Céline, le procès d’un antisémite

Page 1

3’:HIKLSE=WU[YUV:?a@o@f@d@k";

M 01842 - 453 - F: 6,40 E - RD


Sommaire

10 /

DOSSIER

ACTUALITÉS L’ÉDITO

3 Céline en face

FORUM Vous nous écrivez 4 Copernic à Venise ? ON VA EN PARLER Focus 6 Alexandre le Grand

ÉVÉNEMENT

Anniversaire 1 2 1 918. La renaissance de

la Pologne Par Alexandra Viatteau

ACTUALITÉ Russie 20 Qui a peur d’Ivan le Terrible ? Par Pierre Gonneau

F estival de Pessac

22 1918-1939 : drôle de paix ! Par Michel Winock

C onsommation

2 4 Le vin, c’est bon pour la santé ! Par Matthieu Lecoutre

PORTRAIT

Pascal Ory 26 Culture et volupté

28 Céline, le procès

Par Philippe-Jean Catinchi

d’un antisémite

France Culture Retrouvez dans l’émission d’Emmanuel Laurentin « La Fabrique de l’histoire » une séquence en partenariat avec L’Histoire le dernier vendredi de chaque mois.

30 La responsabilité des écrivains. Comment l’antisémitisme est devenu un « crime »

Infographie : l’épuration des écrivains

Préparez les concours sur www.lhistoire.fr

36

Céline a-t-il été bien jugé ?

Par Anne Simonin

n Capes n agrégation n ENS n Sciences

Archives : Céline brûle-t-il ?

Po

Par Yann Potin

Chronologie

COUVERTURE : Louis-Ferdinand Céline chez le juge d’instruction le 12 octobre 1951, après son amnistie, pour déposer une plainte contre Ernst Jünger qui lui a prêté des propos antisémites sous le nom de Merline dans ses Journaux de guerre (AGIP/Bridgeman Images). Ce numéro comporte deux encarts abonnement L’Histoire sur les exemplaires kiosque France, un encart abonnement Édigroup sur les exemplaires kiosque Belgique et Suisse et un encart VPC montre sur les exemplaires abonnés.

50

Portfolio : être Juif sous l’Occupation Par Annette Wieviorka

58

« Un racisme hitlérien »

Entretien avec Pierre-André Taguieff

L’antisémitisme est-il (vraiment) absent de ses romans ?

Par Annick Duraffour

62

L’HISTOIRE / N°453 / NOVEMBRE 2018

Par Michel Winock

Réhabiliter Céline Par Philippe Roussin

COLLECTION PIERRE DUVERGER/ FONDS LOUIS-FERDINAND CÉLINE/IMEC


/ 1 1

L’ATELIER DES CHERCHEURS

GUIDE LIVRES

8 4 « L’Autre Siècle »

de Xavier Delacroix (dir.) Par Jean-Noël Jeanneney

86 La sélection de « L’Histoire » Bande dessinée

92 « Le Suaire ».

T. II, « Turin, 1898 » de Gérard Mordillat, Jérôme Prieur et Éric Liberge Par Pascal Ory

Revues 9 4 La sélection de « L’Histoire » 9 6 La planche de JUL

66 L e chêne de Saint Louis Par Marie Dejoux

RMN-GP (PARIS, MUSÉE DU LOUVRE) – RÉMI BRAGEU/L AMS (UMR CNRS 8220) – RMN-GP (CHÂTEAU DE VERSAILLES)/GÉRARD BLOT

Classique 97 « Jacques Offenbach ou

le secret du Second Empire » de Siegfried Kracauer Par Emmanuelle Loyer

SORTIES Expositions

9 8 L’« année Clemenceau » Par Huguette Meunier

100 « Magiques licornes »

72 S oigner les yeux à Rome Par Muriel Pardon-Labonnelie

au musée de Cluny Par Claire Pilidjian

Le théâtre de la Renaissance à Écouen Cinéma 102 « L’Envers d’une histoire » de Mila Turajlic Par Antoine de Baecque

103 « Samouni Road »

de Stefano Savona

Médias 104 14-18 : la sélection de « L’Histoire »

CARTE BLANCHE

106 Le « J’accuse » de Polanski

78 L ouis-Philippe fait son histoire de

Par Pierre Assouline

France

Par Éric Landgraf L’HISTOIRE / N°453 / NOVEMBRE 2018


36 /

DOSSIER

P rocès Céline

Céline a-t-il été bien jugé ? En 1950, Céline est condamné par la Cour de justice de la Seine pour avoir publié des pamphlets antisémites sous l’Occupation. Un an plus tard, il est amnistié par le Tribunal militaire de Paris. Pourquoi un tel retournement ? Par Anne Simonin

L’HISTOIRE / N°453 / NOVEMBRE 2018

L’AUTEURE Directrice de recherche au CNRS, Anne Simonin a notamment publié Le Déshonneur dans la République. Une histoire de l’indignité, 1791-1958 (Grasset, 2008).

bienveillants avec lui ? Comment ont-ils pu lui accorder le bénéfice d’une amnistie ? La réponse à ces deux questions tient, en général, en peu de mots : « le dossier de Céline était vide » ; « les juges (surtout quand ils sont militaires) sont idiots ». Ce sont les deux thèses, ici brutalement résumées, défendues par les plus ardents partisans de Céline. Or, si l’on comprend ce qu’est l’indignité nationale, le verdict prononcé contre Céline peut être considéré d’un autre œil ; quant aux juges, comme le faisait remarquer l’avocat général Raymond Lindon dans sa « Lettre de quelques procureurs de la Résistance à M. Jean Paulhan », ils sont « souvent plus malins qu’on ne croit et, dans leur partie, supérieurs aux hommes de lettres1 ». C’est ce qu’on s’emploiera ici à démontrer.

21 février 1950 : le verdict

Notes 1. Cité dans A. Simonin, Le Devoir d’insoumission, Les Éditions de Minuit, 1942-1955, IMEC Éditions, 2008, p. 401. 2. R. Collin, « L. F. Céline », Combat, 22 février 1950. 3. Cf. F. Gibault, Céline, 1944-1961. Cavalier de l’Apocalypse, Mercure de France, 1985, p. 221.

Lors de l’ouverture de l’audience publique de la 3e sous-section de la Cour de justice de la Seine, le 21 février 1950, à 15 h 15, « “Louis Destouches, Louis-Ferdinand Céline” a, pour la forme, appelé le président Drappier. Les quatre murs de la salle ont échangé un silence, et les deux céliniens du public, un sourire. Puis le greffier a donné lecture de l’acte d’accusation »2. C’est l’acte final d’une procédure qui n’a déjà que trop duré, dont les rebondissements sont, pourtant, à venir. L’affaire Céline a été renvoyée à plusieurs reprises, au 15, au 22, puis au 29 décembre 1949, avant d’être jugée le 21 février 1950, par un jury où siège une femme, Mme Claverie, épouse

JEAN-PIERRE VIGUIÉ

L

e 21 février 1950, Louis Ferdinand Destouches, plus connu sous le pseudonyme Céline, était condamné, par contumace, en son absence donc, par la Cour de justice de la Seine à une peine d’un an de prison assortie de l’indignité nationale à vie, à la confiscation de la moitié de ses biens présents et à venir et à 50 000 francs d’amende. Ce verdict peut sembler clément. En effet, un jugement par contumace est, de tradition, plus sévère qu’un jugement contradictoire, prononcé en présence de l’accusé. D’autres écrivains ont été plus sévèrement jugés avant lui. Robert Brasillach, le rédacteur en chef de la revue Je suis partout, est fusillé le 6 février 1945. Le 22 novembre 1946, Lucien Rebatet, auteur du best-seller antisémite de l’Occupation Les Décombres (1942), ami de Céline, publié comme lui chez Denoël, est condamné à mort par la même cour de justice. Gracié par le président Vincent Auriol, Rebatet devait faire plus de cinq années de détention, dont cinq mois avec des chaînes aux pieds ; Céline ne fera, lui, pas une journée de prison en France. Le 1er juillet 1951, après avoir obtenu le bénéfice de l’amnistie, il quittait le Danemark où il avait été incarcéré et rentrait libre. Dès qu’il est question de Céline, on entre dans l’exception, dans le talent comme dans l’abjection. Son destin juridique, à la Libération, n’échappe pas à la règle : pourquoi les juges ont-ils été si


KHARBINE-TAPABOR

/ 3 7

Dumont, et lors d’une audience rassemblant, chiffre très inhabituel, 120 personnes. Il faut dire qu’on est certain de ne pas s’ennuyer au Palais de justice quand il s’agit de Céline. En son absence, le spectacle est garanti par ses deux avocats, Me Naud et Me Tixier-Vignancour. Si l’on en croit le compte rendu qu’adresse, à Céline, son ami le docteur Camus, après l’audience du 15 décembre, alors que la cour se retire pour délibérer : « Pendant ce temps-là, on cause, on fume en copains, avocats et commissaire du gouvernement

Exil A u Danemark

« Céline contemple ses juges », une du magazine Radar, 5 mars 1950. La mise en scène est soignée : femme, chien et chats sont les seuls compagnons d’exil d’un Céline alité et miséreux (pull troué).

de Charrasse [sic] […] pendant une heure, Naud et moi, on lui a fait un de ces baratins soignés – qui l’a bouleversé c’t’homme. Jeune d’ailleurs, intelligent, sympathique. A la fin, il parlait comme toi ou Popol. On se tapait dans le dos, on rigolait, rien que de bonnes histoires. Il a avoué, le commissaire, que depuis qu’il s’occupait de ton truc, il désolait sa femme par l’effroyable verdeur de son langage3. » Lors de l’audience du 21 février 1950, l’ambiance est tout aussi détendue. La lecture, par le greffier, du réquisitoire du commissaire du L’HISTOIRE / N°453 / NOVEMBRE 2018


50 /

DOSSIER

P ORTFOLIO EN PARTENARIAT AVEC

Être Juif sous l’Occupation Dès octobre 1940, Vichy exclut les Juifs de la citoyenneté. Devançant ou accompagnant les vœux de l’occupant nazi en matière de spoliation et bientôt de déportation. Par Annette Wieviorka

L’HISTOIRE / N°453 / NOVEMBRE 2018

L’AUTEURE Directrice émérite de recherche au CNRS, Annette Wieviorka vient de publier Ils étaient Juifs, résistants, communistes (Perrin, 2018).

Rue de Rivoli

Mise à part l’étoile jaune cousue sur le manteau de la femme âgée, tout semble calme et quotidien dans cette grande artère parisienne. Cette photo de 1942 a été prise par le photographe français André Zucca, accrédité par le magazine de propagande allemande Signal. Sa carte de presse l’autorise à photographier en extérieur. Il dispose de pellicules noir et blanc et, ce qui est exceptionnel, couleur (Agfacolor).

WITI DE TERA/OPALE/LEEMAGE – ANDRÉ ZUCCA/BHVP/ROGER-VIOLLET

L

’histoire des Juifs dans la France occupée demeure une histoire complexe, mettant en jeu des acteurs dont les stratégies se complètent, se croisent et s’opposent : les appareils rivaux de la bureaucratie nazie et du commandement militaire allemand en France, l’administration de l’État français à Vichy, les élites politiques ou religieuses, la société française. Les Juifs eux-mêmes, sous l’effet d’une persécution qui s’installe aussi progressivement qu’inexorablement, mettent en place des stratégies de survie tout à la fois collectives et individuelles. En 1946, Edgar Faure, un des procureurs au procès des grands criminels nazis devant le Tribunal international de Nuremberg en charge de la persécution en France, a présenté l’ensemble des textes, français ou allemands, réglementant le sort des Juifs. Environ 200 textes qui rejetaient aux marges de la nation une population d’entre 300 000 et 350 000 Juifs. « Le développement de cette législation est constamment progressif jusqu’à 1942 », expliquait Edgar Faure. Elle marque à cette date un temps d’arrêt. Alors, « par des mesures proprement administratives, on a procédé à la déportation des Juifs, ce qui par conséquent devait entraîner l’extermination ». L’année 1942, les nazis mettent en œuvre « la solution finale de la question juive ». Avec ses 42 655 déportés, 1942 est l’année terrible. Pour remplir les trains, Vichy accepte de livrer


/ 5 1

L’HISTOIRE / N°453 / NOVEMBRE 2018


L’Atelier des chercheurs

72 /

Soigner les yeux à Rome Vous avez des problèmes de vue ? Faites-vous donc opérer de la cataracte ou bien… mettez vos yeux au vert ! L’étude des soins oculaires dans le monde romain éclaire d’un jour nouveau les conceptions du corps et de la maladie dans l’Antiquité.

L

e soin des yeux constitue vraisemblablement, dans le monde romain, la première spécialisation thérapeutique consacrée à un organe du corps humain. C’est en tout cas la seule spécialisation médicale sur laquelle nous avons autant d’informations, notamment grâce à un instrument unique en son genre : le « cachet à collyres ». Ce tampon, qui garantissait la qualité et l’authenticité des collyres, nous plonge au cœur de la pratique des soins ophtalmologiques. Il enrichit considérablement les renseignements apportés par les sources textuelles, iconographiques et épigraphiques.

Les collyres de l’Antiquité Les soins des yeux offrent ainsi un angle d’approche particulièrement intéressant pour aborder l’histoire de la médecine romaine. Ils permettent de renouveler le regard que nous portons sur le statut des médecins, sur les liens qui se nouent entre la médecine et le commerce ainsi que sur les conceptions antiques du corps et de la maladie.

L’AUTEUR Maître de conférences en langue et littérature latines à l’université Bourgogne-FrancheComté, Muriel Pardon-Labonnelie consacre ses recherches à l’histoire du corps dans l’Antiquité et, plus précisément, à l’ophtalmologie gréco-romaine.

Décryptage En combinant l’étude sociologique des textes littéraires, les recherches épigraphiques et l’analyse physico-chimique des collyres et des cachets à collyres, Muriel Pardon-Labonnelie remet au goût du jour un sujet pratiquement laissé à l’abandon depuis plus d’un siècle. Le Laboratoire d’archéologie moléculaire et structurale (UMR CNRS 8220/Sorbonne Université) lui fournit le cadre idéal pour croiser approches archéologique, épigraphique, philologique, historiographique et physico-chimique. En collaboration avec des archéologues, des conservateurs, des chimistes et une tracéologue, elle revisite l’histoire de la médecine dans le monde romain.

L’HISTOIRE / N°453 / NOVEMBRE 2018

Dans le monde gréco-romain, les collyres ne se présentaient généralement pas sous forme liquide, mais solide. Conformément au sens de leur appellation générique en grec, les « collyres » étaient des « petits pains » de quelques millimètres ou de quelques centimètres de longueur. Ces remèdes étaient composés de substances d’origines végétale, minérale et animale, réduites en cendres, pulvérisées et amalgamées à l’aide de gomme. Le praticien les laissait ensuite sécher à l’ombre pour les conserver, les transporter et les utiliser aisément. Quand il en avait besoin, il en prélevait une infime partie, la délayait dans un excipient (de l’eau, de l’œuf ou du lait) et appliquait l’onguent ainsi confectionné sur l’intérieur de la paupière de ses patients. Avant durcissement, les collyres étaient parfois estampillés à l’aide de « cachets à collyres ». Ces tampons sont habituellement des pierres parallélépipédiques vertes dont les petites faces (les côtés mesurent de quelques millimètres à quelques centimètres) présentent des inscriptions lisibles dans un miroir. Ces textes latins formulaires, généralement composés d’abréviations, comportent un nom propre, un nom de remède, un effet thérapeutique et un mode d’application. Après impression sur les collyres de ces sortes de notices médicales, cellesci étaient lisibles directement sur les remèdes. Utilisés dans tout le monde romain au début de notre ère, les 349 cachets à collyres recensés à ce jour sont le premier document archéologique attestant une commercialisation de la médecine dans l’Antiquité. Les cachets à collyres sont généralement connus sous l’appellation « cachets d’oculistes ». Néanmoins, les inscriptions gravées sur les pierres montrent que leurs utilisateurs

DR

Par Muriel Pardon-Labonnelie


/ 7 3

Œil P ortrait du Fayoum, Égypte romaine, fin du ier siècle de notre ère. La coupure et le creux sombre sous l’œil droit du jeune homme sont les

NEW YORK, METROPOLITAN MUSEUM OF ART, INV. NR. 09.181.4 ; AKG – LYON-FOURVIÈRE, MUSÉE GALLO-ROMAIN/CHRISTIAN THIOC

signes probables d’une intervention chirurgicale (New York, Metropolitan Museum of Art).

La trousse de l’oculiste de Lyon Restes de vingt collyres découverts dans un coffret en bronze exhumé à Lyon, daté de la fin du iie ou du début du iiie siècle, associés aux instruments qui servaient à les façonner, les conserver et les administrer (Lyon-Fourvière, Musée gallo-romain). Certains sont verts, de cette couleur censée favoriser la guérison des yeux. Les analyses chimiques de trois exemplaires de collyres portant l’estampille stratioticon – « du soldat » – ont montré que leur composition correspondait à la recette du collyre « du soldat » décrite dans l’encyclopédie médicale de Celse. Ces remèdes étaient principalement composés de carbonate de plomb et de carbonate de zinc hydraté. Ces substances sont aujourd’hui considérées comme dangereuses, mais leurs propriétés aseptiques sont encore indéniables.

s’autoproclamaient aussi bien « médecin » qu’« aide » ou « marchand ». De plus, parmi les cachets inhumés comme attributs professionnels, les uns avoisinaient de riches instruments médicaux, mais d’autres étaient associés à des clochettes, des défenses de sanglier ou des petites haches en silex ; d’autres enfin commémoraient à eux seuls le souvenir du défunt. Si la compréhension de certains noms de collyres supposait la maîtrise d’un langage ésotérique, quelques appellations avaient, elles, une valeur purement publicitaire : collyre « à l’ambroisie »,

« invincible » ou « césarien » ! L’effet placebo de tels noms atteste les dérives de la commercialisation des remèdes. Les cachets à collyres n’ont probablement pas tous été utilisés par des oculistes : ils soulignent l’émergence de professions que l’on qualifierait aujourd’hui de « paramédicales ». Les inscriptions funéraires montrent que, faute de diplôme officiel garantissant la maîtrise d’une formation médicale, les ophtalmologues avaient des statuts, des conditions d’exercice et des aptitudes professionnelles extrêmement divers dans l’Antiquité. Une stèle conservée L’HISTOIRE / N°453 / NOVEMBRE 2018


98 /

GUIDE Sorties n Expositions p. 98 n C inéma p . 102 n M édias p . 104

Expositions

Un Tigre et des nénuphars L’« année Clemenceau » s’achève en beauté. Pas moins de trois expositions lui sont consacrées cet automne.

D

ans le musée qui porte son nom, rue Benjamin Franklin à Paris, les caricaturistes sont à l’honneur, le président du Conseil-ministre de la Guerre ayant été l’une des personnalités les plus croquées par les dessinateurs. Le Panthéon, lui, célèbre, en « Clemenceau, le courage de la République ». On pourrait s’étonner du lieu : dans son testament, l’élu vendéen refusait expressément de reposer au milieu des gloires nationales. Non qu’il fût indifférent au monument mémoriel : c’est lui d’ailleurs qui, en 1908, y avait fait entrer Émile Zola. Mais il préférait rejoindre son père au cœur de son terroir natal, la Vendée « bleue », dans le paisible cimetière du Colombier. L’exposition suit les pas du « Vendéen monté à Paris », l’élu de Montmartre, puis de l’Assemblée et du Sénat, ses combats acharnés contre la colonisation, pour Dreyfus bien sûr et les droits L’HISTOIRE / N°453 / NOVEMBRE 2018

de l’homme, contre la peine de mort mais aussi pour une République forte, débarrassée de l’insécurité et du désordre. L’occasion pour les commissaires, Sylvie Brodziak et Jacqueline Sanson, qui signent aussi un beau livre préfacé par Jean-Noël Jeanneney (Éditions du Patrimoine-Centre des monuments nationaux, ci-dessus), de faire une mise au point sur les expressions qui lui collent à la peau de « briseur de grèves » (lui qui avait soutenu les grévistes de Carmaux) et de « premier flic de France ». Le focus est ensuite mis sur le gouvernement de guerre, la manière dont, à partir de novembre 1917, assumant à la fois le rôle de chef du gouvernement et de ministre de la Guerre, il mena la République à la victoire d’un pas ferme.

L’ami de Monet Moins connu peut-être, l’amateur d’art n’est pas oublié, l’ami de Monet qui pesa

Huguette Meunier À VOIR

Guerre et Paix. Clemenceau vu par la caricature, 1915-1919 jusqu’au 30 mars 2019 au musée Clemenceau, 8, rue Benjamin-Franklin, 75016 Paris. Clemenceau, le courage de la République du 1er novembre au 10 février 2019 au Panthéon, Paris. Monet-Clemenceau du 14 novembre 2018 au 11 mars 2019 au musée de l’Orangerie, jardin des Tuileries, Paris.

PARIS, MUSÉE CLEMENCEAU

Au Gal Vihara (Sri Lanka) en 1921.

de tout son prestige pour que le musée de l’Orangerie accueille Les Nymphéas – ce sera chose faite en 1927, quelques mois après la mort de l’artiste. La lettre envoyée le lendemain de l’armistice par le peintre témoigne de leurs liens, personnels et politiques : « Je suis à la veille de terminer deux panneaux décoratifs que je veux signer le jour de la victoire et viens vous demander de les offrir à l’État, par votre intermédiaire ; c’est peu de chose mais c’est la seule manière que j’ai de prendre part à la victoire. » C’est donc l’Orangerie qui lui rend hommage. Une salle de 40 m2 spécialement réaménagée, autour du projet des emblématiques grandes décorations des Nymphéas, présente une trentaine de pièces, documents d’archives (le plan de l’Orangerie, des photographies anciennes, des films), tableaux de Monet, inattendu portrait de Monet par Sacha Guitry que le peintre dédicaça à Clemenceau, portraits de Clemenceau et son célèbre buste par Rodin. On sortira ragaillardi, conforté dans l’idée qu’on peut aimer à la fois la République et les fleurs. n


/ 9 9

Clemenceau, Monet et Lilly Butler en 1921 sur le pont japonais dans le jardin de l’artiste à Giverny (Eure). L’HISTOIRE / N°453 / NOVEMBRE 2018


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.