Jérusalem, l'impossible capitale

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Sommaire

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DOSSIER

ACTUALITÉS L’ÉDITO

3 Prendre Jérusalem

FORUM Vous nous écrivez 4 Lutherrata ON VA EN PARLER Grand invité 6 Timothy Brooke

ÉVÉNEMENT

Anniversaire 1 2 1 867 : naissance du Canada

Entretien avec Laurier Turgeon

ACTUALITÉ Sport 20 Comment les fascistes ont (ré)inventé le « calcio » Par Solal Abélès

et Martinvaldo Konig

A utriche-Hongrie 22 Un mariage de raison

Par David Do Paço

A ntiquité 2 4 Trajan vs Hadrien.

Deux empereurs en miroir Par Alban Gautier et Christine Hoët Van Cauwenberghe

E space 26 La France spatiale : tout

32 Jérusalem,

commence à Colomb-Béchar Par Philippe Varnoteaux

la ville divisée

PORTRAIT Georgette Elgey 28 Au nom du père

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Par Philippe-Jean Catinchi

FEUILLETON

La bombe démographique

La présidentielle 3 0 Le troisième tour

Par Youssef Courbage

46

La guerre de trois jours

Par Alain Dieckhoff

Cartes : la bataille de Jérusalem ; la campagne éclair

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Le jeu de Washington

Entretien avec Élie Barnavi

COUVERTURE : Israéliens se rendant dans la vieille ville après la prise de Jérusalem lors de la guerre des Six-Jours, en juin 1967. Photographie de Gilles Caron (fondation Gilles Caron/Gamma-Rapho).

L’HISTOIRE / N°436 / JUIN 2017

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La frontière fantôme Par Irène Salenson

Carte : une mosaïque de quartiers

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Vous avez dit patrimoine mondial ? Par Yann Potin

ISRAEL GOVERNMENT PRESS OFFICE/AP/SIPA

La destruction du quartier des Maghrébins Cartes : Ouest vs Est ; une ceinture de colonies

Par Michel Winock

COUVERTURE Canada : Photographie de la statue de sir John A. Macdonald, Premier ministre du Canada en 1867, au Queen’s Park de Toronto lors des célébrations du 1er juillet 1980 (Ron Bull/Toronto Star/Getty Images).

L’impossible capitale Par Vincent Lemire


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L’ATELIER DES CHERCHEURS

GUIDE LIVRES

76 « Le Fonctionnaire de

la Grande Terreur. Nikolaï Iejov » d’Alexeï Pavlioukov Par Nicolas Werth

78 La sélection de « L’Histoire » Classique

85 « Être socialiste-

conservateur-libéral » de Leszek Kolakowski Par Perrine Simon-Nahum

Bande dessinée 86 « Le Coup de Prague »

60 L e temps des grandes transhumances Par Antoine de Baecque

de Miles Hyman et Jean-Luc Fromental Par Pascal Ory

Revues 8 8 La sélection de « L’Histoire » SORTIES Exposition

9 0 Trésors de l’islam en Afrique

à l’Institut du monde arabe Par Huguette Meunier

Cinéma 92 « Lou Andreas-Salomé » de Cordula Kablitz-Post Par Antoine de Baecque

93 « I Am Not Your Negro » de Raoul Peck Médias 9 4 « La Passeuse des Aubrais »

66 E nquête sur le suicide au Moyen Age Par Adrien Dubois

de Michaël Prazan sur Arte Par Ariane Mathieu

CARTE BLANCHE

9 8 Les héritiers de Cervantès

ROBERT DOISNEAU/GAMMA-RAPHO – ELECTA/LEEMAGE – DR

Par Pierre Assouline

RETROUVEZ PAGE 96 les Privilèges abonnés ABONNEZ-VOUS PAGE 95 Ce numéro comporte deux encarts abonnement L’Histoire

sur les exemplaires kiosque France + étranger (hors Suisse et Belgique), un encart abonnement Edigroup sur les exemplaires kiosque Belgique et Suisse, un encart VPC coffret « Tintin dans l’histoire » sur les exemplaires abonnés et un encart abonnement Le Point sur les exemplaires abonnés.

70 L ’empire oublié de Tigrane d’Arménie Par Giusto Traina

France Culture Vendredi 26 mai à 9 h 05 dans l’émission d’Emmanuel Laurentin, retrouvez la séquence « La Fabrique mondiale de l’histoire ». En partenariat avec L’Histoire. L’HISTOIRE / N°436 / JUIN 2017


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Événement

1867 : NAISSANCE

DU CANADA

Le 1er juillet 1867, les provinces du Canada-Uni, du Nouveau-Brunswick et de Nouvelle-Écosse forment la Confédération canadienne. Cent cinquante ans plus tard, le Canada s’apprête à célébrer l’événement.

Les pères de la Confédération C i-dessus : ce tableau de John David Kelly dépeint la conférence de Londres de décembre 1866, où seize délégués des colonies de la Province du Canada – également désignée en tant que Canada-Uni –, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick se réunirent pour discuter du projet de fédération et de la loi qui servit de Constitution au nouveau pays. En haut : en novembre 2015, le Premier ministre Justin Trudeau dans la capitale Ottawa avec les Premiers ministres des provinces. L’HISTOIRE / N°436 / JUIN 2017

CHRIS WATTIE/REUTERS – ARCHIVES CHARMET/BRIDGEMAN IMAGES

Entretien avec Laurier Turgeon


/ 1 3 L’Histoire : Cette année a lieu le 150e anniversaire de la Confédération canadienne. Que représente cet événement ? Laurier Turgeon : Jusqu’au 1er juillet 1867, le Canada était constitué de petites colonies indépendantes sous domination britannique. Ce jour-là, la Constitution du Canada entre en vigueur. Souhaitant s’affranchir de la tutelle du RoyaumeUni et s’unir face aux visées expansionnistes des États-Unis, les colonies du Canada-Uni (union en 1840 du Haut-Canada qui correspond à l’actuel Ontario, majoritairement anglophone, et du Bas-Canada qui correspond au Québec, majoritairement francophone), du NouveauBrunswick et de la NouvelleÉcosse obtiennent, à l’issue de négociations avec le RoyaumeUni, d’être transformées en un « dominion ». Celui-ci dispose d’une certaine autonomie sans pour autant être entièrement indépendant.

DR

« En 1867, les Québécois sont en situation de minorité dans la nouvelle Confédération » Cette Confédération est le résultat d’une période de perturbations politiques sur près d’un demi-siècle. Un seul exemple : les membres du Parti patriote du Bas-Canada, des francophones dirigés par Louis Joseph Papineau, protestent contre leur situation de faiblesse économique et politique par rapport aux anglophones et adressent à Londres, en 1834, 92 résolutions afin d’obtenir plus de pouvoir démocratique pour le Parlement du Bas-Canada. Au Royaume-Uni, une commission se réunit et débouche sur les 10 résolutions de Russell de 1837, qui rejettent l’ensemble des demandes du Parti patriote.

Pour protester contre ces résolutions, des assemblées populaires s’organisent, alors qu’elles sont interdites par le gouvernement depuis le 15 juin 1837. Le 6 novembre, des échauffourées dégénèrent entre loyalistes fidèles au Royaume-Uni et ceux qu’on appelle patriotes, provoquant une guerre civile au Bas-Canada connue sous le nom de rébellion des Patriotes (18371838). Malgré le soutien de partisans venus des États-Unis, les patriotes sont vaincus et plusieurs de leurs chefs sont pendus ou déportés, notamment vers l’Australie. Un nouveau gouverneur, lord Durham, est nommé par la Couronne. Son objectif est simple : réunir le Haut- et le Bas-Canada afin de réduire l’autonomie des Canadiens français et, à terme, de les assimiler. Le Canada-Uni, on l’a dit, est créé en 1840, et est donc majoritairement anglophone. Il existait donc des tensions entre les anglophones et les francophones, mais aussi entre les colonies et le Royaume-Uni. D’autant que, sous l’influence de la révolution américaine, qui aboutit, après une guerre de 1776 à 1783, à l’indépendance des États-Unis d’Amérique, les idées d’indépendance ont progressé aussi bien chez les anglophones que chez les francophones. Mais le Royaume-Uni rechigne à accorder au Canada une autonomie qui s’assortirait, comme aux États-Unis, d’un régime démocratique. C’est seulement dans les années 1850 que Londres commence à en accepter le principe. Mais cela ne peut satisfaire les Québécois qui, une fois de plus, se retrouvent dans la Confédération canadienne de 1867 en minorité. Les politiciens réformistes soutiennent le projet de fédération dans la mesure où certains pouvoirs sont accordés à la province du Québec, notamment en matière d’éducation, de langue, de santé et de gestion des ressources naturelles tandis que les antifédéralistes considèrent la confédération comme une menace à la suvie de francophones.

L’AUTEUR Professeur à l’université Laval (Québec), Laurier Turgeon a notamment publié, avec A. Charbonneau, Patrimoines et identités en Amérique française (PUL, 2010) ainsi que, avec Y. Bergeron et M. Fournier, l’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française (www .ameriquefrancaise .org et Éditions du Septentrion, à paraître en novembre 2017).

MOT CLÉ

Dominion

Pays membre de l’Empire britannique, devenu officiellement indépendant, mais restant sous domination partielle de la Couronne, notamment pour tout ce qui concerne sa politique étrangère. Le Canada est le premier à être doté de ce statut en 1867. La déclaration Balfour de 1926 prévoit la suppression du statut de dominion et la création du Commonwealth. Le statut de Westminster de 1931 reconnaît la souveraineté de tous les pays membres de l’Empire britannique (dominions), dont le Canada.

En 1867, la Confédération est loin de recouvrir tout le territoire actuel du Canada. Quand les autres États sont-ils entrés ? A cette date, l’Ouest canadien (actuels Alberta, Saskatchewan et Manitoba) est géré par la Compagnie de la Baie ­d’Hudson1. Mais il connaît à son tour des rébellions. Et notamment celle menée par Louis Riel, un métis francophone, pour protéger les droits des métis, des francophones et des Amérindiens exclus des négociations de la Confédération. Il s’est battu entre autres revendications contre la construction des chemins de fer et l’arpentage des terres par les anglophones à partir des années 1860. La rébellion majeure qu’il commande entre 1869 et 1870, celle de la Rivière Rouge, a conduit à la création de la province du Manitoba, qui devient le 15 juillet 1870 la cinquième province de la Confédération canadienne. La même année, le gouvernement du Canada avait acheté à la Compagnie de la Baie ­d’Hudson un vaste territoire qui recouvre la Terre de Rupert (la région autour de la baie d’Hudson) et toutes les terres à l’ouest de cette région qui s’étendent jusqu’au Pacifique. Une fois entré dans la Confédération, ce territoire est rebaptisé Territoires du NordOuest et sera progressivement morcelé en différentes entités. Un gouvernement bilingue composé de métis avait été créé en 1869 dans la vallée de la rivière Rouge (sur le site actuel de Saint-Boniface), mais il est chassé, d’où une nouvelle rébellion en 1884-1885 à Batoche, dans la Saskatchewan, et un affrontement militaire entre les métis, les Indiens et les armées du Canada britannique. La victoire de ces dernières marque la chute des pouvoirs métis et francophone dans l’Ouest canadien. A la fin du xixe siècle et au début du xxe, ces territoires occidentaux connaissent un mouvement rapide et massif de peuplement. Les colons viennent d’Europe, notamment d’Ukraine, L’HISTOIRE / N°436 / JUIN 2017


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DOSSIER

J érusalem, 1967-2017

L’impossible capitale A l’issue de la guerre des Six-Jours, Jérusalem, divisée entre Israéliens et Jordaniens depuis 1949, se trouve de facto réunifiée. Pourtant, l’État hébreu n’a pas réussi à imposer la ville comme capitale exclusive et indivisible. Par Vincent Lemire

L’HISTOIRE / N°436 / JUIN 2017

C

internationale, reprise par exemple solennellement par l’Union européenne en 2008 ou par le secrétaire d’État américain John Kerry, le 28 décembre 2016, dans une de ses dernières prises de parole sur le sujet : Jérusalem doit être la capitale de deux États souverains, Israël et la Palestine. Pourquoi Israël, malgré une volonté politique unanime de ses dirigeants et des investissements ininterrompus depuis 1967, n’a-t-il pas réussi à faire de Jérusalem sa capitale exclusive ? Contrairement aux apparences, l’échec ne tient pas seulement à la position de la communauté internationale.

1967 : opération réunification L’opération de réunification de la ville n’a pas pu être préparée, et pour cause puisque la guerre des Six-Jours (5-10 juin) n’a pas été anticipée et ne devait être, au moment où elle a été déclenchée, qu’une guerre éclair contre la seule armée égyptienne (cf. Alain Dieckhoff, p. 46). Mais le traité de défense mutuelle signé avec l’Égypte le 30 mai et les fausses informations victorieuses volontairement diffusées par Nasser conduisent le roi Hussein à déclencher des bombardements intensifs contre JérusalemOuest à la fin de la matinée du 5 juin, touchant

DR

L’AUTEUR Maître de conférences à l’université Paris-EstMarne-la-Vallée, Vincent Lemire a notamment publié Jérusalem 1900. La Ville sainte à l’âge des possibles (Armand Colin, 2013 ; rééd. Seuil, « Points histoire », 2016). Il vient de diriger Jérusalem. Histoire d’une ville-monde (Flammarion, « Champs histoire », 2016).

inquante ans après la conquête militaire de Jérusalem-Est lors de la guerre des Six-Jours, Israël n’a toujours pas réussi à faire accepter par la communauté internationale ses revendications sur la Ville sainte. Alors que Jérusalem a été déclarée capitale « indivisible » d’Israël par une loi fondamentale votée à la Knesset le 30 juillet 1980, la totalité des grandes ambassades demeurent aujourd’hui à Tel-Aviv et Jérusalem-Est reste considérée comme un « territoire occupé » du point de vue du droit international. Encore tout récemment, le 23 décembre 2016, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté la résolution 2334 qui condamne fermement et explicitement les actions unilatérales d’Israël dans la ville : « La création par Israël de colonies de peuplement dans le territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris JérusalemEst, n’a aucun fondement en droit et constitue une violation flagrante du droit international et un obstacle majeur à la réalisation de la solution des deux États et à l’instauration d’une paix globale, juste et durable. » Par ces termes l’ONU ne fait que répéter la position constante et unanime de la communauté


TED SPIEGEL/NATIONAL GEOGRAPHIC/GETT Y IMAGES

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la Knesset (le Parlement israélien) et la résidence du Premier ministre. Dans la soirée du 5 juin, il n’y a pas encore de consensus au sein du cabinet israélien concernant la Ville sainte : certains ministres comme Menahem Begin plaident pour une conquête immédiate, mais le Premier ministre Levi Eshkol craint une réaction internationale et souhaite temporiser. Les quartiers est sont conquis par les généraux Moshe Dayan et Yitzhak Rabin et par les troupes parachutistes israéliennes commandées par Uzi Narkiss sans qu’il y ait eu d’ordre politique et malgré le vote à l’unanimité du Conseil de sécurité, le 5 juin (6 juin vers 1 heure du matin à Jérusalem), d’une demande de cessez-le-feu immédiat. La bataille de Jérusalem n’aura duré qu’à peine trois jours, du lundi 5 au mercredi 7 juin. Les témoignages des habitants de JérusalemEst sont rares mais ils permettent de comprendre à la fois l’angoisse qui a saisi les populations arabes de la ville au moment de la conquête et en même temps leur prévention contre une fuite vers la Jordanie ou vers d’autres pays d’exil. De ce point de vue, le souvenir de la guerre de 1948 est encore dans tous les esprits, car chacun sait que les 700 000 réfugiés palestiniens n’ont jamais pu retourner dans leurs maisons.

Parade En juin 1968,

un an après la guerre des Six-Jours, des tanks et des soldats israéliens défilent dans l’ancien no man’s land qui séparait les secteurs israélien et jordanien.

Note 1. Jérusalem. Le sacré et le politique, textes réunis et présentés par F. MardamBey et E. Sanbar, Arles, Sindbad-Actes Sud, 2000.

Ibrahim Dakkak, un jeune ingénieur palestinien vivant à Jérusalem, se souvient des sentiments mêlés qui l’ont traversé quand, terré chez lui avec sa femme et son fils, « le bulletin météo pour Jérusalem fut donné par Radio Israël et non plus par Radio Amman »1 : « Nous savions que Jérusalem était tombée aux mains des forces israéliennes. Que faire ? L’histoire allait-elle se répéter ? Est-ce que cela allait se passer comme en 1948 ? […] Des voitures équipées de haut-parleurs parcouraient les rues de Jérusalem pour appeler ceux qui souhaitaient quitter la ville par le pont Allenby, sur le Jourdain, à se diriger vers les autobus mis à leur disposition à cet effet. Un appel lourd de significations. Attirant et insistant à la fois. Le passage du pont était gratuit, sans aucune condition pour personne. » Ibrahim Dakkak prit la décision de rester, comme la plupart des 70 000 habitants que comptait alors Jérusalem-Est. A la différence de ce qui s’était passé en 1948, aucune stratégie d’expulsion n’avait été planifiée par l’armée israélienne. Ce sont bien ces résidents palestiniens demeurés obstinément chez eux qui ont fait obstacle, jusqu’à aujourd’hui, à la réunification de la ville. Comme le souligne explicitement Ibrahim Dakkak dans ses souvenirs, « dans la mesure où les habitants L’HISTOIRE / N°436 / JUIN 2017


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L’Atelier des

CHERCHEURS n Le temps des grandes transhumances p . 60 n E nquête sur le suicide au Moyen Age p. 66 n L’empire oublié de Tigrane d’Arménie p. 70

Le temps des grandes transhumances Jusqu’au milieu du xxe siècle, durant les mois d’été, bergers et troupeaux parcouraient, à pied, des centaines de kilomètres dans les Alpes du Sud ; ils fuyaient la chaleur des plaines pour la fraîcheur des alpages. Une pratique ancestrale que les sciences sociales redécouvrent aujourd’hui, loin du folklore attendu. Par Antoine de Baecque

L’AUTEUR Professeur à l’École normale supérieure, Antoine de Baecque a notamment publié Écrivains randonneurs (Omnibus, 2013), La Traversée des Alpes (Gallimard, 2014), Une histoire de la marche (Perrin, 2016) et Les Godillots : manifeste pour une histoire marchée (Anamosa, 2017).

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Par exemple, les grandes et longues bergeries romaines de la Crau (Bouches-du-Rhône). Mais parlent tout autant des anciennes transhumances les registres tenus par les entrepreneurs, comme Noé de Barras qui supervise, à l’été 1480, la montée de 4 000 bêtes réparties en trois troupeaux d’Aix-en-Provence au mont Guillaume, au-dessus d’Embrun.

Décryptage La transhumance des moutons et des bergers a quasiment disparu en France depuis les années 1950. Antoine de Baecque montre le foisonnement actuel de la recherche transdisciplinaire sur cette pratique pastorale si particulière, récemment remise à l’honneur par les ethnologues, les zoologues et les historiens. Il fait aussi le point sur la reviviscence de cette culture (festivals, musées, randonnées) qui touche à toutes les dimensions des relations de l’homme à son environnement.

DR – ROBERT DOISNEAU/GAMMA-RAPHO

L

e moutonnement des troupeaux le long des pentes des Alpes du Sud, vaste mouvement qui bat au rythme des saisons, est comme la respiration de la montagne. Les transhumances ovines sont un phénomène de grande ampleur dans toute la Méditerranée. Ces migrations pastorales permettaient aux moutons des plaines de bord de mer de fuir la chaleur et, sous la direction des bergers, de monter vers les pâturages d’altitude pour y trouver herbe et fraîcheur entre trois et quatre mois d’été. A l’automne, tous « démontagnaient » en prévision des premières neiges, afin que les brebis retournent mettre bas les précieux agneaux dans les bergeries de la plaine originelle. Le système était au point : l’homme prélevait, après quelques mois seulement, la plupart des jeunes mâles pour sa consommation d’agneaux : il nourrissait les femelles, fécondées par des représentants masculins sélectionnés pour être les chefs des troupeaux. Cela ressemble au cycle d’un premier état de civilisation éternellement recommencé. On trouve, en France, de nombreux témoignages archéologiques de ce système antique.


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Doisneau en Provence A mateur de Jean Giono, Robert Doisneau accompagne et photographie en juin 1958 des bergers entre Lorgues (Var) et les hauteurs de Valberg dans les Alpes-Maritimes.

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GUIDE Sorties n Exposition p. 90 n C inéma p . 92 n M édias p . 94

Exposition

De Tombouctou à Zanzibar La richesse culturelle des échanges en Afrique, de la naissance de l’islam à aujourd’hui, est à découvrir à l’Institut du monde arabe.

masques en bois de Côte d’Ivoire, étonnantes peintures suwer (« sous verre ») du Sénégal. Ces dernières montrent notamment la figure du chef de la confrérie mouride Cheikh Amadou Bamba (fin xixe-début xxe), toujours populaire.

Un dialogue entre passé et présent

I

slam et Afrique : le rapprochement des mots évoque, dans l’actualité récente, le djihadisme ou la destruction des mausolées et des manuscrits précieux de Tombouctou. Il sous-entend aussi une forte homogénéité : un Islam, une Afrique. Le premier intérêt de l’exposition organisée par l’Institut du monde arabe (IMA) est de montrer au contraire les nombreuses expressions de l’art islamique dans trois grandes zones du continent : l’Afrique de l’Ouest, la corne de l’Afrique et la haute vallée du Nil, l’aire swahilie. Ces trois régions subsahariennes furent très tôt, dès le viie-viiie siècle, en contact avec l’islam par l’intermédiaire de marchands souvent arabes. En 1964, dans les restes d’une caravane perdue au cœur du Sahara, Théodore Monod exhuma 2 000 tiges de laiton et des cauris, coquillages de l’océan Indien qui servirent longtemps de monL’HISTOIRE / N°436 / JUIN 2017

naie. En Tanzanie, des tombes portent, scellées, des porcelaines fabriquées en Chine. Des stèles du ixe siècle inscrites en arabe témoignent de la présence ancienne de familles musulmanes entre la première et la deuxième cataracte du Nil. Une tablette de sel mauritanien rappelle l’importance de ce produit, dès l’Antiquité. L’ivoire, l’or et l’ambre, les esclaves, empruntaient les mêmes routes transcontinentales. L’islamisation, lente et partielle, concerna d’abord les élites, politiques et marchandes, qui voyaient dans la religion un moyen d’entrer dans un réseau international : la conversion fut ici volontaire et active. La variété des pratiques est bien mise en valeur, pratiques qui, hier comme aujourd’hui, mêlent des éléments locaux aux impératifs islamiques : mosquées d’argile crue de la vallée du Niger, portes sculptées de Tanzanie aux motifs végétaux, dattier et lotus, inspirés de l’Inde,

Huguette Meunier À VOIR

Trésors de l’islam en Afrique. De Tombouctou à Zanzibar jusqu’au 30 juillet à l’Institut du monde arabe, Paris.

JAMES MORRIS

La mosquée de Djenné au Mali.

Au hasard des salles, on admire des selles de chameliers, des sacs de nomades, une aiguière sénoufo, des bracelets de cheville de Zanzibar, des poids akan (un thème repris par l’artiste contemporain, mort en 2014, Frédéric Bruly Bouabré), des tentures berbères et couvertures peules, des tapis tissés certains par des hommes, d’autres par des femmes, suivant des codes précis, ou encore des boubous soninké savamment brodés – sans oublier les tuniques talismaniques conçues par des marabouts pour attirer le succès, la fortune… ou les voix des électeurs. Dernière originalité de cette exposition à la scénographie intelligente : le dialogue entre le passé et le présent. Les statuettes métalliques qui volent de Ndary Lo, les peintures sur bois de Mohamed Tabal, les photos de Seydou Keïta, un totem de Victor Ekpuk, une installation de Moataz Nasr, au milieu de bien d’autres surprises, illustrent la variété et la vitalité des artistes contemporains.


AIDA MULUNEH, CIT Y LIFE, 2016 –COURTESY OF THE ARTIST AND DAVID KRUT PROJECTS NEW YORK JOHANNESBURG

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Photographie de l’artiste éthiopienne Aida Muluneh, City Life (2016), qui réinterprète la vannerie traditionnelle. L’HISTOIRE / N°436 / JUIN 2017


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