Faire participer les habitants ? Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires. Nouvelle édition (en ligne). Lyon : ENS Éditions, 2013

serait vouloir se mettre à égalité avec ceux-là mêmes qui l’ont toujours refusé. C’est parce que l’exclusion a engendré le repli sur la cité, que l’idée même de participation n’est pas concevable »108

Pour Marion Carrel, l’injonction citoyenne prend la forme d’une citoyenneté « de seconde zone », ou une citoyenneté de « rattrapage ». Elle a pour objectif d’éviter les émeutes en apaisant les tensions avec les habitants :

« Faire participer les habitants » est, ainsi, devenu davantage un objectif d’éducation des populations que de transformation des modes d’élaboration des politiques publiques. »109

Cette injonction participative agit aujourd’hui comme une consigne qui prend place dans les objectifs des programmes de renouvellement urbain. Marion Carrel parle de « ville schizophrène » lorsqu’elle explique que la participation des habitants prend le plus souvent la forme d’une injonction. Pour les institutions, elle devient une « mission imposée » dont ils ne connaissent ni les processus, ni les règles. Finalement, l’injonction participative se démarque de la participation habitante car elle ne fait pas intervenir les habitants dans une démarche inclusive. Elle considère plutôt les habitants comme « inadaptés » à apporter une réflexion aux processus de réhabilitation de leur quartier. L’injonction participative a alors pour but de transformer les habitants en bons citoyens, de « traiter le handicap individuel ».

108 MOLLET Albert, Quand les habitants prennent la parole, Plan construction, Paris 1981

109 CARREL Marion, op.cit

Les limites à l’implication des habitants dans la réhabilitation des quartiers d’habitat social sont souvent liées à la manière dont l’habitant est encore perçu par les institutions.

Si l’injonction participative, qui relève d’un héritage des années 70 et qui existe encore aujourd’hui, peine à disparaitre des mentalités, la difficulté de s’extraire des procédés de conception classique freine aussi les professionnels. L’injonction participative est à l’opposé des techniques de participation citoyennes, puisqu’elle suppose que l’habitant a le devoir d’être acteur de la transformation de son milieu.

Or, il a été démontré que les populations des quartiers d’habitat social ne sont pas prédisposées à aller naturellement vers une participation aux projets urbains.

110 Il est alors nécessaire de

réfléchir à des procédés qui permettent d’intégrer les habitants aux projets en considérant la durée nécessaire à l’apprentissage de la participation au sein même de la réalisation du projet. Cette réflexion sera l’objet de cette deuxième partie.

110 CHARLES Julien, La participation en actes, Desclée de Brouwer, 2015

Figure 28 Tract contre l'injonction participative, années 80

3.2 Quels leviers pour les démarches de participation : réflexions et retours d’expérience

Dans cette seconde partie, nous essayerons d’entamer une réflexion basée sur les limites précédemment évoquées ainsi que sur les études de cas. L’objectif est d’essayer de dégager des enseignements et des pistes de recherches, qui permettant d’aller vers une amélioration du projet participatif au sein de la réhabilitation des quartiers d’habitat social. L’objectif n’est pas de rédiger un cahier des charges ou une liste d’actions basée sur quelques observations, mais bien de lancer un débat sur certains sujets ou de réfléchir à des solutions qui pourront faire l’objet de futures recherches.

3.2.1 Réunir les bons acteurs à la bonne échelle

Proposer une démarche participative au sein d’un projet nécessite avant tout l’accord de l’intégralité des acteurs. La question du consentement ne se résout pas uniquement à celui des habitants, mais bien à chaque participant du projet. Il est alors du devoir des institutions de s’assurer que le projet est validé par tous les acteurs qui assurent leur soutien sur toute la durée du projet.

• Se réapproprier la commande et convaincre les institutions

Dans le cas d’une rénovation de quartier lancée par une communauté de commune, l’architecte, lorsqu’il intervient sur le projet, peut se réapproprier la commande. Son rôle n’est pas uniquement de suivre le cahier des charges, il s’agit aussi d’être capable de le remettre en question. Souvent, le projet initial lui impose une concertation habitante qui peut parfois s’apparenter à une injonction participative. Il peut alors décider d’aller plus loin et de proposer de réels processus de participation qui vont mettre l’habitant au cœur du projet. Pour cela, Sophie Ricard préconise à l’architecte d’être assez proche du maitre d’ouvrage. Cela permet de d’avoir un impact dès le début et ne pas se retrouver en bout de chaîne, bloqué par les décisions déjà actées.

111 Il est alors nécessaire de convaincre les élus de la véracité de cette démarche

pour réussir à les impliquer et à les motiver dans le projet. Pour cela, plusieurs arguments peuvent être utilisés.

La participation citoyenne à un projet peut engendrer des circuits locaux, du réemploi ou l’utilisation de matériaux à faible impact carbone. L’aspect écologique est l’une des raisons qui peut pousser un élu à valoriser ce type de projet dans la course aux labels. L’aspect économique peut aussi être évoqué dans le cas de circuits courts puisque cela permet des économies en main d’œuvre, et en matériaux.

Ensuite, face au désarroi de certains politiques, l’équipe doit pouvoir être capable de présenter des exemples de projets similaires ayant abouti à une réussite. Pour que le projet soit crédible aux yeux des politiques, il doit être ancré dans une démarche réaliste qui a déjà été réalisée et qui fonctionne.

111 RICARD Sophie, La permanence pour un urbanisme vivrier, Extrait de la Web conférence, La frugalité heureuse et créative », Octobre 2020

Il est aussi intéressant de faire valoir le projet aux yeux de la municipalité dans une démarche sociale. En effet, on a vu dans la première partie que les projets de renouvellement urbain doivent s’ancrer dans des problématiques sociales. Il s’agit alors de proposer une démarche HQE

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qui pourrait, si elle est souvent évoquée dans ces projets, devenir un élément constitutif d’un nouveau label !

« Plus que la haute qualité environnementale, c’est la qualité humaine qui m’intéresse. C’est ça le développement durable : faire attention aux habitants, faire attention aux constructions qui existent au lieu de les détruire, et les remettre en vie. Ce n’est pas faire des maisons en paille et en terre crue ».113

• Considérer l’échelle humaine

La question de l’échelle est primordiale. Patrick Bouchain estime que pour produire avec l’habitant, l’échelle micro, c’est à dire celle de l’individu est la seule capable d’aboutir à un projet qui puisse être viable et qui puisse répondre aux aspirations de chacun.

« Plus l’acte est petit, plus il est facilement réalisable, plus le rituel est compris »114

Une fois cette échelle micro maîtrisée et comprise, il s’agira ensuite de pouvoir l’appliquer à une échelle plus grande : l’échelle macro. Une multitude de projets micro pourraient alors devenir un projet à l’échelle d’un quartier, d’une ville. Ce procédé va à l’encontre des procédés classiques de la fabrique de l’habitat, elle s’oppose à la conception fonctionnaliste et standardisée à l’origine de ces quartiers ouvriers ou des grands ensembles.

Dans un sens, il s’agit en retrouvant l’échelle locale, de revenir à un artisanat, à la conception directement associée à une pratique manuelle. Car en effet, l’échelle locale permet d’être assez proche des habitants pour les impliquer. Mais elle permet aussi de faire venir des techniciens et des artisans d’entreprises locales, qui pourront organiser les chantiers école pour les habitants. Il est important de noter que les résidents de ces quartiers d’habitat social, sont bien souvent issus de classes populaires et il est possible qu’ils puissent avoir été des ouvriers du bâtiment.

112 Bouchain, en reprenant ironiquement le label HQE (haute qualité environnementale)

113 BOUCHAIN Patrick, Construire autrement, Edition Actes Sud, 2006

114 Idem

Il s’agit alors de considérer leur pratique et leurs connaissances comme une richesse interne et de la mettre au service de la communauté.

L’échelle permet aussi de définir un groupe critique. Car si la petite échelle fonctionne, le rapport humain ne peut pas se faire au-delà du groupe critique. Il est préférable que la concertation et les réunions de projet soient réalisées par petits groupes pour favoriser le dialogue et rester constructif. Par exemple, Philippe Verdier dans sa proposition d’une démarche de projet urbain préconise un groupe de 20 personnes constitué des élus, des habitants et des techniciens. Il précise qu’il faudrait 10 à 12 personnes intéressées par le projet et 6 à 8 personnes découvrant la démarche. Ce groupe pourra être modifié pour chaque réunion et permet d’élargir les points de vue et d’éviter les échanges redondants.

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• Agir dans une temporalité à échelle humaine

La temporalité des projets semble aussi être un paramètre qui influe sur la bonne réalisation du projet. Il y a plusieurs critères à prendre en compte. Tout d’abord, on a vu qu’il était nécessaire de considérer un temps long pour créer une relation de confiance avec les habitants. Il faudra une année à Sophie Ricard et à Anderson dans sa cabane de chantier. Cette temporalité dépend évidemment de l’échelle du quartier et du nombre d’habitant.

C’est d’ailleurs pourquoi, dans le cas d’un projet de grande ampleur, on pourrait réfléchir à une division de l’espace, dont chaque parcelle serait associée à un architecte. Ils deviendraient alors référents du parcelles et pivots dans le grand projet. Il pourrait utiliser cette position pour procéder à l’analyse spatiale et sociologique du quartier. A la manière de Sophie Ricard, il pourrait alors prendre le temps de faire connaissance avec les habitants.

Une fois que la phase de conception lancée, il est intéressant d’accélérer le processus pour entrer dans une phase d’action. L’intégration de petits chantiers participatifs dans cette phase a permis à l’équipe de la Pile Fertile de rythmer cette période de concertation. Il est nécessaire de garder un rythme pour montrer à l’habitant que le projet évolue, le mouvement ne doit pas s’essouffler, ne doit pas fatiguer, il doit être fluide et surtout il doit permettre aux habitants de pouvoir se projeter dans le temps.

115 VERDIER Philippe, Le projet urbain participatif, Apprendre à faire la ville avec ses habitants, Edition Yves Michel, 2009

La question de la temporalité est aussi présente dans le renouvellement des habitants dans le quartier. Au cours du temps, des habitants vont partir, arriver, c’est pourquoi le processus ne doit pas être figé mais permettre une adaptation continue pour pouvoir accueillir de nouveaux habitants au cours du temps. D’un autre côté, rendre le processus de conception dynamique permettra aussi aux gens sur le départ de pouvoir profiter de l’environnement qu’ils sont en train de construire.

La question de la temporalité est aussi plus large, car il est important de considérer ces projets sur un temps plus long, après le départ des équipes, l’appropriation du quartier doit continuer à faire effet. Patrick Bouchain défend cette architecture non terminée, qui peut laisser place à une appropriation future. Elle reste ouverte, appropriable, flexible et dépend alors uniquement de ses habitants, non plus de son architecte.

3.2.2 Définir une méthodologie inclusive

Le processus participation des habitants dans les projets de réhabilitation de leur quartier, ne peut pas se construire du jour au lendemain. Donner un droit et une voix à des habitants qui auparavant n’avais jamais été concertés est un choc social et politique qu’il faut apprendre à assimiler car il peut parfois même constituer une souffrance

116

. La participation se construit, elle est d’ailleurs un processus que nous devrions apprendre en tant que citoyen dès notre plus jeune âge. Pour certains milieux sociaux qui pratiquent par exemple des métiers où il leur est habituel de donner leur avis, il sera plus facile de prendre part à un projet participatif. Cependant, ce n’est pas le cas de la bonne majorité des habitants des quartiers d’habitat social. Il est alors nécessaire de prévenir cette situation en créant un environnement de confiance pour encourager la prise de parole.

• Considérer la confiance comme élément essentiel

On a pu le voir précédemment, la confiance entre les habitants et les institutions est bien la clé d’un fonctionnement efficace des démarches participatives dans un projet. Mais pour cela, il est nécessaire de donner à l’habitant un statut qui puisse le mettre dans une situation de pouvoir. Pour mettre un individu en confiance, il est nécessaire de lui donner la capacité d’avoir un avis et un pouvoir d’action dans un processus. En 1943, Simone Weil écrit :

« L’initiative et la responsabilité, le sentiment d’être utile et même indispensable, sont des besoins vitaux de l’âme humaine. » ou encore « La satisfaction de ce besoin exige que l’homme ait à prendre souvent des décisions dans des problèmes grands ou petits. Il faut qu’il puisse s’approprier par la pensée l’œuvre toute entière de la collectivité dont il est membre. Et qu’on lui fasse sentir clairement la part qu’il prend. »117

Il est aussi possible de réfléchir à l’implication des habitants encore plus en amont du projet classique. Pourquoi ne pas l’intégrer aux débats préliminaires (souvent politisés) qui sont à l’origine de la définition des enjeux de son quartier. On remarque souvent que les projets participatifs peuvent être la transcription d’une certaine idéologie de l’institution qui l’entreprend : réhabilitation énergétique pour vivre avec le

116 « La participation est soumise à des contraintes fortes. Elle ne laisse pas de place ou très rarement et très peu, à ces « souffrances », ces troubles peu disposés à être communiqués en public » CHARLES Julien, op.cit. 117 WEIL Simone, L’enracinement, prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain. Folio, 1949

réchauffement climatique, revitalisation des quartiers pour favoriser la mixité, création d’une nouvelle offre etc. Ces projets s’intègrent bien souvent dans des problématiques écologiques ou politiques d’actualité. Mais ces débats ne font pas partie de la phase participative du projet puisqu’ils constituent le « back ground » du projet.

Julien Charles dans La participation en actes donne l’exemple d’un atelier de vélo en Californie, qui soutient une problématique écologique en permettant aux gens de venir réparer leur vélo aidé par des volontaires. Sur une logique d’emporwerment, chaque individu est laissé autonome et libre de décider d’être aidé ou non. Même si le principe est basé sur une idéologie écologique très forte, l’atelier ne considère pas le débat au sein de sa pratique :

« Afin de ne pas entraver l’accès de l’atelier à ceux qui ne sont pas en mesure de souscrire aux idéaux écologistes des volontaires, aucune contrainte de mise en débat ne se manifeste. Il n’y a pas lieu de prendre appui sur des principes ou des convictions pour réparer son vélo. »118

Cette situation peut se traduire dans le projet de réhabilitation : il n’est pas nécessaire pour l’habitant de devoir prendre position sur un sujet ou une idéologie pour réparer son quartier ou sa maison. A l’arrivée de l’habitant, les enjeux politiques, sociaux ou écologiques ont déjà été discutés. L’habitant pénètre donc dans une sphère où le débat n’est plus possible car il a été clôturé par la phase en amont. Soustraire ce débat à la démarche, c’est enlever un paramètre important ; celui d’intégrer l’habitant à un débat plus large. Participer à ce débat pourrait lui permettre d’ouvrir les yeux sur des problématiques environnementales ou de mieux comprendre les problèmes sociaux qui pèsent sur son quartier.

La confiance se crée aussi à travers la discussion et la présence de l’autre qui permet de montrer un intérêt personnel aux problèmes de chacun. Sophie Ricard en devenant la voisine, facilite le dialogue avec les autres habitants, sa présence sur le terrain leur permet de pouvoir l’observer, et de la côtoyer sans forcément la connaitre. Si l’architecte a pu réaliser cette permanence, c’est aussi par sa motivation et son envie de s’intégrer elle-même dans un projet participatif. A l’époque, c’est son statut de jeune diplômée sans contraintes qui lui permet d’aller s’y installer. Même s’il n’est pas possible de demander à chaque architecte de vivre sur le site du projet, il est important que celui-ci puisse y être présent d’une manière ou d’une autre, à travers des

118 CHARLES Julien, La participation en actes. Entreprise, ville, association. Collection Solidarité et société, Edition Desclée de Brouwer, 2016

petites permanences, des ateliers participatifs, des évènements, il a tout intérêt à faire en sorte de voir et d’être vu.

• Aborder la notion de consentement des habitants, considérer leur capacité

Donner son consentement, c’est l’action de donner son accord à une action, à un projet.

La première étape d’un processus participatif dans le cadre d’une réhabilitation d’un quartier devrait obligatoirement commencer par prendre en considération le consentement, ou non des habitants. Cette vérité est d’ailleurs valable pour toutes les actions impliquant un autre que soi dans la vie de tous les jours.

Les opérations de rénovation de quartier sont initiées par des institutions publiques ou privées, qui ne se sont jamais souciées de recevoir l’accord ou non de locataires lors d’une réhabilitation. Cependant, les répercussions d’un projet impactent les habitants uniquement, c’est pourquoi ils ont le droit de pouvoir donner leur accord. La mise en place d’un système participatif sans l’accord en amont des habitants s’apparente à une injonction participative.

Pour Julien Charles, aujourd’hui le projet participatif :

« Se fonde sur un postulat d’égale capacité de tous à contribuer au commun »119 .

Il explique que chacun n’est pas apte à décider de sa volonté de participer ou non, ni de sa capacité, car c’est un processus qui n’est pas naturel.

S’il faut reconnaitre que les êtres humains ne sont pas tous dotés de mêmes capacités, cela n’entrave cependant en rien leur égalité. Il est alors nécessaire de prendre en compte ces différences dans la création d’un projet participatif. En supposant qu’il existe une autonomie innée de l’habitant qui va, de lui-même, être en capacité de pouvoir participer, on marginalise d’ores et déjà tous ceux qui ne s’en sentent pas capables.

« Les exigences capacitaires pesant sur les personnes ne sont pas prises en compte par l’organisation qui ne s’engage pas dans une interrogation sur les absents et ne s’inquiète pas des motifs pour lesquels les présents sont là. » 120

Les capacités des habitants doivent être respectées par tous les acteurs du projet. Mais parfois il arrive que les professionnels ou élus n’aient pas la patience de voir chaque habitant avancer

119 CHARLES Julien, La participation en actes, Desclée de Brouwer, 2015

120 Idem

à son rythme. Ils peuvent alors s’imaginer que l’inadaptation des habitants est irréversible et que le projet perd du temps et de l’argent. Cette situation est dangereuse, puisque le pouvoir peut alors être repris par les institutions en charge du projet. Il faudra se préserver de ces dérives en considérant cette temporalité de projet comme un gain. Même si la durée de projet est rallongée, il est nécessaire de considérer qu’encourager le développement des capacités des habitants s’apparente à un travail social inscrit dans la démarche participative.

• Intégrer les habitants à l’analyse sociologique de leur quartier

Faire participer les habitants à l’analyse sociologique, c’est prendre acte du droit à l’usage, de la pratique de l’espace comme une spécialisation de l’habitant. La sociologie et l’échantillonnage peuvent parfois aller à l’encontre de la démarche participative par la prise de recul avec l’habitant. C’est risquer de retomber dans des pratiques modernistes qui supposent que deux êtres humains de la même catégorie (sociale, sexuelle, religieuse.) éprouvent les mêmes sentiments vis-à-vis de leur habitat.

Trop souvent, la concertation avec l’habitant devient un outil dans la réalisation de l’analyse sociale et spatiale par les professionnels. Il serait peut-être possible d’imaginer un processus d’analyse sociologique et spatial participatif à travers le prisme de la recherche action. A l’origine, la recherche action est un processus éducatif qui consiste à faciliter l’identification d’un problème à travers la mise en place de nouvelles stratégies. Cela permet de sortir des procédures classiques qui consiste à régler les mêmes problèmes avec les mêmes stratégies. Michèle Catroux écrit que la recherche action peut aussi être utilisée sur le terrain pour collecter des données et devenir un outil de diagnostic permettant de proposer des hypothèses. De plus, c’est une méthode qui s’intègre dans des démarches participatives :

« Le praticien-chercheur se trouve donc inclus dans le processus à part égale avec les autres participants. Les participants ont connaissance de tous les aspects de l’action menée et prennent part aux phases de négociation, d’observation, et de prise de décision. Ils peuvent contribuer également à la sélection des stratégies mises en œuvre. »121

Mêler le professionnel et la sociologie à l’habitant et sa pratique du terrain serait alors un principe de recherche action qui pourrait permettre d’établir des stratégies nouvelles jamais tentées auparavant.

121 CATROUX Michèle, Introduction à la recherche-action : modalités d’une démarche théorique centrée sur la pratique, Article extrait de La recherche action : un autre regard sur nos pratique pédagogiques, Cahiers de l’APLIUT, 2002

• Repenser les étapes du projet

S’il a été question de repenser la première étape du projet sur le consentement, puis sur l’étude sociologique. Il est aussi intéressant de proposer des pistes d’action pour rendre le projet participatif plus inclusif dans sa démarche globale.

Inclure une démarche itérative semblerait nécessaire pour le projet participatif puisqu’elle permet de réintroduire à chaque fois les acquis de l’étape précédente et les éléments nouveaux. Cette démarche progressive et pragmatique a pour volonté de valoriser les acquis. Faire évoluer le projet par étape permet aux habitants de se faire une représentation plus précise du projet.

Proposer une hiérarchisation des changements dans le projet semble aussi nécessaire. Il est important de penser les temporalités des travaux avec les habitants pour donner la priorité aux travaux les plus urgents. A l’inverse du projet du Pile qui proposait de planter des potagers alors que de nombreuses maisons étaient infestées de rats, il s’agira de revoir les priorités à la manière de Sophie Ricard. Pour l’opération de Boulogne-Sur-Mer, elle prévoit en premier lieu l’isolation extérieure de toutes les maisons.

Les projets de réhabilitation supposent bien souvent de devoir transformer le quartier en présence des habitants. Il serait alors plus intéressant de proposer des opérations tiroir122 pour permettre aux habitants de rester dans leur logement. Cela leur permettra aussi de pouvoir réaliser les travaux qu’ils se sentent capables de faire.

122 Opération de chantier pendant laquelle les habitants ne sont pas délogés de leur habitat

3.2.3 De nouvelles compétences pour l’architecte

Dans la continuité de cette recherche, il est nécessaire que ce mémoire d’architecture se pose la question des compétences et de la responsabilité que l’architecte dans ce type de projet.

• Adapter les techniques de communication et repenser ses outils La communication est le fondement qui permet à tout architecte de faire part d’un projet dont il est le seul à avoir l’image en tête à un autre que lui. En intégrant l’habitant dans la conception de ces projets, ce sont alors des centaines d’images différentes qui apparaissent et qui deviennent sujet de discussion. L’outil de communication devient alors non plus un fondement mais presque un besoin vital pour le projet. Cependant, l’architecte s’est habitué à des outils qu’il utilise généralement pour parler de projets avec des professionnels qui comme lui, connaissent le langage de l’architecture et de l’urbanisme. Si aujourd’hui l’architecte veut être capable de communiquer un projet avec et pour les habitants, il est nécessaire qu’il repense ses outils.

Tout d’abord, instaurer un langage commun au projet participatif pourrait être un outil permettant de faciliter le dialogue entre tous les acteurs. Il est alors important d’initier les habitants qui le veulent, à ce langage de l’espace, à travers des ateliers et des travaux en lien avec l’architecte et les élus (qui peuvent aussi avoir besoin de cette formation). L’idée est de donner une conscience du vocabulaire mais aussi des échelles.

« Il a été montré que les exigences de communication et de partage dans la participation ne tiennent pas seulement à des contraintes formelles et langagières, mais également à des impératifs liés aux pratiques sur lesquelles la participation entend déployer son autorité. »123

En développant ce langage, l’objectif est double : faciliter la compréhension du projet mais aussi aider les habitants à exprimer un mal être face à leur cadre de vie. A l’aide de ce vocabulaire utilisé par tous, il pourra s’exprimer dans un langage commun et faire part de ses sensations.

La représentation du projet doit aussi être revue puisque si l’architecte a l’habitude de représenter l’espace en coupes et en plans, l’habitant lui ne lit pas l’espace de la même manière. De manière générale, un individu pratique l’espace en séquence, en vues, en sensations, c’est

123 CHARLES Julien, La participation en actes. Entreprise, ville, association. Collection Solidarité et société, Edition Desclée de Brouwer, 2016

pour cela que ce sont les vues en perspectives ou en axonométrie qui seront plus parlantes pour les habitants. L’objectif est alors de réussir à parler de volumétries et d’ambiances tout en évitant de tomber dans des représentations superficielles à travers la perspective. Il est aussi intéressant de relever que si ces documents permettent de communiquer sur le projet, ils peuvent aussi être le support de discussion et déclencher des idées et des envies par les habitants

« L’image, parce qu’elle vise à susciter des envies, modifie les attentes »124

« L’image, en servant de révélateur aux divergences de points de vue, devient outil de projet »125

L’architecte dans ce processus participatif a aussi la casquette du médiateur. Lorsque les débats ou les discussions s’enlisent ou dérivent vers des propositions qui n’aboutissent pas, c’est lui qui est le plus à même d’élever le débat. Cela peut passer par une reformulation des idées et des envies, par la prise de décision en considérant les avantages et les inconvénients. L’architecte a la capacité de reformuler des idées et des projets. Cela lui permet de proposer l’idée de l’un ou de l’autre sous une autre forme, pour faciliter la communication. Cependant, il doit faire attention à ne pas faire basculer l’avis général vers l’image personnelle qu’il se fait du projet. C’est pourquoi la présence d’un autre acteur tel qu’un médiateur ou un autre professionnel de l’équipe peut permettre au débat de rester ouvert.

L’architecte se doit aussi de considérer l’habitant comme un adulte et non comme un élève. Il

s’agira alors d’utiliser les réunions comme des discussions et non comme des exposés. Le format d’exposé instaure souvent une distance entre l’habitant et le bâtisseur et relève des processus de pédagogie scolaires classiques qui ne font pas l’unanimité. Les projets seront présentés par des personnes : l’architecte, l’urbaniste à l’aide d’outils compréhensibles et accessibles à tous. Il faut peut-être alors éviter de trop compter sur des outils numériques qui sont moins ludiques et moins accessibles pour les personnes plus âgées. Les maquettes seront alors les bienvenues puisqu’elles représentent un outil universel, que chacun peut s’approprier.

124 HATZFELD H. et MOUTTON Y. Chroniques de la rénovation, revue Urbanisme, n°351, 2006

125 Idem

Figure 29 Concertation, projet deréhabilitation du quartier ouvrier à Tourcoing, Bouchain

Figure 30 Maquette réalisée pour l'exposition sur Lucien et Simone Kroll au Lieu Unique à Nantes

• Accepter de ne pas tout contrôler

Dans la pratique de son métier, l’architecte est souvent amené à gérer des projets dans leur intégralité et à contrôler tous les processus de l’esquisse à la livraison. Cependant, intégrer une démarche participative c’est aussi laisser à l’habitant une part de liberté dans la conception et la mise en œuvre du projet. C’est laisser le projet se faire approprier par l’habitant qui devient à la fois un des concepteurs mais aussi un futur utilisateur de cet espace. Patrick Bouchain dans Construire autrement parle de cet héritage que laisse l’architecte à l’occupant une fois parti :

« Pendant le temps de la construction, la personne qui conçoit un bâtiment le transmet à la personne qui construit, et elle-même à celle qui va s’en servir. Puis la personne qui s’en sert va le transformer, avant qu’une autre lui succède, le transforme à son tour et l’emmène dans l’histoire. »126

Transformer un quartier encore occupé par ses habitants et une mission complexe pour l’architecte qui n’a pas été habitué à concevoir un projet sur un site vivant. C’est pourquoi il lui est impossible de tout contrôler car les éléments extérieurs sont trop nombreux pour empêcher l’imprévu. La réhabilitation est donc un support qui permettra à l’architecte de pouvoir lâcher prise. Dans ce projet, tous les acteurs doivent alors trouver la place qui leur convient, s’ouvrir aux idées des autres, à leurs questionnements, ne rien considérer comme acquis. Accepter que l’idée de l’un puisse étayer la sienne. Accepter que ses idées ne soient parfois pas en accord avec celles des autres.

126 BOUCHAIN Patrick, Construire autrement, Edition Actes Sud, 2006

• Faire du projet participatif un combat personnel

Souvent, les architectes qui participent aux projets participatifs sont soit de jeunes professionnels qui cherchent à prendre une part active aux projets participatifs, ou alors des professionnels expérimentés et familiers des processus. Dans les deux cas, il est nécessaire que le projet soit mené et guidé par une cause sociale et éthique chère à l’architecte.

On remarque que les architectes et les urbanistes sont de plus en plus attirés par les projets participatifs, c’est une occasion pour eux de se reconvertir dans une pratique plus éthique qui leur permet de retrouver une manière de construire en accord avec leurs sentiments et leurs idées. L’exemple de Sophie Ricard dans le quartier de Boulogne sur Mer peut paraître extrême. Cependant, il est certain qu’au vue des remises en question actuelles dues au contexte de crise, nombreux sont les jeunes architectes qui seraient prêts à vivre la même expérience sociale que Sophie Ricard. Si l’on rapporte le nombre de ces jeunes diplômés motivés à celui des quartiers dans le besoin, il est certain que chaque quartier pourrait trouver preneur ! De plus, la formation de l’architecte se prête bien à ces problématiques puisque c’est avant tout un métier qui doit s’intégrer dans des problématiques sociales de l’habitat.

Finalement, cette dernière partie, bien que relevant d’une démarche plutôt expérimentale, nous permet d’identifier plusieurs points qui semblent encore freiner les démarches participatives

On remarque que la difficulté principale réside dans la relation entre l’habitant et les institutions. Ce problème nécessite de réaliser un travail de longue haleine pour sortir des habitudes et des vieux principes qui associe encore l’habitant à l’image d’un consommateur de l’espace. Cette problématique est encore plus présente dans le cas de réhabilitation de quartier d’habitat social où le « pauvre » est encore trop souvent stigmatisé et infantilisé dans les

processus.

On a pu voir que le processus de participation n’est pas naturel, c’est pourquoi il semble aujourd’hui nécessaire pour les habitants d’apprendre à participer. Cette thématique se retrouve dans les techniques d’empowerment qu’il sera intéressant d’étudier dans la continuité de ce mémoire, car elles se prêtent au contexte des quartiers d’habitat social.

Mais il s’agit aussi pour les acteurs du projet d’apprendre à faire participer ! Pour cela, il serait intéressant de pouvoir les intégrer dans des démarches de formations leur permettant d’acquérir les capacités professionnelles et humaines adéquates mais aussi d’être confrontés à des projets existant comme preuve que la participation peut fonctionner et qu’elle est porteuse d’un avenir plus respectueux de son prochain.

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