Les Mayas : la fin du monde n'aura pas lieu

Page 1

3:HIKLSE=WU[WUX:?a@d@s@c@k;

M 01842 - 382 - F: 6,20 E mensuel dom/s 7,20 € tom/s 950 xpf tom/a 1 600 xpf bel 7,20 € lux 7,20 € all 7,90 € esp 7,20 € gr 7,20 € ita 7,20€ MAY 8,70 € port. cont 7,20 € can 9,99 $can ch 12 ,40 fs mar 60 dh TUN 6,80 TND issn 01822411

exposition : 1953, massacre d’algériens à la nation www.histoire.presse.fr

les mayas La fin du monde n’aura pas lieu

Rousseau ou le piège de la célébrité

200 ans de guerre des monnaies

par Nicolas

Baverez

Comment le Moyen Age prit goût au sucre


’sommaire

N°382-décembre  2012

’événement

’actualité on en parle 20 La vie de l’édition L’homme en vue En tournage

la revue des revues 88 « Parlement[s]» : théâtre et politique

portrait 22 Les mondes perdus de Georges Bensoussan

les livres 90 « Le Royaume des quatre rivières » de Léonard Dauphant

© martin vidberg

Par Pierre Assouline

expositions 24 Aux armes, Parisiens ! Par Michel Winock

26 Magie des cartes marines

8 Guerre et paix entre les monnaies Par Nicolas Baverez

Par Huguette Meunier

27 Liberté chérie

Par Étienne François

Alors que la zone euro est au bord de l’éclatement, Nicolas Baverez retrace deux cents ans de guerres des monnaies, depuis le bimétallisme du xixe siècle jusqu’à la crise actuelle. 16 Contrepoint : Jacques Sapir

’GUIDE

28 1953 : massacre d’Algériens à la Nation

Par Emmanuel Blanchard

cinéma 30 Lumières danoises

88 La sélection du mois

Par Patrick Boucheron

91 La sélection du mois le classique 96 « Les Formes élémentaires de la vie religieuse » d’Émile Durkheim

Par Dominique Iogna-Prat

’CARTE BLANCHE 98 Le CNRS abuse

Par Pierre Assouline

Par Antoine de Baecque

concordance des temps 32 Ne touchez pas à l’ambassadeur ! Par Yann Rivière

33 Agenda : les rencontres du mois médias 34 Les dessous du sacre de Bokassa Ier

À partir du mois prochain

Le feuilleton de Michel Winock : 1913-1914, chronique culturelle d’une avant-guerre

Par Olivier Thomas

35 Stendhal enfin ! Par Bruno Calvès

bande dessinée 36 L’autre Vél’d’Hiv Par Pascal Ory couverture :

Masque maya en jade et coquille trouvé à Tikal, vie siècle, Guatemala, musée national d’Archéologie et d’Éthnologie (collection Dagli Orti).

retrouvez page 40 les rencontres de l’histoire

anniversaire 38 SOS Angkor

Par Amaury Lorin

39 Internet : les sites du mois

Abonnez-vous page 97

Ce numéro comporte sept encarts jetés : Ordre de Malte (abonnés), Philosophie magazine, Unipresse, Paris en guerre d’Algérie (sélection d’abonnés), L’Histoire (2 encarts kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse). L’ H i s t o i r e   N ° 3 8 2   d é c e m b r e   2 0 1 2 4

www.histoire.presse.fr 10 000 articles en archives. Des web dossiers pour préparer les concours. Chaque jour, un article pour comprendre l’actualité de l’histoire .


’dossier

PAGE 42

’recherche

64 Rousseau, ou le piège de la célébrité

collection dagli orti

Crédit

national galleries of scotl and dist. rmn-gp/scottish national gallery

Par Antoine Lilti

les mayas

Une autre mesure du temps 44 La fin du monde n’aura pas lieu

Par Dominique Michelet 48 Le pouvoir des cités 51 Une religion de sacrifices 52 Le mythe et la science

54 Maïs et cacao

56 La grande roue du temps

Par Christian Duverger 60 Casser la vaisselle, jeter tout… 46 Chronologie

Jean-Jacques Rousseau, dont on a fêté cette année les 300 ans, fut un des premiers à faire l’expérience, douloureuse, de la « peopolisation ».

74 « Aux chevaux morts pour la France » Par Gene Tempest

Ils sont les grands oubliés de la Grande Guerre. Les chevaux eurent pourtant un rôle déterminant dans les combats de 14-18.

80 Comment l’Europe prit goût au sucre Par Bruno Laurioux

Ce sont les croisés qui ont découvert au Moyen Age la « canne à miel ».

61 Pour en savoir plus

Par Martine Pédron

L’ H i s t o i r e   N ° 3 8 2   d é c e m b r e   2 0 1 2 5

Le dernier vendredi de chaque mois à 9 h 05 « La Fabrique de l’histoire » d’Emmanuel Laurentin Retrouvez la séquence « L’atelier du chercheur » en partenariat avec L’Histoire (cf. p. 64)


© martin vidberg

’événement les monnaies

Guerre et paix entre les monnaies Par Nicolas Baverez

L’ H i s t o i r e   N ° 3 8 2   d é c e m b r e   2 0 1 2 8


graphique Monnaie forte, est-ce une bonne idée ? 1,6

$ 1,57

Euro/Dollar

1,4

$ 1,29 1,2

$ 1,18

Combien vaut 1 euro en dollar 1

0,8

Parité

$ 0,87 2000

2002

2004

2006

2008

2010

2012

Légendes Cartographie

Alors que l’Union européenne se trouve en récession et que la zone euro est menacée d’éclatement, il paraît bon de remettre cette crise en perspective. La guerre des monnaies n’est-elle qu’un reflet de la guerre des puissances ? Ou peut-elle y mener ? Comment faire pour réguler les changes ? Les unions monétaires sont-elles vouées à l’échec ? A toutes ces questions, l’histoire n’apporte pas de solution miracle. Mais ouvre des perspectives utiles.

Dollars

Le cours de l’euro par rapport au dollar montre une hausse de la volatilité sur le marché des changes. On peut constater une corrélation entre la montée de l’euro et la baisse de la croissance dans la zone.

L’ H i s t o i r e   N ° 3 8 2   d é c e m b r e   2 0 1 2 9

m. rougemont/opale

L

a notion de guerre des monnaies, dérivée de l’espace, aujourd’hui le cyber-monde –, la sécucelle de guerre économique, ne va nullement risation de l’accès aux matières premières et aux de soi. La guerre désigne un conflit armé en- sources d’énergie, les investissements des fonds tre États ou au sein d’une nation dans le cas d’une souverains (détenus par un État), l’intelligence guerre civile. L’économie de guerre consiste à met- économique (l’espionnage économique élargi autre la production au service de la stratégie mili- delà des États aux entreprises). La dévaluation* compétitive demeure l’une des taire. Napoléon l’expérimenta contre le RoyaumeUni avec le blocus continental institué par le décret armes les plus efficaces du protectionnisme parce de Berlin en 1806. Les conflits totaux du xxe siècle qu’elle diminue le prix de l’ensemble des exporla systématisèrent en mobilisant, sous l’autorité tations et renchérit l’ensemble des importations de l’État, l’économie et la société au service de l’ef- instantanément, redressant ainsi la balance comfort de guerre. De même, les sanctions économi- merciale. Dans un système de changes* fixes, elle ques peuvent être utilisées par la diplomatie pour se traduit par le choix d’un cours inférieur à la paaccompagner ou se substituer à une intervention rité des pouvoirs d’achat (PPA)1. Dans un système militaire, comme actuellement l’embargo contre de changes flexibles, elle peut prendre des formes l’Iran en réponse à la poursuite de son programme directes ou indirectes : manipulation des marchés, nucléaire militaire. La guerre continue cependant contrôle des changes, non-convertibilité, pression à relever du domaine du politique. à la baisse des coûts de production, La guerre économique vise, en Une composante fiscalité ciblant la consommation ou temps de paix, le basculement vers les importations. majeure les échanges internationaux des enC’est ainsi que la guerre des monde la guerre jeux de puissance et de la rivalité ennaies s’affirme comme une composante économique tre les États, dans le droit fil de la prémajeure de la guerre économique. De diction de Victor Hugo qui, dès 1849, ce fait, elle est devenue le compagnon annonçait qu’« un jour viendr[ait] où il n’y aur[ait] de route des grandes crises du capitalisme depuis plus d’autres champs de bataille que les marchés le xixe siècle (crises de la fin du xixe siècle, des ans’ouvrant au commerce ». Elle entend poursuivre nées 1930, de la fin des années 1970, crise de la les opérations militaires par d’autres moyens. Elle mondialisation depuis 2007), qui provoquèrent se traduit par l’intervention des États sur les mar- tant la modification de la norme de production que chés mondiaux afin de distordre à leur avantage le bouleversement de la hiérarchie des puissances. la concurrence pour capter activités et emplois, La monnaie y joua un rôle central parce qu’elle est le premier levier d’insertion des nations dans investissements et talents. Le protectionnisme*, attribut de la souverai- les échanges et les paiements mondiaux et qu’elle neté, en est l’instrument privilégié, théorisé par définit leurs marges de manœuvre. Elle est le plus Friedrich List au xixe siècle, puis appliqué de ma- puissant et le plus efficace des instruments de la nière de plus en plus variée et subtile à travers les politique économique. Elle touche tous les acteurs normes juridiques, fiscales, comptables, sociales économiques dans des délais très courts. Elle perou environnementales. Essentiellement défensif, met d’agir tant sur les équilibres internes en pele protectionnisme a été complété par un arsenal sant sur la consommation, l’épargne et l’investisplus offensif : la contrefaçon, la prise de contrôle sement, que sur la balance des importations et des d’actifs et de technologies stratégiques, la maîtrise exportations. D’où la tentative permanente pour de nouveaux espaces – hier les mers, les airs ou le pouvoir politique de manipuler la monnaie, no-

l’auteur Docteur en histoire, Nicolas Baverez est éditorialiste au Monde et au Point, membre du comité directeur de la revue Commentaire et de l’institut Montaigne. Ses derniers ouvrages : Après le déluge. La grande crise de la mondialisation (Perrin, 2009) et Réveillez-vous ! (Fayard, 2012).

Notes * Cf. lexique, p. 10. 1. La parité de pouvoir d’achat entre deux pays désigne le rapport entre deux sommes d’argent libellées dans chacune des monnaies avec lesquelles il est possible d’acheter la même quantité de biens.


Alors que le PPAMTLD avait défilé sous ses propres bannières, ni Le Monde ni L’Humanité ne précisent en une que 6 des 7 morts du 14 juillet 1953 étaient des militants de l’indépendance algérienne. La

plupart des autres titres de la presse nationale reprennent la version officielle d’une « émeute nord-africaine ». Ci-dessus et page de droite : dans L’Humanité respectivement des 15, 19, 21 juillet 1953.

Des militants algériens manifestent

François Hollande a reconnu le 17 octobre dernier le massacre d’Algériens le 17 octobre 1961. Mais il reste d’autres trous noirs. Qui se souvient de la tuerie du 14 juillet 1953 ?

1953 : massacre à la Nation

C

Notes 1. Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) est la façade légale du Parti du peuple algérien (PPA) de Messali Hadj. 2. « Ridgway la Peste », alors commandant en chef des troupes de l’Otan, était notamment ciblé pour son rôle dans la guerre de Corée, en particulier l’usage d’armes chimiques.

et après-midi du 14 juillet 1953, à l’issue de la manifestation organisée par le Mouvement de la paix, 6 manifestants algériens sont tués par la police parisienne, place de la Nation, à Paris. Au moins 40 autres sont blessés par balles. Un militant de la CGT, préposé au service d’ordre, est lui aussi abattu, victime du feu nourri déclenché par de nombreux gardiens de la paix. Comment expliquer un tel déchaînement de violence ? Depuis le début des années 1950, le PPA-MTLD1 se joint, sous ses propres bannières, aux manifestations ouvrières organisées le 1er Mai ou en contrepoint des défilés officiels de la fête nationale. Le 14 juillet 1953, plusieurs milliers d’Algériens s’élancent de la place de la Bastille pour rejoindre celle de la Nation. Le défilé se déroule dans le calme. Le service d’ordre et l’ordonnancement du cortège des nationalistes algériens représentent un défi symbolique et physique à l’autorité de l’État colonial. Ils impressionnent les observateurs. Arrivés place de la Nation, les militants du PPA-MTLD auraient cherché à enfoncer les rangs des gardiens de la paix afin de poursuivre la manifestation au-delà du lieu de dispersion. Ces escarmouches avec les forces de l’ordre rappellent de nombreux précédents, en particulier celui du 1er mai 1951 : ce jour-là, les policiers ont dû reculer sous la poussée des nationalistes algériens. Depuis, certains gardiens de la paix fomentent leur revanche.

C’est ainsi que, le 14 juillet 1953, le feu est ouvert sans qu’aucun ordre n’ait été donné. Les affrontements se poursuivent près d’une demi-heure : les rangs du PPA-MTLD sont pris en tenaille par des renforts de police et des dizaines de manifestants sont tabassés. Un car de police est incendié, une dizaine d’agents sont blessés, victimes de traumatismes crâniens et faciaux occasionnés par les coups portés à l’aide d’armes improvisées (barrières arrachées, éléments de terrasses de café…). Le soir même, le ministre de l’Intérieur, Léon MartineauDéplat, argue que les Algériens ont ouvert le feu les premiers. Il cherche ainsi à promouvoir la thèse de la légitime défense échafaudée par la préfecture de police. Les rares couteaux utilisés par les manifestants n’ont occasionné que des blessures superficielles mais sont mis en exergue par les autorités. Une partie de la presse (Paris-Presse, Le Parisien libéré, L’Aurore) se montre prompte à reprendre les clichés sur la « violence fanatique » des Algériens et sur leur goût immodéré pour l’usage des armes blanches. Le scénario de l’« émeute algérienne » est cependant concurrencé par d’autres narrations de l’événement. Dans les journaux liés au Parti communiste, l’image d’un cortège pacifique sauvagement agressé par les forces de police est privilégiée. L’éloge de la « combativité » des manifestants algériens est cependant appuyé. La remise en cause de la version officielle s’étend au fil des jours. Les autopsies confirment

L’ H i s t o i r e   N ° 3 8 2   d é c e m b r e   2 0 1 2 28

ihs-cgt

archives l’humanité/young tae/leemage

’actualitéexpositions


Méthodes d’exception contre les colonisés « indésira­ bles »

un hommage aux sept morts

Métallurgistes, en passant par certains lieux de travail, plusieurs hommages collectifs sont rendus aux victimes. Le transport des dépouilles vers l’Algérie est ponctué de rassemblements syndicaux et politiques. C’est sur le port d’Alger, sous la houlette des dockers et de militants nationalistes, que la mobilisation est la plus importante. En dépit de cette effervescence, les dissensions internes d’un PPA-MTLD en crise accaparent bientôt les esprits. Au-delà du « mensonge d’État » et de l’ordonnance de non-lieu rendue en octobre 1957, ces conflits contribuent aussi à l’oubli du 14 juillet 1953. L’événement ne peut être intégré à la geste du Front de libération nationale (FLN) : vainqueur d’une lutte mortelle et fratricide contre les partisans de Messali Hadj, celui-ci cherche à apparaître comme la seule organisation à avoir porté le fer contre la puissance coloniale. Surtout, la mémoire des sept morts du 14 juillet 1953 est ensevelie sous celle des milliers de victimes de huit années de guerre3. Emmanuel Blanchard Maître de conférences à Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

L’Histoire est partenaire de l’exposition « Paris en guerre d’Algérie », du 7 décembre 2012 au 10 janvier 2013, réfectoire des Cordeliers, 15, rue de l’École-de-Médecine, 75006 Paris.

L’ H i s t o i r e   N ° 3 8 2   d é c e m b r e   2 0 1 2 29

Note 3. Depuis la fin des années 1990, le 14 juillet 1953 a cependant attiré l’attention de certains auteurs : Benjamin Stora, Danielle Tartakowsky ou Maurice Rajsfus et Jean-Luc Einaudi ont relaté cette journée. Cf. également E. Blanchard, La Police parisienne et les Algériens, 1944-1962 (Nouveau Monde, 2011) ainsi que le documentaire annoncé de Daniel Kupferstein (sortie en juillet 2013).

archives l’humanité/young tae/leemage

qu’une tuerie a été perpétrée par les agents de la Préfecture de police. Bien que l’enquête judiciaire ait été ouverte pour « violences envers des dépositaires de la force publique », elle disculpe les Algériens d’une partie des accusations lancées dans la soirée du 14 juillet. Les dizaines de douilles recueillies se révèlent en effet toutes provenir des pistolets de service de gardiens de la paix. Huit d’entre eux reconnaissent avoir tiré. Ils ne reçoivent aucune sanction… Depuis février 1934, aucune manifestation parisienne n’a été dispersée à coups de feu. Mais un manifestant – déjà un Algérien – a été tué par balle dans la capitale, au cours de la manifestation communiste contre la venue à Paris du général Ridgway2, le 28 mai 1952. Il apparaît ainsi que les « Français musulmans d’Algérie » ont été exclus du mouvement de pacification du maintien de l’ordre mis en évidence par les historiens. La police parisienne a continué de traiter les manifestants algériens avec les méthodes utilisées par l’armée contre les ouvriers grévistes de la fin du xixe siècle. Un détour par l’empire colonial s’avère nécessaire si l’on veut comprendre la persistance de ces pratiques létales. En décembre 1952, à Casablanca, l’action conjuguée de l’armée, de la police et de milices de colons a conduit à l’assassinat de dizaines de manifestants. Tant en Tunisie qu’au Maroc, il est alors courant que des coups de feu soient tirés en situation de maintien de l’ordre. La presse de l’époque ou les témoignages de policiers recueillis a posteriori montrent que ces situations relèvent d’une forme de routine associée à la domination coloniale. Or les « Français musulmans d’Algérie » émigrés en métropole sont clairement identifiés par la hiérarchie et la majorité de la base policière comme des colonisés « indésirables » à l’égard de qui doivent être appliquées des politiques d’exception. La tuerie du 14 juillet 1953 suscite de vives réactions. De la mosquée de Paris à la maison des

archives l’humanité/young tae/leemage

Les forces de l’ordre tirent et chargent


’DOSSIER les mayas

La fin du monde n’aura pas lieu Un temps cyclique, un décompte des jours très arithmétique, un art de la prophétie : décryptage d’un usage du temps qui révèle bien des aspects d’une civilisation étrangère à la nôtre. Par Dominique Michelet

Surfant sur la vague des prophéties de fin du monde prévue pour cette année, le film 2012 réalisé par Roland Emmerich est sorti en salle en 2009. Aucune prophétie maya n’évoque pourtant un tel cataclysme.

l’auteur Archéologue, directeur de recherche au CNRS (laboratoire Archéologie des Amériques, CNRS-universitéParis-I), Dominique Michelet a notamment coordonné le catalogue de l’exposition sur les Mayas au Quai Branly, Maya, de l’aube au crépuscule (Somogy-musée du Quai-Branly, 2011).

J

amais les anciens Mayas d’un souverain local de la seconde n’ont annoncé que la fin moitié du viie siècle. De part et du monde aurait lieu le 21 d’autre du sommet de cette dalle, ou le 23 décembre 2012. Cette deux petits panneaux, également date n’apparaît dans aucun des couverts de glyphes, formaient un trois livres autochtones qui nous ensemble en T : l’un de ces pansont parvenus et dont on situe neaux latéraux est perdu et l’autre la confection entre le xiie et le a été volé, mais on en possède xve siècle (les codex de Dresde, une photographie. Et c’est justeParis et Madrid, du nom des vilment là, sur ce dernier fragment, les où ils sont aujourd’hui conserque l’achèvement du 13e bak’tun vés). Pourtant, leur contenu marquant la fin d’un grand cymontre qu’ils ont dû largement cle est mentionné, une mention servir à prophétiser l’avenir, et immédiatement suivie, notonsla dernière page du codex de le, du nom du nouveau cycle de Dresde semble même reprébak’tun qui doit lui succéder. Le senter un déluge détruisant le texte dit simplement : « Il advienmonde (cf. p. 53). Cette apocadra le bak’tun 4 Ahaw 3 K’ank’in lypse n’a toutefois rien à voir avec [en remplacement du bak’tun 4 L’idée que les Mayas 2012. Par ailleurs, sur les milliers Ahaw 8 Kumk’u] ». Même si les ulauraient prédit d’inscriptions de la période classitimes glyphes du texte sont illisique (300-900 ap. J.-C.) connues bles ou obscurs, absolument rien la fin du monde à ce jour, qu’elles soient sculptées n’indique qu’ils se référeraient à provient d’une sur pierre ou stuc ou bien peinune quelconque fin du monde. Il seule inscription tes, la date en question n’appas’agit de la fin d’un cycle, qui n’a raît qu’une seule et unique fois. rien à voir avec la fin des temps ! Il s’agit du « monument » 6 de Tortuguero, un site modeste, aujourd’hui presque Deux calendriers cycliques totalement détruit, situé à l’ouest de Palenque et Les anciens Mayas, comme les autres peudont l’histoire fut liée à ce grand centre (cf. p. 47). ples de la Méso-Amérique (cf. Christian Duverger, La partie principale de la sculpture originale était p. 56), utilisaient couramment, c’est-à-dire en parune grande dalle verticale entièrement couverte ticulier dans la vie quotidienne, et de façon parald’une inscription évoquant divers épisodes de la vie lèle deux calendriers distincts. dr

Film catastrophe

L’ H i s t o i r e   N ° 3 8 2   d é c e m b r e   2 0 1 2 44


Tikal

richard maschmeyer/age fotostock

Le templepyramide I de Tikal, à l’est de la Place principale du site, fut édifié autour de 740750 ap. J.-C. Sous sa base, on a découvert une grande chambre funéraire voûtée, où reposait la dépouille du roi Jasaw Chan K’awil. Au pied de l’escalier, les stèles P28 et P29, lisses, n’ont peut-être jamais été décorées. L’érection de stèles est, chez les Mayas, un élément central des rituels marquant la fin de périodes calendaires.

L’ H i s t o i r e   N ° 3 8 2   d é c e m b r e   2 0 1 2 45


’recherche rousseau

Rousseau, ou le piège de la célébrité

Vendredi 30 novembre à 9 h 05, dans l’émission « La Fabrique de l’histoire » d’Emmanuel Laurentin, retrouvez Antoine Lilti pour la séquence « L’atelier du chercheur » et découvrez les dessous du travail de l’historien. En partenariat avec L’Histoire.

Il a été l’écrivain le plus célèbre de son temps. Adoré, envié, moqué… La « peopolisation » de Jean-Jacques Rousseau est un tournant dans l’histoire intellectuelle. Par Antoine Lilti

D

ans son grand digne du ministère de précepteur du genre discours du humain. » Cet homme sincère avait chère18 floréal an II ment payé son souci de la vérité : « la pu(7 mai 1794), pour reté de sa doctrine, puisée dans la nature et La célébrité telle qu’elle l’instauration de la fête dans la haine profonde du vice, autant que apparaît dans la presse de l’Être suprême1, son mépris invincible pour les sophistes in« people » n’est pas, selon Robespierre s’en prit trigants qui usurpaient le nom de philosoAntoine Lilti, un phénomène violemment à l’héri- L’auteur phes, lui attira la haine et la persécution de récent. Cette forme tage des encyclopédis- Directeur d’études ses rivaux et de ses faux amis.2 » Il s’agissait d’empathie pour un à l’EHESS, tes, à qui il reprochait Antoine Lilti évidemment de Jean-Jacques Rousseau, personnage contemporain non seulement leurs a notamment dont, deux ans auparavant, Robespierre en ce qu’il a d’humain et Le Monde penchants matérialis- publié évoquait déjà, au club des Jacobins, de faillible (ce qui la distingue des salons tes et athées, mais aussi (Fayard, 2005). « l’image sacrée ». Cette image d’un écride la gloire, admiration leur hypocrisie, et qu’il Il prépare un vain persécuté pour sa vertu, pour avoir posthume pour un être sur l’histoire dénonçait en ces ter- livre été toujours fidèle à ses principes, a été hors du commun) a été mise de la célébrité mes : « Ils déclamaient au xviiie siècle. puissamment adoptée par une grande en place au xviiie siècle, lors quelquefois contre le partie des révolutionnaires. du développement du marché despotisme, et ils étaient penToutefois, si on revient quelques années en ardu livre, de la presse, des sionnés par les despotes ; ils fai- rière pour s’interroger sur le rapport que Rousseau loisirs… Rousseau, qui avait saient tantôt des livres contre la a entretenu avec son public et sur la façon dont il a de véritables « fans », fut cour, et tantôt des dédicaces aux été perçu et lu avant la Révolution, on doit convenir l’un des premiers à en faire rois, des discours pour les cour- que les choses sont beaucoup plus ambivalentes, et l’expérience – douloureuse – tisans, et des madrigaux pour les même contradictoires. En particulier, les grands et à réfléchir sur cette courtisanes ; ils étaient fiers dans textes autobiographiques ainsi que la corresponexpérience. leurs écrits, et rampants dans les dance des dix dernières années de sa vie montrent antichambres. » que, à ses yeux, le complot dont il prétendait être victime n’était pas seulement orchestré par quelUne « image sacrée » ques philosophes hypocrites mais s’était élargi à Il leur opposait le seul philosophe dont la l’ensemble de ses contemporains. Révolution jacobine pouvait se réclamer parce qu’il Les Rêveries du promeneur solitaire sont le grand avait donné lui-même l’exemple sincère des vertus texte dans lequel Rousseau affirme son acceptaqu’il prônait : « Un homme qui par l’élévation de son tion à la fois heureuse et malheureuse d’une soliâme et par la grandeur de son caractère, se montra tude subie. « Me voici donc seul sur la Terre, n’ayant auteur

Décryptage

« Me voici donc seul sur la Terre, n’ayant plus de frère, d’ami […]. Le plus sociable et le plus aimant des humains en a été proscrit par un accord unanime » L’ H i s t o i r e   N ° 3 8 2   d é c e m b r e   2 0 1 2 64


national galleries of scotl and dist. rmn-gp/scottish national gallery

Ce portrait de Rousseau par le peintre anglais Allan Ramsay (1766, Édimbourg, National Galleries of Scotland) eut un grand succès à son époque : il fut maintes fois reproduit et gravé par ses admirateurs. Rousseau, lui, détestait cette image de lui, et soupçonnait ses adversaires d’être à l’origine de sa diffusion.

L’ H i s t o i r e   N ° 3 8 2   d é c e m b r e   2 0 1 2 65


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.