Les monde de l'Inde

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M 01842 - 437 - F: 7,90 E - RD


Sommaire

4 /

GUIDE CULTUREL

SPÉCIAL

115 Les 40 plus belles

expositions historiques de l’été

n Ile-de-France p . 116

Les mondes de l’Inde Prologue

n . 134 Étranger p

L’HISTOIRE / N°437-438 / JUILLET-AOÛT 2017

6 La mousson, l’eau et le riz Entretien avec Sunil Amrith Carte : un État-continent

12 Chronologie : 5 000 ans d’histoire

COUVERTURE : Portrait peint du maharaja Ram Singh II (1835-1880), City Palace Museum de Jaipur, Rajasthan. Souverain moderne et réformateur, il fut un photographe pionnier en Inde et le premier maharaja de Jaipur à s’être rendu à Londres pour rencontrer la reine Victoria en 1866 (Christophe Boisvieux/Age Fotostock).

ABONNEZ-VOUS PAGE 91 e numéro comporte deux encarts abonnement C L’Histoire sur les exemplaires kiosque France et étranger, hors Belgique et Suisse, un encart abonnement Edigroup sur les exemplaires kiosque Belgique et Suisse et un encart VPC montre chrono choco sur les exemplaires abonnés.

MUSÉE DE L’ERMITAGE, SAINT-PÉTERSBOURG 2017 – CAEN, MUSÉE DES BEAUX-ARTS – NEW YORK, THE HISPANIC SOCIET Y OF AMERICA – CHRISTOPHE BOISVIEUX/AGE FOTOSTOCK

n Régions p. 124


/ 5

14 Matrice

d’un monde

16 Bouddhisme. Nul n’est prophète en son pays Entretien avec Éric Meyer Épopées : le triomphe des brahmanes Carte : indien ou asiatique ? 24 Maurya, Kouchans, Gupta.

UNIVERSAL HISTORY ARCHIVE/UIG/GETT Y IMAGES – ADOC-PHOTOS – RUPAK DE CHOWDHURI/REUTERS

Brève histoire des empires Par Gérard Fussman Des empires à géométrie variable

30 Comment le sanskrit

a « conquis » l’Asie Par Emmanuel Francis De la langue des prêtres à la langue des rois Carte : naissance d’une aire culturelle

36 L’art de gouverner chez les Moghols Par Corinne Lefèvre

42 Océan Indien.

Un cœur du monde Entretien avec Sanjay Subrahmanyam

« Subaltern Studies » :

52 La route

des Indes

54 Transfert technologique. Les « indiennes » débarquent Par Claude Markovits La robe de chambre de Samuel Pepys Espionnage industriel Graphique : à la conquête du marché européen 60 La grande peur des cipayes Par Crispin Bates Marx n’avait pas tout compris ! Par Claude Markovits Chronologie : une difficile conquête 66 L’Inde a-t-elle été

vraiment colonisée ? Par Pierre Singaravélou

74 Face aux eunuques,

les Anglais paniquent Par Daphné Budasz

76 Diaspora. Greater India Par Pierre Singaravélou Amitav Ghosh : la trilogie de la migration

décoloniser l’histoire Par Jacques Pouchepadass Carte : des marchands, des épices et des idées

112 Lexique 1 14 Pour en savoir plus

82 La puissance

émergente

84 Ambedkar ou la démocratie au péril des castes Par Christophe Jaffrelot Les Britanniques ont-ils instrumentalisé les castes ? Par Christophe Z. Guilmoto 1947, le moment Nehru Modi, le nationalisme et les vaches 92 Mort sociale à l’indienne Par Zoé E. Headley 94 350 000 ingénieurs par an Par Vanessa Caru Kapil Raj : au carrefour des sciences 98 Démographie. Où sont passées les femmes ? Par Christophe Z. Guilmoto 100 « Une puissance émergente en trompe l’œil » Entretien avec Jean Drèze Pas si mal partie ? Par Jean-Joseph Boillot Le pays en chiffres 106 Géopolitique. Face à la Chine Par Frédéric Grare Puissance bienveillante Par Jean-Luc Racine Carte : le combat des géants Inde-Pakistan, en quatre guerres L’HISTOIRE / N°437-438 / JUILLET-AOÛT 2017


6 /

SPÉCIAL

L es mondes de l’Inde

La mousson, l’eau et le riz Avec des pluies parmi les plus concentrées et les plus imprévisibles au monde et le spectre persistant de la famine, la gestion de l’eau est au cœur de l’histoire indienne. Une histoire où se mêlent traditions et apports britanniques, et qui continue de s’écrire aujourd’hui. Entretien avec Sunil Amrith

L’HISTOIRE / N°437-438 / JUILLET-AOÛT 2017

du Bengale, l’Indus dans la mer d’Oman. A quoi s’ajoutent des fleuves non himalayens importants : la Mahanadi, la Godavari, la Krishna et le Kaveri, qui traversent la péninsule indienne d’ouest en est et dont les embouchures scandent du nord au sud le littoral oriental. Quelle influence cette donnée hydrique a-t-elle exercée sur l’organisation des sociétés agricoles indiennes ? La répartition des cultures indiennes, avant la mise en place d’imposants systèmes d’irrigation à partir du xixe siècle, reflète fidèlement la carte des précipitations. La riziculture est concentrée dans les zones orientales les plus humides ; dans les régions du nord-ouest, plus sèches, c’est la culture du blé qui prédomine. Cette géographie céréalière se traduit toujours dans l’alimentation : c’est surtout dans l’est et le sud du pays qu’on consomme du riz. Quant au rythme de l’activité agricole, il est dicté par la saisonnalité des précipitations. On distingue ainsi les cultures de kharif (mot arabe qui signifie « automne ») et de rabi (« printemps »). Les premières (riz, coton et maïs) sont semées au début de la mousson (fin mai et juin), et récoltées en septembre ou octobre. Les secondes (blé, orge et légumineuses) sont semées en octobre-novembre et récoltées au printemps. Il existe dans certains endroits une troisième saison culturale, très courte, de légumineuses et de fruits (concombre et canne à sucre), appelée zayd (« abondance »), qui s’intercale entre les

DR

L’AUTEUR Professeur d’études sud-asiatiques à l’université de Harvard, Sunil Amrith s’est spécialisé dans l’histoire sanitaire et environnementale de la région. Il a publié Crossing the Bay of Bengal. The Furies of Nature and the Fortunes of the Migrants (Harvard University Press, 2013) et prépare un livre sur l’eau en Inde (à paraître en 2018 chez Allen Lane).

L’Histoire : Quelle place l’eau occupe-t-elle dans la géographie de l’Inde ? Sunil Amrith : L’Inde couvre un vaste territoire, d’autant plus vaste avant 1947 qu’il intègre le Pakistan et le Bangladesh actuels. Il y existe donc une forte diversité de situations hydriques. Le pays compte des régions aussi bien parmi les plus arides que parmi les plus arrosées de la planète. Le contraste est d’ailleurs saisissant parce que zones sèches et zones humides ne sont souvent pas très éloignées. Elles se côtoient même parfois. C’est le cas dans le sud-ouest, où la chaîne côtière des Ghats occidentaux forme une barrière qui retient les masses d’air océanique : la bande littorale reçoit d’énormes quantités d’eau mais, aussitôt franchie la ligne de crête, débute la zone sèche du plateau du Deccan. La démarcation entre ces deux espaces renvoie historiquement à deux types de sociétés : l’une qui regarde vers l’Asie centrale, et l’autre qui s’ouvre sur l’océan Indien et commerce avec le grand large. L’Inde est un pays de mousson, caractérisé par l’extrême concentration de ses pluies dans le temps : jusqu’à 80 % des précipitations annuelles peuvent tomber en 100 heures seulement, entre les mois de juin et de septembre. C’est l’endroit du monde où la saisonnalité des pluies est la plus marquée, plus encore que dans le reste de l’Asie des moussons. Le sous-continent se distingue enfin par ses grands fleuves qui prennent leur source dans le château d’eau himalayen : le Gange et le Brahmapoutre se jettent dans le nord du golfe


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Îles Nicobar

L’eau Mousson d’été (mai à octobre) Barrage

5

Un État-continent Couvrant une superficie de presque 3,3 millions de km2, l’Inde compte aussi bien des régions humides (littoral du Kerala) que des régions sèches (Rajasthan ou Gujarat). Dans ce pays de mousson, la saisonnalité des précipitations est très marquée. La culture du riz, gourmande en eau, est présente dans l’est du pays, celle du blé, qui l’est beaucoup moins, dans les États du Nord et la plaine gangétique. Les grands fleuves himalayens et ceux du plateau central du Deccan ont permis depuis des siècles d’irriguer les sols.

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SPÉCIAL

L es mondes de l’Inde

Océan Indien

Un cœur du monde La « mer verte » qui sépare la côte africaine de l’Indonésie est au xve siècle l’océan le plus fréquenté du globe. Dans cet espace où nul ne commande vraiment, les Indiens, contrairement à une légende tenace, sont bien présents.

La mer verte R éalisée au Maghreb dans la deuxième moitié du xvie siècle, cette carte arabe (l’est est en haut) représente

l’océan Indien, divisé par le cartographe en plusieurs mers : mer d’Al-Qulzum en bas (notre mer Rouge), puis mer de Perse, mer d’Inde et mer de Chine en haut. Même s’il n’est jamais un lac musulman, ce sont souvent au Moyen Age les marins arabes qui sillonnent l’océan Indien et en relient les contrées. L’HISTOIRE / N°437-438 / JUILLET-AOÛT 2017

OXFORD, BODLEIAN LIBRARY, L AUD. OR. 317 FOL. 10V-11R

Entretien avec Sanjay Subrahmanyam


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: RAPHAËL GAILL ARDE/GAMMA-RAPHO

L’Histoire : Vos ouvrages attirent notre attention sur le fait que l’océan Indien était un des cœurs les plus actifs des échanges de la planète à la fin du Moyen Age. Qu’est-ce que cet océan Indien ? Sanjay Subrahmanyam : Pour le dire simplement, c’est l’océan qui va de la côte africaine jusqu’à l’Australie, même s’il y a des différends autour de ses limites orientales, à propos notamment des mers de Chine. Des historiens comme Kirti N. Chaudhuri1 ont voulu pousser la comparaison entre l’océan Indien et la Méditerranée, à la manière de Braudel. A mon avis, c’est une fausse piste. La Méditerranée est un monde extrêmement cohérent, une mer presque fermée, sauf par les Dardanelles et Gibraltar. Il me semble assez pertinent de la comparer avec la mer Baltique, voire avec les mers de l’Asie du Sud-Est entre la Chine et l’Indonésie. Mais l’océan Indien est un espace vaste, très peu défini, sans fermetures et sans cohérence, ni physique, ni historique. Le seul plan sur lequel la comparaison peut se justifier est celui des échanges, mais en faisant attention à la question des échelles. Ceux qui relient l’Italie, le Levant et l’Égypte au xve siècle sont comparables, par leur densité et leur rapidité, à ceux qui connectent à la même époque quelques régions de l’océan Indien, comme le golfe du Bengale, mais pas l’océan tout entier. Comment cela a-t-il commencé ? Les espaces d’échanges varient au fil du temps. Les débuts du commerce dans l’océan Indien sont difficiles à retracer. A l’époque de la civilisation de l’Indus, c’est-à-dire au IIIe millénaire av. J.-C., il y avait peut-être déjà des rapports entre le Gujarat et la Mésopotamie. Les archéologues ont ainsi trouvé des objets travaillés et des pierres semiprécieuses qui semblent indiquer des échanges terrestres, mais aussi maritimes, entre les deux régions. Mais, à part cela, on ne sait pas vraiment ce qui était échangé, ni avec quelle intensité, ni quels bateaux étaient utilisés. Déplaçons-nous de plusieurs millénaires, et les centres de gravité ne sont plus les mêmes. L’océan Indien qu’a étudié Éric Vallet2, n’est pas, au xiie siècle, celui du xixe. Si l’on se concentre sur l’âge d’or de l’Islam, des débuts du califat jusqu’à la fin des Abbassides (viie siècle-1258), le centre de gravité de l’océan Indien se situe entre le golfe Persique, la mer Rouge et l’Inde. Ces échanges commencent dès le viiie siècle quand les musulmans s’établissent dans le Sind, puis progressivement sur la côte occidentale de l’Inde. Ils deviennent plus importants encore avec la conquête de l’Inde du Nord par les musulmans et l’installation du sultanat de Delhi à partir du xiiie siècle (cf. p.26). Cette période correspond aussi aux débuts de l’islam en Indonésie occidentale, qui étendent les circuits de commerce musulmans.

Les musulmans jouent donc, à partir du siècle, un rôle majeur dans le commerce de l’océan Indien. Peut-on pour autant parler d’un lac musulman ? Il faut faire très attention avec ce genre d’affirmations. Les historiens sont toujours tributaires de leurs sources, mais cela ne veut pas dire que seuls les gens qui ont laissé des documents ont fait des choses. Pour le xiie siècle, on sait qu’il existait au moins deux circuits commerciaux, car on dispose de deux massifs imposants d’archives. On connaît d’une part le commerce musulman grâce à des sources narratives comme des chroniques et à des documents retrouvés dans des ports tels que Qusayr, dans la mer Rouge. D’autre part, on a la chance, à cette époque, d’avoir la Gueniza du Caire, un dépôt d’environ 200 000 manuscrits, grâce auquel on en apprend beaucoup sur les Juifs, et même sans doute trop par rapport à leur importance réelle. Il y avait aussi des marchands indiens, mais on détient peu de sources sur eux, excepté les descriptions des géographes et voyageurs arabes comme Al-Masudi (fin du ixe siècle-956) ou Ibn Battuta (1304-1377). Du côté indien, on a quelques sources fragmentaires, comme des inscriptions sur pierre, dans des temples et des monastères. Et, aux xiiie et xive siècles, on peut ajouter le récit de Marco Polo : sur le trajet de son retour, par l’Indonésie puis la côte indienne, il rencontre des marchands indiens, notamment en Inde du Sud et dans le Gujarat, et ne donne pas du tout l’impression que le commerce est monopolisé par les musulmans et les Juifs. Cet exemple doit également attirer notre attention sur le fait que, même avant l’arrivée de Vasco de Gama, les Européens sont présents dans l’océan Indien. L’Europe médiévale y connaît d’ailleurs ses premiers martyrs dès le xive siècle : des Italiens massacrés près de Bombay. Enfin, il y a des marchands chinois en Inde dès le xiiie-xive siècle, même s’ils sont peu nombreux. Cette présence voit un pic pendant ce moment énigmatique du xve siècle que sont les expéditions de l’amiral chinois Zheng He qui durent à peu près trente ans3. viiie

L’AUTEUR Professeur à l’université de Californie à Los Angeles et au Collège de France, Sanjay Subrahmanyam a récemment publié Aux origines de l’histoire globale. Leçon inaugurale du Collège de France (Fayard, 2014) et L’Éléphant, le canon et le pinceau. Histoires connectées des cours d’Europe et d’Asie, 1500-1750 (Alma, 2016).

Notes * Cf. lexique, p. 112. 1. K. N. Chaudhuri, Trade and Civilisation in the Indian Ocean. An Economic History, from the Rise of Islam to 1750, Cambridge University Press, 1985. 2. Voir notamment É. Vallet, L’Arabie marchande, 626-858/12291454, Publications de la Sorbonne, 2010 et, avec E. Vagnon (dir), La Fabrique de l’océan Indien, Publications de la Sorbonne, 2017.

Quelles étaient à l’époque les principales plaques tournantes de ce commerce dans l’océan Indien ? À SAVOIR

Une Méditerranée asiatique ? L’historien indien de l’économie Kirti N. Chaudhuri propose en 1985 dans Trade and Civilisation in the Indian Ocean. An Economic History, from the Rise of Islam to 1750, d’appliquer à l’océan Indien l’approche de son maître Fernand Braudel. Reliés par les mêmes routes commerciales maritimes, soumis par la mousson au même destin climatique, la plupart des pays asiatiques seraient soudés en une entité cohérente par l’océan Indien. C’est ce dernier, comme la Méditerranée pour l’Europe, qui conférerait à l’Asie son unité géographique et humaine. Une thèse aujourd’hui très contestée.

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SPÉCIAL

L es mondes de l’Inde

Glaneuses D ans une mine à ciel ouvert du Jharkhand, des femmes ramassent des morceaux de charbon pour les vendre en ville.

Septième puissance économique mondiale, des taux de croissance record, l’Inde émerge comme un nouveau géant. Mais pour Jean Drèze, qui en tire un bilan sévère, le pays est loin d’avoir inventé un modèle alternatif de développement. Entretien avec Jean Drèze L’HISTOIRE / N°437-438 / JUILLET-AOÛT 2017

KUNI TAKAHASHI/GETT Y IMAGES

« Une puissance émergente en trompe l’œil »


DR

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CHIFFRES

3 % du PIB mondial ÉTATS-UNIS 18 000 (1er rang mondial) CHINE 11 000 (2e ) Source : Banque mondiale

FRANCE 2 500 (6e ) INDE 2 000 (7e ) Reste du monde PIB en milliards de $ courants en 2015

Un pays toujours pauvre

INDE

CHINE

1 800 $ (144e rang mondial)

8 200 $ (77e rang mondial)

Source : FMI

L’AUTEUR Économiste d’origine belge, Jean Drèze a enseigné à la London School of Economics dans les années 1980. Il vit et travaille en Inde, dont il est devenu citoyen. Militant social, il est à l’origine, en 2005, de la NREGA, grand programme qui assure un revenu minimum aux paysans indiens. Avec Amartya Sen, il a écrit notamment Splendeur de l’Inde ? Développement, démocratie et inégalités (Flammarion, 2014).

PIB par habitant en $ courants en 2015

Le retard de développement Élevé 100

62

Faible

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75

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FRANCE

(90e ) (79e ) (21e ) (131e rang mondial) Indice de développement humain (IDH) en 2015

Source : PNUD

L’Histoire : L’Inde appartient au fameux groupe des puissances économiques émergentes, les Bric. Quel est le moteur de la croissance du pays ? Jean Drèze : Si l’Inde est une puissance économique mondiale, c’est surtout en raison de la taille du pays. En termes de PIB agrégé, l’économie indienne est la 7e économie du monde et la 2e économie des Bric (Brésil, Russie, Inde, Chine) après la Chine. Mais, en revenu par habitant, l’Inde reste un pays pauvre. De plus, à la différence des autres émergents, une grande partie de sa population n’a toujours pas accès aux services publics de base, comme un système scolaire convenable, des soins primaires, ou le traitement des eaux. L’Inde est le seul des Bric où l’alphabétisation de tous est loin d’être une réalité, et ce même chez les plus jeunes. C’est vous dire. Si vous recherchez un grand marché en pleine croissance, l’Inde vous viendra naturellement à l’esprit. Elle fait partie, en ce sens, des grandes économies mondiales. Mais si vous vous intéressez aux conditions de vie des gens, alors là l’Inde ne concourt pas du tout dans la même catégorie que les autres Bric. En ce qui concerne les différents secteurs d’activité, les services sont les plus importants et ceux dont la croissance est la plus rapide. Le secteur tertiaire (les services) représente plus de 50 % du PIB indien et son taux de croissance annuel a avoisiné les 10 % au cours des périodes 20072012 (11e plan quinquennal) et 2012-2017 (12e plan quinquennal). L’agriculture est le secteur le moins dynamique. Elle pèse aujourd’hui aux alentours de 15 % du PIB indien même si elle compte près de la moitié de la population active. Le secteur tertiaire est très hétérogène. Il est à l’image de Calcutta et de ses rues saturées, où les frêles pousse-pousse jouent à touche-touche avec les charrettes à bœufs, les tramways, les berlines et les voitures de sport. Tous avancent à leur rythme. Les services, ce sont aussi bien les stands de thé ou de réparation de vélos dans la rue que les agents de sécurité, l’administration publique, les organes financiers, le développement de logiciels, ou autres. En bordure de route, les cordonniers et les réparateurs de vélos font presque exactement le même travail qu’il y a cinquante ans, et avec les mêmes outils. Leur productivité est toujours très faible, leur rémunération aussi. A l’autre bout, les opérateurs téléphoniques et les concepteurs graphiques vendent des produits et utilisent une technologie qui n’ont plus rien à voir avec ceux de leurs prédécesseurs. En gros, les services en forte croissance sont plutôt ceux qui répondent aux besoins des classes rapidement enrichies ou dont la demande s’accroît rapidement avec le revenu. Ce qui inclut les télécommunications, les restaurants, le transport, l’assurance et les prestations informatiques. Les secteurs orientés vers l’export, eux, ne correspondent pas nécessairement à ces critères.

L’accélération de la croissance accélération stabilisation décollage

7% 5%

3,5 % 1950

1960

1970

1980

1990

2000

2010

Taux de croissance moyen du PIB indien Légendes Cartographie

Source : Banque mondiale

Si l’Inde bat tous les records de croissance au sein des grandes économies mondiales depuis 2003, son IDH reste comparable à celui de son voisin bangladais. La croissance ne sert donc que peu le développement.

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GUIDE DUOLT SS C UIREER L

R égions

Caen/Château

Voyages en Égypte Deux expositions rappellent la fascination des Français pour l’Égypte au xixe siècle.

A

pa r t i r de 1798, Bonaparte mène une expédition en Égypte. Les objectifs sont politiques – entraver la puissance anglaise – et économiques – renouer des relations commerciales avec l’Orient. Si l’échec militaire est patent, ce périple est par contre une véritable réussite scientifique et culturelle. En effet, 167 savants et artistes accompagnent les soldats et décrivent l’Égypte qu’ils font découvrir aux Européens. L’expédition déclenche un engouement qui engendre de nombreuses recherches et études : déchiffrement des hiéroglyphes, exhumation de tombes et constitution de fonds égyptologiques de référence. Situé dans le Château de Caen, le musée de Normandie accueille une exposition qui a pour objectif de rendre compte de cette « égyptomanie » qui touche la France tout au long du xixe siècle. La conservatrice, Alice Gandin, explique que « lors de son voyage de Louxor à Paris, entre août 1832 et août 1834, l’obélisque a fait escale à Rouen. Ce fut une fantastique attraction qui séduisit nombre de Normands. Certains, à leur tour, firent le voyage jusqu’en Égypte L’HISTOIRE / N°437-438 / JUILLET-AOÛT 2017

et ramenèrent dessins, objets ou peintures qui ont enrichi les collections des musées de Normandie ». Parmi les 210 pièces présentées, l’intégralité de la première édition de la Description d’Égypte. Publiée entre 1809 et 1829, elle est composée de neuf volumes de textes et de quatorze volumes de planches. Un ouvrage si volumineux qu’il a nécessité la conception d’un meuble spécifique. Autre pièce maîtresse, une grande toile peinte vers 1890 par Maurice Orange qui rend hommage à la conquête napoléonienne : Bonaparte devant les pyramides contemplant la momie d’un pharaon.

Fascination des artistes Si l’exposition montre l’Égypte perçue et décrite par les Français du xixe siècle, elle n’a pas renoncé, bien au contraire, à présenter des objets issus des fouilles qui évoquent les rites funéraires, les divinités ou autres aspects fascinants de la civilisation antique. Le visiteur peut ainsi admirer un couvercle de sarcophage anthropomorphe richement peint datant de la Troisième période intermédiaire (1069-664 av. J.-C.) prêté par la Fondation Gandur de Genève. Pour poursuivre l’aventure égyptienne,

toujours dans l’enceinte du Château de Caen mais au musée des Beaux-Arts cette fois, une exposition est consacrée au voyage en Égypte de deux jeunes gens durant l’hiver 1849-1850 : Gustave Flaubert et Maxime Du Camp. Passionné de photographie, ce dernier rapporte de ce périple 214 clichés dont une cinquantaine sont présentés à côté d’une vingtaine de toiles du peintre Jean-Charles Langlois que les deux futurs écrivains ont rencontré sur le Nil. Une illustration parfaite de la fascination qu’exerce l’Égypte sur les artistes. n Olivier Thomas

INFOS

Voyages en Égypte Jusqu’au 7 janvier 2018 Musée de Normandie, Le Château, Caen (14) L’Égypte photographiée Jusqu’au 24 septembre Musée des Beaux-Arts, Le Château, Caen (14) Ouvert tous les jours de la semaine de 9 h 30 à 12 h 30 et de 14 heures à 18 heures. Ouvert le week-end et les jours fériés de 11 heures à 18 heures www.musee-de-normandie.fr

CAEN, MUSÉE DES BEAUX-ARTS - GENÈVE, FONDATION GANDUR POUR L’ART ; SANDRA POINTET

Gezira L’île, située sur le Nil, est peinte par Jean-Charles Langlois durant la seconde moitié du xixe siècle.


/ 1 25

Sarcophage

Couvercle de sarcophage anthropomorphe en bois peint datant de la Troisième période intermédiaire (1069-664 av. J.-C.).

L’HISTOIRE / N°437-438 / JUILLET-AOÛT 2017


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