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Sommaire
Le s M on d es d ’A li x AVANT-PROPOS 3 La révolution Alix
D E LA ROME DE CÉSAR À LA CHINE DES HAN 34 Carte : Les routes d’Alix
66 Les Parthes aux marges de l’empire Par Giusto Traina
Une guerre infinie
JACQUES MARTIN AU TRAVAIL
ntre Pompée et César, 36 E guerre civile à Rome
Par Damien Chaussende
6 Jacques Martin : les trois raisons d’un succès
Par Pascal Montlahuc
Chronologie : Du triumvirat
Des soldats romains en Chine :
Rome la grande absente
L’empereur et la montagne
Par Pascal Ory
« Mon Alix est plus humain et plus sombre »
Entretien avec Valérie Mangin
14 Portfolio: Comment
on dessine l’Antiquité
72 Sur les routes de la soie
que dit l’ADN ?
à la mort de César
rouge
Par Claude Aziza
42 Le peuple des esclaves Par Paulin Ismard
Prolétaires et entrepreneurs
77 C arthage renaît de ses cendres Par Claire Sotinel
Par Jean Andreau
Une cité commerciale puissante
20 Décryptage : Ce que disent
47 Du sang et des armes : les combats de gladiateurs
Par Paul Veyne
Par Romain Brethes
Des duels pour les enterrements
82 Quarante ans après, sénateur par la grâce de l’empereur
Par Jean-Pierre Adam, Michel Éloy et Maurice Sartre
les planches originales
et Gaëtan Akyüz
Une rétrospective à Angoulême 24
lix, l’esclave devenu A sénateur
Par Olivier Thomas
Des reines… et des amoureuses Homosexuel ?
52 Gaulois ou Romain… Le choix de l’alliance
Par Yann Potin
Pourquoi César a gagné 56 Pauvre Cléopâtre ! Par Maurice Sartre
Rome à la conquête
Flaubert à Utique Par Claude Aziza
Par Valérie Mangin
Et Octave devint Auguste Par Frédéric Hurlet
88 Alix notre contemporain Par Claude Aziza
de l’Égypte
REPÈRES
Par Jean-Michel David
94 Pour aller plus loin
62 Les derniers Spartiates Par Patrice Brun L’HISTOIRE / HORS-SÉRIE
Par H édi Dridi
NAPLES, MUSÉE ARCHÉOLOGIQUE NATIONAL ; LUCIANO PEDICINI/L A COLLECTION - ARCHIVES ALINARI, FLORENCE, DIST. RMN-GRAND-PAL AIS/FRATELLI ALINARI - HERVÉ CHAMPOLLION/AKG-IMAGES
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Les Légions perdues (p. 4)
CASTERMAN
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L’HISTOIRE / HORS-SÉRIE
Monument P ilier avec Hergé et Edgar P. Jacobs de l’école belge de bande dessinée, Jacques Martin pose en 2007 à côté d’une figurine d’Alix.
Rien n’est dû au hasard dans l’extraordinaire succès de Jacques Martin : la période (les années 1950), le pays (la Belgique), le petit coup de force de situer – à contre-courant – son héros dans un décor antique. La BD historique de langue française était née. Par Pascal Ory
L’HISTOIRE / HORS-SÉRIE
FRÉDÉRIC REGL AIN/DIVERGENCE
Jacques Martin : les trois raisons d’un succès
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acques Martin a joué un rôle essentiel dans l’histoire de la bande dessinée de la manière la plus élémentaire : en inventant la bande dessinée historique de langue française. A cela trois explications, dont deux appartiennent aux historiens, l’une d’ordre chronologique, l’autre d’ordre géographique. L’explication chronologique d’abord. Né en 1921, le jeune Martin est l’exact contemporain de l’irruption en Europe des comics américains, symbolisée par la publication, à partir d’octobre 1934, du Journal de Mickey. Or, contrairement à ce que les termes de « comics » et de « Mickey » pourraient laisser entendre, la nouveauté radicale des bandes américaines est que, diffusées aux États-Unis dans une presse non pas « enfantine » mais « familiale » – les suppléments dominicaux des grands quotidiens populaires, en particulier –, elle a été très vite ouverte à d’autres genres que le comique : l’aventure exotique (Tarzan, 1929), policière (Dick Tracy, 1931) ou scientifique (Flash Gordon, 1934) et enfin la fiction historique, lancée en 1937 par le succès de Prince Vaillant, dessiné par Hal Foster. Toutes ces séries prototypiques et les imitations qui bientôt vont les suivre débarquent en Europe à partir des années 1930, submergeant tout sur leur passage, et contraignant les auteurs européens à les pasticher. L’œuvre de Jacques Martin se déploie dans cette continuité. D’abord avec Alix, série commencée en 1948, dont l’action se déroule dans l’Antiquité. Elle se double, quatre ans plus tard, d’une série contemporaine, Lefranc, dont le héros participe de l’inusable tradition du grand reporter, façon Rouletabille révisé Tintin, transformé en champion des droits de l’humain face à l’éternelle résurgence de l’inhumanité, entre menace nucléaire et guerre bactériologique.
Né en 1921, il est l’exact contemporain de l’irruption en Europe des comics américains, avec Le Journal de Mickey – remplaçant la notion médiévale de « PaysBas » (espagnols puis autrichiens) – ne peut en effet se définir autrement que comme la zone de résistance, parfois de reconquête, catholique face aux premiers succès protestants. Ce qui deviendra, à l’ère des nations, l’identité belge restera ainsi durablement marquée par l’intense et efficace souci de propager la foi. L’image tient dans cette « propagande » une large place, surtout dès qu’il s’agit de s’adresser au « peuple », en ligne directe depuis la lanterne magique du jésuite Kircher au xviie siècle jusqu’à la bande dessinée moderne. Celle-ci adopte précocement en Belgique – une décennie avant la France – la forme du texte dans l’image, et non au-dessous. Le succès catholique-social est là : une forme moderne, au service d’une morale conservatrice. L’école belge de la bande dessinée, dominée par les périodiques Tintin, où travaille Martin, et Spirou, atteint son apogée dans les années 1950, avant que ne commence à s’effriter le ciment catholique, sous les coups d’une nouvelle logique d’identification : la langue.
L’AUTEUR Professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, à Sciences Po Paris (école de journalisme) et à l’INA-Sup, Pascal Ory vient de publier Peuple souverain. De la révolution populaire à la radicalité populiste (Gallimard, 2017).
MAURICE ROUGEMONT/OPALE/LEEMAGE - COLLECTION PRIVÉE
Éducation et puritanisme L’œuvre s’inscrit aussi dans une géographie particulière. Jacques Martin, né en France et mort en Suisse (en 2010), s’est épanoui en Belgique. Dès les années 1960, quand émerge, avec la bédéphilie, la notion d’« école belge » de la bande dessinée, il en est clairement l’un des piliers, derrière Hergé, mais au niveau d’un Edgar P. Jacobs. Or cette qualification belge est tout sauf le fruit du hasard. L’état aujourd’hui fort problématique de l’identité belge fait peut-être perdre aux Belges comme aux non-Belges du xxie siècle la conscience de ce qui fit, quatre siècles durant, l’unité de ce pays : la Contre-Réforme – dénommée aujourd’hui, de manière plus politiquement correcte, la Réforme catholique. Ce qui commença de prendre, à la fin du xviiie siècle, le nom de « Belgique »
Un père absent Pierre Martin (ci-dessus), devenu pilote pendant la Première Guerre mondiale, est un acteur du développement de l’aviation civile à la fin du conflit. Il meurt quand Jacques Martin a 11 ans. Dès lors Jacques (ci-dessus enfant) et son frère Christian sont placés par leur mère dans des pensions à l’organisation parfois quasi carcérale.
L’HISTOIRE / HORS-SÉRIE
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HORSSÉRIE
L es mondes d’Alix
Alix, l’esclave devenu sénateur Les aventures d’Alix comptent 36 albums à ce jour. Où, entre intrigues et complots, de la Gaule à la Chine, la personnalité et les fidélités de l’ancien esclave se dévoilent peu à peu.
L’HISTOIRE / HORS-SÉRIE
CASTERMAN
Alix l’intrépide (couverture)
Par Olivier Thomas
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CASTERMAN - DR
E
L’AUTEUR Olivier Thomas est journaliste, rédacteur en chef adjoint à L’Histoire.
Alix l’intrépide (p. 3)
n 53 av. J.-C., le général r omain Flavius Marsalla, commandant l’aile nord de l’armée de Crassus qui guerroie en Orient contre les Parthes, « pénètre dans Khorsabad, après un siège trop long à son gré ». Sur son char, paradant dans les rues jonchées de cadavres, il savoure sa victoire. Du haut d’une balustrade, un jeune esclave, pour mieux observer le cortège, s’appuie sur un mur effrité. Sous son poids les moellons cèdent et « l’un d’eux atteint Marsalla en pleine nuque ». Capturé par les légionnaires, l’adolescent est jeté aux pieds du général romain, finalement indemne, qui l’interroge : « Quel est ton nom ? » « Je m’appelle Alix… », répond le jeune homme apeuré. Jacques Martin ne fit jamais mystère que cette scène inaugurale d’Alix l’intrépide était « très inspirée de Ben-Hur », le roman de Lewis Wallace publié en 1880 aux États-Unis, ni que la naissance d’Alix le prit quelque peu de court : « J’espérais toujours entrer au Journal de Tintin, et je cherchais une idée originale susceptible de retenir l’attention de la direction. […] Cette première planche ne représentait à mes yeux qu’une page t émoin, une sorte de prototype. Elle n’était pas destinée à la publication. J’avais bien une idée assez précise du personnage, mais aucun scénario particulier. » Sauf que cette planche séduisit finalement Raymond Leblanc, l’éditeur de l’hebdomadaire Tintin, qui décida de la publier. A la grande surprise de Jacques Martin : « Je dus dessiner dix pages en un mois, et raccrocher les wagons à cette locomotive dont le contrôle m’avait échappé. Alix l’intrépide parut donc en feuilleton dans le Journal de Tintin à partir du 16 septembre 1948, à raison d’une page par numéro. » Pour tenir chaque semaine le lecteur en haleine, Jacques Martin multiplie dans ce premier opus les rebondissements. Incendies, tremblement de terre, crocodiles, loups, légionnaires déserteurs, pirates scythes, course de char, combat dans l’arène… : en 62 planches, les aventures s’enchaînent sur un rythme échevelé. Courageux, excellent cavalier, habile dans le maniement des armes – et particulièrement le glaive –, Alix n’a le temps ni de s’ennuyer ni de se reposer, manquant d’être aveuglé avant de se retrouver vendu comme esclave puis condamné à mort. Heureusement, il parvient à en réchapper. Ouf ! Dès Alix l’intrépide et sa suite, Le Sphinx d’or, Jacques Martin fournit nombre d’informations sur son héros et son univers qui servent de socle aux 36 épisodes publiés à ce jour. S’il a lui-même scénarisé et dessiné les 19 premiers (jusqu’au Cheval de Troie en 1988), Jacques Martin s’est e nsuite appuyé sur plusieurs
Au début, Alix est un jeune Gaulois d’une quinzaine d’années. Mais pour quelle raison se trouve-t-il esclave si loin en Orient ? collaborateurs pour les 9 albums suivants : de Ô Alexandrie (1996) à La Cité engloutie (2009). Après sa mort, en janvier 2010, d’autres auteurs ont repris le flambeau, proposant des histoires qui, chronologiquement, viennent s’intercaler entre les anciens opus.
Le fils d’un chef gaulois Au début, Alix est donc un jeune Gaulois d’une quinzaine d’années (« Alix devait avoir quinze ou seize ans » dans Le Sphinx d’or, dont l’action se déroule en 52 av. J.-C., a expliqué Jacques Martin dans Avec Alix), ce qui permet de dater sa naissance vers 68 av. J.-C. Il vieillit quelque peu durant les quatre premiers épisodes puis, à partir de La Griffe noire, son âge semble se s tabiliser entre 18 et 20 ans, même s’il participe à des événements plus tardifs, comme la bataille de Munda, qui se déroule le 17 mars 45 av. J.-C. (L’Ibère). Mais pour quelle raison un Gaulois se trouvet-il esclave si loin en Orient ? Une réponse L’HISTOIRE / HORS-SÉRIE
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HORSSÉRIE
L es mondes d’Alix Mer Baltique
Camulodunum (Colchester)
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(52 av. J.-C.) (52 av. J.-C.) Gergovie
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DÉSERT DU SAHARA
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Leptis Magna
Mer Méditerranée Cyrène CYRÉNAÏQUE
Cyrénaïque
Les voyages d’Alix Les aventures de jeunesse d’Alix se déroulent entre la bataille de Carrhes (53 av. J.-C.) et celle de Munda (45 av. J.-C). Le héros parcourt durant cette période une grande partie du bassin méditerranéen, largement sous domination romaine. Certains de ses voyages le conduisent même au-delà des frontières de l’empire, jusqu’en Chine ou le long des côtes atlantiques de l’Afrique. L’HISTOIRE / HORS-SÉRIE
RO DES P
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Géographie d’Alix Site fréquenté par Alix Bataille à laquelle Alix à participé Autre voyage d’Alix
Tyr
Contexte géopoltique
Personnages
Rome et son empire à la mort de Jules César en 44 av. J.-C. ASIE Province romaine L’Empire parthe
1. Vercingétorix 2. César 3. Cléopâtre 4. Le roi Orodès 5. L’empereur chinois Han Si
Royaume indépendant Bataille importante
ROY. DU BOSPHORE
e
Mer Noire (Pont-Euxin)
ROYAUME ROYAUME IBÉRIEN ALBANIEN
Mer
F l e u ve
Trébizonde
Byzance
(47 av. J.-C.) Zéla
BITHYNIE Ancyre ROYAUME
DE GALATIE
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CILICIE
LYCIE
CHYPRE
Byblos Palmyre
Jérusalem
ALEXANDRIE
ROYAUME PTOLÉMÉES
KHORSABAD Assur
EMPIRE PARTHE M
MÉSOPOTAMIE
Babylone
Zone désertique contrôlée par les Parthes
Ctésiphon
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Séleucie T
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JUDÉE
Jo urdain
Tyr
4
Carrhes (53 av. J.-C.) te ra
SYRIE
Bactriane
ROYAUME DE MÉDIE ATROPATÈNE
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Antioche
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Artaxata
ROYAUME DE CAPPADOCE
Priène
Rhodes
ROYAUME D’ARMÉNIE
Hyph a s e
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G
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5
ROYAUME DES NABATÉENS
3
Nubie
CASTERMAN
Mer Karnak Rouge
Temple de Ramsès III Kom Ombo Ile de Philae Sanctuaire d’Abou Simbel
D É S E RT D ’A R A B I E
500 km
L’HISTOIRE / HORS-SÉRIE
Légendes Cartographie
Nil ÉG YPTE
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HORSSÉRIE
L es mondes d’Alix
Quarante ans après, sénateur par la grâce de l’empereur Alix est devenu sénateur. Désormais protégé d’Auguste, il est aussi un fidèle soutien de l’empereur. Valérie Mangin, qui scénarise les nouvelles aventures, décrit cette métamorphose. Par Valérie Mangin
L’HISTOIRE / HORS-SÉRIE
chevaliers romains y ont c ôtoyé des citoyens originaires des provinces d’Italie et même d’Espagne ou de Gaule – comme Alix. Mais Auguste rompt avec cette politique. Pendant son principat, il révise trois fois la liste des sénateurs et ramène leur nombre de 900 à 600. Il l imite aussi la possibilité de devenir questeur (la première magistrature qui permette d’entrer au Sénat) aux seuls membres de l’ordre sénatorial, c’està-dire aux seuls fils de sénateurs. L’assemblée se recentre sur la très haute aristocratie romaine. Alix, l’ancien esclave gallo-romain devenu citoyen romain par adoption, n’a donc théoriquement aucun droit d’y entrer.
Prestige et privilèges Mais il est un fidèle parmi les fidèles de l’empereur. Il s’est rallié à lui après la mort de César et l’a servi loyalement pendant les guerres c iviles. Quand, pendant l’expédition d’Égypte, son compagnon Enak a rejoint le camp de Cléopâtre, il l’a laissé partir. Au fil du temps, il s’est intégré à l’entourage impérial. Il est devenu l’ami de Lidia (nom donné par Jacques Martin à Octavie, la sœur d’Auguste) et du général Agrippa, et l’ennemi de Livie, l’épouse de l’empereur, ce qui n’est pas pour déplaire à ce dernier. L’ancien esclave n’est pas le seul à être promu sénateur par la grâce d’Auguste. L’empereur
CASTERMAN/ALIX SENATOR
V
ers 52 av. J.-C., Alix rencontre pour la première fois le jeune Octave, petit-neveu de César, auquel un aigle jupitérien vient promettre qu’il dominera la terre comme lui-même domine le ciel. Quarante ans plus tard, la prophétie s’est réalisée. Octave est devenu Auguste, le princeps civitatis, premier citoyen de Rome, et il gouverne seul l’Empire. Alix est toujours à ses côtés. L’aventurier au service de César s’est mué en un respectable sénateur. Cette métamorphose n’a rien d’étonnant. L’empereur nourrit une profonde méfiance envers le Sénat, la plus vieille institution de Rome et la seule encore capable de contester son autorité. Avec Alix, il y a fait entrer à la fois un héros dont l’exemplarité contribuera au prestige de l’assemblée et un proche qui appuiera ses décisions et l’aidera à éliminer les dernières résistances. A priori, Alix n’a rien pour devenir sénateur de Rome. A la fin de la République, en 46 av. J.-C., César a ouvert l’assemblée à des hommes aux origines sociales de plus en plus variées. Des fils de simples
Le Dernier Pharaon (p. 3)
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CASTERMAN - DR
L’AUTEURE Valérie Mangin est une scénariste de BD formée à l’École des chartes. Ses récits, allant du péplum à la science-fiction en passant par le polar et le conte fantastique, mêlent aventure et grands jeux historiques, politiques et culturels. Depuis 2012, elle est la scénariste d’Alix Senator, dont le 6e tome, La Montagne des morts, vient de paraître chez Casterman.
s’est en effet doté des moyens de contourner les règles officielles. Il peut, de manière unilatérale, accorder à un citoyen la possibilité de se porter candidat à la questure. Mieux, il peut décréter que son nom sera inscrit sur l’album senatorium, la liste des sénateurs : c’est l’adlectio. Quelques restrictions demeurent pourtant : ce citoyen doit être né libre et ne doit pas avoir exercé certaines professions (prostitution, gladiature) ni avoir été condamné à une peine infamante. Alix est tranquille de ce côté. En revanche, même si son père Honorus Galla l’a mis à l’abri du besoin, il ne remplit pas la dernière condition : posséder une fortune de l’ordre du million de sesterces. L’empereur, en même temps qu’il fait de lui un sénateur, lui donne certainement l’argent qui lui manque, renforçant encore son lien de subordination. Par la suite, Alix se doit de conserver intacte cette fortune : faire faillite est toujours un motif de destitution du Sénat – tout comme être convaincu de corruption ou condamné en justice. Il est également interdit aux sénateurs d’exercer certaines activités lucratives, comme la banque ou le grand commerce. Toutes les infractions ne sont sans doute pas sanctionnées, mais Alix, dont l’honnêteté n’est plus à démontrer, respecte les règles et se contente de posséder de grandes villas agricoles, comme la plupart de ses collègues. Aucun, en tout cas, ne reçoit d’émoluments en raison de sa fonction sénatoriale. Être sénateur est une dignitas qui confère essentiellement un grand prestige personnel ainsi que quelques privilèges, comme
Un candidat au Sénat doit être né libre, être fortuné et ne pas avoir été condamné à une peine infamante porter la toge prétexte à laticlave (large bande de pourpre), ou avoir une place réservée au théâtre et dans les cérémonies publiques.
L’autorité d’un père Si Alix ne perd pas la faveur impériale, il demeurera sénateur toute sa vie. Mieux, grâce à lui, ses fils auront toute légitimité pour devenir magistrats et venir siéger à leur tour sur les bancs de la curie. Si Khephren, le fils d’Enak qu’il a élevé, castré lors de sa malheureuse incursion dans le temple de Cybèle de Pessinonte, ne peut plus être citoyen romain, son propre fils Titus, en revanche, a tout pour devenir un grand aristocrate et accéder au faîte des honneurs. En attendant, Auguste attend d’Alix qu’il continue à le servir comme il l’a toujours fait. Certes, en théorie, le Sénat voit son champ d’action s’accroître avec le passage de la République à l’Empire. Mais, dans les faits, il devient subordonné à cet empereur auquel il a lui-même conféré tous ses pouvoirs. Formellement, rien n’a changé depuis la République. L’empereur convoque le Sénat deux fois par mois lors des calendes, le premier L’HISTOIRE / HORS-SÉRIE