DÉBAT : LE CLIMAT A-T-IL UNE INFLUENCE SUR L’HISTOIRE ?
MENSUEL DOM/S 7,40 € TOM/S 970 XPF TOM/A 1 620 XPF BEL 7,40 € LUX 7,40 € ALL 8,20 € ESP 7,40 € GR 7,40 € ITA 7,40€ MAY 8,80 € PORT. CONT 7,40 € CAN 10,50 CAD CH 12 ,40 FS MAR 63 DHS TUN 7,20 TND USA 10,50 $ ISSN 01822411
www.histoire.presse.fr
Comment gouverner un empire si grand Drôle de famille ! Aix-la-Chapelle : royaume des images Français ou Allemand ?
CHARLEMAGNE LES HABITS NEUFS DE L’EMPEREUR M 01842 - 406 - F: 6,40 E - RD
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4 / SOMMAIRE
N°406 / DÉCEMBRE 2014
PAUL MELLON COLLECTION/BRIDGEMAN IMAGES
ON EN PARLE
exclusif 16 Apollon à Abu Dhabi Par D aniel Bermond
portrait 17 Le voyage en Mésopotamie de Dominique Charpin
Par D aniel Bermond
ÉVÉNEMENT
8 « Le climat a une influence sur l’histoire » Entretien avec G eoffrey Parker
La multiplication des phénomènes climatiques extrêmes inquiète et le réchauffement planétaire occupe tous les esprits. Mais quelle place réserver à l’historien dans ce débat ? Que peut nous apprendre la vague de froid qui a déferlé au xviie siècle, lors du « petit âge glaciaire » ?
ACTUALITÉ
anniversaire 20 La fabrique d’un martyr soviétique Par M atthieu Buge
cinéma 22 Filmer l’apocalypse
bande dessinée 24 Si Ulysse m’était conté Par P ascal Ory
politique 26 La gauche a-t-elle perdu le peuple ? Par M ichel Winock
expositions 28 Collaboration : les archives parlent
Par D enis Woronoff
médias 32 Jura 1944
ABONNEZ-VOUS PAGE 97
N°406 / DÉCEMBRE 2014
Par Michel Winock
91 « Quelle histoire pour la France ? » de Dominique Borne Par Olivier Loubes
91 « Les Celtes » de Jean-Louis Brunaux Par Maurice Sartre
le classique 96 « L’Homme de cour » de Baltasar Gracian
portfolio 30 Beau comme un carton
Ce numéro comporte six encarts jetés : Le Magazine littéraire, Les Restos du cœur, Sophia boutique (abonnés) ; L’Histoire (deux encarts kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).
les livres 90 « Pierre Pascal » de Sophie Cœuré
23 Peur sur Timbuktu
Par C hristelle Taraud
RETROUVEZ PAGE 37 LES RENCONTRES DE L’HISTOIRE
88 La sélection du mois
92 La sélection du mois
29 Sade ou la laïcisation du mal
Buste reliquaire de Charlemagne, or et argent, 1349, trésor de la cathédrale d’Aix-la-Chapelle (De Agostini Picture Library/Scala).
les revues 88 « Les Annales » : esclaves bureaucrates
Par A ntoine de Baecque
Par J uliette Rigondet
COUVERTURE :
GUIDE
Par Joël Cornette
CHRONIQUE DE L’INSOLITE 98 La mort en beauté Par Michel Pierre
@
LA LETTRE DE L’HISTOIRE Cartes, débats, expositions : pour recevoir les dernières actualités de l’histoire, abonnez-vous gratuitement à La Lettre de L’Histoire
http://newsletters .sophiapublications.fr
Par O livier Thomas
33 Lucie explore le temps 34 Clemenceau, le film retrouvé
CARTE BLANCHE
36 Docteur Zemmour Par P ierre Assouline
Vendredi 28 novembre à 9 h 05 dans l’émission « La Fabrique de l’histoire » d’Emmanuel Laurentin, retrouvez Geoffrey Parker lors de la séquence « La Fabrique mondiale de l’histoire » En partenariat avec L’Histoire
L’HISTOIRE / 5
DOSSIER
RECHERCHE
PAGE 38
72 « Tosca » : un opéra très politique Par Catherine Brice
Peinture des passions humaines, le chef-d’œuvre de Puccini est aussi un drame politique.
78 Apollodore, fils d’esclave et citoyen
CHARLEMAGNE Un empire au Moyen Age
40 Comment gouverner un empire si grand Par Martin Gravel En quelle langue parlait-on ? Pourquoi s’est-il fait couronner empereur ? Par Laurent Theis Carte : un empire de 1,2 million de km2
50 Drôle de famille
Par Sylvie Joye 1,84 m, moustachu, avec une voix aiguë Par Alain Dierkens L’empereur est mort Par Dominique Alibert
56 Une politique de la culture Par Michel Sot
60 Aix-la-Chapelle. Le royaume des images Par Dominique Alibert
64 Est-il Français ou Allemand ?
Entretien avec R olf Grosse Les tribulations d’un cadavre Par Alain Dierkens
OXFORD, ASHMOLEAN MUSEUM/BRIDGEMAN IMAGES
DE AGOSTINI/LEEMAGE
Par Claude Mossé
Être citoyen à Athènes : une affaire d’origine ou de mérite ? Claude Mossé s’est intéressée à Apollodore, fils d’un esclave affranchi et élevé à la citoyenneté.
82 Algérie. L’invention d’un territoire Par Hélène Blais
En 1830, les troupes françaises prennent Alger. C’est le début de la colonisation de l’Algérie. Pourtant, le territoire convoité n’a pas grand-chose à voir avec le pays qu’on connaît aujourd’hui.
42 Chronologie 69 Pour en savoir plus
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MODEM ÉDITIONS
XXXXX
8 / ÉVÉNEMENT
L’AUTEUR Geoffrey Parker est un historien britannique, professeur à l’Ohio State University, spécialiste de Philippe II et de la guerre à l’époque moderne. Il vient de publier Global Crisis. War, Climate Change and Catastrophe in the Seventeenth Century (Yale University Press, 2013).
N°406 / DÉCEMBRE 2014
« Le climat a une INFLUENCE sur l’histoire » Entretien avec Geoffrey Parker
L’HISTOIRE / 9
JUSTIN SULLIVAN/GETT Y IMAGES/AFP
YALE CENTER FOR BRITISH ART, PAUL MELLON COLLECTION/BRIDGEMAN IMAGES
Londres sous les glaces
Sécheresse Une balise échouée sur une embouchure tarie du lac Shasta, au nord de Sacramento. En 2014, la Californie est aux prises avec l’une des plus importantes sécheresses du xxie siècle et ce lac est à 30 mètres sous son niveau des années 1970.
Ce tableau, attribué à Jan Wyck et conservé au Yale Center for British Art, représente une foire sur la Tamise gelée, avec le London Bridge et la cathédrale de Southwark à l’horizon. Pendant le « petit âge glaciaire », la Tamise a gelé plus de 24 fois.
Pluies torrentielles, inondations, tempêtes, cyclones, vagues de chaleur, sécheresses, canicules… La multiplication des phénomènes climatiques extrêmes inquiète et le réchauffement planétaire occupe tous les esprits. Mais quelle place réserver à l’historien dans ce débat ? Que peut nous apprendre la vague de froid qui a déferlé sur le xviie siècle, au cœur du « petit âge glaciaire » ? N°406 / DÉCEMBRE 2014
30/ ACTUALITÉ Portfolio
L’histoire de l’industrie en France s’est construite sur l’étude des entreprises et des façons de produire, plus que sur les produits. Ces marchandises circulent de l’atelier au point de vente et de consommation. On sait assez bien comment se boucle le cycle. Mais, dans ce transport, les produits ne vont pas nus ou toujours en vrac. Comment sont-ils protégés, présentés, autrement dit emballés ? L’emballage envisagé dans la longue durée, du début du xviiie siècle à nos jours, peut se résumer à une succession de
matériaux tour à tour dominants. Ce serait initialement la toile de sac, puis, à partir des années 1830, le fer-blanc et le triomphe de la conserve, enfin, à compter des années 1950, l’hégémonie progressive du plastique. Par comparaison, le carton apparaît comme le parent pauvre de cette famille. Il n’a marqué aucune époque particulière. On le croit inchangé et rudimentaire. Ne mérite-t-il pas d’être revisité ?
ADOC-PHOTOS
Beau comme un CARTON
Le vendeur de cartons Il fournit les femmes à la recherche de boîtes pour les chapeaux, les robes ou la passementerie, mais également les marchandes de mode et autres ouvrières en linge fin. Il s’agit de boîtes ordinaires, presque du tout-venant ; les boîtes plus distinguées s’achètent probablement en boutique (gravure du xixe siècle, d’après Carle Vernet).
Denis Woronoff
Professeur émérite (Paris-I)
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En 1975, les PTT reprennent à la SNCF la direction du trafic des colis. Ils lancent une gamme d’emballages en carton « simples, pratiques et sûrs ». A l’approche des Jeux olympiques d’hiver (Albertville, 1992), les Postes sortent une nouvelle gamme de quatre paquets standards qui, comme leurs devanciers, n’exigent « ni papier, ni ficelle ou adhésif ». Un cartonnage bien conçu a dessaisi les expéditeurs de leur rôle dans l’emballage.
ROMANS, MUSÉE INTERNATIONAL DE L A CHAUSSURE/C. VILL ARD
MUSÉE DE L A POSTE
La Poste
Les souliers Dior La boîte exécutée vers 1960 par Charles Jourdan pour les souliers Dior n’est pas de celles qui retiennent le regard. Des teintes neutres, carton gris et médaillon blanc. Il n’est pas utile d’en faire plus ; la marque suffit. Celle-ci est néanmoins rehaussée d’or sur le couvercle, comme une très discrète mention « made in France » en bas à droite.
L’HISTOIRE / 31 La marchande de modes
LONDRES, THE WALL ACE COLLECTION, DIST. RMN-GP/THE TRUSTEES OF THE WALL ACE COLLECTION
Peinte par Boucher en 1746, elle est venue présenter à sa cliente des rubans, des faveurs et des bouffettes pour garnir les vêtements et la coiffure. Deux boîtes de carton suffisent pour le transport. Ce matériau, utilisé jusque-là pour la confection des cartes à jouer ou par la reliure, trouve, à partir de la mi-xviiie siècle, de nouveaux champs d’application.
Joséphine Le cognac est associé à une boisson pour les hommes. Ce handicap, par rapport au champagne, a conduit un producteur, la Maison Camus, à lancer en 1995 la bouteille « Joséphine ». Son étui en carton, qui est l’emballage attitré des alcools, est orné d’un décor floral et féminin inspiré de Mucha. A la qualité du rendu, on mesure les progrès que l’impression sur carton a faits, ces dernières années.
DR
DR
Catalogue L’album publié en 1927 par Reboul, le principal cartonnier de Valréas, propose des emballages pour toutes sortes de produits. Le point de départ a été le conditionnement des œufs de vers à soie. Les sériciculteurs ont été vite dépassés par les bijoutiers, les confiseurs, les parfumeurs, et surtout par les pharmaciens. Pastilles, sirops, pommades trouvent ici la boîte qui leur convient.
N°406 / DÉCEMBRE 2014
VENISE, BIBLIOTECA MARCIANA ; COSTA/LEEMAGE
40 / CHARLEMAGNE
Conquérant Charlemagne embarque avec son armée (manuscrit franco-italien du xive siècle).
COMMENT GOUVERNER UN EMPIRE SI GRAND Par ses conquêtes, Charlemagne double l’étendue des territoires soumis aux rois des Francs. Avait-il réellement les moyens de régner sur un tel ensemble ?
L
Par M artin Gravel
es historiens du xixe siècle ont été sévères avec Charlemagne. Michelet le voyait comme un dangereux utopiste, dont les projets irréalistes auraient causé les difficultés de son successeur, Louis le Pieux (814-840). Plutôt que de juger l’homme, Augustin Thierry affirmait, lui, qu’au Haut Moyen Age il n’y avait de gouvernement que par le pillage et la terreur. Charlemagne serait bien de son temps : un ambitieux, rustre et violent, dominant un monde réduit à la barbarie. Ces attaques ne sont pourtant pas venues à bout du mythe. Considéré dans le contexte de l’effondrement de la civilisation romaine en Occident – un autre mythe –, son règne N°406 / DÉCEMBRE 2014
brille d’un éclat tel qu’il ne semble pas excessif de parler, pour le ixe siècle, de « Renaissance ». Si le mot sonne juste appliqué aux progrès de la culture écrite (cf. Michel Sot, p. 56), il ne peut qualifier les réalisations de son gouvernement. Certes, Charlemagne reprit le titre d’empereur en Occident, multiplia les initiatives législatives et administratives, appela les populations à une paix nouvelle. Mais avait-il les moyens de ses ambitions ? Le premier défi du règne de Charlemagne fut d’établir sa légitimité et celle de sa lignée. Lorsqu’il fut couronné roi en octobre 768, il n’était pas encore « Charlemagne », c’est-à-dire Charles le Grand. Le
jeune roi était âgé d’une vingtaine d’années1 seulement et sa situation n’avait rien d’assuré. Il partagea d’abord le gouvernement du royaume avec son cadet, Carloman, qui se révéla vite un adversaire bien plus qu’un allié. Surtout, son frère et lui devaient assumer l’héritage d’un usurpateur, puisque leur père Pépin le Bref s’était emparé d’un titre royal qui appartenait depuis plus de deux siècles à la lignée de Clovis – les Mérovingiens. Pour les puissants du royaume et les princes des régions limitrophes, ce transfert de la royauté n’allait pas de soi. Désireux de redistribuer les cartes du pouvoir, ils nourrirent contre Charlemagne une défiance soutenue jusqu’à son élévation à l’empire. RÉGNER PAR LA GUERRE Ainsi, dans les périphéries du royaume des Francs, les ducs et les princes voulurent profiter de la succession de 768 pour reprendre leur autonomie. Charles réagit avec force et parvint à achever la conquête du duché d’Aquitaine (769), à absorber le royaume de son frère Carloman, mort prématurément (771), et même à conquérir le royaume des Lombards en Italie (773-775). Dans le même mouvement, il initia la longue campagne de Saxe (772-803), écrasa une révolte en Thuringe (785) et déposa un compétiteur de longue date, le dernier duc de Bavière Tassilon III (788). Les pays germaniques passaient sous sa domination, alors que ses armées atteignaient les contrées slaves et les grandes plaines danubiennes (cf. p. 42). En 778, Charles avait tenté de franchir les Pyrénées pour affronter les armées de l’émir omeyyade Abd al-Rahman. Mais ce fut un échec, rendu cuisant par la destruction de son arrièregarde aux mains des Vascons. D’abord tu par les chroniqueurs, l’épisode fut transformé et
DR
L’HISTOIRE / 41
L’AUTEUR Maître de conférences à Paris-VIII, Martin Gravel est notamment l’auteur de Distances, rencontres, communications. Réaliser l’empire sous Charlemagne et Louis le Pieux (Brepols, 2012).
Note 1. La date de naissance de Charlemagne fait débat : il serait né entre 742 et 748 selon les hypothèses.
immortalisé au xiie siècle par La Chanson de Roland. Le monarque sut tirer les enseignements de cette expérience : les bases de son pouvoir militaire étaient trop éloignées de la péninsule Ibérique, où il manquait d’alliés. Il tourna alors son regard presque exclusivement vers l’est. Plusieurs des grandes expéditions militaires de Charlemagne visaient d’abord à affirmer la domination du roi des Francs et la légitimité de la nouvelle famille royale. Les conquêtes ne se distinguaient guère de la suppression des soulèvements auxquels Charlemagne dut faire face dans la première moitié de son règne. Le plus menaçant intervint dans le courant de l’hiver 792-793 : les révoltés se donnèrent pour chef le premier fils de Charlemagne, Pépin le Bossu. Ils avaient besoin pour se justifier d’une tête d’affiche carolingienne : c’est dire la légitimité acquise par la nouvelle dynastie ! Charlemagne ne se contenta pas d’étouffer les dissensions et de soumettre les populations. Partout, il chercha à associer les élites régionales à son pouvoir. Ses campagnes lui permettaient de réunir autour de lui des guerriers de différentes origines. Son armée devint un lieu de promotion sociale : les plus brillants pouvaient espérer se faire un nom, une fortune et même une situation, par la vassalité voire l’obtention d’une charge honorable. Lorsque le printemps arrivait, Charles savait déjà contre qui il lui fallait mener l’ost, qu’il mobilisa presque chaque année de son règne. Ce rassemblement annuel des troupes, les victoires et la redistribution du butin fondaient l’union de la puissante armée franque autour de la nouvelle dynastie royale et faisaient de l’action militaire l’un des outils déterminants du gouvernement de Charlemagne. >>> N°406 / DÉCEMBRE 2014
50 / CHARLEMAGNE
DRÔLE DE
FAMILLE
Objet de propagande politique, de réflexion sociale et, plus concrètement, de conquête et de conservation du pouvoir, la famille joue un rôle primordial dans le gouvernement de Charlemagne.
DR
L’AUTEUR Sylvie Joye est maître de conférences à l’université de Reims. Elle a notamment publié La Femme ravie. Le mariage par rapt dans les sociétés occidentales du Haut Moyen Age (Brepols, 2012).
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Par Sylvie Joye
ne dynastie est avant tout une famille. Pépin le Bref fut proclamé roi en 751 après avoir renversé les Mérovingiens. Son épouse Berthe et leurs deux fils, Charles et Carloman, furent consacrés dès 754. Les Francs, en parallèle, prêtèrent serment de prendre désormais leurs rois parmi les fils de Pépin. Tout l’art de Charlemagne consista alors à se frayer un chemin dans cette dynastie nouvelle pour s’en imposer comme l’unique chef. Contrairement à son père Charles Martel, Pépin semble avoir tenu à élever ses fils ensemble. Cette jeunesse commune ne suffit cependant pas à établir de bonnes relations entre deux frères rivaux, malgré les nombreuses tentatives de leur mère Berthe de les réconcilier. La compétition entre eux était en outre aggravée par la configuration de leurs royaumes : ils n’héritèrent pas de blocs distincts mais reçurent chacun une part de chaque grande région de l’espace franc. Carloman, cependant, mourut le 4 décembre 771, laissant plusieurs fils, que Charles écarta pour récupérer les territoires de son frère. Dans sa progression vers le pouvoir, Charlemagne rencontra surtout l’opposition d’un cousin, Tassilon, duc de Bavière. Celui-ci était né d’une union qui fit alors grand bruit. Plusieurs sources rapportent qu’à la mort de Charles Martel, en 741, sa fille Hiltrude avait fui la Cour avec le duc de Bavière Odilon, avec qui elle avait eu Tassilon. Lequel semble avoir eu trop d’ambition ou au moins d’indépendance aux yeux de Charlemagne – au point que l’historien Stuart Airlie a avancé avec justesse qu’il constituait une forme d’alter ego. Après une dizaine d’années de lutte, en 788, Tassilon fut condamné à mort pour ses intrigues, mais gracié. En contrepartie, ses héritiers et lui furent contraints de se retirer dans un monastère. En 794, il dut renoncer publiquement à tout pouvoir : ses terres (Bavière, Carinthie) furent officiellement rattachées à la couronne franque.
Soucieux d’éviter l’éclosion de nouveaux Tassilon, Charlemagne fut réticent à marier ses filles. Il entretenait en revanche des relations de confiance avec d’autres hommes de sa famille, qu’il plaça à des postes clés de son royaume, comme son cousin Guillaume, comte de Toulouse, qui défendit l’Aquitaine ou encore Adalard, rejeton d’un fils illégitime de Charles Martel, qui le seconda dans ses campagnes militaires. TENIR LES FILS Son attitude envers ses fils fut très ambiguë. Il en eut quatre qui dépassèrent l’enfance : un d’Himiltrude (Pépin le Bossu) et trois d’Hildegarde (Charles le Jeune, Carloman – qui prit ensuite le nom de Pépin – et Louis). Selon la tradition franque, Charlemagne prévoyait de fournir un royaume à chacun, même si tous n’avaient pas la même importance. A 3 ans, Louis se vit confier le royaume d’Aquitaine, où il fut dès lors installé – il ne rencontrera plus son père qu’épisodiquement. A Carloman/Pépin fut confiée l’Italie. Ces regna demeuraient cependant sous la haute autorité de Charlemagne. En revanche, il conserva longtemps auprès de lui Pépin le Bossu et Charles sans leur attribuer ni royaume personnel ni épouse. En 792, Pépin se laissa entraîner dans une révolte organisée par une partie de la noblesse qui souhaitait le porter sur le trône. Ceci lui valut d’être définitivement écarté de l’entourage de son père et placé dans le monastère de Prüm, en Rhénanie, alors que ses complices étaient condamnés à mort. Les sources le présentent comme le mauvais fils, l’illégitime infirme – ce qu’il ne semble pas avoir été dans les faits. Dans un premier temps, c’est Charles le Jeune qui demeura le soutien et l’héritier principal de son père. Il fut sacré à Rome par le pape en 800, lors de la cérémonie du couronnement impérial. Car, dans les années 800, Charlemagne chercha à organiser sa succession. Dans la Divisio regnorum de 806, il répartit le territoire entre ses fils, sans pour autant songer à transmettre le titre
L’HISTOIRE / 51
Karolus magnus
BERLIN, STAATSBIBLIOTHEK
Charlemagne au milieu de sa lignée. Au-dessus, son père Pépin le Bref, et en dessous son fils et successeur Louis.
LA DYNASTIE CAROLINGIENNE Cinq épouses (dont une qu’il répudia immédiatement), quatre fils, cinq filles… Mais aussi cinq enfants au moins qu’il eut de ses concubines. Une fois écartés ses possibles rivaux (frère ou cousin), Charlemagne n’a de cesse d’assurer sa succession. Il évite de faire naître de nouveaux concurrents en empêchant ses filles de se marier, prévoit une part de son empire à chacun de ses fils, fait sacrer celui qui est d’abord son favori, Charles, lors de son propre couronnement impérial en 800… C’est finalement Louis qui lui succède après sa mort, comme on peut le voir sur cette généalogie du xiie siècle, extraite de la Chronique universelle d’Ekkehard von Aura.
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