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c o ll e c t i o n s
Dix années qui ont changé le monde
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Sommaire
Les Collections de l’Histoire n° 60 - juillet-septembre 2013
Dix années qui ont changé le monde
La Révolution française 4 Chronologie
Chapitre 3
Chapitre 1
De la guerre à la Terreur
La dernière révolution du xviiie siècle 8 Une exception française ? Entretien avec Annie Jourdan L’éclairage : la violence made in France Par Jean-Clément Martin
54 Doit-on réhabiliter Robespierre ? Par Patrice Gueniffey Débat : Robespierre fut-il le maître d’œuvre de la Terreur ? Par Guillaume Mazeau et Patrice Gueniffey
14 A-t-elle commencé dans les colonies ? Par Manuel Covo
62 Massacres de Septembre : qui est responsable ? Par Mona Ozouf
20 D’où viennent les Droits de l’homme ? Par Philippe Joutard
66 Fallait-il tuer le roi ? Par Antoine de Baecque
22 Pourquoi les Anglais ont-ils eu si peur ? Par Pierre Serna
70 La Vendée était-elle une vraie menace ? Par Valérie Sottocasa L’éclairage : écorcher l’ennemi Par Jean-Clément Martin L’éclairage : Lyon bombardé
Chapitre 2
Le peuple contre les élites 28 Le roi était-il révolutionnaire ? Par Jean-Clément Martin L’éclairage : des réformes audacieuses 32 A-t-elle inventé le peuple ? Entretien avec Bronislaw Baczko L’éclairage : une révolte venue de loin Par Jean Nicolas
76 La République a-t-elle voulu la guerre ? Par Virginie Martin Débat : Brissot versus Robespierre
Chapitre 4
Promesses et héritages 82 Une catastrophe économique ? Par Denis Woronoff
42 A-t-elle fait régresser la cause des femmes ? Par Mona Ozouf
84 Est-elle vraiment terminée ? Par Quentin Deluermoz
46 Qu’a-t-elle fait pour les pauvres ? Par Guillaume Mazeau L’éclairage : « l’opulence est une infamie »
90 Qu’a-t-elle légué au monde ? Par Annie Jourdan, Haïm Burstin, David Bell et Lynn Hunt
50 Faut-il brûler l’Abbé Grégoire ? Par Rita Hermon-Belot
94 Lexique 96 A lire, voir et écouter
Abonnez-vous page 89 - Toute l’actualité de l’histoire sur histoire.presse.fr Ce numéro comporte trois encarts jetés : L’Histoire (deux encarts kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse). 6 Les Collections de L’Histoire N°60
1. du XVIII siècle
La dernière révolution e
Le pouvoir menacé
vizille, musée de la révolution française ; de agostini/leemage
Au siècle des Lumières, les idées circulent. Des revendications semblables se retrouvent dans de nombreux pays (drapeau français de 1793).
Dans les années 1770, l’Europe et l’Amérique sont traversées par les mêmes aspirations. Dans les colonies, aux Caraïbes, en Hollande et en France, elles aboutissent à une remise en cause radicale de la société.
Questions sur la Révolution française
Une exception
française ?
Les Français sont si fiers de 1789 qu’ils en oublient parfois d’illustres précédents, telles la révolution américaine des années 1770 ou celle de la Hollande qu’admirait tant Mirabeau. Comme si l’esprit révolutionnaire était né en France. Entretien avec A nnie Jourdan Professeur associé à l’université d’Amsterdam
et spécialiste de la Révolution et du Premier Empire, Annie Jourdan a notamment publié La Révolution, une exception française ? (Flammarion, 2004) et La Révolution batave entre la France et l’Amérique (Presses universitaires de Rennes, 2008). Cet article est la version revue et mise à jour de « Il n’y a pas d’exception française », Les Collections de L’Histoire n° 25, pp. 88-91.
Notes * Cf. lexique, p. 94. 1. Cette universalité est, certes, prise en défaut puisqu’elle exclut les Noirs et les femmes. Mais l’universalité française l’est tout autant, puisque les femmes en sont exclues.
L’Histoire : On a longtemps considéré la Révolution française comme un événement unique et universel, fondateur de l’Europe moderne. Vous avez travaillé à la remettre en perspective dans le contexte de l’ébullition révolutionnaire du xviiie siècle. Et à redonner leur place aux « autres révolutions ». Annie Jourdan : Oui, et, en particulier, à la révolution américaine qui ne saurait être réduite à un phénomène secondaire ou à une simple restauration des anciennes « libertés saxonnes ». En vérité, la révolution américaine présente deux faces ; d’abord guerre d’indépendance contre l’Angleterre, gagnée en 1783, puis véritable révolution politique qui met en place des institutions nouvelles. Dès 1776, les États-Unis sont les premiers au monde à proclamer des droits de l’homme et du citoyen d’une portée universelle1 (cf. p. 20). Ce sont les États-Unis qui inventent à partir de 1787 la démocratie représentative, avec une grande République fondée sur une Constitution fédérale et un pouvoir judiciaire indépendant. La revendication d’égalité sociale y est aussi présente. Les révoltes des fermiers américains sont comparables aux mouvements populaires des sans-culottes* même si ceux-ci étaient urbains et parisiens. Dans le Massachusetts, notamment, les fermiers protestent contre le système fiscal, veulent faire « œuvre régulatrice », c’est-à-dire égaliser les richesses et instaurer la loi agraire. Pour tenter d’apaiser les mécontents, les États américains ont d’ailleurs élargi le suffrage, et baissé les impôts. Avant la France, les États-Unis ont aussi tenté d’exporter leur révolution : en essayant, mais en vain, d’envahir le Canada en 1775 et en 1812. L’universalisme et le messianisme*, qu’ils soient américains ou français, se
8 Les Collections de L’Histoire N°60
À savoir
La vague atlantique
Dans Les Révolutions, 1770-1799, publié en 1963 (PUF), Jacques Godechot appelle « Révolution atlantique » le « gigantesque effort des habitants de l’hémisphère occidental pour hâter la libération de l’homme ». Dès 1955, il a démontré, avec l’Américain Robert Palmer, que la Révolution française ne fut pas un phénomène isolé, mais l’épisode central de la lutte entre l’aristocratie et la démocratie qui a bouleversé l’Occident de 1770 à 1850. On est alors en pleine guerre froide et la thèse suscite de vives critiques. On lui a notamment reproché de justifier le leadership de l’Amérique. La majorité des historiens admet aujourd’hui que la Révolution doit être replacée dans son environnement international. En revanche, le débat porte sur la définition de ce cadre : s’agit-il d’un phénomène atlantique, colonial, européen ou « global » ?
Le précédent américain
granger collection/rue des archives
Le 25 novembre 1783, après l’évacuation de New York par les troupes britanniques, le drapeau américain est hissé sur le port (gravure du xixe siècle). Quatre ans plus tard, les États-Unis se dotent d’une Constitution.
Les Collections de L’Histoire N°60 9
Questions sur la Révolution française
A-t-elle fait régresser la cause
des femmes ?
Malgré la proclamation de l’universalité des droits de l’homme, les femmes ont été exclues de la vie politique. C’est pourtant de la Révolution que date leur émancipation. Par Mona Ozouf
Mona Ozouf a publié de nombreuses études sur la Révolution française. Son dernier ouvrage La Cause des livres vient d’être réédité en poche (Gallimard, rééd. « Folio », 2013).
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D
eux grands philosophes, l’un français, l’autre écossais, ont échangé par-dessus la Manche la vision qu’ils avaient du pays de l’autre. Et tous deux se sont accordés à voir dans la situation faite aux femmes le trait majeur qui donne à chacune de leurs nations sa physionomie particulière. Pour Montesquieu, dans une Angleterre où la monarchie dissimule une quasi-république de fait, les hommes, appelés à participer aux affaires de l’État, sont affranchis de la sociabilité mondaine : de là, une séparation des sexes, et, pour les femmes, une vie confinée à l’espace domestique. Pour Hume, en revanche, dans une France qui est l’archétype de la monarchie absolue, les hommes, libérés des activités politiques, peuvent se consacrer aux femmes : de là, une société mêlée, où les femmes ont la haute main sur les loisirs et les plaisirs, dont celui de la conversation, et trouvent à employer leurs talents, voire à exercer leur influence occulte, en faisant et défaisant les ministères. C’est ce lien privilégié des femmes avec l’Ancien Régime, devenu un lieu commun de la pensée politique, qui se retourne contre elles pendant la Révolution française. La mixité sociale devient le signe de la corruption des mœurs dans la société aristocratique. « Après le temps des catins , dit lapidairement le prince de Ligne, voici le temps des Catons. » Et ceux-ci n’ont pas de mots assez durs pour fustiger l’intrigue, l’entregent, la séduction,
bridgeman-giraudon
Historienne et philosophe, directeur de recherche au CNRS,
Olympe de Gouges
Célèbre pour sa Déclaration des droits de la femme de 1791, cette pionnière du féminisme français est guillotinée en 1793 avec pour seule épitaphe : « Elle avait oublié les vertus propres à son sexe. » Aquatinte de 1784 (Paris, musée Carnavalet).
musée carnavalet/roger-viollet
Mieux que le code civil En 1792, la Constituante fait du mariage
un contrat civil et accorde le divorce aux hommes et aux femmes. Son
les manœuvres du lit, ce qu’Olympe de Gouges nomme succès est prodigieux, mais n’est pas sans rencontrer quelques critiques : « l’administration nocturne de femmes » . sur cette gouache de Lesueur, un juge tente de persuader les jeunes époux Ce retournement sonne l’heure de la régression, de renoncer à divorcer pour le bien de leur enfant. voire de la répression1. La Révolution ? Une grande défaite historique des femmes, a-t-on dit et répété au moment du bicentenaire. eu d’enfants pendant les sept premières années de leur union seront autoritairement séparés par la loi2. Un monde d’hommes Le signe emblématique de cette misogynie révoluDe cette défaite, on pourrait en effet multiplier les tionnaire est la fermeture des clubs* de femmes par les signes et les raisons. Parmi les signes, chacun garde en Jacobins* en octobre 1793. Les débuts de la Révolution mémoire les scènes spectaculaires dont ont été victimes avaient vu fleurir en nombre, sous le nom de « dames les héroïnes révolutionnaires : Théroigne de Méricourt, citoyennes » ou d’« amazones nationales », des sociétés fouettée publiquement comme brissotine* (partisan qui étaient à la fois des ouvroirs, des clubs de lecture où de Brissot) en mai 1793, puis internée, et qui meurt on commentait et récitait les droits de l’homme, et où misérablement à la Salpêtrière ; Olympe de Gouges, qui on fera plus tard de la charpie pour les bataillons. Notes avait brillamment plaidé pour les droits de la femme, Le plus bel exemple est celui de la « Société des répu- * Cf. lexique, incarcérée, guillotinée avec pour seule épitaphe – elle blicaines révolutionnaires », société où seules les fem- p. 94. Voir, par servira aussi pour madame Roland : « Elle avait oublié mes étaient admises. Or les Jacobins ne veulent, avec 1. exemple, J. Solé, les vertus propres à son sexe. » Fabre d’Églantine, voir dans ces militantes que « des La Révolution questions , On peut encore collectionner les innombrables aventurières, des chevalières errantes, des filles émanci- en Seuil, 1988. 3 déclarations misogynes signées Mirabeau, Talleyrand, pées, des grenadiers femelles » . Et le coup de grâce leur 2. Saint-Just, Robespierre : tous plaident que « la vie intérieure » , c’est- est porté par Amar au nom du Comité* de Sûreté géné- Fragments sur les Institutions à-dire le foyer, est la véritable « destination des femmes » rale, dans un rapport du 9 brumaire an II (30 octobre républicaines , et condamnent celles qui voudraient s’en échapper. 1793), qui pose la question dans son ensemble : les Fayolle, 1800. Quant à Saint-Just, il assimile purement et simplement femmes ont-elles la force morale et physique d’exer- 3. Le 8 brumaire les femmes à la maternité. Les « Institutions républicai- cer des droits politiques ? C’est pour prononcer une de l’an II à la Convention. nes » qu’il annonce stipulent que les époux qui n’ont pas exclusion sans appel. Les Collections de L’Histoire N°60 43
versailles, maximilien de robespierre en habit de député du tiers état, copie de pierre roch vigneron d’après un pastel d’adélaide labille-guiard ; rmn-gp/gérard blot
Un avocat de province Quand il arrive à Versailles en 1789 pour siéger aux États généraux, Robespierre est un avocat modeste, installé à Arras, qui s’honore de défendre les pauvres contre les riches, écrit des vers, dont une ode sur l’art de cracher, et rédige des lettres d’amour à la JeanJacques Rousseau. La Révolution lui offre un nouveau départ. 54 Les Collections de L’Histoire N°60
Questions sur la Révolution française
Doit-on réhabiliter R obespierre ? Maître d’œuvre de la Terreur et premier tyran de l’ère moderne pour les uns, héros maltraité par une légende noire pour les autres, l’Incorruptible continue de diviser. Qui fut vraiment Robespierre ? Par Patrice Gueniffey
L
orsque l’Assemblée constituante se sépara le 30 septembre 1791, la foule massée à la sortie n’eut d’yeux que pour deux députés : l’« Incorruptible » Robespierre et le « vertueux » Pétion. Eux seuls, disaitelle, avaient su terminer leur carrière comme ils l’avaient commencée : sans compromission. La Constituante avait décidé, du reste à l’instigation de Robespierre, que ses membres, qui se séparaient ce jourlà, ne pourraient siéger à l’Assemblée législative appelée à lui succéder. Le député d’Arras abandonna donc toute fonction officielle, sans pour autant rentrer dans l’obscurité de la vie privée, puisqu’il régnait déjà sur l’opinion. On a souvent cherché le secret de ce magistère dans le caractère de l’homme. De la disparition de sa mère en 1764 (il venait d’avoir 6 ans), de celle de son père parti courir l’aventure sur les routes d’Europe, d’une enfance passée dans la pieuse famille de ses grands-parents maternels, des années de réclusion au collège parisien Louis-le-Grand, on a déduit la solitude, la mélancolie, la sévérité... Ce sont pourtant là des conjectures incapables de marquer de l’empreinte du destin le cours d’une vie que la Révolution bouleversa. à l’écoute du peuple Revenu à Arras après la fin de ses études, en 1781, pour exercer le métier d’avocat et s’occuper de sa sœur Charlotte et de son jeune frère Augustin, Robespierre mène la vie paisible d’un bourgeois provincial. Dans cette existence réglée, si lisse, peu de place, aucune peut-être, pour les affaires de cœur. Les femmes pourtant l’entourent, à commencer par Charlotte, possessive et jalouse, et leur soutien comptera dans son ascension politique. Mais chez ce parfait spécimen de la bourgeoisie de son temps, on décèle un fond peu commun d’intransigeance et de vertu austère. Une affaire le montre, qui devait avoir
Directeur d’études à l’EHESS, Patrice Gueniffey a publié les plus grandes conséquences sur la vie La Politique de la Terreur. de Robespierre. Au départ, une cause Essai sur la violence judiciaire banale : il devait défendre un révolutionnaire, 1789-1794 ouvrier accusé de vol par un moine sou- (rééd. Gallimard, 2003) et cieux de couvrir ses propres prévarications. Histoires de la Révolution Il obtint vite gain de cause pour son client et de l’Empire (Perrin, mais, refusant d’en rester là, il réclama des « Tempus », 2013). dommages, rédigeant pour l’occasion un Cet article est la version mémoire dans lequel il dénonçait les inérevue et mise à jour galités devant la loi et fustigeait les mœurs d’« Itinéraire d’un tyran », douteuses du religieux. L’Histoire n° 177, pp. 36-47. Ses confrères du barreau dénoncèrent un « libelle infâme » que Robespierre, contrairement aux usages, avait fait imprimer avant même que le tribunal n’eût rendu sa décision. Nouvelles protestations des avocats d’Arras ; Robespierre crie à la persécution. Les conflits s’enchaînent, il se sépare de tous ceux qui pourraient l’aider dans son métier comme en politique : il s’éloigne de l’Académie, affronte le haut clergé et les notables de la ville, tous ses amis ou ses protecteurs hier encore. Mis à l’Index, il peut bientôt en ressentir les conséquences : en 1788, il plaide le même nombre de causes qu’à ses débuts en 1782, alors que ses confrères ont doublé voire triplé leur clientèle. Mais Robespierre fait de son isolement une force : l’évêché ne lui pardonne pas ses accusations, les curés deviennent ses propagandistes ; l’élite du tiers état le rejette, la corporation la plus pauvre d’Arras, celle des savetiers mineurs, le choisit pour la représenter dans les élections. La campagne électorale de 1789 fut rude. Il fallut tout le zèle du cercle familial et des amis curés, pour qu’il obtînt aux États généraux le siège de député que ses ennemis ne souhaitaient nullement le voir occuper. Note Le plus frappant est l’intuition très sûre qu’il eut, * Cf. lexique, dès le début, de la puissance irrésistible du torrent p. 94. Les Collections de L’Histoire N°60 55
lylho/leemage
Expier le sacrifice
selva/leemage
Dès l’exécution de Louis XVI, certains spectateurs tentent de récupérer son sang sur des linges. Sous la Restauration, en 1815, ses ossements, portés sur un char funèbre, sont déposés à Saint-Denis (ci-dessous, gravure de 1827). Une chapelle expiatoire est dressée sur l’ancien cimetière de la Madeleine.
66 Les Collections de L’Histoire N°60
Questions sur la Révolution française
Fallait-il tuer le roi ? Sa mort a fait de lui une victime expiatoire. Beaucoup ne pardonneront pas à la République le sacrifice de Louis XVI. Pas sûr pour autant que cet acte constitue, comme le pensait Kant, l’inauguration de la Terreur. Par A ntoine de Baecque
L
e procès du roi débute le mardi 11 décembre 1792, à 3 heures de l’après-midi. Louis XVI, qui a quitté la prison du Temple pour se rendre à la salle du Manège où siège la Convention*, est debout à la barre lorsque Barère, le président de la nouvelle Assemblée nationale, s’adresse à lui : « Louis, la nation française vous accuse. Vous allez entendre la lecture de l’acte énonciatif des faits. Louis, asseyez-vous. » C’est alors, au moment où le roi s’assoit sur une « humble chaise », que le rituel de sa disparition se met en place. Cette disparition est l’exacte réponse à la théorie monarchique de l’inviolabilité sacrée du corps du roi, théorie à laquelle fait allusion le principal défenseur du souverain, l’avocat de Sèze, dans le texte de sa plaidoirie : « Dans nos idées actuelles d’égalité, nous ne voulons voir dans un roi qu’un individu ordinaire, mais un roi n’est point un individu, c’est un être privilégié, un être moral et un corps sacré, un tout à qui une nation compose elle-même pour son propre bonheur une existence toute différente de la sienne. » La théorie des Montagnards*, prônant l’exécution immédiate, va pour sa part prendre appui sur cette même exception de la personne du roi, qu’elle transforme alors en une monstruosité. Puisque Louis est un « corps hors la nation » , la République ne peut s’instaurer qu’en l’anéantissant : il existe une incompatibilité entre le roi et le peuple, le principe d’exception et le principe d’égalité. Le 3 décembre, Robespierre avance l’argument avec une imparable logique : « Louis fut roi, et la République est fondée. […] La victoire et le peuple ont décidé que lui seul était rebelle : Louis ne peut donc être jugé ; il est déjà condamné, ou la République n’est point absoute. Louis doit mourir parce qu’il faut que la patrie vive. »
Professeur à ParisOuest-Nanterre, Antoine de Baecque a notamment publié La Gloire et l’Effroi. Sept morts sous la Terreur (Grasset, 1997) et La France de la Révolution. Dictionnaire de curiosités (Tallandier, 2011). Cet article est la version revue et mise à jour de « Le dernier jour de Louis XVI », L’Histoire n° 184, pp. 116-120.
Les Montagnards appellent donc la Convention à organiser un sacrifice fondateur : Louis doit mourir pour que s’établisse l’égalité entre les citoyens, principe premier de la République nouvelle, du peuple régénéré. Cette logique, après un mois et demi de débats houleux et serrés, emporte finalement la décision de la Convention. Le vote ultime, public et par appel nominal, débute le 15 janvier 1793. Trente-six heures plus tard, le député du Gard Voulland apporte à la cause de la mort immédiate sa 361e voix, décisive, celle de la majorité absolue. En sacrifiant ainsi Louis XVI, la République immole le sacré dont le corps du roi était encore investi. Ce supplice ne peut pas être mieux figuré qu’à travers la rencontre entre le roi et la guillotine, la nouvelle machine de l’égalité républicaine. C’est une négation irréfutable de l’exception royale : la « simple mécanique » peut trancher sa tête. La guillotine qui tranche la tête de Louis XVI est la même que celle qui a déjà servi depuis août 1792, et servira plus encore après. L’échafaud a simplement été transféré vers la place de la Révolution, entre le piédestal de l’ancienne statue de Louis XV et le commencement des Champs-Élysées, pour offrir à la cérémonie tout l’espace et la solennité qu’elle requiert. Sanson, le bourreau Le dimanche 20 janvier, à 2 heures de l’après-midi, une délégation du conseil exécutif de la Commune* de Paris vient lire à Louis XVI la sentence et lui faire connaître les « dispositions cérémonielles » du supplice. Le roi, qui ne se départira plus désormais d’un calme imposant,
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