Les sociétés préhistoriques

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Mein Kampf www.histoire.presse.fr

HISTOIRE D’UN LIVRE

COMMENT SAPIENS A CONQUIS LE MONDE

Les sociétés

préhistoriques • La vie quotidienne au Paléolithique • Le rapport à la mort • Des chasseurs très modernes • De grands artistes


Sommaire

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ACTUALITÉS

DOSSIER

L’ÉDITO

3 Publier « Mein Kampf »

FORUM Vous nous écrivez 4 Newton, Buffon et

les savants arabes

ON VA EN PARLER

Exclusif 6 La fin de l’Institut d’histoire

de la Révolution française ?

ÉVÉNEMENT

Édition 1 2 « Mein Kampf »,

histoire d’un livre Entretien avec Christian Ingrao

ACTUALITÉ Manuscrit 20 Sacré Capétien

Par Fabien Paquet

D émographie 22 Baby-boom dans

le monde arabe Par Youssef Courbage

S olidarité 24 SOS Fraternelle de

28 Les sociétés

Saint-Claude ! Par Stéphane Gacon

préhistoriques

PORTRAIT Philippe Braunstein 26 Un étranger à Venise Par Juliette Rigondet

30

36

La vie quotidienne au Paléolithique

Par François Bon

Pincevent, la « Pompéi » du Magdalénien

Par Boris Valentin

La BD ou la paléolithique-fiction

LA LETTRE DE L’HISTOIRE C artes, débats, expositions : pour

recevoir les dernières actualités de l’histoire abonnez-vous gratuitement à

h ttp://newsletters.sophiapublications.fr

Frise chronologique 45 « De vrais artistes »

La Lettre de L’Histoire

Par Jul

ARTOTHEK/L A COLLECTION

Entretien avec Emmanuel Guy

Les chefs-d’œuvre de Lascaux 52 Portrait du préhistorien en historien

COUVERTURE : Bison peint au Magdalénien sur une paroi de la grotte d’Altamira en Espagne (Bildarchiv Steffens/AKG). RETROUVEZ PAGE 97 l es Privilèges abonnés ABONNEZ-VOUS PAGE 93 Ce numéro comporte trois encarts jetés : L’Histoire (deux encarts kiosques France et étranger, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).

L’invention d’une science

Par Yann Potin

Par Boris Valentin

L’ÉDITION NUMÉRIQUE DE L’HISTOIRE EST DISPONIBLE SUR VOTRE TABLETTE OU VOTRE SMARTPHONE

L’HISTOIRE / N°420 / FÉVRIER 2016 StoreLH.indd 1

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L’ATELIER DES CHERCHEURS

GUIDE LIVRES

76 « Les Avant-Gardes artistiques, 1848-1918 » de Béatrice Joyeux-Prunel Par Emmanuelle Loyer

78 La sélection de « L’Histoire » Bande dessinée

85 Mitterrand, une jeunesse

à droite Par Pascal Ory

Classique 87 « Vienne fin de siècle.

56 L a révolution du mariage civil Par Rita Hermon-Belot

Politique et culture » de Carl Schorske Par Bruno Cabanes

Revues 8 8 La sélection de « L’Histoire » SORTIES Expositions

9 0 Delacroix refait l’Antique

à Paris Par Hervé Duchêne

92 Chine-Mongolie au Laténium de Neuchâtel 92 Survivre à Tromelin au château des ducs de Bretagne à Nantes Médias 9 4 Christophe Bourseiller,

62 A ntiquité. Comment les Chinois

l’homme-orchestre sur France Musique Par Olivier Thomas

Par Damien Chaussende

95 Kessel : « 10 jours dans la guerre d’Espagne » de Patrick Jeudy

voyaient le monde

AKG. THE BRITISH LIBRARY BOARD/LEEMAGE. SHUTTERSTOCK

Cinéma 9 6 « Les Filles au Moyen Age » d’Hubert Viel Par Antoine de Baecque

CARTE BLANCHE

9 8 Ce que peut l’histoire Par Pierre Assouline

70 1 858, le « Regina Cœli ».

Le monde dans un bateau

Par Laurent Vidal

France Culture Vendredi 29 janvier à 9 h 05 dans l’émission « La Fabrique de l’histoire » d’Emmanuel Laurentin, retrouvez la séquence « La Fabrique mondiale de l’histoire ». En partenariat avec L’Histoire L’HISTOIRE / N°420 / FÉVRIER 2016


L’HISTOIRE / N°420 / FÉVRIER 2016


Événement

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« MEIN KAMPF »   HISTOIRE   D’UN LIVRE

Le 1er janvier 2016, en vertu de la législation sur le droit d’auteur, Mein Kampf est entré dans le domaine public. Une édition scientifique paraît en Allemagne et une traduction est annoncée chez Fayard. Au-delà des controverses, retour sur la « bible du IIIe Reich ».

AKG. MALIKA RAHAL/DR

Entretien avec Christian Ingrao

L’Histoire : Vous vous êtes exprimé pour la traduction et la publication de Mein Kampf en français. Pouvez-vous rappeler vos arguments ? Christian Ingrao : Le débat autour de la publication de Mein Kampf, survenu au mois d’octobre 2015, intervient à un moment où la réflexion sur une édition française a déjà commencé depuis longtemps. En effet, l’idée d’une traduction et d’une édition scientifique du livre date de 2011. Elle avait été lancée chez Fayard par l’historien et éditeur Anthony Rowley. Après sa mort en octobre 2011, elle a été reprise, toujours chez Fayard, par Fabrice d’Almeida, puis l’an passé par Sophie Hogg à partir du moment où ce dernier s’est retiré de la maison d’édition. Le débat qui s’est déclenché à l’automne 2015 arrive donc alors qu’une équipe est en cours de formation, que des contacts ont déjà été pris et que la traduction du texte par Olivier

Mannoni (notamment traducteur de Freud et du Journal de Goebbels) est déjà bien avancée – la première version est même pratiquement achevée. Le débat a été provoqué le 22 octobre par un billet de Jean-Luc Mélenchon sur son blog (« L’ère du peuple »). Dans une lettre ouverte à Sophie Charnavel, son éditrice chez Fayard, il demande solennellement à la maison d’édition de retirer ce projet, considérant d’une part qu’il est criminel de rééditer un livre qui a signé la « condamnation de 6 millions de personnes dans les camps nazis et de 50 millions de morts au total » et, d’autre part, que dans un temps où le « fascisme » revient à grands pas en France dans la personne de Marine Le Pen, il faut s’abstenir de lui donner du ravitaillement. J’étais jusqu’à ce moment-là très partagé quant à la publication de Mein Kampf en France. Mais les arguments de Jean-Luc Mélenchon contre le projet sont pour moi autant d’arguments

L’AUTEUR Chargé de recherches au CNRS, Christian Ingrao a publié Les Chasseurs noirs. La brigade Dirlewanger (Perrin, 2006, rééd.) et Croire et détruire. Les intellectuels dans la machine de guerre SS (Fayard, 2010).

La bible nazie eux membres D

des forces de sécurité allemandes du territoire de Memel (Lituanie) plongés dans la lecture de Mein Kampf (1939).

pour le faire. Mein Kampf déborde certes d’éructations antisémites, mais il n’est fait aucune allusion au projet de meurtre des juifs dans le livre. Ce que cette réaction nous montre, c’est qu’une grande partie des élites cultivées françaises et européennes projettent encore sur le livre de Hitler une aura sombre de subversivité, très caractéristique de l’école intentionnaliste aujourd’hui complètement dépassée (cf. p. 16). Cette pensée révèle une éducation reçue dans les années 1960 et 1970, lorsqu’on considérait encore que Hitler expliquait tout le nazisme et que l’on pensait que, pour comprendre cette idéologie, il suffisait d’analyser Mein Kampf. L’« hitléro-centrisme », et en son sein même la sacralisation de l’écrit du dictateur, nécessite à mes yeux un travail de re-rationalisation qui passe désormais par une traduction de Mein Kampf en français, additionnée d’un appareil critique qui permettra de refroidir le texte et d’appréhender son contenu documentaire. L’HISTOIRE / N°420 / FÉVRIER 2016


Actualité

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Sacré Capétien Nous connaissons le rituel du sacre par plusieurs documents du Moyen Age. Un manuscrit rare, car enluminé, vient d’être redécouvert en Allemagne.

Onction

L’archevêque de Reims (à droite) oint le roi de France, tandis qu’un de ses assistants soulève la couronne. L’image est inscrite dans le U qui commence la formule prononcée par le prélat (folio 15 r.).

I

ci commence l’ordo pour consacrer et couronner le roi de France », est-il inscrit au début d’un manuscrit enluminé du xiiie siècle récemment redécouvert par François Avril grâce à la politique de numérisation de manuscrits médiévaux de l­a Herzog August Bibliothek de Wolfenbüttel (Allemagne), où il est conservédepuis le xviiie siècle1 . Un ordo est un ouvrage liturgique décrivant avec précision la cérémonie du sacre, dans lequel on trouve ce qu’il faut faire – notamment les actes à accomplir par le roi, les clercs, les barons, le peuple… – et ce qu’il faut dire, en particulier les serments que doit prononcer le roi.

L’HISTOIRE / N°420 / FÉVRIER 2016

En s’appuyant sur une série d’observations matérielles ainsi que sur sa grande connaissance de la production manuscrite de l’Occident, François Avril a daté cet ouvrage – que l’on nommera comme lui ordo W – du dernier quart du xiiie siècle. Or nous ne possédions, pour cette période, que deux autres documents. Le premier, composé sous Saint Louis (1226-1270), conservé à la BNF, a été édité et commenté par Jacques Le Goff, Éric Palazzo, Jean-Claude Bonne et Marie-Noël Colette (Le Sacre royal à l’époque de Saint Louis, Gallimard, 2001) ; le second, écrit à la toute fin du règne de Saint Louis et que nous

connaissons à travers une quinzaine de copies parfois légèrement adaptées, est celui que Richard A. Jackson a nommé « dernier ordo capétien »2. C’est de ce dernier que le texte du manuscrit de la Herzog August Bibliothek est le plus proche. Mais l’ordo W est surtout exceptionnel car c’est – avec le manuscrit de la BNF – le seul ordo illustré du xiiie siècle que nous connaissons. Si nous conservons beaucoup d’autres ordines (pluriel d’ordo), celuici permet la comparaison, mettant par là même en valeur une nouvelle étape dans la construction de la « religion royale » capétienne au xiiie siècle.

HERZOG AUGUST BIBLIOTHEK WOLFENBÜTTEL

Par Fabien Paquet*


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Tout en scellant l’alliance du roi et de son peuple, le sacre place le roi au-dessus des autres hommes. On ne naît pas sacré, on le devient au terme d’un rituel, qui est à la fois politique et religieux C’est Hincmar, archevêque de Reims, qui, au ix e siècle, inscrit la cérémonie du sacre comme une répétition du baptême de Clovis, premier roi de France, dans cette même cathédrale de Reims, par saint Remi (en 496 ou 499 – ou, plus probablement encore, en 5073). C’est lui qui affirme que lors de ce baptême une colombe (le Saint-Esprit) avait apporté dans son bec une « ampoule » (flacon) emplie du chrême (l’huile) de l’onction, qui, miraculeusement, ne se vide jamais. Tout en scellant l’alliance du roi et de son peuple, le sacre place le roi au-dessus des autres hommes. Car on ne naît pas sacré, on le devient au terme d’un rituel, qui est à la fois politique et religieux.

HERZOG AUGUST BIBLIOTHEK WOLFENBÜTTEL

Un autre homme

L’ordo W décrit avec une grande précision l’ensemble des étapes du sacre : la préparation de la cathédrale de Reims, du roi et de l’archevêque consécrateur ; la procession de la sainte ampoule du monastère de SaintRemi à Reims, où elle est conservée, jusqu’à la cathédrale ; puis toutes les étapes du sacre à proprement parler, qui culmine avec l’onction du roi avec le saint chrême (cf. page de gauche). Toutes ces étapes ne sont pas illustrées dans l’ordo W. Seules huit initiales enluminées donnent à voir des moments du sacre du roi (seule une lettrine des courts passages concernant le sacre de la reine est enluminée). Et les choix ne sont certainement pas anodins : sur ces huit lettrines on voit dans quatre la sainte ampoule. C’est le cœur du sacre : l’onction est le rite de passage où le roi s’apparente aux rois de l’Ancien Testament

comme David, Salomon ou Saül. « Que ton onction très sacrée coule sur sa tête et descende à l’intérieur de lui et pénètre le fond de son cœur », dit l’archevêque après l’onction. Le changement prend ici un tour physique ; le roi devient un homme différent. Cette insistance sur le saint chrême n’est pas anodine : elle rend exceptionnel le sacre des rois de France dans toute la Chrétienté. Elle correspond également à une idéologie et une politique initiée au ixe siècle, accentuée au xiie siècle, et qui trouve au xiiie siècle, ses premiers aboutissements. Désormais, les ordines – celui de la BNF ou l’ordo W – sont « français » et montrent le pouvoir du roi, son « empire » sur son royaume. Jacques Le Goff avait vu cela avec le seul ordo de la BNF. C’est aussi dans les enluminures de l’ordo W qu’apparaît pour la première fois – dans un ordo, à notre connaissance –, la fleur de lis, qui devient au xiiie siècle, avec la sainte ampoule, un des symboles fortement mis en avant dans l’idéologie capétienne. Elle figure sur le sceau royal à partir de 1211, puis sur l’écu et les vêtements à partir des années 1250. Symbole de pureté et de justice, elle accompagne donc désormais le roi aussi lors de son sacre. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est omniprésente dans l’ordo W, à la fois sur les vêtements (fol. 1 r., 14 v., 15 r.…), sur un écu (fol. 4 r.) ou quadrilobée dans une lettre (fol. 3 v., 6 v.).

Frappante est la première initiale (ci-contre) historiée du manuscrit à cet égard : elle montre le moine de Saint-Remi portant la sainte ampoule… vêtu d’un long manteau fleurdelisé. Comme pour bien signifier, dès l’ouverture du manuscrit, que, même si c’est de ce moine, qui incarne l’Église, que le roi tirera son pouvoir, celui-ci est déjà bien placé en son pouvoir, couvert du lis symbole du Christ, de la Vierge et du roi. C’est peut-être là une façon de gommer partiellement la dépendance du roi envers le clergé pour acquérir son statut sacré – et d’affirmer, en creux, la force du sang royal, puisque la fleur de lis est le symbole d’une dynastie plus que d’un homme. Si par son texte cet ordo nous apprend peut-être peu (mais il faudra encore le prouver), ses images, tracées à un moment crucial dans la définition de l’idéologie royale capétienne, font incontestablement de lui une nouvelle pièce à verser dans le riche dossier du sacre des rois de France. n * Université de Caen Normandie, Craham

Fleurdelisé

Procession des moines apportant la sainte ampoule à la cathédrale de Reims. Ce I montre l’habileté de l’artiste à figurer la foule dans un espace étroit (folio 2 v.).

Notes 1. F. Avril, « L’ordo du sacre des rois de France à la Herzog August Bibliothek de Wolfenbüttel », Art de l’enluminure n° 54, 2015, pp. 4-16. 2. R. A. Jackson, Vivat rex. Histoire des sacres et couronnements en France, 1364-1825, Presses universitaires de Strasbourg, 1984 et R. A. Jackson, Ordines Coronationis Franciae, Texts and Ordines for the Coronation of Frankish and French Kings and Queens in the Middle Ages, 2 vol., Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1995-2000. 3. Cf. M. Sot, « Le baptême de Clovis », L’Histoire n° 135, juilletaoût 1990, pp. 10-16.

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L es sociétés préhistoriques

DOSSIER

La vie quotidienne au Paléolithique Comment vivait Homo sapiens il y a 10 000 ans, à l’issue d’une évolution multimillénaire qui l’a conduit de l’Afrique à la planète entière ? Portraits d’hommes très modernes.

L’AUTEUR François Bon est professeur de préhistoire à l’université Toulouse-IIJean-Jaurès. Il a publié Préhistoire. La fabrique de l’homme (Seuil, 2009).

N

otre récit choisit comme amorce le moment où des Homo sapiens d’origine africaine commencèrent à se répandre sur la planète – c’était il y a environ 100 000 ans –, pour suivre ensuite leurs traces au fil du long cheminement qui les a conduits à la peupler tout entière ou presque – ce qui sera chose faite il y a environ 10 000 ans. Dans cet intervalle de temps, nous assisterons à deux processus de longue portée : la réduction de la diversité biologique de l’homme, l’anatomie des Homo sapiens prenant définitivement le pas sur d’autres formes humaines, tel l’homme de Neandertal en Europe ; l’essor de mutations comportementales puissantes comme le développement d’une pensée symbolique matérialisée dans les premières œuvres d’art. Pour mieux analyser les liens entre ces processus d’ordres physiologique et culturel, notre récit nous conduira à nous demander depuis quand cette humanité dont nous sommes issus peut être considérée comme « moderne » sur un plan tout à la fois biologique et comportemental.

Il y a 100 000 ans A quoi pouvait bien ressembler le monde il y a 100 000 ans ? Tout d’abord, il était infiniment plus petit qu’aujourd’hui, car si l’Afrique et l’Eurasie sont, déjà, un « ancien monde » peuplé depuis des centaines de millénaires par les premières humanités, le « nouveau monde » n’existe pas encore, l’Australie et les deux Amériques étant encore vierges de toute L’HISTOIRE / N°420 / FÉVRIER 2016

présence humaine (quelle paix pour les kangourous géants et autres mylodons !). Ensuite, même sur les continents occupés de longue date, les foyers de peuplement étaient sans aucun doute très discontinus. Bien sûr, à la faveur de fluctuations climatiques et, notamment, d’épisodes tempérés comme c’est justement le cas il y a 100 000 ans, des espaces libérés des glaces (dans l’hémisphère Nord) ou devenus moins arides (par exemple au Sahara ou dans la péninsule Arabique) se sont ouverts à l’expansion humaine ; mais, quoi qu’il en soit, le monde est bien loin d’être plein. A cette époque, l’humanité est encore plurielle sur le plan biologique : ayant pour souche les descendants des premiers « colons » (Homo ­erectus) qui ont peu à peu essaimé à partir d’environ 2 millions d’années depuis le berceau originel africain en direction de l’Eurasie, elle a fini par se diviser en divers rameaux, parmi lesquels se reconnaissent des néandertaliens (en Europe), des Erectus (en Asie) et, déjà, des Sapiens (en Afrique). Vers 100 000 ans justement, ces derniers prennent pied en dehors de ce continent et abordent le Proche-Orient. Est-ce la marque d’une première « pulsion » expansionniste de ces populations ? Quoi qu’il en soit de leurs altérités biologiques, ces diverses humanités demeurent très proches sur le plan comportemental : ce sont de braves chasseurs-cueilleurs, nomades, formant des groupes dont nous maîtrisons très mal l’organisation, mais qui occupent chacun sans doute des territoires relativement restreints, à l’échelle de petites régions.

DR

Par François Bon


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Paléolithique supérieur

La victoire de Sapiens

RMN-GP (SAINT-GERMAIN-EN-L AYE, MUSÉE D’ARCHÉOLOGIE NATIONALE)/JEAN-GILLES BERIZZI. MNHN/J.-C. DOMENECH. ERICH LESSING/AKG. ERICH LESSING/AKG. GÊNES, MUSÉE D’ARCHÉOLOGIE ; LUISA RICCIARINI/LEEMAGE. RMN-GP (SAINT-GERMAIN-EN-L AYE, MUSÉE D’ARCHÉOLOGIE NATIONALE)/JEAN-GILLES BERIZZI

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Cro-Magnon, l’autre nom de Sapiens râne découvert en 1868 dans un abri sous roche C

Féminité T rois Vénus du Gravettien (autour de 25 000 ans avant le présent) :

dénommé Cro-Magnon aux Eyzies (Dordogne, 2). C’est ainsi que « Cro-Magnon » a longtemps été utilisé pour désigner les fossiles de Sapiens en Europe.

la Dame à la capuche (1), découverte dans les Landes (conservée à Saint-Germainen-Laye) ; la Vénus de Willendorf (3) mise au jour en Autriche (musée d’Histoire naturelle de Vienne) ; la Vénus à la corne (4) trouvée en Dordogne (Bordeaux, musée d’Aquitaine). Il s’agit de représentations de la féminité – non de femmes.

Riche sépulture T ombe dite « du jeune prince »

Des armes sophistiquées P ointes à cran d’époque solutréenne

(Arene Candide, Ligurie, 5). Cet homme a été enterré avec des ornements et une lame de silex à la main. Le signe d’inégalités au sein de ces sociétés ?

(il y a environ 20 000 ans) destinées à armer des sagaies ou des flèches (6). Grâce à ces armes de tir à distance, les hommes peuvent désormais chasser seuls et courent moins de risques d’être blessés. L’HISTOIRE / N°420 / FÉVRIER 2016


L’Atelier des chercheurs

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Comment les Chinois voyaient le monde A l’époque des Han postérieurs, pendant les deux premiers siècles de notre ère, les Chinois se percevaient comme le centre du monde civilisé. Les autres peuples étaient des Barbares. Mais ils savaient qu’il existait très loin, à l’ouest, un grand pays civilisé, une contrée étrange, un double exotique : l’Empire romain. Par Damien Chaussende

L’AUTEUR Sinologue, chercheur au CNRS, Damien Chaussende a notamment publié Des trois royaumes aux Jin (Les Belles Lettres, 2010, prix Giles 2013 de l’Académie des inscriptions et belleslettres) et La Chine au xviiie siècle (Les Belles Lettres, 2013).

Décryptage Si les textes des Anciens chinois (l’équivalent des œuvres de Tacite ou de Pline) sont depuis longtemps bien connus des spécialistes, ils sont aujourd’hui plus aisément accessibles. C’est en partant de ces sources non occidentales que Damien Chaussende, spécialiste de l’histoire et de l’historiographie de la Chine classique, montre que les Chinois s’intéressaient dès les premiers siècles de notre ère à l’Empire romain. Même s’il ne s’agit pas encore de « mondialisation » (les biens et les informations circulent, mais les hommes assez peu), le monde était déjà connecté.

L’HISTOIRE / N°420 / FÉVRIER 2016

populations non chinoises, constituaient une sorte de vastes remparts qui n’ont guère facilité les contacts entre la Chine et l’Asie centrale ou l’Inde. Les Han ont eu néanmoins connaissance des peuples et des pays de ces régions, notamment grâce à des émissaires qui y furent envoyés. Mais là s’arrêtait leur savoir direct. Les sources chinoises anciennes sont cependant fort riches de ce point de vue, et montrent que certaines informations concernant l’Empire romain parvinrent jusqu’aux annalistes chinois.

Le pays de Daqin Le nom d’un empereur romain se trouve même dans une histoire officielle chinoise, le Livre des Han postérieurs, qui porte sur la période 25-220. Il est en effet mentionné dans une notice consacrée à un pays occidental, le Daqin (prononcer « Da-Ts’inne ») : « Enfin, sous le règne de l’empereur Huan [qui régna entre 146 et 167 de notre ère], la neuvième année de l’ère Yanxi [soit 166 de notre ère], Andun envoya un ambassadeur qui vint d’au-delà du Rinan [Vietnam du Nord] pour offrir des défenses d’éléphant, des cornes de rhinocéros, de l’écaille de tortue ; c’est alors que pour la première fois une communication [entre la Chine et le Daqin] fut établie1. » Il est désormais admis que le nom « Andun » (prononcer « Anne-dounne ») dans ce passage correspond à la transcription du terme latin Antoninus, l’un des noms de l’empereur Marc Aurèle (Marcus Aurelius Antoninus), qui régnait alors à Rome. Marc Aurèle aurait-il vraiment envoyé une ambassade en Chine ? Rien dans les sources romaines ne le confirme. Il s’agit plus probablement de marchands ayant prononcé le nom de l’empereur Marc Aurèle et du pays dont ils étaient peut-être originaires. Ce

DR

P

endant quatre cents ans, la dynastie chinoise des Han (206 av. J.-C.-220 ap. ­J.-C.) a régné sur un vaste territoire unifié, hérité du célèbre premier empereur des Qin, celui-là même qui se fit inhumer avec plusieurs milliers de soldats en terre cuite. Les souverains Han gouvernaient un empire qu’ils voyaient comme le centre du monde et qu’ils considéraient comme la norme sur les plans culturel et politique. Ils étaient néanmoins loin de méconnaître les autres États et les autres peuples, en particulier leurs voisins immédiats. Dans les steppes du nord nomadisaient les Xiongnu, ennemis héréditaires des Chinois, qui se livraient régulièrement à diverses razzias et déprédations sur les frontières. Le sud de l’empire, pas encore totalement sinisé à cette époque, était habité par des populations autochtones, dont descendent certaines minorités ethniques actuelles comme les Miao. A l’ouest, les hauts plateaux tibétains, eux aussi habités par diverses


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THE BRITISH LIBRARY BOARD/LEEMAGE. PICTURES FROM HISTORY/BRIDGEMAN IMAGES

imbiqué

« L’État du centre » S ur cette

carte du monde, réalisée en Corée au xixe siècle et conservée à la British Library, la Chine est placée au centre. Les caractères situés dans le disque rouge central signifient « Plaine centrale » et désignent la Chine.

Les Han C ette

peinture sur céramique retrouvée dans une tombe près de Luoyang, dans la province du Henan, représente des fonctionnaires de la dynastie Han (206 av. J.-C.-220 ap. J.-C.). L’HISTOIRE / N°420 / FÉVRIER 2016


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