20 ans après... LE DOSSIER MITTERRAND
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HORS-SÉRIE / Décembre 2015
20 ans après…
MITTERRAND
LE DOSSIER
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HORS-SÉRIE
Un destin et des scandales
Était-il de gauche ?
Deux septennats qui ont changé la France
Sommaire
4 /
Le dossier Mitterrand
1916 -1958 COMMENT ON DEVIENT MITTERRAND 1 4 Sous l’Europe, la Saintonge Par Franz-Olivier Giesbert
« Donner du temps au temps » Par Laurent Theis
1 6 De Vichy à la Résistance Par Jean-Pierre Azéma
Pas antisémite, mais… Par Henry Rousso
Crimes de Vichy :
une timide reconnaissance P ar Annette Wieviorka
22 Le plus jeune ministre
de France Par Michel Winock 26 Guerre d’Algérie : 45 exécutions capitales Par Benjamin Stora Fernand Iveton,
exécuté le 11 février 1957
32 Coupable ou manipulé ? Que
s’est-il passé à l’Observatoire ? Par Jean Garrigues
1958 -1981 MITTERRAND ET LA GAUCHE 38 Comment il a amené la gauche au pouvoir Par Michel Winock
L’HISTOIRE / HORS-SÉRIE
« La gauche fête Mitterrand,
Mendès dort »
Michèle Cotta Par
46 Petits arrangements avec l’argent Par Jean Garrigues
5 0 A-t-il converti la gauche
à l’économie de marché ?
Alain Bergounioux Par
« Un choix de circonstance »
Par Pierre Rosanvallon
58 Était-il socialiste ? Par Michel Rocard, Paul Thibaud et Jacques Julliard
77 Politique étrangère : peser sur les affaires du monde
Édouard Vernon Par
Les responsabilités au Rwanda
Par Pierre Brana
8 1 Construction européenne :
oui à l’Europe… des États Jean-Michel Gaillard Par
À Verdun, main dans la main
Par Marion Gaillard
« Entraver la Réunification : une accusation qui ne tient pas la route » Par Hubert Védrine
84 Économie : l’âge d’or 1981 -1995 PRÉSIDENT : LE BILAN 62 10 mai 1981. La victoire
Par Ludivine Bantigny
Les télespectateurs ont voté
Par Agnès Chauveau
Carte : la vague rose
68 Le prince de la manipulation Jean-Michel Gaillard Par
70 Deux septennats
Par Mathias Bernard
73 La première mesure : l’abolition de la peine de mort Par Robert Badinter
75 Décentralisation :
la grande affaire Par Jean-Luc Bœuf
et Yves Léonard
des capitalistes
Jacques Marseille Par
85 Culture : musique et grands travaux Entretien avec Jack Lang
La pyramide
de « Tonton-Khamon »
Jean-Pierre Rioux Par
88 Fin de règne
Par François Bazin
92 Le fonds de la présidence : 13 500 cartons d’archives Entretien avec
Jean-Charles Bédague
REPÈRES Chronologie 91 9 6 Pour aller plus loin
98 Bibliographie
AFP. STF/AFP. JEAN-PAUL GUILLOTEAU/ROGER-VIOLLET
PORTFOLIO
6 Un roman si français
CL AUDE AZOUL AY/PARIS MATCH/SCOOP
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L’HISTOIRE / HORS-SÉRIE
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HORSSÉRIE
F rançois Mitterrand
Portfolio
Un roman si français Issu d’un milieu de droite catholique charentais, François Mitterrand, même devenu leader de la gauche dans les années 1950, demeurera un homme de la terre et des traditions. Amoureux de la nature, des lettres et de l’histoire, toujours entouré d’amis et de femmes.
François Mitterrand naît le 26 octobre 1916 à Jarnac, en Charente. Son père, Joseph Mitterrand, ancien cheminot, est devenu un notable ; sa mère, Yvonne Lorrain, est pourvue d’une culture musicale et littéraire. Tous deux sont catholiques pratiquants. On voit ci-contre François, portant un chapeau, entouré de six de ses sept frères et sœurs. Il fait sa scolarité à Angoulême, dans un collège diocésain de prêtres séculiers, le collège Saint-Paul. La littérature, l’histoire, plus tard la philosophie le passionnent ; beaucoup moins les mathématiques et la physique.
L’HISTOIRE / HORS-SÉRIE
KEYSTONE/GAMMA-RAPHO. RUE DES ARCHIVES
Ferveur religieuse
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JEAN TESSEYRE/PARIS-MATCH/SCOOP. DR. DALMAS/SIPA
Fidélité à la terre « Il existe une Charente presque immuable. Me permettra-t-on de dire que c’est celle-là que je garde en permanence dans mon cœur ? », écrira Mitterrand en 1994. Si son père est un homme plutôt réservé (ci-dessous en 1943), le jeune François est marqué par son grand-père, Jules Lorrain, républicain convaincu.
Amis pour la vie
C’est au cours de son service militaire, en 1938, qu’il se lie avec Georges Dayan (au centre de la photo ci-contre). Né à Oran d’une famille juive, bourgeoise et socialiste, il est son exact contraire. Ils deviennent pourtant très proches. Dayan est sans doute l’initiateur d’une première évolution politique de Mitterrand. L’HISTOIRE / HORS-SÉRIE
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HORSSÉRIE
F rançois Mitterrand
L’épreuve du feu
De Vichy à la Résistance L’itinéraire sinueux de François Mitterrand pendant les années noires scandalisa quand on le redécouvrit à la fin de son second septennat. Pourtant, son parcours de pétainiste puis de résistant fut celui de beaucoup de Français engagés.
L’AUTEUR Professeur émérite à Sciences Po, Jean-Pierre Azéma est spécialiste de la France sous l’Occupation. Il a en particulier publié La France des années noires (avec François Bédarida, 2 vol., Seuil, 1993, rééd. « PointsHistoire », 2000) et une biographie de Jean Moulin (Perrin, 2003). Ce texte est la version revue et mise à jour de « Pétainiste ou résistant ? », L’Histoire n° 253, pp. 44-47.
L’HISTOIRE / HORS-SÉRIE
S
urprenante fut, à la fin du second septennat, la réaction de l’opinion paraissant découvrir une ombre suspecte sur le parcours de François Mitterrand après la publication d’une enquête minutieuse et probe menée par Pierre Péan, Une jeunesse française (Fayard, 1994). C’est sans doute ce qui contraignit l’intéressé à tout assumer de ces années sombres dans Mémoires interrompus (Odile Jacob, 1996), sans emporter toutefois la conviction. Ce passé-là mérite donc le détour, d’autant qu’il est commun à un certain nombre de résistants. En 1969, à Alain Duhamel, François Mitterrand déclarait sobrement : « Rentré en France, je deviens résistant, sans problème déchirant1 », dans un raccourci évidemment contestable. Voyons cela d’un peu plus près. Le sergent Mitterrand du 23e régiment d’infanterie coloniale, assez sérieusement blessé par un éclat d’obus, près de Verdun, le 14 juin 1940, se retrouva captif en Allemagne dans les stalags IX A et IX C. Supportant difficilement, à 25 ans, un sort que partageaient près de 1 650 000 prisonniers, et voulant retrouver coûte que coûte celle qu’il baptisait « Béatrice », il réussit à s’évader à sa troisième tentative, en décembre 1941. Sans doute l’exploit ne fut pas unique : 16 000 tentatives réussies pour la seule année 1941. Mais, pour lui, comme pour le Français moyen qui nourrissait
des sentiments ambivalents à l’endroit des prisonniers, ce n’était pas rien. Cette évasion éclaire la suite. Installé à Vichy dès janvier 1942 (il y conserve un domicile jusqu’en décembre 1943), il occupe, en employé contractuel, deux postes relativement subalternes, d’abord à la Légion française des combattants puis, en mai 1942, au Commissariat au reclassement des prisonniers. Ce dernier, créé en octobre 1941, avait la charge de quelque 200 000 prisonniers libérés par l’Allemagne ou évadés ; il était alors dirigé par Maurice Pinot, lui-même rapatrié. Cette forte personnalité, nettement marquée à droite, avait ouvert une « maison du prisonnier » dans chaque département et des centaines de centres d’entraide. Son action civique et sociale était ouvertement placée sous l’égide de la Révolution nationale, la doctrine et la politique mise en œuvre par Vichy. Chef adjoint au service de presse, Mitterrand intervient lors de causeries et conférences, participe à des émissions de radio dirigées par Claude Roy, publie des articles et rédige un bulletin de liaison.
« J’ai vu le Maréchal, il est magnifique » Il ne fait pas de doute qu’il était alors maréchaliste, au sens où les historiens l’entendent, à savoir plein de confiance mais aussi d’admiration pour l’homme Pétain. Dans une lettre du 13 mars 1941, il s’exprime comme nombre de dévots du « Maréchal » : « J’ai vu le Maréchal au théâtre. […]
PIERRE-FRANCK COLOMBIER/AFP
Par Jean-Pierre Azéma
PIERRE PÉAN/GAMMA-RAPHO
/ 1 7
Il est magnifique d’allure, son visage est celui d’une statue de marbre2. » Sans attribuer une importance démesurée à l’audience accordée, le 15 octobre 1942, à François Mitterrand et à trois de ses camarades anciens prisonniers par le chef de l’État français, coutumier de ce genre de réception, reste que Mitterrand était persona grata et, que, symétriquement, il semble avoir conservé de l’admiration, puis de l’indulgence à l’endroit du noble vieillard. Qu’il ait été pétainiste, autrement dit que, dans un premier temps, il se soit senti relativement à l’aise dans le nouveau régime, trouvant des vertus à la Révolution nationale, est également peu contestable. On en jugera par le ton et le contenu d’une lettre, publiée par Pierre Péan3, et datée du 22 avril 1942. Si son approche géopolitique (« attendre la fin de la lutte germano-russe ») constitue une des variantes prudentes de la politique de collaboration d’État, en revanche ses jugements sur l’avenir du régime sont plus affirmés : non seulement il avoue n’être pas particulièrement inquiet du retour aux affaires, en avril 1942, de Laval, qui doit – selon lui – faire ses preuves, mais il condamne la fonctionnarisation de la Légion française des combattants, lui préférant le modèle du Service d’ordre légionnaire, que vient de mettre en place Darnand, instrument d’un pétainisme pour le moins musclé. Autant qu’on puisse le suivre au fil des semaines et des mois, il paraît alors osciller
Prisonnier de guerre B lessé
le 14 juin 1940 non loin de Verdun et fait prisonnier à Lunéville, Mitterrand est transféré au stalag IX A, en Hesse (ci-dessus au deuxième rang). Il sera ensuite envoyé dans un autre camp, en Thuringe. Il s’évade le 10 décembre 1941 et, dès janvier, est à Vichy.
Des fleurs pour Pétain La tombe du maréchal Pétain, à l’île d’Yeu, fleurie chaque 11 novembre, au nom de la présidence de la République. Jusqu’en 1993, et malgré la polémique, Mitterrand entendait ainsi honorer le « vainqueur de Verdun ».
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F rançois Mitterrand
Comment il a amené la gauche au pouvoir En 1958, Mitterrand est entré dans l’opposition. Mais, déjà, il se positionne pour l’avenir. Au point de devenir le leader de la gauche et, en 1981, d’accéder aux plus hautes fonctions de l’État. Récit d’une double conquête.
L’AUTEUR Professeur émérite à Sciences Po Paris, Michel Winock a publié de nombreux ouvrages sur l’histoire politique française contemporaine. Et notamment, tout dernièrement, une biographie de François Mitterrand (Gallimard, 2015, prix du Sénat du livre d’histoire 2015). Cet article est la version revue et mise à jour de « François Mitterrand était-il socialiste ? », L’Histoire n° 253, pp. 34-41.
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L
’année 1958 aura été l’étape décisive de la carrière de François Mitterrand. L’opposition vertueuse et éloquente qu’il a manifestée au retour du général de Gaulle au pouvoir le positionne pour l’avenir. Il bravera l’adversité – on se demande comment il a pu surmonter le scandale de « l’Observatoire » –, il aura à affronter la virulence, souvent haineuse, de ses ennemis, mais, campé sur ses positions, il enfile résolument les habits de l’opposant majeur au nouveau régime en gardien de la démocratie et, quelques années après, il devient le patron nécessaire de la gauche. Aux législatives de 1958, il a perdu son siège de député, mais quelque chose d’important s’est produit. Déjà son grand discours du 1er juin à l’Assemblée contre l’investiture du général de Gaulle avait été applaudi par les députés communistes. Au second tour des législatives, il est soutenu par le parti communiste, ce qui lui permet, sans être élu, de devancer le candidat socialiste. Au mois de mars 1959 se déroulent les élections municipales, et cette fois encore il bénéficie du soutien communiste qui lui permet de devenir maire de Château-Chinon. En avril, les sénatoriales. Nouveau soutien du PCF, et le voilà élu sénateur : une belle revanche ! Mais ne tient-il
pas là le secret des victoires futures de la gauche : l’union avec les communistes pestiférés ? Staline est mort et bientôt la Détente, issue de la crise des fusées en 1962 et du bras de fer entre Kennedy et Khrouchtchev, va permettre le rapprochement de la gauche non communiste avec le PCF. Le Coup d’État permanent, paru en 1964, le modèle dans un rôle à la Caton d’Utique contre César ou à la Victor Hugo contre Badinguet. Son exil à lui n’est qu’intérieur, mais il est le contempteur du pouvoir personnel, le contre-procureur de la république, l’accusateur en chef du néobonapartisme. Celui qui, seul à son banc de député, reste assis pendant la lecture du message du chef de l’État. Mais non l’annonciateur de l’avenir radieux, de la société sans classes, sur les ruines du capitalisme. Républicain et patriote, François Mitterrand se sent alors plus proche de Lamartine – le héros émouvant de 1848 – que des socialistes Guesde ou Jaurès. Arrive l’élection présidentielle de 1965, la première au suffrage universel sous la Ve République. Mendès France a refusé d’être candidat. Les communistes hésitent à présenter le leur. La gauche non communiste elle-même est divisée. C’est alors que, avec un maximum d’audace et d’habileté, François Mitterrand réussit à rassembler sur son nom les grands partis de gauche. Moment encore plus décisif que son « non » à de Gaulle de
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Par Michel Winock
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1958, d’autant qu’avec l’aide de Jean Lecanuet, candidat du centre, il parvient – impensable à l’époque – à acculer de Gaulle à un duel avec lui au second tour. De nouveau, la gauche reprend forme. Ce que la guerre froide et le retour du général de Gaulle au pouvoir avaient interdit est de nouveau concevable : l’union de la gauche.
MARCEL BINH/AFP. DR
L’alliance avec les communistes En 1965, François Mitterrand ne se déclare pas encore « socialiste ». Deux facteurs principaux, à mon sens, vont l’y conduire. Le premier est ce qui constitue à ses yeux l’impératif stratégique ; le second ressortit à l’air du temps – la nouvelle doxa post-soixante-huitarde. Stratégie d’abord : on sait depuis les premières élections de 1945 qu’il n’y a de gauche possible au pouvoir que par l’alliance entre les socialistes et les communistes. Le PCF est devenu le parti le plus puissant de la vie politique française. Certes, le retour de De Gaulle a sensiblement amoindri ses forces : il recueillait encore 25 % des suffrages en 1956 ; ceux-ci tombent audessous de 19 % en 1958. Avec ce chiffre même, qui s’améliore, du reste, le PCF ne peut être écarté d’un projet gouvernemental de gauche. En 1962, la loi électorale – scrutin nominal à deux tours – favorise les ententes entre différents candidats de gauche, dont le PCF tire parti : avec 22 % des suffrages, il obtient 41 sièges, au lieu
Le patron E n 1979,
lors de la convention nationale du PS destinée à préparer les élections européennes : François Mitterrand est entouré notamment de JeanPierre Chevènement (tout à gauche), Laurent Fabius (au centre), Lionel Jospin (à droite). Ci-dessous : la rose socialiste.
des 10 qu’il avait sauvegardés en 1958. Forts de leur organisation disciplinée et bien rodée, appuyés sur leur relais syndical, la CGT, bénéficiant de l’aide financière, politique et morale des Soviétiques, les dirigeants communistes peuvent estimer qu’ils n’ont rien à craindre, mais tout à gagner à l’alliance socialiste. Devant cette demande, Mitterrand, pourtant anticommuniste, ne se rétracte pas : il juge la situation favorable. Cette analyse est loin d’être partagée par toute la gauche, y compris les socialistes. C’est ainsi que Gaston Defferre, un moment candidat à l’élection de 1965, juge plus conforme aux idéaux démocratiques de la gauche non communiste d’unir celle-ci au centre droit opposé à de Gaulle. L’échec de cette tentative en juin 1965 (entraînant le retrait de la candidature de Defferre), tentative que François Mitterrand a laissée se dérouler avec patience, permet une autre stratégie de conquête du pouvoir, par l’union de la gauche. L’alliance avec le PCF implique cependant de redonner à la gauche non communiste une force et une unité qui lui font gravement défaut : c’est ce à quoi Mitterrand est décidé à travailler. A ce moment-là, il fait partie, selon son habitude pourrait-on dire, d’une petite formation, la Convention des institutions républicaines. Il s’agit du rassemblement, depuis 1964, L’HISTOIRE / HORS-SÉRIE
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F rançois Mitterrand
Économie
L’âge d’or des capitalistes
Par Jacques Marseille
L’AUTEUR Spécialiste d’histoire économique, Jacques Marseille était professeur à l’université Paris-I Sorbonne. Il est mort en 2010. Ce texte est tiré de « A-t-il modernisé la France ? », L’Histoire n° 253, pp. 66-69.
Part du capital dans le PIB
Taux de chômage
Produit intérieur brut
Population active
(en milliard de francs)
(en million de personnes)
3 072 Capital
2 360 Capital
$
24
participations dans le portefeuille des ménages est passée de 452 milliards de francs en 1980 à 5 390 milliards en 1995, et l’ensemble de leurs actifs financiers de 2 905 milliards à 14 356 milliards. .
Des salaires qui stagnent Entre 1980 et 1995, le salaire annuel ouvrier en francs s’est élevé de 84 500 F à 88 886 F, une hausse de 5 % en quinze ans, soit une quasi-stagnation qui contraste vivement avec les 62 % de hausse enregistrés dans les quinze années précédentes. Tandis que le nombre de chômeurs est passé de 1,4 million en 1980, selon la définition du Bureau international du travail (BIT), à 2,7 millions en 1994, soit 10,7 % de la population active, un des taux les plus élevés
Balance commerciale 590
Échanges
25,5
(en milliard d’euros) importation exportation
$ 40 %
$ 290
29 %
300 Salaire
71 %
60 %
1980
175 95
Chômage
1994
Chômage
5,9 %
1980
$
10,7 % 80
1994
1980
1994
Légendes Cartographie
Salaire
Priorité au marché et à la concurrence Entre 1980 et 1994, si l’on considère la répartition des revenus au sein du produit intérieur brut (PIB), la part du capital passe de plus de 29 % à près de 40 %, alors que celle du travail descend de 71 % à 60 %. Dans le même temps, le nombre de chômeurs double. Tandis que la balance commerciale, déficitaire en 1980, est redevenue excédentaire en 1994.
L’HISTOIRE / HORS-SÉRIE
de l’ensemble des vieux pays industrialisés. Les entreprises publiques qui occupaient près de 2 millions d’actifs en 1980 n’en comptent plus que 1,5 million en 1994. Prépondérant dans l’énergie et également important dans les transports, le secteur public a vu son implantation dans les autres branches réduite au minimum. Renault, forteresse ouvrière, est devenue une société anonyme, la Poste a été séparée de France Telecom, les banques de dépôt, nationalisées à la Libération (Crédit lyonnais, Société générale, etc.), ont été privatisées.
Des entreprises tournées vers l’international
Dans le même temps, inscrite dans un mouvement de désinflation massif, jusqu’à devenir l’un des grands pays industrialisés les moins inflationnistes, la France a restauré une compétitivité-prix qui a permis à son économie de rétablir son équilibre extérieur et à ses entreprises d’entamer un mouvement d’internationalisation considérable, plusieurs d’entre elles (Alcatel, Carrefour, Vivendi, etc.) constituant même des groupes de premier ordre au plan mondial. La balance commerciale, qui affichait en 1980 un déficit de 14 milliards de dollars, enregistre en 1995 un excédent de 11 milliards. La balance des paiements courants (qui prend en compte l’ensemble des transactions entre un pays et l’étranger), déficitaire de 4,2 milliards de dollars en 1980, est excédentaire de 10,9 milliards en 1995, et le taux d’exportation rapporté au PIB, qui mesure l’ouverture internationale des pays, est passé de 21,5 % en 1980 à 28,9 % en 1995. n
CAROLE ROUAUD/DR
A
u cours des deux septennats de François Mitterrand, les « capitalistes » ont vu leur part progresser, au détriment de celle des « travailleurs », dans la richesse du pays. Après vingtcinq années d’érosion de la part revenant au capital, de 37,8 % de la valeur ajoutée en 1950 à 28,3 % en 1980, les vingt dernières années du siècle auront été celles de la « revanche » : en 1994 cette part est de 39,7 %. Alors que le cours moyen des actions françaises était au plus bas en 1980, trois fois inférieur au niveau de 1950, il était en 1995 près de sept fois supérieur à celui de 1980. Une hausse qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire du capitalisme français. Durant les années 1980-1995, la valeur des actions et autres
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La Marseillaise L e 14 juillet 1989, pour le bicentenaire de la Révolution française, la parade conçue par Jean-Paul Goude défile sur les Champs-Élysées : une grandiose fête nocturne.
Culture
Musique et grands travaux
POOL BICENTENAIRE DE L A RÉVOLUTION/GAMMA-RAPHO. FRANÇOIS LOOK/CITIZENSIDE/AFP
Entretien avec Jack Lang
L’AUTEUR Jack Lang a été ministre de la Culture entre 1981 et 1986, de la Culture et de la Communication entre 1988 et 1992, puis de l’Éducation nationale et de la Culture entre 1992 et 1993, enfin de l’Éducation nationale entre 2000 et 2002. Il est aujourd’hui président de l’Institut du monde arabe.
L’Histoire : Quand avez-vous rencontré François Mitterrand ? Jack Lang : Notre première rencontre date de 1974. A la suite de mon éviction brutale du Théâtre de Chaillot par Michel Guy, le ministre de la Culture de Valéry Giscard d’Estaing, une soirée d’adieu et de soutien avait été organisée. François Mitterrand y est venu. L’année suivante, il a accepté mon invitation au festival mondial de théâtre universitaire de Nancy. Le théâtre d’avant-garde ne lui était pas familier mais il était très ouvert. Et je l’ai invité une deuxième fois au festival, en 1977. J’avais organisé, parallèlement au festival, un symposium sur l’Amérique latine, où étaient venus Felipe Gonzales, Mario Soares, Mme Allende. François Mitterrand prononça une allocution et inaugura le
musée Salvador-Allende au côté de la veuve du président chilien A quel moment vous a-t-il proposé de travailler avec lui ? Ce qui a été déterminant en la matière, c’est l’échec des élections législatives de 1978 et l’offensive de Michel Rocard contre François Mitterrand. Ce dernier voulait contrer les accusations d’archaïsme, le procès en ringardise lancés contre lui. Des jeunes comme Fabius, Attali pouvaient lui être utiles. Et moi. Il m’avait d’abord proposé de m’occuper des relations avec la presse. Je lui ai fait une contreproposition, celle d’être son conseiller pour les questions de culture et de science, mais aussi de diriger sa campagne pour les élections européennes de 1979. En août 1978, je suis allé le voir
à Latche pour lui soumettre mon plan de bataille. J’ai organisé autour de lui une série de symposiums thématiques et de réunions publiques qui culminèrent avec le rassemblement au Trocadéro de 100 000 personnes à la fin de la campagne. Sur la lancée, j’ai intégré l’équipe de campagne pour la présidentielle de 1981. Progressivement, j’ai gagné sa confiance et il m’a désigné comme ministre de la Culture après la victoire de mai. Les premières mesures donnent le ton de la nouvelle politique culturelle… Ce sont souvent les premiers actes qui comptent le plus. Je cite pêle-mêle la loi sur le prix unique du livre, première loi d’écologie politique, qui marque la préé minence de la L’HISTOIRE / HORS-SÉRIE