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Reportage
Israël
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N° 554
VICTOR HUGO Notre écrivain national Sondage : les raisons d’un plébiscite Enquête : les choix de 20 écrivains
AVRIL 2015
M 02049 - 554 - F: 6,20 E - RD
3’:HIKMKE=^U[WUZ:?a@f@f@o@k"; Le dossier
Michel Leiris l’indiscipliné Il a exploré tous les savoirs
L’édito
Par Pierre Assouline
Prière de ne pas appeler Le Corbusier par son prénom
L À LIRE
Un Corbusier, FRANÇOIS CHASLIN,
éd. du Seuil, « Fiction & Cie », 510 p., 24 €.
ouons maintenant les Anglais de se poser par- cette privauté, mais celui qui donnera du Charles à de fois des questions que nul autre n’oserait se Gaulle n’est pas né ; Rousseau demeure incontestablement poser. Celle-ci par exemple dont seuls les plus Jean-Jacques ; quant à notre Hugo national, on ne se sent méticuleux historiens de la littérature pren- pas de lui donner du Victor, allez savoir pourquoi. dront un jour la juste mesure : « Un biographe Et les biographes de cette saison ? Pour Michel Winock, peut-il appeler son héros par son prénom ? » c’est « François Mitterrand » ou « Mitterrand » de bout en Vertigineux. Il y a là un abîme de réflexion. Tant et si bien bout. Élisabeth Roudinesco, pour qui il n’y a que « Freud », que le quotidien The Guardian s’en est récemment ému en ne s’autorise du « Sigmund » que dans l’évocation de ses lui consacrant une enquête. Il est vrai qu’il y avait péril en jeunes années. Quant à Stephen Greenblatt, il peut d’aula demeure : Robert Crawford n’ose-t-il pas donner du tant mieux se cantonner à « Shakespeare » qu’il a évacué « Tom » à son héros dans sa nouvelle biographie de le problème dans le titre qui claque en couverture : Will le T. S. Eliot ? Il s’agit certes de l’écrivain dans ses années de magnifique ! Le cas de François Chaslin vaut qu’on s’y formation, mais tout de même. Ce fut l’occasion de s’in- attarde car sa biographie de Le Corbusier est l’un des livres terroger sur la familiarité, l’affection, voire les plus originaux et des plus passionnants l’intimité qu’entretiennent certains bio- Toujours se qu’il nous ait été donné de lire ces derniers graphes avec leur personnage. Ainsi a-t-on méfier d'un temps. Il faut toujours se méfier d’un biodécouvert que la Austen se faisait traiter de biographe qui graphe qui annonce en incipit : « Ceci n’est pas Jane, Strachey de Lytton, et que Kipling se fai- annonce : une biographie. » Généralement, c’est bon sait « rudyarder ». Bref, cela ne va pas de soi. « Ceci n’est signe. Le ton est donné dès le titre : Un CorbuEn faire trop ou trop peu, telle est la question, sier. Dès l’avertissement placé en liminaire, pas une étant entendu que ce sera pris soit pour un l’auteur affronte « le » problème : « J’ai parlé abus de proximité soit pour un excès de dis- biographie » : de Le Corbusier lorsqu’il s’agissait du persontance. En France, on a tout lu. Le biographe généralement, nage historique et du Corbusier dans les cas de Fernand Braudel lui donnait même du c’est bon signe. de plus grande familiarité. » Ce qui n’empêche « F. B. » du début à la fin. Les initiales, c’est pas les variantes qui donnent du piquant à son peut-être le pire de la désincarnation. Et pourtant, ça se portrait : Corbu, maître Corbu, le Corbu, ou encore son fait. Comment peut-on s’attacher à un homme désigné totem : le Corbeau. par un sigle ? On ne fait pas plus froid. Cela dit, « Fer- Le bonhomme Corbu, tout d’ordre, de continuité, d’exacnand » eût été trop amical. Unprofessional, eût-on dit titude, de rigueur mais aussi d’agressivité, d’égoïsme, outre-Manche, et l’avis serait tombé comme un couperet. d’aridité morale, eût apprécié. Rien ne l’exaspérait comme N’empêche, on n’imagine pas une vie de Le Clézio dans d’être appelé Charles Le Corbusier, d’autant que pour l’état laquelle son chroniqueur lui donnerait du J.M.G.L.C. civil il était Charles Édouard Jeanneret. Il fut « Doudou » cinq fois par page durant cinq cents pages. pour sa famille, et « le Fada » pour les Marseillais. L’enLa règle souffre des exceptions. Pour prendre des exemples quête de François Chaslin, d’une richesse documentaire au hasard, Gallimard, on peut de temps en temps l’appe- et d’une liberté de ton réjouissantes, représente un auler Gaston, car c’est ainsi que tout le monde l’évoquait dans delà de la biographie. C’est un livre d’écrivain. D’ailleurs, le milieu littéraire ; et Henri Cartier-Bresson ne détestait Un Corbusier est publié dans la collection « Fiction & Cie ». pas qu’on l’appelât Cartier, lui qui signait ses mots en vieux Normal pour un artiste de génie qui a fini par avoir une surréaliste « En-rit Ca-Bré » ; nous donnons tous spon place à son nom en plein Paris mais dans un non-lieu tanément du Winston à Churchill car tout en lui sollicite introuvable. N° 554/Avril 2015 • Le Magazine littéraire - 3
Presto
LE T W
L’ÉDITION DANS LE VISEUR Le traité transatlantique menacerait le livre européen. Les négociations commerciales entre l’Union européenne et les États-Unis devaient exclure la culture des discussions. Or l’édition, et notamment la politique du prix unique du livre, risque d’être malmenée. Commentaire de la députée Laurence Arribagé (UMP) : « L’accord transatlantique ouvrirait la possibilité pour un investisseur, tels les puissants libraires américains, de porter plainte contre un État – en l’espèce la France – dont la politique aurait nui à la rentabilité de leur investissement. »
EET
« Est-ce qu’un éditeur mérite encore le nom d’éditeur lorsqu’il fait tout ce qu’il peut pour freiner la diffusion de ses livres (numériques) ? » @yannhoury, 20 février
LE BLOG DE…
Éric Chevillard dimanche 1er mars 2015
2534
Étranges, décidément, ces gens de théâtre. Ils vous sollicitent, vous flattent, vous font miroiter de grandes choses, entourent vos épaules de leur bras immense et constrictor. Vous finissez par céder à des prières si pressantes. Et alors plus rien, plus personne. Et vous voilà comme un invité qui reste à la porte avec ses fleurs et sa bouteille. jeudi 26 février 2015
2531
FONTANEL ET GRIME / ÉD. NAÏVE
– Un rêve plein de suspense et de rebondissements qui dure depuis cent ans et dont j’allais enfin connaître le dénouement à l’instant où tu m’as réveillée, abruti ! Et la Belle au bois dormant gifla le Prince charmant. mercredi 25 février 2015
2530
Avec ses blagues et son accordéon, il a complètement cassé l’ambiance des obsèques. Retrouvez le texte intégral sur le site d'Éric Chevillard. http://autofictif.blogspot.fr
En bande dessinée, la saga d’Hannah La vie et la pensée d'Hannah Arendt ne se laissent pas facilement cerner. Riche de mille détails biographiques, et forte de nombreux éclairages théoriques, cette bande dessinée parvient à tout saisir dans un même geste. Hannah Arendt, BÉATRICE FONTANEL ET LINDSAY GRIME,
éd. Naïve, « Grands destins de femmes », 80 p., 18 €.
8 - Le Magazine Litteraire • N°554/Avril 2015
L’esprit du temps
AMIR LEVY/NURPHOTO/AFPDANS
Reportage
ISRAËL
ÉCRIRE SOUS TENSION
Les urnes viennent de parler dans l’État hébreu. L e Magazine est allé à la rencontre des écrivains israéliens à la veille de ce suffrage. De notre envoyé spécial à Jérusalem, Marc Weitzmann 10 - Le Magazine littéraire • N° 554/Avril 2015
L’esprit du temps T raductions
ÉTATS-UNIS
d’acier dans le cœur de la terre. Le sol tout entier tomba sous mes bottes ; je ne vis qu’un éclair lumineux puis de la fumée grise surgir comme de la peinture sale projetée sur une toile délavée. ». Ainsi décrit-on un tir de mortier vu du dessous, quand on a fait la guerre puis disséqué de la poésie…
EN LIBRAIRIE, UN SYNDROME DU GOLFE
Atelier d’écriture spécialisé
Des écrivains se révèlent parmi les anciens combattants américains d’Irak, l’un d’eux ayant remporté le National Book Award. Par Alexis Brocas
18 - Le Magazine littéraire • N° 554/Avril 2015
Ci-dessus, à gauche : Kevin Powers ; à droite : Phil Klay.
À LIRE
Fin de mission, PHIL KLAY,
traduit de l’anglais (États-Unis) par François Happe, éd. Gallmeister, 310 p., 23,80 €. Yellow Birds, KEVIN POWERS,
traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuelle et Philippe Aronson, éd. Le Livre de poche, 240 p., 6,60 €.
HANNAH DUNPHY
KELLY POWERS
S
i, comme le raconte Alexis Jenni, prix Goncourt 2011, il existe un Art français de la guerre, l’art de la retranscrire semble s’être perdu chez nous après 1945, alors qu’il fleurit dans les lettres américaines. Hier, le Vietnam donnait Kent Anderson (ancien des forces spéciales et auteur de Sympathy for the Devil), Karl Marlantes (ancien de Yale et des marines, auteur de Retour à Matterhorn) et Tim O’Brien (passé par Harvard et auteur de Si je meurs au combat)… Aujourd’hui, c’est au tour des anciens combattants d’Irak, dotés eux aussi d’une qualification militaire et universitaire, d’écrire leur guerre. Dans Fin de mission, l’ancien marine Phil Klay égrène en nouvelles leur quotidien et leur retour – et son réalisme cru lui a valu d’obtenir le National Book Award 2014. Un prix qu’avait manqué de peu, un an plus tôt, Yellow Birds, où l’ex-fantassin Kevin Powers raconte, à grandes salves de métaphores, une tragique histoire d’amitié parmi la soldatesque. Les États-Unis auraient-ils le don de susciter chez leurs combattants des vocations d’écrivain ? Il semblerait que oui, et que cela soit un bénéfice secondaire des dispositifs établis pour
faciliter la réadaptation des vétérans ou attirer les jeunes recrues. Le GI Bill, offre, contre un passage sous l’uniforme, le financement des études supérieures. Féru de poésie mais trop moyen pour décrocher une bourse universitaire et issu d’une famille trop modeste pour lui offrir son inscription, Kevin Powers avait le profil. Engagé à 17 ans, il a, après un an d’Irak, poursuivi des études de lettres. Paru en 2012, son roman, Yellow Birds, s’attache au destin du jeune soldat Bartle, qui a promis de veiller sur le vulnérable Murph – promesse que quelques mois d’Irak videront de sens. Une histoire qui sent le terrain, contée dans une forme baroque qui laisse deviner l’ex-étudiant en lettres. « L’impact m’ébranla comme un poing
S’il met en scène d’ex-soldats profitant du GI Bill, Phil Klay avait déjà entamé des études supérieures quand il s’est engagé – par goût de l’investissement physique et volonté de faire l’histoire. Il a servi treize mois en Irak comme officier chargé des relations publiques. Au contact de marines, affecté à des tâches diverses, il a recueilli la matière de ses nouvelles, tout aussi diverses. Un diplomate tente de remettre en route une station d’épuration, un marine arabophone est chargé d’insulter par haut-parleur des femmes de chefs djihadistes, une « gueule cassée » raconte sa défiguration aux vétérans membres d’un atelier d’écriture… Cet atelier existe : sis à l’université de New York, il a fait éclore Phil Klay, mais aussi l’ancien soldat Matthew Gallagher, l’épouse d’officier Siobhan Fallon (respectivement auteurs de Kaboom et de You Know When the Men Are Gone, inédits en français). D’autres de ses membres s’apprêtent à publier. De quoi laisser songeur le lecteur français : la béance que forment les guerres d’Algérie et d’Indochine dans notre paysage littéraire traduit-elle l’insuffisance des moyens alloués à la reconversion des soldats ? Cela expliquerait qu’il ait fallu attendre une génération pour que de jeunes auteurs, intrigués par cette zone d’ombre, s’emploient à l’éclaircir en fiction. Comme Alexis Jenni, qui, dans L’Art français de la guerre, prête sa plume à un ancien combattant imaginaire qui aurait volontiers témoigné mais ne pouvait le faire seul, faute de techniques littéraires à sa portée… P
L’esprit du temps Enquête
SONDAGE EXCLUSIF
QUI EST L’ÉCRIVAIN NATIONAL
VICTOR HUGO
ILLUSTRATION PETRAE POUR LE MAGAZINE LITTÉRAIRE
Goethe en Allemagne, Dante en Italie, Shakespeare en Grande-Bretagne… En France, en revanche, une figure unique ne s’impose pas aussi naturellement pour incarner l’écrivain national.
Dossier
Michel Leiris l’indiscipliné Dossier coordonné par Aliette Armel
Leiris, d’une des plus riches collections contemporaines reçues par le Centre Georges-Pompidou, Leiris était l’interlocuteur privilégié de Masson, de Picasso, de Miró, de Giacometti, de Lam, de Bacon. Passionné d’opéra et de jazz, mais aussi de tauromachie, il était fasciné par toutes les formes de transe (danse, alcool, vaudou...). Leiris a traversé le xxe siècle de part en part (1901-1990). Il a joué un rôle dans bien des mouvements et structures qui en ont marqué l’histoire : le surréalisme, le communisme, l’existentialisme, la psychanalyse, la décolonisation et le postcolonialisme, mais aussi la revue Documents, le Collège de sociologie, le Collège de pataphysique, le congrès culturel des intellectuels de La Havane, ou Mai 68. Dans Frêle bruit (1976), il rêve d’un monde « où tâches et biens seraient équitablement répartis […], – où, tout racisme annulé, les sexes aussi seraient égaux sans qu’on veuille abolir non plus que cultiver leur différence […], – où les groupes d’élection supplanteraient les familles institutionnelles, – où l’exercice de l’imagination, ouvert à tous et conviant à vivre sur d’autres ondes, compterait autant que l’émission d’hypothèses de recherche ». Une exposition au Centre Pompidou-Metz invite aujourd’hui à raviver cette utopie transdisciplinaire. P A. A.
Biographe de Michel Leiris (éd. Albin Michel, 1997), Aliette Armel est aussi romancière. Dernier ouvrage paru : Pondichéry, à l’aurore (éd. Le Passage, 2011).
Michel Leiris à Cuba en 1967.
72 • ARTS
82 • ANTHROPOLOGIES
90 • ÉCRITURES
Lié par sa femme au grand marchand d’art Daniel-Henry Kahnweiler, Leiris ne cessera d’écrire sur l’art, moins sur le mode de la critique que du chant fraternel dédié à des œuvres, mais aussi à des hommes qui sont ses amis : Picasso, Giacometti, Bacon…
La participation de l’écrivain à la fameuse mission Dakar-Djibouti (1931-1933) est un tournant : non seulement il devient un pilier du musée de l’Homme, mais son regard d’ethnographe nourrit toute son œuvre, y compris lorsqu’il évoque le jazz ou la corrida.
À l’origine proche du surréalisme, Leiris trouve la forme qui lui sied lorsqu’il rend compte de son expédition en Afrique. Il invente là un registre singulier à la première personne, entre sincérité et distanciation, faisant de lui un pionnier de l’autofiction.
70 - Le Magazine littéraire • N° 554/Avril 2015
OZKOK/SIPA
M
ichel Leiris, d’une timidité extrême, a toujours cultivé la discrétion. Son malaise en présence de tout public devenait paralysie face à un micro, ou – pis – devant une caméra ! Plus encore, son exigence à l’égard du langage et de l’image était incompatible avec leur usage médiatique. Il a obstinément refusé les sollicitations de Bernard Pivot le conviant à « Apostrophes » et toutes décorations ou distinctions, y compris le grand prix national des lettres. Son nom circule donc peu en dehors des cercles d’initiés. Et pourtant ! Il a marqué l’histoire de ses disciplines de prédilection, la littérature, l’ethnographie et l’écriture d’art. Parue en 1934, L’Afrique fantôme a attendu deux décennies avant de trouver son public, mais ce journal de la mission Dakar-Djibouti a eu ensuite une influence majeure sur plusieurs générations d’ethnologues convaincus de l’importance de la subjectivité pour accéder à la connaissance d’autres peuples. Sorti en librairie en 1939, L’Âge d’homme a mis plusieurs mois avant de prendre sa place d’écrit fondateur de l’autobiographie contemporaine. Ayant donné son nom à la plus importante galerie française de l’aprèsSeconde Guerre mondiale, donateur, avec sa femme Louise
La chronique
Par Maurice Szafran
Mitterrand ou le Français au carré
A
uteurs et personnalités plus différents, il continue de frapper la France et les Français de plein ne peut pas, par définition, exister. Michel fouet, Michel Winock et Frédéric Mitterrand en fournisWinock, historien parmi les plus influents sant une nouvelle, et énième, preuve ? de notre époque, a publié nombre d’ou- À cette interrogation, le lecteur trouvera évidemment des vrages importants, notamment sur le explications dans les deux livres, parfois communes, socialisme en Europe ou l’antisémitisme contradictoires souvent, passionnantes toujours. Une fois français. En collaboration avec Jacques Julliard, il com- cette double lecture achevée, que retient-on d’un personposa un Dictionnaire des intellectuels français qui reste nage politico-romanesque qu’autrefois Franz-Olivier aujourd’hui encore une œuvre de référence. Bref, Winock Giesbert et Catherine Nay surent si bien, si finement pèse son poids, et bon poids, dans l’univers idéologique et raconter ? Mitterrand ou le Français au carré. Mitterrand culturel de la gauche – qu’il n’a jamais renié, et qui n’est pas ou l’incarnation de toutes les contradictions, de tous les sans allure en cette période de tous les retournements. tourments français : éduqué dans le catholicisme sans Que dire de Frédéric Mitterrand, comment le définir ? Il jamais tomber dans l’antisémitisme ; étudiant proche des fut une star de la télé, réalisa quelques beaux films et écri- Croix-de-Feu versant en toute logique dans le pétainisme vit un livre magnifique, La Mauvaise Vie, qui avant de rejoindre la Résistance, combattant provoqua, à deux reprises au moins, un scan- Sur le puzzle authentique, courageux, sachant prendre des dale retentissant car il y racontait sans aucune Mitterrand, risques ; un intellectuel de droite travesti en complaisance envers lui-même l’homo deux visions chef de la gauche unie ; un anti-gaulliste virusexualité, son homosexualité. Tout cela, bien souvent lent s’installant avec délice – quatorze ans durant ! – dans le corset de cette Ve Répusûr, serait conforme à notre « petite » vie différentes, culturelle, souvent médiocre, si l’impétrant ne blique qu’il avait si farouchement dénoncée ; s’appelait Mitterrand, s’il n’était le neveu du toujours et, enfin, pour compléter le tableau, un draprésident, s’il n’avait, lui, « trahi » en accep- passionnantes. gueur invétéré. Comment les Français, même tant le ministère de la Culture que lui proposa ceux qui affichaient leur détestation du perNicolas Sarkozy. Un Mitterrand rue de Valois sous la coupe sonnage, n’auraient-ils pas été en réalité séduits ? de ce président-là… Ils furent nombreux à lui reprocher Tout cela, et bien d’autres éléments du puzzle Mitterrand, cette faute non pas politique mais, plus grave, de goût. Michel Winock le détaille avec la précision, la science de Voilà que Michel Winock et Frédéric Mitterrand sortent l’historien distancé. D’une sensibilité de gauche, il ne à la même période un livre consacré à François Mit- tombe dans aucun des pièges tendus par le parcours pour terrand, saupoudré, dans le cas de l’ex-ministre de la le moins sinueux de son « héros ». Culture, d’une comparaison désormais classique entre son Tout cela, et tant d’autres éléments plus personnels, famioncle et… le général de Gaulle. En apparence, rien de com- liaux parfois, Frédéric Mitterrand le met en scène à mun entre les deux auteurs et les deux ouvrages si ce n’est, travers son malaise d’adolescent qui ne sait comment cela va de soi, la présence écrasante de Mitterrand. Pour- choisir entre le Grand Homme (de Gaulle) et son oncle. quoi donc un personnage à ce point ambivalent, à la fois Pour décrire cette contradiction, le talent du romancier fascinant et détestable, passionne-t-il encore les écrivains féru de politique fait merveille. La preuve qu’il est parfois et leurs lecteurs ? Quel serait ce syndrome Mitterrand qui indispensable de marier littérature et histoire. 98 - Le Magazine littéraire • N° 554/Avril 2015
À LIRE
François Mitterrand, MICHEL WINOCK,
éd. Gallimard, « NRF Biographies », 432 p., 25 €.
Une adolescence, FRÉDÉRIC MITTERRAND,
éd. Robert Laffont, 198 p., 18,50 €.