COLLECTIONS LES
L’AUSTRALIE Des Aborigènes aux soldats de l’Anzac Naissance d’une nation
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Sommaire
LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°66 - JANVIER-MARS 2015
L’Australie Des Aborigènes à l’Anzac 8 Down under
Le continent des antipodes par LOUISE DORIGNON
1. L ’ÎLE
DES ABORIGÈNES
14 60 000 ans d’histoire entretien avec M ARTIN PRÉAUD ❙ Carte : comment ils sont arrivés ❙ La catastrophe démographique ❙ La sortie du silence par J EAN-NOËL JEANNENEY
PARIS, MUSÉE DU QUAI-BRANLY/SCALA
6 Chronologie
27 Le boomerang ne revient pas toujours ! par P HILIP JONES
2. LE TEMPS
DES ANGLAIS
SPL/AKG
30 A la recherche du continent austral par A NDRÉ ZYSBERG ❙ Cook, le découvreur par O LIVIER ROLIN 36 Botany Bay.
Terre des utopies ou des indésirables ?
par I SABELLE MERLE ❙ « Comrades » ou les martyrs de Tolpuddle par F ABRICE BENSIMON
40 Plus britannique que la Grande-Bretagne ! par P AUL PICKERING ❙ L’autre ruée vers l’or par J EAN-MICHEL DEVEAU ❙ 1901 : une fédération et six États 47 Ned Kelly, l’autre Robin des bois par H UGUETTE MEUNIER 4 LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°00
3. 1915 : NAISSANCE D’UNE NATION
50 1914-1918.
Le grand sacrifice des « diggers »
61 Gallipoli, ou la légende des Anzac par BRUCE SCATES ❙ Ceux de Fromelles par A NNETTE BECKER ❙ L’âne qui sauva des vies par G ENE TEMPEST ❙ Les « Black Diggers », soldats clandestins par E LIZABETH RECHNIEWSKI 68 Une commémoration très politique par ROMAIN FATHI ❙ L’Australian War Memorial : temple de la religion civile
JASON REED/REUTERS
par BRUNO CABANES
4. U NE PUISSANCE DU PACIFIQUE
72 1942 : le traumatisme.
Où sont les Anglais ? par I AIN E. JOHNSTON
75 Un allié à Washington,
un ami à Pékin !
TONY FEDER/ALLSPORT/GETTY IMAGES
par J AMES CURRAN ❙ Carte : sécurité américaine ou prospérité asiatique ❙ La petite sœur néo-zélandaise s’émancipe !
80 La fin de l’« Australie blanche » ? par X AVIER PONS ❙ SOS enfants volés 88 Rugby : le sacre des Wallabies par O LIVIER THOMAS
ABONNEZ-VOUS PAGE 87 Toute l’actualité de l’histoire sur histoire.presse.fr Ce numéro comporte deux encarts jetés : L’Histoire (kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).
90 Le nouvel eldorado des Français ? par C HRISTOPHE LECOURTIER 94 Lexique 96 A lire, voir et écouter LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°66 5
RONALD WITTEK/AGE FOTOSTOCK
Down under Le continent des antipodes
Des clichés tenaces en font un pays paradisiaque et sans histoire. En réalité l’Australie échappe à toute représentation univoque. Au cœur désertique et au littoral urbanisé, cette île-continent, entre Océanie et Asie, s’explique aussi par sa géographie. Par L OUISE DORIGNON Agrégée de géographie
et élève de l’École normale supérieure de Lyon, Louise Dorignon travaille en géographie urbaine et sociale sur la ville de Melbourne.
NOUVELLE-ZÉLANDE
ARGENTINE
AFRIQUE DU SUD AUSTRALIE BRÉSIL
O C É A N PAC I F I Q U E
OCÉAN INDIEN
« Down under »
INDE
OCÉAN ATL ANTIQUE
Animal populaire mais menacé, le koala (en haut) vit dans les forêts du sud et de l’est de l’Australie où il se nourrit exclusivement de feuilles d’eucalyptus. 8 LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°66
ÉTATS-UNIS
CHINE
IRAN FRANCE
CANADA
FÉDÉRATION DE RUSSIE
OCÉ AN GL ACIAL ARCTIQUE
Légendes Cartographie
L’expression « Down Under » (« en bas dessous ») rend compte à la fois d’une habitude cartographique et d’un sentiment national. En effet, suivant la projection de Mercator, les planisphères placent l’Australie en bas de la carte, aux confins du monde. Dans les années 1970, des cartographies alternatives se développent et renversent la perspective.
Melville Island
Mer de Timor
Principales villes Plus de 50 000 Plus de 100 000 Plus de 250 000 Plus de 1 M Plus de 4 M
Darwin
Kakadu National Park
Terre d'Arnhem
Arch. Bonaparte
936 m. Derby
Broome
OCÉAN INDIEN
Mer de Corail
Pén. du Cap York
Golfe de Carpentarie
Grande Barrière de corail Willis Islands
Cairns
Territoire du Nord Désert Tanami
Grand Désert de sable
Port Hedland
N
Plateau Barkly
Plateau de Kimberley
PAPOUASIENELLE-GUINÉE
Cap York
Cap Arnhem
Townsville
20°
Mackay
Tropique
Mt Bruce 1236 m. Lac du Désappointement
orne du Capric
Désert de Gibson
Mt Macdonnel Uluru/Ayers Rock
Mt Augustus 1106 m.
Carnarvon
Alice Springs
Bundaberg
Mt Musgrave
Grand Bassin artésien
Grand Désert Victoria
Sunshine Coast Brisbane
Lac Eyre
Toowoomba
Australie-Méridionale
Lac Barlee
Lac Torrens
D
Plaine de Nullarbor Lac Everard
Lac Moore
Kalgoorlie
30°
Fraser Island
Mt Woodroffe 1440 m.
Australie-Occidentale
Geraldton
Rockhampton
Queensland
Désert de Simpson
Perth Esperance
ar
l
Coffs Harbour
Ceduna
Grande Baie australienne
North Lac Gardner Flinders Pén. Ranges d’Eyre
Nouvelle-Galles du Sud
Newcastle
Bathurst
Sydney
Adélaïde
Wollongong
Canberra
Mu
Victoria a y rr
Kangaroo Island
Albany
Shoalhaven Heads
Bendigo Albury
Organisation du territoire Activité économique et transport Centre économique Mine de charbon gaz (forte concentration de Mine de fer Mine d'or la population et des activités) Vigne Périphérie active Site touristique majeur (région peuplée et économiquement active) Axe de communication majeur Perth Capitale d'État Grand aéroport
Ballarat
Geelong
Melbourne
King Island
Burnie
Mt Cradle 140°
Territoire de la capitale australienne
Hastings
Launceston Hobart
Mt Kosciuszko 2 228 m.
Flinder Island
OCÉAN PACIFIQUE
Tasmanie
500 km
Ayers Rock/Uluru : le sacré et le mystique
Cet imposant relief de grès de près de 350 mètres de hauteur à la couleur rouille, situé non loin d’Alice Springs, en plein désert, possède pour certaines tribus aborigènes un caractère sacré et des vertus mystiques. Lors de sa découverte par des arpenteurs britanniques en 1873, il est baptisé « Ayers Rock ». A la création d’un parc national en vue de sa conservation naturelle et culturelle en 1993, le site est renommé Ayers Rock/Uluru afin d’inclure ses deux héritages dans la toponymie.
JON ARNOLD/HEMIS.FR
MANFRED GOTTSCHALK/AGE FOTOSTOCK
Climat Équatorial Tropical Subtropical Désertique Semi-aride Tempéré
Gold Coast
ing
La Grande Barrière de corail, patrimoine mondial
L’Australie est la deuxième plus vaste région corallienne du globe avec près de 50 000 m2 de récifs le long des côtes du Queensland. Dans les années 1980, la Grande Barrière est inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco. On observe au même moment une fragilisation du milieu. Chaque année, 1,8 million de personnes se rendent sur ces hauts lieux contempler les merveilles colorées du corail et la fabuleuse variété des espèces animales et végétales qui y résident, ajoutant une pression sur un milieu menacé par des pollutions agricoles et industrielles. LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°66 9
Légendes Cartographie
Cap Nord Ouest
60 000 ans d ’histoire Les Aborigènes d’Australie constituent la civilisation vivante la plus ancienne de la planète. Ces chasseurs-cueilleurs nomades ont façonné des sociétés complexes, sans écriture, qui reposent sur la transmission des savoirs et des secrets. Entretien avec M ARTIN PRÉAUD Chercheur au Laios (cnrs-ehess), membre de l’équipe « Anthropologie de la perception » dirigée par Barbara Glowczewski au Collège de France,
Martin Préaud est titulaire d’un doctorat de l’EHESS et d’un PhD de James Cook university en anthropologie sociale et ethnologie.
OCÉAN PACIFIQUE OCÉAN INDIEN
Territoire du Nord Queensland Australie-Occidentale Australie-Méridionale NouvelleGalles du Sud
5 000 à 50 000 2 000 à 5 000 500 à 2 000 Moins de 500
20 % du territoire
Victoria
Tasmanie 500 km
Légendes Cartographie
Terre sur laquelle les Aborigènes ont des droits Population aborigène
Comme le reste des Australiens, les Aborigènes vivent majoritairement dans les villes du Sud-Est et autour des capitales d’État. Mais ils sont beaucoup plus présents dans les régions dites reculées du continent. Ils maintiennent également une relation singulière à leurs territoires. Depuis les années 1970 plusieurs lois ont étendu leurs possibilités de récupération des terres, sous divers statuts. En 2014, un peu plus de 20 % du territoire relève des droits et intérêts des propriétaires traditionnels aborigènes. 14 LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°66
L’Histoire : Qui sont les Aborigènes ? Martin Préaud : « Aborigène » vient du latin ab origine qui signifie « ceux qui sont là depuis les origines ». Les Anglais utilisent aussi ce terme pour désigner les Indiens du Canada et des États-Unis. Selon leurs mythes, les Aborigènes sont originaires de l’Australie. En réalité, il n’y avait pas de primates et, par conséquent, la possibilité d’une évolution séparée est peu plausible. Des travaux en génétique ont montré qu’ils seraient en fait issus des premières populations à avoir quitté l’Afrique, il y a au moins 100 000 ans, c’est-à-dire pendant une période de maximum glaciaire durant laquelle l’Australie, la Nouvelle-Guinée et la Tasmanie formaient un continent unique. Ils sont sans doute passés à pied par l’Asie du Sud-Est et arrivés en Australie après une courte traversée maritime (cf. p. 17). Les Nations unies, pour leur part, distinguent en Australie deux peuples autochtones : les Aborigènes et les Insulaires du détroit de Torres. Ces derniers se sont installés plus récemment que les Aborigènes sur leurs territoires et, d’un point de vue culturel, se rapprochent davantage des populations papoues ; ils revendiquent une identité distincte, signifiée par un drapeau spécifique. Dans les années 1980, on utilisait l’acronyme ATSI (Aboriginal and Torres Strait Islanders). Aujourd’hui, on emploie plus volontiers le terme indigenous, traduit en français par « autochtone » pour ne pas risquer de confusion avec le régime de l’indigénat. De nombreux Aborigènes soulignent toutefois que ces appellations génériques, utilisées d’abord pour des raisons politiques, ont tendance à homogénéiser à tort des groupes qui se pensent comme différents.
COLLECTION S. KAKOU/ADOC PHOTOS
Scène de pêche Sur cette photo vers1880, le contraste entre les instruments traditionnels de pêche, les vêtements coloniaux, la composition imposée de l’image et l’air de détente qui s’en dégage montre que les Aborigènes ont su se préserver en dépit de l’ordre colonial.
L’art pariétal peut aussi nous renseigner sur les différentes vagues de migrations. Mais comme les Aborigènes repeignent très régulièrement les parois pour raviver les peintures et leur pouvoir, les datations sont complexes. Les sources archéologiques sont donc difficilement exploitables, d’autant que les Aborigènes ne travaillaient pas la céramique – qui est le matériau que les archéologues affectionnent le plus. En outre, un problème politique récurrent se pose en Australie : rechercher l’antériorité de l’occupation aborigène pose problème à certains… C’est criant pour ce qui est de l’art rupestre et pariétal. Ces peintures sont parmi les plus anciennes au monde. Certaines remontent à 30 000 ans, mais elles sont très mal conservées et très mal protégées par les pouvoirs publics. Ce que l’on sait aussi, c’est que les populations aborigènes ont traversé un changement climatique dramatique, sur plusieurs générations : elles ont été témoins de la remontée du niveau de la mer et de la disparition de la mégafaune australienne. Des restes archéologiques témoignent de l’existence il y a 60 000 ans environ de marsupiaux géants, de kangourous de 2 mètres de haut. On voit parfois des L’H. : Ces 60 000 ans sont-ils marqués par des évo- représentations de ces animaux sur des peintures, lutions, des phases, des âges ? aux côtés d’humains. La question de la responsabilité M. P. : Différentes vagues de peuplement se sont suc- des Aborigènes dans cette catastrophe est controvercédé mais elles sont difficiles à dater. Il y a environ sée. Cette mégafaune a disparu à un moment marqué 4 000-5 000 ans, le chien est apparu en Australie, cer- à la fois par l’arrivée des hommes et par un changetainement amené d’Asie du Sud-Est par des groupes ment climatique majeur. humains. Il a provoqué d’importants changements socioculturels : c’est à cette époque que des sociétés L’H. : Les Aborigènes échangeaient-ils avec d’autres de chasseurs se sont constituées. peuples ? L’H. : Qu’est-ce qui distingue ces groupes les uns des autres ? M. P. : D’abord des critères linguistiques : plus de 500 langues réparties en 18 familles. L’organisation sociale diffère aussi en fonction des milieux. Pour l’essentiel, ce sont des chasseurs-cueilleurs nomades qui vivaient dans des territoires bien spécifiques jusqu’à ce que la colonisation modifie leur mode de vie. Les Aborigènes partagent ensuite une cosmologie similaire, que l’on appelle « le temps du rêve », selon la traduction maladroite proposée à la fin du xixe siècle par les ethnologues Spencer et Gillen – les Aborigènes préfèrent parler des « Lois ». Mais ils ne se pensent pas appartenir à une société commune. Chaque groupe connaît ses voisins et entretient des relations d’échange avec eux, mais plus on s’éloigne, plus les autres sont considérés comme des étrangers, plus ou moins menaçants voire inhumains. Pour autant, l’archéologie a pu montrer comment des objets, par exemple des coquilles de nacre gravées, étaient échangés de proche en proche sur des distances considérables atteignant parfois plusieurs milliers de kilomètres.
LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°66 15
CANBERRA, NATIONAL GALLERY OF AUSTRALIA/BRIDGEMAN IMAGES
Essor Des ouvriers sur le pont de Murray Bridge, en 1878. La croissance économique a contribué à l’émancipation politique des colonies.
Plus britannique que Les colons rêvaient d’édifier une « meilleure Grande-Bretagne » dans l’hémisphère Sud. Suffrage universel, droit de vote des femmes, journée de 8 heures… A la fin du xixe siècle, l’Australie devient le laboratoire social du monde. Par P AUL PICKERING Directeur de la Research School of Humanities and the Arts à l’Australian National University (Canberra), Paul Pickering
a notamment publié Feargus O’Connor: A Political Life (Merlin Press, Wales, UK, 2008) et Historical Reenactment: From Realism to the Affective Turn (Palgrave Macmillan, 2010).
40 LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°66
I
l nous reste encore à jeter les fondements d’un empire, à bâtir un État qui fera la fierté de nos enfants, à former dans cette immense île de l’hémisphère Sud un peuple auquel les païens des milliers d’îles voisines pourront se rapporter dans leur cheminement politique, social et religieux. » The Empire, principal journal libéral de Sydney, publie ces lignes le 17 mars 1851. Le rédacteur en chef est Henry Parkes, futur « père de la Fédération australienne », dont le visage orne à présent les billets de 5 dollars australiens. Originaire de Birmingham, Parkes a émigré en Australie en 1839. Ouvrier déçu par l’échec politique du mouvement chartiste de 18381, il place alors ses espoirs dans l’édification d’une
NAA/CANBERRA, MUSEUM OF AUSTRALIAN DEMOCRACY
Autour de Parkes Les auteurs de la Constitution australienne, à Melbourne en 1890, autour de Henry Parkes, le père de la fédération.
la Grande-Bretagne ! « meilleure Grande-Bretagne » sur l’« immense île de l’hémisphère Sud ». Or, un mois avant son éditorial, un prospecteur a découvert de l’or à Bathurst, à 200 km à l’ouest de Sydney. PAS DE VOLEUR DANS UNE MINE D’OR Lorsque la ruée vers l’or débute officiellement, en mai 1851, le rêve de Henry Parkes semble à portée de main. Pour le poète et homme politique William Charles Wentworth, riche colon et porte-parole des forçats émancipés, cette découverte « devrait nous précipiter en quelques années seulement de l’état de colonie à celui de nation ». Ce sentiment devient bientôt un lieu commun et un repère pour l’avenir. Sur ce point – et c’est presque le seul –, Henry Parkes partage l’avis de son contemporain : « [L’or] peuplera notre pays, construira nos chemins de fer, plantera nos champs de coton, tracera des sentiers sûrs pour nos moutons et fera de nous une nation. » De fait, il prête à l’éclat de l’or un « véritable pouvoir talismanique, qui nous pousse vers l’avant. » Si les effets économiques du golden rush sont mesurables, les conséquences démographiques et politiques n’en sont pas moins fortes. En 1839, la population
À SAVOIR
Le drapeau
Le drapeau australien date de 1909. Il est composé de trois éléments : l’Union Jack, le drapeau britannique, qui rappelle les liens avec l’ancienne puissance coloniale ; une étoile à sept branches représentant les États australiens et les territoires de la Fédération ; et cinq étoiles qui forment la constellation de la Croix du Sud, symbole de l’hémisphère Sud. Sa couleur bleu marine a été officiellement adoptée en 1954. Aujourd’hui, le drapeau australien ne fait pas l’unanimité en raison de la présence de l’Union Jack et de l’absence de toute référence aux Aborigènes. On lui reproche aussi de mal se distinguer de celui de la Nouvelle-Zélande où sera d’ailleurs organisé un référendum en 2015 sur un éventuel changement de drapeau. LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°66 41
La fin de l’ « Australie blanche » ? A partir des années 1960, le pays rompt peu à peu avec son identité « blanche ». Le multiculturalisme progresse. Mais les résistances sont nombreuses. Par X AVIER PONS Professeur à l’université de Toulouse-Jean-Jaurès,
Xavier Pons a notamment publié Le Multiculturalisme en Australie (L’Harmattan, 1996) et L’Australie. Entre Occident et Orient (La Documentation française, 2000).
Cathy Freeman Le 23 août 1994, l’athlète aborigène
célèbre sa victoire à la finale du 400 mètres des Jeux du Commonwealth au Canada, en arborant les drapeaux australien et aborigène.
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TONY FEDER/ALLSPORT/GETTY IMAGES
L
’arrivée le 26 janvier 1788 de la First Fleet, « la première flotte » a marqué les débuts de l’« Australie blanche » au détriment des Aborigènes présents sur le continent depuis près de 60 000 ans. Mais il ne s’agissait pas de faire prévaloir une idéologie raciale : les premiers colons européens de l’Australie – des forçats pour la plupart – présentaient une certaine diversité culturelle. Outre des Anglais, il y avait parmi eux des Écossais et des Irlandais1, sans compter quelques juifs et des Noirs, originaires des différentes parties de l’Empire britannique. Reste que tous ou presque venaient d’un univers à prédominance anglo-saxonne, ce qui allait faciliter la naissance d’un sentiment de solidarité raciale face aux communautés de couleur. Ce sentiment s’est cristallisé au milieu du xixe siècle, lorsque des éleveurs de moutons, à court de main-d’œuvre, entreprirent de faire venir des Chinois pour leur servir de bergers. Bien que très peu nombreux (environ 4 000 en 1854 sur une population d’environ 500 000 personnes), ces derniers
DR
Dissuasion « Si vous arrivez en bateau sans visa, vous ne pourrez pas vous installer en Australie » : depuis 2013, le pays tente de dissuader les immigrants avec des affiches diffusées en dix-sept langues dans le monde entier.
suscitèrent immédiatement l’hostilité de Blancs qui leur reprochaient de faire une concurrence déloyale aux travailleurs d’origine européenne en acceptant (mais ils n’avaient guère le choix) des salaires très faibles. Les Aborigènes, dont le nombre déclinait de façon dramatique au fil des ans, étaient tenus pour des sauvages qui méritaient davantage le mépris que la crainte. Les problèmes qu’ils posaient allaient, croyait-on, bientôt s’éteindre avec eux. Les Chinois, en revanche, étaient toujours plus nombreux car la découverte d’abondants gisements aurifères dans les années 1850 et 1860 les avait attirés par milliers : leur population bondit à 17 000 en 1855. Ils firent bientôt l’objet de critiques qui cachaient mal leur fondement raciste : on reprochait à cette population essentiellement masculine de répandre le « vice » et la maladie, ce qu’on aurait tout aussi bien pu reprocher aux Européens car c’est la différence ethnique, plus encore que la concurrence économique, qui était en fait rejetée.
asiatique, tuant plusieurs personnes, ou celles de la rivière Palmer en 1877. Mais c’est surtout la raréfaction progressive de l’or qui découragea les Chinois de venir en Australie. La diminution du nombre des « indésirables » permit l’abrogation des lois restrictives. Mais elle n’apaisa pas la méfiance de la population européenne à l’égard des Chinois établis en Australie. La plupart étaient célibataires, mais certains ont fait venir leur famille ou ont épousé des Blanches. Ils ont donc fait souche, notamment dans le Territoire du Nord. Les inquiétudes restaient également fortes quant à la reprise éventuelle d’une immigration susceptible, croyait-on, de saper les bases de la société australienne. L’Australie de la fin du xixe siècle, gagnée au darwinisme social, était convaincue de la supériorité de la race blanche, et bien décidée à la protéger de tout ce qui pourrait l’affaiblir. Le maintien de la pureté raciale semblait essentiel : tout mélange avec des races « inférieures » conduirait à la décadence. LA QUESTION CHINOISE La « destinée manifeste » de l’Australie était de La question chinoise prit dès lors une dimension constituer, dans une partie du monde où prédopolitique : de nombreuses voix réclamaient des mesures minaient les peaux brunes ou jaunes, un bastion pour limiter ou mieux interdire cette immigration. Mais de la race blanche. Ainsi prit forme l’idéologie de les lois restrictives adoptées dans certaines colonies l’« Australie blanche », soutenue par un mouvement NOTE (Victoria et Australie-Méridionale) ne purent totale- syndical soucieux de protéger l’ouvrier australien de 1. L’Écosse avait renoncé à son ment juguler l’arrivée des Chinois qui les contournèrent la concurrence d’une main-d’œuvre bon marché. Le indépendance en passant par la Nouvelle-Galles du Sud, où de telles manque d’uniformité des politiques restrictives appli- moins d’un siècle mesures n’avaient pas été prises. quées par certaines colonies avait permis, on l’a vu, auparavant En 1859, ils étaient 40 000 en Australie, soit 20 % aux immigrés chinois de contourner les obstacles. Les et, comme l’Irlande, de la population masculine adulte. L’échec des régle- Australiens se convainquirent donc qu’il fallait, en ce possédait une mentations racistes déboucha sur des pogroms très domaine en tout cas, les mêmes lois partout, ce qui identité propre, distincte de violents comme les émeutes de Lambing Flat, en impliquait la création d’un État fédéral. Le désir de très l’identité 1861, lorsque des mineurs blancs brûlèrent le quartier réserver l’accès du pays aux Blancs fut ainsi un des >>> anglaise. LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°66 81