COLLECTIONS LES
L’ALLEMAGNE DE LUTHER À MERKEL
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Sommaire
LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°65 - OCTOBRE-DÉCEMBRE 2014
L’Allemagne De Luther à Merkel 4 Chronologie 7 La recherche des frontières Par Pierre Monnet
Chapitre 1
350 États pour un empire 16 Ce que l’Allemagne doit à l’Empire Par Olivier Christin et Marion Deschamp 1521 : Luther défie l’empereur 22 Guerre de Trente Ans. La catastrophe Par Gérald Chaix 26 Plus Allemands que juifs Par Dominique Bourel 30 La « patrie du romantisme » Par Gérard Raulet
Chapitre 2
1806-1945, la nation militaire 36 De la Prusse au Reich. La longue marche vers l’unité Par Étienne François Frédéric II, héros malgré lui 46 Questions brûlantes sur la Grande Guerre Par Gerd Krumeich Ypres, avril 1915 : la guerre chimique
Par Pap Ndiaye Rosa et les spartakistes Par Michel Winock
54 Weimar, république normale ? Par Nicolas Patin 60 Nazisme. L’effondrement d’une civilisation Par Johann Chapoutot Fascinés par Hitler Par Ian Kershaw
Chapitre 3
1945-2015, un géant européen 68 1945-1948. Douze millions de réfugiés Par Philippe Burrin L’affaire Günter Grass Par Thomas Serrier
72 Le mur de la honte Par Edgar Wolfrum 76 La RDA a-t-elle existé ? Par Étienne François La Stasi vous écoute Par Emmanuel Droit
La RAF : enfants de la guerre froide Par Édouard Husson
82 Un modèle peut en cacher un autre ! Par Johann Chapoutot Nus et verts 1959, l’adieu à Marx Par Michel Winock
88 Regarder le passé en face Par Étienne François A Verdun, main dans la main Par Marion Gaillard
94 Lexique 96 A lire, voir et écouter
ABONNEZ-VOUS PAGE 71 - Toute l’actualité de l’histoire sur histoire.presse.fr Ce numéro comporte deux encarts jetés : L’Histoire (kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse). 6 LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°65
Introduction
La recherche des frontières La nation et l’État allemands n’ont jamais vraiment coïncidé. Sur quelles bases historiques la conscience d’une identité nationale peut-elle donc reposer ? Par P IERRE MONNET Directeur d’études à l’EHESS
Q
u’est-ce qu’être allemand ? Est-ce parler la langue de Luther et de Goethe ? Est-ce habiter le territoire soumis à la souveraineté d’un État allemand ? Est-ce se reconnaître comme le produit et l’héritier de toute l’histoire allemande, du Saint Empire jusqu’à l’Empire wilhelminien de 1871 et au IIIe Reich hitlérien ? Si les réponses à ces questions demeurent si délicates, c’est qu’en Allemagne, à la différence de la France, le peuple, la langue, la nation et l’État n’ont jamais vraiment coïncidé, pas plus d’ailleurs qu’ils n’ont coïncidé avec une claire conscience historique des origines et de la construction du peuple allemand : « Un peuple sans frontières historiques claires, un territoire sans limites géographiques nettes », ainsi que l’écrit Joseph Rovan dans son Histoire de l’Allemagne1. On en veut pour preuve que la désignation même des Allemands dans les grandes langues européennes révèle une indécision et une hésitation sans équivalent. Ce flou provient en grande partie de la mobilité et de la variation considérables qu’ont connues les frontières de l’Allemagne depuis l’Empire médiéval jusqu’à 1990.
et directeur de l’Institut français d’histoire en Allemagne (Francfort), Pierre Monnet est notamment l’auteur de Villes d’Allemagne au Moyen Age (Picard, 2004).
Face à l’Empire germanique reconstitué au xe siècle sur les morceaux orientaux de l’Empire de Charlemagne, il y eut toujours un royaume du Danemark centré sur la presqu’île du Jutland, une région certes évangélisée depuis les archevêchés germaniques mais jamais véritablement « germanisée ». Tantôt réunissant la Norvège, la Suède et même l’Angleterre au xie siècle, tantôt constituant une union avec les autres pays scandinaves pour faire face aux entreprises commerciales de la Hanse allemande2 aux xive et xve siècles, tenant en tout cas la Norvège sous sa vassalité jusqu’en 1814, le royaume danois connut une longévité suffisante pour maintenir sa frontière avec l’Empire. Surtout, depuis le xve siècle, le roi danois tient en fief de l’Empire des principautés territoriales, principalement les duchés de Holstein (d’Empire jusqu’en 1806) et de Schleswig. Ainsi il était un prince de l’Empire et pouvait participer à la procédure de l’élection du roi des Romains, c’est-à-dire à la désignation de ce roi de Germanie qui, depuis le xie siècle, portait égaleAU NORD, UNE FRONTIÈRE CALME Commençons par la frontière la plus « simple », celle ment les couronnes de Bourgogne et d’Italie (comprequi sépare au nord l’Allemagne du Danemark. Le nom nons la royauté des Lombards). Ce schéma d’une participation « constitutionnelle » même de Danemark, marca Danorum ou « marche des Danois », signale le caractère frontalier de la presqu’île. d’un souverain étranger à l’Empire par principauté interCette délimitation n’a pas toujours couru à cet endroit, posée fut également adopté entre l’Empire et la Suède. mais n’a pas non plus subi de bouleversements profonds. En effet, grand vainqueur de la guerre de Trente LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°65 7
BERLIN, BPK, DIST. RMN-GP/ELKE WALFORD
Le monument à Goethe Nature sauvage, ciel nuageux,
voiles de brume enserrant un sarcophage que veillent deux anges, harpe celtique évoquant Ossian : Carl Gustav Carus, un ami du poète disparu, réunit tous les ingrédients du romantisme (1832, Kunsthalle, Hambourg).
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La « patrie du romantisme » Le romantisme n’est pas que poésie. Vénération pour le Moyen Age, traditionalisme catholique, exaltation de l’âme du peuple : ce courant philosophique né en Allemagne est souvent décrit comme une réaction à la modernité. Il est aussi l’enfant des Lumières. Par G ÉRARD RAULET Professeur des universités à Paris-Sorbonne, Gérard Raulet a notamment publié La Philosophie allemande depuis 1945 (Armand Colin, 2006) et a dirigé Les Romantismes politiques en Europe (Maison des sciences de l’homme, 2009).
BERLIN, BPK, DIST. RMN-GP
P
hénomène d’ampleur européenne, le romantisme se présente sous des formes très contrastées dans l’espace comme dans le temps. Le romantisme allemand lui-même n’est pas univoque. Mais s’il y a en apparence peu de choses en commun entre les jeunes gens qui, outre-Rhin, s’enthousiasmèrent pour la Révolution française, et la restauration de l’ordre monarchique après le congrès de Vienne de 1815, il y en a pourtant une, qui intrigue : les acteurs sont en partie les mêmes. Pour le grand historien français de la pensée allemande, Jacques Droz, « le romantisme fut avant tout réaction contre l’idéologie de la Révolution française, combat contre l’émancipation politique et sociale issue des idées de 1789, défense des monarchies et des classes dirigeantes contre la force, jugée dissolvante, de l’économie moderne »1. L’historien anglais d’origine russe Isaiah Berlin y voit, lui, une manifestation des « contreLumières » parce que le romantisme refuse (selon lui) les principes de rationalité et d’universalité de la
Le cercle d’ Iéna A la fin du xviiie siècle, Goethe (à droite) attire à Iéna des professeurs tels que le poète Schiller (à gauche) et les frères Humboldt (au centre). Fichte et Schlegel y venaient aussi (gravure de 1797). LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°65 31
Questions brûlantes sur la Grande Guerre Les Allemands sont-ils responsables de la Première Guerre mondiale ? Qu’en est-il vraiment des atrocités commises sur les civils dans les zones occupées ? D’où vient le mythe du « coup de poignard dans le dos » ? Un grand historien allemand répond, à la lumière des dernières recherches, aux questions qui n’ont jamais cessé d’empoisonner l’histoire. Par G ERD KRUMEICH Professeur émérite à l’université de Düsseldorf et vice-président du Centre international de recherche de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne, Gerd Krumeich vient de publier Le Feu aux poudres. Qui a déclenché la guerre en 1914 ? (Belin, 2014).
1. Le pangermanisme
AKG
En 1961, l’historien allemand Fritz Fischer fit scandale en affirmant, dans Les Buts de guerre de l’Allemagne impériale, que les Allemands de 1914 cherchaient avant tout à provoquer la grande guerre qui les propulserait vers leur but suprême : l’hégémonie. Le pangermanisme ou mouvement « alldeutsch » était symptomatique de cet état d’esprit. Le pangermanisme est né en 1891 avec la fondation du Alldeutscher Verband, une organisation d’un nationalisme extrême regroupant davantage de conservateurs que de libéraux impérialistes. Le mouvement est resté assez marginal (18 000 membres en 1914). Mais le pangermanisme a pris de l’ampleur
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L’aigle impérial L ’objectif de la Ligue pangermaniste (Alldeutscher Verband) fondée en 1891 : étendre les frontières du Reich « aussi loin que retentit la langue allemande » (carte postale de 1914).
INTERFOTO/LA COLLECTION
Une guerre censée être brève L’entrée des troupes allemandes en France en septembre 1914. Le plan Schlieffen, élaboré en 1905, pensait prendre Paris en quatre semaines. En réalité, les soldats partirent pour quatre ans.
quand fut créé, à la suite de la crise d’Agadir en 19111, le Wehrverein, « ligue pour l’armement ». Cette ligue compta bientôt plus de 300 000 membres, conservateurs et libéraux impérialistes mélangés. Le livre du général Friedrich von Bernhardi, Deutschland und der nächste Krieg (« L’Allemagne et la prochaine guerre »), paru en 1912, en est une parfaite expression. Cette nouvelle force « alldeutsch » fut vivement contestée tant par le centre que par la gauche. Ses relations avec le pouvoir restaient également tendues, la politique officielle préconisant plutôt une « Weltpolitik und kein Krieg » (« politique mondiale sans la guerre »), titre d’un livre inspiré par le ministère des Affaires étrangères en 1913. Il n’empêche que les thèses alldeutsch affirmant la supériorité « naturelle » de l’Allemagne et soulignant son dynamisme économique par rapport à une France prétendument « en déclin » renforcèrent les inquiétudes des intellectuels et des dirigeants français.
2. La thèse de « l’encerclement »
Une conviction largement partagée par les Allemands avant 1914 fut que leur pays était encerclé par des puissances hostiles, depuis l’Entente cordiale franco-britannique de 1904 et les accords anglo-russes de 1907. Les Allemands ont-ils de fait été encerclés ou ce sentiment relève-t-il surtout d’une psychose auto-générée ? NOTE La question est loin d’être tranchée. Cela vaut en 1. Berlin avait particulier pour le projet de convention maritime entre alors envoyé la Russie et la Grande-Bretagne, préparé en secret en la canonnière Panther au 1914, mais dont les Allemands eurent connaissance large de la ville grâce à un espion infiltré à l’ambassade russe à Londres. marocaine en réponse à Ils en conclurent que cela parachèverait la politique l’occupation d’encerclement entamée par Delcassé et Poincaré. Sans française de Fès et de Meknès ; doute erronée, cette conviction n’en était pas moins la France largement partagée en Allemagne. Elle permet de et la Grandecomprendre pourquoi tant d’Allemands acceptèrent Bretagne menacèrent la possibilité même d’une guerre et furent convaincus à leur tour qu’elle était une action de légitime défense, imposée d’envoyer des vaisseaux par la menace extérieure. de guerre. LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°65 47
Weimar, république normale ? La République parlementaire de Weimar fut, jusqu’en 1929, un régime démocratique efficace. Une expérience radicalement neuve pour les Allemands et non une parenthèse forcément condamnée à l’échec. Par N ICOLAS PATIN Maître de conférences à l’université Bordeaux-Montaigne, Nicolas Patin est l’auteur de La Catastrophe allemande. 1914-1945 (Fayard, 2014).
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TABLEAU DE 1920 ; ERICH LESSING/AKG © ADAGP 2014
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otre République – un accident du travail ! » Franz Biberkopf, le héros du Berlin Alexanderplatz, publié en 1929 par Alfred Döblin, n’a pas de mots assez durs pour désigner « Weimar », la première République allemande (19181933). « Weimar » : le nom même rappelle la faiblesse supposée du régime, celle d’un gouvernement qui, en janvier 1919, a préféré la paisible bourgade de province de 40 000 habitants aux émotions révolutionnaires de Berlin la rouge. Weimar comme échec, qui conduirait au 30 janvier 1933 et à la prise de pouvoir par Hitler ? L’ombre jetée par le IIIe Reich n’en finit pas de vider la République de sa substance, de la convoquer pour justifier la catastrophe à laquelle elle a mené. Ce faisant, étudier Weimar est un redoutable piège pour les historiens : la tentation est forte de ne traquer que les fragilités initiales ou les symptômes qui conduisirent à la ruine. Des historiens ont tenté, avec succès, de remplacer cette notion morale qu’est l’échec par l’expression plus neutre de « crise », peignant Weimar comme le temps de la « crise de la modernité classique »1. D’autres, comme Rüdiger Graf2, sont même allés plus loin, étudiant la manière dont les contemporains percevaient eux-mêmes leurs avenirs possibles, pluriels et ouverts. Le grand récit tragique d’une République condamnée à l’avance en ressort bien différent. La légende noire de l’échec politique s’accompagne de la légende dorée de la révolution culturelle. Cabarets
« Automates r épublicains » A travers ces machines
mutilées par la guerre, George Grosz brocarde le ralliement fragile de l’Allemagne impériale à la nouvelle République.
KEYSTONE/GAMMA-RAPHO
Foisonnement politique L ors des élections législatives de 1928, les partis de droite mettent en avant des hommes plutôt que des
idées : Stresemann pour les libéraux (en haut), Hindenburg pour les conservateurs. Après quatre ans de stabilité, les sociaux-démocrates obtiennent un succès avec 30 % des voix. Les nazis ne font que 2,6 %.
chatoyants, cinéma d’avant-garde et théâtre militant semblent coexister avec le bruit des bottes des Sections d’assaut, dans une forme de dissonance qui n’a pourtant rien d’évident. On a élevé un mausolée à la culture weimarienne pour essayer de sauver quelque chose des quatorze années du régime. La puissance de la modernité culturelle face à l’insuffisance du pouvoir politique a quelque chose de rassurant : en Allemagne, le pouvoir (Macht) et l’esprit (Geist) ont toujours été adversaires. BOUILLONNEMENT CULTUREL Mais plus l’on souligne la vivacité culturelle de la République, plus il devient difficile de comprendre comment le pouvoir politique a pu rester aussi imperméable à cette modernité flamboyante. On retrouve ce clivage dans la chronologie : passée la crise des années de la sortie de guerre, Weimar s’installe dans les Goldene Zwanziger, cinq années dorées de 1924 à la crise de 1929, celle-ci résonnant en Allemagne comme une forme de punition aux fondements moralisateurs à peine masqués. En réalité, ces deux images sont fausses. Berlin était bien au centre de tous les regards européens. Mais la culture transgressive de la capitale allemande était loin de faire l’unanimité : plus elle se montrait provocante, plus le clivage s’approfondissait au sein du pays entre la modernité et la réaction. La culture weimarienne, comme la mémoire clivée de la Grande Guerre, débattue par des milliers d’anciens combattants, était une « culture conflictuelle ».
Inversement, les réussites politiques furent plus nombreuses que l’on a pu l’écrire quand il s’agissait de dépeindre Weimar en repoussoir de Bonn, ou en première étape de la catastrophe du Reich hitlérien. Les années 1920 furent le moment d’un intense bouillonnement culturel, qui fit entrer la culture alle- NOTES mande de plain-pied dans la modernité. Ce mouvement 1. D. Peukert, fut d’abord un mouvement d’innovation technique et La République de Weimar. technologique : entre 1918 et 1928, le nombre de voi- Années de crise tures passa de 100 000 à 2,2 millions (les Allemands de la modernité classique , étaient alors 62 millions) ; celui de postes de radio de Aubier, 1995. deux millions en 1928 à 4,3 en 1933. « La technique et 2. R. Graf, la masse se sont engendrées mutuellement », écrivait Karl Die Zukunft Weimarer Jaspers, et les innovations et les changements sociaux der Republik. Krisen s’entremêlaient : à la fin des années 1920, 90 % des und Zukunfts ouvriers avaient accès aux congés payés ; tourisme, loi- aneignungen in Deutschland sirs et sports de masse se développèrent à grande vitesse. 1918-1933 , Les habitudes culturelles plus traditionnelles Oldenbourg, Munich, 2008. n’étaient pas en reste : 26 journaux quotidiens dépas- 3. Cf. saient les 100 000 exemplaires et des gazettes comme la C. Mengin, du toit Berliner Illustrierte Zeitung n’hésitaient pas à dépeindre Guerre et modernité la vie des stars, en accompagnant leurs textes de pho- architecturale, Publications tos, contribuant à une américanisation de la culture, de la Sorbonne, perceptible chez les jeunes. 2007. La naissance de cette culture autonome des jeunes 4. M.-B. Vincent, erviteurs de n’était pas le moindre des symptômes de changement Sl’État : les élites de la République, tout comme l’émancipation des administratives en Prusse de femmes, la Bubikopf représentant le pendant allemand 1871 à 1933 , de la Flapper américaine et de la garçonne française. Belin, 2006. LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°65 55
1945-1948
Douze millions de r éfugiés Après la chute du nazisme, ils furent 7 millions d’Allemands à fuir l’Armée rouge ; 5 autres millions firent l’objet d’un transfert forcé depuis la Pologne, la Tchécoslovaquie ou la Hongrie. Retour sur une expulsion massive, dramatique et ignorée. Par P HILIPPE BURRIN Directeur de l’IHEID (Institut des hautes études internationales et du développement) à Genève, Philippe Burrin est notamment l’auteur de Ressentiment et apocalypse. Essai sur l’antisémitisme nazi (Seuil, 2007). Cet article est la version abrégée de « Douze millions de réfugiés allemands », L’Histoire n° 277, juin 2003. 0,2
ÉTATS BALTES Königsberg
2 Prusse
Poméranie 1,4
Dantzig 0,3
0,4 ALLEMAGNE Sudètes
0,7 3,2 POLOGNE
Silésie TCHÉCOSLOVAQUIE AUTRICHE 0,2 HONGRIE
3
0,2 0,3
ROUMANIE
YOUGOSLAVIE BULGARIE ALBANIE
500 km
URSS
Légendes Cartographie
L’Allemagne En juillet 1945 Province perdue Pays communiste URSS État satellite Avancée de l’Armée Rouge Réfugiés allemands 2 Population (en millions) Expulsés Chassés par l’Armée Rouge
L’effondrement du IIIe Reich entraîne le redécoupage des frontières de l’Allemagne qui perd en 1945 la Prusse-Orientale, la Prusse-Occidentale, la Poméranie et la Silésie. Les Allemands qui résidaient dans ces régions accompagnent vers l’Ouest le reflux des armées nazies. Jusqu’en 1948, des Allemands sont en outre expulsés d’Europe orientale et balkanique.
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L
es expulsions des populations allemandes à la fin de la Seconde Guerre mondiale ont concerné environ 12 millions de personnes, parmi lesquelles il faut distinguer deux types de populations : 1) les ressortissants allemands qui résidaient dans les parties orientales du Reich annexées en 1945 par la Pologne et l’URSS ; 2) des Allemands de souche, citoyens de différents pays d’Europe orientale et balkanique. La présence de minorités allemandes à travers le continent européen était fort ancienne : elle remontait parfois à la fin du Moyen Age. A la suite de l’effondrement des Empires allemand et austro-hongrois en 1918, plusieurs millions d’Allemands se trouvèrent dispersés dans de nombreux États. Outre les 6,5 millions d’Autrichiens, ils étaient 3,3 millions en Tchécoslovaquie, 1,2 million en Pologne, autant en URSS, environ 700 000 en Roumanie et en Yougoslavie, 500 000 en Hongrie, enfin quelques dizaines de milliers dans les États baltes. Ces Allemands bénéficiaient, en principe,
RUE DES ARCHIVES/BCA
Attente Des réfugiés à la gare Anhalt de Berlin en 1945. Leur transfert forcé depuis l’Europe orientale a été approuvé par les Alliés à Potsdam. Pour la première fois, un déplacement de population résultait d’une décision internationale.
Allemands de souche n’ont pas subi un sort semblable, il est certain que bon nombre d’entre eux ont été confrontés à des humiliations, des insultes, des intimidations qui rendaient la vie sur place impossible. A Potsdam, entre le 17 juillet et le 2 août 1945, les trois grands Alliés – les États-Unis, l’URSS et l’Angleterre – approuvent le transfert forcé vers l’Allemagne occupée des Allemands encore présents en Pologne, en Tchécoslovaquie et en Hongrie. La violence est dès lors contrôlée, le transfert s’effectue de manière ordonnée. Les puissances mettent en place un système de supervision et de distribution des expulsés entre leurs zones d’occupation ; l’opération s’étend sur plus d’une année.
BUNDESARCHIV, PLAK 100-015-022 ; DHM/BRIDGEMAN GIRAUDON
de la protection prévue pour les minorités par les traités consécutifs à la Première Guerre mondiale. Cependant, avec la montée des nationalismes, les tensions s’étaient aiguisées, et le régime nazi avait trouvé un peu partout chez les Allemands de souche des appuis pour sa politique d’expansion, puis d’occupation. A partir de 1944, environ 7 millions de ressortissants allemands résidant dans les parties orientales du Reich fuirent l’arrivée de l’Armée rouge et accompagnèrent vers l’ouest le reflux des armées allemandes. Après la fin des combats, tout retour leur fut interdit. Cet exode, motivé par la peur des exactions des Soviétiques, fit beaucoup de victimes, les civils étant souvent pris pour cibles militaires. Environ 5 millions de germanophones furent, quant à eux, chassés par leurs concitoyens ou par les autorités de leur pays à partir du printemps 1945. Au total, les victimes de ces déplacements ont été estimées à 2 millions – la plupart ayant péri pendant l’exode du temps de guerre. Dans les expulsions, qui concernèrent quantitativement avant tout la Tchécoslovaquie et la Pologne, il faut distinguer deux phases, l’une avant, l’autre après l’accord de Potsdam, à l’été 1945. Avant Potsdam, l’expulsion se fait de manière « sauvage » : les populations locales se déchaînent dans un vaste pogrom antiallemand, en bénéficiant au minimum de la tolérance des autorités. Des pillages, des lynchages, des meurtres ont lieu en grand nombre, et dans certains camps d’internement réapparaissent des méthodes et un taux de mortalité qui rappellent la période nazie. Parfois, ce sont de véritables massacres qui se produisent. Ainsi, dans la ville tchécoslovaque d’Aussig-Usti nad Labem, en juillet 1945, près de 2 700 personnes sont tuées en trois jours. Ce qui frappe, c’est cette violence paroxystique qui surgit entre des personnes qui avaient l’habitude de se côtoyer, entre voisins pour ainsi dire. Si tous les
Le retour « La SED vous aide à reconstruire une nouvelle patrie. Votez SED » : affiche du Parti communiste à Berlin-Est, en 1946.
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