HORS-SÉRIE
LES COLLECTIONS
LA FAMILLE
DANS TOUS SES ETATS De la Bible au mariage pour tous
Sommaire
LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°72 - JUILLET-SEPTEMBRE 2016
La famille De la Bible au mariage pour tous
2. S AINTE FAMILLE 30 Ce que change le mariage chrétien par M ARTIN AURELL ❙ Dieu le père, mère l’Église par A NITA GUERREAU-JALABERT ❙ Des aïeux et des arbres par O LIVIER FARON 38 Une affaire de sentiments par DIDIER LETT ❙ L’invention des noms de famille par D OMINIQUE BARTHÉLEMY 44 Profession : mère de famille par JEAN-PIERRE BARDET ❙ Les funestes secrets par F RANÇOIS LEBRUN 49 L’enfant choyé des Lumières par FRANÇOIS LEBRUN
6 « En Occident la famille nucléaire
a globalement dominé »
entretien avec G ÉRARD DELILLE
1. D ES DIEUX ET DES LOIS 14 Mésopotamie.
Ce que révèlent les codes de lois par B RIGITTE LION ❙ L’amour libre par J EAN BOTTÉRO
18 Pourquoi les Grecs abandonnaient
leurs enfants
par P IERRE CHUVIN ❙ Maudits Atrides
22 A Rome, le droit plus que le sang par P HILIPPE MOREAU ❙ Noces à la romaine par P AUL VEYNE ❙ « Une mère porteuse, le temps qu’il faut » par Y ANN RIVIÈRE 4 LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°72
4. V IVE LA FAMILLE QUAND MÊME !
80 L’album de famille des
Trente Glorieuses
par M ARTINE SEGALEN
86 La filiation, plus forte que
le mariage
PARIS, MUSÉE DU LOUVRE, DIST. RMN-GP/THIERRY OLLIVIER. PARIS, ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE DES BEAUX-ARTS/BRIDGEMAN IMAGES. JEAN VIGNE/KHARBINE-TAPABOR. P. RAZZO/CIRIC
par I RÈNE THÉRY
92 Lexique
3. L A FORTERESSE BOURGEOISE
94 Chronologie 96 A lire, voir et écouter
52 1789-1804.
La Révolution des pères et des maris par A NNE VERJUS
62 Le siècle d’or de l’héritage par A LAIN PLESSIS ❙ L’art de faire de beaux enfants par A LAIN CORBIN ❙ Gare aux belles-mères ! par Y ANNICK RIPA 70 Fourier fait scandale par MICHEL WINOCK 72 Petits meurtres en famille par A NNICK TILLIER ❙ Le cas Pierre Rivière par S YLVIE LAPALUS 76 La révolution du mariage d’amour par A NNE-MARIE SOHN
ABONNEZ-VOUS PAGE 91 Toute l’actualité de l’histoire sur www.histoire.presse.fr Ce numéro comporte deux encarts jetés : L’Histoire (kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).
LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°72 5 StoreLH.indd 1
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« En Occident la famille nucléaire a globalement dominé » Qu’est-ce qu’une famille ? La simple cellule conjugale ou un système plus large de parenté ? Pourquoi n’épouse-t-on pas son cousin ? Pour répondre, il faut croiser l’histoire et l’anthropologie. Et renoncer à bien des idées reçues. Entretien avec G ÉRARD DELILLE Directeur de recherche au CNRS, directeur d’études à l’EHESS et professeur à l’Institut universitaire européen de Florence, Gérard Delille a récemment publié L’Économie de Dieu. Famille et marché entre christianisme, hébraïsme et islam (Les Belles Lettres, 2015).
L’Histoire : La famille a-t-elle toujours existé ? Gérard Delille : Tout dépend de la définition qu’on lui donne. Si on entend par famille une association d’individus qui tendent à assurer une descendance biologique et un apprentissage de vie à une progéniture, on peut dire que la famille existe déjà dans le monde animal. S’il s’agit d’une institution qui ordonne les regroupements d’individus suivant des règles de parenté et d’alliance, de relations d’un sexe à l’autre, celle-ci s’est dégagée progressivement et parallèlement à l’apparition d’une culture et d’un ordre social humains. Pour Claude Lévi-Strauss, ce passage de la nature à la culture s’est accompli avec la prohibition de l’inceste – une notion universelle. Je dirais, plus généralement, qu’il y a famille lorsqu’il y a « calcul », c’est-à-dire élaboration de règles, et que toutes les sociétés humaines se livrent, chacune à leur manière et parfois fort différemment, à ce « calcul ». 6 LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°72
En ce sens, la famille est présente dans la plupart des sociétés du monde. L’H. : Quand la famille, telle qu’on la conçoit aujourd’hui, centrée autour du couple et des enfants, est-elle apparue ? G. D. : Aussi loin que nos sources remontent, on en retrouve la trace ! Contrairement à ce que l’on imagine souvent, depuis l’Antiquité, la famille nucléaire, réduite au noyau conjugal, a globalement dominé en Occident. Même s’il existe, dans toutes les sociétés, des catégories qui y échappent, ou des exceptions régionales par exemple. La noblesse féodale a connu un système dit à « maisons », fondé sur la possession de biens matériels (terres, bâtiments d’exploitation, demeure) et immatériels (nom, titres, armoiries), théoriquement indivisible et immuable, suivant lequel les descendants se succédaient au long des générations. Sous l’Ancien Régime, dans les régions à métayage en Italie, ou en France dans les Pyrénées ou le Massif central, la « famille souche » rassemblait les parents, un ou plusieurs enfants mariés, mais aussi les cadets qui étaient voués au célibat mais continuaient à habiter avec eux. Souvent, la famille observe des cycles et voit alterner différents systèmes ; elle peut être un temps nucléaire, puis devenir « complexe » lorsque des enfants mariés continuent de vivre avec leurs parents, voire « étendue » lorsqu’elle accueille d’autres parents collatéraux ou alliés, avant de redevenir nucléaire, ou
Dans la Bible L’Ancien Testament autorise la polygamie et l’alliance entre oncle et nièce. La généalogie des Hérode, « rois » d’Israël, révèle que les mariages entre consanguins étaient fréquents dans le monde juif. Ici Hérode Antipas et son épouse et nièce (miniature du xiiie siècle).
THE BRITISH LIBRARY BOARD/LEEMAGE. RMN-GP (MUSÉE DU LOUVRE)/HERVÉ LEWANDOWSKI
Petite cellule A Rome comme en Grèce, la majorité des familles sont nucléaires, réduites aux deux parents et à leurs enfants (amphore grecque du ve siècle av. J.-C., Paris, musée du Louvre).
solitaire (une seule personne, souvent un veuf) dans Charlemagne lui-même a pratiqué successivement ces le grand âge. Reste que le plus souvent, en Occident, différents types de mariage – et cela n’occasionnait la famille dominante est une cellule plutôt restreinte, aucun scandale. centrée autour du ménage. L’H. : Revenons aux Romains. Leur conception juriL’H. : Mais la polygamie n’était-elle pas une pratique dique de la famille a eu une grande influence sur la notion de famille en Occident. courante durant l’Antiquité ? G. D. : Il faut distinguer la polygynie, lorsqu’un homme G. D. : Oui. Pour les Romains, ce qui fait la famille n’est épouse plusieurs femmes, de la polyandrie, plus rare, pas le sang mais le droit. Le mot même de « famille » quand une femme épouse plusieurs hommes. En réa- vient du latin familia qui désignait à Rome les parents et lité, seuls les rois et les élites avaient plusieurs épouses, les enfants qui vivaient sous le même toit, mais pouvait comme en Mésopotamie par exemple. Mais avoir plu- inclure les domestiques, les esclaves, voire les clients. Il sieurs épouses est un luxe. Ne serait-ce que pour des a la même racine que famulus (« serviteur ») et désigne raisons économiques, la majorité de la population en réalité l’ensemble des personnes placées sous l’autoétait monogame. Et puis, d’un point de vue structu- rité du maître, le pater familias. rel, la polygamie ne peut pas être généralisée ; le rapLe mot se réfère donc à une relation de pouvoir plus port des sexes étant naturellement quasiment équilibré, que de parenté biologique. Dans la Rome antique, le lien une polygamie généralisée condamnerait beaucoup juridique primait sur le biologique et un enfant adopté d’hommes à rester sans épouse. n’était pas distingué d’un enfant naturel (cf. Philippe Inversement, la société romaine, d’origine indo- Moreau, p. 22). L’esclave, en revanche, qui n’a pas de européenne, se distinguait par le refus de la polyga- famille, ne connaît d’autre origine que sa mère. En matière d’alliance, le droit romain interdisait mie et le monde romain opérera une rupture brutale en généralisant l’interdiction de la polygamie à tous d’épouser sa sœur ou son frère, sa tante ou son oncle les citoyens romains. On en retrouve cependant la maternel (depuis Claude, 41-54 ap. J.-C., l’alliance avec trace au début du Moyen Age, avec les peuples ger- l’oncle paternel était permise). Mais l’union entre coumaniques, comme les Lombards ou les Carolingiens. sins germains était légale et le divorce admis. Autant de Les hommes pouvaient conclure plusieurs mariages : points sur lesquels allait revenir le christianisme. Outre le refus de la polygamie, la société romaine un mariage principal, celui qui donnait au couple des héritiers légitimes, et des mariages secondaires, avait, depuis la fin de la période républicaine, concédé avec des personnes de rang différent ou des esclaves. un rôle et des droits toujours plus grands aux femmes. LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°72 7
Infamie En faisant du mariage un sacrement, l’Église criminalise l’adultère et la polygamie. Ici la fée Morgane, sœur ou demi-sœur du roi Arthur, surprend la femme de celui-ci, Guenièvre, avec son amant Lancelot (enluminure de Remiet, xive siècle).
Ce que change le Répudiations, adultères et incestes étaient courants au sein de l’aristocratie du Moyen Age. Mais avec l’emprise croissante de l’Église sur la société s’impose un nouveau modèle : le mariage chrétien.
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L
e mariage chrétien est une invention du Moyen Age. L’Église a dû combattre pour imposer ses rituels et ses lois contre des pratiques plus anciennes qui contrevenaient à la morale et aux comportements qu’elle cherchait à instaurer. Et cette conception religieuse du mariage n’a été définitivement établie qu’à la fin du xiie siècle, au détriment des habitudes aristocratiques et après une longue lutte d’influence. Le mariage aristocratique fonctionnait, en effet, selon des règles et coutumes bien ancrées dans les mentalités du temps.
BNF, DIST. RMN-GP/IMAGE BNF
Par M ARTIN AURELL Professeur à l’université de Poitiers, Martin Aurell a notamment publié Les Noces du comte. Mariage et pouvoir en Catalogne (Publications de la Sorbonne, 1995). Cet article est la version mise à jour de « Le triomphe du mariage chrétien », L’Histoire n° 144, mai 1991.
à l’église A partir du xiie siècle, c’est le prêtre, remplaçant le père, qui, à l’église, remet l’épouse à l’époux. Le mariage est devenu
un contrat entre deux personnes et non plus entre deux familles (miniature du xiiie siècle, Espagne, Archives de Tarazona de Aragon).
PRISMA/KURWENAL/ALBUM/AKG
mariage chrétien Pour les jeunes gens de l’aristocratie, le mariage est une décision prise, après maints calculs et tractations, par les chefs du lignage, c’est-à-dire de la famille prise au sens large placée sous l’autorité d’un aîné. Le plus souvent, les futurs mariés se connaissent à peine et leur volonté ne compte pour rien dans leur union ; ce sont les considérations d’ordre politique qui priment. Conséquence de cette fonction stratégique, le mariage aristocratique est aussi instable que les pactes entre adversaires qu’il sert souvent à entériner. Dans une société où les traités de paix ne mettent que provisoirement fin à la guerre, les unions entre deux conjoints appartenant à des familles hostiles sont généralement éphémères. Il s’ensuit de nombreuses ruptures d’engagements matrimoniaux pour des raisons politiques. En septembre 1054, par exemple, Guillem II de Besalu doit rendre hommage à son puissant voisin, Ramon Berenguer Ier, comte de Barcelone. Il s’engage à lui céder plusieurs châteaux sur la mouvante frontière qui sépare leurs terres. Trois mois plus tard, le comte de Barcelone accorde la main de Lucia, sa belle-sœur, à son nouveau vassal. Les noces ne seront pourtant jamais célébrées :
peu de temps après le traité de paix, Guillem II refuse de livrer ses forteresses et déclare la guerre à son seigneur. Autre motif de répudiation : la stérilité. En 855, le roi carolingien Lothaire II abandonne Theutberge, sa femme inféconde, pour épouser sa concubine Waldrade dont il avait déjà eu trois fils. En 1092, Philippe Ier, roi de France, répudie Berthe de Frise, qui ne lui avait donné qu’un fils à la santé fragile ; il épouse alors Bertrade de Montfort, quatrième épouse de Foulques le Réchin, comte d’Anjou, qui passait lui-même pour un spécialiste de l’annulation des mariages stériles devant les tribunaux ecclésiastiques. ARISTOCRATES POLYGAMES Inutile de préciser que les moyens de pression dont disposent les seigneurs du xie siècle pour pousser l’épouse encombrante à la séparation sont nombreux. Quand, en 1058, Ramon Berenguer Ier marie Lucia une seconde fois, il prend ses précautions à l’égard d’Artau Ier de Pallars, à qui elle était promise. Le contrat matrimonial spécifie en effet « qu’Artau, comte, ait Lucia tant qu’il vivra, comme l’homme doit avoir la femme qu’il a prise légalement. Qu’il ne l’abandonne pas, tant qu’elle vivra, LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°72 31
Le siècle d’or de l’héritage L’héritage est le leitmotiv des romans du xixe siècle : transmettre la fortune ancestrale, si possible augmentée par le travail, les bons placements et les mariages d’intérêt, voilà la grande affaire de la famille bourgeoise. Par A LAIN PLESSIS Spécialiste du système bancaire français, Alain Plessis a notamment écrit Histoires de la Banque de France (Albin Michel, 1998). Il est mort en 2010. Cet article est la version abrégée de « Le siècle d’or de l’héritage », L’Histoire n° 204, novembre 1996.
E
n proclamant les Français égaux devant la loi tout en reconnaissant le caractère « inviolable et sacré » du droit de propriété, la Révolution française a favorisé l’épanouissement d’une société où l’argent joue un rôle éminent, et qui demeure de ce point de vue fort inégalitaire. Au xixe siècle, un bon tiers des adultes décédés et même les trois quarts dans les grandes villes ne laissent quasiment rien à leur mort. Au surplus, les successions déclarées varient considérablement : pour l’ensemble de la France en 1911, 95 500 héritiers déclarent moins de 500 francs et, à l’opposé, 666 plus de 1 million. Ce chiffre du million est significatif, car être millionnaire, c’est disposer au minimum de 50 000 francs de rentes annuelles et appartenir à un monde à part : celui de l’opulence qui rend pleinement indépendant. Ces contrastes marquent la hiérarchie sociale. La fortune, en effet, plus que le revenu – qui d’ailleurs en provient en partie ou même en totalité dans le cas des rentiers –, est l’un des attributs de la condition des bourgeois. D’où une grande sensibilité aux questions d’argent. Les auteurs du xixe siècle, qui en ont parlé d’abondance, l’ont personnellement éprou- L a dot Les parents des jeunes mariés ont négocié vée, tel Scribe, qui fit progresser ses gains à mesure les dots, indispensables aux filles qui risquent sans cela de sa renommée, ou Zola, qui discutait âprement ses de rester célibataires (carte postale, vers 1900).
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Le contrat de mariage Personnage incontournable, le notaire, fin connaisseur du Code civil, enregistre très précisément les clauses du contrat. Signé peu avant la cérémonie, celui-ci précise l’apport de chaque conjoint (E. Lavrate, 1882).
TALLANDIER/RUE DES ARCHIVES. KHARBINE-TAPABOR
droits d’auteur. Au milieu du siècle, le jeune négociant Gustave Emmanuel Roy rêvait de « posséder 1 million ». Ce désir se manifeste avec éclat dans une société où se répand, surtout dans les villes, le modèle normatif de la famille construite autour du couple : la réussite est moins celle d’individus que celle des couples.
elle les récapitule par postes à la fin du mois et à la fin de l’année. Ces livres comportent aussi des pages destinées à recevoir, à la fin de chaque année, l’inventaire de la fortune. Le tout, sous le contrôle du chef de famille. Le but est d’inciter à borner ses dépenses au raisonnable, afin de dégager quelque épargne. Et c’est au mari que revient la gestion et le choix des placements opportuns. UN CAPITAL DE DÉPART Les objectifs et la composition des fortunes varient Ce qui fonde la famille bourgeoise, c’est, on le sait, en fonction du degré de richesse, de la profession, un mariage de convenance, une union d’intérêts, qui du caractère de chacun, etc. L’immobilier continue à n’exclut pas pour autant de tendres sentiments. Le attirer la bourgeoisie, même si cet intérêt n’a jamais contrat de mariage, de plus en plus négligé dans les été exclusif : beaucoup de familles riches possèdent milieux populaires, s’impose dans la bonne société. Précédant le mariage civil et la cérémonie religieuse, signé devant notaire et souvent cosigné par les invités de marque, il donne à la société conjugale l’alDANS LE TEXTE lure d’une société commerciale. Il précise l’apport de chaque conjoint, formé de ses économies personnelles, de son trousseau et de la dot constituée par ses parents, Le beau mariage, l’ensemble représentant la mise de fonds initiale ou clé de l’ascension sociale le capital de départ du couple. Le contrat indique aussi, à la manière des statuts Le baron de Rastignac veut-il être avocat ? d’une société de commerce, le régime adopté – sauf Oh ! joli. Il faut pâtir pendant dix ans, exceptions locales, la communauté de biens couramdépenser mille francs par mois, avoir ment réduite aux acquêts – et les règles de gestion des une bibliothèque, un cabinet, aller dans le monde, biens communs. Enfin, il prescrit les modalités de liquibaiser la robe d’un avoué pour avoir des causes, dation, en précisant ce qui constitue les biens propres balayer le palais avec sa langue. Si ce métier vous du mari et ceux de la femme (en cas de décès de l’un menait à bien, je ne dirais pas non ; mais trouvez-moi d’eux, l’autre reprend les siens de plein droit) et en prédans Paris cinq avocats qui, à cinquante ans, gagnent plus de cinquante mille francs par an ? […] voyant une donation éventuelle, en usufruit ou en toute Tout ça n’est pas gai. Nous avons une ressource propriété, en faveur de l’époux survivant. dans la dot d’une femme. » Les familles bourgeoises ont l’habitude de faire leurs comptes. Généralement l’épouse tient un livre de raison, Balzac, Le Père Goriot, 1835, Gallimard, 1999. où elle inscrit, jour après jour, les dépenses du ménage ;
«
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a filiation , plus L forte que le mariage La famille a connu plus de bouleversements depuis le dernier demi-siècle que depuis la Révolution : elle ne naît désormais plus du mariage mais de la filiation. Par I RÈNE THÉRY
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Donneur anonyme Le film québécois Starbuck (2011), dans lequel le héros apprend qu’il est le géniteur de 533 enfants, dont 142 souhaitent le retrouver, illustre les difficultés engendrées par l’anonymat des donneurs.
DR
A
partir des années 1970 et 1980, le souci majeur des sociologues de la famille a été d’expliquer les changements démographiques en Occident : baisse de la nuptialité et de la fécondité, montée de l’union libre, explosion du divorce, des familles monoparentales et des familles recomposées, apparition des familles homoparentales. La thèse dominante était celle de l’« individualisation » de la famille. On pouvait s’en alarmer en y voyant la crise de la famille, le triomphe du chacun pour soi, l’avènement du sujet-roi. On pouvait au contraire s’en réjouir en l’interprétant comme la fin du modèle autoritaire, le triomphe de l’authenticité, l’avènement du sujet autonome. Mais une tout autre hypothèse est possible. Ce qui bouleverse la famille en profondeur n’est pas l’avènement du « moi » émancipé, mais l’affirmation d’une valeur commune dont on ne mesure pas encore la p uissance inouïe de transformation du lien social : l’égalité des sexes. En effet, l’égalité ne se résume pas à plus de droits ou plus d’opportunités professionnelles et sociales pour les femmes. Elle implique un bouleversement de la règle du jeu, qui met en cause l’ensemble de notre système social de relations. Cette mutation va bien au-delà de la sphère privée, mais son cœur est bel et bien dans la famille, plus précisément dans le système symbolique de parenté qui la régit. La parenté en Occident connaît une métamorphose, qui reste encore largement méconnue. Le comprendre est fondamental pour identifier les nouvelles valeurs, les nouveaux espoirs mais aussi le trouble et parfois les tentations de repli qui accompagnent les redéfinitions (encore inachevées) du mariage et de la filiation dans les sociétés démocratiques.
Sociologue et directrice d’études à l’EHESS, Irène Théry vient de publier Mariage et filiation pour tous (Seuil, 2016).
Dans tous ses états L’Insee distingue aujourd’hui quatre modèles familiaux : la famille traditionnelle, qui reste prédominante, la famille monoparentale, la famille recomposée et la famille homoparentale. Montage d’une « famille recomposée », 2015.
elle entrait au couvent – seul le mariage donnait à la femme honneur et dignité. Le pivot du système était le mariage civil moderne, dont le Code Napoléon de 1804 a fait le socle, idéalement indissoluble, de la famille. L’époux représentait à la fois lui-même, sa femme et ses enfants. Le cœur du mariage était la présomption de paternité : « Le père est celui que les noces désignent. » Être marié permettait d’accéder à la seule sexualité valorisée dans la tradition chrétienne : la sexualité reproductive légitime. Hors mariage, les hommes n’avaient aucune obligation à l’égard des enfants nés de leurs œuvres. Seules les femmes portaient la honte d’avoir été séduites, et LA PRÉSOMPTION DE PATERNITÉ la responsabilité des enfants. Ainsi, les femmes étaient La France est ici l’exemple particulier d’un cas plus divisées en deux : d’un côté les dignes épouses et honogénéral, qui concerne tout l’Occident. La Révolution rables mères de famille ; de l’autre, les filles perdues, de 1789 a aboli la hiérarchie pour instituer une société prostituées et filles mères. Quant aux bâtards, c’étaient démocratique fondée sur les valeurs de liberté et d’éga- de vrais parias sociaux. Le rôle social du mariage était alors double. Donner lité. Mais cette hiérarchie a été conservée au sein de la famille conjugale, au nom des « natures » respectives un père aux enfants que les femmes mettaient au monde. de l’homme et de la femme. L’homme est fait pour être Mais aussi assurer le lien entre les deux mondes qui le chef de la famille ; la femme pour lui obéir, l’épauler, constituaient la société organisée sur le principe de comordonner la maison et soigner les enfants... On pensait plémentarité hiérarchique des rôles sexués : le monde la hiérarchie sexuée des statuts et des rôles conforme masculin (supérieur et englobant) de l’entreprise, l’art, à la nature humaine, et valorisant à la fois l’excellence la science, la politique, la guerre, et le monde féminin de chaque sexe et leur complémentarité. Cela justifiait (subordonné et englobé) de la maison, du domestique, la subordination de l’épouse et – sauf dans les cas où du privé, des enfants et des relations familiales.
EMMANUEL PIERROT/AGENCE VU
Au xixe siècle, la famille conjugale fondée sur le libre choix du conjoint est devenue dominante. Mais elle reste organisée selon un principe hérité du passé : la hiérarchie des rôles. On peut la définir comme « l’englobement de la valeur contraire » : à partir de la place qui lui a été attribuée dans l’ordre naturel de la Création, chacun est une partie du « tout » de la société. Comme dans un corps, il n’y a qu’une tête mais toutes les parties sont indispensables : le ventre, les mains, les pieds… Bref, chacun doit savoir rester à sa place assignée car lui seul peut la remplir et ce qui compte est l’ordre supérieur auquel il contribue.
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