1917, l’Amérique en guerre

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Sommaire

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DOSSIER

ACTUALITÉS L’ÉDITO

3 La Fayette, réveille-toi !

FORUM Vous nous écrivez 4 Les révolutions russes

en questions

ON VA EN PARLER

Exclusif 6

« Voir l’histoire » avec

Patrick Boucheron

ÉVÉNEMENT

Archéologie 1 2 M arseille la grecque

Par Antoine Hermary

ACTUALITÉ Légende 20 Arthur superstar

Par William Blanc

34 1917, l’Amérique en guerre

et Sarah Olivier

É dition 24 Madame de Staël,

héroïne de la liberté Par Michel Winock

A nniversaire 26 Picasso face à Guernica

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Par Yves Saint-Geours

Ce que nous apprennent les documents diplomatiques Carte : offensive et contre-offensive de 1918 Infographie : engagement massif, pertes modérées

D écouverte

28 Préhistoire : quoi de neuf sur les femmes ?

Par Pascale Binant

48

Jazz-band et basket-ball

Par Annette Becker et Philippe Gumplowicz

PORTRAIT

Philippe Lejeune 3 0 « La faute à Rousseau »

51

200 000 soldats noirs

Par Pap Ndiaye

Par Annette Wieviorka

FEUILLETON

La présidentielle 3 2 L’épreuve de vérité

Par Michel Winock

La Grande Guerre des Américains Par Bruno Cabanes

54

Canada, 1917. Naissance d’une nation

Par Laurent Veyssière

Le mythe de Vimy

62 « Les États-Unis ont anesthésié la défense européenne »

L’HISTOIRE / N°434 / AVRIL 2017

Entretien avec Justin Vaïsse

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L’ATELIER DES CHERCHEURS

GUIDE LIVRES

78 « Mâle décolonisation »

de Todd Shepard Par Christelle Taraud

80 La sélection de « L’Histoire » Bande dessinée

CENTRE CAMILLE-JULLIAN/CNRS/AMU – ANTHONY BUTERA/GETT Y IMAGES ­– RMN-GP (MUSÉE DES CHÂTEAUX DE MALMAISON ET DE BOIS-PRÉAU)/DANIEL ARNAUDET – GEORGES BARTOLI/DIVERGENCE

8 4 « Wake up America »

de John Lewis, Andrew Aydin et Nate Powell Par Pascal Ory

Classique 86 « Réflexions sur

66 L ’École normale de l’an III.

Une expérience révolutionnaire Par Dominique Julia

la Révolution de France » d’Edmund Burke Par Guillaume Mazeau

Revues 8 8 La sélection de « L’Histoire » SORTIES Expositions

9 0 Venise en fête,

de Tiepolo à Guardi au musée Cognacq-Jay Par Huguette Meunier

92 Alexandra David-Néel au musée Guimet

Shoah et bande dessinée

au Mémorial de la Shoah

72 L es chiffonniers coptes du Caire Par Gaétan du Roy

COUVERTURE : Photographie du général en chef des troupes américaines John Pershing débarquant au port de Boulogne-sur-Mer le 13 juin 1917 (SVT/TT News Agency/AKG).

COUVERTURE région de Marseille : Marseille, colonie grecque, huile sur toile de Pierre Puvis de Chavannes, 1869 (Marseille, musée des Beaux-Arts/Bridgeman Images).

COUVERTURE Canada : hotographie de soldats P canadiens à l’attaque, sortant d’une tranchée lors de la bataille de la Somme en octobre 1916 (Berlin, BPK, dist. RMN-GP/ image BPK).

Cinéma 9 4 « Cessez-le-feu »

d’Emmanuel Courcol Par Antoine de Baecque

95 « Lettres de la guerre » d’Ivo M. Ferreira Par Olivier Thomas

Médias 9 6 « Paris 1900 »

de Nicole Vedrès au Champo Par Antoine de Baecque

« Un Français nommé Gabin » En kiosque le 23 mars Le numéro hors-série de L’Histoire

L’HISTOIRE DE LA FRANCE La grande querelle

Avec Patrick Boucheron, Joël Cornette, Olivier Loubes, Marc Lazar, Jean-Pierre Rioux, Jean-Noël Jeanneney, Michel Winock.

Et un entretien avec Emmanuel Macron.

d’Yves Jeuland et François Aymé sur France 3

CARTE BLANCHE

9 8 Trump et les philosophes Par Pierre Assouline

RETROUVEZ PAGE 97 les Privilèges abonnés ABONNEZ-VOUS PAGE 87 e numéro comporte cinq encarts jetés : C numéro hors-série L’Histoire et VPC L’Histoire (abonnés) ; L’Histoire (deux encarts kiosques France et étranger, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).

L’HISTOIRE / N°434 / AVRIL 2017

Une première L es fouilles du quartier de la Bourse, entamées en 1967 à l’occasion d’un projet de construction d’un ensemble

immobilier, déclenchent un débat d’opinion qui dépasse le cadre marseillais et inaugurent l’archéologie préventive urbaine en France.

Page de droite : fragment d’un cratère attique trouvé lors des fouilles.

L’HISTOIRE / N°434 / AVRIL 2017

Événement

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MARSEILLE LA GRECQUE Il y a cinquante ans, dans le quartier de la Bourse, une campagne de fouilles de grande ampleur était lancée. Depuis, les découvertes archéologiques ont profondément renouvelé notre connaissance de l’histoire de Marseille.

PHILIPPE FOLIOT-CENTRE CAMILLE JULLIAN/CNRS/AMU – CENTRE CAMILLE JULLIAN/CNRS/AMU – CH. DURAND-CENTRE CAMILLE JULLIAN/CNRS/AMU

Par Antoine Hermary

L

’exploration archéologique du quartier de la Bourse, entamée en 1967 à l’occasion d’un projet de rénovation urbanistique, a donné l’impulsion à un programme de fouilles qui ont profondément renouvelé la connaissance du passé de Marseille. L’heure semble venue, à l’occasion de ce cinquantenaire, de dresser le bilan de l’apport de ces dernières décennies de fouilles sur l’histoire de la ville grecque, en les confrontant avec les sources littéraires classiques.

La question des origines de la cité constitue depuis longtemps un domaine essentiel de l’archéologie marseillaise. Les premières fouilles scientifiques menées par Gaston Vasseur (en 1909, publiées en 1914) et, un demi-siècle plus tard, la thèse de François Villard sur La Céramique grecque de Marseille, vie-ive siècle. Essai d’histoire économique (publiée en 1960) avaient confirmé que la fondation de Marseille devait être située vers 600 av. J.-C., comme l’affirmaient plusieurs sources antiques.

Les recherches de terrain des dernières décennies n’ont rien

apporté de nouveau sur ce point, mais elles ont montré que ce magnifique site portuaire était inoccupé à l’arrivée des Grecs et, surtout, elles ont permis de mieux connaître la période qui s’étend jusqu’à la prise de la ville par les troupes de César en 49 av. J.-C. Pendant ces cinq siècles et demi, Massalia (Massilia en latin) est restée un port entièrement indépendant, alors que les autres cités grecques de Méditerranée étaient intégrées, après les conquêtes d’Alexandre à la fin du ive siècle av. J.-C., dans les royaumes de Méditerranée orientale ou, pour les villes d’Italie du Sud et de Sicile, passaient progressivement sous la dépendance de Rome au cours du iiie siècle.

Phocéens et autres Grecs Marseille constitue le premier point de contact entre les civilisations grecque et gauloise, d’où partent ensuite les colons qui s’installent notamment à Nikaia (Nice), Antipolis (Antibes) ou encore Agathé (Agde). Selon la tradition littéraire antique, ce seraient des Grecs originaires de Phocée, en Ionie (Asie Mineure), qui auraient fondé la

L’AUTEUR Antoine Hermary est professeur émérite d’archéologie et de civilisation grecques à l’université d’Aix-Marseille.

Il a notamment publié Marseille grecque. La cité phocéenne, 600-49 av. J.-C. (Errance, 1999, en collaboration avec A. Hesnard et H. Tréziny) et Les Cultes des cités phocéennes (Édisud, 2001, en collaboration avec H. Tréziny).

ville (d’où son surnom actuel de « cité phocéenne »). Sa fondation est présentée sous la forme idyllique de la rencontre, puis du mariage entre le chef de l’expédition phocéenne (nommé Euxène ou Prôtis) et la fille (Petta/Aristoxéné ou Gyptis) du roi du peuple local, les Ligures Ségobriges. Le témoignage le plus ancien sur cette tradition, celui d’Aristote (transmis par Athénée au iie siècle ap.

J.-C.), est en fait postérieur d’environ deux siècles et demi à la fondation, tandis que le plus célèbre, dû à l’auteur gaulois Trogue Pompée, ne remonte qu’à l’époque de l’empereur Auguste, et n’est connu que par le résumé qu’en a fait Justin au iiie siècle ap. J.-C. (cf. p. 15).

Les principaux cultes célébrés dans la ville pourraient donner des indications sur l’origine des Grecs fondateurs. Justin/ Trogue Pompée évoque la « citadelle de Minerve », donc une colline sur laquelle se trouvait un sanctuaire d’Athéna, tandis que Strabon écrit que le sanctuaire d’Artémis éphésienne et celui d’Apollon Delphinios étaient situés sur un sommet ou un promontoire (akra) de la L’HISTOIRE / N°434 / AVRIL 2017

Actualité

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Mythe S ir Galahad (George F. Watts, 1862), Alan Ladd dans Le Serment du chevalier noir (Tay Garnett, 1954), Knightriders (George A. Romero, 1981).

Arthur superstar En mai sort sur nos écrans une nouvelle adaptation du mythe arthurien : Le Roi Arthur, la légende d’Excalibur de Guy Ritchie. Un de ses avatars comiques, la série Kaamelott, est régulièrement rediffusé à la télévision. Comment cette légende est-elle devenue si populaire ?

Pourquoi les AngloSaxons l’adorent A chaque époque, cette épopée resurgit.

Indémodable.

A

près avoir été un des grands mythes du Moyen Age, écrit par et pour un public aristocratique, la légende arthurienne connaît une longue éclipse à l’époque moderne. C’est au

L’HISTOIRE / N°434 / AVRIL 2017

xixe siècle, dans l’Angleterre victorienne, que renaît la Table ronde jusqu’à connaître aujourd’hui un succès planétaire grâce à sa diffusion dans la culture populaire. C’est en effet la littérature de masse, la bande dessinée et le cinéma, bien plus que les travaux des historiens, qui font connaître la légende d’Arthur à un vaste public.

Il est possible de suivre l’évolution du mythe contemporain de Camelot dans le monde anglo-saxon en fonction des personnages qui sont mis en

avant à divers moments. Ainsi, les auteurs victoriens préfèrent se concentrer sur les chevaliers. Ceux-ci servent d’exemple à la jeunesse des classes supérieures, à l’image de Perceval et Galahad célébrés par le poète Alfred Tennyson ou par le peintre George Frederic Watts.

Sa célèbre toile Sir Galahad (1862) est affichée dans le réfectoire de la très élitiste école d’Eton. Outre-Atlantique, Mark Twain moque cette prétention des élites anglaises à se représenter comme une nouvelle

HARVARD ART MUSEUMS, FOGG ART MUSEUM/BEQUEST OF GRENVILLE L. WINTHROP/BRIDGEMAN IMAGES – KOBAL/AURIMAGES – KOBAL/AURIMAGES

/ 2 1 Table ronde dans son roman Un Yankee du Connecticut à la cour du roi Arthur (1889).

D’autres aux États-Unis s’emparent de la légende en la mélangeant avec une mythologie proprement américaine, le western. La figure du chevalier arthurien devient un ancêtre des pionniers de l’Ouest, un selfmade-man qui, venu d’un milieu marginal, grimpe un à un les échelons de la société pour être admis à la Table ronde.

Entre 1953 et 1954, trois films arthuriens, dont Le Serment du chevalier noir de Tay Garnett (1954), sont ainsi produits par Hollywood. Dans ces longs métrages, Camelot est sauvé d’un complot étranger (symbolisant le péril soviétique), non par un roi Arthur trop passif, représentant les élites de Washington, mais par un jeune guerrier issu du peuple qui évoque, lui, le sénateur populiste Joseph McCarthy.

Ressusciter les années Kennedy

Au début des années 1960, les chevaliers et les cow-boys connaissent un repli certain dans la culture populaire américaine. La comédie musicale Camelot de Joshua Logan (1967), inspirée des romans de l’auteur anglais T. H. White, montre un Arthur jeune, plus désireux d’établir une utopie pacifique dans son royaume que de faire la guerre. Dès sa sortie, le parallèle avec John Fitzgerald Kennedy semble évident. Il devient explicite lorsque Jackie Kennedy, une semaine après l’assassinat de son époux, compare son bref mandat à celui du souverain de Camelot. Depuis, les progressistes américains n’auront de cesse de vouloir retrouver les chemins du Graal. Alors que le pays s’enlise au Vietnam, l’adaptation au cinéma de 1967 sonne comme une rêverie nostalgique souhaitant ressusciter les années Kennedy. Plus tard, chaque candidat démocrate rappelant peu ou prou JFK, de Bill Clinton à Barack Obama,

est comparé à Arthur. La chanson titre de Camelot clôt également le film Jackie (2016) et résonne comme une évocation mélancolique des utopies progressistes au milieu des doutes entourant la fin de la présidence démocrate et l’arrivée au pouvoir de Donald Trump.

Avec le développement de courants critiquant la modernité industrielle, le Moyen Age apparaît comme un temps où l’homme ne tournait pas le dos à la nature. Aussi la légende arthurienne est-elle utilisée comme une forme de protestation contre les dérives du progrès et de la société de consommation. Knightriders de George A. Romero (1981) dépeint ainsi des motards adoptant des déguisements et des noms tirés du mythe de Camelot et essayant de vivre en marge de l’Amérique de Ronald Reagan.

Les auteurs du mythe arthurien ont longtemps cantonné les femmes dans un rôle secondaire. Faire-valoir du chevalier dans les textes médiévaux, elles deviennent même la cause de la chute de Camelot dans le xix e siècle victorien. A cette époque où la figure du guerrier féodal est mobilisée pour construire un modèle de virilité associé à la participation massive à la guerre, la féminité est en effet perçue comme un danger. Pour Alfred Tennyson,

La légende arthurienne est utilisée pour protester contre les dérives du progrès et de la société de consommation

À VOIR

Le Moyen Age en films Pour sa cinquième édition, le festival du film médiéval Bobines et parchemins se tiendra du 19 au 21 mai, à Paris, au cinéma Le Desperado et aura pour thème « Le mythe arthurien ».

Au programme, des rencontres avec les historiens Antoine de Baecque, William Blanc, Yohann Chanoir et Alban Gautier autour de projections de films comme Perceval le Gallois (1978) d’Éric Rohmer, Excalibur (1980) de John Boorman ou Knightriders (1981) de George A. Romero. Et une balade ayant pour thème « Les légendes médiévales à Paris. Arthur, les quatre fils Aymon, le dragon de saint Marcel » avec William Blanc et Julie Pilorget.

Rens. : www.bobinesetparchemins.com

l’échec final d’Arthur est ainsi imputable à l’infidélité de Guenièvre.

Tout change avec la vague de féminisme des années 1970 qui attribue aux femmes de la légende un rôle similaire à celui de Merlin. Alors que les chevaliers incarnent la destruction et la modernité, Morgane apparaît au contraire comme l’héritière de traditions celtiques en connexion avec la nature, comme c’est le cas dans le roman Les Brumes d’Avalon (1983) de Marion Zimmer Bradley. Plus tardivement, un autre courant tend à attribuer aux femmes un rôle de combattant. On voit ainsi dans Le Roi Arthur (2004) Guenièvre se battre les armes à la main.

Les multiples adaptations qui, depuis le xixe siècle, se sont emparées du mythe arthurien et l’ont popularisé ne se sont donc pas contentées de le reproduire à l’identique : elles ont puisé dans ce répertoire de figures et d’événements ceux qui correspondaient le mieux aux attentes du moment, attirant l’attention sur des épisodes délaissés, transformant le rôle et le sens de certains personnages. Une nouvelle reconfiguration de la légende est sur le point de s’opérer, dans la veine des réflexions postcoloniales qui avaient déjà conduit à mettre en scène des Noirs dans des westerns comme Impitoyable de Clint Eastwood (1992). Dans le film de Guy Ritchie consacré au mythe de Camelot, l’acteur franco-­ béninois Djimon Hounsou incarne ainsi le mentor d’Arthur.

En attendant une prochaine évolution du mythe. n William Blanc

Auteur de Le Roi Arthur, un mythe contemporain (Libertalia, 2016) L’HISTOIRE / N°434 / AVRIL 2017

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DOSSIER

1 917, les Américains dans la guerre

La Grande Guerre des Américains Pourquoi les États-Unis sont-ils entrés en guerre aux côtés des Alliés ce 6 avril 1917 ?

Quelles forces étaient-ils prêts à jeter dans la bataille ? La victoire était-elle possible sans eux ? Retour sur un moment qui a transformé les États-Unis, l’Europe et l’ensemble de la scène internationale.

Par Bruno Cabanes

Gallimard, 2017.

L’HISTOIRE / N°434 / AVRIL 2017

L

l’expédition contre Pancho Villa en 1916-1917.

C’est dans cette dernière opération que l’armée américaine utilise pour la première fois des camions de ravitaillement – ils renouvelleront l’expérience en France, quelques mois plus tard, lors de la Grande Guerre.

Les causes de l’intervention En 1914, les États-Unis choisissent de demeurer neutres dans le conflit qui vient d’éclater en Europe : aucun traité international ne les oblige, en effet, à prendre les armes. Dans cette nation d’immigrants, originaires des pays de l’Entente comme des Puissances centrales, l’administration Wilson cherche à préserver une forme de cohésion nationale. Par ailleurs, les États-Unis n’ont pas encore les moyens militaires d’une intervention en Europe : jusqu’en 1917, leur armée permanente ne compte guère plus de 127 000 hommes – l’équivalent de l’armée belge en 1914 – auxquels il faut ajouter les 181 000 hommes de la garde nationale, stationnés pour la plupart à la frontière avec le Mexique.

L’opinion publique américaine, quant à elle, évolue lentement en faveur de l’entrée en guerre aux côtés des Alliés, au rythme des événements internationaux. En mai 1915, le rapport Bryce, rédigé à Londres et consacré aux « atrocités allemandes » commises en 19143, émeut les Américains, d’autant que sa publication coïncide avec le drame du paquebot Lusitania (7 mai), coulé par un sous-marin allemand au large de

DR

L’AUTEUR Titulaire de la chaire Donald G. et Mary A. Dunn d’histoire de la guerre moderne, à l’Ohio State University, Bruno Cabanes vient de publier Les Américains dans la Grande Guerre (Gallimard, 2017).

a Première Guerre mondiale marque un tournant, à plus d’un titre, dans l’histoire des ÉtatsUnis. Dans le domaine économique et financier, le pays obtient, grâce à ses exportations et ses prêts aux puissances alliées, une place de premier rang dans le monde. Dans le champ diplomatique, c’est autour du choix entre deux visions des relations internationales, le bolchevisme et le wilsonisme, que se réorganise le monde d’après-guerre1.

C’est sur le plan des relations internationales que 14-18 constitue sans doute la plus grande rupture, faisant de Washington un acteur majeur à l’échelle mondiale. Alors que prévalait depuis 1823 la doctrine Monroe2, au nom de laquelle les États-Unis étaient intervenus à Cuba et à Porto Rico en 1898, ils se projettent pour la première fois à plus de 10 000 kilomètres de leurs côtes, aux Philippines, lors de la guerre hispano-américaine (1898-1902), à Guam et à Hawaï, véritable acte de naissance de l’impérialisme américain.

Ces guerres, destinées à mettre la main sur les restes de l’Empire espagnol, revêtent un fort prestige symbolique et offrent l’occasion aux officiers américains d’acquérir une expérience de terrain.

Le général Pershing, par exemple, qui commandera le corps expéditionnaire américain envoyé en Europe à partir du mois de juin 1917, a déjà mené une brillante carrière militaire à Cuba, aux Philippines et au Mexique, où il dirige

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Doughboys A leur arrivée en France en 1917, un groupe de doughboys avec leur chapeau distinctif à larges bords et

BRIDGEMAN IMAGES

une allure de jeunes cowboys de l’Ouest américain.

l’Irlande : 128 citoyens américains trouvent la mort dans le naufrage. L’image de l’Allemagne se détériore encore avec la nouvelle des massacres commis par son allié ottoman contre la population arménienne, puis le naufrage du Sussex, torpillé par les Allemands, lors de sa traversée de la Manche, le 24 mars 1916. Ce dernier incident est suivi du « Sussex pledge », une promesse de l’Allemagne au gouvernement américain de ne plus prendre pour cibles des bateaux transportant des passagers civils.

En novembre 1916, le président Wilson est réélu sur le slogan « He kept us out of war » (« Il nous a préservés de la guerre »). Mais l’Allemagne poursuit ses provocations et ses actes belliqueux à l’égard de Washington. Elle propose une alliance militaire au Mexique, une décision révélée dans l’affaire dite du « télégramme Zimmermann », envoyé le 16 janvier

UNE SAISON AMÉRICAINE

Boulogne-sur-Mer 13 juin-11 novembre : exposition « 1917, le moment Pershing » organisée par les archives municipales dans la salle comtale du Musée.

Brest

21 juin : une armada représentant plusieurs belligérants (à l’exception des Allemands) défilera dans la rade, au rythme de la fête de la musique qui célébrera 100 ans de jazz.

@

Saint-Nazaire

2 juin-30 septembre : exposition-parcours photo en ville.

16 juin : gala francoaméricain de boxe.

22-24 juin : colloque « Voilà les Américains ! » consacré à la circulation des savoirs entre les États-Unis et l’Europe de 1917 à 1920.

24 juin : célébration de l’arrivée des premiers contingents américains en France.

25 juin : départ d’une course inédite vers

New York entre le Queen Mary 2 et une flotte de trimarans.

C’est le projet The Bridge.

Paris

Jusqu’au 9 avril : « La Fayette nous voilà ! », exposition au musée de l’Armée.

24 et 25 novembre : colloque organisé par la société des Cincinnati et l’université Paris-IV-Sorbonne.

Il se tiendra à la Sorbonne et à Brest.

Plus d’informations sur www.lhistoire.fr et sur centenaire.org

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GUIDE Sorties n Expositions p. 90 n C inéma p . 94 n M édias p . 96

Expositions

Venise est une fête Le musée Cognacq-Jay restitue les fastes du carnaval qui, au xviiie siècle, drainait l’aristocratie européenne.

C

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Fête française : à l’ambassade, on célèbre le mariage du dauphin Louis (G. B. Cimaroli, v. 1745).

La scénographie de l’exposition, qui présente des œuvres majeures issues de collections françaises (à commencer par Le Banquet de Cléopâtre de Tiepolo acquis en 1904 par Ernest Cognacq) et étrangères, recrée l’esprit festif et fugace de Venise. Les fenêtres encadrées d’un claustra s’habillent d’un coffrage avec un visuel lumineux : un voilage en trompe l’œil laisse deviner le Grand Canal, ou la robe jaune d’une jeune femme échappée d’un tableau de Tiepolo.

La Sérénissime impressionne par ses fastes et sa richesse – elle récupère aussi l’argent dépensé par l’aristocratie européenne. Pour les princes, on organise des célébrations sur la place Saint-Marc ou sur le Grand Canal, immortalisées par Francesco Guardi.

C’est là que tous les ans, pour l’Ascension, « la Sensa », le doge épouse la

mer en jetant dans les eaux l’anneau béni par le patriarche – Canaletto en restitue la solennité et la foule. Et si le carnaval dure six semaines à l’origine mais six mois au xviiie siècle, c’est que les institutions publiques trouvent leur intérêt à manifester la puissance de la cité adriatique.

Le 12 mai 1797, devant les troupes menées par Bonaparte, Ludovico Manin, 120e et dernier doge, abdique. Vidé de son sens politique, le carnaval périclite. Les visiteurs délaissent la période hivernale rendue à sa tristesse pour les mois ensoleillés d’été. Le tourisme change définitivement de visage.

Huguette Meunier À VOIR

Sérénissime ! Venise en fête, de Tiepolo à Guardi jusqu’au 25 juin au musée Cognacq-Jay, Paris.

LONDRES, L AMPRONTI GALLERY

ité très miraculeuse », selon Pétrarque, Venise a subjugué tous les voyageurs faisant escale sur l’une de ses îles. Et ils sont nombreux, au xviiie siècle, à venir s’étourdir dans la fête permanente que proposent les institutions publiques et privées.

Puissance commerciale, métropole coloniale, centre industriel prospère, république d’une étonnante stabilité, la Sérénissime attire et retient. C’est cet apogée – dont nous savons qu’il fut aussi son chant du cygne – que fait revivre le musée Cognacq-Jay. Place d’abord aux réjouissances que les riches particuliers multiplient dans des appartements privés, ridotti ou casinos, où, entre deux concerts et bals, on joue, et parfois gros. Les arrêtés pris par le Conseil des Dix – telle l’interdiction des jeux de hasard de 1774, jamais respectée – et les témoignages des contemporains attestent ce double visage des festivités, souvent joyeuses, parfois répréhensibles.

Puis viennent les spectacles publics donnés dans les seize théâtres de la ville : commedia dell’arte illustrée par Carlo Goldoni, opéra où triomphent Monteverdi et Galuppi, récital de castrat, tel, à San Giovanni Crisostomo, Farinelli que l’on voit ici peint par Jacopo Amigoni au milieu de ses amis.

Et puis bien sûr le carnaval où le fameux déguisement, la bautta – composé du volto, masque blanc sur le visage, et du tabarro, ample tricorne noir –, permet l’incognito et bien des transgressions, ce que suggère la toile de Pietro Longhi Conversation entre bautta et que révèlent plus explicitement les Mémoires de Casanova.

VENISE, FONDAZIONE QUERINI STAMPALIA

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L’anonymat que procure la bautta permet toutes les transgressions (Pietro Longhi, Le Ridotto, v. 1757).

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