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IER -JUILLET MARS 2010 DOM/S 2015 7.60 €DOM/S - TOM/S 980 - BEL1000 7.60 €XPF - LUX 7.60 € -€ALL 7.90 € -€ESP 7.60 € -€GR- ESP 7.607.60 € - ITA € - PORT.CONT € - CAN 9.95 - CH 10.99 13.50 $CAN FS - MAR DH -FS TUN 7.5 TND - MAY 9 €7.5 ISSN - SEPTEMBRE 7.60 € XPF - TOM/S - BEL 7.90 - LUX 7.60 - ALL 8,60 € - 7.60 GR 7.60 € - ITA 7.60 7.60 € - PORT.CONT 7.60$CAN € - CAN - CH65 13.80 - MAR 69 DH - TUN TND -01822411 MAY 9,10 € ISSN 01822411
Les Collections de -L’Histoire - trimestriel 2010 - Les grandes migrations - N° Les Collections de L’Histoire trimestriel juillet 2015janvier - La Renaissance de François Ier - N° 68
LES COLLECTIONS il y Mar a 5 ign 00 an, an s
Sommaire
LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°68 - JUILLET-SEPTEMBRE 2015
La Renaissance de François Ier 2. L ES AMBITIONS
TERRITORIALES
8 Le royaume le plus riche d’Europe par JOËL CORNETTE ❙ Carte : un « quadrillage baroque »
1. N AISSANCE
D’UN SOUVERAIN
12 Louise de Savoie.
Tu régneras mon fils !
par CÉDRIC MICHON ❙ Généalogie : celui qu’on n’attendait pas
16 Portrait à facettes
d’un roi de légendes
par CÉDRIC MICHON ❙ La chèvre de monsieur Sanguin par C LAUDE AZIZA
4 LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°68
34 Amboise, 1518.
On rejoue la bataille !
par P ASCAL BRIOIST ❙ Les métamorphoses de 1515
38 Le rêve fou de devenir empereur par O LIVIER CHRISTIN ❙ Carte : la France, encerclée par l’empire de Charles Quint 42 La mort héroïque
du chevalier Bayard
par B ENJAMIN DERUELLE ❙ A-t-il adoubé François Ier ? ❙ « Cul sur la selle, lance au poing » par P ASCAL BRIOIST
BNF, FRANÇAIS 5212. PARIS, MUSÉE DE L’ARMÉE, DIST. RMN-GP/PASCAL SEGRETTE
6 Chronologie
28 Qu’allait-il faire à Marignan ? par A MABLE SABLON DU CORAIL ❙ Reconstitution de la bataille ❙ Carte : un demi-siècle de guerres en Italie ❙ Une révolution militaire ? par É MILIE DOSQUET
4. L E BON
GOUVERNEMENT
72 Le premier État absolu ? entretien avec A RLETTE JOUANNA 76 Fontainebleau. Un rébus à sa gloire par J OËL CORNETTE 78 Banquets-spectacles par F LORENT QUELLIER 80 Face à la Réforme par B ENOIST PIERRE ❙ Calvin à l’offensive par L AURENT THEIS
RMN-GP (DOMAINE DE CHANTILLY)/RENÉ-GABRIEL OJÉDA. RMN-GP (CHÂTEAU DE FONTAINEBLEAU)/GÉRARD BLOT
48 Après Pavie, la guerre continue par PHILIPPE HAMON ❙ A Madrid, captif de Charles Quint par J OËL CORNETTE ❙ Soliman : l’alliance impie par H UGUETTE MEUNIER 52 L’appel de l’Atlantique par A NDRÉ LESPAGNOL ❙ Le Havre, porte océane
84 La langue du roi et des poètes par J OËL CORNETTE ❙ Défense et illustration du français 88 Un règne baigné de musique par D AVID FIALA ❙ Musique de (la) chambre 94 Lexique 96 À lire, voir et écouter
3. ARTS : MODÈLE
ITALIEN OU GÉNIE FRANÇAIS ?
56 L’homme qui aimait les peintres entretien avec R OBERT KNECHT propos recueillis par PASCAL BRIOIST ❙ Qu’est-ce que la Renaissance ? par D ENIS CROUZET ❙ Léonard de Vinci au Clos-Lucé par M ARC H. SMITH 62 D’un château l’autre par JEAN GUILLAUME ❙ Carte : une monarchie itinérante ❙ Chambord. Ce qu’en dit la science par B ENOIST PIERRE
ABONNEZ-VOUS PAGE 91 Toute l’actualité de l’histoire sur histoire.presse.fr Ce numéro comporte deux encarts jetés : L’Histoire (kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse). LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°68 5
Qu’allait-il faire à Marignan ? Au-delà de la légende, Marignan fut un combat de géants opposant les Suisses, alliés des Milanais, aux Français. Une bataille européenne qui fit plus de 12 000 morts. Par A MABLE SABLON DU CORAIL Conservateur en chef du patrimoine, responsable du département du Moyen Age et de l’Ancien Régime aux Archives nationales, Amable Sablon du Corail vient de publier 1515, Marignan (Tallandier, 2015).
L
e 14 septembre 1515, à l’issue d’une bataille acharnée, François Ier remporte une victoire aussi éclatante que sanglante sur les Suisses, alliés et protecteurs du duc de Milan. Pourtant, lorsqu’il avait franchi les Alpes, début août, à la tête de l’armée la plus formidable jamais rassemblée par un roi de France, pour reconquérir le duché de Milan, perdu trois ans plus tôt par Louis XII, le roi ne souhaitait nullement en découdre avec les Suisses. François Ier cherchait au contraire à se réconcilier avec la Confédération, dût-il acheter la paix à prix d’or. Les mercenaires suisses sont en effet, à cette date, les plus redoutés d’Europe. Depuis deux siècles, ils ont fait mordre la poussière à tous leurs adversaires : Léopold Ier et Léopold III de Habsbourg, en 1315 et 1386, le duc de Bourgogne Charles le Téméraire, entre 1474 et 1477, l’empereur Maximilien Ier, en 1499. Alliés du roi de France depuis Louis XI (1461-1483), les Suisses ont fourni à ce souverain et à son successeur Charles VIII jusqu’à la moitié de leur infanterie. La conquête du duché de Milan par Louis XII, en 1499-1500, change la donne. L’occupation française barre désormais la route à la lente, mais irrésistible, expansion suisse sur le versant méridional des Alpes, le long de la vallée du Tessin. Par ailleurs, la menace d’hégémonie française en Italie inquiète.
28 LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°68
L’alliance du pape et des Suisses constitue la colonne vertébrale de la Sainte Ligue conclue en 1511 par presque toutes les puissances européennes contre la France. Jules II rêve de libérer l’Italie des puissances étrangères et de la réunifier en la soumettant tout entière aux successeurs de saint Pierre. Les Suisses jouent un rôle central dans le dessein grandiose du pape : ils ont vocation à être son bras armé. Au cœur de cette combinaison se trouve le cardinal Matthäus Schiner, prince-évêque de Sion, dans le Valais. Il est l’avocat du pape auprès des cantons, et le représentant des intérêts suisses à la curie. Lorsque Jules II meurt en 1513, il semble en passe de réussir. Les Français ont été chassés d’Italieet les Sforza restaurés à Milan, en la personne du jeune Massimiliano, sous la tutelle de fait du pape et des Suisses. L’ALLIÉ DES VÉNITIENS Dès son avènement, François Ier a revendiqué le duché de Milan et le royaume de Sicile. Les circonstances ne sauraient être plus favorables. Le futur Charles Quint n’est encore qu’un jeune archiduc, dont le pouvoir ne s’exerce que sur les Pays-Bas hérités des ducs de Bourgogne. Sur les conseils de son mentor le francophile Guillaume de Croÿ, seigneur de Chièvres, il observe une neutralité prudente. Son grand-père l’empereur Maximilien enrage de ne pouvoir le convaincre de déclarer la guerre à la France. Toujours à court d’argent, Maximilien ne peut que s’agripper aux quelques villes qu’il a conquises sur les Vénitiens, alliés à la France.
CHANTILLY, MUSÉE CONDÉ ; JOSSE/LEEMAGE
7
6
1 2
4
3
8 5
La
San Donato
N
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Milan
(9 km)
ro
1 re ligne française (Bourbon) 2e ligne française (François I er )
Zivido
3e ligne française (Alençon)
Les forces en présence Troupes françaises Infanterie confédérée 1 km
Lodi
Marignan
ECONSTITUTION R DE LA BATAILLE
O
(14 km)
n ignore à peu près tout du mouvement des armées à Marignan. Le plan ci-dessus indique les positions initiales des troupes, seules certitudes dont nous disposons. L’essentiel des combats eut lieu du côté de Zivido. La 1re ligne française encaissa le premier choc le 13 septembre au matin. La « bataille », ou corps principal (2e ligne), de François Ier se porta à son secours dans la soirée, tandis que la 3e ligne ne fut engagée que le lendemain matin. Le dessin à la plume en haut, contemporain de Marignan, n’est pas réaliste, mais il permet de se faire une idée de la confrontation. Le cardinal Schiner mène les Suisses (1). Au centre, s’affrontent les 25 000 piquiers suisses (2) et les 23 000 lansquenets allemands (3), devant l’alignement des pièces d’artillerie française (56 couleuvrines). Le face-à-face dégénère au milieu (4). Les hommes d’armes (2 500 lances), parmi lesquels François Ier (5), chargent les Suisses. Lansquenets, artillerie et hommes d’armes battent leurs adversaires (6). Schiner fuit (7). La bataille a fait plus de 12 000 victimes (8).
Henri VIII d’Angleterre s’empresse quant à lui de ratifier le traité conclu avec Louis XII quelques mois auparavant. Reprenant la politique inaugurée par Louis XI à Picquigny, en 1475, François Ier s’engage à lui verser une pension annuelle de 50 000 écus d’or, ainsi qu’une indemnité forfaitaire de 1 million d’écus d’or, payable en vingt ans. Une somme considérable pour le roi d’Angleterre, qui ne dispose pas, à l’instar de son rival, des ressources d’une fiscalité permanente. Cette pension – ou, pour les Anglais, ce « tribut » – permet de conjurer la menace que font planer les Anglais au-dessus du trône des fleurs de lis. Elle vaut donc largement les quelque 5 % de ses recettes annuelles que François Ier y consacre. Le roi peut ainsi concentrer toutes ses forces en Italie. Lorsqu’il prend la tête de son armée le 15 juillet 1515, celle-ci compte 40 000 à 45 000 combattants ; effectif colossal, deux fois supérieur aux plus grands armements des rois de France avant lui. Relative nouveauté, la cavalerie des compagnies d’ordonnance, qui perpétuent les pratiques et les usages de la chevalerie, est très minoritaire : 2 500 lances, soit 2 500 hommes d’armes et 5 000 archers à cheval. Les compagnies d’ordonnance constituent toujours l’élite des troupes royales. Elles seules sont entretenues en permanence par le roi, et l’on y trouve la fine fleur de l’aristocratie française. Contrairement aux idées reçues, l’heure n’est pas encore au déclin de la cavalerie lourde, toujours redoutable sur le champ de bataille. François Ier emporte une artillerie nombreuse, forte de 56 couleuvrines de gros ou moyen calibre, commandée par Jacques Galiot de Genouillac. Mais LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°68 29
L’homme qui aimait les peintres Curieux d’Érasme et de Budé, féru d’ésotérisme et de philosophie, mais surtout fervent admirateur des peintres italiens : François Ier incarna majestueusement l’idéal humaniste de la Renaissance. Entretien avec R OBERT KNECHT
RMN-GP (MUSÉE DU LOUVRE)/TONY QUERREC
Ancien président de la Société anglaise des historiens de France, Robert Knecht est le plus français des Britanniques. Alsacien du côté paternel, ce professeur émérite à l’université de Birmingham descend, du côté maternel, d’une vieille famille de Blois. Sa biographie Un prince de la Renaissance. François Ier et son royaume est devenue un classique (Fayard, 1998).
La Charité Dans ce tableau peint en 1518-1519, Andrea del Sarto célèbre la naissance du Dauphin. Le bébé au sein est en effet une allusion à la maternité de Claude de France. La fillette aux noisettes serait Charlotte, une des filles du roi (Paris, musée du Louvre).
56 LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°68
L’Histoire : François Ier était, par tempérament, un homme d’action comme en témoigne son goût pour la geste chevaleresque. Comment est-il devenu un protecteur des lettres et un mécène ? Robert Knecht : Grâce à l’éducation que lui a prodiguée sa mère Louise de Savoie durant son enfance. Louise a engagé plusieurs gouverneurs pour éduquer son fils. Elle a commandé des ouvrages pour lui et sa sœur Marguerite, dont un livre d’histoire et un atlas qui se trouvent aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de France. On sait qu’elle lui a appris l’italien et l’espagnol et que l’homme d’Église et humaniste François Demoulins lui a enseigné l’histoire biblique et le latin. Pourtant François ne fut qu’un médiocre latiniste ! C’est pour cette raison du reste que son secrétaire Guillaume Budé a choisi d’écrire en français son petit traité inspiré par Plutarque L’Institution du prince, qu’il offrit au roi en 1519. Néanmoins, beaucoup de ses contemporains ont pensé que François avait été particulièrement bien éduqué. Selon son ami Fleuranges, « aucun prince de sa connaissance n’avait été mieux éduqué ». Même Castiglione, qui a visité la cour de Louis XII, mentionne le jeune prince dans son Livre du courtisan,
MNHA/TOM LUCAS ; COLLECTION DU MUSÉE NATIONAL D’HISTOIRE ET D’ART DU LUXEMBOURG
DANS LE TEXTE
Les goûts du petit prince
«
Comme je suis serviteur et familier de notre petit prince d’Angoulême [François a alors 10 ans], il m’a dit qu’il aimerait que je lui fisse venir quelques tableaux de ces maîtres excellents d’Italie, parce qu’il y prend grand plaisir. Et comme je sais que M. Andrea Mantegna est des plus excellents, et aussi qu’il est aimé de Votre Seigneurie, je prends la liberté de vous écrire en vous priant de faire tout suspendre au dit M. Andrea pour lui faire quelque chose d’exceptionnel, comme le mérite un si grand prince ; les dimensions et l’exécution seront laissées au jugement du peintre. Et je sais qu’on ne peut faire de plus grand plaisir à Son Excellence. J’ai expédié des commandes à Florence et ailleurs pour en faire d’autres. » Lettre de Niccolo Alamanni au marquis de Mantoue François Gonzague, le 12 juin 1504.
Le « Maître roux » Bacchus, Vénus et l’Amour est
l’un des premiers tableaux peints par Rosso Fiorentino pour la galerie de Fontainebleau, vers 1535 (Luxembourg, Musée national d’histoire et d’art). Louis XIV le jugeant impudique, le fit retirer.
le traité par excellence de la sociabilité humaniste, affirmant que monseigneur d’Angoulême « aimait et appréciait au plus haut point les lettres ». Comme tous les jeunes nobles de son époque, il a bien sûr été éduqué pour le combat. Mais le côté intellectuel n’a certainement pas été négligé dans son éducation.
prononça pour le roi, le lecteur de latin Pierre Galland loua les trois innovations de François Ier : la création de la Bibliothèque royale de Fontainebleau, l’établissement dans ce château d’une presse chargée de publier des œuvres érudites, et la fondation d’un collège au sein de l’Université de Paris. Même si François Ier n’a pas, au sens propre, fondé L’H. : Qui étaient les hommes de lettres qui le Collège de France, mais une compagnie de « lecteurs comptaient à la cour de François Ier ? royaux », il en a posé les bases. Et c’est sans doute de là R. K. : François Ier aimait la compagnie des hommes que lui vient cette réputation. De son vivant, cette décicultivés alors que ses prédécesseurs étaient plutôt sion fut acclamée par les humanistes à travers toute entourés d’aristocrates et de guerriers. Le plus impor- l’Europe. Un voyageur flamand écrivit que « la rivière tant d’entre eux fut Guillaume Budé, l’initiateur du que le Roi a[vait] fait couler [allait] rendre toutes les renouveau des études grecques en France. Il faut éga- têtes fertiles ». En 1517, sous l’influence des humanistes qui réclalement citer son médecin, Guillaume Cop, qui avait d’abord servi Louis XII. Cet humaniste traduisait du maient la création d’une institution où l’on puisse grec des ouvrages médicaux. Son précepteur François apprendre le grec et l’hébreu qui n’étaient pas pratiqués Demoulins, chanoine de Poitiers, fut grand aumônier à l’Université de Paris, François Ier avait déjà annoncé de France de 1519 à 1526. Son confesseur Guillaume son intention de fonder une école où seraient enseiPetit, docteur en théologie, devient ensuite son biblio- gnées les langues anciennes. L’idée n’était pas nouvelle. thécaire à Blois. Il existait déjà un collège de jeunes Grecs fondé par le pape Léon X à Rome en 1515 et un collège trilingue L’H. : D’où lui vient cette image de père des Lettres ? à Louvain. François aurait beaucoup aimé qu’Érasme R. K. : Le 7 mai 1547, lors de l’oraison funèbre qu’il vienne y enseigner, mais le grand humaniste >>> LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°68 57
SELVA/LEEMAGE
Rêves de pierre A son retour de captivité, en 1527, le roi imagine en forêt de Boulogne (près So de Paris) le château dit de Madrid. m
m Délabré et abandonné sous Louis XVI, il fut démoli sous la Révolution (gravure de 1680). e Page de droite : en Sologne, Chambord, le grand œuvre du roi où il recevait sa « petite bande ».
Le Havre Fontaine-Henry
Nombre de nuits passées par François Ier dans le château
Rouen
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La Muette
Saint-Germain-en-Laye 1010
Paris
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ne (
152
Châteaudun
Déplacement du centre de gouvernement
La Possonnière Le Lude Amboise
Saumur Oiron
Le Louvre
Vitry-le-François
8 - 1 5 47 )
Fontainebleau
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808 Troyes
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271
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25
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Allier
Loire ( 1 5 1 5 - 1 5
Meillant
On connaît les déplacements du roi grâce à « L’itinéraire de François Ier » établi par des érudits en 1905 à partir du Catalogue des actes de François Ier. Il énumère 783 lieux de séjour et documente presque les trois quarts des jours de son règne. On a ainsi pu calculer le nombre de nuits passées par le roi dans ses principaux châteaux. Contrairement à une idée répandue, c’est au Louvre et non à Fontainebleau qu’il séjourna le plus souvent. Durant son règne, il a changé de résidence entre 40 et 110 fois par an. 62 LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°68
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Orléans
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Bonnivet
Une monarchie itinérante
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e Chaumont Tours Le Moulin Villandry Cher Romorantin Azay Chenonceau Ussé 105 Loches TOURAINE Bourges ) V
462
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Madrid ine Se
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Autre château remarquable de la Renaissance française
Villers-Cotterêts
Chantilly Écouen
Anet
Ville où les bâtiments de la Renaissance française sont nombreux
Aisne
Oise
Gaillon
Caen
Château construit par François Ier et qui n’existe plus
Loire
Compiègne
50 km
Légendes Cartographie
Château construit ou aménagé par François Ier
LUDOVIC LETOT
CRÉDIT PHOTO
D’un c hâteau l’autre Roi-bâtisseur, François Ier fut aussi un architecte, capable d’imaginer des projets audacieux et sans équivalent comme à Chambord avec Léonard de Vinci. Par J EAN GUILLAUME
NOTE 1. Une première version de ce texte a été publiée dans Mantoue Il principe architetto, Florence, Oischki, 2002, où l’on trouvera aussi l’indispensable communication de Monique Chatenet « Francesco I architetto ».
L
es châteaux royaux construits ou aménagés par François Ier ne cessent de surprendre. Ils n’ont rien de commun avec leurs contemporains – Bury, Bonnivet ou Écouen –, et sont tous différents les uns des autres1. Les uns – Fontainebleau et Villers-Cotterêts – semblent soumis aux caprices d’un maître qui organise sa demeure selon ses goûts ; les autres – Chambord, Madrid, Saint-Germain, la Muette – répondent à une plus haute ambition : affirmer le rang du royaume par des constructions extraordinaires. Entre ces édifices bâtis par des équipes différentes, réalisés en divers lieux pendant plus de vingt ans, le seul lien est le roi en personne qui, au dire d’un témoin privilégié, se plaisait à dessiner lui-même ses projets : « Sa Majesté a dessiné de sa main un grand édifice
Professeur émérite à l’université Paris-IV-Sorbonne, spécialiste de l’architecture et du décor monumental à la Renaissance, Jean Guillaume prépare un livre sur le Louvre et les Tuileries au xvie siècle.
et dit qu’il veut le réaliser, vu qu’il a l’habitude de faire des dessins partout où il va » (lettre de l’ambassadeur de Mantoue, juillet 1539, retrouvée par l’historienne Monique Chatenet). Ce qui ne veut pas dire qu’il ait tout inventé : le rôle joué par Léonard de Vinci à Chambord le montre assez. Mais ce cas, justement, est révélateur : lorsqu’il imagine le château de Romorantin, Léonard dessine un projet « raisonnable » ; lorsqu’il participe à l’aventure de Chambord, il répond aux attentes du roi, qui sait ce qu’il rêve de réaliser. LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°68 63
Le premier État absolu ? On fait parfois de François Ier le précurseur de l’absolutisme qui triomphera au siècle suivant. Mais, s’il lui arrive de déroger aux lois, c’est au titre de l’exception et de l’urgence. Entretien avec A RLETTE JOUANNA
L’Histoire : Peut-on parler d’« absolutisme » pour qualifier le règne de François Ier ? Arlette Jouanna : Le mot apparaît à l’extrême fin du xviiie siècle ou au début du siècle suivant, pour stigmatiser l’Ancien Régime. On dit souvent que Chateaubriand serait le premier à l’avoir utilisé en 1797 dans l’Essai sur les révolutions. En réalité, c’est en 1826, dans la préface de la réédition de cet ouvrage chez l’éditeur Ladvocat, qu’il l’emploie, en mettant de l’italique – ce qui suggère qu’il a conscience de recourir à un néologisme. Ce terme, comme beaucoup de ceux terminés en « isme », évoque un système. C’est ainsi que le juriste François Olivier-Martin (1879-1952) le définit dans le cours qu’il lui a consacré : « un système constitutionnel logiquement conçu et développé »1. Autrement dit, un régime dont le dessein explicite est de placer le pouvoir du gouvernant hors de toute limite institutionnelle. Ce n’est pas le cas du règne de François Ier.
À SAVOIR
Les lois qui s’imposent au roi
L’hérédité par ordre de primogéniture puis de masculinité : sans descendants mâles en ligne directe, la couronne revient à l’aîné de la branche collatérale aînée. L’indisponibilité de la couronne : le roi ne saurait renoncer à la couronne en abdiquant. L’inaliénabilité du domaine de la couronne. L’ordre de succession : le roi ne peut pas déclarer ses bâtards aptes à lui succéder.
72 LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°68
Professeur émérite à l’université Paul-Valéry-Montpellier-III, Arlette Jouanna a notamment écrit Le Pouvoir absolu. Naissance de l’imaginaire politique de la royauté (Gallimard, « L’esprit de la cité », 2013).
L’expression « pouvoir absolu » avait un sens très clair pour les contemporains du roi. Il s’agissait d’un pouvoir délié (solutus) des lois (ab legibus). Les juristes de la première moitié du xvie siècle s’accordaient à reconnaître au monarque un tel pouvoir face à un péril imminent, ou, comme on disait, à une « nécessité urgente », lorsque sa vie ou l’intégrité de son royaume était menacée, par exemple en temps de guerre. Il pouvait alors déroger aux lois. Mais c’était un remède d’exception pour des situations d’exception, afin d’obtenir une obéissance immédiate. L’H. : Quelle est la place du roi dans ce système ? A. J. : Le roi, lieutenant de Dieu sur la Terre, détient l’imperium, le pouvoir de faire exécuter ses décisions par ses agents. De lui émane la puissance « coactive » (contraignante) des lois. Mais, comme le rappelle le président du parlement de Paris Charles Guillart, il n’est pas le maître de leur puissance « directive », à savoir de l’autorité morale qui conditionne leur légitimité. Cette autorité vient de plus haut que le monarque : elle naît de la conformité des lois avec la justice, conçue non comme une simple valeur humaine mais comme un ordre transcendant établi par Dieu dans tout l’univers. Le roi gouverne par conseil, ce qui signifie que, tout seul, il ne peut déchiffrer cet ordre juste et qu’il a besoin de ses conseillers et de ses magistrats.
RMN-GP (DOMAINE DE CHANTILLY)/RENÉ-GABRIEL OJÉDA
Bien entouré Le secrétaire Antoine Macault lit sa traduction de Diodore de Sicile à François Ier et à son Conseil. Le roi est entouré de ses trois fils, en rose. A sa droite, le cardinal Jean de Lorraine (la main tendue), Anne de Montmorency et l’amiral Chabot de Brion. A sa gauche, le cardinal et chancelier Antoine Duprat (1534, Chantilly, musée Condé).
L’H. : Pourquoi alors présente-t-on quelquefois François Ier comme le premier souverain absolu ? A. J. : Les auteurs qui le font se réfèrent aux manifestations d’autoritarisme qui ont émaillé son règne. Mais peut-on assimiler roi autoritaire et roi absolu ? Non, si l’on veut rester rigoureux dans l’emploi des termes. Presque chaque fois que le monarque impose sa volonté et brise les résistances, il invoque l’urgence et il ne met pas fondamentalement en cause les relations coutumières avec les institutions chargées de faire passer ses décisions au filtre de la délibération ou du consentement, notamment les cours souveraines et les états provinciaux. Les cours souveraines – parlements et cours de finances – doivent, outre leur fonction de tribunaux, enregistrer les ordonnances. Si elles y trouvent des dispositions contraires à la justice ou aux traditions du royaume, elles peuvent émettre des remontrances. Les états provinciaux, composés des délégués des trois ordres de la société, doivent, en l’absence de la réunion des états généraux depuis 1484, consentir les impôts. Ces deux sortes d’institutions ont eu à subir les manifestations d’autorité de François Ier. L’affrontement le plus spectaculaire avec le parlement de Paris a lieu après Pavie. Furieux que la cour parisienne ait osé rédiger, pendant sa captivité, d’audacieuses remontrances sur sa politique, le roi, après sa libération, lui intime l’ordre, par édit, le 24 juillet 1527,
de ne plus se mêler des affaires de l’État. Mais ses relations avec le parlement continuent ensuite comme si cet éclat n’avait pas eu lieu. Quant aux demandes fiscales présentées aux états provinciaux, elles sont souvent justifiées par les nécessités de la guerre qui, argumente le roi, le « contraignent », à son « grand déplaisir », à lever des impôts. Et quand il passe outre, c’est en se situant dans le temps « extraordinaire » censé justifier les dérogations. En 1523, il fait dire aux états de Languedoc : « En temps de nécessité tous privilèges cessent, et non seulement privilèges, mais lois communes, d’autant que nécessité n’a pas de loi. » Ce point est capital. Pour aider à le comprendre, l’anachronisme assumé peut être éclairant. En recourant en février 2015 à l’article 49-3 de la Constitution pour l’adoption de la loi sur la croissance et l’activité dite « loi Macron », le gouvernement a légalement dérogé à la règle qui veut que toute loi soit validée par un vote du Parlement. La mesure a été présentée comme exceptionnelle, justifiée par l’urgence. Il ne viendrait à l’esprit de personne d’en conclure que le régime est de ce fait devenu dictatorial. De la même façon, on ne peut déduire de l’autoritarisme de François Ier la volonté de transformer la monarchie en régime absolu. Le recours même à l’argument d’exception suppose que l’on reconnaît l’existence d’une norme. Il y a là une différence essentielle avec Louis XIV, pour lequel le pouvoir absolu ne sera plus exceptionnel et LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°68 73