La chute de Robespierre : 9 thermidor an II

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Sommaire

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ACTUALITÉS

DOSSIER

L’ÉDITO

3 Coup d’État

FORUM Vous nous écrivez 4 La France, l’identité et l’historien

ON VA EN PARLER

Exclusif 6 Le Maitron à la Sorbonne

ÉVÉNEMENT

Commémoration 1 2 M utineries de 1917 :

sortir des idées reçues Entretien avec Antoine Prost

ACTUALITÉ A propos du livre de Jean-Claude Michéa 20 « Nous sommes ceux d’en bas »

Robespierre

A rchéologie

22 Henri Seyrig ou

l’amour de la Syrie Par Emmanuelle Loyer

D ébat 24 Accords d’Évian :

les Français ont-ils été dupés ? Par Guy Pervillé

34 9 Thermidor. Chronique d’un coup d’État

Infographies : le rapport des forces, la galaxie Robespierre, l’effondrement des bastions robespierristes Chronologie

et Sylvie Thénault

PORTRAIT Michaëlle Jean 2 8 Francophone globale

Fleurus,

Avril-juillet 1794. Avait-il vraiment perdu la confiance du peuple ? 46

FEUILLETON

Par Michel Winock

COUVERTURE : La Séance du 9 thermidor de l’an II, huile sur toile de Raymond Quinsac Monvoisin (détail), 1837, Vizille (Isère), musée de la Révolution française (Christie’s/Artothek/La Collection). RETROUVEZ PAGE 96 les Privilèges abonnés ABONNEZ-VOUS PAGE 95 Ce numéro comporte quatre encarts jetés : Le Journal du dimanche (sélection d’abonnés) ; L’Histoire (deux encarts kiosques France et étranger, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).

L’HISTOIRE / N°433 / MARS 2017

la victoire de trop ?

Par Thibaut Poirot

Par Sylvain Venayre

La présidentielle 3 0 Les familles s’invitent

Par Jean-Clément Martin

Par Hervé Leuwers

La mort de Danton : le tournant ? Colin Jones : « une victoire du peuple de Paris »

XIXe-XXIe siècle. Légende dorée, légende noire 52

Par Marc Belissa et Yannick Bosc

La

figure du mal

Par Guillaume Mazeau

58

Vu d’Angleterre Par Colin Jones

VINCENNES, MUSÉE DE L A GUERRE ; ARCHIVES SNARK/PHOTO12 – PARIS, MUSÉE CARNAVALET/ROGER-VIOLLET

32 La chute de

Par Michel Winock


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L’ATELIER DES CHERCHEURS

GUIDE LIVRES

78 « Sauvagerie et civilisation.

Une histoire politique de Victor de l’Aveyron » de Jean-Luc Chappey Par Yann Potin

80 La sélection de « L’Histoire » Bande dessinée

8 4 « Pline » de Mari Yamazaki

et Tori Miki Par Pascal Ory

Classique 85 « La Fabrique des héros »

60 Jeux mathématiques à la cour de

Charlemagne Par Vanina Kopp

dirigé par Daniel Fabre Par François Gasnault

Revues 86 La sélection de « L’Histoire » SORTIES Expositions

8 8 Vermeer et les maîtres

MUNICH, BSB CLM 19437 FOLIO 19V – ALVARO YBARRA ZAVAL A/GETT Y IMAGES – OSLO, NASJONALMUSEET ; AKG

de la peinture de genre au Louvre Par Matthieu Lahaye

90 Modes et femmes, 14-18 à la bibliothèque Forney à Paris Par Manuel Charpy Les pompiers de Paris à l’Hôtel de Ville Par Didier Sapaut Cinéma 92 « Les Oubliés »

66 L es Farc : cinquante ans de guérilla

en Colombie Par Édouard Vernon

de Martin Zandvliet Par Antoine de Baecque

Médias 9 4 « Leone Ginzburg »

de Florence Mauro sur Arte Par Olivier Thomas « Cao Bang » de Bernard George et Jérôme Santelli sur France 5

CARTE BLANCHE

9 8 De Gaulle-Gabin,

duel de légendes Par Pierre Assouline

72 D éfloration. La preuve par l’hymen Par Pauline Mortas

France Culture Vendredi 24 février à 9 h 5 dans « La Fabrique de l’histoire », l’émission d’Emmanuel Laurentin, retrouvez Colin Jones (cf. p. 58) lors de la séquence « La Fabrique mondiale de l’histoire ». En partenariat avec L’Histoire. L’HISTOIRE / N°433 / MARS 2017


La Grogne C ’est le titre de cette gravure sur bois de Léon Ruffe, qui illustre, dans des tons très sombres, la lassitude et le ras-le-bol des hommes durant le conflit.

Tract pacifiste É mouvant dans sa maladresse, il a été écrit par un mutin

en 1917. Il rend également compte des rumeurs qui viennent de l’arrière. Si quelques soldats veulent assurément l’arrêt des combats, d’autres réclament seulement la fin des offensives meurtrières ou de meilleures conditions de vie. L’HISTOIRE / N°433 / MARS 2017

Haïm Kern C ette sculpture d’Haïm Kern a

été inaugurée en 1998 à Craonne en l’honneur de tous les combattants qui n’ont pas trouvé de sépulture. Elle a été volée en 2014. Une nouvelle œuvre du même artiste sera inaugurée le 16 avril.


Événement

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VINCENNES, MUSÉE DE L A GUERRE ; ARCHIVES SNARK/PHOTO12 – TALL ANDIER/RUE DES ARCHIVES – MAURICE SAVAGE/AL AMY/HEMIS – DR

UTINERIES M DE 1917 : SORTIR DES IDÉES REÇUES Le 16 avril sera commémorée la catastrophique offensive du Chemin des Dames. Dans les semaines qui l’ont suivie des mutineries avaient éclaté en nombre, qui ont depuis cinquante ans alimenté les querelles historiennes en même temps que les revendications mémorielles. Quelles en sont les causes ? Que voulaient les mutins ? La répression a-t-elle été particulièrement dure ? La mémoire de l’événement a-t-elle été occultée ? La France est-elle une exception ? La mise au point d’Antoine Prost. Entretien avec Antoine Prost

L’Histoire : On associe 1917 et la bataille du Chemin des Dames aux mutineries. Est-ce vraiment à ce moment qu’elles éclatent ? Antoine Prost : En fait, il existe, tout le long du conflit, de multiples rejets de la guerre, qui prennent des formes variées : retard à revenir de permission, désertion, automutilation, refus d’obéir, quelques fraternisations, la forme la plus simple d’opposition étant de se laisser faire prisonnier. Comme le dit un soldat allemand, capturant des Français dans un abri en 1916 : « Beau jour pour vous ; guerre finie pour vous, camarades, tandis que nous, tous kaput1. » Les soldats ont compris très tôt, notamment après l’échec de l’offensive de Champagne, en

septembre 1915, que le conflit allait durer et qu’ils allaient continuer à s’entre-tuer pour un résultat improbable. Maurice Pensuet, un poilu patriote pourtant, écrit à ses parents, en janvier 1916, que continuer la guerre « c’est faire bousiller au minimum 300 000 ou 400 000 poilus si on veut un résultat »2 et qu’on ne serait pas plus malheureux en signant la paix maintenant que si on la signait, victorieux, dans un an. La Chanson de Craonne, qu’on associe toujours à l’offensive du Chemin des Dames d’avril 1917, était chantée déjà dans les camions en route vers Verdun, en 1916, avec d’autres couplets : « C’est à Verdun, Douaumont ou Vaux, qu’on va laisser sa peau. » Pas besoin d’expliquer ce refus de mourir ! Mais pour qu’il y ait mutinerie, il faut davantage :

un refus collectif d’exécuter un ordre précis. Les mutineries de maijuin 1917 ont retenu l’attention, mais il y en eut d’autres. A Verdun, en mai 1916, deux compagnies épuisées (un peu plus de 200 hommes) ne veulent pas en fin d’après-midi remonter en ligne dans un secteur très dur alors qu’elles viennent d’en descendre difficilement la nuit précédente. Les officiers, jusqu’au général commandant la division, tentent de faire revenir le commandement sur cet ordre qu’ils jugent absurde. En vain. Finalement, ils convainquent les soldats d’obéir. Mais l’affaire s’est ébruitée, et 35 « mutins » sont traduits devant le conseil de guerre de la division, qui ne prononce qu’une condamnation à mort. « On me

L’AUTEUR Antoine Prost est professeur émérite à l’université Paris-I. Il préside le conseil scientifique de la Mission du centenaire. Il a publié récemment avec Gerd Krumeich Verdun, 1916 (Tallandier, 2015).

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Actualité

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Pour Jean-Claude Michéa, le drame du socialisme c’est de s’être compromis avec les partis politiques bourgeois. Il faut retrouver les chemins qui, de Proudhon à Podemos, forgent la conscience des « gens ordinaires ». Une vision historique discutable. Par Michel Winock*

S

’appuyant sur la description des ravages du capitalisme contemporain, Jean-Claude Michéa nous en annonce la crise finale, entamée depuis 2008. D’autres l’ont précédé dans cette prédiction. Les socialistes français, à la fin du xixe siècle, pensaient déjà cette crise finale imminente. Rosa Luxemburg renouvelait le diag nostic au début du xx e  siècle. Entre les deux guerres, l’Internationale communiste analysait le fascisme

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comme la défense suprême d’un capitalisme aux abois. Selon l’auteur, la fin du système fut évitée provisoirement par le néocapitalisme « fordiste-keynésien », faisant des producteurs salariés ce que Marx n’avait pas prévu : des consommateurs. Mais, depuis les années 1970, cette bouée de sauvetage s’est crevée, « le mouvement sans fin de la croissance mondialisée » se révèle une course suicidaire. Sur cette fatalité établie, Jean-Claude Michéa en appelle au renouveau

socialiste qui saura dépasser le dilemme « entre barbarie totalitaire et capitalisme libéral ». Quel est le modèle ? Le mouvement espagnol Podemos en Espagne le profile, qui a su proclamer : « Nous ne sommes ni de gauche ni de droite, nous sommes ceux d’en bas contre ceux d’en haut. » Le socialisme n’est pas « de gauche », il est anticapitaliste. L’auteur cite Marx à tour de plume, mais Proudhon est son modèle – celui qui incarne le socialisme d’en bas (par les

MINISTÈRE DE L A CULTURE-MÉDIATHÈQUE DU PATRIMOINE, DIST. RMN-GP/ATELIER DE NADAR – GÉRARD JULIEN/AFP

« Nous sommes ceux d’en bas »


/ 2 1 ouvriers eux-mêmes) contre le socialisme d’en haut (par le parti et par l’État). « Si l’on garde présente à l’esprit l’existence de ces deux traditions – celle de Marx et celle de Proudhon – il devrait donc être clair que l’effondrement, en lui-même inévitable et salutaire, de ce que Orwell appelait le “mythe soviétique” n’implique aucunement, d’un strict point de vue philosophique, celui du socialisme d’en bas. » Profession de foi qui nous vaut un bel éloge de Proudhon et de son influence sur le mouvement ouvrier et socialiste français, longtemps minimisée et calomniée par les staliniens. Proudhon reste une référence parce qu’il a été la grande voix du socialisme « par le bas », échappant à la corruption bourgeoise et parlementaire.

HANNAH ASSOULINE/OPALE/LEEMAGE

La faute à Jaurès

La lecture historique du socialisme de Michéa, cependant, est sujette à caution. A ses yeux, le drame du socialisme français aurait été d’avoir fusionné avec la gauche républicaine. Le coupable ? Jaurès ! Le moment ? L’affaire Dreyfus ! Reprenant la critique des guesdistes et des marxistes allemands de l’époque, Jean-Claude Michéa reproche à Jaurès d’avoir engagé le socialisme dans une alliance avec les républicains libéraux sous prétexte de défendre un officier qui faisait l’objet d’une guerre civile bourgeoise. A cette accusation, deux ­objections. La première porte sur les rapports entre socialisme et république. S’il est vrai que les premiers socialistes français, qu’on appelle « utopiques », ne se disaient nullement républicains, socialisme et républicanisme se sont associés vers le milieu du xixe siècle. Dans sa thèse sur Les Ouvriers de la région lyonnaise, 1848-1914, Yves Lequin nous a montré que ces ouvriers ont été le « fond » du parti républicain dès le Second Empire. Ils y côtoient les représentants des couches moyennes, avocats, notaires, petits commerçants, de sorte que « l’expression politique

de la classe ouvrière déborde ses propres limites, s’intègre dans un mouvement dont la base sociale est beaucoup plus large, se noie dans un “parti républicain” où beaucoup d’autres se reconnaissent et où elle-même perd en partie son identité ». L’idée d’un prolétariat séparé et unifié par une claire conscience de classe, voulue par le Parti ouvrier de Jules Guesde, n’a jamais vraiment eu d’application réelle. A Paris, cette alliance entre ouvriers socialistes et républicains de gauche s’est manifestée à maintes reprises bien avant l’affaire Dreyfus. La Commune de Paris, la composition de sa Garde nationale, la volonté de sa minorité internationaliste de faire proclamer la république « comme gouvernement légal » (Eugène Varlin), autant de preuves de cette mixité sociale. Entre les minoritaires de l’Internationale ouvrière et la majorité jacobino-blanquiste, il y eut bien des heurts, menaces de sécession. Il reste qu’ils ont combattu ensemble et péri ensemble contre les versaillais – eux-mêmes composés de monarchistes et de républicains « modérés ». Avant l’affaire Dreyfus, le boulangisme provoqua l’alliance des socialistes les plus nombreux et des républicains de gauche, malgré l’opposition des guesdistes. Et Jules Guesde lui-même, en lançant son parti dans la compétition électorale, franchissait un premier pas vers l’intégration dans la République. Il en deviendra un ministre avec l’Union sacrée en 1915. Car lui aussi jugeait comme ses camarades que défendre la France, c’était défendre la république, sanctuaire de l’espérance révolutionnaire. Il est vrai que la SFIO s’était constituée en 1905 sur la base de la lutte des classes et le refus de participer à tout gouvernement bourgeois : « Le Parti socialiste est un parti de classe qui a pour but de socialiser les moyens de production et d’échange, c’està-dire de transformer la société capitaliste en société collectiviste ou communiste et pour moyen

Retour à Proudhon

Jean-Claude Michéa (ci-dessus) a fait de Proudhon (page de gauche, à gauche) son modèle. Page de gauche, à droite : manifestation de Podemos à Madrid en juin 2016.

l’organisation économique et politique du prolétariat. » Pourtant, et ce sera ma seconde objection, l’attachement à la république restait profond. Sous l’antipatriotisme, cultivé par certaines formations socialistes et anarchistes, perçait la volonté de défense nationale : « On nous traite de “sans-patrie”, déclarait Avez, député allemaniste, parce qu’entre les peuples nous ne voyons pas de frontières ; néanmoins, si le territoire français était envahi, nous serions les premiers à défendre le pays qui a vu naître les principes de la Révolution, du progrès et de la civilisation. » Jaurès, apparemment, n’était pas seul à se fourvoyer. Le socialisme français est sorti du creuset de 1789, de « la république nous appelle », c’est son originalité. La responsabilité de Jaurès aura été d’avoir incarné et professé ce socialisme républicain. C’est ce que Kautsky et les sociaux-démocrates allemands marxistes ne comprenaient pas : Bebel, face à Jaurès,

Le drame du socialisme français aurait été d’avoir fusionné avec la gauche républicaine. Le moment ? L’affaire Dreyfus !

J.-C. Michéa,

Notre ennemi, le capital, Flammarion, « Climats », 2017.

déclare au congrès d’Amsterdam de 1904 que la république est peut-être préférable au Reich, mais « nous ne nous ferons cependant pas casser la tête pour elle ». Ces marxistes purs et durs n’ont pu empêcher l’évolution de leur social-démocratie vers le « révisionnisme », une social-­démocratie libérale qui n’hésite plus à participer à une « grande coalition » avec Angela Merkel. Si la gauche française d’aujourd’hui est malade d’avoir renoncé au socialisme, selon Jean-Claude Michéa, il faudra chercher une autre explication que cette « faute à Jaurès » et à l’affaire Dreyfus. n * Professeur émérite à Sciences Po L’HISTOIRE / N°433 / MARS 2017


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DOSSIER

L a chute de Robespierre

9 Thermidor

Chronique d’un coup d’État Le 27 juillet 1794, accusé de tyrannie, Robespierre est arrêté par la Convention et guillotiné dès le lendemain. La chute de l’ancienne idole de la Révolution a fait couler beaucoup d’encre. Que sait-on exactement des derniers jours de l’Incorruptible ?

L’AUTEUR Professeur émérite de l’université Paris-I-PanthéonSorbonne, ancien directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française (IHRF), JeanClément Martin a notamment publié Robespierre. La fabrication d’un monstre (Perrin, 2016).

L’HISTOIRE / N°433 / MARS 2017

P

armi les journées qui ont fait la France, le 9 thermidor an II (27 juillet 1794) occupe une place singulière. Souvent ramenée à deux formules choc – « chute de Robespierre » et « fin de la Terreur » –, elle sert à marquer la fin de la Révolution française. Ligne de partage des eaux, elle est exclue de la série des grandes « journées révolutionnaires » qui virent intervenir le peuple (à l’assaut de la Bastille le 14 juillet 1789 ou des Tuileries le 10 août 1792). Elle apparaît plutôt comme un règlement de comptes entre factions (comme lorsque le 2 juin 1793 les Girondins furent éliminés par les Montagnards). La vulgate en est bien établie : ce jour-là, une coalition de révolutionnaires, opposée à la toutepuissance de Robespierre, élimine le tyran et met un terme à la Terreur qu’il avait incarnée. Sous l’épaisseur des mythologies, des inventions et des interprétations, l’examen des faits raconte une autre histoire : celle d’une crise de gouvernement, un coup d’État préventif, exécuté dans une grande improvisation par d’anciens collègues de Robespierre qui, par un tour de passe-passe réussi, ont fait oublier leurs propres responsabilités. Le film des événements débute le 8 thermidor an II (26 juillet 1794), à 10 heures. Après trois semaines d’absence à la Convention, Robespierre vient y prononcer un long discours d’environ

deux heures. Commençant par se présenter comme un « martyr vivant de la République », antienne bien connue, il exhorte ensuite le « peuple » à se rappeler que, « si dans la République, la justice ne règne pas avec un empire absolu, la liberté n’est qu’un vain mot ». Il conclut en appelant à se débarrasser d’une « ligue de fripons ». Il parle d’« hommes corrompus » sans les nommer, tout en dénonçant les responsables d’une « fiscalité dévorante », en premier lieu Cambon, le tout-puissant chef du Comité des finances. A l’initiative de Couthon, un proche de Robespierre, l’Assemblée vote la publication de son discours. Mais Cambon explose : « Avant d’être déshonoré, je parlerai à la France » et, pour sa défense, il accuse Robespierre de « paralyser la volonté de la Convention » et d’« être presque tout ». Ce qui suit est inattendu : Robespierre bat en retraite, assurant ne pas se « mêler » des finances. Il refuse également de nommer les corrompus à Billaud-Varenne qui l’exige. Malgré le vote de la Convention, le discours ne sera pas imprimé ! Ce qui pourrait n’être qu’un incident sans importance signale, dans le monde si normé de la Convention, qu’une lutte entre révolutionnaires est engagée. La preuve en est donnée le soir même. Devant le club des Jacobins, Robespierre énonce le même discours. La salle l’acclame et conspue Billaud-Varenne et Collot d’Herbois, également présents dans la salle, et ouvertement opposés à lui depuis l’été. Dumas, le président du Tribunal

HANNAH ASSOULINE/OPALE/LEEMAGE

Par Jean-Clément Martin


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révolutionnaire, menace même les deux hommes, criant qu’il les verra demain pour les juger tandis que les slogans « A la guillotine ! » retentissent. Toute conciliation est devenue impossible.

MUSÉE L A PISCINE (ROUBAIX), DIST. RMN-GP/AL AIN LEPRINCE – BNF

Une machination La nuit du 8 thermidor est employée par les députés de gauche les plus hostiles à Robespierre, Tallien, Fouché et des membres du Comité de sûreté générale, comme Vadier, à chercher des alliés, tandis que Cambon rédige ces mots devenus célèbres : « Demain, de Robespierre ou de moi, l’un des deux sera mort. » Au Comité de salut public, Saint-Just écrit, sous la surveillance de Barère, de Carnot et de BillaudVarenne, un texte de réconciliation pour la séance du lendemain à la Convention. Mais, à peine at-il quitté la salle que Carnot et Barère enlèvent, au nom du Comité de salut public, le commandement de la Garde nationale de Paris au général Hanriot, et déchoient de son poste Philippe Le Bas, le directeur adjoint de l’École de Mars, tous deux proches de Robespierre. Puis, ils dressent la liste de ceux qui seront admis dans les tribunes de la Convention quelques heures plus tard.

La nuit

Ci-dessus : médaillon figurant Robespierre (au premier plan), Pétion et Roederer en « triumvirat patriote » (1791-1793). En haut : à l’Hôtel de Ville, dans la nuit du 9 au 10 thermidor, Robespierre, assis à droite, et ses soutiens sont avertis de l’arrivée des gardes nationaux (tableau de Jean-Joseph Weerts, 1897).

Inutile de tout savoir de la Révolution pour saisir qu’une tragédie se prépare. Présentons les principaux acteurs. Au soir du 8 thermidor, c’est une manœuvre qui est montée contre Robespierre par un groupe composite, connu par la suite sous le nom de « thermidoriens ». On y trouve des députés accusés par Robespierre d’avoir exercé des violences inutiles lorsqu’ils ont été envoyés par la Convention en mission dans les départements : Barras, Tallien, Carrier ou Fouché. Mais aussi des membres des deux Comités qui gouvernent depuis 1793, le Comité de salut public et celui de sûreté générale, qu’ils soient classés à « droite » comme Vadier ou Carnot, ou à « gauche » comme BillaudVarenne et Collot d’Herbois. Leur point commun ? Ils craignent tous Robespierre depuis l’été 1794. Comment en est-on arrivé là ? Élu député aux états généraux en 1789 par le tiers état de l’Artois, Maximilien de Robespierre prend part d’emblée au mouvement de contestation de la monarchie. Cet avocat de 31 ans est le 45e signataire du serment du Jeu de paume, le 20 juin, qui voit les députés du tiers état jurer de ne pas se séparer avant d’avoir rédigé une Constitution. Les positions qu’il prend L’HISTOIRE / N°433 / MARS 2017


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L’Atelier des

CHERCHEURS n Jeux mathématiques à la cour de Charlemagne p. 60 n F arc : cinquante ans de guérilla en Colombie p. 66 n Défloration, la preuve par l’hymen p. 72

Jeux mathématiques à la cour de Charlemagne Portée par de grands savants, la cour de Charlemagne s’enthousiasme pour des jeux mathématiques, des énigmes et des joutes oratoires en partie hérités de l’Antiquité. Dans ce temps effervescent, l’enseignement se fait de manière ludique.

V L’AUTEUR Vanina Kopp est chargée de recherche à l’Institut historique allemand de Paris. Elle y dirige le groupe d’études « Jeux et compétitions dans la sociabilité médiévale ». Elle va publier, avec Francesca Aceto, Jeux éducatifs et savoirs ludiques dans l’Europe médiévale, Ludica, vol. 21/22, à paraître, 2017. L’HISTOIRE / N°433 / MARS 2017

ous devez traverser un fleuve. Cependant, votre barque ne peut porter qu’une personne et un animal ou un ­objet, et vous avez avec vous un loup, une chèvre et un chou. Combien de fois devez-vous traverser le fleuve et comment devez-vous charger la barque, sachant que certaines paires ne doivent en aucun cas rester seules ensemble sur la rive, car le loup mangerait la chèvre et la chèvre le chou… Cette devinette bien connue (réponse p. 62) date du début du Moyen Age ! Attribuée au poète et savant proche de Charlemagne Alcuin de York, elle aurait été soumise par lettre, avec 55 autres problèmes du même style, à l’empereur en l’an 800. La cour impériale était alors hautement friande de mathématiques récréatives et d’énigmes. A côté des activités physiques (comme la chasse) et guerrières, ces loisirs alliant connaissance des chiffres et des lettres ainsi qu’un certain esprit joueur n’étaient pas l’apanage des seuls hommes d’Église – Alcuin était abbé de Saint-Martin de Tours. C’était un véritable art, pratiqué et partagé à des degrés différents par

une large partie de la Cour, hommes et femmes confondus. En outre, l’enseignement ludique était l’un des vecteurs préférés pour l’apprentissage, la communication et la diffusion du savoir à la cour de Charlemagne. Si Charlemagne n’a peut-être pas, comme le veut le folklore, inventé l’école, son règne expansionniste et la réorganisation du clergé ont contribué à un regain de la vie culturelle et

Décryptage Pour se rapprocher au plus près de l’utilisation des jeux mathématiques et littéraires à l’époque médiévale, où ils formaient un seul ensemble, Vanina Kopp les aborde comme un « fait social total ». Elle a fondé ses travaux sur les écrits latins d’Alcuin, un clerc savant proche de Charlemagne, de nature très diverse : collections de mathématiques récréatives, correspondance avec l’empereur, dialogues littéraires, etc.

DR – VIENNE, OSTERREICHISCHE NATIONALBIBLIOTHEK ; DEAGOSTINI/LEEMAGE

Par Vanina Kopp


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Les maîtres et le savoir Alcuin (ci-dessus, au centre, accompagnant Raban Maur, miniature du ixe siècle) est né vers 730 dans le nord de l’Angleterre ; il y baigne dans un milieu anglo-irlandais à la pointe du savoir, notamment autour de Bède le Vénérable (mort vers 735). A l’école de la cathédrale d’York, il donne rapidement la preuve de son talent – il en prend les rênes en 778. Le hasard le mène à Rome en même temps que Charlemagne, en 781. L’empereur se met alors en quatre pour le débaucher. A la Cour, il devient un véritable homme à tout faire et y anime une vie intellectuelle remarquable.

L’HISTOIRE / N°433 / MARS 2017


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