Été 1943, la Résistance sera unie

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archéologie : La première traduction de la Bible

mensuel dom/s 7,20 € tom/s 950 xpf tom/a 1 600 xpf bel 7,20 € lux 7,20 € all 7,90 € esp 7,20 € gr 7,20 € ita 7,20€ MAY 8,70 € port. cont 7,20 € can 10,50 $can ch 12 ,40 fs mar 60 dh TUN 6,80 TND issn 01822411

www.histoire.presse.fr

Par Jean-Pierre Azéma Daniel Cordier Jean-Louis Crémieux-Brilhac Christine Levisse-Touzé Dominique Veillon Olivier Wieviorka

ÉTÉ 1943

M 01842 - 388 - F: 6,20 E

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la résistance sera unie

L’été pourri du général de Gaulle

Le temps des maquis ou le passage à l’action

Pierre Brossolette, le rival


’sommaire N°388-juin  2013

’événement

’actualité on en parle 14 La vie de l’édition L’homme en vue - En tournage portrait 16 Frantz Grenet et le cavalier sans tête

Par Daniel Bermond collection lr/adoc-photos

expositions 18 Fontainebleau : un château, un roi, un peintre

Par Pascal Ory

’feuilleton

juin 1913 86 L’appel de Dieu et des armes Par Michel Winock

’GUIDE

Par Huguette Meunier

la revue des revues 88 « Vingtième Siècle » : A-t-on oublié Senghor ?

19 Deux guerres

88 La sélection du mois

archives 20 Seignobos rend les copies

les livres 90 « Les Origines de la France » de Sylvain Venayre

Par Juliette Rigondet

8 Le déclin du mâle occidental ?

bande dessinée 34 Ombres chinoises

Par Émeline Seignobos

21 Agenda : les rencontres du mois

Par Laurent Theis

Des hommes moins forts, moins fertiles, moins virils ? Cette hantise ancienne et récurrente semble reprendre aujourd’hui vigueur.

livres 22 Barbey, le chouan du Second Empire

le classique 96 « Invasion 14 » de Maxence Van der Meersch

Avec Alain Corbin et Christelle Taraud

24 Par-delà le bien et le mal Par Jacques Berlioz

’CARTE BLANCHE

Par Olivier Postel-Vinay

n° 388

Par Jean-Pierre Azéma Daniel Cordier Jean-Louis Crémieux-Brilhac ÉTÉ 1943 : LA RÉSISTANCE SERA UNIE

Christine Levisse-Touzé Dominique Veillon Olivier Wieviorka

DOSSIER SPÉCIAL ?? PAGES

&’:HIKLSE=WU[WUX:?k@d@i@i@k"

cinéma 30 Le joli mois de paix

M 01842

F: 6,20 E

29 Tour de France : 100e !

Le temps des maquis ou le passage à l’action

Par Pierre Assouline

Par Olivier Thomas

LA RÉSISTANCE SERA UNIE

L’été pourri du général de Gaulle

98 Le procès n’aura pas lieu

médias 28 On a plongé sur « La Lune »

www.histoire.presse.fr

JUIN 2013

anniversaire 26 1983 : la première Américaine de l’espace

Par Michel Winock

Par Philippe Varnoteaux

ARCHÉOLOGIE : LA PREMIÈRE TRADUCTION DE LA BIBLE

ÉTÉ 1943

Par Emmanuelle Loyer

91 La sélection du mois

Pierre Brossolette, le rival

couverture :

Jean Moulin aux Arceaux, près de la promenade du Peyrou, à Montpellier, photo prise par son ami d’enfance Marcel Bernard, à l’hiver 19391940 (legs A. Sasse/musée du Général Leclercmusée Jean Moulin).

retrouvez page 36 les rencontres de l’histoire Abonnez-vous page 97

Ce numéro comporte quatre encarts jetés : Guerre & Histoire (abonnés), L’Histoire (2 encarts kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).

Par Antoine de Baecque

religion 32 Parier sur le pape Par Olivier Christin

33 Internet : les sites du mois

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www.histoire.presse.fr 10 000 articles en archives. Des web dossiers pour préparer les concours. Chaque jour, une archive de L’Histoire pour comprendre l’actualité.


’dossier

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’recherche 68 La vraie histoire de la Septante Par Gilles Dorival

De nouvelles découvertes permettent d’en savoir plus sur la première traduction, en grec, de la Bible hébraïque.

Crédit

74 Les paysans aussi ont un honneur !

keystone/gamma-rapho

Par Claude Gauvard

La résistance sera unie 40 27 mai 1943 : le tournant

Par Jean-Pierre Azéma 44 Le premier Conseil de la Résistance 46 Brossolette, le rival

48 48, rue du Four Entretien avec Daniel Cordier

50 Après Caluire, rien ne va plus

52 21 juin 1943 : le drame

54 Moulin dans la clandestinité

Par Christine Levisse-Touzé et Dominique Veillon

56 Le passage à l’action Par Olivier Wieviorka 42 Chronologie 65 Pour en savoir plus

Par Jean-Louis Crémieux-Brilhac

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imagebroker/leemage

Été 1943

Au Moyen Age, les paysans étaient soucieux de leur réputation.

80 Antoine Léger Violeur et anthropophage Par Laurence Guignard

En 1824, Antoine Léger est condamné à la guillotine pour sodomie, meurtre, anthropophagie.


collection lr/adoc-photos

’événement virilité

Culturiste (France, vers 1900).

Le déclin du mâle occidental ? Par Olivier Postel-Vinay

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afp

Les hommes, moins forts, moins puissants, moins performants, moins fertiles – bref, moins virils ? Une hantise ancienne et récurrente, mais qui reprend vigueur. Avec de nouveaux arguments. En s’appuyant sur de nombreux travaux de biologistes, de journalistes ou de sociologues venus notamment des États-Unis, Olivier Postel-Vinay fait le point.

I

l fut un temps, pas si éloigné, où les héros de films, qu’ils soient aventuriers, séducteurs ou patriarches, étaient incarnés par Humphrey Bogart, Jean Gabin, Alain Delon ou Lino Ventura. Un temps, dit-on, où l’autorité du pater familias n’était pas plus mise en question que la qualité du sperme, un temps où les garçons de bonne famille s’endurcissaient dans des camps de scouts et n’étaient pas menacés par la concurrence des filles à l’école (puisqu’elles n’étaient pas dans les mêmes) – et encore moins à l’université. Un temps où un parchemin donnait accès à un emploi stable, où les fils Serait-on faisaient leur service militaire, entré étaient envoyés au casse-pipe et dans le renonçaient à leurs amours de temps des jeunesse pour fonder une famille femmes ? peu après le cap des 20 ans. Aujourd’hui George Clooney fait la pub de Nespresso, le chromosome Y est en déroute, des garçons restent chez leurs parents au-delà de 30 ans, les hommes s’habillent en adolescents, peinent à procréer et s’oublient dans les jeux vidéo, tandis que des jeunes filles mieux diplômées commencent, dans certaines régions du monde, à gagner plus qu’eux. De nombreux livres anglo-saxons annoncent le déclin du mâle occidental. Parmi eux, l’enquête de la journaliste Hanna Rosin, parue cet hiver en

Le regard des biologistes Que conclure de ces lectures ? Les biologistes se plaisent, en forçant le trait, à décrire la décrépitude attestée du chromosome Y, dans le temps long de l’évolution, aggravée récemment par les inquiétudes sur la qualité du sperme, attaqué par les toxiques venus de l’environnement. Perclus d’accidents génétiques divers et variés, le Y résiste vaillamment, mais difficilement, face aux deux chromosomes X de la femme. Le phénomène se traduit concrètement par le fait que les garçons et les hommes sont beaucoup plus sujets que les filles et les femmes aux troubles psychiatriques liés à l’X (divers retards mentaux, notamment), ce qui pourrait contribuer à expliquer les tourments scolaires des garçons. Le mâle n’ayant qu’un X, toute atteinte de ce chromosome, actif dans les cellules cérébrales, affecte les sujets masculins sans possibilité de réparation, alors qu’un X défectueux chez le sujet féminin est parfois compensé par l’activation du second X. Sur un tout autre plan, les nouveaux moyens de procréation font que, si elle le souhaite, une femme

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dr

français. Le titre est à double détente : The End of Men (l’éditeur a gardé l’anglais) et, en plus petit, Voici venu le temps des femmes. Mais la question n’est pas nouvelle : une première salve avait été tirée à la fin des années 1990 avec Decline of Males, de l’anthropologue Lionel Tiger (non traduit), et un volume de plus de 600 pages de la brillante féministe américaine Susan Faludi, Dépossédé : l’homme américain trahi. Le début des années 2000 a vu l’apport d’un psychiatre irlandais, Anthony Clare – Où sont les hommes ? La masculinité en crise – et de deux biologistes britanniques et rivaux, Steve Jones (Y : la décadence de l’homme) et Bryan Sykes (La Malédiction d’Adam : un futur sans hommes, traduit en français). Nouvelle salve à la fin de la décennie 2000 avec trois livres aux titres éloquents, Sauvez les hommes, de la journaliste américaine Kathleen Parker, Men to Boys (« Les hommes redevenus garçons »), de l’historien Gary Cross, et Guyland (« Le monde des mecs »), du sociologue Michael Kimmel. Il faut y ajouter plusieurs livres consacrés au déclin scolaire des garçons, à commencer par celui de Christina Hoff Sommers, La Guerre contre les garçons (2000) puis, et surtout, celui de Peg Tyre, Le Problème des garçons (2008). Ce dernier sujet est arrivé en France, encore très discrètement, avec le livre de Jean-Louis Auduc, de l’IUFM de Créteil, Sauvons les garçons ! (2009). Toujours en France, citons le troisième tome de l’ouvrage collectif dirigé par Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello, Histoire de la virilité, prudemment intitulé La Virilité en crise ?, paru en 2011.

l’auteur Olivier PostelVinay est journaliste scientifique et membre du comité scientifique de L’Histoire. Il a fondé en 2008 la revue Books, qu’il dirige, et a notamment publié La Revanche du chromosome X. Enquête sur les origines et le devenir du féminin (JC Lattès, 2007).

En haut : Serge Charnay sur la grue dans laquelle il s’est retranché quatre jours durant en février 2013, à Nantes, pour protester contre la décision de justice qui le privait de la garde de ses enfants. Son action a été rapprochée de celles de groupes d’hommes « masculinistes » en GrandeBretagne ou au Québec, qui proposent le rétablir de patriarcat sans compromis.


’actualitélivre Un livre et un site montrent comment l’ensemble de la Création a été convoqué pour constituer le décor des églises romanes.

Par-delà le bien et le mal La nature pour écrin

christian guy/age fotostock

Les églises d’Auvergne entretiennent un lien intime avec le monde rural qui les environne. A Orcival, on a tenu à construire l’église à flanc de colline, sur une source, ce qui nécessita d’importants travaux de terrassement.

T J. Baschet, J.-C. Bonne, P.-O. Dittmar, Le Monde roman par-delà le bien et le mal. Une iconographie du lieu sacré, Arkhê, 2012.

rès admirés, les chapiteaux des églises roma­ nes d’Auvergne ne sont pas toujours compris. C’est qu’ils offrent un foisonnement de figu­ res qui ne semblent guère répondre à une théma­ tique chrétienne. De plus, leur répartition au sein de l’église est souvent déconcertante. Par quelles logiques l’édifice de pierre est-il animé ? Trois grands spécialistes du Moyen Age, Jérôme Baschet, Jean-Claude Bonne et PierreOlivier Dittmar, se sont mis en tête de percer leurs secrets, soulignant d’abord l’ambivalence consti­ tutive du monde créé dans le mythe chrétien, qui porte des marques de la Chute comme de la per­ fection que Dieu a voulu imprimer à son œuvre. L’homme oscille lui-même entre bien et mal. Or cette incertitude est au cœur de l’ambiguïté des représentations de la sculpture romane. Ce travail montre aussi que les chapiteaux, loin d’être des objets isolés, « fonctionnent ensemble, dans leurs relations mutuelles et en interaction

avec la structure propre du lieu rituel ». Sans pour autant qu’apparaisse un programme prédéfini par les clercs – en général introuvable. Cinq églises du milieu du xiie siècle sont ­décryptées dans le livre : Notre-Dame-du-Port à Clermont-Ferrand, Saint-Pierre de Mozat, SaintNectaire, Notre-Dame d’Orcival et Saint-Marcellin de Chanteuges. L’étude est menée conjointement sur un site internet. Jacques Berlioz

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Directeur de recherches au CNRS

Cette étude sur les églises romanes est à consulter sur le site : http://gahom.ehess.fr /chapiteauxromans


s

De l’homme sauvage à l’homme christique

Les sculptures de Saint-Pierre de Mozat (chapiteaux de droite) présentent des hommes, parfois nus, entrelacés avec des éléments végétaux. Ces images donnent de la Création une vision positive sans être spécifiquement chrétienne (son énergie et sa relation harmonieuse avec l’homme). Ces motifs sont repris et cités dans d’autres édifices sous forme christianisée : à SaintNectaire (à gauche), l’homme dans l’arbre est Zachée, chef des collecteurs d’impôts de Jéricho, grimpant sur un sycomore pour mieux voir le Christ (Luc XIX, 1-10).

s Le lion, entre Christ et diable

s Mi-humain mi-animal

clichés gahom/crh-ehess

Les figures mélangeant un humain et un animal (comme la sirène) sont en général considérées comme nuisibles. Mais, à Saint-Marcellin de Chanteuges (Haute-Loire), rien ne vient condamner la nudité de ces figures très originales dont la partie inférieure se développe en frondaisons fertiles. C’est ici la conception d’une vitalité traversant l’ensemble du monde créé qui est évoquée.

Pour comprendre les chapiteaux animaux, il faut se pencher sur les relations que les bêtes entretiennent avec les humains. Car aucun animal n’est un symbole univoque : le lion peut être autant une image du Christ qu’une figure du diable. Sur le chapiteau ci-dessus (à Mozat), l’homme chevauchant un poisson (à gauche) pourrait renvoyer aux récits, bien connus au Moyen Age, de marins sauvés par des dauphins. A cette coopération amicale entre humains et non-humains s’oppose la figure d’un homme en train de dominer un fauve (à droite). La domination sur le monde sauvage (dont l’existence est une conséquence de la Chute) est fréquemment utilisée comme métaphore de la domination que l’homme doit exercer sur ses pulsions animales.

C’est la première fois que la répartition de l’ensemble des chapiteaux d’un même édifice a été analysée. Une méthode de cartographie innovante a permis de révéler les relations les plus signifiantes. Ainsi, à Saint-Nectaire, l’opposition entre le bien et le mal (le rouge et le bleu), qui accueille les visiteurs à la porte sud, se résout dans le sanctuaire. Autour de ce dernier, le violet représente des évocations de la nature qui ne relèvent ni du bien ni du mal.

s Une image du paradis

Les chapiteaux végétaux ont souvent été considérés comme relevant d’un décor répétitif sans intérêt. Leur présence, incontournable dans les églises romanes (ici la nef de l’église de Saint-Nectaire), joue un rôle central dans le processus de sacralisation d’un édifice pensé comme une image du paradis.

s

s Une cartographie du bien et du mal

Semblables mais uniques

Autre variante de chapiteaux végétaux qui se font écho, sans jamais être identiques (cette fois dans l’église NotreDame-du-Port de ClermontFerrand). Le goût pour la variété est central dans l’art médiéval, et impose de créer des formes à chaque fois renouvelées.

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’DOSSIER résistance

27 mai 1943 : le tournant Le 27 mai 1943 se tient la première réunion du Conseil de la Résistance, présidé par Jean Moulin. Une victoire obtenue de haute lutte pour rassembler mouvements de la Résistance et forces politiques derrière le nom de Charles de Gaulle. Par Jean-Pierre Azéma

Entré dans l’administration préfectorale, Moulin est en 1939 préfet d’Eure-et-Loir, à Chartres (portrait des années 1930).

l’auteur Professeur émérite à Sciences Po Paris, Jean-Pierre Azéma a publié de nombreux ouvrages sur la France dans la Seconde Guerre mondiale. Sur la Résistance, on pourra notamment lire : Jean Moulin. Le rebelle, le politique, le résistant (Perrin, 2003) et, sous sa direction, Jean Moulin face à l’histoire (Flammarion, 2000).

R

A Londres, le général de Gaulle, reconnu par Churchill chef de « Français Libres », voulait s’appuyer sur la « légitimité » de chef de la vraie France, celle qui était en guerre. En novembre 1940, déclarant « inconstitutionnel » le régime de Vichy, il proclamait qu’il assumait temporairement « la tâche sacrée de ­rassembler les forces de la nation ». Face à Churchill refusant cette Les refus sorte de coup d’État, de Gaulle Les Français, qui s’étaient ne pouvait se prévaloir du soudonnés à Pétain en juin 1940, retien de la majorité des Français, jetaient massivement les forces d’autant qu’à l’époque il leur politiques qu’ils rendaient respon­apparaissait plus en diviseur sables de la défaite. Il faut dire qu’en rassembleur. Républicain que, avant même d’être interdits de raison, il se disait démocrate, Pour de Gaulle, en août 1941, les partis, minés par affirmant accepter la sanction qui ne sait comment de profondes divisions profitant à du suffrage universel, ce qu’il agir sur l’opinion Vichy, s’étaient littéralement difit sa vie durant. Mais, récusant française, Jean Moulin lués, et même le PCF, qui n’avait toute « politique », celle de Vichy tombe à pic pas disparu, éprouvait des difficomme « les abus anarchiques » cultés à faire admettre l’abandon de la IIIe République, il proclama jusqu’en novembre 1941 son de la ligne « antifasciste », lors du pacte germano-soviétique d’août 1939, puis celle apolitisme, entendons le rejet de « la » politique. Il faut dire aussi que cet homme du refus était de la défense de l’URSS par tous les moyens après un homme d’ordre, qui, se défiant des partis, cher­l’invasion du pays par la Wehrmacht en juin 1941. Certes, des noyaux de femmes et d’hommes, chait à obtenir le ralliement individuel de persondécidés à « faire quelque chose », se lançaient nalités. Au total, il ne savait pas comment agir sur dans un « bricolage héroïque » (Daniel Cordier) l’opinion française, autrement que par l’arme raet, malgré leur petit nombre, créaient des « mou- diophonique, les cinq puis dix minutes quotidienvements de Résistance » pour ébranler l’opinion. nes accordées par la BBC. Et si les premiers réseaux La plupart rejetaient eux aussi le régime de la de renseignements, donc à finalité militaire, furent IIIe République, reprochant à la fois aux partis po- bien créés à l’initiative de la France Libre dès délitiques la défaite, le sabordage de la République cembre 1940, la formation originale des premiers et l’abandon de la lutte. « mouvements de Résistance » lui échappa.

éunir les représentants de partis politiques et de syndicats et ceux de mouvements de Résistance fut pour Jean Moulin, le délégué du général de Gaulle, une tâche ardue. Si le mobile de la première réunion de ce Conseil de la Résistance dans Paris occupé fut singulier, les retombées n’en furent pas moins durables.

rue des archives/tallandier

Le préfet Moulin

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L’arrivée à Londres, le 20 octobre 1941, de Jean Moulin, un préfet révoqué, marqué par l’échec des républicains espagnols, venu chercher des soutiens, tomba à pic. Ils se rencontrèrent. Ils n’avaient pas la même culture politique, l’un, gé­ néral nationaliste nourri de Barrès et de Péguy, l’autre, fonctionnaire imprégné d’une idéologie de gauche républicaine. Et s’ils s’étaient compris plus qu’ils ne s’étaient séduits, ils étaient deux ser­ viteurs de l’État, devenus des rebelles au nom de la France en guerre, partageant le refus de l’armistice et de Vichy. Moulin repartit dans la nuit du 1er au 2 janvier 1942, avec le titre de « représentant et délégué du général de Gaulle » pour la zone sud, chargé d’une triple mission : développer la propa­ gande, aider à constituer des noyaux paramilitai­ res et réaliser, sous l’autorité du chef de la France Libre, l’unité d’action des résistants. La « mission rex » Rex (c’était l’un de ses pseudos), à la tête d’une « délégation » aux moyens dérisoires, réus­ sit, en répartissant les subsides accordés par la France Libre et en contrôlant les liaisons mariti­ mes et ­aériennes, à devenir l’intermédiaire en­ tre Londres et les trois principaux mouvements de zone sud : Combat, dont le chef, Henri Frenay, ­estimait que la « révolution » libératrice procéde­ rait d’une « ­armée secrète » ; Libération-Sud, dont les responsables comptaient plus sur le peuple

en armes ; Franc-Tireur, enfin, défendant une li­ gne républicaine jacobine. En octobre 1942, alors à Londres, les chefs de Combat et de Libération-Sud discutèrent d’une Armée secrète et surtout constituèrent un Comité de coordination des trois mouvements de zone sud qui reconnaissait l’autorité de la France Libre, rece­ vant en échange le monopole du recrutement des résistants. C’était une première étape de la fédéra­ tion des forces. Mais il fallut compter avec l’accélé­ ration des opérations militaires A l’automne 1942, le débarquement améri­ cain en Afrique du Nord modifia la donne politi­ que française. Roosevelt détestait de Gaulle, qui cri­tiquait le jeu ambigu mené par les États-Unis auprès de Pétain et leur choix de laisser gouver­ ner à Alger Darlan, « l’expédient temporaire »1. Brocardant le nationalisme gaullien (la France n’était-elle pas devenue une puissance moyenne ?) il tenait le chef de la France Libre pour un « apprenti dictateur ». Darlan assassiné le 24 décem­ bre 1942, les Américains misèrent sur Giraud plus présentable, car ce général cinq étoiles, évadé de la forteresse de Königstein, ne s’était pas compro­ mis dans la Collaboration d’État, contrairement à Darlan. Tout en menant en Algérie une politique vichyste, il s’accommodait parfaitement du semiprotectorat américain. En France, la Résistance évoluait. Les commu­ nistes progressaient. S’ils demeuraient partisans

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Un an plus tard

Nous ne possédons pas de photo de la première réunion du Conseil de la Résistance, le 27 mai 1943. Mais sur cette photo du CNR d’août 1944, huit des premiers membres sont encore présents (étiquette rouge) et Georges Bidault est devenu président. Parmi ceux qui les ont rejoints, on reconnaît Jean-Pierre Lévy, le chef de FrancTireur, qui était à Londres en mai 1943 et emprisonné d’octobre 1943 à juin 1944. Le socialiste Daniel Mayer a succédé à André Le Troquer, le radical Paul Bastid à Marc Rucart.


’recherche septante

La vraie histoire de la Septante C’est au iiie siècle avant notre ère, à Alexandrie, que la Bible hébraïque a été traduite pour la première fois, en grec. Qui en a eu l’initiative ? Des papyrus récemment découverts dans le Fayoum permettent peut-être d’y voir plus clair. Par Gilles Dorival

L

Décryptage

christophe delory

a plus ancienne Aristée ne parle pas des autres litraduction de vres de la Bible. On admet qu’ils ont la Bible hébraïété traduits plus tard : entre les années que est la Septante. 200 av. J.-C., pour les plus anciens d’entre L’histoire de la réception du Un auteur qui a peuteux, et le début du iie siècle de notre ère, texte biblique sera le thème être vécu à Alexandrie pour les plus récents, à Alexandrie le plus du prochain colloque de l’École au iie siècle av. J.-C. et souvent, mais parfois aussi à Jérusalem. biblique et archéologique qui se présente comme L’auteur Certains livres ont été compo­sés directefrançaise de Jérusalem, qui un adorateur de Zeus, Professeur ment en grec, comme Sagesse. La Bible se tiendra exceptionnellement émérite mais qui est manifeste- à l’université grecque contient ainsi plusieurs livres à Paris, ce mois de juin. ment un juif, Aristée1, d’Aix-Marseille, ­absents de la Bible hébraïque : outre le liL’occasion de revenir Dorival nous a laissé le ré- Gilles vre de la Sagesse, I-IV Maccabées, Judith, sur la première traduction est membre cit de cette entreprise honoraire Tobie, Siracide. de la Bible, la Septante. sans précédent. Dans de l’Institut Au moment de la rédaction des écrits Gilles Dorival est spécialiste de de la Lettre qu’il adresse universitaire du Nouveau Testament, à la fin du ier sièlangue et littérature grecques. France. Il codirige à son frère Philocrate, la collection cle de notre ère, les évangélistes, Paul Depuis 1986, il participe Aristée raconte que les « La Bible et les auteurs chrétiens, empruntent avec Marguerite Harl et Olivier d’Alexandrie » cinq livres de la Loi hé- (Le Cerf), massi­vement leurs citations de la Bible Munnich, pour les éditions braïque, c’est-à-dire de une traduction à la Septante. Dès le iie siècle, ce terme du Cerf, à la traduction annotée la Torah, ont été tra- de la Septante prend un sens nouveau chez les Pères de annotée et à la publication duits par 72 lettrés juifs, (dix-huit volumes l’Église, qui appellent Septante non seulede la Bible hébraïque en grec : six par tribu, venus de parus en 2012). ment les cinq livres du Pentateuque, mais « La Bible d’Alexandrie ». Jérusalem à Alexandrie aussi l’ensemble du corpus biblique. à la demande du roi Ptolémée II Philadelphe (qui règne de 285 à Combien de traducteurs ? 246 av. J.-C.), et de son bibliothécaire, Démétrios Depuis la fin du xviie siècle, la Lettre d’Aristée de Phalère (mort vers 280). est souvent considérée comme un récit légendaire, Aristée rapporte ceci : « Maîtres dans les lettres qui ne contiendrait aucune information fiable. judaïques, mais aussi adonnés à la culture helléni- L’origine alexandrine de la traduction, toutefois, que » (§ 121), les traducteurs ont réalisé leur tra- n’a jamais été vraiment remise en cause. vail en 72 jours, dans l’île de Pharos. La traduction Les autres informations données par Aristée est lue par Démétrios aux délégués des juifs, qui et les sources anciennes ont, elles, été discutées. l’approuvent, puis au roi, qui fait de même. Ainsi, la datation a été contestée. Il a paru invraiDans d’autres sources anciennes, les 72 de- semblable notamment que Démétrios de Phalère viennent 70. D’où le nom de Bible grecque des ait pu collaborer avec Ptolémée II Philadelphe, qui Septante, ou de Septante, en abrégé LXX, donné l’avait fait emprisonner avant de le faire mettre à mort. Cependant, la traduction est antérieure à la à la traduction.

Aristée raconte que la traduction est l’œuvre de 72 lettrés juifs venus de Jérusalem à Alexandrie à la demande du roi Ptolémée L’ H i s t o i r e   N ° 3 8 8   j u i n  2 0 1 3 68


Ptolémée II Philadelphe, roi grec de l’Égypte, dirigeait à Alexandrie une cour lettrée et savante : c’est ainsi que le montre au xviie siècle, ci-dessous, Jean-Baptiste de Champaigne sur une peinture des Grands Appartements, au château de Versailles. Au centre : une page du Lévitique tirée de la Septante (codex Sinaiticus, ive siècle ; British Library).

rmn-gp (chateau de versailles) / hervÉ lewandowski

british library

fin du iiie siècle avant notre ère, puisque la chronologie des patriarches propre à la Septante se retrouve chez Démétrios le Chronographe dans son traité Sur les rois de Juda, composé vers 220210 av. J.-C. La thèse selon laquelle ce serait la Septante qui se serait inspirée de Démétrios a été défendue, mais elle est trop paradoxale pour emporter la conviction. Le nombre des traducteurs a lui aussi été contesté. Certains écrits rabbiniques affirment qu’ils auraient été non 70 ou 72 mais 5. Or ce dernier chiffre correspond manifestement au nombre des livres traduits. En fait, 70 ou 72 est un chiffre symbolique (cf. p. 71). L’origine palestinienne des traducteurs a elle aussi été remise en cause : la Septante serait l’œuvre de lettrés juifs alexandrins.

Pourtant, Aristée énumère les noms des 72 traducteurs : certains de ces noms, comme Levis, Mattathias, Yakob et Yoseph, sont caractéristiques des juifs de Palestine. D’autres renseignements encore apportés par Aristée et les sources anciennes ont été discutés. Ainsi l’affirmation selon laquelle la Septante aurait été traduite sur des rouleaux écrits en lettres d’or (§ 176 de la Lettre d’Aristée) : dans la littérature rabbinique, à partir des années 200 de notre ère, les lettres d’or sont interdites. Mais l’existence même de cette interdiction montre que les lettres d’or ont pu être en usage dans la librairie juive ancienne. Cependant, la principale critique apportée aux sources anciennes porte sur les raisons qui auraient présidé à la traduction. Pourquoi en effet a-t-on traduit la Torah en grec ? La question doit être mise en perspective. Dans le monde antique, la traduction a longtemps été une ­affaire

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