Le Sahara. 5000 ans de géopolitique

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ier - mars 2010 DOM/S 7.60 € - TOM/S 980 XPF - BEL 7.60 € - LUX 7.60 € - ALL 7.90 € - ESP 7.60 € - GR 7.60 € - ITA 7.60 € - PORT.CONT 7.60 € - CAN 9.95 $CAN - CH 13.50 FS - MAR 65 DH - TUN 7.5 TND - MAY 9 € ISSN 01822411

Les Collections de L’Histoire - trimestriel janvier 2010 - Les grandes migrations - N°

Les c o ll e c t i o n s

Le sahara

5 000 ans de géopolitique sous-titre de la couverture


MAGAZINE

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du 30 mai au 2 juin 2013

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Historien, vit et travaille à Jérusalem, auteur de Jérusalem 1900. La ville sainte à l’âge des possibles (Armand Colin 2013) Jérusalem n’est pas seulement un champ de bataille. Visiter Jérusalem, c’est retrouver des lieux familiers qui habitent notre imaginaire, mais c’est aussi découvrir une ville inattendue, où se croisent tous les visages, tous les parcours et toutes les histoires du monde.

• Visites privées : École Biblique et Archéologique Française… • Promenade dans la vieille ville : Mur des Lamentations, Église du Saint-Sépulcre, Via Dolorosa, Esplanade des Mosquées • Mémorial de la Shoah, Yad Vashem • Débats sur le passé et le présent de la ville

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de l’Académie Française

Naples vit, sent, respire, bouge autrement que dans le reste de l’Europe. C’est la seule ville qui n’a pas changé depuis cinquante ans. Les habitants ont l’art de transformer la rue en théâtre. On crie, on chante, on rit, on gesticule, on s’aime, on s’engueule, on se quitte en pleine rue, tout se passe en plein air, à l’ombre des vieux palais plus somptueux l’un que l’autre et des églises surchargées de retables dorés, d’anges en lévitation, de saintes pâmées. Délices et délires assurés, avec pour arrière-plan le plus beau paysage du monde.

• Découverte du quartier de Spaccanapoli • Visite du couvent de Santa Chiara et de la Chartreuse de san Martino • Visite du Duomo, des Musées archéologique et de Capodimonte • Excursion à Herculanum • Deux conférences : « La musique à Naples, et surtout les castrats » « Le baroque dans les arts »

❑ Je désire recevoir gratuitement la documentation sur : ❑ JERUSALEM : Valérie valerie@ikhar.com - 01 43 06 73 13 ❑ NAPLES : Nathalie natevrard@korevoyages.com - 01 53 42 12 27 ❑ Mr ❑ Mme Nom : ............................................................Prénom : ..................................................................................................................................................... Adresse : .............................................................................................................................................................................................................................. Code postal : .....................................................Ville : .................................................................................................................................................... Adresse mail : .....................................................................................................................................................................................................................

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L’H

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Sommaire

Les Collections de l’Histoire n° 58 - janvier-mars 2013

Le Sahara 5 000 ans de géopolitique 6 Carte : le plus grand désert du monde

Chapitre 3

8 Il était une fois le Sahara Par Michel Pierre

Explorateurs et conquérants

Chapitre 1

48 René Caillié : l’appel de Tombouctou Par Bernard Nantet 50 Du côté des Anglais Par Charles Granville 52 Le défi de la Société de géographie Par Huguette Meunier

Le Sahara ancien 18 L’âge d’or du Néolithique Par Bernard Nantet 23 Les chars volants du Tassili Par Pascale Binant 24 Une frontière de l’Empire romain Par Maurice Sartre 26 Qu’allait faire Alexandre à Siwa ? Par Pierre Chuvin

Chapitre 2

Le temps de l’islam 30 « L’islam a construit le Sahara » Entretien avec François-Xavier Fauvelle-Aymar 34 7,5 millions d’esclaves Par Olivier Grenouilleau 37 Les routes de l’« or blanc » Par Bernard Nantet 38 Les Almoravides fondent Marrakech Par Pascal Buresi 40 Ibn Batouta, un Candide en Afrique Par Pierre Alexandre 42 Les Touaregs : enquête sur un peuple mythique Entretien avec Paul Pandolfi

54 Une diva au Sahara Par Anne Hugon 56 Le rêve fou de la mer Saharienne Par Pol Trousset et Roland Paskoff 60 Le grand partage colonial Par Jacques Frémeaux 64 Fachoda : le calcul français 66 Charles de Foucauld : le drapeau et la croix Par Michel Pierre 70 Paris-Dakar : le train fantôme Par Monique Lakroum

Chapitre 4

Le Sahara en flammes 76 Le Sahara n’est plus une frontière Par Michel Foucher 78 Carte : revendications et convoitises 82 Crise au Sahara occidental 86 Jusqu’où ira AQMI ? Par Jean-Pierre Filiu 88 Tombouctou face à l’islam radical Par Julien Loiseau 92 Chronologie 94 Lexique 96 A lire, voir et écouter

Abonnez-vous page 85 - Toute l’actualité de l’histoire sur www.histoire.presse.fr Ce numéro comporte deux encarts jetés : L’Histoire (kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse) Les Collections de L’Histoire N°58 5


bernard nantet

L a foi et le commerce

La prospère Chinguetti (Mauritanie) était aussi un lieu de rassemblement des pèlerins allant à La Mecque (ci-dessus, la mosquée). Produit majeur du commerce caravanier : le sel (photo de droite, depuis Taoudenni, au Mali).

« L’islam a co

C’est avec l’islam que le Sahara devient, à partir du

viie siècle, un espace important d’échanges et de

circulation. La religion crée le premier pont entre les deux rives du désert.

Entretien avec François-Xavier Fauvelle-Aymar Historien, archéologue et chercheur associé au Centre Jacques-Berque (Rabat), François-Xavier Fauvelle-Aymar est directeur de recherche CNRS à l’université de Toulouse-II-Le Mirail. Il a publié une Histoire de l’Afrique du Sud (Seuil, 2006) et Le Rhinocéros d’or. Histoires du Moyen Age africain (à paraître chez Alma en février 2013).

30 Les Collections de L’Histoire N°58

L’Histoire : A partir de quel moment peut-on parler d’islamisation du Sahara ? François-Xavier Fauvelle-Aymar : Plutôt que d’islamisation, mieux vaudrait parler de pénétration de groupes islamisés dans le Sahara. Au début de notre ère, vivent encore dans cet espace, de façon diffuse, des agriculteurs issus des vieilles populations néolithiques : des populations noires appartenant à des familles linguistiques d’Afrique subsaharienne, et peut-être d’autres populations apparentées aux Berbères* d’Afrique du Nord. A l’époque romaine, une petite activité commerciale, sans parler des raids et des razzias*, existe entre les plaines de l’Afrique du nord et les palmeraies de


gunther menn/focus/cosmos

nstruit le Sahara » la partie septentrionale du Sahara (cf. Maurice Sartre, p. 24). Mais on ne trouve trace ni d’une population importante ni d’un commerce d’envergure, « transsaharien » au sens propre (d’une rive à l’autre du désert) avant le viiie siècle de notre ère. La meilleure preuve en est fournie par les conquérants arabes eux-mêmes. Vers 660, l’un d’eux tente un raid à partir de l’Égypte et va d’oasis* en oasis en posant chaque fois la même question : « Y a-t-il encore quelqu’un au-delà de vous autres ? » et on lui répond « Oui, par là », « Oui, de ce côté » jusqu’au moment où, parvenu dans l’oasis du Kawar, au nord du Niger actuel, où vit une vieille population qui sera razziée, la réponse devient négative. Le Sud demeure un immense inconnu au bout duquel on imagine des ténèbres infinies. Les sources écrites nous donnent des indices de l’étonnement qui accompagne la découverte de ce nouveau monde. Ainsi Al Yakubi s’émerveillant : « Il paraît qu’il y a des villages de l’autre côté du désert… » En même temps que l’on entre en contact avec l’Afrique noire, c’est le Sahara comme espace conceptuel

qui se dessine. Pour les habitants de l’Afrique du Nord, les zones arides qui fermaient leurs plaines au sud n’étaient qu’une bordure hostile, un obstacle à l’extension de l’économie agricole. Le Sahara n’existe pas en tant qu’espace homogène. Avec la mise en place de relations régulières au travers du désert, et de populations qui en vivent, le Sahara commence à être perçu comme un espace un, continu, délimité, avec une certaine profondeur. La notion se construit, s’invente à mesure qu’on le traverse. Mais cela prend du temps. Même au xve siècle, le nom de Sahara apparaît rarement. Antonio Malfante, un Génois qui habite alors dans le Touat, en Algérie actuelle, ne dit pas Sahara mais « la terre de Gazola », du nom d’un groupe berbère. L’H. : Avant le viiie siècle, il n’y avait donc pas de relations régulières à travers le Sahara ? F.-X. F.-A. : C’est difficile à dire car on dispose de peu d’indices matériels. Les plus anciens sont archéologiques : on a mis au jour, dans les zones du Sahel* qui Les Collections de L’Histoire N°58 31


Un peuple g uerrier Au Hoggar

alaain sèbe

comme au Tassili-n’Ajjer demeure la mémoire des affrontements guerriers entre tribus, des rezzous et des combats contre les envahisseurs.

Des

musiques et des danses

alain sèbe

La fête de la

Sebiba, où l’on se rend dans des costumes somptueux, est célébrée chaque année à Djanet (Algérie) et trouve sa lointaine origine dans les affrontements entre les villages de l’oasis.

42 Les Collections de L’Histoire N°58


Les Touaregs :

enquête sur un peuple mythique Ils seraient aujourd’hui 1,5 million. Mais que sait-on vraiment des Touaregs ? De leur société où les femmes occupent une place centrale ? De leur image si fortement valorisée ? Le point sur ce peuple par excellence du Sahara. Entretien avec Paul Pandolfi Professeur d’ethnologie L’Histoire : Qui sont les Touaregs* ? On a tendance à voir en eux les seuls habitants du Sahara… Paul Pandolfi : Les Touaregs n’en sont pas, loin de là, les seuls habitants. Bien d’autres populations, nomades ou sédentaires, y résident. On pourrait citer par exemple les Peuls, les Maures*, les Chaambas… Il n’en reste pas moins que, dans notre imaginaire, Sahara et Touaregs fonctionnent en couple. Quand nous pensons à cette contrée c’est l’image, l’image stéréotypée, des Touaregs qui est prégnante. Comme la dune de sable, ils sont devenus une véritable métonymie du désert. Émile-Félix Gautier, géographe spécialiste du Sahara, l’énonçait déjà en 1935 : « Le véritable Saharien, l’autochtone enraciné, c’est le nomade*, dans l’espèce le Touareg. » Il est grand temps d’opérer un retour critique sur cette représentation et la manière dont elle s’est construite, et d’envisager la réalité saharienne dans toute sa complexité.

à l’université Montpellier-III, Aussi, en l’absence de recensements directeur de la Maison des « ethniques » (sur quels critères ?), on ne sciences de l’homme de peut que proposer des estimations. Le Montpellier, Paul Pandolfi chiffre de 1,5 million est souvent avancé, est spécialiste des avec une forte concentration au Niger populations sahariennes. (autour de 700 000 personnes) et au Il a notamment publié Mali (de 400 000 à 500 000 personnes). Les Touaregs de l’Ahaggar En Algérie, la population touarègue est (Karthala, 1998) estimée à environ 40 000. et Une correspondance Mais ces chiffres font l’objet d’une saharienne (Karthala, 2006). bataille politique. Ainsi des associations militantes estiment que, réfugiés compris, la population touarègue avoisinerait les 3 millions de personnes.

L’H. : Comment les Touaregs se désignent-ils euxmêmes ? P. P. : Les Touaregs, hors leurs conversations avec des étrangers, ne se désignent jamais comme tels. L’appellation même de « touareg » (ou encore « targui/ L’H. : Combien les Touaregs sont-ils aujourd’hui à targuia ») provient de l’arabe saharien. C’est un terme vivre au Sahara? dérivé de « Targa », toponyme qui désignait la région P. P. : La population touarègue est répartie entre plu- connue de nos jours sous le nom de Fezzan, d’où cersieurs États : le Niger, le Mali, l’Algérie, le Burkina-Faso tains groupes touaregs seraient originaires si l’on en et la Libye. Il faut y ajouter désormais des populations croit notamment Léon l’Africain, au xvie siècle. Pour se désigner eux-mêmes, les Touaregs utiréfugiées dans d’autres pays, notamment en Mauritanie. Ces réfugiés qui, au gré des événements, s’exilent ou lisent le terme imuhagh (singulier amahagh) ou retournent sur leurs terres d’origine sont très difficile- encore, selon les parlers, imajaghen et imushagh. Dans ment chiffrables. ­l’Ahaggar, quand on pose aux intéressés cette question, Les Collections de L’Histoire N°58 43


Le rêve fou de

la mer Saharienne En 1873, le commandant Roudaire imagine de recréer la mer intérieure qui aurait existé dans l’Antiquité. Un mirage qui ne résistera pas à l’épreuve du terrain. Par Pol Trousset et Roland Paskoff

(centre Camille-Jullian d’Aix-en-Provence), Pol Trousset a publié notamment, avec Louis Bergès et Monique Pelletier, Voyages en Méditerranée, de l’Antiquité à nos jours (CTHS, 2008).

Spécialiste de géomorphologie littorale

Roland Paskoff a enseigné la géographie physique à l’université Lumière de Lyon. Il est décédé en 2005. Cet article est la version revue et mise à jour de « L’extravagante aventure de la mer Saharienne », publié dans L’Histoire n° 165, pp. 14-22.

56 Les Collections de L’Histoire N°58

L

e golfe de Gabès sur la côte orientale de la Tunisie (la Petite Syrte des Anciens) et les grandes cuvettes asséchées ou salées (chotts*) du Sahara tuniso-algérien constituent un ensemble géographique original qui n’a cessé d’alimenter mythes et mirages depuis l’Antiquité grecque. Au ve siècle avant notre ère, Hérodote affirme, dans ses Histoires, que Jason et les Argonautes, partis sur la nef Argo conquérir la Toison d’or, se sont échoués dans une baie inconnue des Grecs. Là, le dieu Triton leur apparaît et leur indique un passage pour sortir de ces hauts-fonds. Au ier siècle, l’écrivain latin Pomponius Mela parle d’un marais (« palus Tritonis ») et Ptolémée, quelques décennies plus tard, d’un chapelet de lacs (« Libye », « Pallas », « Tritonitis ») reliés par un cours d’eau qui se jette dans la mer près de « Tacape » (Gabès). Pour eux, ces lacs ou ce marais sont situés « en arrière de la Syrte1 », c’est-à-dire à l’intérieur des terres. Or, à l’intérieur des terres, à quelque 16 kilomètres du fond du golfe de Gabès, apparaît, sur une grande échelle, un élément caractéristique des régions semiarides du bas Sahara algéro-tunisien : les grands chotts, qui s’étendent d’est en ouest, sur plus de 350 kilomètres, jusqu’au pied du massif de l’Aurès et des monts de Nememcha, dans le Sud constantinois. Ces chotts, ou sebkha en arabe, sont improprement représentés sur les atlas comme des lacs aux contours imprécis. En réalité, ce sont des dépressions fermées, dont l’aspect naturel change selon la saison : recouvertes d’une pellicule d’eau variable pendant la saison froide, elles s’assèchent en été et leur surface, tapissée d’efflorescences salines, ressemble alors à une nappe de métal en fusion ou plus poétiquement à « un tapis de camphre et de cristal ».

paris, société de géographie/bnf

Directeur de recherches au CNRS

L’ingénieur inspiré Pour l’officier et géographe

François-Élie Roudaire, la « mer intérieure algérienne » refera de la région un « grenier à blé ». Il est photographié ici en 1878-1879 comme chef de la mission française en Tunisie.


dech/scope-image

Des étendues d’ eau salée Bien connus dès l’Antiquité, les chotts ont De tout temps, les chotts ont déconcerté les voyageurs : les géographes arabes (Al Bakri au xie siècle, alTijani au xive) insistent sur les dangers de leur traversée, surtout celle du chott el-Jérid, la « Grande Sebkha » ou sebkha el-Takmart (« passage difficile »). Dans leurs descriptions, il n’est question que de caravanes* englouties sur lesquelles se referment sournoisement des gouffres bourbeux, pour peu que les armées, les marchands ou les pèlerins s’écartent des repères en troncs de palmiers balisant les rares passages à travers ces fondrières. Et Charles Tissot, alors vice-consul à Tunis, a donné une narration pittoresque de sa traversée du chott el-Jérid, le 16 mars 1857.

longtemps été confondus avec des lacs asséchés, voire le fond d’un ancien golfe marin. D’où le projet fou de les remplir à nouveau pour y recréer la mer disparue. Ici le chott el-Jérid, en Tunisie.

ouverte sur la mer ; au temps de Mela, le passage avait disparu ; à celui de Ptolémée, les eaux avaient continué à baisser par évaporation. Enfin, une barre sableuse charriée par la mer avait fermé la communication entre ces lacs et le golfe de Gabès. Ce schéma, repris par le grand explorateur saharien Henri Duveyrier et par Charles Tissot, reçut la caution des sciences de la nature. Quand, vers le milieu du xixe siècle, les colonnes militaires françaises débouchent dans le Sahara algérien par le sud de l’Aurès, géologues Le lac Triton des Anciens (Antoine Virlet d’Aoust) et hydrologues (Ludovic Ville) Une filiation s’était établie depuis longtemps dans sont persuadés que le chott Melrhir et le bas Sahara sont les esprits entre cet hypothétique lac souterrain et le situés en dessous du niveau de la mer et représentent lac Triton des Anciens. Les premiers voyageurs euro- le reste de la baie du Triton des Anciens. De là l’idée péens dans la région avaient fait l’amalgame entre les grandiose, développée d’abord par deux journalistes, indications de Ptolémée et celles des auteurs arabes : Charles Martins de La Revue des deux mondes et Georges pour Ximénès, moine espagnol établi à Tunis au début Lavigne de La Revue moderne, qu’il suffirait de percer du xviiie siècle, les chotts du sud de la régence de Tunis l’isthme de Gabès pour créer une « mer Saharienne ». Mais le véritable inventeur de l’idée de mer sont bien les lacs mentionnés par Ptolémée. Certains savants pensèrent même que ces chotts Saharienne est le commandant Roudaire. Né à Guéret étaient le fond d’un ancien golfe marin, coupé de la en 1836, encouragé par un père ingénieur topograMéditerranée par suite d’une modification de la confi- phe, François-Élie Roudaire fait Saint-Cyr et entre au guration du littoral survenue entre l’époque grecque et Service géodésique de l’armée. Blessé à Reichshoffen l’époque romaine. Le major anglais James Rennell, le en 1870, il se voit confier en 1872-1873 la triangulapremier, développe cette idée dans The Geographical tion et le nivellement de la méridienne de Biskra2. Ce System of Herodotus, publié en 1800. Du rapprochement travail lui permet d’affirmer que le chott Melrhir se des témoignages anciens, il tirait la conclusion que, à trouve à 27 mètres au-dessous du niveau de la mer et l’époque d’Hérodote, la baie du Triton était largement que le bassin des chotts communiquait autrefois avec Les Collections de L’Histoire N°58 57


bruno barbey/magnum

Le Sahara n’est plus u L’immense désert saharien est aujourd’hui au cœur d’enjeux internationaux. Rendu attractif par la richesse de son sol, il traverse aussi une période trouble : terrorisme, conflits frontaliers, trafics … Par Michel Foucher Géographe et diplomate, directeur des études à l’Institut des hautes études de défense nationale, Michel Foucher a récemment publié La Bataille des cartes. Analyse critique des visions du monde (François Bourin, 2010 et 2011, version électronique bilingue et interactive sur iPad, 2012).

76 Les Collections de L’Histoire N°58

L

e Sahara est à nouveau le théâtre d’enjeux géopolitiques qui le dépassent. Son immense superficie, son climat aride, sa topographie contrastée, la faiblesse de son peuplement ainsi que l’éloignement ou la rivalité de ses centres de pouvoir semblent être autant d’obstacles à l’exercice d’un contrôle efficace de ces vastes territoires par les huit


pierre verdy/afp

ne frontière

« M arche verte » et nucléaire

La crise au Sahara occidental dure depuis 35 ans. En novembre 1975, 350 000 civils marocains pénètrent dans le territoire pour y affirmer son appartenance marocaine (à gauche). A droite : Arlit, la plus grande mine d’uranium au Niger, est exploitée par la compagnie Areva.

États (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Mauritanie, Mali, montagneux. Le reste est couvert d’ergs*, des mers Niger, Tchad) qui ont hérité de ce désert au jour de leur de sable et de dunes, qui sont difficilement accessibles. Restent les chaînes de montagnes volcaniques, indépendance. comme l’Adrar des Ifoghas du Mali, le Hoggar et le Tassili-n’Ajjer d’Algérie, l’Aïr du Niger et le Tibesti du Une nature hostile, Tchad. Elles peuvent canaliser les eaux de pluie qui un espace de passage « Le paysage saharien semble menacer jusqu’aux for- servent pour les pâturages de piémont et engendrent mes de vie les plus transitoires. Il est vaste – la taille des de rares points d’eau. États-Unis ou deux fois celle de l’Europe de l’Ouest – et sa Il ne tombe au Sahara qu’environ 25 mm de pluie par géographie et son climat font de lui un des endroits les an au centre et 100 à 200 mm sur les marges. Une tenplus hostiles de la terre. Seuls les gens les plus déterminés dance climatique repousse les zones désertiques vers ou les plus désespérés se risqueraient à vivre dans un tel le sud, c’est-à-dire vers le Sahel*, le « rivage du désert ». Notes environnement », note le spécialiste des sociétés pasto- Le fleuve Niger est d’ailleurs la limite ultime du Sahara, * Cf. lexique, rales nomades Jeremy Swift1. entre Tombouctou et Gao. Trop souvent, le Sahel, cette p. 94. Cf. E. Bernus, Presque la moitié du Sahara est constituée de regs*, zone climatique bénéficiant, en moyenne, de 200 à 600 1. J.-M. Durou un désert de plaines de graviers, comme le Tanezrouft mm de précipitations, est confondue avec le Sahara. Or, (dir.), Touaregs, un peuple du algérien et malien, le Ténéré nigérien ou le Serir libyen. nous y reviendrons, il y a actuellement des crises géo- désert, Robert Ces zones sont impropres à toute vie, sauf dans les îlots politiques non seulement dans la partie saharienne >>> Laffont, 1996. Les Collections de L’Histoire N°58 77


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