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archives : Comment Staline A aFFAMé son peuple www.histoire.presse.fr
Titre la cité italienne Sous-titre sur une ligne
un modèle de république
« Remember the Alamo ! »
Bokassa, dernier empereur d’Afrique
Detroit : ville à vendre
4 / sommaire
n°394 / décembre 2013
on en parle
exclusif 20 Rendez-vous à Jinan Par Daniel Bermond
3 décembre 1913 84 Alain-Fournier rate le Goncourt
portrait 21 Michaël Prazan : filmer les yeux ouverts
GUIDE
ria novosti
Par Valérie Igounet
actualité événement
8 Comment Staline décida d’affamer son peuple Par Nicolas Werth
Les famines soviétiques des années 1930 ont fait 6 millions de victimes, dont 3 millions en Ukraine. A l’occasion du 80e anniversaire de cette tragédie, Nicolas Werth démontre, à travers de nouvelles archives, qu’elle a été voulue par Staline.
FEUILLETON
afrique 24 SOS Érythrée
Par Guillaume Blanc
entretien 26 La guerre de Marc Ferro bande dessinée 28 Jeanne d’Arc, version rock Par Pascal Ory
hommage 30 Mouloud Feraoun : le juste, l’Algérie et l’OAS Par Michel Winock
médias 32 France-Allemagne, si loin si proches Par Olivier Thomas
33 Hollywood en guerre 33 La Vendéenne à Paris Par Bruno Calvès
cinéma 34 A la rencontre des refuzniks
Par Antoine de Baecque
Par Michel Winock
les revues 86 « Annales historiques de la Révolution française » : une rupture de l’intime 86 La sélection du mois les livres 88 « La Politesse des Lumières » de Philippe Raynaud Par Laurent Theis
89 « Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France » de Pascal Ory Par Catherine Brice
89 « En place publique » de Nicolas Offenstadt Par Jacques Berlioz
90 La sélection du mois le classique 96 « Des Partis catholiques à la Démocratie chrétienne » de Jean-Marie Mayeur Par Jean-Luc Pouthier
carte blanche
98 Humanités numériques Par Pierre Assouline
35 Et Mishima se fit seppuku expositions 36 C’était l’Indochine
Par Huguette Meunier couverture :
Détail de la Fresque du bon gouvernement d’Ambrogio Lorenzetti, palais communal de Sienne, salle des Neuf ou salle de la Paix (Scala).
retrouvez page 40 les rencontres de l’histoire Abonnez-vous page 97
Ce numéro comporte cinq encarts jetés : Pèlerin, enveloppe RSD (abonnés) ; L’Histoire (2 encarts kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).
n°394 / décembre 2013
37 A quoi rêve la Renaissance ?
Par Juliette Rigondet
amérique 38 Detroit : ville à vendre Par Pap Ndiaye
Vendredi 20 décembre à 9 h 05 Retrouvez la séquence « La Fabrique mondiale de l’histoire » dans l’émission « La Fabrique de l’histoire » d’Emmanuel Laurentin, En partenariat avec L’Histoire
l’histoire / 5
DOSSIER
recherche
PAGE 42
66 Bokassa, dernier empereur d’Afrique Par Jean-Pierre Bat
Bokassa a régné sur la Centrafrique sous l’œil bienveillant de la France. Mais c’est aussi l’armée française qui a renversé en 1979 cet ami encombrant.
72 « Remember the Alamo ! » Par Farid Ameur
giulio andreini/age fotostock
La garnison de Fort Alamo s’est-elle vraiment sacrifiée pour permettre aux indépendantistes texans de prendre l’avantage sur les Mexicains en 1836 ?
78 Rome contre les Parthes : la guerre infinie
le temps des républiques italiennes 44 La commune, laboratoire de la république
Par Patrick Boucheron 47 Carte : l’Italie communale à la mort de Frédéric II (1250) 50 Portfolio : Sienne, la cité du bon gouvernement 52 La religion, une affaire civique Par Cécile Caby 54 Bruges : des libertés à la mode flamande Par Élodie Lecuppre-Desjardin
56 Cités-États : une histoire mondiale
58 Exclure les traîtres et les magnats Par Giuliano Milani 62 La construction d’un modèle Par Claude Lefort 46 Chronologie 63 Pour en savoir plus
scal a/ministero beni e attivita culturali
Moyen Age
Par Giusto Traina
Les Romains rêvaient de repousser les limites de l’empire jusqu’en Mésopotamie. C’était compter sans les redoutables archers de l’armée parthe. n°394 / décembre 2013
8 / événement
Comment Staline décida d’AFFAMER son peuple Par Nicolas Werth
n°394 / décembre 2013
ria novosti
l’auteur Directeur de recherche à l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS), Nicolas Werth a notamment publié, parmi de nombreux ouvrages, L’Ivrogne et la Marchande de fleurs. Autopsie d’un meurtre de masse, 19371938 (Tallandier, 2009, rééd. Seuil, « Points », 2011) et La Route de la Kolyma (Belin, 2012).
mikhail markiv/ria novosti
dr
On le sait bien aujourd’hui : la famine en Ukraine en 1931-1933 fit plus de 3 millions de morts. Mais cette république soviétique ne fut pas la seule concernée par la tragédie, qui fit aussi près de 3 millions de victimes au Kazakhstan, dans les régions de la Volga, de Sibérie occidentale. Ce que les nouvelles archives nous font mieux comprendre également, c’est comment la famine fut, en Ukraine, utilisée par Staline comme arme politique, pour devenir un crime de masse délibéré.
Holodomor
A gauche : en 2008, le président ukrainien Viktor Iouchtchenko et sa famille se recueillent en souvenir des victimes de la famine de masse (« Holodomor »).
l’histoire / 9
L
es famines soviétiques du début des années 1930, événement tabou occulté tout au long de l’existence de l’URSS, sont restées à ce jour une page largement méconnue de l’histoire européenne du xxe siècle. Elles firent pourtant, en 1931-1933, 3,5 millions de morts en Ukraine et au Kouban ; 1,5 million de morts au Kazakhstan ; 1 million dans le reste de la Russie (régions de la Volga, Sibérie occidentale, Oural du Sud) (cf. carte, p. 13). Soit au total 6 millions de victimes. En 2013, 80e anniversaire de la tragédie, seule la famine en Ukraine est commémorée. Les famines qui ont frappé les autres régions de l’ex-URSS font, elles, l’objet d’un total silence dans la Russie de Poutine désireuse de ne montrer du stalinisme que sa face « lumineuse ». En effet, la mémoire de
15 000 morts par jour
Plus d’un Ukrainien sur dix périt entre 1931 et 1933. Ci-dessus : une famille en 1932.
cette catastrophe est aujourd’hui scindée, divisée, clivante : exaltée par une partie du monde politique et de la société ukrainienne, non reconnue, oubliée en Russie (cf. p. 17). De nouvelles sources capitales Depuis le milieu des années 1990, l’historiographie des famines soviétiques du début des années 1930 a considérablement progressé. Les chercheurs ont eu accès à toute une série de sources capitales, comme les résolutions secrètes du Politburo, la plus haute instance du Parti communiste, et la correspondance entre Staline et ses plus proches collaborateurs, Viatcheslav Molotov et Lazar Kaganovitch. Celles-ci ont permis de reconstituer en détail les mécanismes politiques ayant n°394 / décembre 2013
44 / cités italiennes
la commune, Laboratoire de la république A la fin du xie siècle, en Lombardie comme en Toscane, des communes décident de se gouverner elles-mêmes : des « essais de démocratie médiévale » à l’origine de notre expérience de la république. Par Patrick Boucheron
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scandale : les habitants de ces cités « aiment si fort la liberté qu’ils refusent tout excès de pouvoir et préfèrent, pour les diriger, des consuls à des chefs ».
l’auteur Professeur à l’université Paris-I-PanthéonSorbonne, Patrick Boucheron est l’auteur, entre autres, de Les Villes d’Italie, v. 1150-v. 1340 (Belin, 2004), Léonard et Machiavel (Verdier, 2008, rééd. poche 2013) et, avec Denis Menjot, La Ville médiévale (Seuil, « Points », 2011). Il vient de publier Conjurer la peur. Sienne, 1338 (Seuil, 2013).
1080-1180 : le siècle des consuls Consuls : le mot, lourd de sens, est lâché. Il est lesté de cette autorité du passé que transporte le latin. La première fois qu’il apparaît dans la documentation médiévale, c’est à Pise, en 1085. En participant activement à l’entreprise de croisade, la cité toscane a supplanté l’autre grand port de la côte tyrrhénienne, Amalfi, faisant basculer le centre de gravité de l’Italie communale du sud au nord. C’est donc au tournant des xie et xiie siècles, dans l’Italie centro-septentrionale, en Lombardie et en Toscane essentiellement, qu’apparaissent les premiers consuls (à Asti en 1095, Milan en 1097, Arezzo en 1098…). S’ils se désignent comme tels, c’est sans doute moins en référence aux institutions romaines qu’aux pratiques politiques qu’elles suggèrent. Consulere signifie « délibérer », et les hommes qui prennent en main le destin de leurs cités (souvent, comme on va le voir, de riches aristocrates) ne font rien d’autre qu’organiser, sur des bases radicalement neuves, le pouvoir des cités à s’administrer elles-mêmes. Un pouvoir fondé sur la délégation de l’autorité souveraine à un collège de représentants élus qui agissent collectivement : telle est la première définition qu’on pourrait donner de la commune. Une expérience donc, davantage qu’un régime, faite de pratiques politiques que ne fige nulle institution écrite. C’est bien de cela qu’il s’agit avec l’Italie communale, et c’est bien cela dont s’inquiète Otton de Freising. Car au moment
interfoto/la collection
l venait d’Allemagne et l’empereur était son neveu. En 1154, l’évêque Otton de Freising passait en Italie et racontait son émerveillement devant ce pays de villes qui « surpassent en richesse et en puissance les autres villes du monde ». La richesse lui saute aux yeux : elle s’exprime déjà avec éclat dans la variété des produits échangés sur les marchés, le nombre de la population qui se masse dans les bourgs, la beauté des églises et des palais qui en ornent le centre. Mais cette puissance est également de nature toute politique, et voilà qui étonne notre vénérable prélat : « Presque toute la terre est divisée en cités. » De ce côté-ci des Alpes, pas de royaumes ni de comtés, aucun de ces repères territoriaux habituels à l’Europe médiévale qui font de l’autorité seigneuriale la principale force de structuration de l’espace, mais des villes peuplées et prospères, fières de leur indépendance, polarisant le territoire qui les entoure. A lire la description d’Otton de Freising, on saisit le moment où l’admiration verse dans l’indignation. Car ce pouvoir des cités prétend s’imposer à tous : « On aurait du mal à trouver un noble ou un grand assez ambitieux pour ne pas se conformer aux ordres de sa cité. » Telle est l’autre étrangeté italienne que remarque l’évêque allemand : l’inurbamento d’une bonne partie de la noblesse féodale, c’est-à-dire le maintien de sa résidence en ville quand la ruralisation des élites constitue l’une des caractéristiques majeures de la société médiévale. Comme dans la Rome antique ? Oui sans doute, même si la culture impériale et les références antiques d’Otton ne lui permettent pas tout à fait de discipliner son dépaysement. Car voici le
dr
I
l’histoire / 45
« Protecteur de la cité » Petite cité toscane de la province de Sienne, San Gimignano doit son nom à l’évêque de Modène qui
y vécut au ive siècle. Le peintre siennois Taddeo di Bartolo a représenté ici le religieux comme le patron de la commune, dont il tient la maquette sur ses genoux. L’évêque est le protecteur de la cité (détrempe sur bois, fin xive siècle, Museo civico de San Gimignano, détail).
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sienne,
la cité du bon gouvernement
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mondadori portfolio/electa/dagli orti
clichés scala
1338, palais communal de Sienne. Ambrogio Lorenzetti peint, sur un mur de la salle de la Paix, où siègent les neuf magistrats de la commune, les vertus du bon gouvernement de la cité.
1
2
La salle de la Paix
1 - Le mur
nord, devant lequel siègeaient les magistrats dominés par les représentations allégoriques.
2 - A l’est,
sous le regard mélancolique de la Paix, se déploient les effets du bon gouvernement :
en ville, pacifiée et affairée, et dans le contado, où chacun circule en sûreté. 3 - Une ville et un contado en guerre, soumis aux vices de la Tyrannie : le mur ouest est le double inversé des deux autres.
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La commune
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Concordia
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Les conseillers
Un imposant vieillard siège, coiffé du bonnet des podestats. Il tient comme un bouclier le sceau de la commune, symbole de son autonomie juridique, sur lequel figure la Vierge. Il est inspiré par des vertus théologales mais les
Elle s’empare des brins d’une corde tendue depuis les plateaux de la balance tenue par la Justice. L’exercice de la justice, qui doit garantir la concorde entre les citoyens, passe par l’équité, qui aplanit les inégalités naturelles. Voici pourquoi elle tient sur ses genoux un rabot. Lorenzetti a peint les dirigeants de la commune comme des individus libres mais solidaires : chacun est différent, tous ont la même taille – nivelés par le rabot fiscal qu’exige alors le popolo ?
allégories des vertus procèdent de son gouvernement. A sa droite, la Paix, la Force et la Prudence ; à sa gauche, la Magnanimité, la Tempérance et la Justice. Dans sa main droite, la corde que les conseillers lui apportent : un lien qui libère plus qu’il n’entrave.
66/ RECHERCHE
Bokassa, dernier empereur d’Afrique Mégalomane et tyrannique, Bokassa a régné sur la Centrafrique sous l’œil bienveillant de la France, bien décidée à rester influente dans son ancienne colonie. Mais c’est aussi l’armée française qui a renversé en 1979 cet ami devenu encombrant.
c. helie/gallimard
Par Jean-Pierre Bat
L’auteur Chartiste, agrégé et docteur en histoire, Jean-Pierre Bat est détaché aux Archives nationales. Ses travaux portent sur Foccart, le renseignement et la décolonisation de l’Afrique. Il est l’auteur du Syndrome Foccart. La politique française en Afrique, de 1959 à nos jours (Gallimard, 2012).
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L
e 4 décembre 1977, à Bangui, Jean Bédel Bokassa, « président à vie » de la République centrafricaine, se couronne empereur lors d’un véritable pastiche napoléonien. Ses homologues africains, de l’Ivoirien Houphouët-Boigny au Zaïrois Mobutu, ont préféré ne pas s’associer à cette mascarade dont ils mesurent la portée néfaste. L’Élysée, qui a couvert l’organisation de la cérémonie, est mal à l’aise : la France de Valéry Giscard d’Estaing n’est représentée que par René Journiac, le « monsieur Afrique » de l’Élysée, et Robert Galley, le ministre de la Coopération1. Devant près de 4 000 invités, Bokassa doit se contenter d’un couronnement à défaut d’un sacre (le pape a refusé de venir et de cautionner l’événement) : qu’importe, devenu le troisième empereur dans le monde après Hirohito au Japon et le shah d’Iran, il est parvenu à obtenir de Paris ce que personne n’aurait osé demander à l’ancienne puissance coloniale. La débauche financière engagée par la France pour organiser les festivités a choqué le monde entier, d’autant plus pour un pays aussi pauvre que la Centrafrique. Moins de deux ans plus tard, dans la nuit du 20 au 21 septembre 1979, alors qu’il est en visite à Tripoli, Bokassa Ier est renversé par le Service de documentation extérieure et de contreespionnage (SDECE) et par les troupes parachutistes françaises. David Dacko, l’ancien président déchu en 1966 par Bokassa, est réinvesti par les bérets rouges. Paris a procédé à une ingérence caractérisée : Valéry Giscard d’Estaing et son conseiller René Journiac ont délibérément dépassé les bornes
fixées dans les années 1960 par Jacques Foccart, le « monsieur Afrique » de De Gaulle puis de Pompidou. Le lâchage de Bokassa, deux ans seulement après son couronnement, illustre les paradoxes et les dérives de la politique africaine de la France. Mais qui était vraiment Bokassa Ier ? Et pourquoi la France lui a-t-elle permis de régner sans partage sur la Centrafrique ? Retour sur son avènement, à la lumière des rapports des attachés militaires et des archives Foccart.
Décryptage Jean-Pierre Bat, spécialiste de la politique française en Afrique depuis l’indépendance, a soutenu une thèse sur « La décolonisation de l’AEF selon Foccart » (université Paris-I), le « monsieur Afrique » de De Gaulle puis de Pompidou. Il y analyse la naissance de la « Françafrique », soit un nœud de relations politiques, d’intérêts économiques et de rapports personnels entre Paris et les dirigeants du « pré carré » de l’Afrique francophone. Ses travaux s’appuient sur la mise au jour et l’exploitation du fonds Foccart aux Archives nationales. Ces sources sont complétées par des archives militaires, des dossiers de police, ainsi que par des fonds privés et entretiens avec des officiers du SDECE et des agents de renseignements, officiels et clandestins.
l’histoire / 67
« Centrafricains, Centrafricaines. Depuis ce matin, à 3 h 20, votre armée a pris le pouvoir de l’État. » C’est par ces mots que le colonel Bokassa réveille la capitale Bangui la Coquette en guise de vœux du 1er janvier 1966. Dans la nuit du 31 décembre, David Dacko, qui avait présidé à l’indépendance du pays le 13 août 1960, a été victime d’un coup de force aussitôt surnommé le « putsch de la Saint-Sylvestre ». Le putsch de la Saint-Sylvestre Sa vie n’est nullement mise en danger : il est simplement assigné à résidence. Afin de mieux asseoir sa légitimité, Bokassa racontera par la suite que Dacko – qu’il présente comme son parent –, fatigué du pouvoir, aurait lui-même orchestré sa déposition pour lui transmettre ses fonctions sans paraître démissionner (les versions sur ce sujet divergent). Mais au colonel Mehay, le conseiller militaire de l’ambassade de France, les putschistes avouent viser « la malfaisance de [l’] entourage2 » présidentiel. Au sein d’une Afrique où depuis les Trois Glorieuses à Brazzaville (13-15 août 1963)3 se multiplient coups d’État et révolutions, l’équipe de Bokassa cherche immédiatement à rassurer la France, en affirmant ne pas remettre en cause la stratégie de sécurité du « pré carré » développée par Foccart, c’est-à-dire le domaine réservé de l’influence française en Afrique calqué sur ses anciennes colonies. Officier le plus gradé du pays et, à ce titre, maître de l’armée, Bokassa fait alors figure d’homme fort et incontesté de la Centrafrique. Mais c’est oublier qu’il lui a fallu pour en arriver là éliminer tous les concurrents de l’institution militaire dont il est issu. Ses premières cibles ? Le cercle d’officiers à la tête de l’appareil sécuritaire du régime : le colonel Izamo, chef de la légion de gendarmerie, et le commandant Mounoubaï, chef de
gamma-rapho
Napoléon sous les tropiques A Bangui, capitale de Centrafrique, le dimanche 4 décembre 1977, Bokassa se couronne empereur. Cent soixante-treize ans après le sacre de Napoléon Ier, la cérémonie s’inspire très largement de celle organisée par le premier empereur des Français. Debout, devant un trône monumental sculpté en forme d’aigle aux ailes déployées, Bokassa est vêtu d’une épaisse cape écarlate doublée de fourrure d’hermine blanche et d’une robe incrustée de perles sur laquelle sont brodés en fils d’or des soleils et des abeilles. Il se coiffe lui-même d’une lourde couronne d’or et de diamants puis dépose sur la tête de son épouse, agenouillée, un diadème qui lui confère le titre d’impératrice. La couronne et le trône sont évalués à près de 5 millions de dollars quand le salaire moyen en Centrafrique est d’environ 100 dollars ! La France lui a apporté une aide financière précieuse et a même envoyé des cameramans de l’armée pour immortaliser l’événement. Le film officiel fut ensuite offert à Bokassa par le président Valéry Giscard d’Estaing.
n°394 / décembre 2013