Le vrai pouvoir des califes

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Sommaire

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ACTUALITÉS

DOSSIER

L’ÉDITO

3 Pourquoi Verdun ?

FORUM Vous nous écrivez 4 Perspectives polonaises ON VA EN PARLER Exclusif 6 Charniers du Mans :

la paix des morts Par Jean-Clément Martin

ÉVÉNEMENT

Verdun vu d’ailleurs 1 3 1 916, l’année des batailles Par Bruno Cabanes

20 La construction d’une légende

Par Gerd Krumeich et Antoine Prost

30 Chacun sa guerre

Par Nicolas Patin

et Arndt Weinrich

ACTUALITÉ Religion 3 2 Quand l’Église étouffe le

42 Le vrai pouvoir

scandale Par Arnaud Vivien Fossier

des califes

D émographie 3 4 Rohingyas : où sont passés

les musulmans de Birmanie ? Par Youssef Courbage

44

A nniversaire 3 6 1939, faux départ pour

F estival de Pessac 37 Les lauréats

C oncordance des temps 3 8 Les naufragés de Calais Par Jean-Clément Martin

PORTRAIT

Robert Ilbert 4 0 Un chercheur en liberté Par Vincent Lemire

L’HISTOIRE / N°423 / MAI 2016

La succession conflictuelle du Prophète Carte : l’Empire abbasside et ses rivaux

54

Chef de guerre !

Par Gabriel Martinez-Gros

58

Le coup de force de Mustafa Kemal Par Julien Loiseau

64

Le retour à la théocratie ?

Par Nabil Mouline

AKG. PICTURES FROM HISTORY

le Festival de Cannes Entretien avec Olivier Loubes

Le calife abbasside. Pape ou empereur ? Par Françoise Micheau


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L’ATELIER DES CHERCHEURS

GUIDE LIVRES

76 « Préhistoires d’Europe »

d’Anne Lehoërff Par Boris Valentin

78 La sélection de « L’Histoire » Bande dessinée

8 4 « Capa. L’étoile filante »

de Florent Silloray Par Pascal Ory

Classique 85 « Guerres de Justinien » de Procope Par Giusto Traina

66 C omment la France a aboli l’esclavage Par Olivier Grenouilleau

Revues 86 La sélection de « L’Histoire » SORTIES Expositions

9 0 Marguerite et Hadrien

au Forum antique de Bavay Par Olivier Thomas

92 Le chapeau de l’Empereur au musée de l’Armée Par Bruno Calvès

Médias 9 4 Le webdocumentaire

RMN-GP (MUSÉE DU QUAI-BRANLY)/JEAN-GILLES BERIZZI. RMN-GP (MUSÉE DU LOUVRE)/HERVÉ LÉWANDOWSKI

« 700 000 » Par Boris Valentin

95 « Vichy, la mémoire empoisonnée » de Michaël Prazan

Cinéma 9 6 « Mobile étoile »

de Raphaël Nadjari Par Antoine de Baecque

72 D rôles de vases grecs

CARTE BLANCHE

9 8 Alain Decaux,

Par Alexandre G. Mitchell

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LA LETTRE DE L’HISTOIRE C artes, débats, expositions : pour

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La Lettre de L’Histoire

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la voix de l’histoire Par Pierre Assouline France Culture Vendredi 29 avril à 9 h 05 dans l’émission « La Fabrique de l’histoire » d’Emmanuel Laurentin, retrouvez Arndt Weinrich lors de la séquence « La Fabrique mondiale de l’histoire ». En partenariat avec L’Histoire.

COUVERTURE : L es deux premiers califes Abu Bakr et Umar, miniature turque du xvie siècle (Luisa Ricciarini/Leemage) ; un soldat français à la bataille de Verdun,carte postale, 1916 (AKG). RETROUVEZ PAGE 97 les Privilèges abonnés ABONNEZ-VOUS PAGE 89 Ce numéro comporte cinq encarts jetés : Marianne, Creacontact (abonnés) ; L’Histoire (deux encarts kiosques France et étranger, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).

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L’HISTOIRE / N°423 / MAI 2016 08/10/2015 15:24


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Événement

VERDUN

VU D’AILLEURS Le 29 mai 2016, la chancelière Angela Merkel et le président François Hollande se rendent à Verdun pour commémorer les 100 ans de cette bataille sanglante pour les deux armées. On annonce par ailleurs la visite de la reine d’Angleterre dans la Somme en juillet. Quelle place faut-il accorder à Verdun dans le cadre global de la guerre ? Par Bruno Cabanes, Gerd Krumeich, Antoine Prost, Nicolas Patin et Arndt Weinrich

Guillaume II E n 1917, l’empereur allemand décore les soldats ayant combattu pendant dix mois à Verdun, sur le front occidental.

En haut, à gauche : le président allemand Joachim Gauck et le président français François Hollande commémorent le centenaire du début de la guerre en août 2014. En haut, à droite : la reine Élisabeth II à Vimy le 9 avril 2007. L’HISTOIRE / N°423 / MAI 2016


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1916, l’année des batailles Ce fut un tournant décisif. A Verdun, mais aussi dans la Somme, les Balkans ou sur mer, le conflit change de nature et s’inscrit au cœur d’une stratégie mondiale. Par Bruno Cabanes

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CHRISTOPHE KARABA/AFP. DENIS CHARLET/AFP. AKG. DR

L’AUTEUR Membre du comité scientifique de L’Histoire, Bruno Cabanes occupe la chaire Donald G. and Mary A. Dunn d’histoire de la guerre à l’Ohio State University (Columbus, États-Unis). Il va publier cette année August 1914. France, the Great War and a Month that Changed the World Forever (Yale University Press).

Note 1. Cf. R. Prior, « 1916. Batailles totales et guerre d’usure », J. Winter (dir.), La Première Guerre mondiale. T. I coordonné par A. Becker, Fayard, 2013, pp. 103-126.

’année 1916 est une année charnière de la Première Guerre mondiale. Pour les Français et les Allemands, elle est associée au souvenir de Verdun, l’une des batailles les plus longues (dix mois) de la Grande Guerre. Dans la mémoire collective britannique, le 1er juillet 1916 reste un événement traumatique : le premier jour de la bataille de la Somme est le plus meurtrier de toute l’histoire militaire anglaise avec 20 000 morts pour cette seule journée. La guerre industrielle semble alors portée à son paroxysme, avec ses conséquences irréparables sur les combattants et sur les paysages. Sur le front oriental, les troupes russes conduites par Broussilov enfoncent les lignes austro-hongroises, en juin 1916, avant de s’enliser face aux Allemands. 1916, année des batailles ? Avant d’en faire le symbole même de la guerre totale, au risque d’oublier par exemple que les dix-huit premiers mois du conflit furent les plus coûteux en vies humaines, il faut commencer par prendre un peu de recul et replacer ces événements dans la chronologie globale de la Première Guerre mondiale. 1916 s’explique d’abord par l’échec des diverses stratégies mises en œuvre l’année précédente. A l’aube du 9 janvier 1916 débute la deuxième vague d’évacuation des troupes alliées du cap Helles, soldant la défaite cinglante de Gallipoli contre les Ottomans. Première opération

intégrée réunissant Français et Britanniques, cette campagne était supposée apporter la victoire aux Alliés en leur permettant de forcer les détroits des Dardanelles. Toute l’opération est une catastrophe. Quelques mois plus tard, en mai 1916, le journaliste australien Charles Bean publie The Anzac Book, une collection de témoignages recueillis auprès de combattants australiens et néo-zélandais. Le succès du livre est considérable. Avec ce premier monument littéraire en hommage aux soldats des Dardanelles, c’est la conscience d’une nation australienne moderne qui voit le jour. Mais il n’y a pas qu’à Gallipoli que l’année 1915 a été désastreuse. Sur le front occidental également, les gains de part et d’autre ont été faibles.

Puissance de feu

1916 verra donc un engagement de troupes encore plus massif et un accroissement de la puissance de feu. Mais encore faut-il

rattraper à marche forcée le retard de la production d’armements. Début 1916, les états-majors manquent encore de tout. L’Allemagne, qui ne produisait que 38 pièces d’artillerie lourde par mois fin 1915, en fabrique dix fois plus à l’automne 1916. L’accélération de la production est encore plus spectaculaire au Royaume-Uni : 90 canons par mois fin 1914, 3 200 à l’été 1916. La France, qui multiplie sa production de canons lourds par cinq dans le premier semestre 1916, doit renvoyer d’urgence vers les usines d’armement les ouvriers qu’elle avait mobilisés en trop grand nombre au début de la guerre1. Les efforts de l’industrie de guerre en France et en GrandeBretagne ont notamment pour but de préparer une vaste offensive, décidée à Chantilly en décembre 1915 par l’ensemble des Alliés, Français, Britanniques, Italiens et Russes. C’est l’autre changement de l’année 1916 : les Alliés cherchent

À SAVOIR

Qu’est-ce qu’une bataille ? Une bataille se définit par le déploiement et le choc de deux armées – ce qui la diférencie donc d’un « combat ». Jusqu’à la fin du xixe siècle, elle se caractérise également par l’espace réduit sur lequel elle se déroule (le champ de bataille) et par sa durée limitée, souvent une seule journée. Le Grand dictionnaire universel du xixe siècle opère une distinction entre la « bataille » et la « bataille stratégique », telle qu’elle a été pratiquée par Napoléon et qui peut s’étendre sur une vingtaine de jours. Ce modèle disparaît en 1916 avec Verdun ou la Somme, appelées « batailles » au moment même où elles se déroulent, alors qu’elles ne répondent plus à des objectifs précis et s’étirent dans le temps.

L’HISTOIRE / N°423 / MAI 2016


Actualité

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Quand l’Église étouffe le scandale Pour éviter le scandale, la hiérarchie de l’Église catholique a inventé, dès les premiers siècles du Moyen Age, le principe de « correction fraternelle ».

Expiation

Le secret de la confession (à gauche) est une façon de traiter le crime en interne. A droite, le prêtre pécheur dit une messe en guise de pénitence (miniature du dernier quart du xve siècle).

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écompensé par l’Oscar du meilleur film fin février 2016, Spotlight de Tom McCarthy retrace l’enquête journalistique menée au début des années 2000 sur plusieurs dizaines de prêtres de Boston accusés d’avoir abusé sexuellement d’enfants, mais protégés par leur hiérarchie. En mars, une plainte est déposée contre l’archevêque de Lyon, le cardinal Barbarin, soutenu par le Vatican, pour « nondénonciation d’agressions

sexuelles sur mineurs de 15 ans » commises par Bernard Preynat, un prêtre de son diocèse. Ces affaires récentes montrent une Église catholique qui semble toujours en proie au vieux démon de la sexualité de ses ministres et inapte à réagir avec clarté et fermeté devant les cas de pédophilie. Quitte à organiser le silence pour éviter le scandale. Au-delà du banal constat de l’« opacité » de l’Église, il convient de s’interroger sur le

poids historique du secret dans la tradition catholique. Le droit canonique (le droit de l’Église) actuel prévoit certes une procédure pénale applicable aux clercs pédophiles et incite en outre à leur dénonciation auprès des juridictions civiles (lesquelles poursuivent les cas de délinquance sexuelle, liés ou non à l’Église). Mais il préfère toujours la « sollicitude » au procès et la « correction fraternelle » à la peine. Conformément à ce qui est inscrit au canon 1341

PARIS, BIBLIOTHÈQUE MAZARINE, MS 1560 FOLIO 298

Par Arnaud Vivien Fossier*


/ 3 3 du Code de droit canonique de 1983 : « [La juridiction] ordinaire aura soin de n’entamer aucune procédure judiciaire ou administrative en vue d’infliger ou de déclarer une peine que si [elle] est assuré[e] que la correction fraternelle, la réprimande ou les autres moyens de sa sollicitude pastorale ne peuvent suffisamment réparer le scandale, rétablir la justice, amender le coupable. » Le principe même de la « correction » est en fait formulé et même encouragé dès le Nouveau Testament : « Si ton frère vient à pécher, va le trouver et corrige-le [corripe eum], seul à seul. […] Mais s’il ne t’écoute pas, prends encore avec toi un ou deux autres, pour que toute l’affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins. S’il refuse de les écouter, dis-le à la communauté [dic ecclesiae] » (Matthieu, XVIII, 15-18). Dans les Évangiles comme dans le Code de droit canonique, c’est donc en dernier recours que l’instruction, le procès, sur le fondement de témoignages, et la peine doivent être envisagés.

celui d’avoir séquestré et tué un nombre indéterminé d’enfants, mais il faut sans doute y voir une marque parmi d’autres de son « hérésie », davantage qu’une manière de penser à part les abus sexuels sur mineurs. En revanche, c’est bien au tournant du xiie et du xiiie siècle, sous le pontificat d’Innocent III en particulier (1198-1216), qu’ont été mis en place les mécanismes procéduraux, les qualifications et les catégories juridiques sur lesquels repose,

Enquête

Le film Spotlight de Tom McCarthy dénonce la manière dont la société catholique de Boston a couvert des dizaines de prêtres pédophiles.

FIRST LOOK MEDIA/PARTICIPANT MEDIA/TOCKLIN/FAUST/KOBAL/AURIMAGES. ÉRIC CABANIS/AFP

Chasteté absolue La correction dite « fraternelle » a, dès le ve-vie siècle, occupé une place centrale dans le monde clos des monastères, où les « frères » recevaient de leur abbé la pénitence (jeûne ou enfermement) après s’être confessés à lui, et où la sexualité, par définition proscrite, était considérée comme un péché dont il convenait de s’amender. Au moment de la réforme grégorienne (v. 1050-v. 1120), ce modèle de chasteté absolue a joué un rôle décisif dans l’imposition du célibat aux clercs séculiers (diacres, prêtres et évêques), l’Église catholique étant la seule à interdire le mariage à ses ministres du culte. La pédophilie à cette date n’est qu’un péché de chair parmi d’autre (rappelons que la notion de « majorité sexuelle » ne fait son apparition dans le Code pénal qu’en 1832). En 1440, le seigneur vendéen Gilles de Rais est certes accusé des crimes les plus atroces et indicibles, dont

Le traitement de la pédophilie repose sur des procédures mises en place sous Innocent III contre tous les péchés de chair

Silence

En mars 2016, une plainte est déposée contre le cardinal Barbarin pour « nondénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans ».

aujourd’hui, le traitement, par l’Église, de la pédophilie. La notion de « scandale » acquiert ainsi à cette époque un sens très précis, qu’elle a conservé dans l’actuel vocabulaire juridique de l’Église. Le scandale désigne le mauvais exemple qu’offrent certains clercs à leurs ouailles, quand ils vivent en concubinage ou, pis, se vautrent dans la luxure, et dilapident les biens de l’Église.

Il est, par conséquent, ce qu’il faut à tout prix « éviter », quitte, comme l’écrit l’un des plus fameux canonistes de son temps (Bernard de Parme, au milieu du xiiie siècle), « à renoncer à la vérité de la justice ». En d’autres termes : tout faire – correction « fraternelle » à huis clos et imposition d’une pénitence privée au coupable – plutôt que de juger en place publique un prêtre ou un prélat indigne. Cette volonté d’éviter le scandale en privilégiant (dans un premier temps au moins) le secret de la confession, l’enquête « discrète » et la pénitence par rapport au procès et à la sanction, n’a cessé d’être le fondement de l’action de l’Église jusqu’à nos jours. Instituée en droit canonique dès la fin du xiie siècle, mais à l’œuvre également dans les archives de l’Église médiévale, la catégorie, à la fois juridique et morale, du « scandale » se retrouve en effet dans l’instruction sur le « crime de harcèlement » (crimen sollicitationis) de la congrégation du Saint-Office (1962), de même que dans les « Lignes directrices sur les cas d’abus sexuels sur mineurs » de la conférence des évêques italiens (2012). C’est donc par l’histoire du mot « scandale », porteur d’institutions au long cours, que l’on peut tenter d’expliquer qu’en dépit du décret Motu proprio de Jean Paul II qui encourage la dénonciation, aux autorités civiles compétentes, des abus sexuels sur mineurs commis par des clercs (30 avril 2001), ou des nombreuses déclarations d’intention de Benoît XVI à ce sujet, le cardinal Barbarin, qui savait, n’ait rien fait. n * Maître de conférences à l’université de Bourgogne L’HISTOIRE / N°423 / MAI 2016


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DOSSIER

G ouverner en Islam

Le calife abbasside

Pape ou empereur ? Un souverain jouissant d’un pouvoir conféré par Dieu, une seule communauté de croyants, un empire à vocation universelle… Le calife disposait-il vraiment, au temps de l’apogée des Abbassides (750-945), d’un pouvoir absolu ? Les hommes de foi limitèrent très vite ses prérogatives religieuses, et les sultans son autorité politique. Par Françoise Micheau

S

À SAVOIR

Un titre universel De l’arabe khalifa, qui signifie « successeur » ou « lieutenant », le calife est le successeur du Prophète à la tête des croyants. Il est aussi l’imam de la communauté, celui qui dirige la prière, celui dont découle l’autorité des juges. Théoriquement universel, ce titre est parfois porté par plusieurs souverains à la fois : ainsi, à partir du xe siècle, le souverain abbasside de Bagdad, le souverain fatimide d’Égypte et l’émir de Cordoue revendiquent ce titre. Si, à l’origine, le calife détient le pouvoir religieux, politique et militaire, il n’est plus habilité à définir le dogme et la loi religieuse au ixe siècle, puis, à Bagdad, est dépossédé de sa capacité de commandement politique et militaire à partir du milieu du xe siècle.

L’HISTOIRE / N°423 / MAI 2016

Al-Tabari s’interroge sur les raisons de la chute brutale et imprévisible des Barmécides tout en admettant implicitement que des actes tels qu’exécuter, emprisonner, confisquer, relèvent du pouvoir absolu et discrétionnaire dont jouissent les califes abbassides. Doit-on pour autant considérer qu’au temps de leur apogée, entre 750 et 945, les califes règnent en maîtres, que leurs prérogatives sont sans limites, que ne s’exerce sur eux aucun contrôle, qu’ils détiennent à la fois le pouvoir politique et l’autorité religieuse ?

Maîtres absolus de l’Empire islamique Au milieu du viiie siècle, lorsque les Abbassides succèdent aux Omeyyades, l’Empire islamique s’étend alors sur tout le Proche-Orient et une large partie du bassin méditerranéen, depuis l’Indus jusqu’à l’océan Atlantique, depuis les espaces sahariens jusqu’aux steppes du Caucase. Ces territoires sont aux mains d’une élite arabe et musulmane ; ils sont gouvernés en référence à l’islam et dirigés par un calife héritier du Prophète, ce pourquoi ils sont désignés comme les « pays d’Islam » (dar al-Islam) et s’opposent aux « pays de la guerre » (dar al-harb) appelés à faire partie, par la force si nécessaire, de ce nouvel empire à vocation universelle. Un seul Dieu, un seul empire, une seule communauté de croyants (l’umma), un seul calife. Porté par un vaste mouvement insurrectionnel hostile aux Omeyyades, Al-Saffah, descendant d’Al-Abbas, l’un des oncles du prophète Muhammad (Mahomet en français), est proclamé calife à Koufa en 749. L’année suivante, ses troupes l’emportent sur celles des

DR. PRISMA/ALBUM/AKG

L’AUTEUR Professeur émérite à l’université Paris-1Panthéon-Sorbonne, Françoise Micheau a récemment publié Les Débuts de l’islam. Jalons pour une nouvelle histoire (Téraèdre, 2012).

i nous ouvrons l’Histoire des prophètes et des rois que rédigea l’historien Al-Tabari au début du xe siècle, nous y trouvons sous l’année 187 de l’hégire1 le récit d’une célèbre disgrâce, celle de la famille des Barmécides, victime de l’arbitraire d’un despote. Dans la nuit du 30 muharram (le 27 janvier 803), le calife Harun al-Rachid (786-809), de retour du pèlerinage à La Mecque, ordonne que l’on se saisisse de son vizir Jafar le Barmécide qui, dix-sept ans durant, a été son favori et l’a fidèlement servi, et qu’il soit décapité. Le bourreau Masrur obtempère immédiatement sans autre forme de procès. Le corps est découpé, la tête et les morceaux sont exposés sur les ponts du Tigre à Bagdad (capitale du califat abbasside depuis 762). La même nuit, le calife fait arrêter les membres de la famille du vizir déchu et confisquer tous leurs biens.


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L’allégeance S urnommé Al-Saffah (« le Sanguinaire ») sans doute en raison du massacre des Omeyyades, ce descendant d’Al-Abbas, l’un des oncles de Muhammad, est le fondateur de la dynastie califale des Abbassides. Cette miniature persane du xive siècle représente la cérémonie de la baya, durant laquelle ce calife reçoit l’allégeance des dignitaires dans la grande mosquée de Koufa en 749.

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GUIDE Sorties n Expositions p. 90 n Médias p. 94 n Cinéma p. 96

Expositions

Marguerite et Hadrien

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ans Les Yeux ouverts (1980), un essai constitué d’entretiens accordés à Matthieu Galey, Marguerite Yourcenar explique simplement sa fascination pour Hadrien, qui structura administrativement l’Empire romain au iie siècle ap. J.-C. : « C’est la villa Hadriana qui a été le point de départ, l’étincelle, quand je l’ai visitée à l’âge de 20 ans. » En effet, en 1924, alors qu’elle accompagne son père en voyage en Italie, elle se rend dans la demeure construite par l’empereur à Tivoli dans la campagne romaine. Une révélation pour la jeune fille qui, quelque temps auparavant, avait déjà consacré un poème à l’amant de l’empereur, Antinoüs. Mais entre la naissance de cette passion et la publication des Mémoires d’Hadrien en 1951, il s’écoule plus d’un quart de siècle. « Écrit tout entier, puis jeté au panier, repris, puis abandonné plusieurs fois, ce livre, ou plutôt ce projet de livre, m’accompagna en Grèce pendant des années ; mes recherches, mes lectures ne cessèrent jamais de s’y reporter, même au moment où je m’étais découragée de l’écrire », raconte Marguerite Yourcenar dans la revue Avanguardia. C’est justement par ce processus créatif laborieux des Mémoires que débute l’exposition installée à Bavay dans le musée jouxtant les vestiges – cryptoportique, temple et basilique – du forum antique de l’ancienne Bagacum L’HISTOIRE / N°423 /MAI 2016

Nerviorum fondée sous le règne d’Auguste. A travers les albums patiemment constitués de photographies et de cartes postales de statues romaines, de tapuscrits annotés, le visiteur découvre le travail de documentation et de maturation nécessaire à l’écrivain pour « se transporter en pensée à l’intérieur de quelqu’un » et imaginer les réflexions de l’empereur au crépuscule de sa vie.

Voyageur, bâtisseur, politique, esthète et mécène des arts et de la culture hellénique, chacune des facettes de la personnalité d’Hadrien – mais aussi certains aspects de la société romaine du iie siècle ap. J.-C. comme la médecine, l’éducation ou la religion – est exposée. Sont présentés textes et cartes explicatifs ainsi que bustes, statues, monnaies, bijoux ou objets du quotidien (encrier, lampe, tablettes) issus des collections du Louvre, du British Museum, de la villa Hadriana ou des musées des antiquités de Toulouse et de Lyon auxquels répondent des extraits des Mémoires. Dans un dialogue stimulant et permanent entre littérature, histoire et archéologie, l’exposition « Marguerite Yourcenar et l’empereur Hadrien, une réécriture de l’Antiquité » propose d’aller de la fiction à la réalité, de partir de l’empereur romanesque pour mieux retrouver l’empereur historique. Comme une preuve du lien qui unit désormais Hadrien à Marguerite, on y voit l’aureus d’Hadrien, une pièce d’or montée en pendentif que Marguerite Yourcenar portait le 22 janvier 1981 lors de sa réception à l’Académie française. Devenue immortelle, l’écrivain rejoint dans l’éternité l’empereur ­divinisé. n Olivier Thomas À VOIR

Buste en marbre de l’empereur Hadrien

conservé au musée du Louvre. En haut : monnaie de Tarse à l’effigie d’Antinoüs, amant de l’empereur.

Marguerite Yourcenar et l’empereur Hadrien, une réécriture de l’Antiquité jusqu’au 30 août au Forum antique, Bavay (59).

BERLIN, STAATLICHE MUSEEN/REINHARD SACZEWSKI. PARIS, MUSÉE DU LOUVRE, INV. MA 1187

A Bavay, une exposition sensible fait dialoguer l’académicienne et son empereur préféré.


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DR

Grande voyageuse, Marguerite Yourcenar est ici photographiée le 22 janvier 1982 à Antinoé en Égypte. Cette cité sur le Nil a été fondée

par l’empereur Hadrien en mémoire de son favori Antinoüs.

L’HISTOIRE / N°423 / MAI 2016


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