MENSUEL DOM/S 7,40 € TOM/S 970 XPF TOM/A 1 620 XPF BEL 7,40 € LUX 7,40 € ALL 8,20 € ESP 7,40 € GR 7,40 € ITA 7,40€ MAY 8,80 € PORT. CONT 7,40 € CAN 10,50 CAD CH 12 ,40 FS MAR 63 DHS TUN 7,20 TND USA 10,50 $ ISSN 01822411
Jusqu’où aller pour éviter la guerre ?
La trahison de Munich
Allemagne 1970 « Plutôt rouges que morts ! »
De Kant à Jaurès : construire un monde sans guerre
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M 01842 - 411 - F: 6,40 E - RD
VATICAN II : LA POUSSÉE À GAUCHE DE L’ÉGLISE www.histoire.presse.fr
LES PACIFISTES
4/ SOMMAIRE
N°411/MAI 2015
ON EN PARLE
GUIDE
ACTUALITÉ
88 La sélection du mois
L’OSSERVATORE ROMANO/ALINARI/ROGER-VIOLLET
exclusif 20 La ville arabe à l’IMA édition 22 « Le numérique gratuit, une nouvelle vie pour le livre »
Entretien avec R obert Darnton
archives 24 Dans le secret du congrès de Vienne
Par H uguette Meunier
ÉVÉNEMENT
8 Vatican II. La poussée à gauche de l’Église Par G erd-Rainer Horn
Il y a cinquante ans se clôturait Vatican II, le concile ouvert par le pape Jean XXIII en 1962. Il est resté dans les mémoires comme le grand aggiornamento de l’Église catholique. Et a laissé des traces profondes.
cinéma 26 La Résistance de Melville Par A ntoine de Baecque
moyen-orient 28 Irak : un « nettoyage culturel » Par O livier Thomas
expositions 30 Louvre : la « Victoire de Samothrace » Par H uguette Meunier
31 Musée de l’Armée : Churchill versus de Gaulle
les revues 88 « Annales » : l’économie, une science sociale ? les livres 90 « Au pays des sans-nom » de Giacomo Todeschini Par Jacques Berlioz
91 « Richelieu et l’écriture du pouvoir » de Christian Jouhaud Par Matthieu Lahaye
91 « 1515, Marignan » d’Amable Sablon du Corail Par Pascal Brioist
92 La sélection du mois le classique 96 « Comment il faut écrire l’histoire » de Lucien de Samosate Par Maurice Sartre
CHRONIQUE DE L’INSOLITE
98 Les débauchés d’Ispahan Par Michel Pierre
Par J uliette Rigondet
médias 32 Du pain et des jeux Par O livier Thomas
VATICAN II : LA POUSSÉE À GAUCHE DE L’ÉGLISE
32 Lucy détrônée bande dessinée 34 Quatre savants en guerre Par P ascal Ory
LES PACIFISTES
Jusqu’où aller pour éviter la guerre ? Allemagne 1970 « Plutôt rouges que morts ! »
De Kant à Jaurès : construire un monde sans guerre
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M 01842 - 411 - F: 6,40 E - RD
La trahison de Munich
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n° 411 LES PACIFISTES MAI 2015
MENSUEL DOM/S 7,40 € TOM/S 970 XPF TOM/A 1 620 XPF BEL 7,40 € LUX 7,40 € ALL 8,20 € ESP 7,40 € GR 7,40 € ITA 7,40€ MAY 8,80 € PORT. CONT 7,40 € CAN 10,50 CAD CH 12 ,40 FS MAR 63 DHS TUN 7,20 TND USA 10,50 $ ISSN 01822411
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07/04/15 12:41
COUVERTURE :
« Guerre : 19 milliards… Rien contre la misère ! » Affiche du Comité de lutte contre la guerre et le fascisme réalisée en 1933 (Collection Dixmier/Kharbine-Tapabor).
RETROUVEZ PAGE 36 LES RENCONTRES DE L’HISTOIRE ABONNEZ-VOUS PAGE 97
Ce numéro comporte cinq encarts jetés : Comptoir numismatique de Bavière, Pèlerin (sélection d’abonnés), L’Histoire (deux encarts kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).
N°411/MAI 2015
CARTE BLANCHE
35 Malgré-nous, malgré lui Par P ierre Assouline
Vendredi 24 avril à 9 h 05 dans l’émission « La Fabrique de l’histoire » d’Emmanuel Laurentin, retrouvez Giacomo Todeschini lors de la séquence « La Fabrique mondiale de l’histoire » En partenariat avec L’Histoire
L’HISTOIRE/5
DOSSIER
RECHERCHE
PAGE 38
72 L’origine des mamelouks Par Étienne de la Vaissière
Pourquoi, au ixe siècle, les califes abbassides ont-ils importé des prisonniers de guerre pour en faire des troupes de choc ?
78 Canossa, 1077. L’art du compromis Par Pierre Monnet
En 1077, le futur empereur germanique Henri IV vint implorer le pardon du pape Grégoire VII. Un geste souvent mal interprété.
AKG
82 Les métamorphoses de Richelieu
Jusqu’où aller pour éviter la guerre ?
40 D’Érasme à Kant Par J oël Cornette
58 La tragédie munichoise
44 Le grand rêve du xixe siècle
62 Nie wieder Krieg !
Par C hristophe Prochasson Espéranto et ido : une langue pour tous Bertha et le roman de la paix Par Marie-Claire Hoock-Demarle 1915 : le rendez-vous de Zimmerwald Par Sandrine Kott
56 Briand n’était pas naïf !
Par M ichel Winock Par J ohann Chapoutot Comment le Japon a renoncé à la guerre Par Pierre-François Souyri
68 ONU : des soldats contre la guerre
Entretien avec Jean-Marie Guéhenno
THE NATIONAL GALLERY, DIST. RMN-GP/NGPD
LES PACIFISTES
Par Laurent Avezou
Professeur d’énergie nationale ou dictateur totalitaire ? Depuis le xixe siècle, la figure du cardinal-ministre n’a cessé d’être instrumentalisée. Où en est-on aujourd’hui ?
46 Chronologie 69 Pour en savoir plus
Par J ean-Michel Guieu N°411/MAI 2015
De la mitre…
ARCHIVIO STORICO DELL A COMMUNITA DELL’ ISOLOTTO
Les évêques du monde entier accèdent à la basilique SaintPierre de Rome pour l’ouverture du IIe concile œcuménique du Vatican, le 11 octobre 1962.
L’OSSERVATORE ROMANO-SERVIZIO FOTOGRAFICO/ALINARI/ROGER-VIOLLET
8/ ÉVÉNEMENT
… au poing levé Prêtres-ouvriers italiens en 1976 chantant, au cours de leur convention annuelle, Venceremos (« Nous vaincrons »), l’hymne de campagne de Salvador Allende.
N°411/MAI 2015
L’HISTOIRE/9
VATICAN II La poussée à gauche de l’Église
Par G erd-Rainer Horn
L’Histoire : Pour quelles raisons Jean XXIII a-t-il décidé cet événement extraordinaire, un concile ? Gerd-Rainer Horn : Lorsque le pape annonce, le 25 janvier 1959, la tenue prochaine d’un concile, tout le monde ou presque est pris de surprise. Si certains avaient eu connaissance des tentations conciliaires de ses prédécesseurs, Pie XI et Pie XII, et savaient donc l’idée dans l’air du temps, rien ne les laissait imaginer que ce serait ce nouveau pape, « de transition », qui allait engager le chantier. Et le fait est que nombre des cardinaux ont découvert en même temps que les autres cette initiative très personnelle de Jean XXIII. A la fin des années 1950, l’Église catholique était en décalage depuis très longtemps déjà avec le monde que la révolution industrielle avait enfanté, aveugle à ses mutations, étrangère à sa modernité. Ce qui se traduisait par un recul du nombre des fidèles. Même si l’Église semblait avoir pris acte de la question ouvrière par exemple, avec l’encyclique de Léon XIII Rerum Novarum (1891), reprise et approfondie par celle de Pie XI Quadragesimo Anno (1931), l’enjeu pour Rome était de s’ouvrir au monde, de le regarder en face. Selon le célèbre
mot de Jean XXIII, il s’agissait pour l’Église d’opérer un « aggiornamento », littéralement, une mise à jour. Mais vouloir une mise à jour ne présage pas de la forme que celle-ci prendra. Cela ne signifiait pas nécessairement que son orientation serait progressiste, d’autant que Jean XXIII, dès son élection, en 1958, avait, après le très conservateur Pie XII et sous la pression des éléments des élus traditionnalistes de la Curie, porté le dernier coup au mouvement des prêtres-ouvriers, en interdisant ce que son prédécesseur avait toléré : le travail à mi-temps des prêtres dans de petites usines. L’H. : Qui est ce pape qui, trois mois à peine après avoir été élu, lance le chantier de modernisation de l’Église ? G.-R. H. : Jean XXIII n’était pas du tout connu comme un réformateur. Les cardinaux l’avaient d’ailleurs choisi parce que, après le pontificat de Pie XII, marqué par la controverse sur l’attitude de l’Église pendant la Seconde Guerre mondiale, ils voulaient le calme. Angelo Roncalli était issu d’une famille modeste, ses parents étaient paysans dans la région de Bergame. Il a fait sa carrière dans le corps diplomatique du Vatican, d’abord nommé en Bulgarie, puis à Istanbul, il est nonce (ambassadeur) à Paris, entre 1944 et 1953, à un moment où existait un important mouvement catholique de gauche en France. Un courant auquel il n’a jamais été associé, sans toutefois s’en faire l’adversaire. En 1953, il devient patriarche de Venise et est créé cardinal.
DR
Il y a cinquante ans se clôturait Vatican II, le grand concile ouvert par le pape Jean XXIII en 1962. Il est resté dans les mémoires comme le grand aggiornamento de l’Église catholique : fin de la messe en latin, promotion de l’œcuménisme. Il est aussi à l’origine d’une vague catholique de gauche inédite en Europe occidentale. Et qui a laissé des traces profondes.
L’AUTEUR Gerd-Rainer Horn est professeur à Sciences Po Paris. Il est notamment l’auteur de The Spirit of ’68: Rebellion in Western Europe and North America, 19561976 (Oxford University Press, 2007). Il publiera en août chez le même éditeur The Spirit of Vatican II. Western European Progressive Catholicism in the Long Sixties.
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40/ LES PACIFISTES
D’ÉRASME À KANT Dès le xvie siècle, des humanistes ont considéré la guerre comme le mal suprême. Avant que juristes et philosophes prennent part au débat. Par Joël Cornette
ERICH LESSING/AKG
Plus jamais ça ! Confrontés aux horreurs de la guerre de Trente Ans (1618-1648), des penseurs ont imaginé des solutions pour limiter les conflits. De ces Misères et malheurs de la guerre, le graveur Jacques Callot fut l’un des plus talentueux propagandistes, (1633).
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O
n le sait, le long Moyen Age ne fut pas une période de guerres perpétuelles. Le xiiie siècle, celui de Saint Louis et des cathédrales, connut des moments de prospérité heureuse, loin des tambours de la guerre. Auparavant, grâce aux « trêves de Dieu », ces parenthèses de paix que l’Église tentait d’ouvrir pour faire barrage aux hostilités entre les seigneurs et les chevaliers belliqueux (notamment les jours saints, du jeudi au dimanche), les plus fragiles pouvaient trouver asile et protection. Quiconque violait cette suspension d’armes était frappé d’anathème et condamné à affronter la terrible colère du Tout-Puissant. Mais c’est en 1435, à la fin de la guerre de Cent Ans, que l’historien Jean-Pierre Bois fait débuter l’histoire moderne de la paix : le congrès organisé à Arras cette année-là fut la première tentative de
l’histoire occidentale de règlement général d’un conflit entre souverains. La France, l’Angleterre, la Bourgogne y dépêchèrent des ambassadeurs et des secrétaires royaux ; des médiateurs y participèrent, envoyés par le pape. Cette année-là aussi, Bernard de Rosier rédigeait un Ambaxiatorum Brevilogus, le premier manuel de savoir-faire destiné aux ambassadeurs. Après la chute de Constantinople en 1453, face au péril turc, l’idée d’une entente générale et d’un rapprochement entre royaumes chrétiens en vue d’une croisade commença à germer : le pape Pie II tenta de mobiliser les puissances européennes et réunit un congrès à Mantoue en 1459, qui ne déboucha sur aucun projet concret. Au siècle suivant, tout se joue autour de la rivalité belliqueuse entre le roi de France François Ier et l’empereur Charles Quint. Le temps des guerres
d’Italie s’achève par les traités du Cateau-Cambrésis en 1559, tandis que commence à se dessiner le monde des spécialistes de la paix : les ambassadeurs et les diplomates, domaine dans lequel Venise et le pape font figure de précurseurs. Des représentants diplomatiques s’établissent en permanence à l’étranger : voyez les « ambassadeurs » Jean de Dinteville et Georges de Selve, peints par Holbein, lors de leur séjour en Angleterre. Au même moment, « l’art de la paix » se perfectionne par la réflexion des humanistes, qui considèrent la guerre comme le mal suprême. Ainsi,
pour prévenir un tel fléau et assurer une paix durable, Érasme, le philosophe de Rotterdam, propose de désarmer les antagonismes nationaux (« jadis le Rhin séparait le Français de l’Allemand, mais le Rhin ne peut séparer le chrétien du chrétien ») ; de stabiliser le statut territorial de l’Europe (« que les princes fixent une fois pour toutes les limites de leurs États ») ; de déterminer l’ordre des successions pour éviter toute contestation entre les candidats ; d’enlever aux souverains le droit de déclarer la guerre ; d’organiser l’arbitrage. C’est là l’idée centrale du « prince des humanistes » : il y a en effet, dans le monde, écrit-il, tant d’évêques érudits, tant d’abbés vénérables, tant de nobles distingués, s’imposant par leur âge et dont la prudence dans les affaires est très appréciable ; il y a aussi, ajoute-t-il, des conseils, des sénats institués « par nos ancêtres ». En conséquence,
« pourquoi les princes ne recourent-ils pas plutôt à leur arbitrage, pour régler les moindres différends qui s’élèvent entre eux »1 ? Cette apologie de la paix n’empêche nullement le déchaînement des violences qui marquent la seconde moitié du xvie siècle, notamment les huit guerres de Religion qui ensanglantent le royaume de France entre 1562 et 1598. Au cœur de cette violence, certaines communautés urbaines ont tenu malgré tout à défendre le principe et la réalité de la paix afin de préserver et de consolider la cohésion sociale : à Caen, à Montélimar, à Orange, à Nyons, à Senlis. Dans d’autres villes encore, des « pactes d’amitié » entre catholiques et protestants ont été jurés, le plus souvent à l’initiative des autorités locales, conseillers, consuls, maires, petits officiers… GUERRE DE TRENTE ANS : LE TOURNANT De la défenestration de Prague (1618) aux paix d’Utrecht et de Rastatt (1713-1714), le xviie siècle fut, lui aussi, un temps de conflits continus : la férocité à l’œuvre dans l’Europe de la guerre de Trente Ans (1618-1648) relança la réflexion sur l’origine et les causes de ces désastres répétés et sur les moyens de contenir les « misères et malheurs » de la guerre. « Figurons-nous donc, écrit Blaise Pascal, que nous les voyons [les hommes] commençant à se former. Il est sans doute qu’ils se battront jusqu’à ce que la plus forte partie opprime la plus faible. » La Bruyère développe un thème similaire quand il explique que de tout temps les hommes, pour quelque morceau de terre de plus ou de moins, sont convenus entre eux de se dépouiller, de s’égorger les uns les autres ; de l’injustice des premiers hommes, poursuit-il, comme de son unique source est venue la guerre, « ainsi que la nécessité où ils se sont trouvés de se donner des maîtres capables de fixer leurs droits et leurs prétentions ». Dans son Droit de la guerre et de la paix, paru en 1625, le juriste Grotius explique que la guerre est contraire au droit naturel : elle n’est pas condamnée pour autant, mais avant tout jugée moralement, c’est-à-dire qu’elle est juste ou injuste et n’est licite que dans la mesure où elle est déterminée par une juste cause (la réponse à une attaque, par exemple). Dans ses Oeconomies royales (1638), Sully, qui avait été ministre d’Henri IV, visait à briser l’isolement de la France, notamment face aux Habsbourg de Madrid et de Vienne, en proposant un redécoupage géopolitique de l’Europe. Le « grand dessein » prévoyait ainsi de regrouper toutes les puissances en une « république très chrétienne », une sorte d’« Europe des quinze », formée de six monarchies héréditaires (la France, l’Espagne, la GrandeBretagne, le Danemark, la Suède et la Lombardie), de six puissances électives (la papauté, Venise, le Saint Empire, la Pologne, la Hongrie et la Bohême) et de trois républiques fédératives (l’Helvétie, l’Italie et les Pays-Bas espagnols).
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L’HISTOIRE/41
L’AUTEUR Professeur d’histoire moderne à l’université Paris-VIIIVincennesSaint-Denis, Joël Cornette a notamment dirigé l’Histoire de France en treize volumes chez Belin (2009-2012). Il vient de publier une Histoire illustrée de la Bretagne et des Bretons (Seuil, 2015).
Note 1. Érasme, Dulce bellum inexpertis, cité par P. Mesnard, L’Essor de la philosophie politique au xvie siècle, Vrin, 1969, p. 117.
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58/ LES PACIFISTES
LA TRAGÉDIE
MUNICHOISE
Dans la nuit du 29 au 30 septembre 1938 à Munich, les Européens cédaient les Sudètes à Hitler pour sauver la paix. Ils eurent le déshonneur et la guerre. Le pacifisme ne s’en relèvera pas. Par M ichel Winock
KEYSTONE/GAMMA-RAPHO
L
e 30 septembre 1938, des dizaines de milliers de Français se pressent à l’aéroport du Bourget pour accueillir leur président du Conseil, Édouard Daladier. Celui-ci est de retour de Munich, où s’est tenue la conférence sur les Sudètes entre Hitler, Mussolini, Chamberlain et Daladier pour la France. Le chef du gouvernement français est maussade, peu fier d’avoir accédé à la plupart des exigences de Hitler. En voyant du hublot de l’avion, au moment N°411/MAI 2015
Illusions Des couturières parisiennes fêtent les accords de Munich en brandissant des photographies de Daladier et de Chamberlain et en buvant à la paix.
de l’atterrissage, la foule qui l’attend, il n’en mène pas large. Quelle surprise quand il s’apprête à poser le pied sur le sol de l’aérodrome : on l’acclame, on le remercie d’avoir sauvé la paix, on lui fait un triomphe. Des témoins de la scène l’entendent murmurer : « Les imbéciles1 ! » Le lendemain 1er octobre, le colonel Charles de Gaulle, en garnison à Metz, écrit à sa femme Yvonne : « Voici donc la détente. Les Français, comme des étourneaux, poussent des cris de joie, cependant
L’HISTOIRE/59
L’AUTEUR Conseiller de la direction de L’Histoire, Michel Winock vient de faire paraître chez Gallimard une biographie de François Mitterrand.
Reddition En abandonnant leur allié tchèque, Français et Anglais n’ont fait qu’encourager le Führer à passer à l’étape suivante. Dès le 1er septembre 1939, les troupes allemandes pénétraient en Pologne. Ci-dessous : parade de la Wehrmacht à Varsovie, le 5 octobre 1939.
parapluie, est devenu le chouchou de la grande presse française : c’est la colombe de la paix ! Pendant toute la crise, le gouvernement français suivra pas à pas, selon l’expression de François Bédarida, sa « gouvernante anglaise ». Mais Hitler reste sur ses positions, arguant du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. La grande presse en France, à l’exemple du Times en Angleterre, incline de plus en plus, pour éviter la guerre, à l’acceptation des exigences hitlériennes. C’est ce que, de concert, les gouvernements français et britannique finissent par conseiller au gouvernement de Prague le 18 septembre. Léon Blum commente cet acte le surlendemain dans Le Populaire : « La guerre est probablement écartée. Mais dans des conditions telles que moi, qui n’ai cessé de lutter pour la paix, qui, depuis bien des années, lui avais fait d’avance le sacrifice de ma vie, je n’en puis éprouver de joie et que je me sens partagé entre un lâche soulagement et la honte. » Le 22 septembre, Chamberlain se rend à Bad Godesberg pour informer Hitler de la résignation tchèque. Mais le Führer élève ses exigences : l’annexion des Sudètes doit se faire sans délai entre le 26 et le 28 septembre et, de surcroît, les Tchèques doivent céder des territoires à la Pologne et la Hongrie. C’en est trop ! Le 23, Prague décrète la mobilisation générale. Hitler s’enflamme devant une foule délirante : « Nous avons réalisé un armement tel que le monde n’en a jamais vu. Maintenant, peuple allemand, porte tes armes ! » Le 24, la France décide une mobilisation partielle. Chamberlain, tout en décrétant la mobilisation de la flotte britannique, croit encore possible une ultime négociation. Le Führer, avec l’entremise de Mussolini, en accepte alors le principe ; la conférence réunira le lendemain à Munich les deux dictateurs avec Chamberlain et Daladier. L’opinion retient son souffle, la guerre peut être encore évitée, du moment que les négociations
BERLIN, BPK, DIST. RMN-GP/HEINRICH HOFFMANN
CÉDER À HITLER Que s’est-il passé ? Aussitôt après l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche, en mars 1938, Hitler a jeté son dévolu sur la Tchécoslovaquie, qui compte une minorité de 3,5 millions de germanophones, la plupart installés dans les Sudètes. Un parti pronazi, dirigé par Konrad Henlein, et soutenu par Hitler, revendique pour ces Allemands, depuis 1935, un statut d’autonomie. Or la France a signé en octobre 1925 à Locarno un pacte d’assistance avec la Tchécoslovaquie et la Pologne contre une éventuelle agression allemande. « Dans ces conditions, lâcher la Tchécoslovaquie, admettre l’annexion des Sudètes par l’Allemagne, c’est perdre non seulement la face, comme l’écrit le 12 mars 1938, dans L’Époque, Henri de Kérillis, un des rares hommes de droite à préconiser la fermeté, non seulement l’honneur, mais les bases mêmes de notre propre sécurité et de notre propre indépendance. » Le 24 avril, au congrès du Parti allemand des Sudètes, à Karlovy Vary, Henlein formule un programme de revendication autonomiste d’inspiration hitlérienne ; l’intégrité de la Tchécoslovaquie est en jeu. Le mois suivant, à la suite d’incidents de frontière, la tension monte entre Berlin et Prague. La Grande-Bretagne aspire à la détente ; son Premier ministre Neville Chamberlain se pose en sauveur de la paix. En même temps, le rapprochement franco-britannique, symbolisé par la visite des souverains britanniques à Paris du 19 au 22 juillet, rassure et, pense-t-on sur les bords de la Seine et de la Tamise, devrait dissuader l’Allemagne de toute agression contre la Tchécoslovaquie. Toujours actif, Chamberlain envoie, le 3 août, à Prague un médiateur, lord Walter Runciman, entre le gouvernement tchèque et le parti de Konrad Henlein. Cependant, au début du mois d’août, des préparatifs militaires et rappels de réservistes sont décidés en Allemagne, où la presse mène violemment campagne contre Prague. Le gouvernement tchèque propose un statut à la minorité allemande, que Henlein rejette. Et, le 2 septembre, après une entrevue avec Hitler à Berchtesgaden, Henlein refuse un nouveau projet de statut. La médiation Runciman s’est révélée vaine. Le 12 septembre, Hitler, agressif et menaçant, prononce un discours radiodiffusé devant 200 000 militants. Le lendemain, alors que Henlein exige carrément le rattachement des Sudètes au Reich, Chamberlain demande au Führer à le voir afin de trouver une « solution pacifique » à la crise. Le Premier ministre britannique, avec son célèbre
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que les troupes allemandes entrent triomphalement sur le territoire d’un État que nous avons construit nous-mêmes, dont nous garantissions les frontières et qui était notre allié. Peu à peu nous prenons l’habitude du recul et de l’humiliation, à ce point qu’elle nous devient une seconde nature. Nous boirons le calice jusqu’à la lie2. »
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82/ RECHERCHE
Les métamorphoses de RICHELIEU Professeur d’énergie nationale, dictateur totalitaire ou précurseur de l’Europe des nations ? Depuis le xixe siècle, la figure du cardinalministre n’a cessé d’être instrumentalisée.
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L’AUTEUR Professeur en classes préparatoires au lycée Pierrede-Fermat (Toulouse), Laurent Avezou a notamment publié Les Mythes de l’histoire de France (La Boétie, 2013).
GUSMAN/LEEMAGE
ormis Jeanne d’Arc, Napoléon et de Gaulle, rares sont les figures du passé national français à manifester autant de plasticité que le cardinal de Richelieu, qui fut le principal ministre de Louis XIII de 1624 à 1642. Dans son Testament politique, Richelieu égrenait les engagements qu’il aurait pris envers son maître : « Ruiner le parti huguenot, rabaisser l’orgueil des grands, réduire tous ses sujets en leurs devoirs et relever son nom dans les nations étrangères au point où il devait être. » Ce cahier des charges restituait une cohérence factice à une action politique en réalité marquée au sceau de l’improvisation permanente. Sa force de persuasion a pourtant surmonté l’épreuve du temps. Depuis son insertion dans le romantisme littéraire et artistique autour de 1825, Richelieu a fait l’objet de relectures partisanes qui dessinent comme une histoire en creux de l’histoire contemporaine. A preuve : la coïncidence entre les grandes cassures de l’histoire de France et celles de l’image posthume du Cardinal. 1789, 1870 et 1940 sont les lignes de faille qui distinguent successivement en Richelieu le précurseur controversé de la Révolution, le professeur d’énergie nationale et l’apôtre de l’Europe des nations.
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Par L aurent Avezou
LÉGENDE NOIRE DES ROMANTIQUES Dans l’histoire posthume de Richelieu, c’est tout d’abord la légende noire qui a prévalu. Dans Cinq-Mars d’Alfred de Vigny (1826), il est présenté comme une araignée tissant sa toile pour mieux y prendre le personnage éponyme, incarnation de tout ce qu’il exècre : la jeunesse et la liberté. Marion Delorme de Victor Hugo (1831) ne met pas Richelieu en scène, mais l’ombre Richelieu, qui enveloppe tous les protagonistes du drame, jusqu’à ce N°411/MAI 2015
Une figure nationale Billet de 1 000 francs, en 1955, à l’effigie du Cardinal.
qu’apparaisse sa litière-catafalque, d’où tombent ces trois seuls mots qui vouent à la mort le fiancé de l’héroïne : « Pas de grâce ! » La Marie de Médicis de Lottin de Laval (1834), bien loin de l’image de la mère abusive de Louis XIII, apparaît comme une femme sensible qui fait tout pour soustraire son fils à l’influence néfaste du Cardinal. Non seulement chacune de ces œuvres de fiction suscite des produits dérivés de moindre qualité, mais certaines d’entre elles se prolongent dans la peinture, ainsi au Salon de 1831, où La Barque de cérémonie du cardinal de Richelieu sur le Rhône de Paul Delaroche fait référence au CinqMars de Vigny. Ce moment correspond au règne de Charles X et au début de celui de Louis-Philippe. Le personnage de Richelieu y sert pour l’essentiel à dénoncer le cléricalisme étroit et anachronique de la Restauration finissante, d’un régime chafouin gouverné par les prêtres, comme Louis XIII l’aurait été par le Cardinal. En réalité, Richelieu, tout prélat de l’Église romaine qu’il fut, n’en avait pas moins eu pour adversaires les plus acharnés les dévots de l’entourage de Marie de Médicis, qui lui reprochaient de mener une politique trop émancipée des intérêts de la foi, notamment dans la lutte qu’il menait avec ses alliés protestants contre l’Espagne catholique ! Si la noirceur littéraire qui entoure le Cardinal a perduré une grande partie du xixe siècle, c’est que le personnage prête le flanc à une réflexion sur les rapports conflictuels entre raison d’État et aspirations individuelles, entre intérêt public et for privé, entre tradition et modernité. « Raison d’État, raison d’Enfer ! » disaient déjà, au temps de Richelieu, ceux qui lui reprochaient d’avoir introduit Machiavel dans les arcanes du pouvoir1.
L’HISTOIRE/83
« Principal ministre » PARIS, BN/BRIDGEMAN IMAGES
Allégorie célébrant la nomination de Richelieu comme surintendant de la navigation et du commerce de la France, par Claude Goyrand (1627), BNF.
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EXCELSIOR-L’ÉQUIPE/ROGER-VIOLLET
PARIS, BIBLIOTHÈQUE DES ARTS DÉCORATIFS/ARCHIVES CHARMET/BRIDGEMAN IMAGES
Le conquérant Couverture de Richelieu, par Théodore Camu et Maurice Leloir (1910).
Le maître des mers Lancement du cuirassé Richelieu
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à Brest en janvier 1939.
Décryptage L’image de Richelieu est un cas exemplaire de déclinaison fantasmatique de l’histoire. En croisant les sources littéraires et iconographiques avec les travaux des historiens, Laurent Avezou en a restitué les étapes. Après la légende noire romantique, la guerre de 1870 promeut l’image du héros éminemment français, défenseur des frontières naturelles et artisan méconnu de l’expansion coloniale. Dans les années 1930, il est parfois assimilé à un dictateur totalitaire, avant de devenir durant la guerre froide un précurseur de l’Europe. N°411/MAI 2015