GUERRE DE L’ASIE-PACIFIQUE 1931-1945
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N° 413-414 / Juillet - août 2015
histoire.presse.fr
Enseignement de l’histoire
LA POLÉMIQUE
numéro double
1931 - 1945
ASIE-PACIFIQUE l’autre guerre mondiale Dossier 110 pages
avec Michel Winock, Benjamin Stora,
Patrick Boucheron, Olivier Loubes,
Dominique Borne, Ran Halévi et Laurence de Cock
Sommaire
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ÉVÉNEMENT
SPÉCIAL
6 Nouvelle querelle
sur l’histoire de France ntretien avec Michel Winock, E Benjamin Stora, Patrick Boucheron et Olivier Loubes
« Pourquoi ne pas commencer à Marseille ? » Entretien avec Dominique Borne
« Qu’est-ce qu’une journée qui a fait la France ? » Entretien avec Ran Halévi
« Dans mon lycée à Nanterre »
Entretien avec Laurence de Cock
COUVERTURE : Pilote kamikaze nouant son hachimaki représentant l’emblème de la marine, photo colorisée vers 1945 (PVDE/ Bridgeman Images). ABONNEZ-VOUS PAGE 71 Ce numéro comporte trois encarts jetés : L’Histoire (deux encarts kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).
Le vendredi 26 juin à 9 h 05
dans l’émission « La Fabrique de l’histoire » d’Emmanuel Laurentin, retrouvez Maya Todeschini (sous réserve) lors de la séquence « La Fabrique mondiale de l’histoire », en partenariat avec L’Histoire
1931 - 1945
Asie - Pacifique
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L’HISTOIRE / N°413-414 / JUILLET-AOÛT 2015
L’autre guerre mondiale Il
y a soixante-dix ans, la Seconde Guerre mondiale s’achevait à Hiroshima. Et si elle avait commencé dès 1931 sur le théâtre asiatique ?
ANTOINE BONFILS. AKG
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INTRODUCTION 20 Carte : de Moukden à
Hiroshima
22 La guerre de Quinze Ans Par Pierre-François Souyri
C hronologie C arte : la Mandchourie dépecée 36
1931 - 1942 SOUS LA BOTTE JAPONAISE Tous unis derrière l’empereur ?
Par Michael Lucken Hirohito était-il responsable ? Avoir 10 ans au Japon en 1935
44 Une puissance coloniale (presque) comme les autres Par Samuel Guex L e pillage des ressources 52 L’Indochine a-t-elle collaboré ? Par Éric Jennings U ne Résistance ambiguë 58 Singapour, février 1942.
La chute de l’Empire britannique Entretien avec Jean-Louis Margolin
C arte : l’ubiquité des Japonais 62 La vraie histoire du pont de
la rivière Kwaï Par Christian Kessler
C arte : une route stratégique P ierre Boulle : du livre à l’écran Par Pierre Assouline
66 Les cobayes humains de l’unité 731 Par Arnaud Doglia
C arte : un réseau jusqu’à Singapour
1942 - 1945 DUEL AU SOMMET 74 Les États-Unis basculent vers le Pacifique Par Pap Ndiaye
78 Portfolio :
92 Kamikazes. Enquête sur les pilotes-suicides Par Constance Sereni 97 Jeux vidéo. Dans la peau d’un GI Par Olivier Thomas 1945 - 1949 ASIE, ANNÉE ZÉRO 104 Hiroshima.
Le destin des survivants
sur mer et dans les îles Photos commentées par Constance Sereni
84 La guerre raciale
Par Bruno Cabanes E llroy et l’hystérie anti-Japs Par Alexis Brocas
Par Maya Todeschini
111 Le « shogunat MacArthur » Entretien avec John Dower
Procès à Tokyo
Par Franck Michelin
116 La Chine sera communiste Par Xavier Paulès
ROGER-VIOLLET. US NATIONAL ARCHIVES/ROGER-VIOLLET
C arte : la guerre civile 120 Géopolitique de
l’Asie nouvelle Par Christopher Goscha
C arte : la nouvelle donne S aigon, 2 septembre 1945 S ukarno, président
CONCLUSION 126 Le trou de mémoire des nationalistes
Entretien avec Takahashi Tetsuya, propos recueillis par Arnaud Nanta
130 Pour en savoir plus L’HISTOIRE / N°413-414 / JUILLET-AOÛT 2015
Nouvelle Clio L a Liberté guidant le peuple (1830) par Eugène Delacroix est devenue l’allégorie de l’histoire de France. L’HISTOIRE / N°413-414 / JUILLET-AOÛT 2015
Événement
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NOUVELLE QUERELLE SUR L’HISTOIRE DE FRANCE Le projet de programme d’histoire pour le collège a, une fois encore, ce printemps, soulevé les passions : la France y serait négligée ou abordée sous son profil le moins flatteur. Nous avons demandé à quatre historiens ce qu’ils pensaient de ces controverses et comment on pouvait encore faire et enseigner l’histoire de France. Entretien avec Michel Winock, Benjamin Stora, Patrick Boucheron et Olivier Loubes
Olivier Loubes : Toute la complexité de l’histoire de France depuis le xixe siècle, c’est de connecter l’histoire de l’État, longue et ancienne, et l’histoire de la nation – communauté politique des citoyens souverains – qui naît avec la Révolution. C’était ça le défi de Lavisse. En ce début de xxie siècle, nous avons nos propres enjeux : une histoire de France ne peut plus être déconnectée de l’histoire de l’Europe et des autres continents. Le piège tendu par les logiques identitaires et décadentistes, c’est de faire de l’histoire de France celle d’une identité invariante, alors que nous savons aujourd’hui que la nation est une construction. Cela n’empêche pas une histoire nationale, accordée aux avancées de l’histoire scientifique, qui reste de mon point de vue indispensable parce que notre citoyenneté s’exprime d’abord et avant tout dans l’Hexagone : elle reste un enjeu civique majeur.
RMN-GP (MUSÉE DU LOUVRE)/MICHEL URTADO
Michel Winock : On est tous d’accord. Ce qui n’est plus possible c’est de reprendre le roman national. Benjamin Stora : Mais qu’est-ce qu’on entend par « roman national » ? C’est cela que je n’arrive pas à comprendre. Dans « roman national », existe une idée séduisante, celle de mise en scène, de mise en intrigue. Ce n’est pas un aspect que l’on peut rejeter, car il faut se préoccuper du plus grand nombre pour lui transmettre l’histoire. Mais si l’on entend par roman national le discours tout prêt pour une récitation en rapport avec une histoire éternelle, fixe, c’est une autre affaire. Roman national, pourquoi pas, cela peut être épique, héroïque, fantastique. Le terme romanesque veut dire que l’on prend en compte l’aspect littéraire dans l’écriture du récit historique.
Pourquoi pas ? Sauf si c’est un roman enfermé dans un passé figé et poussiéreux, là non, ça n’intéresse plus personne. Patrick Boucheron : La question de savoir s’il faut faire aujourd’hui de l’histoire de France ne peut être distinguée du contexte politique dans lequel elle est posée. Parle-t-on de la recherche en histoire ? Dans ce cas, la question n’a aucun sens épistémologique ou historiographique : la légitimité de l’histoire nationale n’est nullement en cause. Si l’on parle de l’histoire enseignée, c’est autre chose : la réforme des programmes du collège proposée aujourd’hui, alors qu’elle représente plutôt un retour vers des formes chronologiques de récit national, est attaquée avec une violence qui ne dit rien des pratiques réelles de l’enseignement et tout de la crispation identitaire où nous sommes. Un numéro du Débat proposait récemment un tour d’Europe de cet embarras national : la France y apparaît, avec l’Angleterre, en pointe de ce qu’il faut bien appeler une régression. Alors, devant une telle offensive idéologique, autant dire clairement les choses : l’histoire comme discipline n’a pas vocation à inculquer des valeurs, qu’elles soient civiques ou patriotiques d’ailleurs. Elle ne propose que des méthodes, et celles-ci travaillent à l’émancipation individuelle. En cela, elle est à la fois récit entraînant et analyse critique. Une publication savante et courageuse peut servir d’antidote au fantasme identitaire autour des programmes d’histoire : un dossier dans Les Annales, où on a demandé à des formateurs, à des enseignants et à des universitaires comment la recherche passait dans la pratique de l’enseignement mais aussi, parce qu’on n’est pas obligé toujours de suivre ce L’HISTOIRE / N°413-414 / JUILLET-AOÛT 2015
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SPÉCIAL
A sie - Pacifique 1931-1945
La guerre de Quinze Ans Le Japon envahit la Mandchourie dès 1931. Ses objectifs et ses adversaires vont dès lors fluctuer et se multiplier. Jusqu’à la confrontation avec les États-Unis. La guerre du Pacifique n’est que la phase finale de ce long conflit asiatique. Par Pierre-François Souyri
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L’HISTOIRE / N°413-414 / JUILLET-AOÛT 2015
Du point de vue japonais, la guerre est une réalité depuis le début des années 1930 : il y a une continuité entre l’invasion de la Mandchourie (1931-1932), les événements de Shanghai (1932), la seconde guerre sino-japonaise à partir de 1937, l’expansion japonaise en Asie du Sud-Est dès l’été 1940 après la défaite française face à l’Allemagne et, enfin, la guerre du Pacifique (1941-1945).
1931 : POURQUOI LES JAPONAIS FONT-ILS LA GUERRE ? De fait, à partir de 1931, l’Asie entre dans une série de conflits locaux dont la fin réelle est difficile à dater. La vision américaine veut qu’il s’agisse d’une seule et même « guerre mondiale » en Europe et en Asie, mais ce n’est que l’une des lectures possibles de cette guerre. Non seulement les peuples de la région n’en font pas la même lecture sur le moment, mais la mémoire ultérieure de ce conflit international diverge selon les points de vue nationaux. Pour un Japonais, la guerre commence en septembre 1931, devient totale à l’automne 1937 et se termine en août 1945. Pour un Américain, elle ne débute pas avant décembre 1941 et finit également en août 1945. Pour un Chinois, la guerre commence en juillet 1937, voire en septembre 1931 en Chine du Nord-Est, mais se conclut en octobre 1949 par la victoire communiste. Pour un Coréen, la guerre est un phénomène relativement extérieur – la Corée, annexée par le Japon
DR
L’AUTEUR Professeur à l’université de Genève, spécialiste du Japon, Pierre-François Souyri a notamment publié une Nouvelle histoire du Japon (Perrin, 2010).
econde Guerre mondiale » : cette expression courante qui nous permet de désigner des conflits multiples qui éclatent à la fin des années 1930 ou au début des années 1940 est commode, mais, il est vrai, assez vague. Des combats ont certes lieu sur presque tous les continents au cours de cette période mais impliquentils les mêmes acteurs et les mêmes objectifs ? La guerre d’Espagne (1936-1939) est souvent qualifiée de répétition générale de la guerre mondiale parce qu’elle oppose d’une part l’URSS alliée aux démocraties occidentales et d’autre part les régimes fascistes et nazis. Mais que dire de la « guerre d’hiver » entre l’URSS et la Finlande entre novembre 1939 et mars 1940 ? De même, le conflit majeur mais oublié qui oppose Soviétiques et Japonais de mai à septembre 1939, connu sous le nom de bataille de Nomonhan, faitil partie de la Seconde Guerre mondiale ? Le problème de cette expression est qu’elle part du principe qu’il existe deux coalitions naturelles aux prises l’une avec l’autre, sur deux théâtres majeurs d’opérations, l’Europe et l’Extrême-Orient incluant le Pacifique, avec d’un côté les pays de l’Axe (Allemagne, Italie, Japon) et de l’autre les démocraties occidentales et l’Union soviétique. Cette manière de voir les choses reflète une réalité qui ne devient manifeste qu’en décembre 1941 avec l’entrée des États-Unis dans le conflit au côté de la Grande-Bretagne. Jusque-là, les conflits sont multiples et non coordonnés, et les alliances floues et guère fiables.
EYEON/GETT Y IMAGES
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Vers le continent D ès 1937, la guerre se généralise sur le continent chinois. Ici, des troupes japonaises sont rassemblées, avant leur départ pour le front, devant le sanctuaire Yasukuni à Tokyo, qui rend hommage aux soldats japonais morts.
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SPÉCIAL
A sie - Pacifique 1931-1945
Portfolio
Sur mer et dans les îles Sur tous les terrains c’est un nouveau type de guerre qui s’engage. Acteurs et moments clés en images. Photos commentées par Constance Sereni
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Le grand stratège Yamamoto
L’amiral Yamamoto Isoroku (1884-1943), l’un des plus grands stratèges japonais, était également un innovateur : c’est l’un des premiers au sein de l’état-major japonais à mettre en avant l’aéronavale plutôt que la construction d’énormes – et coûteux – cuirassés. Son avion est abattu par les Américains le 18 avril 1943.
DAGLI ORTI
a guerre du Pacifique fut un conflit exceptionnel sous tous les rapports, même si ses détails sont relativement peu connus en France. Par l’ampleur des forces en présence, tout d’abord : une armée de plus de 6 millions d’hommes du côté japonais, 1,25 million d’hommes pour les États-Unis, 2,4 millions de Britanniques dont 2 millions d’Anglo-Indiens, et plus de 15 millions d’hommes en Chine en comptant nationalistes et communistes. Ensuite, parce qu’il s’agit du plus grand conflit naval de l’histoire : de chaque côté du Pacifique, les deux marines les plus puissantes du monde se livrèrent un combat sans merci, sur tous les terrains imaginables, des îles subarctiques des Aléoutiennes aux plages des îles du Pacifique. En 1941, quand commence le conflit, le Japon possède une supériorité certaine sur son rival américain : une marine moderne et bien entraînée, certains des meilleurs avions de l’époque, dont le célèbre chasseur bombardier Mitsubishi Zéro, et les plus gros cuirassés du monde. Mais la puissance des États-Unis réside dans sa capacité de production. Entre 1942 et 1945, en un effort de production titanesque, ils produisent plus de 3,2 millions de tonneaux de navire. En comparaison, dans la même période, le tonnage des navires construits par les Japonais s’élève à 550 000 tonneaux. Pour l’aviation, c’est la même chose : entre 1941 et 1945, les États-Unis seront capables de produire plus de 300 000 appareils (tous théâtres d’opérations confondus) et le Japon moins de 70 000. n
THE ASAHI SHIMBUN/GETT Y IMAGES. THE GRANGER COLLECTION/DAGLI ORTI
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Pearl Harbor Le 7 décembre 1941, l’amiral Yamamoto déclenche contre la base navale de Pearl Harbor à Hawaï une attaque surprise massive visant à détruire la flotte américaine du Pacifique d’un seul coup (ci-dessus, un bombardier japonais en vol vers Hawaï). Malgré les pertes américaines (2 335 marines morts, 188 avions détruits, 8 cuirassés coulés), le résultat fut mitigé pour les Japonais. Les États-Unis entrent en guerre.
Corps à corps
Les combats de la guerre du Pacifique se livrent autant dans les jungles tropicales et sur les plages que sur mer. La violence des affrontements dans ces milieux hostiles est extrême. Ici, des marines américains débarquent sur l’île de Leyte, aux Philippines, en octobre 1944. L’HISTOIRE / N°413-414 / JUILLET-AOÛT 2015
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SPÉCIAL
A sie - Pacifique 1931-1945
Hiroshima
Le destin des survivants L’explosion des deux bombes atomiques à Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 août 1945 constitue une catastrophe humaine inédite. Américains et Japonais en ont longtemps nié la réalité, alors qu’ils sont encore 200 000 à en porter les séquelles.
L’AUTEUR Chargée de cours à l’université de Genève, Maya Todeschini a soutenu une thèse sur « Hiroshima et Nagasaki. Les expériences des femmes hibakusha (survivantes des bombes atomiques) ». Elle a dirigé Hiroshima 50 ans. Mémoires au nucléaire (Autrement, 1995).
L
e 6 août 1945, par une matinée ensoleillée, la première bombe atomique de l’histoire, « Little Boy », fut larguée sur Hiroshima. En l’espace de quelques secondes, des dizaines de milliers de personnes furent tuées ou brûlées, et une ville réduite en cendres. Le 9 août, une deuxième bombe explosa au-dessus de Nagasaki. Ces bombardements précipitèrent la fin du conflit qui ravageait le continent mais marquèrent également la naissance de l’ère nucléaire. Une arme nouvelle de destruction massive avait été utilisée contre des populations civiles. Conséquence immédiate, les bombardements atomiques firent ressortir de façon flagrante la supériorité militaire et technologique des Américains. Les bombes avaient été préparées de longue date dans le cadre du projet Manhattan, dirigé par le major général Leslie Groves à partir de 1942. Le 16 juillet 1945, les Américains réussirent le premier essai nucléaire à Alamogordo (Nouveau-Mexique). Le 25, le président Truman décida de larguer la bombe sur le Japon, au cas où ce pays refuserait de se rendre. A la conférence de Potsdam, le 26 juillet, les Américains étaient en position de force pour négocier, et ils exigèrent du Japon une reddition sans conditions. Celle-ci fut rejetée par le gouvernement japonais. Le sort du Japon était scellé. Onze jours plus tard, les bombardements de Hiroshima et de Nagasaki
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furent salués par le président Truman comme un triomphe de la science et du génie militaire américain. Le 9 août, il déclara que le Japon pouvait s’attendre à une « pluie d’autres bombes atomiques » s’il ne rendait pas les armes (sept autres bombardements atomiques étaient prévus). Le 15 août, dans son allocution radiophonique, l’empereur Hirohito prenait pour la première fois la parole et délivrait en personne la nouvelle de la défaite japonaise à son peuple. Dans l’état de consternation qui régnait alors, les Japonais ne prirent pas tout de suite la mesure de la dévastation qui avait frappé Hiroshima et Nagasaki. D’autant que les bombardements sur Tokyo en mars 1945 furent eux aussi très meurtriers, tuant plus de 100 000 personnes. Le gouvernement nippon se borna à annoncer qu’il s’agissait d’un « nouveau type de bombe » (shingata bakudan), sans en expliquer la nature. Pour cette raison, dans les jours suivants, de nombreuses personnes, ignorant tout des dangers des radiations, se rendirent dans les deux villes pour tenter de retrouver des proches et aider les secours. Et lorsque l’étendue des dégâts et les effets des radiations commencèrent à être connus, les victimes furent abandonnées à leur sort par les autorités dans la confusion de la défaite. Incurie des autorités, abandon des victimes, triomphalisme américain : les éléments constitutifs de la réalité d’après-guerre japonaise sont déjà en place.
DR
Par Maya Todeschini
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Imprimé sur la peau C ette photo de corps brûlé est l’une des rares qui ait été conservée d’un photographe militaire japonais :
SCIENCE PHOTO LIBRARY/COSMOS
les motifs clairs du kimono ont reflété la lumière et protégé la peau de la jeune femme, tandis que les motifs foncés ont brûlé.
Du côté américain, les dirigeants défendirent l’usage de la bombe atomique, qui avait permis de mettre un terme rapide à la guerre tout en préservant la vie des GI. Sans Hiroshima et Nagasaki, l’invasion du Japon aurait été inévitable, causant d’innombrables victimes des deux côtés. Les bombardements étaient donc un mal nécessaire, voire une juste riposte à Pearl Harbor. Certains s’élevèrent contre l’utilisation militaire de l’énergie atomique, qu’ils considérèrent comme immorale. Albert Einstein, par exemple, condamna immédiatement les bombardements atomiques. En 1955, il signa le célèbre « manifeste pour la paix Russell-Einstein », dans lequel il déclara :
« Tel est donc, dans sa terrifiante simplicité, l’implacable dilemme que nous vous soumettons : allonsnous mettre fin à la race humaine, ou l’humanité renoncera-t-elle à la guerre ? » Mais, pour le grand public comme pour les dirigeants, la bombe resta un symbole de la puissance américaine, un garant de la démocratie au Japon, un « outil de paix ». Une enquête menée en 1945 conclut que seuls 5 % des Américains y furent opposés. Pourtant, les militaires et scientifiques qui arrivèrent à Hiroshima aussitôt après constatèrent les dégâts effroyables causés par la bombe. Ils rédigèrent de nombreux rapports, étayés par des photos – des informations
MOT CLÉ
Hibakusha
Les hibakusha (« personnes exposées aux bombes atomiques ») sont les survivants directs, ceux qui se sont rendus sur les lieux pendant les deux semaines suivant les explosions, le personnel sanitaire et les personnes irradiées in utero.
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