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Sommaire
10 /
DOSSIER
ACTUALITÉS L’ÉDITO
3 « Normandies »
FORUM Vous nous écrivez 4 Dans la lunette de Galilée ON VA EN PARLER
Exclusif 6 1 200 ans d’histoire économique
ÉVÉNEMENT
Code noir 1 2 F aut-il brûler Colbert ?
Entretien avec Jean-François Niort
34 Les vikings
Une saga européenne Carte : une Méditerranée du Nord
ACTUALITÉ
36
d’extermination ? Par Benoît Pellistrandi
et Édouard Vernon
Par Pierre Bauduin
Débat 22 Espagne, une guerre
38
Une diaspora européenne Par Alban Gautier
Rollon, chef normand
capitale polaire du nickel Par Taline Ter Minassian
Dans les villages scandinaves
Par Anne Nissen
L oisirs 26 Le cirque : une histoire équestre
48 50
Par Natalie Petiteau
C entenaire 28 La déclaration Balfour
Ottar, marchand et aventurier Par Lucie Malbos
Kaupang : port disparu
Par Youssef Courbage
54
Les légendes du Walhalla
PORTRAIT Éric Vuillard 3 0 Sondeur d’histoire
Par Neil Price
XIIIe siècle : tous chrétiens ?
Par Pierre Assouline
Par Fabien Paquet
60
Les sagas : histoire ou fiction ?
Par Torfi H. Tulinius
FEUILLETON
Dans le secret des manuscrits 32 Au chevet des manuscrits
brûlés de Chartres Par Dominique Poirel
et Claudia Rabel
L’HISTOIRE / N°442 / DÉCEMBRE 2017
Un mythe mondial
Par Caroline Olsson
64
Wagner et les casques à cornes
BRITISH LIBRARY/AKG – THE BRITISH LIBRARY BOARD/LEEMAGE
Savez-vous lire les runes ? Chronologie
E nvironnement 24 Norilsk,
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L’ATELIER DES CHERCHEURS
GUIDE LIVRES
8 4 « La Lagune. Et Aristote inventa la science… » d’Armand Marie Leroi Par Maurice Sartre
86 La sélection de « L’Histoire » Bande dessinée
92 « 50 nuances de Grecs »
de Jul et Charles Pépin Par Pascal Ory
Classique 9 4 « Le Chrysanthème et le Sabre » de Ruth Benedict Par Pierre-François Souyri
Revues 9 6 La sélection de « L’Histoire » SORTIES Expositions
70 P eut-on mourir de nostalgie ? Par Thomas Dodman
9 8 Le voyage d’Émile Guimet Par Huguette Meunier
1 00 La sélection de « L’Histoire » Cinéma
102 « Les Gardiennes »
de Xavier Beauvois Par Antoine de Baecque
Médias 103 La sélection de « L’Histoire » CARTE BLANCHE
106 Le coup de maître
RMN-GP (MUSÉE D’ORSAY)/HERVÉ LEWANDOWSKI – JEAN VIGNE/KHARBINE-TAPABOR
de Dupontel Par Pierre Assouline
France Culture Vendredi 24 novembre à 9 h 05 dans l’émission d’Emmanuel Laurentin, retrouvez Robert Tombs dans la séquence « La Fabrique mondiale de l’histoire ». En partenariat avec L’Histoire.
76 J ulien Gracq, le paysage et le territoire Par Jean-Louis Tissier
Le samedi 16 décembre à 8 h 30 sur Public Sénat, retrouvez Benoît Pellistrandi dans l’émission « L’info dans le rétro » présentée par Fabrice d’Almeida. Rediffusion le samedi à 15 h 30, le dimanche à 12 heures et le lundi à 23 heures et sur publicsenat.fr - En partenariat avec « L’Histoire » (cf. p. 22).
COUVERTURE : F igure zoomorphe en érable découverte lors de l’excavation en 1904 du navire e d’Oseberg (ix siècle) en Norvège (Bygdoy, Viking Ship Museum ; Werner Forman Archive/Scala). RETROUVEZ PAGE 104 les Privilèges abonnés ABONNEZ-VOUS PAGE 95 Ce numéro comporte deux encarts abonnement L’Histoire sur les exemplaires kiosque France + étranger (hors Suisse et Belgique), un encart abonnement Edigroup sur les exemplaires kiosque Belgique et Suisse, un encart abonnement Études sur les exemplaires abonnés et un encart VPC montre Vuillemin Regnier sur les exemplaires abonnés.
L’HISTOIRE / N°442 / DÉCEMBRE 2017
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Un édit de Colbert
Le ministre de Louis XIV, dont on voit ici la statue devant l’Assemblée nationale, est l’initiateur de l’édit de mars 1685 (ci-contre : l’édition de 1743 des Libraires associés, augmentée d’autres règlements coloniaux, sous le titre de Code noir). L’HISTOIRE / N°442 / DÉCEMBRE 2017
Événement
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CODE NOIR
FAUT-IL BRÛLER COLBERT ? Depuis une quinzaine d’années, les revendications mémorielles ayant trait à l’esclavage se font de plus en plus fortes. Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour retirer du fronton de nos écoles le nom de Colbert, à l’origine du Code noir. Mais que disait vraiment ce texte aujourd’hui condamné ? Mise au point.
BRITISH LIBRARY/AKG – KIM YOUNGTAE/LEEMAGE – DR
Entretien avec Jean-François Niort
L’Histoire : Qu’est-ce qu’on appelle « code noir » ? Jean-François Niort : L’expression « code noir » est utilisée pour la première fois en 1718 par les éditeurs parisiens Saugrain pour désigner la loi de mars 1685 portant sur les rapports entre maîtres et esclaves dans les colonies françaises d’Amérique, et dont Colbert est l’initiateur (mais non le signataire, puisqu’il meurt en septembre 1683 : c’est son fils qui achève le travail et appose sa signature). Il s’agit de la plus ancienne édition du texte connue à ce jour : quatorze pages, qui en reproduisent les 60 articles. Le titre originel de la loi est, lui, quelque peu flottant : selon les archives, on trouvera « ordonnance » ou « édit » « sur les îles d’Amérique » ou « sur les esclaves des îles d’Amérique ». Le terme de « code » renvoie dans la pratique juridique à une loi de portée générale, qui réglemente une matière de A à Z. C’est le cas ici, même si son champ d’application est restreint puisqu’il ne concerne qu’une infime partie du territoire : originellement la Martinique, la
Guadeloupe et Saint-Christophe (possession française jusqu’en 1702, actuelle Saint Kitts), puis Saint-Domingue en 1687, et la Guyane en 1704. D’autres ordonnances de Colbert ont reçu par la suite cette qualification, comme celle de 1667 sur la procédure civile, appelée « code Louis », ou celle de 1673 sur le commerce, baptisée « code Savary ». Au cours du xviiie siècle, de nombreux textes modifient ou complètent les articles de l’édit de mars 1685. Les éditeurs juridiques regroupent alors sous l’expression de « code noir » l’ensemble des différents règlements relatifs à l’esclavage. Le premier recueil de ce type est publié en 1742 par les frères Prault. Il compte environ 200 pages. Dans sa dernière version de 1788, il en fait 600. En un demi-siècle à peine, le corpus a donc triplé de volume. Et il ne s’agit là que des textes émanant de Versailles, on ne parle même pas des ordonnances locales, édictées par les gouverneurs et intendants. Dans sa dernière acception, le Code noir en vient même à désigner le droit colonial tout entier…
L’AUTEUR Jean-François Niort est maître de conférences à l’université des Antilles. Il a notamment publié Code noir (Dalloz, 2012) et Le Code noir. Idées reçues sur un texte symbolique (Le Cavalier bleu, 2015).
Même si on fait référence à l’édit de 1685 lorsqu’on parle du Code noir aujourd’hui, on l’assimile trop souvent aux textes racistes qui l’ont suivi au xviiie siècle, alors qu’il ne s’inscrit pas encore tout à fait dans cette logique. L’édit de mars 1685 vise-t-il d’autres esclaves que les Noirs ? A chaque fois que l’esclave est envisagé par le texte dans une perspective patrimoniale et financière, c’est-à-dire à chaque fois qu’il est question de la traite, de l’achat ou de la vente, le mot « Noir » ou « Nègre » apparaît (articles 2, 4, 7, 40). Par définition donc, l’Édit ne prévoit pas d’autres esclaves que des Noirs. Mais le mot « Noir » ou « Nègre » ne revient que quelques fois dans la loi, quand celui d’« esclave » est partout. Ce qui prime, c’est bien le statut juridique de l’« esclave » dans les sociétés coloniales, non celui du « Noir ». La « race », la couleur, l’origine africaine ne conditionnent pas ce statut, puisque le texte prévoit que le maître peut affranchir son esclave, à n’importe quel L’HISTOIRE / N°442 / DÉCEMBRE 2017
Portrait
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Éric Vuillard
Sondeur d’histoire Après avoir exploré la conquête du Nouveau Monde par les Espagnols, la Grande Guerre, la Révolution française ou encore le massacre des Indiens d’Amérique, Éric Vuillard s’attaque à la mécanique du pouvoir nazi dans son dernier récit. Il vient de recevoir le prix Goncourt. Par Pierre Assouline*
SES DATES
1968 N aissance à Lyon. 1999 L e Chasseur (Michalon), premier roman. 2006-2008 I l réalise deux films, L’Homme qui marche en 2006 et Mateo Falcone en 2008, adapté de la nouvelle de Prosper Mérimée. 2009 C onquistadors (Léo Scheer). 2012 L a Bataille d’Occident (Actes Sud) et Congo (Actes Sud). 2014 T ristesse de la terre. Une histoire de Buffalo Bill Cody (Actes Sud). 2016 1 4 Juillet (Actes Sud). 2017 L ’Ordre du jour (Actes Sud), prix Goncourt.
D
e prime abord, il n’en a pas l’air. Paisible, fois de plus rattrapées à Aix-en-Provence. Pas fin, lisse, souriant : on lui donnerait le le moindre sentiment de gâchis pourtant, ni de Bon Dieu sans confession, mais l’on sent temps perdu, car une figure lumineuse émerge déjà que cela n’irait pas sans contestation de ces allers et retours : celle d’Henri Roll, son de sa part. Car malgré tout ce qui se manifeste en charismatique professeur de lettres, une forte lui d’immédiatement bienveillant, dès que la personnalité, le premier lecteur adulte à qui il osa conversation s’engage, Éric Vuillard se révèle soumettre ses poèmes : « Il m’a dit : ce que tu fais, comme un homme de paradoxes. Un natif de c’est ce qu’il faut faire. Ça m’a donné confiance. 1968 dont la biographie pose proJ’avais 16 ans. Il m’a sauvé la mise blème. Il n’a cessé de déserter le lyen prenant même des risques… cée, mais confie avoir accumulé les – Mais encore ? – C’est secret, pour diplômes par la suite. Serait-on l’instant. Un jour, je l’écrirai. » En tenté de déduire un tropisme de la attendant, il lui a dédié La Bataille brièveté de ses livres, qu’il avoue sa d’Occident (Actes Sud, 2012), sur préférence pour la lecture des la Grande Guerre. Façon de payer grandes épopées romanesques. sa dette. Dévoile-t-il son admiration pour le Pour autant, Éric Vuillard ne grand écrivain du Risorgimento et s’établit pas poète mais se lance du romantisme italien Alessandro dans un DEA de théorie du droit, Manzoni, que l’on s’attend aussitôt un autre de science politique, un à l’entendre citer des pages de son DEA de philosophie avec Jacques fameux roman Les Fiancés, ce dont Derrida sur la dimension politique des métaphores collectives, il se garde bien, lui préférant son avant de terminer par une licence essai très peu connu en France, d’anthropologie. Juste de quoi se Histoire de la colonne infâme. Avec ctes Sud, 2016. A confirmer dans l’idée que le droit Éric Vuillard, le plus vif et le plus n’est qu’« un instrument de dominaaigu des écrivains d’histoire de notre époque, il vaut mieux s’attendre à l’inat- tion destiné à préserver la propriété privée et les pritendu même si rien en lui ne l’annonce. vilèges ». Aucune envie de devenir enseignant ni juriste. Juste l’obéissance à son instinct du moUne famille d’esprit ment, lequel se détermine dès lors et pour longUne famille d’origine franc-comtoise du côté de temps sur un impérieux désir de lire et d’écrire, Lons-le-Saunier, une adolescence dans la bour- car l’un ne va pas sans l’autre, en s’offrant le privigeoisie lyonnaise, des parents qui plaquent tout lège de n’avoir jamais été salarié nulle part. pour retaper un village en ruine dans la Drôme et Lire avidement, des romans, des biographies, y vivre, des études secondaires au lycée Ampère des essais, mais toujours lire à la maison. Écrire brutalement abandonnées à 15 ans pour aller se tout aussi ardemment, une fois trouvée sa forme promener en Europe, puis reprises après quelque propre dont il ne déviera guère, de brefs récits temps, délaissées à nouveau avant d’être une sans fiction à la frontière entre la littérature, la
L’HISTOIRE / N°442 / DÉCEMBRE 2017
/ 3 1 constituer non un mouvement, mais une famille d’esprit. Éric Vuillard se reconnaît dans ce qu’ils écrivent. C’est une question de langue commune : « L’écriture est un indicateur de vérité, comme dans le chant lyrique : si ça sonne faux, c’est que ce qui est dit est faux », dit-il avant d’évoquer le prochain de ses livres, à paraître en septembre 2018, du moins celui qui sortira du lot, car il en a toujours plusieurs en chantier. Son sujet, pour ne pas dire son terrain, il le choisit à chaque fois d’instinct, sans calcul. Ce qui n’empêche qu’avec le recul le tableau de son œuvre a la cohérence d’un continuum. Cette fois, l’Indochine française, et comment d’anciens résistants et combattants de la France Libre ont pu se jeter dans les guerres coloniales sans état d’âme. Trois parties : d’abord Haiphong bombardée en 1946 ; puis la bataille pour la route coloniale 4 avec la défaite française à Cao Bang en 1950 et les débats parlementaires qu’elle a suscités ; enfin Dien Bien Phu quatre ans plus tard, dernier affrontement majeur de cette guerre.
Un récit sans fiction
JEAN-LUC BERTINI/PASCO
On devine que ce nouveau récit sera aussi implacable que le dernier en date, cet Ordre du jour (Actes Sud, 2017) dans lequel 24 barons du capital en quête de hauteur vont de renoncements en abaissements lors de la réunion du 20 février 1933 au palais présidentiel du Reichstag à Berlin en présence de Göring. En effet, il a donné récemment un aperçu de ce que sera son Indochine revisitée, dégrisée des mythes qui l’entourent, en en publiant des extraits dans La Nouvelle Revue française, notamment de féroces portraits des généraux Castries et Navarre. De toute façon, il en est convaincu, les hommes politiques ne font pas le destin des nations : « C’est le jeu entre une pression poésie et l’histoire, mais toujours à l’extérieur, dans les lieux publics, les terrasses des cafés. Près de dix livres depuis 1999. L’ensemble constitue une fresque qui se veut une méditation sur le temps. « L’histoire s’est imposée comme un recours à notre époque où la perspective est émiettée », observe-t-il. Le Hugo des Misérables, de Quatrevingt-treize, de La Légende des siècles, tout Zola, le théâtre de Claudel, le Tolstoï de Guerre et Paix, voilà pour les classiques qu’il ne cesse de relire et d’approfondir, quitte à aller s’imprégner de la pensée du grand écrivain en allant marcher à Guernesey. Pascal Quignard, Pierre Michon, Pierre Bergougnioux pour les contemporains, à propos desquels il observe : « C’est une génération que l’histoire a requise mais de manière moins politique que la mienne car c’est une histoire moins vive, plus ancienne. » Quant aux historiens, il cite volontiers ceux avec lesquels il entretient des relations amicales audelà de la lecture de leurs travaux : Arlette Farge, Patrick Boucheron, Sylvain Venayre. De quoi
Il sait introduire de l’exactitude poétique dans l’intelligence de l’histoire, et une tension entre le geste vif et le temps long sociale et un monde politique capable de s’y adosser. La démocratie ne peut se réduire aux institutions. Il y a la rue, les syndicats, les associations… » Il sait introduire de l’exactitude poétique dans l’intelligence de l’histoire, et une tension entre le geste vif et le temps long, la fulgurance d’une action et son enlisement. Toujours la même méthode : une immersion en bibliothèque et dans des centres d’archives afin de lire et lire encore à la recherche du détail inconnu ; comme dans ses précédents livres, les sources remonteront dans le corps du texte ; et il ne déviera pas de sa manière, sa signature et sa marque de fabrique, du récit sans fiction. n * Membre du comité scientifique de L’Histoire L’HISTOIRE / N°442 / DÉCEMBRE 2017
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DOSSIER
L es vikings
Au viiie siècle, quelques milliers d’hommes guidés par des chefs de plus en plus puissants quittent la Scandinavie et se lancent sur les mers pour s’enrichir, par le commerce ou la piraterie. Pendant trois cents ans, leur expansion dans toute l’Europe les conduit tantôt à s’installer, tantôt à repartir, mais toujours à ouvrir des routes nouvelles. Par Alban Gautier
L’AUTEUR Professeur d’histoire médiévale à l’université de Caen-Normandie et membre de l’Institut universitaire de France, Alban Gautier a notamment écrit Beowulf au paradis. Figures de bons païens dans l’Europe du Nord au haut Moyen Age (Publications de la Sorbonne, 2017).
L’or blanc
Jeu d’échecs en ivoire de morse du xiie siècle retrouvé en Écosse. Cette marchandise de luxe, que les vikings obtenaient au Groenland ou au nord de la Scandinavie, circulait de l’Irlande à la Russie en passant par la Normandie. L’HISTOIRE / N°442 / DÉCEMBRE 2017
DR – HERITAGE IMAGES/CM DIXON/AKG
Une diaspora européenne
/ 3 9 À SAVOIR
BYGDOY, VIKING SHIP MUSEUM ; WERNER FORMAN ARCHIVE/SCAL A VEGARD VIKE/MUSEUM OF CULTURAL HISTORY, UIO
Vous avez dit viking ? Terme rarement employé au Moyen Age, mais attesté dès le xe siècle sous la forme víkingr, il désigne d’abord ceux qui partent outre-mer pour s’enrichir (que ce soit par le commerce ou la piraterie). Il fait donc référence à une activité et un mode de vie et non à un peuple unifié. Étymologiquement, le mot se rapproche du norrois vík, qui désigne la baie ou le mouillage. Le mot féminin víking renvoie à une expédition maritime menée pour s’enrichir. Un viking est celui qui participe à une de ces expéditions.
Le bois et le fer L es tombeaux vikings recèlent
divers objets témoignant de leur habileté technique, tels que le bateau d’Oseberg (détail ci-dessus, Norvège, ixe siècle) ou l’épée de Lesja (ci-contre, Norvège, ixe siècle), la mieux conservée qu’on ait retrouvée.
L
’expansion viking se produit entre le viiie et le xie siècle à partir des régions qui forment la Scandinavie au sens le plus étroit du terme : le Danemark et les deux tiers sud des actuels royaumes de Norvège et de Suède. Les Scandinaves, de fait, ne sont pas des hommes et des femmes du Grand Nord : ils peuplent surtout les régions côtières, ainsi que le Jutland et les nombreuses îles de la mer Baltique. A cette époque, tant l’intérieur montagneux de la péninsule que les terres arctiques sont parcourus, eux, par des populations de culture same – ceux que nous appelons parfois les Lapons. Les Scandinaves se rapprochent d’autres peuples germaniques de l’Europe par de nombreux traits culturels, comme leur langue (le norrois) leur écriture (les runes) ou leur panthéon. Au moment où les premiers vikings se lancent sur les mers, ils vouent un culte à des divinités comme Tyr, Odin, Thor et Frigg, qui avaient été celles des Anglo-Saxons et des Germains du continent avant leur conversion au christianisme. Le nom de ces divinités se retrouve d’ailleurs dans les noms des jours de la semaine dans les langues scandinaves (par exemple torsdag, « jour de Thor », pour jeudi), comme en anglais (Thursday) ou en allemand (Donnerstag).
Une Scandinavie pas si peuplée Depuis le vie siècle, et notamment l’Histoire des Goths composée vers 550 par l’historien Jordanès, une idée est souvent avancée, y compris dans des publications récentes : la Scandinavie aurait alors été surpeuplée et le Nord serait une « matrice des peuples », d’où auraient surgi d’innombrables hordes d’envahisseurs qui se seraient déversées sur l’Europe. Rien n’est plus faux. Le relief accidenté et le climat rude font au contraire de la Scandinavie une terre pauvre, qui ne peut supporter une population nombreuse. Les archéologues ont mis au jour les fondations de plusieurs habitats ruraux. D’une part on a trouvé des villages, comme celui de Vorbasse dans le Jutland : il compte au ixe siècle une L’HISTOIRE / N°442 / DÉCEMBRE 2017
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L’Atelier des
CHERCHEURS n Peut-on mourir de nostalgie ? p . 70 n J ulien Gracq, le paysage et le territoire p . 76
Peut-on mourir de nostalgie ? Qu’est-ce donc que cette nostalgie dont mouraient par centaines les soldats des guerres napoléoniennes ou de la guerre d’Algérie ? Cette « maladie » nous en dit long sur l’histoire de la médecine, de la guerre mais aussi des sensibilités.
N
ous sommes le 2 thermidor an II (20 juillet 1794). A la Convention, il règne une agitation sourde : voilà un mois que Robespierre déserte l’Assemblée ; les sections grondent, les rumeurs fusent, la Terreur est à son comble. Sous les acclamations, Barère monte à la tribune pour faire approuver l’expulsion des citoyens s’étant soustraits au jugement
Décryptage Thomas Dodman a découvert la nostalgie médicale grâce aux travaux de Svetlana Boym et de Marcel Reinhardt, et suite à un séjour aux archives du Service de santé des armées à Paris. Sujet « littéraire », il a voulu en faire une étude empirique, ancrée dans des sources manuscrites : rapports de médecins, directives militaires, écrits intimes de soldats, etc. Cette histoire des pratiques de la nostalgie, à la croisée de la médecine et de la guerre, est rythmée par les aléas des archives : les récits de « nostalgie africaine » trouvés aux Archives nationales d’OutreMer ont orienté le projet vers l’Algérie coloniale.
L’HISTOIRE / N°442 / DÉCEMBRE 2017
L’AUTEUR Maître de conférences à l’université Columbia à New York, Thomas Dodman est l’auteur de What Nostalgia Was. War, Empire, and the Time of a Deadly Emotion (University of Chicago Press, 2017).
de la loi. Juste avant, les députés ont décrété l’éradication des patois de tout acte officiel de la République. De quoi échauffer un peu les esprits après un interminable rapport sur la solde des troupes que donne Cochon de Lapparent au nom du Comité militaire. Entre deux propositions budgétaires, ce proche de Carnot réclame qu’au nom de « l’humanité […] les militaires convalescents puissent changer d’air dans leurs foyers, lorsque cela sera jugé nécessaire au rétablissement de leur santé ». Drôle de suggestion au moment où les désertions font tache d’huile, et alors que le spectre du fédéralisme plane toujours… Pourtant, le Comité de salut public s’est déjà exprimé en ce sens quelques semaines auparavant, à la demande des officiers de santé de l’armée. Face aux milliers de congés délivrés dans les jours qui suivent, la Convention thermidorienne s’empressera de clarifier que ces mesures ne s’appliquent qu’aux « militaires atteints de nostalgie, ou maladie du pays, vérifiée et attestée au moins par deux officiers de santé en chef ». A vrai dire, on délivrait déjà des congés pour « nostalgie » à l’armée du Nord depuis novembre 1793,
DR – RMN-GP (MUSÉE D’ORSAY)/HERVÉ LEWANDOWSKI
Par Thomas Dodman
Soldat sensible Les soldats ont été, au xixe siècle, les principales victimes de la nostalgie. La photographie leur permettait de poser de façon martiale et visait aussi à conjurer ce sentiment en restant présents dans le salon familial (daguerréotype de Le Blondel, vers 1850). L’HISTOIRE / N°442 / DÉCEMBRE 2017