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Sommaire
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DOSSIER
ACTUALITÉS L’ÉDITO
3 Et pourtant, elle tourne !
FORUM Vous nous écrivez 4 L’Inde insondable ON VA EN PARLER Exclusif 6 Toulouse : saison 2 !
ÉVÉNEMENT
Édition 1 2 X IXe siècle : quoi de neuf ?
Entretien avec
Jürgen Osterhammel, Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre
36 L’affaire Galilée
Physique 2 2 Joliot et l’aventure de
l’eau lourde française Par Dominique Mongin
38
B ande dessinée
2 4 Voyage dessiné dans
Ce que Galilée a vraiment découvert Par Massimo Bucciantini
Le ciel ne tombe pas en un jour… La preuve est faite ! Chronologie : un homme et des mémoires
l’histoire française Par Olivier Thomas
A nniversaire
a 40 ans Par Huguette Meunier
Par Antonella Romano
26 Le musée de la Renaissance
41 46
Un « savant de cour »
Par Antonella Romano
U fologie 28 Agobard, la Magonie et les ovnis Par Pierre Lagrange
S anté publique 3 0 1917 : la guerre contre
le vin est déclarée Par Stéphane Le Bras
PORTRAIT François-Xavier Fauvelle 32 L’Africain Par Juliette Rigondet
FEUILLETON
Dans le secret des manuscrits 3 4 A Clairvaux,
faire parler les reliures ! Par Élodie Lévêque L’HISTOIRE / N°440 / OCTOBRE 2017
Les révolutions scientifiques existent-elles ?
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Les enjeux d’un procès
Par Francesco Beretta
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Infographie : soutiens et adversaires
Un héros italien ? Par Catherine Brice
Des archives convoitées Par Maria Pia Donato
Église catholique : le « syndrome Galilée » Par Guillaume Cuchet
L’islam et la mécanique céleste Par Faouzia Charfi
SSPL/GETT Y IMAGES – PARIS, MUSÉE DU LOUVRE ; JOSSE/LEEMAGE
ACTUALITÉ
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L’ATELIER DES CHERCHEURS
GUIDE LIVRES
76 « Violette Nozière, la fleur du mal » d’Anne Emmanuelle Demartini Par Emmanuelle Loyer
78 La sélection de « L’Histoire » Bande dessinée
8 4 « Le Premier Homme »
de Jacques Ferrandez Par Pascal Ory
Classique 85 « L’Opinion française sous Vichy » de Pierre Laborie Par Olivier Loubes
PFARRKIRCHE ST. MARIEN ZU WITTENBERG ; FINEARTIMAGES/LEEMAGE – NEW YORK, THE METROPOLITAN MUSEUM OF ART, DIST. RMN-GP/IMAGE OF THE MMA
66 L es chrétiens et la viande Par Massimo Montanari
Revues 86 La sélection de « L’Histoire » SORTIES Expositions
8 8 Et 1917 devient révolution
au musée d’Histoire contemporaine-BDIC à Paris Par Huguette Meunier
90 Déflagrations. Dessins d’enfants, guerres d’adultes à Strasbourg Par Ariane Mathieu Cinéma 9 0 « A l’ouest du Jourdain » d’Amos Gitaï Par Antoine de Baecque
91 « Grandeur et décadence d’un petit commerce de cinéma » de Jean-Luc Godard
92 « Le Jeune Karl Marx » de Raoul Peck
72 C ités grecques.
Malheur aux mendiants ! Par Jean-Manuel Roubineau
COUVERTURE : P ortrait de Galilée à la craie et au crayon sur papier bleu réalisé par Ottavio Leoni au début du xviie siècle, Florence, bibliothèque Marucelliana (Domingie & Rabatti/La Collection). RETROUVEZ PAGE 96 l es Privilèges abonnés ABONNEZ-VOUS PAGE 95 Ce numéro comporte deux encarts abonnement L’Histoire sur les exemplaires kiosque France + étranger (hors Suisse et Belgique), un encart abonnement Edigroup sur les exemplaires kiosque Belgique et Suisse, un catalogue éditions Belin sur les exemplaires abonnés et un message abonnement Challenges sur les exemplaires abonnés.
Médias 9 4 « La Tuerie de Jonestown » de France Swimberge sur Arte Par Olivier Thomas
94 « 1917 Révolution(s) » de Bernard George sur France 5
CARTE BLANCHE
9 8 Déboulonner les statues
Par Pierre Assouline
France Culture Vendredi 29 septembre à 9 h 05 dans l’émission d’Emmanuel Laurentin, retrouvez Francesco Beretta (cf. p. 50) dans la séquence « La Fabrique mondiale de l’histoire ». En partenariat avec L’Histoire. L’HISTOIRE / N°440 / OCTOBRE 2017
P. Singaravélou, S. Venayre (dir.),
Histoire du monde au xixe siècle, Fayard, 2017. J. Osterhammel, La Transformation du monde au xixe siècle, traduit de l’allemand par H. Vanbesien, Nouveau Monde éditions, 2017.
XIX SIÈCLE : e
QUOI DE NEUF ? L’HISTOIRE / N°440 / OCTOBRE 2017
Événement
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C’est une immense chance de voir paraître en même temps deux ouvrages sur le xixe siècle. Loin de faire double emploi, chaque volume a sa personnalité propre : œuvre d’un seul ou écrit par une centaine de collaborateurs, leur approche diffère, même s’ils partagent la volonté de comprendre « globalement » ce moment, et de saisir de différents points de vue ce siècle dit de la modernité. Entretien avec Jürgen Osterhammel, Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre
Relier le monde
NEW YORK, METROPOLITAN MUSEUM OF ART ; AKG – WRITER PICTURES/LEEMAGE PATRICE NORMAND/LEEXTRA/ÉDITIONS FAYARD
Ctte aquarelle de R. C. Dudley représente en 1865 le Great Eastern, le plus gros navire de l’époque partant déposer au fond de l’océan deux câbles transatlantiques. On les voit ici chargés à son bord depuis la frégate Iris.
L’Histoire : Quelle est, à vos yeux, la principale originalité de votre projet par rapport aux autres histoires du xixe siècle ? Jürgen Osterhammel : Il est assez rare qu’un auteur seul écrive l’histoire d’une époque tout entière. Mais il n’existe pas de règles en la matière. J’ai consacré une partie de ces dernières années à diriger, avec le professeur Akira Iriye de l’université de Harvard, une histoire collective du monde en six volumes1. Pour ce qui est du xixe siècle, cet ouvrage collectif complète mon
livre personnel. Mais il ne le remplace pas. Un auteur seul court un risque plus grand de faire des erreurs dans des domaines avec lesquels il ou elle est moins familier. Dans mon cas, mes connaissances sont bien plus solides sur la Chine que sur le Brésil, sur l’Europe de l’Ouest que sur l’Europe orientale. Par ailleurs, je n’ai pas de formation technique en histoire économique. Mais, d’un autre côté, le lecteur appréciera sans doute un ouvrage à l’architecture totalement maîtrisée, et dont la cohérence est assurée par la voix d’un seul. A la différence du xxe siècle, il y a eu très peu d’histoires globales sur le xixe. Eric Hobsbawm l’a couvert avec une série de trois livres (L’Ère des révolutions, L’Ère du capital, L’Ère des empires) qui sont peut-être dépassés à bien des égards mais qui demeurent des classiques de l’historiographie. Cependant, Hobsbawm lui-même aurait été le premier à reconnaître que ses trois volumes s’attachent essentiellement à l’Europe2. Et puis, en 2004, est paru, à ma surprise (j’avais déjà commencé à préparer mon livre) La Naissance du monde moderne de Christopher Bayly 3. Après avoir quelque peu hésité, j’ai décidé de poursuivre mon propre projet. Nos deux ouvrages sont écrits dans un même esprit et reposent sur une conception commune de ce que l’histoire globale peut faire. Leur comparaison pourra bénéficier au lecteur. Par exemple,
Christopher Bayly a bien plus à dire que moi sur la religion, quand, grâce à ma formation d’historien des relations internationales, je propose un long chapitre sur la guerre et la paix. Il entretient une plus forte affinité que moi avec le postcolonialisme (même s’il n’est pas exempt de critique à son égard) alors que j’ai toujours été influencé par la sociologie historique. Y a-t-il une ligne directrice de l’ouvrage ? J. O. : En réalité, mon livre ne traite pas une histoire unique, mais plutôt une polyphonie d’histoires, racontées depuis de nombreux points de vue différents. Un siècle est trop complexe pour rentrer dans un moule simple. C’est aussi la raison pour laquelle vous ne trouverez pas une thèse centrale dans mon livre. Je ne dis pas : le xixe siècle est celui dans lequel tel grand phénomène dominant tout le reste a eu lieu (la démocratisation, l’industrialisation, la globalisation, la sécularisation, etc.). Ce que je cherche à montrer c’est la variété de solutions aux nombreux problèmes et défis auxquels les hommes sont confrontés. Ce faisant, je ne me concentre pas uniquement sur les « grandes civilisations » et les « tendances lourdes », pas seulement sur les progrès, mais aussi sur l’absence de changements et même sur les régressions. J’essaie de couvrir autant de coins du monde
LES AUTEURS Jürgen Osterhammel, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Constance. Pierre Singaravélou, professeur à l’université Paris-I-PanthéonSorbonne. Sylvain Venayre, professeur à l’université Grenoble-Alpes.
L’HISTOIRE / N°440 / OCTOBRE 2017
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DOSSIER
G alilée
Les enjeux d’un procès 1633. Galilée comparaît à Rome devant l’Inquisition. Son tort : avoir tenté de démontrer la doctrine de Copernic, soutenant que la Terre tourne autour du Soleil. Une démarche incompatible avec la condamnation de cette doctrine par le pape Paul V en 1616. Par Francesco Beretta
O
L’HISTOIRE / N°440 / OCTOBRE 2017
du grand-duc de Toscane, Cosme II. Ses premières rencontres avec Maffeo Barberini (le futur pape Urbain VIII), en 1611-1613, ont lieu à la cour de Toscane et sont marquées par la mise en place d’une relation de patronage. Il tient au courant le cardinal de ses découvertes astronomiques et Barberini lui témoigne dans ses lettres l’intérêt qu’il porte à ses travaux. A cette époque, Barberini a lui aussi une belle carrière. Son ascension dans la Curie romaine a été couronnée de succès : après la nonciature1 de France, il est cardinal en 1606, légat2 à Bologne en 1611, puis préfet du Tribunal de la signature de justice et membre de la Congrégation de l’Index, un organisme en charge depuis 1564 d’examiner la doctrine des ouvrages déjà publiés et de les proscrire si nécessaire. Grand amateur de poésie, il réunit autour de lui un cercle d’hommes de lettres, dont le prêtre Giovanni Ciampoli, lié d’amitié avec Galilée depuis quelques années.
Le compromis de 1615 En décembre 1614, le frère dominicain Tommaso Caccini prononce à Florence un sermon contre les mathématiciens, dénonçant le soutien de Galilée à la théorie copernicienne qui affirme que la Terre tourne autour du Soleil. Lorsqu’il apprend la nouvelle, Ciampoli va voir Barberini le soir même. Le cardinal est un personnage influent à la cour de Rome. Les amis de Galilée lui font parvenir une longue lettre que l’astronome avait adressée à son disciple Benedetto Castelli un an auparavant, dans laquelle il développait une interprétation de l’Écriture fondée sur le principe
DR
L’AUTEUR Chargé de recherche au CNRS au Larhra (Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes), Francesco Beretta a dirigé Galilée en procès, Galilée réhabilité ? (Éditions SaintAugustin, 2005).
rdinaire ou exceptionnel ? C’est évident, le procès de Galilée est exceptionnel. D’abord, à cause de la valeur symbolique qu’il a acquise au xixe siècle, au cœur d’un affrontement idéologique majeur entre « l’Église » et « la Science » qui a vu les valeurs culturelles et sociales de l’Ancien Régime progressivement remplacées par la civilisation libérale et laïque. Dans ce contexte, les historiens se sont souvent situés par rapport à « l’affaire Galilée » à partir de leur identité, soit pour défendre une Église accusée d’obscurantisme, soit pour délégitimer tout discours ecclésiastique, passé ou présent. Le procès de Galilée est exceptionnel également à cause du statut social de l’accusé, mathématicien et philosophe personnel du grand-duc de Toscane, ainsi que de celui du juge, le pape, inquisiteur suprême dans l’Italie du xviie siècle. Depuis trente ans, une abondante bibliographie a été consacrée à cette affaire, renouvelant les nombreuses études dédiées au procès depuis le xixe siècle. Ces travaux permettent d’en avoir une vision moins schématique et anachronique, en faisant ressortir les complexités du débat théologique et scientifique de l’époque, le rôle du statut social des acteurs et des rapports de force au sein de l’Église, mais aussi celui des individus, et des conséquences parfois imprévisibles de leurs décisions. Après avoir été professeur de mathématiques à Pise et à Padoue, Galilée devient, en 1610, philosophe et mathématicien personnel
PARIS, MUSÉE DU LOUVRE ; JOSSE/LEEMAGE
Naissance d’un mythe L es artistes du xixe siècle sont à l’origine de notre image de Galilée. Ici, tout en représentant son abjuration, main sur la Bible, Joseph-Nicolas Robert-Fleury le figure retourné vers nous. Tapant du pied, il semble nous dire « Et pourtant elle tourne ! ». de l’accommodation : selon celui-ci, dans le domaine de la cosmologie, qui ne concerne pas le salut des âmes, la recherche scientifique est indépendante de la théologie et les exégètes de la Bible sont appelés à adapter leurs interprétations aux découvertes des savants. En février 1615, les dominicains de Florence font parvenir au Saint-Office romain une copie de cette même lettre et le tribunal de l’Inquisition ouvre une enquête car un savant laïc se permet de dicter leur conduite aux théologiens. Dans le même temps, des pourparlers sont engagés avec les autorités ecclésiastiques romaines par le prélat Piero Dini, le prince Cesi et le prêtre humaniste Ciampoli pour empêcher une condamnation de l’héliocentrisme. La correspondance de Galilée nous apprend que le cardinal Barberini accepte de s’exprimer en sa faveur mais qu’il l’invite en même temps à éviter les questions d’exégèse. En revanche, un théologien réputé, le frère carme Paolo Antonio Foscarini, responsable de son ordre en Calabre, en visite à Rome, prend publiquement la défense de l’héliocentrisme qui, selon lui, n’est pas en contradiction avec l’Écriture. Dans un livre publié en 1615, il affirme que les découvertes de Galilée suggèrent la possibilité du mouvement de la Terre et qu’il
Notes 1. Nommé par le pape, il en est l’ambassadeur à l’étranger. 2. Représentant religieux et politique du souverain pontife dans un territoire appartenant aux États pontificaux.
lui semble donc opportun d’adopter en matière de cosmologie une exégèse prudente, fondée sur le principe d’accommodation. Le cardinal inquisiteur Robert Bellarmin, célèbre théologien très écouté par le pape Paul V, s’oppose fermement à cette conception. Pour lui, la cosmologie de la Bible est elle aussi objet de foi. L’Esprit Saint parle dans l’ensemble de l’Écriture et tout ce que Dieu dit demande l’assentiment de la foi : la doctrine copernicienne est donc à considérer comme virtuellement hérétique. Le jésuite propose toutefois un compromis destiné à contenter aussi bien les savants que les partisans d’une lecture littérale de la Bible : il faut désormais se limiter à utiliser le système du monde héliocentrique ex hypothesi, comme une « hypothèse », dans le sens instrumental que les astronomes donnaient alors à cette notion. Autrement dit : on affirme que l’héliocentrisme est faux au nom de l’Écriture, mais on peut quand même l’utiliser comme hypothèse de calcul astronomique afin de prédire les mouvements des astres – et ce avec bien plus d’exactitude qu’en adoptant le système du monde géocentrique. Mais ces mouvements doivent être dits « apparents » et non réels. Le vrai enjeu de ce débat n’est pas une question de science mais bien de L’HISTOIRE / N°440 / OCTOBRE 2017
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L’Atelier des
CHERCHEURS n Les chrétiens et la viande p . 66 n C ités grecques. Malheur aux mendiants ! p . 72
Les chrétiens et la viande Contrairement au judaïsme et à l’islam, le christianisme n’a pas défini d’interdits quant à la consommation de viande. Retour sur une exception alimentaire et ses hésitations depuis l’Antiquité.
P
eut-on, en conscience, tuer des animaux pour se nourrir de leur chair ? A cette question, qui concerne tout un chacun dans son rapport à la faim, au plaisir et à la santé, les systèmes religieux et philosophiques ont apporté différentes réponses, en mettant l’accent sur plusieurs thèmes fondamentaux comme la valeur de la vie, la conception de la nature, la place de l’homme dans l’univers. Bien des cultures (en particulier orientales) ont développé des idées de solidarité et de compassion entre tous les êtres vivants qui, participant au même flux vital, seraient donc tenus à un respect mutuel. Dans les cultures méditerranéennes, c’est la pratique du « sacrifice » qui a prévalu : elle permet de tuer des animaux en ritualisant le geste, et en transposant sa signification sur le plan du sacré. La tradition juive, pour sa part, a élaboré une casuistique complexe, qui distingue les viandes mangeables de celles qui ne le sont pas. Quelle fut, à cet égard, la position du christianisme ? Le choix des premiers apôtres fut de ne pas dicter de règles, en déplaçant l’attention de l’objet L’HISTOIRE / N°440 / OCTOBRE 2017
L’AUTEUR Massimo Montanari est professeur d’histoire médiévale et d’histoire de l’alimentation à l’université de Bologne. Il vient de publier La Chère et l’Esprit. Histoire de la culture alimentaire chrétienne (Alma, 2017).
Note 1. www .cattolicivegetariani.it
au sujet : l’important n’est pas ce que l’on mange, mais comment on le mange, avec quelles intentions, quelles pensées, quelles attitudes. Cette liberté a suscité au fil des siècles des positions contradictoires, parfois ambiguës, d’autant que des préceptes et des règles de diverses natures n’ont pas tardé à contredire ce principe théorique. « Nous aimons tant la Création que nous la respectons, nous aimons tant la vie que nous ne voulons la soustraire à aucun être vivant » : ainsi est introduit le site web de l’Association des catholiques végétariens, constituée en Italie en 2009, qui s’appuie sur de nombreuses citations de la Bible et de Vies de saints « qui dans l’histoire bimillénaire de l’Église ont fait de la bienveillance envers les créatures un don de charité »1. Veiller sur la Création, plutôt que la dominer : cette idée figure aussi dans l’encyclique Laudato si’ du pape François (2015). Il ne fait guère de doute que les catholiques végétariens relisent l’histoire avec une certaine partialité, car les positions qu’ils revendiquent ont toujours été difficiles à défendre, voire condamnées comme hérétiques : au
EFFIGIE/LEEMAGE – PFARRKIRCHE ST. MARIEN ZU WITTENBERG ; FINEARTIMAGES/LEEMAGE
Par Massimo Montanari
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Décryptage Dans son dernier ouvrage, l’historien de l’alimentation Massimo Montanari montre comment le christianisme a construit une liberté en matière d’alimentation. Surtout, il dévoile que, de l’Antiquité au xxie siècle, cette libéralité ne fait guère l’unanimité : en étudiant les textes des grands auteurs chrétiens, les écrits saints et les documents normatifs comme les règles monastiques, il met au jour toute la subtilité de la position chrétienne, qui place l’individu en première ligne. Pour ce travail, il s’est vu décerné le prix Anthony-Rowley des Rendez-vous de l’histoire de Blois remis le 6 octobre 2017.
Le dernier souper C ette huile sur bois de Lucien Cranach l’Ancien dépeint la Cène, le dernier repas du Christ avant sa crucifixion. Luther, ami du peintre, a été rajouté parmi les apôtres (à droite, en vert). Sur la table figure un plat de viande, évidemment de l’agneau. L’HISTOIRE / N°440 / OCTOBRE 2017
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GUIDE Sorties n Expositions p. 88 n C inéma p . 90 n M édias p . 94
Expositions
Si 1917 m’était conté La BDIC célèbre son centenaire avec une exposition phare sur les révolutions russes.
I
La guerre précipite la fin Tout d’abord, le récit de cette « révolution à vive allure », convoquant anciens et nouveaux acteurs, détaillant les péripéties de février à octobre, des tentatives de réforme au coup d’État bolchévique. Une estampe de 1915 du tsar et de la famille impériale côtoie une couverture figurant Kerenski et un cliché saisissant pris par Karl Bulla de la foule fuyant le feu des mitrailleuses, le 4 juillet 1917, à l’angle de la perspective Nevski et de la rue Sadovaïa où le photographe avait son atelier. Vient ensuite le rôle de l’armée. Crucial car c’est bien la guerre qui fit apparaître les failles du régime et précipita la chute du tsar de toutes les Russies. Le tableau L’HISTOIRE / N°440 / OCTOBRE 2017
Karl Bulla photographie la foule mitraillée le 4 juillet 1917 à Petrograd (Saint-Pétersbourg). d’Henri Gervex de 1916, La Bénédiction du pope, accordée aux soldats dans une tranchée, des affiches de propagande, des photos accompagnent le visiteur. En déverrouillant la « prison des peuples », troisième étape, les nouveaux dirigeants ouvrent la voie aux revendications nationales, un enjeu brûlant pas vraiment résolu – même aujourd’hui. Parmi les documents, le télégramme annonçant la reconquête de Kazan par l’Armée rouge de Trotski ou un billet de 100 karbonavets émis par la jeune république d’Ukraine daté de 1917. La quatrième section analyse la vision française, nourrie des témoignages de Russes installés en France ou de Français vivant en Russie ou amenés à y aller, tel l’étonnant baron de Baye, archéologue et ethnologue, chargé par la bibliothèque de collecter sur place, à chaud, un maximum de documents, et dont on voit un beau portrait.
La dernière partie s’intéresse à la manière de « Commémorer et imaginer la Révolution », une fois que le mythe s’est substitué à la réalité, convoquant les artistes constructivistes et les cinéastes ; et, à rebours, que les études historiques ont déboulonné la légende. Soutenue par le conseil départemental des Hauts-de-Seine et inscrite dans le cadre de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale, l’exposition, dotée d’un riche catalogue, s’accompagne d’un colloque international « Les trajectoires d’octobre 1917 » (1921 octobre) et de projections de documentaires, les 8 et 15 novembre. n Huguette Meunier À VOIR
Et 1917 devient révolution du 18 octobre 2017 au 18 février 2018 au musée d’Histoire contemporaine-BDIC, Hôtel national des Invalides, Paris.
BDIC – © GALERIE LE MINOTAURE, PARIS
l y a cent ans, la révolution éclatait en Russie. Il y a cent ans, la Bibliothèque musée de la guerre en France – devenue Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC) – était créée à Paris. A priori, rien de commun entre les deux événements. Et pourtant, le choix, par la BDIC, de consacrer l’exposition de son centenaire à la révolution russe est pertinent. La bibliothèque est née, en effet, de la donation à l’État d’une collection privée unique : tous les documents relatifs au conflit alors en cours, quelles que soient leur nature et leur langue ! Un trésor, dans lequel les commissaires (Carole Ajam de la BDIC, Alain Blum de l’Ehess, Sophie Cœuré professeur à l’université Paris-VII et Sabine Dullin professeur à Sciences Po) ont puisé. Leur but : illustrer la manière dont la somme des événements de l’année 1917 a constitué une véritable révolution aux répercussions mondiales. Affiches, photographies, films, journaux, accompagnent le parcours articulé en cinq sections thématiques.
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Cette composition d’Issachar Ber Ryback datant de 1916-1917 témoigne de l’audace des jeunes artistes engagés. L’HISTOIRE / N°440 / OCTOBRE 2017