DANS LES COULISSES DE L’AVENTURE GALLIMARD
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CÉLINE
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EXCLUSIF UN CHAPITRE INÉDIT DE « FÉERIE POUR UNE AUTRE FOIS » M 02049 - 505 - F: 6,00 E
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Éditorial
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Service abonnements Le Magazine Littéraire, Service abonnements 22, rue René-Boulanger, 75472 Paris Cedex 10 Tél. - France : 01 55 56 71 25 Tél. - Étranger : 00 33 1 55 56 71 25 Courriel : abo.maglitteraire@groupe-gli.com Tarifs France 2010 : 1 an, 11 numéros, 58 €. Achat de revues et d’écrins : 02 38 33 42 87 U. E. et autres pays, nous contacter. Pour joindre directement par téléphone votre correspondant, composez le 01 44 10, suivi des quatre chiffres placés après son nom. Rédaction Directeur de la rédaction Joseph Macé-Scaron (13 85) jmacescaron@yahoo.fr Rédacteur en chef Laurent Nunez (10 70) lnunez@magazine-litteraire.com Rédacteur en chef adjoint Hervé Aubron (13 87) haubron@magazine-litteraire.com Conseiller éditorial Alexis Lacroix Chef de rubrique « La vie des lettres » Alexis Brocas (13 93) Conception couverture A noir Conception maquette Blandine Perrois Directrice artistique Blandine Perrois (13 89) blandine@magazine-litteraire.com Responsable photo Michel Bénichou (13 90) mbenichou@magazine-litteraire.com SR/éditrice web Enrica Sartori (13 95) enrica@magazine-litteraire.com Correctrice Valérie Cabridens (13 88) vcabridens@magazine-litteraire.com Fabrication Christophe Perrusson (13 78) Directrice administrative et financière Dounia Ammor (13 73) Directrice commerciale et marketing Virginie Marliac (54 49) Marketing direct Gestion : Isabelle Parez (13 60) iparez@magazine-litteraire.com Promotion : Anne Alloueteau (54 50) Vente et promotion Directrice : Évelyne Miont (13 80) diffusion@magazine-litteraire.com Ventes messageries VIP Diffusion Presse Contact : Frédéric Vinot (N° Vert : 08 00 51 49 74) Diffusion librairies : Difpop : 01 40 24 21 31 Publicité Directrice commerciale Publicité et Développement Caroline Nourry (13 96) Publicité littéraire Marie Amiel - responsable de clientèle (12 11) mamiel@sophiapublications.fr Publicité culturelle Françoise Hullot - responsable de clientèle (12 13) fhullot@sophiapublications.fr Service comptabilité Marie-Françoise Chotard (13 73) mfchotard@sophiapublications.fr Impression Imprimerie G. Canale, via Liguria 24, 10 071 Borgaro (To), Italie. Commission paritaire n° 0410 K 79505. ISSN- : 0024-9807 Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus. Copyright © Magazine Littéraire Le Magazine Littéraire est publié par Sophia Publications, Société anonyme au capital de 115 500 euros. Président-directeur général et directeur de la publication Philippe Clerget Dépôt légal : à parution
Indignez-vous, réindignez-vous Par Joseph Macé-Scaron
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(éd. La Table ronde, 2005), otre temporalité n’est pas la leur. Il le philosophe Jean-François est rare que Le Magazine Littéraire Mattéi dévoile « la scène choisisse de revenir sur un événeprimitive de l’indignation ment éditorial qui apparaîtra peutphilosophique » qui est non être dans un an ou deux comme pas la mort de Socrate, mais relevant de la pure émulsion médiatique. Pourtant, son procès. En effet, l’indicet achat massif, certains diront compulsif, de la brognation ne consiste pas à chure – et non du livre, c’est entendu – de Stéphane s’apitoyer sur son sort, à Hessel, titrée Indignez-vous ! nous intéresse. Nous pleurer sur ses propres nous garderons bien d’en tirer des considérations malheurs. Elle n’est pas une politiques ou de relever les faiblesses ordonnance philosophique d’un texte qui pèche parfois par simLe démon de qui nous prescrit, comme plisme et souvent par relativisme. Il y a l’indignation est une c’est le cas actuellement, de des degrés dans l’indignation comme ouverture au Bien la « moraline ». Rien d’étondans la colère ou la révolte, et tous les comme l’étonnement nant dans ce cas si Nietzsche événements qui heurtent notre est le premier s’écrie : « Nul ne ment conscience ne peuvent être placés sur moment du savoir autant qu’un homme inun plan identique. ontologique. digné. » Juvénal avant lui À l’inverse, il est préférable d’ignorer les avait ricané en écrivant : aigreurs de certains essayistes ou philosophes se voyant, d’un coup, dépassés dans leur « Facit indignatio versum », affirmant qu’une percourse vers les sommets de la gloire par un homme sonne manquant des dons requis pour faire des vers de 93 printemps. Hésiode nous le disait déjà : « Le pouvait néanmoins devenir poète si elle laissait parpotier en veut au potier, le charpentier au charpen- ler son indignation. Certaines formes de l’art contemtier, le pauvre est jaloux du pauvre et le chanteur du porain (les plus voyantes ?) répondent parfaitement à cette définition. chanteur » (Les Travaux et les Jours, v. 25-26). On comprend leur amertume. Cette génération ais, précisément, il ne s’agit pas de la mort poursuivie par ses fantômes se demande : « À quoi de Socrate sinon de son procès. S’indicela servit-il de trahir nos “idéaux soixantehuitards” gner, c’est rendre sa dignitas, son rang si l’on se fait aujourd’hui bousculer par une figure civil, à des personnes, des idées ou des actions issue de la Résistance ? » Décidément, nos anciens humaines qui ont été déchues. Aussi, contrairement ne savent plus se tenir. Ces snipers qui tirent sur Sté- à la colère, qui est le résultat d’une émotion et qui phane Hessel nous rappellent le mot d’Umberto Eco peut exploser pour les motifs les plus variés, l’indiquand il parlait de « ceux qui veulent faire la révolu- gnation repose sur un fond de vérité rationnelle qui ne demande qu’à s’expliciter. Révolté par le spectation avec l’autorisation de la préfecture ». a littérature et l’indignation entretiennent cle de l’injustice (Socrate devant ses « juges »), le des rapports passionnés. Le procès de So- philosophe brûle de faire valoir les arguments de la crate, l’affaire Dreyfus, l’affaire Calas, l’exter- justice. Cette ardeur éveille à l’éthique ; le démon de mination des Indiens d’Amérique, le bombardement l’indignation est une ouverture au Bien comme de Guernica, la destruction des Twin Towers… La l’étonnement est le premier moment du savoir ontoliste est longue des crimes qui, par-delà les souffran- logique. C’est ce que Bernanos a résumé par une ces causées aux victimes, ont suscité l’horreur uni- belle formule quand il présente l’indignation comme verselle et la réprobation des témoins, tout en inspi- « l’élévation de l’âme ». L’écrivain savait que le rant les philosophes et les écrivains. Dans son contraire de l’indignation n’est pas la raison mais la ouvrage extrêmement stimulant De l’indignation résignation. j.macescaron@yahoo.fr HANNAH/OPALE
Édité par Sophia Publications 74, avenue du Maine, 75014 Paris. Tél. : 01 44 10 10 10 Fax : 01 44 10 13 94 Courriel : courrier@magazine-litteraire.com Internet : www.magazine-litteraire.com
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Sommaire 38
Compléments au dossier Céline Ä AZh VgX]^kZh k^Y d YÉZcigZi^Zch VkZX aÉVjiZjg | BZjYdc# Ä Jc Vgi^XaZ hjg hdc Zhi] i^fjZ YZ aÉ^c_jgZ# Ä JcZ VcVanhZ YZh bVcjhXg^ih XdchZgk h Vj bjh Z YZh AZiigZh Zi BVcjhXg^ih#
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Entretien intégral VkZX E^ZggZ"BVgX YZ 7^Vh^ hjg aV XdaaZXi^dc » EaVc iZ a^WgZ ¼#
CATHERINE HELIE/ARCHIVES GALLIMARD
Ce numéro comporte 3 encarts : 1 encart abonnement sur les exemplaires kiosque, 1 encart Edigroup sur exemplaires kiosque de Suisse et Belgique, 1 encart Ulysse sur une sélection d’abonnés.
MICHÈLE BANCILHON-DANIEL – COLL. PIERRE DUVERGER/FONDS LOUIS-FERDINAND CÉLINE/ACHIVES IMEC– ANTOINE ROZES/ÉD. VIVIANE HAMY
Sur www.magazine-litteraire.com
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Dossier : Céline.
L’actualité ( L’éditorial de Joseph Macé-Scaron + Contributeurs - Centenaire 1911-2011 : les douze dates
Grand entretien avec Tavares.
Le dossier )- Louis-Ferdinand
qui ont fait les éditions Gallimard &) La vie des lettres Édition, festivals, spectacles… Les rendez-vous du mois
*% *& ** *+
Le cahier critique Fiction '' Gaëlle Obiégly,
*- +% +)
Le Musée des valeurs sentimentales Éric Chevillard, Dino Egger Jean-Pierre Martin, Les Liaisons ferroviaires Kossi Efoui, L’Ombre des choses à venir Christian Garcin, Des femmes disparaissent Wesley Stace, Charles Jessold, meurtrier présumé '. William Burroughs, Le Porte-lame (% Leonardo Padura, L’Homme qui aimait les chiens (' Claudia Piñeiro, Elena et le roi détrôné (( Jonathan Lethem, Chronic City () Jonathan Coe, La Vie très privée de Mr Sim Poésie (+ Eduard Mörike, Poèmes (édition bilingue) Non-fiction (- Michel Foucault, Leçon sur la volonté de savoir. Cours au Collège de France, 1970-1971 )% Frank Lestringant, André Gide, tome I )( August Strindberg, Correspondance, tome II )) Guillaume Métayer, Nietzsche et Voltaire )* Roberto Bolaño, Entre parenthèses )+ Jean Jaurès, Œuvres, tome II ), Walter Benjamin et Gershom Scholem, Théologie et utopie, correspondance '( ') '* '+ '-
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Anniversaire Les éditions Gallimard fêtent cette année leur centenaire : la saga d’une maison en douze dates.
En couverture : Céline, années 1950. 8daaZXi^dc E^ZggZ 9jkZg\Zg$;dcYh Adj^h";ZgY^cVcY 8 a^cZ$6gX]^kZh >bZX. 696<E"EVg^h"'%&% edjg aZh ÃjkgZh YZ hZh bZbWgZh gZegdYj^iZh | aÉ^ci g^Zjg YZ XZ cjb gd#
Abonnez-vous page 37
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février 2011
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Cahier critique : Michel Foucault.
Le cercle critique
n° 505
Février 2011 *%* Le Magazine Littéraire
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Céline
dossier coordonné par Maxime Rovere Tous céliniens ? par Mikaël Hirsch Chronologie Portraits volés, par David Alliot « Ma seule vocation, c’est la médecine », par Philippe Roussin Critiques au casse-pipe, par André Derval De Rimbaud à Molière, par Suzanne Lafont Rabelais ou « la crudité juste », entretien avec Céline (1958), par Guy Bechtel Voyage au bout de la viande, par Florence Mercier-Leca D’une nausée l’autre, par Maxime Rovere Les traductions américaines du Voyage au bout de la nuit, par Pascal Ifri Écrire à corps ouverts, par Philippe Destruel Guignol’s Band, des lumières dans la nuit par Yves Pagès Vu du Japon : « Hardi petit ! » face au désastre, par Kenzaburô Ôé Céline enluminé, par Éric Mazet Les précieuses reliques du Dr Destouches, par Éric Fosse « Céline a construit sa propre légende », entretien avec Pascal Fouché Bibliographie
Le magazine des écrivains -) Inédit Un chapitre non paru de Féerie pour
une autre fois, de Louis-Ferdinand Céline -- Archétype Morts-vivants, par Christian Garcin .% Admiration B. Traven, par Éric Faye .' Grand entretien avec Gonçalo M. Tavares :
« Nous ne sommes pas de gentilles créatures », propos recueillis par Pierre Assouline .- Le dernier mot, par Alain Rey
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Dossier : La littérature nordique
Anniversaire
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Les 12 dates qui ont fait Gallimard
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La maison d’édition fête cette année son centenaire. Par Olivier Cariguel (avec Alexis Brocas et Olivier Steiner)
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De la revue au comptoir d’édition
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; kg^Zg &.%. « Six personnages en quête d’une revue »
CATHERINE HELIE/ ARCHIVES GALLIMARD
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Le « second premier » numéro de La NRF, paru en février 1909.
ée à la « belle époque des revues », La Nouvelle Revue française prit un faux départ en guise de prologue : à deux mois et demi d’intervalle, deux premiers numéros ont paru. À peine imprimé, le numéro daté du 15 novembre 1908 déclenche un conflit entre Eugène Montfort, le premier et éphémère directeur de La NRF, et Gide, qui mobilise autour de lui cinq autres fondateurs (Jacques Copeau, Marcel Drouin, Henri Ghéon, André Ruyters et Jean Schlumberger). Ils deviennent « six personnages en quête d’une revue ». Pourquoi ? Parce que Gide, le discret initiateur de la revue, s’insurge contre un article négatif sur Mallarmé, déplorant aussi le « médiocre snobisme d’un article sur Gabriele D’Annunzio ». Conclusion : Eugène Montfort est débarqué. Il abandonne
La NRF au clan des gidiens et retourne diriger son ancienne revue, Les Marges. Un second premier numéro, domicilié rue d’Assas, chez Jean Schlumberger, paraît en février 1909. Il s’ouvre par des « Considérations » exprimant l’orientation générale, mais il comporte surtout le premier tiers de La Porte étroite de Gide. La NRF s’annonce « revue mensuelle de littérature et de critique ». C’est le vrai départ. Le numéro de 1908 sera d’ailleurs vite effacé de l’histoire officielle de la revue : le critique Albert Thibaudet n’évoque-t-il pas en 1929 « un faux départ dont l’histoire n’a pas d’importance » ? En 1910, La NRF tire alors à 1 400 exemplaires, chiffre honorable, et conserve sa couverture sable imprimée en noir et rouge, appelée à devenir mythique.
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ide souhaite prolonger l’aventure. Paul Claudel lui suggère de créer un « comptoir d’édition », mais il faut un gérant. Ce sera Gaston Gallimard, jeune bourgeois d’une famille aisée, fils d’un collectionneur de toiles impressionnistes, dilettante qui fréquente les milieux littéraires et artistiques. Il est de plus le secrétaire de Robert de Flers, dramaturge et critique théâtral au Figaro – on murmure même qu’il écrit certains de ses papiers. C’est surtout un ami de Maurice Schlumberger, frère de Jean. André Gide et Jean Schlumberger lui proposent de les épauler. La recrue donne satisfaction : « Il ne fait pas de phrases, mais il est actif et compétent » (Schlumberger). « La Nouvelle Revue française, annonce le premier dépliant publicitaire des éditions, ne publiera pas un grand nombre de volumes ; elle se propose seulement de former une collection d’ouvrages choisis et édités avec le plus grand soin. » L’Otage de Paul Claudel, le récit Isabelle d’André Gide et l’édition intégrale de La Mère et l’Enfant de Charles-Louis Philippe sont les trois premiers ouvrages publiés par les éditions de La Nouvelle Revue française en mai 1911. On découvre en couverture de ces trois livres le fameux monogramme
JACQUELINE GORNE/ARCHIVES GALLIMARD
(& bV^ &.&& « Des ouvrages choisis et édités avec le plus grand soin »
Jean Schlumberger redessinant le sigle de La NRF en 1967.
« NRF », dessiné par Jean Schlumberger. Ce sigle appelé à devenir la griffe de la maison ne sera d’ailleurs reproduit qu’en 1929 sur la revue. Au-delà d’une pure considération esthétique, le monogramme révèle les liens de filiation et d’émancipation de la revue et de la maison. Gestionnaire, Gaston Gallimard apprend sur le tas, et s’affirme peu à peu comme éditeur.
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algré une activité ralentie par la guerre, la maison a publié 110 ouvrages depuis sa fondation. Quant à La NRF, interrompue pendant presque cinq ans, elle reparaît en juin 1919 sous la direction d’un jeune homme de 33 ans : Jacques Rivière. Sur les deux fronts éditoriaux, il faut redémarrer dans une Europe dévastée. En juillet 1919, la société anonyme Librairie Gallimard succède ainsi aux éditions de La Nouvelle Revue française. Elle consacre la position prépondérante d’un Gaston Gallimard de retour d’une tournée aux États-Unis avec la troupe du Théâtre du Vieux-Colombier animée par Jacques Copeau. Il en a profité pour visiter des éditeurs et imprimeurs new-yorkais. « Gaston veut être chez lui aux éditions, il veut être le maître », glisse Copeau à Rivière. Ses fidèles entrent dans la
place : son frère Raymond, chargé des affaires administratives et financières, ainsi qu’un ami, Emmanuel Couvreux, qui préside le conseil d’administration. L’objectif de Gaston Gallimard est de diversifier le catalogue, d’élargir l’assise commerciale de la maison, et de la doter d’une organisation inspirée de son expérience américaine. Pour lui, cela passe par la constitution d’un fonds d’auteurs de qualité. D’où la création d’un comité de lecture composé de spécialistes : Robert Aron, Benjamin Crémieux, Ramon Fernandez, Jean Grenier, Bernard Groethuysen, Brice Parain, Jean Paulhan… D’où aussi l’ouverture d’une librairie (1920), boulevard Raspail. Gide prend alors du recul, exerçant plutôt un magistère intellectuel loin des affaires courantes. Gaston Gallimard a réussi son « coup d’État. »
ARCHIVES GALLIMARD
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'+ _j^aaZi &.&. « Gaston veut être le maître »
Gaston Gallimard à Noisy-le-Roi, dans les années 1920.
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&% Y XZbWgZ &.&. Marcel Proust reçoit le prix Goncourt pour À l’ombre des jeunes filles en fleurs
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ARCHIVES GALLIMARD
aston Gallimard et Marcel Proust se sont rencontrés à Béner- a pas prêté réellement attention. L’auteur de Paludes s’en repentira ville pendant l’été 1908, alors que Proust rendait visite à son longuement – tant qu’en janvier 1914 il confiera à Proust : « Le refus ami Robert Gangnat – qui était l’oncle de Gaston Gallimard. de ce livre restera la plus grave erreur de La NRF – et (car j’ai cette Un dîner s’ensuivit à Cabourg, et le futur éditeur s’en souviendra long- honte d’en être beaucoup responsable) l’un des regrets, des remords temps : « Je fus frappé par l’extrême tendresse de son regard, et les plus cuisants de ma vie. » Mais le mal est fait, les liens entre La NRF aujourd’hui encore je le revois tel qu’il m’apparut avec ses vêtements et Proust se distendent : entre-temps Bernard Grasset a accepté de publier le premier volume de la noirs étriqués et mal boutonnés, Recherche à compte d’auteur. sa longue cape doublée de La Grande Guerre va tout chanvelours, son col droit empesé, son chapeau de paille défraîchi ger. Le 24 février 1916, Gide rend trop petit, ses épaules hautes, ses visite à Proust : il apprend alors que la publication de la Recheveux épais et drus, ses escarcherche est interrompue du fait pins vernis couverts de pousde la mobilisation de Bernard sière. » Proust avait alors 37 ans ; Grasset. Gide n’hésite plus et fail était de dix ans l’aîné de Gallivorise immédiatement une rémard. Mais il fallut attendre 1912 conciliation entre Proust et Galpour que les deux hommes collalimard. Les deux hommes se borent véritablement, au sein de retrouvent, Gallimard en profiLa NRF. Ce fut visiblement dans la tant pour faire son mea culpa : joie, comme Proust l’écrivit à Jac« Nous avons été sottement léques Copeau : « Paraître à La Nougers. J’en ai honte en y pensant. velle Revue française est encore Le succès étant venu, je n’ai plus beaucoup plus tentant pour moi osé vous écrire, craignant que depuis que vous m’avez dit que vous vous mépreniez sur une mon lecteur et mon éditeur serait sympathie un peu tardive. » M. Gallimard. Je l’ai rencontré L’amitié renaît, Proust et Galliune fois et j’ai gardé de lui un si mard renouent : ils poursuivent bon souvenir que, pour moi qui dès lors une correspondance assuis malade et que les rapports sidue, jusqu’à la mort du grand avec un éditeur effrayent déjà, tout devient simple et charmant écrivain. Mais la blessure du refus si l’éditeur, c’est lui. » originel ne se refermera jamais ; Maquette de couverture de Du côté de chez Swann (1917). Hélas, en décembre 1912 se proProust, cet éternel jaloux, saura duit le plus fâcheux des malentendus. Proust reçoit une lettre de refus toujours raviver la culpabilité de Gaston Gallimard : « Je me demande concernant le manuscrit de Du côté de chez Swann. Comme Gaston si je n’ai pas été depuis quelques années le cocu de La NRF. HeureuGallimard est chargé du comptoir d’édition, Proust va croire, à tort, sement – ou malheureusement – ce sont des cornes qu’on ne peut qu’il est également lecteur. Rien de plus faux : à l’époque, Gaston Gal- pas porter. » Et Gaston Gallimard de lui répondre : « Pourquoi penlimard est encore un simple administrateur, et c’est à Gide qu’il a sez-vous être le cocu de La NRF ? (ai-je bien lu ?) À la première lecture communiqué le manuscrit ; Gide qui, pour des raisons obscures, n’y j’avais lu le cœur de La NRF, ce qui serait plus vrai. »
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La vie des lettres
ÉD. HERMANN
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Jean-Louis Cornille a publié Fin de Baudelaire dans la collection « Fictions pensantes ».
éditionPensées à l’œuvre La littérature produit-elle des idées? Et, si oui, comment? Une nouvelle collection passe de grands textes au crible de ces interrogations.
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st-ce que la littérature pense ? Oui, non, évidemment, certainement pas. Cela dépend de la portée qu’on donne à ces deux mots – littérature, pensée. La collection « Fictions pensantes » a précisément pour objectif de mesurer cette double extension et d’examiner dans quelles conditions ces deux ensembles peuvent se rejoindre. Signe que non seulement la littérature est toujours objet de théories, mais surtout qu’elle suffit, par elle-même, à porter une vision du monde faite d’autre chose que de sensations ou d’affects. En somme, ce n’est pas parce que ce n’est pas conceptuel que cela ne pense pas. Dans l’ouvrage qui présente l’ensemble de la collection (Besoin de fiction, 80 p., 14 ö), Franck Salaün, maître de conférences à Montpellier, pose les bases qui permettent d’aborder cette pensée-fiction dont les formes sont mouvantes. Pour commencer, il faut admettre que les moyens littéraires n’organisent pas seulement des narrations : à l’égal du concept, mais sans lui, ils permettent de fabriquer des
Dans Le Roi Lear, l’auteur ne mène-t-il pas son lecteur vers un monde sans finalité ?
idées. Comment ? Naturellement pas comme l’exposé d’une doctrine, mais sur le mode d’une énigme dont le lecteur glane lui-même les indices. On comprend donc que la pensée d’une œuvre littéraire ne se construise pas seule, car elle n’est pas uniquement celle de l’auteur. La seule faiblesse de cette présentation, par ailleurs convaincante, est de considérer cette pensée littéraire comme « inachevée » au lieu d’admettre sa cohérence spécifique. Ce n’est pas parce qu’une pensée ne peut être synthétisée ou systématisée qu’elle est encore en cours de maturation. La preuve par l’exemple : dans Le Genou de Jacques, Franck Salaün lui-même montre que les trois fictions de Diderot, Jacques le Fataliste, Le Neveu de Rameau et Le Rêve de D’Alembert, incarnent une philosophie des singularités, où le moi n’est pas un principe, mais une sorte d’horizon. Pas plus que celle du roman, la figure du moi ne s’y laisse circonscrire. C’est pourquoi le narrateur de ces fictions, à son tour, ne se laisse appréhender que dans la relation à l’autre ou bien au cœur de sociabilités multiples, dans un contexte où la morale ne peut donner naissance à rien d’autre qu’à des mœurs personnelles. On voit par là que c’est à la surface de l’œuvre, et non dans ce qu’elle doit comporter de « sens », que sa pensée se saisit. L’idée n’est pas ailleurs
que dans le fil de l’écriture. De la même manière, dans Fin de Baudelaire, Jean-Louis Cornille peut montrer que les Petits poèmes en prose témoignent d’une volonté de réécrire Les Fleurs du mal en mode mineur. Poème après poème, discutant les lectures de Walter Benjamin et de Steve Murphy, JeanLouis Cornille met au jour un travail de défiguration où Baudelaire tisse entre les choses des passerelles plus complexes encore que les fameuses « correspondances ». Est-ce à dire que la fiction comporte d’ellemême une pensée étrangère au concept ? Peut-être. Dans Déclinaisons, Jonathan Pollock étudie la façon dont les écrivains se sont approprié le De natura rerum de Lucrèce. Il en va alors d’une affaire de mouvements : les thèses des épicuriens concernant le comportement des atomes se sont disséminées dans un grand nombre d’œuvres, dont les auteurs ont préféré la métamorphose à la mise en forme figée. Au-delà des rapprochements évidents (Cyrano de Bergerac, en libertin disciple de Gassendi, s’imposait !), Jonathan Pollock orchestre des rapprochements originaux, mais non fortuits. Les Essais de Montaigne n’intègrent-ils pas au cœur même de leur style, tout comme la mise en page du « Coup de dés », la notion de clinamen (autrement dit de mouvement spontané) ? Dans Le Roi Lear, Shakespeare n’achemine-t-il pas son lecteur vers un monde sans finalité ? La collection « Fictions pensantes » réédite aussi les études sur l’abbé Prévost de Jean Sgard. Bien que seuls quelques romans de Prévost soient aujourd’hui disponibles dans des éditions séparées, le travail de Jean Sgard révèle en eux tous une espièglerie digne de Borges. Selon lui, les romans de Prévost sont des « labyrinthes absolus » où l’on ne peut que se perdre – non seulement à l’intérieur du récit, mais aussi dans le défi que celui-ci présente à la mémoire du narrateur. Alors, précisément, à quand Borges, le philosophe littéraire ? Peut-être après L’EffetBartleby, philosophes lecteurs, à paraître au printemps, dans lequel Gisèle Berkman étudiera le scribe de Melville à travers les interprétations proposées par les philosophes (Blanchot, Deleuze, Derrida, Agamben et Badiou). Maxime Rovere À lire
Le Genou de Jacques. Singularité et théorie du moi dans l’œuvre de Diderot, Franck Salaün, éd. Hermann, « Fictions pensantes », 172 p., 23 €.
Fin de Baudelaire. Autopsie d’une œuvre sans nom, Jean-Louis Cornille, éd. Hermann, « Fictions pensantes », 256 p., 22 €.
Déclinaisons. Le Naturalisme poétique de Lucrèce à Lacan, Jonathan Pollock, éd. Hermann, « Fictions pensantes », 194 p., 23 €.
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Les éditions du Cherche Midi ont obtenu les droits de Tinkers, premier roman de l’Américain Paul Harding, qui a remporté, à la surprise générale, le prix Pulitzer 2010. Sa traduction française, Les Foudroyés, sortira donc le 17 mars prochain. Il s’agit du deuxième Pulitzer publié par un petit éditeur indépendant, après la désormais classique Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole.
Aucun éditeur américain n’y était parvenu pour l’instant : la collection « Omnibus » a réuni et publié en un volume l’ensemble des nouvelles de Dashiell Hammett, maître du genre policier. Rivages/Thriller, de son côté, fait paraître Spade & Archer, où le romancier Joe Gores imagine le passé commun de ces deux personnages du Faucon maltais.
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Luchini rejoue Barthes Après Raphaël Enthoven, qui a enregistré, pour les éditions Thélème, sa lecture des Mythologies, Fabrice Luchini lit une sélection des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. Le livre audio qui en résulte vient d’être publié aux éditions Audiolib : l’occasion de découvrir l’acteur dans une interprétation discrète, tout au service du texte.
Tout Hammett
Sauver des textes de l’oubli
FAMILLE RABEARIVELO
Le Pulitzer 2010 au Cherche Midi
édition
Trois questions à E>:GG:"B6G8 9: 7>6H>
Jean-Joseph Rabearivelo.
CRÉDIT
édition
n 2007 paraissait le premier volume de la collection « Planète libre », fondée par Pierre-Marc de Biasi, directeur de l’Item (Institut des textes et manuscrits modernes), sur Léopold Sédar Senghor. Avec les œuvres complètes de l’un des poètes les plus célèbres de Madagascar, Jean-Joseph Rabearivelo, le chercheur confirme sa volonté de sauvegarder les chefs-d’œuvre menacés d’auteurs francophones d’origine non hexagonale.
Milan Kundera en Pléiade Le Tchèque Milan Kundera va bientôt compter parmi les rares auteurs publiés de leur vivant dans la « Bibliothèque de La Pléiade » : les deux tomes de son Œuvre paraîtront le 24 mars. Le premier comprendra les textes depuis Risibles amours jusqu’à L’Insoutenable Légèreté de l’être, le deuxième, de L’Immortalité à Une rencontre. Milan Kundera.
L’Item, que vous dirigez, se consacre à l’étude génétique des textes. Pouvez-vous expliquer en quoi cela consiste ? Pierre-Marc de Biasi. Cette discipline se consacre à l’étude des
traces de travail des écrivains : brouillons, carnets personnels, épreuves corrigées. Autant de documents qui donnent accès au mouvement même de la création et révèlent une véritable grotte d’Ali Baba herméneutique que les meilleurs critiques littéraires n’auraient pu soupçonner. Le laboratoire que je dirige a donc été institué en 1982 pour déchiffrer, classer et interpréter ces traces. Claire Riffard m’a fait découvrir les manuscrits de Rabearivelo, ce « Victor Hugo malgache » méconnu en France. Ils se composent d’un journal quotidien, entre 1933 et 1937, de cette personnalité littéraire qui choisit la langue de ceux qui ont asservi ses ancêtres pour s’interroger sur son inspiration, sur sa fascination pour la culture française, et pour exprimer les doutes qui l’ont conduit à brûler une partie de ses carnets. Il se suicidera à l’âge de 36 ans. On découvre aussi une œuvre poétique métissée – que nous publierons dans un second volume –, qui explore l’impact fascinant d’une langue sur une autre culture et les difficultés du postcolonialisme. Quels sont vos projets pour la collection « Planète libre » ?
Maeterlinck, l’intégrale Ses pièces sont toujours jouées, le reste demeure insuffisamment lu. Pourtant, l’œuvre de Maurice Maeterlinck, prix Nobel de littérature 1911, étincelle toujours, malgré la poussière du temps. Sa Vie des abeilles, par exemple, miroir tendu à l’entomologie par la littérature. Les éditions André Versaille publient justement ses Œuvres complètes, dans une luxueuse présentation de Paul Gorceix (cf. la critique détaillée sur notre site).
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D’abord, les œuvres complètes d’Aimé Césaire, qui comprennent de nombreux inédits. Puis nous travaillons sur celles d’écrivains congolais, Sony Labou Tansi et Tchicaya U Tam’si, et d’un auteur haïtien vivant, Frankétienne. Cette collection s’inscrit dans un projet de sauvegarde des œuvres littéraires francophones non hexagonales, qui sont dans un état de déshérence absolu. Nous réfléchissons à des lieux de préservation sur place lorsque c’est possible. Puis, à la mise à disposition virtuelle de ces textes à travers une vaste bibliothèque mondiale en ligne. L’entreprise est ambitieuse : il s’agit d’alerter le monde sur des chefs-d’œuvre en péril. Propos recueillis par Lauren Malka
À lire
Œuvres complètes, tome I, Jean-Joseph Rabearivelo, édition critique coordonnée par Serge Meitinger, Liliane Ramarosoa et Claire Riffard, CNRS Éd., « Planète libre », 1 274 p., 35 €.
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Une discipline récente, où il reste beaucoup à découvrir, surtout en ce qui concerne les francophones d’origine non hexagonale.
nouvelle collection Honorés, les mots Saviez-vous qu’à son apparition dans le dictionnaire Richelet (en 1680) « maman » s’écrivait avec la graphie « M’ama’m » ? Que l’expression « maman téton » signifiait alors nourrice? Le lexicologue et lexicographe Jean Pruvost a lancé au printemps dernier la collection « Champion Les Mots » (aux éditions Honoré Champion), dédiée aux aventures et métamorphoses que connurent certains termes depuis le XVIe siècle. Après La Mère et Le Citoyen, viennent de paraître Le Vin et Le Loup.
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Critique Fiction
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Rêverie en sous-sol Le Musée des valeurs sentimentales, Gaëlle Obiégly, éd. Verticales, 220 p., 18,50 €. Par Lauren Malka
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avez-vous à qui s’adressent les gens qui parlent seuls, « qui chuchotent, qui crient […] dans les rues, dans les gares » ? Serait-il fou d’imaginer un monde, tel que le nôtre, où rien ni personne ne compterait davantage que les disparus, les œuvres qui les incarnent et les lieux qui les abritent ? Gaëlle Obiégly nous avait prévenus. Son prochain roman serait abstrait, et dénué de tout personnage, avait-elle annoncé lors de la parution de Faune (éd. Extrait L’Arpenteur/Gallimard). On y trouverait tout de même un objet et es décombres, demande la une voix, avait-elle concédé. Ce wieille personne, je ne me sousont finalement les voix de viens plus, c’est le nom de ce qui quelques personnages et l’ombre reste ? Ce qui reste comment l’apd’une « histoire », si l’on peut dire, pelle-t-on, je crois, les décombres que l’on perçoit dans Le Musée des en effet ou on l’appelle aussi le valeurs sentimentales. C’est même présent. Le présent, j’ai toujours de façon quasi parodique que trouvé ça inutile. Inutile et sans l’écrivain affecte régulièrement le prises, comme la quête du bonton de la conteuse pour rappeler heur, les jupes, les habits sans la trame de son roman. poches et aussi le parfum. « L’histoire », donc, se déroule dans les pièces les plus cachées d’un Le Musée des valeurs château, appartenant au domaine sentimentales, Gaëlle Obiégly baptisé Le Luxe, en 2012. Après la
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rétrospective qui lui est consacrée, l’artiste Pierre Weiss – compagnon de Gaëlle Obiégly dans la vie – se fait attendre à la fête organisée en son honneur. Son œuvre principale, Bild und Porzellan, une sculpture de deux mètres de long, a vagabondé dans toute l’Europe pour achever son périple « quelque part dans le domaine du Luxe, où exactement, comment le savoir sans l’explorer ? ». Pierre Weiss a manqué la navette qui le mènerait du musée des valeurs sentimentales, le lieu où il se trouve, au château. Sa compagne, étrangement désignée par le surnom de « la wieille personne », l’y attend avec impatience. Les choses qui se passent au-dessous de la table, la cuisine et les autres pièces, intriguent bien plus la wieille personne que le petit monde bavard qui dîne en commentant l’absence mystérieuse de l’artiste. Elle finit par quitter la table et s’égare dans les sous-sols du château. Tombée du haut de l’escalier, la wieille personne s’évanouit. « Ses genoux sont écorchés sous le pantalon, et sa tête que ses mains ont pourtant protégée pisse le sang […]. Évanouie, c’est-à-dire portée disparue, c’est-à-dire perdue dans la nature. » Pourtant, dans l’obscurité de la cave où elle est enfermée, à travers les lattes du plancher, la wieille personne recueille des confidences. Très vite, elle devient cet être unique à qui s’adressent les gens qui parlent seuls. L’« être caché » à qui l’on peut dévoiler nos morts. Si Gaëlle Obiégly semble bien projeter une « histoire » sur le grand écran blanc de son roman, des personnages, un lieu, une action, qui s’apparentent en
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tout point à ceux d’un « roman-feuilleton », si elle prend même le soin de résumer, au début de chaque chapitre, l’action du précédent, elle ne tarde pas, elle non plus, à s’en éclipser discrètement pour nous signaler que la réalité est ailleurs. Qu’elle ne s’exprime pas sur la scène misérable du spectacle mondain, sur les rideaux en trompe-l’œil de la pièce où l’on dîne, ou dans les conversations illusoires des convives attablés, mais dans l’intimité souterraine du château. Dans les mystères de la création. Le domaine du Luxe, tout comme la terre, « possède presque autant de pièces souterraines que de pièces au-dessus du sol ». C’est un lieu mortuaire, l’« endroit où, supposons, finissent tous les gens perdus, où se cachent tous les cachés, où se cament les camés, où on attend le retour de l’être aimé, où on retrouve les sentiments égarés… », qui recueillera les vérités les plus essentielles de la wieille personne, de l’artiste, de l’œuvre Bild und Porzellan, et d’autres figures de ce texte. Les personnages doivent y disparaître pour réinventer le monde, par la seule force de leur voix. Par les mots aussi, qui cheminent de façon autonome dans l’histoire, puisque ce livre se structure d’une façon singulière, de telle sorte que chaque paragraphe commence avec le mot qui clôt le précédent. Et tandis que l’auteur se retire de son œuvre, les phrases s’emparent de la destinée narrative. Elles enjambent les chapitres, s’accouplent entre elles et nous promènent dans les pièces du château, entre les bribes de confidences et les actions – souvent étranges – des personnages. La « garniture » des canards rôtis au miel réapparaît par exemple, au paragraphe suivant, comme la « garniture du décolleté d’une dame [qui] tombe dans [une] assiette ». Les rêveurs, les fous, les créateurs fabriquent-ils leurs œuvres d’une autre façon que par ce type d’association d’idées ? Procèdent-ils autrement qu’en gommant sans cesse, de leurs ouvrages, les traces de leur propre passage, n’intervenant que pour placer quelques symboles intrigants ? Le Créateur lui-même, au sens biblique, ferait-il surgir autrement le sens de sa parole qu’en s’éclipsant de la terre et en adressant à l’homme ses paraboles mystérieuses ? Gaëlle Obiégly parle seule, répète les mots, les lettres et les paroles de son roman mais ne se révèle pas plus insensée qu’un rêveur ou que tout créateur qui espère simplement, du plus profond de sa cachette, créer une œuvre « qui suscitera d’autres œuvres », unir sa voix à celle de l’humanité pour accepter de disparaître. C’est donc sous terre, dans l’atelier intime de ce roman, que Gaëlle Obiégly et la wieille personne retrouvent l’homme qu’elles aiment, que l’on croise les figures inspiratrices de la Bible et de la mythologie grecque, Samuel Beckett, Maurice Blanchot ou Georges Bataille. Le lecteur n’a, bien sûr, pas entièrement accès à ce lieu – tout comme l’être humain à sa propre énigme – et se retrouve face à la même angoisse que s’il recueillait les confidences d’un fou ou apprenait, comme l’un des personnages du récit, qu’un parent défunt « s’était glissé dans [sa] chair ». De même que l’être humain en ce monde, le lecteur n’observe en ce roman qu’une série d’objets épars, décombres d’une réalité dont il ignore le passé, d’un immense labyrinthe dont il ne connaît pas la sortie. Le livre de Gaëlle Obiégly a le défaut des plus grandes œuvres, y compris celle de Dieu : il nous laisse prisonniers de son absence, l’oreille collée aux ténèbres de ses mystères, dans un désarroi tel que certains commentateurs se contenteront, comme ceux de Pierre Weiss, d’« empailler son âme », de vénérer les traces de sa pensée. Tandis que les disciples tenteront de prendre le relais, déclarant n’avoir, tel Beckett, « rien à exprimer, rien avec quoi exprimer, rien à partir de quoi exprimer, aucun pouvoir d’exprimer, aucun désir d’exprimer et, tout à la fois, l’obligation d’exprimer ».
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Février 2011 *%* Le Magazine Littéraire
Malin génie Dino Egger, Éric Chevillard, éd. de Minuit, 154 p., 14 €. Par Hervé Aubron
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e nos jours, les génies semblent aussi rares que les tigres du Bengale ou les licornes. Peut-être que nous sommes devenus moins impressionnables ; ou que nos aïeux déliraient. Alors ? Bête merveilleuse ou espèce disparue ? Éric Chevillard enquête, dans un livre consacré à un génie pur, car inconnu – enfin, pas vraiment, puisque l’unique chose qu’on sait de lui, c’est son nom : Dino Egger. On supposerait que ce type-là aurait pu avoir, par son œuvre, une influence déterminante sur le cours de l’humanité. Ce serait dès lors un livre entièrement au conditionnel, même si Éric Chevillard a l’intelligence (ou la coquetterie ? les deux ?) de ne pas utiliser ce mode grammatical. En dehors du nom de Dino, brouillard complet : serait-il passé inaperçu ou ne serait-il pas né ? Ou pas encore ? Aurait-il dû rayonner du temps de Babylone, à la Renaissance ou au siècle passé ? Serait-il artiste, philosophe, savant ou tyran ? Un certain Albert Moindre tente d’élucider le mystère, sur le mode d’un monologue élucubrant, passant en revue toutes les éventualités. « [Dino] devait fertiliser les pôles sans lézarder la banquise – et sinon lui, qui le fera ? et qui encore convertira en énergie le souffle des buffles ? qui liera en fagots les traits de l’averse afin de pourvoir en eau les terres arides ? [...] qui réduira enfin le poids du pied ? » Il aurait pu inventer « le funiculaire stellaire », décrire « la faculté du chat d’être pour soi-même brosse et coussin », découvrir « le fruit savoureux du peuplier » ou « le poisson de viande ». Pourquoi Dino n’en a-t-il rien fait ? Qu’est-ce qui a pu entraver son existence ou son activité ? Aurait-il finalement renoncé ? Se serait-il égaré ? Ou manifesté sous des noms d’emprunt ? Aurait-il décidé de se vouer au zéro le plus parfait, à la réticence la plus entêtée ? Et s’il est encore à venir, comment pourrions-nous faciliter son avènement ? Éric Chevillard n’est pas membre de l’Oulipo, mais il fait bien œuvre de littérature potentielle (un pléonasme à bien des égards). La sienne s’inscrit sur un mode moins formel que mythologique, ce que marque son art inépuisable du bestiaire. Chez lui, les mondes, les hommes ou les animaux demeurent des virtualités toujours susceptibles de muter, d’être remises en cause, reformulées, écartées au profit d’une hypothèse concurrente. On pourrait penser à Borges devant ces mises et remises en abyme, cette manière d’ériger la labilité littéraire comme seul principe de réalité – tout comme, auparavant, lorsque Chevillard imaginait les écrits inédits d’un écrivain imaginaire (L’Œuvre posthume de Thomas Pilaster, 1999) ou laissait émerger l’ombre d’un scripteur mégalo dans le remake d’un conte classique (Le Vaillant Petit Tailleur en 2003, tout juste réédité en poche). Mais, contrairement au maître argentin, Chevillard ne goûte pas aux labyrinthes cristallins : À lire aussi il les tapisse de boue, de musc, de d’Éric Chevillard Le Vaillant viandes de tous poils. Et c’est bien toujours vers Henri Michaux – ou le rêve Petit Tailleur, d’un Lautréamont bon enfant – que éd. de Minuit, rééd. « Double », 234 p., 8 €. tendent ses embryologies voraces.
LUC FOURNOL/PHOTO 12
DossierÀ 49
D’un siècle l’autre
L.-F. Céline
J Arletty rendant visite à Céline, le 14 avril 1958.
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Dossier coordonné par Maxime Rovere
Jamais la littérature ne fut plus explosive juger. Mais ce temps est passé. L’immense Jamai qu’en le qu’entre les mains de Louis-Ferdinand Céline. écrivain apparaît aujourd’hui comme un Lorsque so Lorsqu son premier roman parut dans le pay- témoin précieux, lucide et déchirant, du côté sage lilittéraire, littéra Gaëtan Picon le signala comme sombre de la France. « l’un des cris les plus insoutenables que Et puis, s’il est vrai que Céline a forgé l’image l’homme aait jamais poussé ». Ce n’était qu’un d’un « pur » styliste, ennemi des idées, afin l’hom début. Pe débu Pendant toute sa vie d’homme et de faire oublier une partie de ce qu’il avait d’écr d’écrivain d’écrivain, Céline ne fit rien d’autre que de écrit, il faut également reconnaître que c’est mettre en musique – en son admirable « petite en effet ce qu’il fut. Le rapport à l’écriture met musique » – ce cri par ailleurs inqualifiable, créé par lui est plus vivant, plus charnel, plus ce cri à la fois animal et humaniste, jeté dans écorché que pour n’importe qui auparavant. les incohérences de la détestation et de la ten- Cette nouvelle forme de lyrisme, telle qu’il dresse, du cynisme et de l’humilité, de l’amour l’explique dans ses Entretiens avec le profeset du désespoir. Il était seur Y, exige un écrivain L’écrivain terrible « plus qu’à poil !... à fatal que l’un des plus est mort il y a grands romanciers de vif !... » Cette authenticité tous les temps ait pris la viscérale est plus qu’un cinquante ans, alors artefact littéraire. Elle figure de son siècle : somqu’il venait juste bre, traversé de flammes, d’achever son Rigodon. révèle aussi que, en comde larmes et d’éclairs. plément à son travail de La responsabilité de l’écrivain, qui fut long- la langue, Céline le médecin voulut encore temps une question centrale pour aborder soigner, amender, guérir peut-être quelque Céline, semble aujourd’hui se diffracter dans chose de l’homme. l’espace social. Car, bien entendu, l’enga- C’est donc cette écriture, avec laquelle il se gement de l’auteur en faveur des pires idéo- brûla les mains et le visage, que nous avons logies pose la question de la situation de la voulu présenter ici. La singularité de Céline littérature : quelle légitimité, quelle lucidité tient en une expérience unique, où les senou quel aveuglement, quelles compromis- timents personnels entrent en interaction sions – et pour finir, quelle complicité avec avec les multiples pratiques de la langue, les actes mêmes ? « À force de dire des choses biffent ou soulignent des pans entiers de horribles, il finit par arriver des choses hor- l’histoire littéraire, trouvant le sens de l’inribles », fait dire Jacques Prévert au romancier vention verbale dans le comique ou l’invective, pour rejaillir enfin en une vision de de Drôle de drame. Mais, cinquante ans après sa mort, il semble l’homme chaotique, éreinté, mais à jamais que nous puissions lire Céline autrement. Le poète. Céline lui-même, atteint dans sa chair, succès de ses derniers romans – plutôt trois continua d’écrire avec acharnement, cravolets du même : D’un château l’autre chant, toussant, saignant de l’encre tant et (1957), Nord (1960) et Rigodon (1969) – plus, comme quelque malade de littérature, montre que la France, très rapidement après jusqu’au moment où, le 1er juillet 1961, il put la guerre, fut curieuse d’apprendre à se avertir sa femme qu’il avait terminé Rigodon ; connaître elle-même en regardant Céline en il écrivit alors une lettre à Gaston Gallimard, face. Ainsi, il y eut bien un temps pour le et mourut à 18 heures. M. R.
Février 2011 *%* Le Magazine Littéraire