Le Vietnam depuis 2000 ans

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ier - mars 2010 DOM/S 7.60 € - TOM/S 980 XPF - BEL 7.60 € - LUX 7.60 € - ALL 7.90 € - ESP 7.60 € - GR 7.60 € - ITA 7.60 € - PORT.CONT 7.60 € - CAN 9.95 $CAN - CH 13.50 FS - MAR 65 DH - TUN 7.5 TND - MAY 9 € ISSN 01822411

Les Collections de L’Histoire - trimestriel janvier 2010 - Les grandes migrations - N°

L e s c o ll e c t i o n s L e s c o ll e c t i o n s

Le Vietnam

depuis 2 000 ans sous-titre de la couverture


Sommaire

Les Collections de l’Histoire n°62 - janvier-mars 2014

Le Vietnam depuis 2 000 ans 4 Chronologie

Chapitre 1

Chapitre 3

Des cent tribus à l’empire

Un pays né de la guerre

8 Le pays des Viêts du Sud Par Philippe Papin

48 La guerre de trente ans Par Pierre Grosser 61 La guerre chimique

18 Chams, Khmers, Hrê… la mosaïque ethnique Par Andrew Hardy 22 Les mandarins sont-ils modernes ? Par Emmanuel Poisson

Chapitre 2

L’Indochine ou le temps des Français 26 Le cœur actif de l’Indochine Par Pierre Brocheux 33 Congaïs et métis Par Dominique Rolland

34 Le relais colonial des Français Par Christopher Goscha

36 Bao Dai, monarque colonial Par Christopher Goscha 40 Saigon, le « Paris de l’Asie » Par Michel Hoàng 44 Les héritiers de Yersin Par Annick Guénel et Anne Marie Moulin

Par Pierre Journoud

62 Dien Bien Phu, l’incroyable victoire Par Hugues Tertrais 66 Derrière Ho Chi Minh Le Duan l’apparatchik Par Pierre Asselin 70 Diem a-t-il collaboré avec les Américains ? Par Christopher Goscha

72 Saigon 1975 : la mise au pas Par François Guillemot

Chapitre 4

Une puissance émergente 76 Le Vietnam est-il un pays communiste ? Entretien avec Benoît de Tréglodé 82 Un siècle de diaspora Par Dominique Rolland 84 L’émergence d’une puissance régionale Par Pierre Journoud 94 Lexique 96 A lire, voir et écouter

Abonnez-vous page 91 - Toute l’actualité de l’histoire sur histoire.presse.fr Ce numéro comporte deux encarts jetés : L’Histoire (kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse) 6 Les Collections de L’Histoire N°62


1. Mandarin annamite

rue des archives/tallandier

Dévouée mais non servile, l’administration allie valeurs confucéennes et modernité (gravure du xixe siècle).

Des cent tribus à l’empire Le premier royaume vietnamien est fondé au iiie siècle avant notre ère, par un prince chinois. Toute l’histoire du pays portera la marque du puissant voisin. Ce qui n’empêche pas une indéniable originalité.


Le pays des Viêts L’histoire du Vietnam commence avec celle de l’Empire chinois, il y a 2 300 ans. Au xie siècle, le pays, devenu indépendant, poursuit sa conquête vers le Sud. Par Philippe Papin

Philippe Papin est directeur d’études à l’École pratique des hautes études. Il a notamment publié Vietnam, parcours d’une nation (Belin, 2003) et Histoire des territoires de Hanoi. Quartiers, villages et sociétés urbaines du xixe au début du xxe siècle (Les Indes savantes, 2013).

L

es débuts de l’histoire avérée du Vietnam concordent avec la formation de l’Empire chinois. Quand celui-ci commence de s’étendre, au iiie siècle avant notre ère, il repousse au-delà de ses frontières des potentats et des populations qui, au sein d’un grand Sud aux contours encore flous, viennent se mêler aux peuples autochtones. C’est ainsi un prince chinois réfugié qui fonde le premier royaume vietnamien connu, celui d’Au-Lac. « Passer audelà, franchir » : c’est le sens littéral du mot viêt qui désigne alors l’ensemble des peuples, d’ethnies très diverses, vivant dans l’extrême Sud « de l’empire ».

8 Les Collections de L’Histoire N°62

En 221 avant notre ère, après dix ans de conquêtes territoriales, Qin Shihuangdi, le « premier empereur », unifie la Chine et divise en trois commanderies les terres situées au sud du bassin du Yangzi. Mais à sa mort, en 210, le commandeur de Canton envahit ses voisins et, deux ans plus tard, s’empare d’Au-Lac. Se déclarant souverain indépendant, il donne à ses possessions le nom de Nanyue (Nam Viêt : le « Pays des Viêts du Sud »). Son fils et successeur atteint le col des Nuages, absorbant donc un tiers du Vietnam d’aujourd’hui. C’est dans ce cadre, à cheval sur l’actuelle frontière sino-vietnamienne, que se nouent les premiers liens entre les autochtones et l’administration sinisée. L’aventure s’achève un siècle

stéphane piera/musée cernuschi/roger-viollet

Spécialiste du Vietnam ancien,


bnf

du Sud

La source du Vietnam Tout commence près du fleuve Rouge, que

l’on appelle aussi « rivière originelle ». Ses 1 100 kilomètres se déroulent du Yunnan au golfe du Tonkin. C’est le berceau du « Pays des Viêts du Sud » (carte vietnamienne, 1885, BNF).

À savoir

Les cent tribus viêts

A mesure de sa progression vers le sud, l’administration chinoise a intégré des groupes de populations indigènes auxquels, conformément à son usage, elle a donné un nom générique qui suggère une direction géographique en même temps qu’une nuance de « barbarie », dans le sens impérial du terme. Ce sont les Viêts, « ceux de l’au-delà ». Mais, hormis parfois leurs anciens noms restés accolés à la dénomination générique – Âu-Viêt, Man-Viêt, etc. –, nous ne savons rien de ces « cent tribus viêts » (bach Viêt) qui vivaient dans l’actuel sud de la Chine et nord du Vietnam.

plus tard lorsque l’Empire chinois, sous la férule des Han, envahit le « Pays des Viêts du Sud » afin d’accéder à la plaine du fleuve Rouge qui constitue – dès cette époque et pour longtemps – une plateforme d’accès aux routes commerciales terrestres et maritimes vers l’Inde et l’Insulinde. En 111 av. J.-C., le Nanyue disparaît. Il devient un « gouvernement de Jiaozhi ».

Un art sinisé O iseau de

bronze (à gauche, musée Cernuschi) et verseuse en céramique en forme d’éléphant (à droite), ier-ive siècle, influence han.

peter horree/alamy

mille ans de tutelle chinoise La tutelle est rude, d’abord. La Chine impose ses coutumes, ses institutions. A plusieurs reprises, ses troupes répriment les révoltes de l’aristocratie locale, comme celles des deux sœurs Trung en 34 ou de Triêu Âu, dite la « dame Triêu », en 248 ; ces figures féminines de la résistance, ces « Jeanne d’Arc vietnamiennes » deviendront des héroïnes de la nation. Puis, progressivement, le contrôle s’assouplit. Des autochtones ont trouvé leur place au sein de l’armée et de l’administration et deviennent les relais de l’autorité chinoise. Ils accèdent à des postes de plus en plus importants – commandants, préfets et même, en fin de période, gouverneurs –, épousent des femmes chinoises, adoptent les pratiques et croyances du conquérant. Des inscriptions prouvent que Chinois et Vietnamiens, encore identifiables par leurs noms, participent ensemble à des associations bouddhistes. Dans des tombeaux >>>

Les Collections de L’Histoire N°62 9


Conqué­ rir le pays…

archives charmet/bridgeman-giraudon

En juin 1884, les troupes françaises débarquent dans la baie d’Haiphong (lithographie vietnamienne, xixe siècle).

Le cœur actif de Enseignantchercheur retraité, Pierre Brocheux est l’un des meilleurs spécialistes français de l’histoire de l’Indochine. Il a notamment publié avec Daniel Hémery Indochine française, la colonisation ambiguë (La Découverte, 1995 et 2000) et Histoire du Vietnam contemporain. La nation résiliente (Fayard, 2011). Cet article est la version revue et mise à jour de « Un siècle de colonisation », L’Histoire n° 203, pp. 26-33. 26 Les Collections de L’Histoire N°62

Pendant près d’un siècle l’ancien empire du Vietnam est le cœur économique de l’Indochine coloniale. Les Français y investissent massivement pour moderniser la société et la culture. Mais le malentendu se creuse avec les élites locales. Par Pierre Brocheux

L

’espace d’un siècle ou presque, de la conquête des années 1860 aux accords de Genève en 1954, les Français ont regroupé sous le nom « Indochine » des peuples et civilisations différents. A la veille de l’intervention française, l’empire d’Annam s’étendait le long de la côte (cf. Philippe Papin, p. 8). A l’ouest, les Lao avaient formé des principautés.


paris, musée guimet, dist. rmn-gp/image musée guimet

… et le connaî­ tre

L’archéo­ logue Charles Carpeaux (ici à Dong Duong) sur un site Champa (photo­ graphie de 1902, musée Guimet).

l’Indochine Plus au sud, le royaume khmer, hindouisé, était entré dans une période de décadence. Intervenus d’abord en 1858, sous le Second Empire, au prétexte de protéger les missionnaires, les Français prirent progressivement possession de cette vaste région qu’ils baptisèrent en 1887, sous la IIIe République, « Union indochinoise ». Celle-ci regroupait cinq « pays », en partie des créations coloniales : le Cambodge, le Laos (à partir de 1893), l’Annam, la Cochinchine et le Tonkin. Ces trois derniers devinrent la composante essentielle de l’Indochine française, mais aussi les foyers de la résistance la plus tenace à la domination étrangère.

de l’Asie était stimulante : en Indonésie, les Hollandais avaient instauré le système des cultures forcées ; aux Philippines, l’Espagne développait les cultures commerciales ; le Siam, indépendant, s’était ouvert au commerce étranger ; et Singapour, colonie britannique et port franc, présentait pour le Royaume-Uni un fort intérêt stratégique et commercial : « Faire de Saigon un Singapour », proposait la Chambre de commerce de Marseille en 1859. De fait, les intérêts économiques jouèrent un rôle déterminant dans la conquête. Dans les milieux d’affaires, liés aux républicains opportunistes comme Léon Gambetta ou Jules Ferry, pour qui la colonisation devait permettre de résoudre la crise des débouchés industriels, Un État colonial le Tonkin apparaissait comme un tremplin vers l’imAu xixe siècle, la compétition des puissances européen- mense marché chinois. Des négociants tel Jean Dupuis, nes pour le partage du monde n’épargna pas l’Indochine. des soyeux de Lyon comme Ulysse Pila, de grands grouPour les Français, la croissance économique du Sud-Est pes industriels et financiers (Société générale, Crédit Les Collections de L’Histoire N°62 27


La guerre de trente

ans


Du côté vietnamien, l’état de guerre a duré plus de trente ans. Ce fut à la fois un conflit de décolonisation et une guerre « nationaliste », civile et totale. Une guerre de réunification qui opposait deux visions politiques d’un Vietnam libre et réunifié. Par Pierre Grosser Professeur agrégé à Sciences-Po, Pierre Grosser enseigne l’histoire des relations internationales. Il a notamment publié Traiter avec le diable ? (Odile Jacob, 2013). Il prépare une Histoire de la guerre d’Indochine (Perrin, à paraître en 2014).

andrew holbrooke/corbis

A

Hanoi, Ho Chi Minh proclame l’indépendance du Vietnam le 2 septembre 1945. Le 30 avril 1975, les troupes de la République démocratique du Vietnam entrent dans Saigon : le Vietnam est uni, indépendant et communiste après trente ans de guerre. Le combat a même duré plus longtemps : lutte contre le colonialisme français depuis les années 1920 et contre l’occupation japonaise de 1940 à 1945, guerre de résistance face à la France (pour qui la « guerre d’Indochine » s’étend du 16 août 1945, date de l’annonce de la capitulation du Japon, à l’entrée en vigueur du cessez-le-feu le 11 août 19541) puis face à l’impérialisme américain (la « guerre du Vietnam », qui pour les Veterans of Foreign Wars aux États-Unis va de 1965 à 1973). L’histoire est souvent celle des vainqueurs. Les communistes devaient l’emporter, parce qu’ils portaient l’idéal anticolonialiste et anti-impérialiste pour libérer la nation vietnamienne, et étaient soutenus par le « peuple vietnamien » qui paya un tribut énorme pour cette cause. En face, il existe une histoire de ceux qui se seraient sacrifiés, Français et Américains, pour bloquer l’avancée du communisme, pour sauver les Vietnamiens du « joug » totalitaire, voire pour permettre à l’Asie non communiste de prospérer à partir des années 1970.

Les stigmates de la guerre

En 1972, à Hanoi, une Vietnamienne récolte des plantes devant la carcasse d’un B-52 américain abattu depuis peu. Les Collections de L’Histoire N°62 49


L’émergence d’une puissance régionale Marquée par trois décennies de conflit, la diplomatie vietnamienne change radicalement au tournant des années 1990. Orphelin stratégique après l’implosion de l’URSS, le pays devient un pivot en Asie du Sud-Est. Par Pierre Journoud

E

n 1975, le Vietnam tout juste réunifié plonger la péninsule indochinoise dans une nouvelle devait relever un défi colossal, celui guerre. Il fallut attendre une décennie pour que le tourde la reconstruction et de la paix après nant radical opéré par le bureau politique du Parti comtrois décennies de guerres. Mais, au lieu muniste vietnamien (PCV) en faveur de l’ouverture à d’assurer l’unité nationale par la récon- l’économie de marché, de l’État de droit et de la paix, ciliation et la mobilisation de toutes les permette au pays de renouer progressivement avec la forces vives du pays, les vainqueurs imposèrent bruta- croissance et l’intégration régionale, et d’envisager à lement au Sud le modèle socialiste d’inspiration sovié- nouveau un destin de puissance régionale. tique et maoïste qu’ils avaient bâti dans la douleur au Nord, tandis que les agres- De retour dans le concert des nations Sommet de l’APEC à sions répétées des Khmers rouges allaient Hanoi en 2006, en ao dai , le costume traditionnel vietnamien. Au centre, le

hoang dinh nam/pool new/reuters

président américain George W. Bush et le président russe Vladimir Poutine.

84 Les Collections de L’Histoire N°62


jean-claude labbé/gamma-rapho

D’une guerre à l’autre En 1978 l’offensive du Vietnam contre le Cambodge déclenche la troisième

guerre d’Indochine. Ici, une unité vietnamienne réutilise des chars américains, vestiges du conflit précédent.

de longue date dans l’histoire et la géoLa forteresse assiégée Chargé d’études graphie du pays. Principale puissance Aussitôt après leur victoire, les vain- à l’Institut militaire d’Asie du Sud-Est, avec plus de queurs absorbèrent sans ménagement de recherche 1 million de soldats particulièrement la branche sudiste du parti et voulurent stratégique de aguerris, le Vietnam était suspecté de parachever la révolution dans la moi- l’École militaire, vouloir rompre le fragile équilibre régiotié méridionale du pays conquise de historien des relations nal à son profit. Trois décennies de lutte haute lutte. Pour faire payer la collabo- internationales en Asie ration avec les États-Unis et dissuader orientale depuis 1945, clandestine et de guerre ouverte avaient les velléités de reconstitution de maquis Pierre Journoud est porté à son paroxysme la paranoïa de ses anticommunistes, la société sud-vietna- notamment l’auteur de dirigeants, en proie au complexe de la mienne fut brutalement mise au pas (cf. De Gaulle et le Vietnam, « forteresse assiégée ». La sécurité du François Guillemot, p. 72). Alors que la 1945-1969. La réconciliation pays leur semblait menacée, moins par résistance vietnamienne aux Américains (Tallandier, 2011) et va les activistes de l’ancien régime, envoyés avait provoqué un vaste élan d’admira- publier chez Vendémiaire, par centaines de milliers dans des camps tion et de solidarité dans le monde, bien avec Dao Thanh Huyen, de rééducation, que par d’anciens offiau-delà de la seule mouvance commu- Dien Bien Phu. Le ciers de l’armée vaincue, à la tête de banniste, le triste sort des boat people sus- basculement d’un monde . des armées opérant depuis des camps cita une deuxième vague de solidarité en secrets basés en Thaïlande, sur les hauts Occident, cette fois-ci contre un régime plateaux vietnamiens et laotiens. communiste qui n’avait pas su les intégrer. Pour beauSurtout, la colonisation puis la guerre avaient gelé coup de Vietnamiens, du Nord comme du Sud, les ou masqué des tensions avec les pays voisins que la années postérieures à la réunification restent associées paix allait raviver voire aggraver. Aboutissement d’une aux années noires, celles de la répression, de l’isolement, divergence stratégique croissante entre Hanoi et Pékin, du dénuement. Vainqueurs de la guerre, les maîtres du le rapprochement de la Chine de Mao avec les ÉtatsVietnam étaient en passe de perdre la paix. Unis, symbolisé par la visite du président Nixon à Pékin Le Vietnam socialiste avait une perception d’autant en 1972, avait été durement ressenti. D’autant qu’en plus aiguë de sa vulnérabilité que celle-ci était inscrite décembre de cette année, Nixon avait ordonné les plus Les Collections de L’Histoire N°62 85


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