1917 : les révolutions russes

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Sommaire

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ACTUALITÉS

SPÉCIAL

L’ÉDITO

3 Février/Octobre

FORUM Vous nous écrivez 4 Vous avez dit cathares ? ON VA EN PARLER

Exclusif 6 Happening à Toulouse !

ÉVÉNEMENT

Exposition 1 2 Les routes de l’Afrique

Entretien avec Gaëlle Beaujean et Catherine Coquery-Vidrovitch

ACTUALITÉ Hommage 20 Pierre Chuvin,

le voyageur de l’histoire Par Valérie Hannin

E nquête 22 Criminels sans frontières

Par Dominique Kalifa

S ciences 2 4 Solaire, une énergie à éclipses Par Sophie Pehlivanian

P olitique 26 Brésil.

Défendre Dilma Rousseff Par Laurent Vidal

1917

PORTRAIT Bernard Cerquiglini 2 8 Sans accent

32

Par Juliette Rigondet

FEUILLETON

Les révolutions russes

Par Michel Winock

34 « Personne n’avait anticipé l’explosion de Février »

Pas de révolution sans les soldats

48

Par Éric Aunoble Tous les Romanov

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prudence et méfiance COUVERTURE : Femmes volontaires russes du « bataillon de la mort », formé en mai 1917, envoyé au front lors de l’offensive Kerenski. Il défendit le palais d’Hiver la nuit du 24 octobre 1917 (Bettmann/ Getty Images – Mary Evans/Rue des Archives). RETROUVEZ PAGE 113 les Privilèges abonnés Abonnez-vous page 111 e numéro comporte quatre encarts jetés : C Études (une partie des abonnés), L’Histoire (deux encarts kiosques France et étranger, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).

L’HISTOIRE / N°432 / FÉVRIER 2017

été assassinés ? Chronologie

Février comme fête de Pâques Par Boris Kolonitskii

Les bourgeois traqués Par Catherine Gousseff

ont-ils

Le soviet de Petrograd. Le rêve brisé de la démocratie directe

60

46

Par Nicolas Werth

Carte : la défaite russe

Entretien avec Marc Ferro 1917 vu de France :

Par Emilia Koustova

Infographie : le double

pouvoir au palais de Tauride

COLLECTION BDIC

La présidentielle 3 0 A quoi sert un meeting ?


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L’ATELIER DES CHERCHEURS

88 Un chrétien d’Alep à la cour de Versailles

Par Bernard Heyberger

GUIDE LIVRES

9 4 « Les Luttes et les rêves.

Dans le train plombé avec Lénine 66

Entretien avec Catherine Merridale

Pourquoi Lénine a gagné Par Dominique Colas Carte : la route du retour MOSCOU, GALERIE TRETÏAKOFF /AKG ; © PARIS, ADAGP 2017 RMN-GP (CHÂTEAU DE VERSAILLES)/GÉRARD BLOT

Assemblée constituante. Tous aux urnes ! Par Sabine Dullin Infographie : 74

une victoire des SR

Octobre au cinéma. La construction d’un mythe 80

Par Alexandre Sumpf

Qui veut encore célébrer 1917 ? 84

Par Emilia Koustova

Une histoire populaire de la France, de 1685 à nos jours » de Michelle Zancarini-Fournel Par Guillaume Mazeau

96 La sélection de « L’Histoire » 98 Le coup de cœur de

Jean-Pierre Rioux

Bande dessinée 100 « Le Sourire

des marionnettes » de Jean Dytar Par Pascal Ory

Classique

101 « Comment sortir de

la Terreur » de Bronislaw Baczko Par Guillaume Mazeau

Revues 102 La sélection de « L’Histoire » SORTIES Expositions

104 Tenue correcte exigée

au musée des Arts décoratifs Par Bruno Calvès

106 Présumées coupables aux Archives nationales Par Olivier Thomas Cinéma 108 « Les Fleurs bleues »

d’Andrzej Wajda Par Antoine de Baecque

« Loving » de Jeff Nichols Par Pap Ndiaye « Silence » de Martin Scorsese Par Nathalie Kouamé Médias 112 Retronews de la BNF Par Olivier Thomas

CARTE BLANCHE

114 Gloria victis !

Par Pierre Assouline

France Culture Vendredi 27 janvier à 9 h 05 dans « La Fabrique de l’histoire », l’émission d’Emmanuel Laurentin, retrouvez Emilia Koustova lors de la séquence « La Fabrique mondiale de l’histoire ». E n partenariat avec L’Histoire. L’HISTOIRE / N°432 / FÉVRIER 2017


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Art rupestre L’une des 15 000 peintures rupestres des chasseurs-cueilleurs San du Zimbabwe (11000 avant notre ère-v. 500 ap. J.-C.). Des danseurs masqués en transe implorent les dieux. De très nombreuses parois peintes ont été mises au jour sur l’ensemble du continent. L’HISTOIRE / N°432 / FÉVRIER 2017


Événement

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LES ROUTES DE L’AFRIQUE L’Afrique a toujours été au centre des grands mouvements de mondialisation. Des chars gravés du Sahara aux porcelaines chinoises de Madagascar, c’est le portrait d’un continent au cœur de l’histoire globale que livre du 31 janvier au 12 novembre 2017 le musée du quai Branly.

PAUL ALMASY/VCG/GETT Y IMAGES - JI-ELLE/CC-BY-SA-3.0 - PATRICK ZACHMANN/MAGNUM

Entretien avec Gaëlle Beaujean et Catherine Coquery-Vidrovitch

L’Histoire : Quelle est l’ambition de l’exposition « L’Afrique des routes » qui s’ouvre au musée du quai Branly, et dont vous êtes la commissaire associée ? Catherine Coquery-Vidrovitch : Cette exposition est en quelque sorte le point d’aboutissement de ma carrière universitaire. Quand, au début des années 1960, j’ai commencé à étudier l’Afrique subsaharienne, peu d’historiens français travaillaient sur le sujet. En un demi-siècle, plusieurs générations d’africanistes ont été formées et l’histoire de l’Afrique est aujourd’hui bien vivante en France. Notre savoir, même s’il demeure encore lacunaire, a été profondément renouvelé. Audelà de la profusion de livres et de revues, c’est l’ambition de cette exposition d’y sensibiliser le grand public. ourquoi avoir choisi P comme thème « la route » et que recouvre ce mot ? Gaëlle Beaujean : Ce thème a l’intérêt de faire sortir l’Afrique de la malédiction d’une

histoire prétendument immobile. La route, c’est l’échange, la connexion. On peut le faire sentir au travers des objets que nous considérons comme des sources historiques. Bien sûr, ceux dont nous disposons sont relativement récents : ils nous ont été fournis par les routes coloniales d’exportation et datent pour l’essentiel du xixe et du xxe siècles, même si les collections du musée du quai Branly réservent quelques belles surprises, comme les terres cuites Sao du Tchad. Les récentes datations par thermoluminescence montrent que cette civilisation ne date pas du ixe siècle de notre ère mais au moins du iie siècle avant. Mais il existe suffisamment de traces matérielles conservées dans d’autres musées français, et à l’étranger, pour réaliser un tel projet. Le thème de « la route » est aussi une invitation au voyage qui permet d’éviter l’écueil d’une présentation trop pédagogique qui pourrait effrayer les visiteurs d’un musée avant tout artistique. Le thème de la route, en

LES AUTEURS

Catherine CoqueryVidrovitch est professeur émérite à l’université Paris Diderot.

Gaëlle Beaujean est responsable de collections Afrique au musée du quai BranlyJacques Chirac.

même temps qu’il tord le cou à la représentation d’un continent fermé sur lui-même, redonne à l’Afrique sa juste place dans les échanges internationaux. Ces routes, ce sont les axes terrestres, fluviaux et maritimes que les hommes, leurs produits et leurs cultures ont empruntés au cours des siècles. L’Afrique a toujours été un espace de mobilité. Sa topographie, où dominent les grands plateaux et les bassins, facilite les circulations. C’est un continent de marcheurs et de porteurs, qui parcourent aujourd’hui encore des kilomètres sur des pistes en terre. Celles-ci se décomposent à la saison des pluies et y disparaissent en forêt sous une végétation vigoureuse si elles cessent d’être pratiquées pendant quelques mois. Mais c’est aussi un continent de pêcheurs, qui sillonnent les voies d’eau intérieures. Les explorateurs français qui remontèrent le fleuve Congo vers 1880 en amont des villes actuelles de Kinshasa et Brazzaville témoignent par exemple de villages entiers de pirogues, L’HISTOIRE / N°432 / FÉVRIER 2017


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SPÉCIAL

L es révolutions russes

« Personne n’avait anticipé l’explosion de Février » Entretien avec Marc Ferro

Marc Ferro fait le récit, au jour le jour, du mouvement révolutionnaire qui renversa, en février 1917, le régime impérial tsariste et qui s’acheva avec la prise du pouvoir par les bolcheviks, en octobre. Pour la première fois de leur histoire, les Russes eurent le sentiment de se gouverner eux-mêmes.

L’HISTOIRE / N°432 / FÉVRIER 2017


ARCHIVE PHOTOS/ADOC-PHOTOS. - PHILIPPE MATSAS/OPALE/LEEMAGE

/ 3 5 L’Histoire : Il y a tout juste cinquante ans, en 1967, était publiée votre thèse sur la révolution de février 19171. L’ouvrage, et sa suite sur Octobre, publiée en 1976, ont fait date. En quoi renouvelaient-ils la lecture que l’on avait de l’événement ? Marc Ferro : Jusque-là, la question qui animait les débats en France, c’était de savoir si Staline était la continuation de Lénine ou si, au contraire, il marquait une rupture, si c’était lui qui avait dévoyé l’idéal socialiste et révolutionnaire de 1917. La réflexion tournait autour du totalitarisme : dans quelle mesure ce concept rendait-il compte de la nature du régime qui s’instituait en URSS ? Mon approche était tout autre : plutôt que de m’en tenir à une histoire qui expliquait la révolution « par le haut » à partir des textes sacrés, c’est-à-dire par la grande politique, je m’intéressais aux aspirations du peuple et au rôle qu’il avait joué pour rendre compte du processus révolutionnaire. Je me préoccupais de la myriade d’institutions autonomes qui s’étaient mises en place partout en Russie après Février : les comités de quartier, d’usine, de soldats, les comités paysans, etc. Il m’est alors apparu que la clé du problème de la révolution de 1917 ne résidait pas

L’AUTEUR Directeur d’études à l’EHESS, spécialiste de la révolution russe, Marc Ferro a récemment publié La Vérité sur la tragédie des Romanov (Tallandier, 2012) et fait paraître cet hiver Les Russes chez Tallandier. « Dans l’atelier de l’historien ». Une journée en l’honneur de Marc Ferro se tiendra le mardi 7 mars 2017. à l’université Paris Ouest NanterreLa Défense.

Barricades L e

lundi 27 février 1917, sur la perspective Liteïny, à Petrograd, les soldats ont rejoint l’insurrection.

seulement, comme on l’écrivait depuis trente ans, dans l’affrontement entre le gouvernement provisoire, bourgeois, et le soviet de Petrograd ou le Congrès des soviets, socialistes, mais dans le décrochage qui s’était opéré entre ce double pouvoir et ces nouvelles institutions. N’étant ni communiste ni anticommuniste, je n’étais pas attaqué et je n’étais pas soutenu, simplement ignoré. Aux États-Unis, en revanche, j’avais été à la fois invité à Harvard par Richard Pipes et à Austin par Sheila Fitzpatrick pour exposer mes recherches, avant que ma thèse soit publiée. Il a fallu une quinzaine d’années pour que mon travail fasse l’objet d’articles en France. Pour ceux qui dominaient la pensée d’alors (François Furet, Denis Richet, Annie Kriegel), je ne comptais pas. Ce qui m’a valu un début de considération, c’est l’onction de Ruth Fischer, membre éminent du Komintern qui avait prononcé le discours aux obsèques de Lénine. Je gagnais en assurance pour mener à bien mon histoire « par le bas » de la révolution russe, que saluèrent Ernest Labrousse, Basile Kerblay et Claude Lefort. Pour écrire votre thèse, vous disposiez notamment d’un trésor d’archives : les télégrammes que les Russes avaient adressés au soviet de Petrograd pour lui faire part de leurs attentes. Quels étaient au juste ces documents ? A mon retour d’Algérie, je m’étais mis d’accord avec mon directeur de thèse, Pierre Renouvin, pour travailler sur l’opinion européenne devant la révolution russe. C’est dans cette optique que je me suis rendu aux archives de Petrograd pour consulter les différents messages, notamment de sympathie, que le gouvernement provisoire et le soviet de la ville avaient reçus de l’étranger, après la révolution de Février. On me les communiqua, avec de multiples autres documents, dans des caisses ou des sacs de jute jamais ouverts. Il s’agissait de milliers de télégrammes, où étaient formulées en quelques lignes les aspirations du peuple russe, dans la diversité de ses composantes sociales (à l’exception des soldats, dont les revendications étaient conservées ailleurs et que j’obtiendrais dans un second temps) et nationales, arrivés par ville et province de tout l’empire, à l’attention du nouveau pouvoir (cf. p. 36). J’avais sous les yeux l’équivalent des cahiers de doléances de la Révolution française, sauf que ces messages avaient été rédigés au cours des deux ou trois semaines qui avaient suivi l’abdication de Nicolas II, le 2 mars 1917, c’est-à-dire après que le processus révolutionnaire avait été engagé. C’est comme ça que j’ai décidé de changer de sujet et que je me suis intéressé aux dynamiques de la société russe : l’archive créait la problématique. Quelles étaient les principales aspirations du peuple russe ? Et L’HISTOIRE / N°432 / FÉVRIER 2017


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SPÉCIAL

L es révolutions russes

Assemblée constituante

Tous aux urnes ! Préparée dès le printemps 1917, l’élection à l’Assemblée constituante fut voulue comme la plus démocratique du monde. Son histoire tragique est emblématique des combats politiques du peuple russe.

Bureau de vote A l’automne 1917, des hommes et des femmes font la queue pour voter à l’élection de l’Assemblée constituante. L’HISTOIRE / N°432 / FÉVRIER 2017

HULTON ARCHIVE/GETT Y IMAGES

Par Sabine Dullin


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N

’y a-t-il pas meilleure photographie de ce que fut la table rase de l’année 1917 dans l’Empire russe que les résultats de l’élection à l’Assemblée constituante ? Cette élection préparée durant le printemps et l’été 1917 et pensée comme la plus démocratique du monde se déroula alors même que le pouvoir était déjà aux mains des bolcheviks à Petrograd et à Moscou. Le vote, émaillé d’infractions et de violences, fut étalé sur plusieurs mois : il commença le 29 octobre au Kamtchatka, à l’extrémité orientale de la Sibérie, et s’acheva en février 1918 au Kouban, au bord de la mer Noire. Le taux de participation fut massif, notamment dans les campagnes, où la liesse et une forme d’obligation collective entraînèrent au son des cloches hommes et femmes, soldats et civils vers les urnes. Les 766 députés élus composaient une Assemblée extrêmement jeune : 74 % des députés avaient moins de 40 ans et les benjamins de moins de 30 ans étaient près de 200. Se mêlaient aux blouses et aux costumes les capotes d’une centaine d’officiers et de soldats, plus quelques femmes célèbres comme la vétérane socialisterévolutionnaire Breshko-Breshkovskaïa (73 ans) et la sombre Spiridonova (33 ans). L’Assemblée était extraordinairement radicale, avec presque seulement des socialistes « maximalistes », dont la seule expérience politique était la prison, l’exil ou la déportation. Près du quart des députés représentaient les différentes nationalités et revendiquaient une autonomie voire l’indépendance par rapport à la Russie. Cette élection signifiait la mise au pouvoir

L’AUTEUR Professeur des universités à Sciences Po, Sabine Dullin a notamment publié Histoire de l’URSS (La Découverte, 2009) et La Frontière épaisse. Aux origines des politiques soviétiques, 19201940 (Éditions de l’EHESS, 2014).

À SAVOIR

Qui vote ?

Tous les hommes de plus de 20 ans

DANS LE TEXTE

Des visages rayonnants A 7 heures du matin. Des montagnes bleutées. Une brume légère s’élève des hauteurs, retombe jusqu’à disparaître. […] On discerne le bruit caractéristique d’un moteur : un aéroplane vole entouré de colombes argentées. Le pilote lance des proclamations. Des tracts bolcheviques avec le numéro 5. On promet à ceux qui votent pour la liste 5 la paix, le pain, la terre et aussi beaucoup d’autres choses. […] Mais en bas, l’ambiance est à la fête. Les visages sont rayonnants. Et sans le vouloir, on se met en colère, en entendant un vieux fonctionnaire grommeler : et une queue de plus ! Celle du bureau de vote ! Et c’est vrai, la queue n’est pas mince, surtout dans les faubourgs. A Vera, Saburtalo, Tchougoureti, le peuple emplit les rues.”

DR

Description des élections à Tiflis (actuelle Tbilissi) dans le journal Kavkazkoe Slovo, 14 novembre 1917.

Toutes les femmes de plus de 20 ans

Les soldats à partir de 18 ans (sauf les déserteurs)

90 millions d’électeurs sont appelés à voter pour l’Assemblée constituante. Celle-ci est élue par un corps électoral universel. Le système choisi est la proportionnelle.

de toute la marginalité politique de l’empire, moins de 60 députés ayant siégé à la Douma prérévolutionnaire et ayant une expérience du travail législatif. Il s’agissait d’une nouvelle génération d’élites plutôt provinciales, dont l’éducation restait le plus souvent inachevée et qui allait s’abîmer dans le combat fratricide de la guerre civile. S’il n’est guère resté de traces dans la vie politique de cette Assemblée constituante dispersée dès le 5 janvier 1918 par le gouvernement des commissaires du peuple, elle est pourtant emblématique des combats de la démocratie en Russie dans la longue durée et l’étude de sa préparation, de son élection, de sa convocation puis de sa dispersion offre une belle matière pour revenir sur les possibles qui se dessinèrent alors et que les bolcheviks une fois au pouvoir, mais surtout Lénine, finirent par effacer de l’horizon.

« Mère de toutes les Russies » La convocation d’une assemblée constituante faisait partie du programme de tous les partis progressistes, qui combattaient l’autocratie du tsar et aspiraient à la transformation de l’ancien régime, des libéraux aux socialistes-révolutionnaires. Maxime Gorki considérait en 1917 que cela faisait cent ans que les meilleurs des Russes se battaient pour elle. Même le jeune Lénine avait intégré à son programme une assemblée constituante, seule susceptible de faire écrouler l’édifice de l’autocratie. Avec la révolution de 1905 (cf. p. 37), une assemblée constituante élue librement par l’ensemble de la population sans considération de genre, de statut social (soslovie), de nationalité et de religion devint le mot d’ordre dans les rangs socialistes, tandis que les libéraux, heureux d’avoir obtenu la Douma et inquiets du spontanéisme de la rue en révolution, préféraient travailler à une monarchie constitutionnelle en se passant du recours au peuple. En février 1917, les socialistes modérés comme Kerenski s’attendaient à ce que le bloc progressiste de la Douma que le tsar venait de dissoudre se constituât au nom du peuple en Assemblée nationale, comme avaient pu le faire les révolutionnaires de 1789. C’était sans compter sur l’indécision et une forme de culte du droit parmi les députés de la Douma. Dans l’effervescence des journées de février, le président de la Douma Rodzianko décide de réunir en privé dans la salle semi-circulaire du palais de Tauride 200 députés et de former « un comité provisoire de membres de la Douma pour le rétablissement de l’ordre et pour les relations avec les personnes et les institutions ». Le gouvernement provisoire ainsi nommé entendait se garder de statuer sur le régime (l’abdication de Nicolas II ne préjugeant pas légalement de la fin de la monarchie) et laisser cela aux mains de l’Assemblée constituante dont il s’agissait de préparer au mieux la convocation. L’HISTOIRE / N°432 / FÉVRIER 2017


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GUIDE Sorties n Expositions p. 104 n C inéma p . 108 n M édias p . 112

Expositions

L’habit fait le moine

C

e sont Adam et Ève qui tiennent le vestiaire de cette rétrospective consacrée au rapport que l’on entretient avec le vêtement. Représentés par Lucas Cranach l’Ancien, le père et la mère de l’humanité judéochrétienne nous rappellent que la façon de se vêtir – ou non – est liée au péché originel : « Le vêtement est le symbole même de la chute de l’humanité », explique M ­ ichel Pastoureau. Par-delà les scandales occasionnés par les défilés de mode, l’habillement interroge donc chacun d’entre nous. En trois séquences non chronologiques, l’exposition « Tenue correcte exigée » nous révèle la permanence, à chaque époque, de règles de bienséance, de savoir-vivre et de respect d’autrui. Règles d’autant plus nécessaires au vivre ensemble qu’elles sont en perm a n e n c e t r a n sgressées. La reine Mar ie-Antoinette pouvait-elle se faire

Une capuche dessinée

par Willliam Richardson en 1778.

L’HISTOIRE / N°432 / FÉVRIER 2017

Mireille Darc dans le film Le Grand Blond avec une chaussure noire (1972).

représenter par Élisabeth Vigée ­Lebrun en robe-chemise, dont les formes souples relevant du registre de l’intime s’imposent vers 1778-1779 ? Le ministre Jack Lang pouvait-il s’adresser en 1985 aux députés dans l’Hémicycle habillé d’une veste au col « Mao » l’exonérant du port de la cravate ? La provocation comme la négligence vestimentaires sont considérées comme un manque de respect… qui varie selon le milieu professionnel. Avec l’arrivée des femmes

sur le marché du travail, les règles vestimentaires qui séparent les deux sexes deviennent confuses. Les scandaleuses Jeanne d’Arc et George Sand ont fait des émules à partir des années 1920, la victoire des « garçonnes » comme Marlene Dietrich et Gabrielle Chanel débouchant sur une mode « unisexe » doublement célébrée en 1966 par Yves Saint Laurent avec son smoking pour femme et Jacques Esterel avec sa jupe masculine. La dernière partie de l’exposition est placée sous le signe de l’excès, déclinant à l’envi tout ce qui est « trop » et donc soumis à une censure morale : le burkini, malgré l’ampleur recherchée de ses formes, entrave la liberté de la femme, le pantalon baggy des jeunes garçons révèle un laisser-aller personnel condamnable, la minijupe d’André Courrèges signe la vulgarité de celle qui la porte tandis que les talons hauts de 50 centimètres portés en Espagne et à Venise au xvie siècle annoncent un caractère menteur et vaniteux. Plus que tout autre comportement social, la façon de s’habiller témoigne de nos systèmes de valeurs. Malgré l’évolution constante des codes qui nous environnent, il existe une règle immuable : être accepté par les autres. Le visiteur sort de l’exposition avec cette question en tête : « Comment dois-je dorénavant m’habiller ? » Bruno Calvès À VOIR

Tenue correcte exigée. Quand le vêtement fait scandale jusqu’au 23 avril au musée des Arts décoratifs, Paris.

THE BRITISH MUSEUM/LONDRES - BRIDGEMAN IMAGES - MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS/PARIS

Le vêtement est une affaire de conventions que certains se plaisent à transgresser comme le montre l’exposition du musée des Arts décoratifs.


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Adam et Ève peint par l’atelier de Lucas Cranach l’Ancien (xvie siècle). L’HISTOIRE / N°432 / FÉVRIER 2017


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