Les Irlandais, 200 ans de rébellion

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Sommaire

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DOSSIER

ACTUALITÉS L’ÉDITO

3 La dernière frontière

FORUM Vous nous écrivez 4 Retour sur le cas Céline ON VA EN PARLER

Collecte d’archives 6 La guerre des cuisines

ÉVÉNEMENT

La mixité à l’école 1 2 U ne révolution en danger ? Par Odile Roynette

ACTUALITÉ Droits de l’homme 20 L’inconnu du Panthéon

Entretien avec Antoine Prost

F estival d’Angoulême

22 Bon anniversaire Batman ! Par William Blanc

1 4-18 23 Reims en feu

Par Bruno Cabanes

I mpôts 2 4 La retenue à la source : Louis XIV y avait pensé Par Olivier Poncet

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M édecine 26 Inusable Galien

P essac 2018 28 Le xxe siècle dans tous ses états Par Olivier Loubes et Olivier Thomas

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PORTRAIT

Par Claire Sotinel

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1800-1922. Une colonie comme les autres ?

Par Pierre Joannon

Grande Famine : l’Angleterre responsable ?

Par Géraldine Vaughan

Pâques 1916 : lettres de soldats

Par Emmanuel Destenay

Infographies : 1801, une île gouvernée depuis Londres ; 1830-1914, 7,6 millions d’émigrants

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Carte : 1920, la frontière de la discorde

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L’HISTOIRE / N°455 / JANVIER 2019

1922-1998. Un siècle de déchirures Par Christophe Gillissen

Brexit : la revanche ? Par John Horne

AL AIN LE GARSMEUR/BRIDGEMAN IMAGES

COUVERTURE : Photographie de Michael Collins lors d’un discours en mars 1922 (Bridgeman Images). ABONNEZ-VOUS PAGE 97 Ce numéro comporte deux encarts abonnement L’Histoire sur les exemplaires kiosque France et un encart abonnement Édigroup sur les exemplaires kiosque Belgique et Suisse.

Une si longue conquête Entretien avec Seán Duffy

L’impitoyable Cromwell Parlez-vous gaélique ? Carte : XVIe-XVIIe siècle, les plantations

Jean Harambat 3 0 Une odyssée en bulles

France Culture Retrouvez dans l’émission d’Emmanuel Laurentin « La Fabrique de l’histoire » une séquence en partenariat avec L’Histoire le dernier vendredi de chaque mois.

Les Irlandais

200 ans de rébellion

Par Maurice Sartre


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L’ATELIER DES CHERCHEURS

GUIDE LIVRES

78 « Une histoire des

ECOLE FRANÇAISE D’EXTRÊME-ORIENT EFEO, VIE02906 – PARIS, MUSÉE D’ORSAY, DIST. RMN-GP/PATRICE SCHMIDT – LOUVAIN-L A-NEUVE, ARCHIVES DE L’ÉTAT, ARCHIVES DE L A VILLE DE NIVELLES, 4073-74 ET 4073-75

civilisations » dirigé par Jean-Paul Demoule, Dominique Garcia et Alain Schnapp Par Pierre-François Souyri

80 La sélection de « L’Histoire » Bande dessinée

85 « Michel-Ange » d’Hector Obalk Par Pascal Ory

60 D ans les campagnes de l’ancien Vietnam Par Philippe Papin

Revues 86 La sélection de « L’Histoire » 8 8 La planche de JUL

Classique 89 « Le Carrefour javanais » de Denys Lombard Par Pierre-François Souyri

SORTIES Expositions

9 0 « Servir les dieux d’Égypte »

68 C léo de Mérode

ou la mauvaise réputation

Par Yannick Ripa

à Grenoble Par Chloé de La Barre

92 « Louis-Philippe à Fontainebleau » Par Huguette Meunier Cinéma 9 4 « Un violent désir de bonheur » de Clément Schneider Par Antoine de Baecque

Théâtre 9 6 « Kanata »

de Robert Lepage Par Martial Poirson

Médias 9 6 La sélection de « L’Histoire » CARTE BLANCHE

9 8 Les trésors de

72 M oyen Age.

l’abbaye d’Ardenne Par Pierre Assouline

A quoi servent les chirographes Par Paul Bertrand

L’HISTOIRE / N°455 / JANVIER 2019


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Séparation L’inscription « école de jeunes filles » gravée sur la façade d’une ancienne école d’un village du Lot. En France, depuis la loi Haby votée en 1975, toutes les écoles publiques mélangent filles et garçons, généralisant un principe existant déjà en pratique.

Expérience américaine En 2009, la reine Rania de Jordanie visite la Young Women’s Leadership School (YWLS) de New York. Depuis 1996, ce lycée public de Harlem promeut la séparation des sexes pour obtenir de meilleurs résultats pour les femmes, un choix polémique. L’HISTOIRE / N°455 / JANVIER 2019


Événement

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LA MIXITÉ : UNE RÉVOLUTION EN DANGER ? En deux siècles, le mélange des filles et des garçons dans l’espace scolaire s’est imposé en France comme une norme avant d’être un laboratoire du vivre-ensemble. Il fallut pour cela surmonter bien des résistances – qui sont peut-être insidieusement en train de resurgir. Par Odile Roynette

MOREL/ANDBZ/ABACAPRESS – JOHN L AMPARSKI/WIREIMAGE/GETT Y IMAGES – DR

L

a mixité en milieu scolaire semble aujourd’hui relever de l’évidence, voire d’une condition du pacte républicain, depuis que la loi Haby, adoptée en juillet 1975, en a généralisé l’existence à tous les niveaux d’enseignement. Pourtant cette évolution, cette révolution même, est relativement récente. Commencée au xixe siècle, elle s’inscrit dans le prolongement de la lutte pour la scolarisation des filles menée par les réformateurs anticléricaux et par les féministes. Dans les années 1930, seuls 45 % des établissements scolaires mélangeaient dans quelques classes les enfants de différents sexes. Et c’est au cours des années 1960 que cette coprésence s’est consolidée dans le primaire et généralisée dans l’enseignement secondaire et supérieur. Mais, avant que cet idéal utopique expérimenté par quelques pédagogues isolés ne devienne une norme, il fallut surmonter bien des résistances. C’est d’abord à l’école que la coéducation mit en présence au

début du xixe siècle garçons et filles dans un espace commun. Encore faut-il souligner qu’il ne s’agissait alors que d’une « tolérance » liée à des questions budgétaires, limitée en France au degré élémentaire et aux milieux populaires. Dans le sillage de la Contre-Réforme, c’était la séparation des sexes qui était envisagée comme un levier essentiel de défense de la morale catholique.

Ne pas se toucher

La consolidation de l’instruction primaire à partir de la monarchie de Juillet (1830-1848) épousa cette logique de division des sexes devenue la norme, sauf lorsque, dans les communes trop petites ou trop pauvres, le mélange des filles et des garçons ne pouvait être évité par mesure d’économie. Résultat : en 1860, la France comptait près de 14 000 écoles de filles et 35 000 écoles de garçons contre environ 17 660 écoles mixtes. Dans celles-ci, il fallait mettre en œuvre « les précautions

L’AUTEURE Maîtresse de conférences à l’université BourgogneFranche-Comté, Odile Roynette est spécialiste de l’histoire du genre et des masculinités. Elle a notamment publié Bons pour le service. La caserne à la fin du xixe siècle (Belin, rééd., 2017).

nécessaires, notamment celle d’une cloison à 1 mètre au moins de hauteur entre les enfants des deux sexes », prendre les dispositions adéquates pour « qu’ils soient séparés dans tous les exercices et pour éviter qu’ils entrent et sortent en même temps », comme le précisèrent deux textes officiels, d’ailleurs difficilement applicables, parus successivement en août 1833, puis en avril 1834. Ne pas se voir et ne pas se toucher, telles étaient les conditions d’une éducation « saine », dans un espace voué d’autant plus à la dissociation que garçons et filles étaient destinés à remplir, adultes, des rôles sexués bien différents. Aux garçons, l’espace public qui allait de pair avec la formation de l’honnête homme et du bon citoyen. Aux filles, l’arrière-plan domestique, où l’instruction pouvait être utile à condition qu’elle fût cantonnée dans des limites convenables, celles des connaissances utiles à l’épouse et à la mère, gardienne du temple familial. L’HISTOIRE / N°455 / JANVIER 2019


Actualité

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Bon anniversaire Batman ! Le Festival de la bande dessinée d’Angoulême 2019 consacre sa grande exposition au chevalier noir qui fête ses 80 ans. Par William Blanc*

Imageries

L Note 1. Le terme camp est utilisé surtout par les Anglo-Saxons pour décrire à la fois un style, une forme d’expression et un regard propres à la sous-culture gay masculine.

orsqu’il apparaît en mai 1939, Batman (littéralement « l’homme chauvesouris »), créé par Bob Kane et Bill Finger, hérite de deux imageries. La première est liée au polar américain « hardboiled ». Ce type de récit – développé notamment par des auteurs comme Dashiell Hammett dans les fascicules « pulp » à bas coût – met en scène des détectives privés usant de méthodes

Dès 1940 le côté sombre de Batman est contrebalancé par son jeune compagnon Robin L’HISTOIRE / N°455 / JANVIER 2019

expéditives pour faire face à la vague de crimes due à la prohibition. Dans les premiers épisodes – et jusqu’en 1942 – de ses aventures publiés dans une revue au titre évocateur de Detective Comics, Batman, super-enquêteur, n’hésite ainsi pas à tuer des adversaires venant presque tous du milieu criminel. La seconde apparente l’homme chauve-souris aux justiciers chevaleresques qui apparaissent au début du xxe siècle comme le Mouron rouge, créé en 1903 par la baronne Orczy. Sous le costume de Batman se dissimule en réalité Bruce

Wayne, un jeune patricien qui, usant de sa fortune, décide de défendre l’ordre social à la place de pouvoirs publics jugés déficients et corrompus. Pour cela, il châtie des mafiosi associés au prolétariat urbain et à des « barbares » étrangers médiévalisés. Cette image de « chevalier noir » (surnom donné à Batman dès ses premières années d’existence) est renforcée par le fait que ses aventures se déroulent dans une métropole dont le nom, Gotham City, renvoie à l’esthétique des romans gothiques peuplés de vampires,

PVDE/BRIDGEMAN IMAGES – BRIDGEMAN IMAGES – FRANK BEZ/ZUMAPRESS/LEEMAGE

Ci-contre : couverture de la revue Detective Comics de mai 1939. C’est la première apparition de Batman. A droite : série télévisée Batman en 1966. L’homme chauve-souris prend les traits de l’acteur Adam West et Robin ceux de Burt Ward. En macaron : Andy Warhol utilise en 1967 les personnages de Batman et de Robin dans une séance photo avec la chanteuse allemande Nico.


/ 2 3 créatures fortement liées aux chauves-souris. Le côté sombre de Batman est toutefois contrebalancé dès avril 1940 (dans les pages de Detective Comics n° 38) par l’entrée en scène de son jeune compagnon Robin. Ce nouveau personnage imprime aux aventures de l’homme chauve-­souris un aspect social, inspiré sans doute de son modèle explicite Robin des Bois (dont il porte le nom) et que l’on retrouvait déjà dans d’autres justiciers chevaleresques comme Rodolphe de Gerolstein des Mystères de Paris (1842-1843) ou Zorro, apparu en 1919.

JEAN-PIERRE VERNEY/AKG

Un héros plus coloré

Au début des années 1950, en pleine fièvre maccarthyste, changement de décor. Le psychiatre Fredric Wertham accuse les auteurs de Batman de diffuser un sous-texte fortement sexualisé. Pour lui, le doute n’est pas permis : Bruce Wayne et Robin entretiendraient une relation de nature pédérastique. Dans un contexte de peur où les conservateurs associent le communisme à l’homosexualité, ces accusations portent et obligent en 1954 les éditeurs de bande dessinée américaine à adopter des règles d’autocensure, le Comics Code. Les propos de Wertham s’appuyaient-ils sur des faits vérifiables ? La question reste encore aujourd’hui sans réponse, même si, dans les pages de Detective Comics n° 241 (mars 1957), Batman s’affiche dans un costume rose. Une chose est néanmoins certaine. Durant cette période, l’image du chevalier noir disparaît au profit de celle d’un héros plus coloré, plus comique, en un mot, plus carnavalesque. Cette nouvelle iconographie proche du kitsch et du camp1, qui culmine à la fin des années 1960 dans la série télévisée humoristique Batman avec Adam West dans le rôle-titre, ne manque pas de fasciner des artistes underground influencés par la s­ ubculture gay où le déguisement et le travestissement

occupent une grande place. Andy Warhol, créateur bohème homosexuel et figure de proue du mouvement pop art, réalise ainsi en 1964 un film expérimental intitulé Batman Dracula avant de poser en 1967 pour le magazine Esquire habillé en Robin en compagnie de la chanteuse allemande Nico (Christa Päffgen) costumée elle en Batman. Les années 1970, notamment la vague de crimes qui touche les grandes villes comme New York, siège de l’éditeur des aventures de Batman, impulsent un nouveau changement dans les représentations de l’homme chauve-souris. Le personnage des années 1960 fait place à un être sombre, perturbé depuis sa plus tendre enfance par la mort de ses parents assassinés par un criminel. Alors qu’Adam West incarnait un Batman tout en rondeurs, n’hésitant pas à afficher son ventre sous son costume bleu et gris satiné, le justicier de Gotham, dans les années 1980 est un athlète bodybuildé au physique puissant doté d’une tenue exagérant sa musculature. Ce nouveau héros sans pitié symbolise l’idée, répandue aux États-Unis depuis l’instauration de la « guerre à la drogue » à la fin du premier mandat du président Nixon, que le crime peut être éradiqué en usant seulement de la manière forte. L’auteur de comics Frank Miller, fasciné par les polars « hardboiled » de l’entre-deuxguerres, est sans doute celui qui popularisera le plus cet assombrissement de Batman avec des ­comic books comme Batman. Dark Knight (1986) faisant directement référence au « chevalier noir » et initialement vendu en direction d’un public adulte. C’est cette image qui aujourd’hui est la plus communément adoptée dans la dizaine de films qui, depuis les années 1990, donnent désormais à Batman une audience mondiale. n * Auteur de Super-Héros. Une histoire politique (Libertalia, 2018)

Reims en feu L’attaque de la cathédrale par l’Allemagne, en 1914, un « crime contre la culture » ? Par Bruno Cabanes*

L Incendie

Carte postale de 1914, montrant la cathédrale de Reims en flammes après le bombardement allemand du 19 septembre 1914.

Note 1. Cf. T. W. Gaehtgens, La Cathédrale incendiée. Reims, septembre 1914, Gallimard, « Bibliothèque illustrée des histoires », 2018.

e 19 septembre 1914, la cathédrale de Reims est partiellement détruite par un incendie provoqué par une pluie d’obus allemands1. Acte militaire inévitable, selon l’Allemagne, car l’édifice aurait abrité un poste d’observation, l’attaque délibérée indigne les pays alliés. Après l’invasion de la Belgique et de la France du Nord, caractérisée par des centaines de massacres de civils et la destruction de la bibliothèque de Louvain, l’incendie entraîne une intensification de la mobilisation contre l’Allemagne. A travers les ruines de Reims, identifiées dans la presse française à un corps supplicié, ce n’est pas seulement la défense du pays qui est en jeu. Pour les intellectuels français, qui cherchent à prendre des distances avec l’influence allemande d’avant-guerre, le conflit devient « la lutte même de la civilisation contre la barbarie » (Henri Bergson). Le 4 octobre 1914, 93 intellectuels allemands signent un manifeste pour soutenir une guerre défensive. Chez les historiens de l’art, le débat fait rage autour de l’origine, allemande ou française, du style gothique. C’est la notion de « crime contre la culture » qui est en train de voir le jour, plusieurs décennies avant la création de l’Unesco. Car, comme l’explique l’historien de l’art Émile Mâle, avec l’incendie de Reims, « on sentit que la beauté avait diminué sur la Terre ». n * Professeur à Ohio State University L’HISTOIRE / N°455 / JANVIER 2019


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L es Irlandais

DOSSIER

Une si longue conquête La conquête de l’Irlande par les Anglais s’est faite en deux temps, au xiie-xiiie siècle, puis au xvie siècle. Au xviiie, les Irlandais, qui tentent de conserver leur religion, le catholicisme, et leur langue, le gaélique, sont opprimés comme jamais. Entretien avec Seán Duffy

Quel a été le rôle de saint Patrick et comment expliquer que sa figure se détache aussi fortement ? Saint Patrick n’a pas été le premier missionnaire chrétien en Irlande. Les évangélisateurs sont d’abord venus de Gaule, et ensuite de GrandeBretagne. Patrick était de ceux-là, sans doute originaire de l’actuel pays de Galles. C’est amusant aujourd’hui de voir que le monde entier se met à l’heure irlandaise le 17 mars à l’occasion de la L’HISTOIRE / N°455 / JANVIER 2019

L’AUTEUR Spécialiste de l’histoire médiévale irlandaise, Seán Duffy est professeur au Trinity College de Dublin. Il est notamment l’auteur de The Concise History of Ireland (Gill Books, [2000], 2005), d’un Atlas historique de l’Irlande (Autrement, 2002) et de Brian Boru and the Battle of Clontarf (Gill & Macmillan, 2013).

Saint-Patrick, alors que celui-ci était en réalité… britannique ! Deux ouvrages de saint Patrick, dans lesquels il décrit sa mission en Irlande au début du ve siècle, nous sont parvenus. Il y raconte comment, enfant, il a été capturé par des pirates irlandais et conduit en Irlande comme esclave, puis comment il s’est enfui. Il nous dit aussi qu’il a fait des études pour devenir prêtre et qu’une nuit, en rêve, il a entendu « la voix des Irlandais » le rappeler. Ses textes sont importants parce qu’il est le seul citoyen romain à avoir été capturé par des Barbares (les Irlandais), emmené au-delà des frontières de l’Empire, et à être revenu pour nous livrer son récit. La mission de Patrick était limitée à la moitié nord de l’Irlande. On pense qu’il a fondé l’église d’Armagh. C’est la propagande des religieux d’Armagh qui, deux siècles après sa mort, a alimenté le culte de saint Patrick pour que leur église obtienne la primauté de l’Église irlandaise, ce qui est toujours le cas aujourd’hui. D’un certain point de vue, on pourrait dire que c’est moins saint Patrick qui a réussi que les propagandistes qui en ont assuré le rayonnement dans les générations suivantes, notamment avec des légendes comme l’histoire de saint Patrick qui chasse les serpents hors de l’île ou l’adoption du trèfle comme symbole à la fois de l’Irlande et de la Trinité. Pourquoi l’Irlande semble-t-elle avoir tenu une place à part dans l’Occident chrétien ? Parce que les Irlandais ont été un pôle actif d’évangélisation. Lorsqu’ils se sont convertis au

DR

L’Histoire : On pense tout de suite à l’Irlande comme à un bastion du catholicisme. A quand remonte sa christianisation ? Seán Duffy : 431 est la date la plus reculée que nous connaissions dans l’histoire irlandaise. La chronique de Prosper d’Aquitaine indique que, cette année-là, le pape Célestin a envoyé aux Irlandais qui croyaient dans le Christ leur premier évêque, Palladius. Il existait donc déjà une communauté chrétienne en Irlande à cette époque, et ce sans doute depuis une génération alors même que les Irlandais n’ont jamais été conquis par Rome. Bien sûr, l’Irlande n’est pas devenue chrétienne du jour au lendemain. Bien que pacifique, cette conversion a probablement été progressive, et les animateurs de la religion préchrétienne, les druides, ont mis du temps à disparaître. Certains éléments nous permettent de penser que la classe des poètes, les bardes, qui plus tard ont tellement été mis en avant dans la culture gaélique, est issue des prêtres druidiques de l’Irlande préchrétienne.


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Combattre les Anglais A rt MacMurrogh et ses hommes mènent la guerre contre les troupes du roi d’Angleterre Richard II, qui a envahi

BRITISH LIBRARY, HARLEY 1319 FOLIO 9/AKG

l’Irlande à la fin du xive siècle, alors que la conquête anglaise marque le pas. Ils sont représentés ici à droite alors que MacMurrogh a accepté de s’entretenir avec le comte de Gloucester (à gauche).

christianisme, ils ont dû apprendre le latin, qu’ils ne connaissaient certainement pas, à la différence de tous les autres peuples d’Europe occidentale. Les Irlandais étaient un peuple sans écriture avant l’adoption de cette religion. Avec le christianisme est venu le latin, avec le latin sont venus l’alphabet, la lecture et l’écriture, et avec la lecture et l’écriture sont venus l’enseignement et la littérature. Au vie siècle, l’Église chrétienne était suffisamment implantée pour que les ecclésiastiques irlandais partent évangéliser les autres peuples, et d’abord les Pictes et les Anglo-Saxons en GrandeBretagne (ils y ont établi les monastères d’Iona et de Lindisfarne, où le Livre de Kells et les Évangiles de Lindisfarne, des œuvres d’art superbes, ont été composés). Avec des savants anglo-saxons formés par des Irlandais, ils ont ensuite évangélisé en Gaule. Le plus grand d’entre eux, Colomban (v. 543-615), est l’un des pères fondateurs du monachisme occidental. Puis ces missionnaires ont été suivis par des savants irlandais, qui ont enseigné dans les écoles palatiales de Charlemagne et de ses successeurs. Eux n’étaient pas missionnaires, mais théologiens, philosophes, astronomes, mathématiciens et poètes. Jean Scot Érigène, au ixe siècle, en est l’un des plus célèbres, réputé pour sa maîtrise du grec, qui avait rapidement périclité en Occident. C’est alors ce qu’on appelle l’« âge d’or » de l’Irlande. Les savants et les artistes irlandais ont apporté une contribution remarquable à l’avènement d’une civilisation européenne médiévale.

DATES CLÉS

431

Palladius premier évêque d’Irlande. Succédant aux missionnaires gaulois, saint Patrick évangélise l’Irlande.

VIe siècle

L’Irlandais Colomban évangélise à son tour en Gaule et en Italie.

1171

Henri II Plantagenêt conquiert l’est de l’île.

1366-1367

Alors que la présence anglaise décline, les statuts de Kilkenny doivent empêcher l’assimilation des Anglais à la culture gaélique.

Que sait-on des Irlandais avant l’arrivée des Anglais au xiie siècle ? Le gaélique étant une langue celtique, on pense qu’un peuple celtophone est arrivé en Irlande vers 600 av. J.-C. Aucune invasion n’a eu lieu par la suite avant le début des raids vikings à la fin du viiie siècle. Le fait qu’ils parlaient une même langue et qu’ils occupaient une même île a sans doute favorisé un sentiment d’appartenance : les Irlandais aiment à se considérer comme une des plus vieilles nations d’Europe. Ils rappellent que les incursions scandinaves au cours de l’époque viking ont aidé à consolider une communauté d’Irlandais qui leur ont vaillamment résisté (contrairement à ce qui se passait au même moment dans ce qui devint le Danelaw anglais et dans le duché de Normandie en France). Comment s’est déroulée la conquête anglaise ? Les Normands qui, sous Guillaume le Conquérant, se sont emparés de l’Angleterre en 1066, se sont très vite imposés au pays de Galles et en Écosse et, un siècle après avoir conquis l’Angleterre, ils ont envahi l’Irlande. C’est d’abord une poignée d’aventuriers qui, à la fin des années 1160, est venue de la possession anglo-normande du sud du pays de Galles, à l’invitation d’un des rois irlandais. Si ce dernier avait fait appel à eux, c’était pour leur force militaire, pour qu’ils lui prêtent assistance contre des ennemis locaux. Mais ils sont arrivés avec l’intention de rester, de L’HISTOIRE / N°455 / JANVIER 2019


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DOSSIER

L es Irlandais

Guerre d’indépendance D eux nationalistes irlandais membres du Sinn Féin arrêtés par les forces de l’ordre lors de la guerre d’indépendance de 1919-1921.

Une colonie comme les autres ? Avec l’Acte d’union de 1800, l’Irlande se fond dans le Royaume-Uni, apparemment à égalité avec les trois autres nations : anglaise, galloise et écossaise. En fait, jusqu’aux années 1920, elle est dominée et sa population, discriminée. Dès lors, la révolte gronde. Par Pierre Joannon L’HISTOIRE / N°455 / JANVIER 2019

THE STAPLETON COLLECTION/BRIDGEMAN IMAGES

1800-1922


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ar l’Acte d’union, voté en 1800 et entré en vigueur le 1er janvier 1801, les royaumes d’Irlande et de Grande-Bretagne cessent d’exister. Ils font place à un nouvel État : le Royaume-Uni. Les historiens disputent toujours sur le point de savoir si, au sein du nouvel ensemble qui se met en place, l’Irlande constitue une colonie ou un territoire assujetti dans le cadre d’un processus d’unification nationale imparfaitement conduit à son terme.

DR

Une colonie aux portes de l’Angleterre La qualification de colonie nous paraît la plus pertinente. D’abord parce que l’Irlande est historiquement le produit d’un double processus de colonisation avéré. Dans le Sud s’organise une colonisation d’encadrement : le pouvoir et la richesse y sont monopolisés par l’« ascendancy », aristocratie terrienne anglo-irlandaise de confession anglicane. La population catholique majoritaire est tenue en lisière de la société par un code tatillon de « lois pénales » discriminatoires. Au nord, une colonisation de peuplement s’établit dans les quatre « comtés de colonisation » de la partie septentrionale de la province historique d’Ulster. Là, dès le milieu du xviie siècle, une masse de petits colons anglais du Yorkshire et surtout écossais calvinistes des Basses Terres se sont substitués majoritairement aux indigènes catholiques repoussés à l’ouest. Ensuite parce que l’architecture politique, administrative et confessionnelle ainsi que l’appareil sécuritaire mis en place pour contrôler l’île sœur reflètent bien le caractère colonial de l’Irlande tranchant sur le traitement réservé aux autres nations constitutives du Royaume-Uni (l’Angleterre, l’Écosse et le pays de Galles). Le pouvoir exécutif est dévolu à un vice-roi dont les fonctions sont purement représentatives. « Cette parade de royauté, écrit l’historien et angliciste Amédée Pichot en 1850, n’est que la décoration d’une dépendance coloniale. » La réalité du pouvoir est exercée par un secrétaire en chef pour l’Irlande qui remplit les fonctions de chef du gouvernement local sous la tutelle du secrétaire d’État (ministre) à l’Intérieur britannique. Il règne sur une administration pléthorique de plusieurs milliers de fonctionnaires, répartis en une soixantaine de bureaux et commissions, qui font du château de Dublin le centre du pouvoir britannique en Irlande. Villes et comtés sont administrés par des fonctionnaires nommés et non élus. Le pouvoir législatif est dévolu au Parlement de Westminster où l’Irlande envoie une centaine de députés essentiellement recrutés dans l’aristocratie anglo-irlandaise jusqu’à ce que l’émancipation des catholiques en 1829 vienne troubler la quiétude parlementaire ambiante. L’Église d’Irlande, réplique de l’Église anglicane d’Angleterre, est une institution d’État richement dotée et

L’AUTEUR Pierre Joannon est l’un des meilleurs historiens de l’Irlande en France : son Histoire de l’Irlande et des Irlandais (Perrin, 2006 et 2009) est un ouvrage de référence. Biographe de Michael Collins et de John Hume, auteur d’Il était une fois Dublin (Perrin, 2013), il est également cofondateur de la revue universitaire Études irlandaises.

entretenue par une dîme payable par l’ensemble des habitants de l’île à quelque religion qu’ils appartiennent. La Big House, manoir où réside le représentant de l’ascendancy, le château de Dublin et l’Église d’Irlande sont les trois piliers de l’ordre colonial anglo-irlandais. Celui-ci est protégé par une armée de 35 000 hommes et une police militarisée, la Royal Irish Constabulary ou gendarmerie royale irlandaise, armée de carabines à la différence du légendaire bobby anglais et logée dans des maisons fortifiées. Oubliées la grande rébellion de 1798 et la pathétique émeute dublinoise de Robert Emmet en 1803, le pays semble résigné à son sort. Au sud, une paysannerie catholique sans droits ni titres obéit docilement aux landlords, les grands propriétaires anglo-irlandais protestants, et à l’administration coloniale du château de Dublin, tandis que, dans le coin nord-est de l’île, les presbytériens se lancent dans la révolution industrielle : des chantiers navals voient le jour à Belfast et la vallée du Lagan se couvre de filatures textiles. Le fossé se creuse entre le peuple catholique des campagnes méridionales et les calvinistes angloécossais du Nord industrialisé.

Daniel O’Connell, le « Libérateur »

DATES

1800

L’Acte d’union unit l’Irlande et la GrandeBretagne et marque la naissance du Royaume-Uni.

1829

Acte d’émancipation des catholiques qui leur assure le libre accès à toutes les fonctions militaires et civiles.

1845-1849

La Grande Famine fait 1,5 million de morts et provoque une émigration massive.

1867

Insurrection manquée de l’Irish Republican Brotherhood (IRB, mouvement fenian).

1903

Le Wyndham Act met fin au landlordisme.

Accalmie de courte durée que vient troubler Daniel O’Connell, un tribun au verbe torrentiel, authentique Gaël formé sur le continent et ténor d’un barreau ouvert depuis peu aux catholiques. En 1823 il fonde une association, la Catholic Association, qui mobilise la paysannerie catholique en dépit des réticences d’une Église soucieuse de ne pas se compromettre dans des aventures hasardeuses. S’ils peuvent voter, les « papistes » restent inéligibles. En 1828, O’Connell défie l’ordre établi en se présentant dans le comté de Clare contre le candidat officiel du gouvernement. Triomphalement élu, il contraint le duc de Wellington, Premier ministre du Royaume-Uni, et sir Robert Peel, son secrétaire d’État à l’Intérieur, à déposer un projet de loi mettant enfin protestants et catholiques sur un pied d’égalité. Le 13 avril 1829, l’Acte d’émancipation accorde aux catholiques le libre accès à toutes les fonctions militaires ou civiles, à l’exception de la viceroyauté d’Irlande, des postes de chancelier d’Angleterre et de chancelier d’Irlande. Ce coup de tonnerre en annonce d’autres. La paysannerie catholique, exploitée, renâcle à payer la dîme à l’Église d’Irlande, qui compte un nombre infime de fidèles. Ici et là on refuse de payer cet impôt inique et on moleste percepteurs et gendarmes. Le gouvernement whig1, qui a besoin des voix d’O’Connell et de sa poignée de députés à Westminster est contraint de lâcher du lest. La dîme abhorrée est réduite et convertie en taxe foncière à la charge des landlords. Une loi de 1840 prévoit l’élection des municipalités par un corps électoral censitaire, ce qui suffit à modifier en profondeur le fonctionnement des L’HISTOIRE / N°455 / JANVIER 2019


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