EXCLUSIF : ENTRETIEN AVEC MICHEL HOUELLEBECQ
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TOLSTOI
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REPORTAGE COLOMBIE, INVITÉE DES BELLES ÉTRANGÈRES T 02049 - 502 - F: 6,00 E
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Éditorial
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Rédaction Directeur de la rédaction Joseph Macé-Scaron (13 85) jmacescaron@yahoo.fr Rédacteur en chef François Aubel (10 70) faubel@magazine-litteraire.com Rédactrice en chef adjointe Minh Tran Huy (13 86) minh@magazine-litteraire.com Rédacteur en chef adjoint Hervé Aubron (13 87) haubron@magazine-litteraire.com Conseiller éditorial Alexis Lacroix Chef de rubrique « La vie des lettres » Alexis Brocas (13 93) Conception couverture A noir Conception maquette Blandine Perrois Directrice artistique Blandine Perrois (13 89) blandine@magazine-litteraire.com Responsable photo Michel Bénichou (13 90) mbenichou@magazine-litteraire.com SR/éditrice web Enrica Sartori (13 95) enrica@magazine-litteraire.com Correctrice Valérie Cabridens (13 88) vcabridens@magazine-litteraire.com Fabrication Christophe Perrusson (13 78) Directrice administrative et financière Dounia Ammor (13 73) Directrice commerciale et marketing Virginie Marliac (54 49) Marketing direct Gestion : Isabelle Parez (13 60) iparez@magazine-litteraire.com Promotion : Anne Alloueteau (54 50) Vente et promotion Directrice : Évelyne Miont (13 80) diffusion@magazine-litteraire.com Ventes messageries VIP Diffusion Presse Contact : Frédéric Vinot (N° Vert : 08 00 51 49 74) Diffusion librairies Difpop : 01 40 24 21 31 Publicité Directrice commerciale Publicité et Développement Caroline Nourry (13 96) Directeur commercial adjoint Jacques Balducci (12 12) jbalducci@sophiapublications.fr Publicité littéraire Marie Amiel - responsable de clientèle (12 11) mamiel@sophiapublications.fr Publicité culturelle Françoise Hullot - responsable de clientèle (12 13) fhullot@sophiapublications.fr Service comptabilité Nathalie Puech-Robert (12 89) npuech-robert@sophiapublications.fr Impression Imprimerie G. Canale, via Liguria 24, 10 071 Borgaro (To), Italie. Commission paritaire n° 0410 K 79505. ISSN- : 0024-9807 Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus. Copyright © Magazine Littéraire Le Magazine Littéraire est publié par Sophia Publications, Société anonyme au capital de 115 500 euros. Président-directeur général et directeur de la publication Philippe Clerget Dépôt légal : à parution
Nos chers disparus Par Joseph Macé-Scaron
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différent du personnage orsque Paul Valéry disparut, le littéraire qui porte mon 20 juillet 1945, De Gaulle ordonna nom, et qui est l’œuvre de immédiatement des funérailles natiomes œuvres […] en un nales, les premières pour un écrivain mot – pour moi, l’objet depuis Victor Hugo. Parce qu’il avait essentiel ne fut pas une souvent joué le rôle d’ambassadeur des arts et des œuvre à faire, ce fut l’édulettres à l’étranger, offrant au monde l’image d’une cation de l’auteur. Ceci est France classique et cartésienne, parce que l’initiale la clef. Je n’ai pas varié de son nom – V – ramenait au signe de la victoire, dans ce sentiment depuis son cercueil, placé sur un catafalque tricolore, fut ma vingtième année. » veillé par des étudiants pendant « Je me juge moi-même La mort est cruelle quand que la foule recueillie défilait. elle saisit l’écrivain et On vient de reprendre des textes assez différent du qu’elle révèle s’il était ou de Valéry & , regroupés sous le personnage littéraire non fidèle à cette fameuse titre Souvenirs et réflexions. Même qui porte mon nom, promesse faite à 20 ans. si l’on doit se féliciter de cette iniet qui est l’œuvre de Dans Les philosophes tiative et de l’édition et de la prémes œuvres. » meurent aussi ' – qui est face de Michel Jaretty, grand valéPaul Valéry rien et biographe subtil, la vérité tout sauf une pochade –, oblige à écrire que l’on est ici bien loin des Cahiers, Simon Critchley, à qui l’on doit plusieurs ouvrages cette longue investigation de puissances de l’in- de référence sur Levinas, nous fait camper tout près tellect, si radicale qu’elle parvenait à dynamiter la de nos chers disparus. Il revisite ainsi le projet de doxa dont l’auteur du Cimetière marin était – ima- Montaigne (« Si j’étais faiseur de livres, je ferais un ginait-on – le gardien du temple. Il y a bien deux registre commenté des morts diverses »). Sartre Valéry qui luttent l’un contre l’autre : l’enfonceur de peut bien lancer un jour : « La mort ? Je n’y pense portes ouvertes qui, dans une langue parfaite, nous pas ! » Ce sont cinquante mille personnes qui assisassène les platitudes les plus absolues et des apho- teront à ses funérailles, un rêve de Poulou. rismes pour cendriers, et puis il y a l’auteur des annah Arendt décéda, à 69 ans, d’un arrêt « Grenades ». Le poète qui écrit « […] Et que si l’or cardiaque. On trouva une feuille de papier sec de l’écorce/À la demande d’une force/Crève en engagée dans sa machine à écrire, nous gemmes rouges de jus/Cette lumineuse rupture/ dit Simon Critchley, avec un seul mot tapé : « Juger ». Fait rêver une âme que j’eus/De sa secrète archi- Titre du troisième tome de La Vie de l’esprit. Le tecture » est bien autre chose qu’un homme de samedi précédant sa mort, Arendt avait achevé le teste, figure ou plutôt allégorie désincarnée de cette second tome qui se terminait par un éloge de saint exigence folle : la raison purement et seulement Augustin. Saint Augustin qui fut son sujet de thèse raisonnante. à 23 ans. En littérature aussi, la mort attend à Samarans ses écrits consacrés à Valéry, Michel cande. j.macescaron@yahoo.fr Jaretty a, d’ailleurs, montré combien l’écri & Souvenirs et réflexions, Paul Valéry, vain qui donna lieu à un exercice d’apoéd. Bartillat, 208 p., 20 ö. théose républicaine méritait mieux que cette momi- ' Les philosophes meurent aussi, Simon Critchley, fication. Dans une lettre adressée à Jean Paulhan, traduit de l’anglais par Jean-François Chaix, Valéry soulignait : « Je me juge moi-même assez François Bourin éditeur, 372 p., 23 ö. HANNAH/OPALE
Édité par Sophia Publications 74, avenue du Maine, 75014 Paris. Tél. : 01 44 10 10 10 Fax : 01 44 10 13 94 Courriel : courrier@magazine-litteraire.com Internet : www.magazine-litteraire.com Service abonnements Le Magazine Littéraire, Service abonnements 22, rue René-Boulanger, 75472 Paris Cedex 10 Tél. - France : 01 55 56 71 25 Tél. - Étranger : 00 33 1 55 56 71 25 Courriel : abo.maglitteraire@groupe-gli.com Tarifs France 2010 : 1 an, 11 numéros, 58 €. Achat de revues et d’écrins : 02 38 33 42 87 U. E. et autres pays, nous contacter. Pour joindre directement par téléphone votre correspondant, composez le 01 44 10, suivi des quatre chiffres placés après son nom.
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Sommaire 8
Reportage : La Colombie, invitée des Belles Étrangères.
n° 502 novembre 2010
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Dossier : Léon Tolstoï.
Critique : Laura Kasischke.
Le cercle critique
Sur www.magazine-litteraire.com
La vie des lettres ¿ aÉdXXVh^dc Yj heZXiVXaZ Esquisse d’un portrait de Roland Barthes, jc ZcigZi^Zc VkZX aZ h b^dad\jZ g Va^h Zc &.+)#
Dossier : en savoir plus 9dXjbZci k^Y d / ZcigZi^Zc VkZX <Zdg\Z HiZ^cZg Vjidjg YZ hdc ZhhV^ Tolstoï ou Dostoïevski.
Entretiens Ä :migV^i VjY^d YÉjcZ gZcXdcigZ VkZX B^X]Za =djZaaZWZXf# Ä 6aV^c YZ 7diidc / » >a n V YZ aV WVgWVg^Z YVch jc V gdedgi ¼#
Ce numéro comporte 6 encarts : 1 encart abonnement sur les exemplaires kiosque, 1 encart Edigroup sur exemplaires kiosque de Suisse et Belgique, 1 encart Britannica, 1 encart La Croix, 1 encart Mémorial de la Shoah, 1 DVD CNL sur une sélection d'abonnés.
L’actualité PHILIPPE MATSAS/OPALE – GUILLERMO LEGARIA/AFP – SELVA/LEEMAGE – JEAN-LUC BERTINI/FACES
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L’éditorial de Joseph Macé-Scaron Contributeurs Courrier Reportage Belles Étrangères : la Colombie, le réel et l’écriture &) La vie des lettres Édition, festivals, spectacles… Les rendez-vous du mois Le cahier critique Fiction ') Laura Kasischke, En un monde parfait '+ David Foster Wallace,
La Fille aux cheveux étranges '+ David Peace, Tokyo ville occupée '- Roberto Arlt, Les Sept Fous (% Hubert Klimko, Berceuse pour un pendu (& Sándor Márai, L’Étrangère (' Éric Faye, Nagasaki () Michel del Castillo, Mamita (+ Pierre Lepère, Le Ministère des ombres (- Victor Eggericx, L’Art du contresens (. Maryline Desbiolles, Une femme drôle )% Jean-Claude Lalumière, Le Front russe Poésie )' Maximine et Clara Janés Non-fiction )) Christine Bard, Une histoire )+ )- *% *& *'
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politique du pantalon Pierre Bayard, Et si les œuvres changeaient d’auteur ? Pierre Cassou-Noguès, Mon zombie et moi Denis Knoepfler, La Patrie de Narcisse Marilyn Monroe, Fragments Lioudmila Saraskina, Alexandre Soljenitsyne
Grand entretien avec Michel Houellebecq : les coulisses de son roman, La Carte et le Territoire.
Le dossier *+ *- +% +) ++ +- +. ,' ,) ,+ ,- -% -' -) -+ --
Léon Tolstoï dossier coordonné par Minh Tran Huy et François Aubel En principes et en pratiques, par Michel Aucouturier Chronologie La Guerre et la Paix, nécessité de l’épopée, entretien avec Catherine Clément Subrepticement subversif, par Dominique Fernandez Vient de paraître Le miel et le fiel, par Georges Nivat Sophie Tolstoï, par Linda Lê La Sonate à Kreutzer, par Georges Nivat L’horizon paysan, par Michel Niqueux Le rejet du symbolisme, par Luba Jurgenson Résurrection, le printemps du peuple, par Cécile Ladjali « Celui qui édifie et détruit des mondes », par Marie Sémon Tolstoï et Dostoïevski, histoire d’une incompréhension, par Karen Haddad-Wotling Le sens interdit : Tolstoï et la philosophie, par Françoise Lesourd Le maître spirituel de Gandhi, par Alain Refalo
Le magazine des écrivains .' Grand entretien avec Michel Houellebecq, .- %% & &%' &%+
par Joseph Macé-Scaron : « Je ne cherche pas la vérité humaine dans l’écriture » Admiration Philippe Muray, le mécontemporain, par Sébastien Lapaque Archétype Andromaque, par Hubert Haddad Avant-première Le début du Charlatan, un roman inédit de Romain Gary Le dernier mot, par Alain Rey
En couverture : A dc Idahid kZgh &-,* 6YdX"e]didh . © ADAGP-Paris-2010 pour les œuvres de ses membres reproduites à l'intérieur de ce numéro.
Abonnez-vous page 90
Prochain numéro en vente le 25 novembre 2010
ActualitéÀ Reportage
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La Colombie, le réel et l’écriture Invitée des Belles Étrangères, la patrie de García Márquez fait montre d’une intense vitalité romanesque. Face à une quotidienneté délirante, les écrivains, loin d’être accablés, semblent plutôt s’inscrire dans un rapport d’émulation. Par Laurent Nunez (envoyé spécial à Bogotá)
E Du 8 au 20 novembre, douze auteurs colombiens sillonneront la France.
t voici la Zona roja, le quartier le plus d’enlèvements. Trop de meurtres. C’est même la prefestif de Bogotá. C’est un vendredi soir mière leçon qu’on apprend aux touristes, jusque sur comme les autres. Des rires, des cris ; le site du ministère des Affaires étrangères : « Ne mille conversations – coupées par jamais héler un taxi dans la rue, même dans les quarmille sonneries de téléphone. La bière tiers considérés comme sûrs. » seule est colombienne, et puis bien sûr le patacón ; De toute façon, passé 22 heures, un couvre-feu mental s’empare de ce quartier joyeux. pour le reste, on se croirait aussi On a recensé 16 000 homicides bien à Paris qu’à Madrid. Sous les « Historiquement, et Colombie pour la seule année néons roses et bleus des terjusqu’à aujourd’hui, tuer en 2009. Alors chacun ici continue rasses, ce sont bien les mêmes ou être tué constitue de faire la fête, mais une règle chansons qu’on fredonne, améripour nous le dilemme s’impose : No dar papaya. Il ne caines et un peu sottes. C’est un de beaucoup de faut pas se démarquer. Il ne faut vendredi soir à Bogotá, et toute la problèmes quotidiens. » pas se promener seul, il ne faut jeunesse est là, amusée, amuAntonio Ungar pas sortir trop d’argent de sa sante, et déjà un peu ivre. Tout de poche, il ne faut pas tenter les même : les regards jetés prudemment aux taxis alentour révèlent que nous ne autres – car cela finalement les obligerait à profiter de sommes pas en Europe. Oui, nulle part ailleurs une la situation. Chacun connaît ici vingt histoires hortelle défiance envers les taxis. Trop de rixes. Trop ribles ; mais l’horrible est que ces histoires n’effraient
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Héctor Abad Faciolince
Antonio Caballero
Jorge Franco
Santiago Gamboa
Traducteur, professeur, puis romancier, il a récemment publié L’Oubli que nous serons en 2006, traduit en France chez Gallimard. Le 9 à 18 h 30 à Dunkerque ; le 10 à 19 h à Paris ; le 13 à 15 h à Metz ; le 17 à 18 h à Poitiers ; le 19 à 18 h 30 à Arles.
Prix Planeta pour un recueil d’articles politiques, il est l'’auteur d’un roman, Un mal sans remède, disponible chez Belfond. Le 9 à 20 h à Liège ; le 10 à 20 h à Bruxelles ; le 11 à 18 h à Paris ; le 12 à 18 h à Bordeaux ; le 13 à 10 h 30 à Mérignac et à 17 h 30 à Biarritz ; le 15 à 20 h 30 à Cernay ; le 17 à 20 h 30 à Luçon ; le 18 à 19 h à La Roche-sur-Yon ; le 19 à 15 h à SaintNazaire et à 18 h 30 à Nantes.
Deux de ses livres, dont Paraíso travel (Métailié), ont été adaptés au cinéma. Il est également professeur d’écriture créative à l’université de Bogotá. Le 9 à 18 h 30 à Dunkerque ; le 10 à 19 h à Paris ; le 12 à 16 h 30 à Port-la-Nouvelle et à 20 h 30 à Durban-Corbières ; le 13 à 15 h à St-Laurent-de-la-Cabrerisse et à 20 h 45 à Villesèque-des-Corbières ; le 15 à 19 h à Paris ; le 17 à 20 h 30 à Luçon ; le 18 à 19 h à La Roche-sur-Yon ; le 19 à 18 h à La Rochelle.
Journaliste, attaché culturel à l’Unesco, il a beaucoup travaillé sur l’exil comme dans Le Syndrome d’Ulysse (éd. du Seuil), sélectionné en France pour le Médicis étranger en 1999. Le 9 à 19 h 30 à Lyon ; le 10 à 19 h à Paris ; le 12 à 18 h à Toulouse ; le 16 à 18 h 30 à Rochefort ; le 17 à 15 h 30 et le 18 à 18 h 30 à Aix-en-Provence ; le 19 à 18 h 30 à Arles.
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GUILLERMO LEGARIA/AFP
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puis il a sorti de son blouson un pistolet. Il a marché calmement vers le flic, sans faire de bruit, le flingue droit sur l’autre. Le flingue droit sur la nuque du flic. Pan ! Le flic s’est écroulé. Personne n’a bronché, évidemment. On essayait tous de ne pas regarder le gars. Lui, il se moquait bien d’être reconnu plus tard : il s’est baissé sur le corps pour reprendre dans la poche du flic le paquet rempli d’herbe. Il était très en colère, parce qu’il y avait à présent du sang sur son t-shirt, et qu’il ne pouvait plus entrer dans la discothèque ! Alors il est parti ; il a dû rentrer chez lui, comme ça, en
Manifestation le 25 novembre 2009 à Bogotá contre toute forme de violence en Colombie, à l’occasion de la Journée internationale contre la violence faite aux femmes.
Tomás González
William Ospina
Juan Manuel Roca
Evelio Rosero
Il publie son premier roman Au commencement était la mer (éd. Carnets Nord) en 1983 et écrit une grande partie de ses œuvres (romans, recueils de nouvelles et de poèmes) à New York. Le 9 à 19 h à Paris ; Le 10 à 18 h 30 à Rennes ; le 15 à 18 h 30 à Albi ; le 17 à 15 h à Porto-Vecchio ; le 18 à 18 h 30 à Corte ; le 19 à 18 h 30 à Ajaccio.
Fondateur de la revue Revista Número, il a étudié le rôle du langage dans la conquête de l’Amérique. Son premier roman, Ursúa (éd. J.-C. Lattès), paraît en 2005; Le Pays de la cannelle en 2009. Le 9 à 18 h 30 à Montpellier ; le 10 à 19 h à Béziers ; le 12 à 18 h à Toulouse ; le 16 à 18 h 30 à Rochefort ; le 18 à 18 h 30 et le 19 à 18 h 30 à Nantes ; le 19 à 15 h à Saint-Nazaire.
Il coordonne les ateliers de poésie de la Casa Silva à Bogotá et dirige la revue La Sangrada Escritura. Son recueil Voleur de nuit (éd. Myriam Solal) rassemble des poèmes publiés entre 1977 et 2005. le 9 à 19 h à Paris ; Le 10 à 18 h 30 à Lyon ; le 12 à 18 h à Bordeaux ; le 13 à 10 h 30 à Mérignac et à 17 h 30 à Biarritz ; le 15 à 18 h 30 à Albi ; le 17 à 20 h 30 à Guyancourt ; le 18 à 18 h 30 à Nantes ; le 19 à 19 h à Marseille.
Il publie des poèmes, des romans et des nouvelles décrivant les conflits sociaux colombiens. Son roman Les Armées (éd. Métailié) a été primé en Colombie, en Espagne, en Turquie. Le 9 à 18 h 30 à Montpellier ; le 10 à 19 h à Béziers ; le 13 à 14 h 30 à Metz ; le 16 à 18 h 30 à Périgueux ; le 17 à 18 h 30 à Bergerac ; le 18 à 18 h 30 à Thenon ; le 19 à 18 h 30 à Église-Neuve-d’Issac.
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PHOTOS : A. BERNOS DE GASTOLD – JAIRO RUIZ – MORZINSKI – L. NUNEZ – MORHOR – J. C. SIERRA ARCADIA – MILCIADES AREVALO
plus personne. Il suffit de prêter l’oreille : près de moi, un garçon trinque avec un de ses amis. Il raconte : « J’étais à l’entrée de la discothèque avec mon cousin Rubén. À côté de nous, un gars venait de rouler un joint. Il avait encore dans la main son petit paquet rempli d’herbe. Mais un flic est passé : il s’est arrêté, il a parlé au gars, l’a engueulé un peu. L’autre a dû jeter son joint et donner l’herbe au flic. Je pensais que ça allait se terminer comme ça, parce que le flic a tourné les talons en mettant le sac dans sa poche. Mais le gars était vexé. Il a attendu que le flic fasse quelque pas,
ActualitéÀ La vie des lettresÀ
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À lire
Apprendre à prier à l’ère de la technique, Gonçalo M. Tavares, traduit du portugais par Dominique Nédellec, éd. Viviane Hamy, 366 p., 22 €.
Les Sœurs Brelan, François Vallejo, éd. Viviane Hamy, 286 p., 19 €.
Méfiez-vous des enfants sages, Cécile Coulon, éd. Viviane Hamy, 110 p., 16 €.
RICHARD DUMAS
Légende avec début en gras et suite en maigre.
L’éditrice Viviane Hamy : « Je ne voulais pas ajouter du texte aux textes. »
portraitUne Hamy de 20 ans Depuis deux décennies, l’éditrice sait concilier curiosité littéraire (Léon Werth) et succès éditorial (Fred Vargas).
L
ente impénitente, prodigieusement bavarde, Viviane Hamy pourrait passer des jours à vous conter son histoire, tandis qu’elle célèbre aujourd’hui les vingt ans de sa maison. Au milieu de ses phrases, il lui arrive de lever l’index en souriant pour noter le double sens d’un mot. « Faire carrière, s’insurge-t-elle, par exemple, avec humour, qu’est-ce que cela signifie ? S’engouffrer dans un lieu qui, je vous le rappelle, est rempli de pierres. » Les cinq jeunes personnes qui l’assistent parlent d’elle avec admiration et s’amusent de ses manières. De sa loquacité. L’appartement où elle reçoit est tapissé de livres, du sol au plafond ; des draps de velours aux couleurs de la maison d’édition, rouge et noir, recouvrent les bords du canapé. Et un chat, noir, que l’éditrice taquine sans arrêt, gambade entre ces matières chaleureuses. « Pour
moi, l’édition, c’est un rapport au monde auquel certaines personnes qui me sont chères n’ont pas eu accès », confie-t-elle. De son enfance modeste entre Alexandrie, Le Caire, la périphérie de Marseille et Paris, où ses parents tenaient une épicerie orientale, de ses études de droit et de lettres, elle n’a retenu que les émois des premières lectures, la vie cachée des mots et l’humilité de ses parents pour qui la richesse, c’était le savoir. Après dix années à errer dans l’édition, cinq démissions, et l’aveu d’un désenchantement qui laissera place à toutes les surprises, Viviane Hamy décide de « cesser de critiquer pour agir ». Seule, n’écoutant ni les mises en garde ni les applaudissements, la jeune
« Jusqu’à présent, les livres m’ont toujours sauvée. »
femme de 36 ans se retire au fond d’une bibliothèque pour y fourbir son projet. Après une année de recherches, elle découvre les trois textes qui inaugureront sa maison : un manuscrit anonyme espagnol, datant du XVIIe siècle, un livre hongrois de Cécile de Tormay et un roman français contemporain de la désormais célèbre Armande Cobry-Valle. Elle reçoit le soutien de quelques amis, met 500 000 francs de côté, et la ligne de la maison s’esquisse alors : « Je ne voulais pas ajouter du texte aux textes, mais publier des auteurs méconnus d’Europe de l’Est et des œuvres dont la lecture provoquait une décharge électrique. » Mais cette exigence peut coûter cher. L’éditrice ne s’en cache pas, la maison a bien failli plier, plus d’une fois. Et elle n’est pas, encore aujourd’hui, à l’abri des caprices de l’économie : « Si, un jour, on me voit publier simplement pour
faire vivre la maison, que l’on m’arrête ! Mais, jusqu’à présent, les livres m’ont toujours sauvée. » En 1992, sa maison à l’agonie, la jeune éditrice entend vaguement parler d’un livre par un ami : La Maison blanche. « J’ai filé en bibliothèque, puis j’ai simplement tiré le fil de ce texte et découvert une œuvre immense, que les plus grands historiens ne tarderaient pas à acclamer, le journal d’un témoin de Vichy, Léon Werth. Cet essayiste et poète m’a sauvée ! » De même pour Fred Vargas, qui vend aujourd’hui plus de 400 000 exemplaires par titre et dont elle s’efforce de ne pas dépendre en découvrant sans cesse des manuscrits à exhumer ou à dévoiler : Cécile Coulon, par exemple, une romancière de 20 ans dont elle considère le livre, arrivé par la poste, comme « exceptionnel ». Elle sait compter aussi sur la fidélité de François Vallejo ou encore de Claire Wolniewicz. Ses projets ? Certainement pas de nouvelles collections qui imposeraient aux auteurs des exigences de productivité et de rentabilité. Mais, après le succès de son premier livre d’art sur les bonbons, Rêves sucrés, pourquoi ne pas s’ouvrir au genre illustré, tandis que l’occasion se présente justement avec un livre à paraître consacré à Léon Werth, le promeneur d’art. Durant sept mois, jusqu’à cette rentrée, Viviane Hamy n’a rien publié. Fidèle à ses principes, dévouée corps et biens à ses auteurs jusqu’à y consacrer plusieurs décennies s’il le faut, l’éditrice livre ses appréhensions face à une philosophie générale d’un milieu qui évolue contre la sienne. « L’édition française peut parfaitement se passer de moi, j’en ai conscience. Mais, dans les moments de doute, je pense à Léon Werth, à Ruth Klüger et aux autres auteurs que j’ai contribué à faire connaître. Je pense avoir voulu rendre à la société ce qu’elle m’a apporté, à ma façon. Et puis, au fond de moi, badinet-elle, je suis sûrement portée par le rêve de reconstituer la bibliothèque d’Alexandrie ! » Lauren Malka
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édition
anniversaire
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Les cent visages de Nadar
Ellroy, tout sur sa mère
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Mémoire des mots Lancée par les éditions Perrin, la collection « Les Mémorables » compte offrir une pérennité éditoriale à de grands textes historiques, spirituels ou politiques. Premiers ouvrages parus : Le Fil de l’épée, dans lequel le De Gaulle de 1932 développe sa vision de « l’homme de caractère », et Grandeurs et misères d’une victoire, où Clemenceau défendait son action pendant la Première Guerre mondiale et s’inquiétait déjà (en 1919) du réarmement allemand. Ces textes sont mis en perspective par des introductions de Jean-Noël Jeanneney pour Clemenceau et d’Hervé Gaymard pour De Gaulle.
ous lui devons le portrait de Baudelaire, l’image de George Sand trônant dans son fauteuil, ou celle de Sarah Bernhardt en Pierrot. Nadar, mort il y a tout juste un siècle, demeure en nos mémoires comme le photographe des gens de lettres et des arts. Mais il connut bien d’autres activités. Il était à la fois le Yann ArthusBertrand et l’Andy Warhol du XIXe siècle, et se serait sûrement passionné pour la télévision si elle avait alors existé. Le centenaire de la mort de Nadar sera pourtant passé inaperçu, en dépit d’une importante exposition des photographies issues de son atelier, organisée au château de Tours par le musée du Jeu-de-paume, jusqu’au 7 novembre prochain. Félix Tournachon, de son vrai nom, était surtout connu à son époque – Stéphanie de Saint Marc nous rappelle ce paradoxe dans sa récente et instructive biographie – pour bien d’autres réalisations que ses portraits. Caricaturiste, feuilletoniste, mondain aux mille relations (de la bohème aux hautes sphères de la finance et de la vie publique – de Baudelaire aux frères Pereire, de Gustave Doré à Clemenceau) et… aérostier. En effet, en 1870, Baudelaire par Nadar (avant mars 1855). c’est lui qui a permis à Gambetta Le portraitiste, de quitter Paris assiégé par les dans son titre, « Nadar, la norme mort il y a cent ans, et le caprice », la « passation » Prussiens pour gagner le gouverne se cantonna pas opérée entre un père devenu nement provisoire installé à Tours à la photographie : grâce à un ballon aérien. Encore maître dans l’art des photos épuil fut aussi adepte lui qui a inauguré l’art de photorées, centrées sur le visage, et un du vol en ballon, graphier la « Terre vue du ciel » : il fils développant la mode du porcaricaturiste, espérait pouvoir fournir à l’armée trait en pied et en costume, la française des renseignements biographie de Stéphanie de Saint feuilletoniste… topographiques de premier ordre. Marc met en valeur les difféFigure étonnante dont Jules Verne fit un person- rentes aspirations de Nadar, qui, à côté de ses nage de De la Terre à la Lune, Michel Ardan, et majestueux portraits, aura commercialisé des dont l’époque retint le goût pour la mise en scène. cartes représentant les célébrités. À la limite du senLorsqu’il commence la photographie en 1854, l’an- timental dans certaines de ses considérations sur née où voit le jour son fameux « Panthéon Nadar », la vie privée du photographe, cette biographie a le lithographie caricaturant les principaux écrivains mérite de montrer toute la curiosité d’un homme de son époque, le daguerréotype en est tout juste aussi fasciné par la médecine (en témoignent ses à son adolescence. Nadar est partagé : selon ses clichés d’un hermaphrodite ou de visages soumis propres mots, la photographie a « ouvert un à des décharges électriques – encore que l’attriburendez-vous général à tous les fruits secs de toutes tion ne soit pas certaine) que par les catacombes les carrières » ; d’un autre côté, elle peut relever de de Paris. Un homme auquel n’aura manqué que le l’art et de la « psychologie ». Les célébrités temps pour accomplir une dernière œuvre, écrite (Delacroix, Hugo, Sarah Bernhardt, Nerval, George cette fois, « Faces et profils du XIXe siècle ». Sand, la reine Ranavalona de Madagascar…) se Chloé Brendlé révèlent parfois rétives, puis se déclarent charmées à l’idée de se faire immortaliser. Bientôt, la procla- À lire Nadar, Stéphanie de Saint Marc, mation de la IIIe République aidant, se faire « tirer le portrait » devient une marque d’appartenance à éd. Gallimard, 374 p., 25,50 €. la bourgeoisie. Dans la veine de cette démocratisa- Exposition tion, Paul, le fils de Nadar, se fera une spécialité des « Nadar, la norme et le caprice », photos d’acteurs de boulevard. Si l’exposition de jusqu’au 7 novembre, château de Tours, 25, av. André-Malraux, Tours insiste sur cette évolution, en soulignant Tours (37). Rens. : 02 47 70 88 46.
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RMN/MUSÉE D'ORSAY/PATRICE SCHMIDT
MATSAS/OPALE/ÉD. PAYOT RIVAGES
La Malédiction Hilliker sera bientôt sur nous! En effet, les éditions Rivages préparent, pour janvier prochain, la sortie du nouveau livre de James Ellroy, qui vient d’être publié aux États-Unis. Un texte autobiographique dans la lignée de Ma part d’ombre, où l’auteur revient sur le meurtre de sa mère – Geneva Hilliker – et les conséquences de celui-ci sur ses relations avec les femmes. Par ailleurs, les éditions Rivages sortiront, au printemps, le roman d’un autre de leurs poids lourds : Dennis Lehane. James Ellroy.
CritiqueÀ Fiction
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« Si vous lisez ceci, vous mourrez » hémorragique » ou grippe de Phoenix qui n’est pas sans rappeler une certaine peste aviaire De cette guigne qui ne cesse de s’accroître au fil de saisons de plus en plus déréglées, on ne saura presque rien. Laura Kasischke préfère se concentrer, non sans une certaine méchanceté, sur tous les à-côtés. Outre la mort de Britney Spears et l’exil de Jodie Foster « dans un coin reculé du Canada », elle décrypte un à un les signes de la décadence d’une civilisation : le retour aux vieilles traditions, le vent de folie qui frappe les honnêtes gens, l’excitation malsaine qui les pousse par exemple à s’attifer de masques chirurgicaux décorés d’un nez rouge. Et si l’effet Extrait de réel lorgne souvent vers la satire, il s’agit surtout d’observer, à coups de détails troublants, la peur es médias associaient la guerre, qui se mue peu à peu en panique, la peur de la grippe, ce climat depuis la rétention d’information aussi chaud qu’inquiétant, au jusqu’à l’hystérie collective et son comportement des adolescents et cortège de rumeurs ou de supersdes adultes. Des bars étaient titions, comme si le pire se nichait bondés au milieu de la journée. avant tout dans l’imagination. Les liaisons entre collègues de Dans ce roman où l’on écoute aux travail étaient monnaie courante. portes, l’on épie ses voisins, l’on Grossesses imprévues et grosjette plus qu’un œil dans le journal sesses programmées. Il y avait, de chacun, la suspicion est reine. semblait-il, une femme enceinte Ici, le moindre tableau idyllique est à chaque coin de rue et un bébé brisé par le hurlement d’un enfant, dans sa poussette sur chaque le cri strident d’un animal ou ce trottoir. Les garçons qui n’étaient drôle de tintement qui résonne pas incorporés dans l’armée dans la tête. Pis, la moindre desaprès le lycée se marginalisaient cription se nimbe d’inquiétante pour devenir poètes. […] étrangeté : les vieilles photos « se Mais Jiselle ne pensait pas à cette recroquevillent en chauves-souris actualité quand elle répondit à noires » et la pendule « tictaque Mark que, oui, elle consentait à comme une petite bombe qui devenir sa femme. aurait été cachée ». Elle pensait qu’elle avait longC’est dans ce théâtre paranoïaque temps attendu ce moment. que se joue le drame intime d’une Elle pensait qu’elle avait attendu femme, Jiselle, dont le nom, suisuffisamment longtemps. vant l’interprétation de chacun, En un monde parfait, évoque la princesse, l’otage ou le Laura Kasischke serment. Un trouble onomastique qui dessine, en creux, toute une destinée romanesque. Celle d’une rêveuse dont le prince charmant se révèle paternaliste à souhait, menteur à ses heures et bien décidé à faire d’elle la gouvernante de ses enfants. Une femme libre qui doit se résoudre à la prison dorée des anges du foyer, à l’instar de la Jane Eyre de Charlotte Brontë. Bref, une ingénue qui ne trouvera son salut que dans l’épreuve et la constance. S’il faut une
En un monde parfait, Laura Kasischke, traduit de l’anglais (États-Unis) par Éric Chedaille, éd. Christian Bourgois, 332 p., 20 €.
Par Augustin Trapenard
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l y a quelque chose de roussi au royaume du roman. Un goût pour le désastre. Une tendance alarmiste. Un doux parfum d’apocalypse. Cet automne, le spectre s’étale de Virginie Despentes à Blandine Le Callet, Will Self et son Livre de Dave (éd. de L’Olivier) ou Marcel Theroux, dont les visions crépusculaires d’Au nord du monde (éd. Plon) évoquent La Route de Cormac McCarthy. Combien d’images de chaos, de dérives totalitaires, de catastrophes écologiques ou nucléaires ! Qu’on ne s’y trompe pas : si le roman occidental fait le pari de la dystopie, c’est avant tout qu’il reflète un certain nombre de hantises face au désordre du monde. Un monde où l’idée de guerre, de pandémie ou d’errance climatique a tant imprégné l’inconscient collectif que le pire ne relève plus de l’éventualité mais de la certitude. Un monde où les contes de fées ne s’ouvrent plus par « Il était une fois » mais par « Si vous lisez ceci, vous mourrez ». Tels sont les premiers mots d’En un monde parfait, le septième roman de Laura Kasischke. Depuis La Vie devant ses yeux ou À moi pour toujours, on sait le talent de la romancière et poétesse américaine pour fissurer le cadre supposément idyllique de la middle class, subvertir ses clichés de série télé et suggérer – au gré d’images troublantes, de rêveries inquiétantes ou de détails savamment distillés – la violence archétypale qui s’y tapit et ne demande qu’à surgir. Qui s’étonnera dès lors qu’elle ait choisi le canevas du conte pour ce roman de fin du monde ? Un conte sous le signe d’Andersen qu’elle cite en exergue et que son héroïne, Jiselle, hantée par une figurine de Petite Sirène, ne cessera de lire à voix haute tout au long du roman. Un conte qu’elle s’amuse à nourrir de lieux communs, depuis le soulier de Cendrillon jusqu’au sommeil de la Belle au Bois Dormant, la pomme de Blanche Neige ou les trois lits de Boucle d’Or transposés dans une maison de rondins au fin fond du Wisconsin. Un conte dont elle bouscule volontiers les codes, enfin, offrant à son hôtesse de l’air aux faux airs de princesse un chevalier volage, un rôle de ménagère et un masque de marâtre. En un monde parfait, c’est l’eau de rose qui tourne au vinaigre. D’autant que cette parodie de romance pastorale se déploie dans un futur proche où l’Amérique est dévastée par la guerre, détestée au-delà de ses frontières et décimée par cette mystérieuse « zoonose
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JEAN-LUC BERTINI/FACES
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morale à tout conte de fées, Laura Kasischke semble prôner celle du sacrifice pour mieux sacraliser l’amour maternel et les valeurs familiales. On dirait qu’elle épuise l’imagerie victorienne, au point que sa Jiselle rêve d’une porte à sa chambre à défaut d’une « chambre à soi ». Mais il faut se méfier des réseaux d’images qui hantent En un monde parfait car ils sont autant de chimères ou de talismans auxquels Jiselle s’accroche. Ainsi de l’idéal de perfection que promet le titre, qui revient comme un refrain et finit par perdre tout son sens. « Une maison parfaite », où règne le fantôme de la femme d’avant ? « Un couple parfait », qui ne se voit presque jamais ? Tel « enfant parfait », à qui on a dû raser le crâne, telle « famille parfaite », où personne ne se parle ? Et que faire de ce « monde parfait » dont on sait dès la première ligne qu’il court à la catastrophe ? Après tout, c’est au gré des rêveries de Jiselle que l’on perçoit son triste destin, au hasard d’une vieille Novembre 2010À *%' Le Magazine Littéraire
photo, d’un souvenir rose bonbon ou d’une courtepointe confectionnée à partir des robes qu’elle a portées. Chez Laura Kasischke, malgré l’usage de la troisième personne, tout est filtré ou déformé par le prisme d’un personnage de papier. Sans crier gare, on s’immisce dans le conte, on fait des « rêves dans le rêve », on « imagine » que l’autre « imagine ». C’est à se demander si tout n’est pas rêve éveillé. Cette procession de lanternes pour apaiser les dieux, ces lâchers de ballons blancs en hommage à chaque victime de la grippe, ces avions dans le ciel qui préservent l’espoir d’une improbable rédemption. Autant de motifs obsessionnels qui semblent inventés de toutes pièces pour maquiller l’insoutenable. Et si, la fin du roman approchant, Jiselle est émerveillée par la sagesse d’un vers de William Blake, c’est qu’il ne reste plus que le détour du langage poétique pour dire le beau et le meilleur. Plus encore qu’un conte de fées, En un monde parfait est un livre d’images.
L’Américaine Laura Kasischke publie un conte sur la fin du monde – ou comment l’eau de rose peut tourner au vinaigre.
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Au cœur du génie russe
Léon Tolstoï
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Léon Tolstoï vers 1905. De son lit de mort, Tourgueniev lui écrit : « J’ai été heureux d’être votre contemporain, vous êtes le plus grand écrivain de la terre russe. »
Dossier coordonné par Minh Tran Huy et François Aubel
« Il y a une heure encore, j’étais en train de prendre des notes sur le journal intime de Tolstoï », raconte Roland Barthes le 16 septembre 1979, après avoir achevé son Journal de deuil, commencé près de deux ans auparavant avec la mort de sa mère. Malgré la blessure, malgré le chagrin, Barthes poursuit avec humour : « Tolstoï se moque des Français, qui parlent tout le temps de leur mère. » Le nom de Tolstoï (1828-1910) – qui porte en lui une puissante assise – évoque immédiatement les chefs-d’œuvre Anna Karénine ou La Guerre et la Paix, l’œuvre épique, le roman total, d’amour, de douleur, de force vitale et de pulsion guerrière, qui atteint son sommet à la mort du vieux prince Bolkonsky, aux derniers mots qu’il adresse à sa fille Marie, dans cette explosion de tendresse qui déchire les deux êtres qui s’aimaient. Mais, au-delà de ses romans célèbres, Tolstoï, écrivain tourmenté et génie universellement acclamé, laisse une œuvre immense et mal connue. On connaît sa critique des relations sociales, sa haine de l’État et de toutes les formes d’oppression. Il est l’inspirateur de nombreuses pensées de la non-violence (de Gandhi en particulier, avec qui il entretient une correspondance à la fin de sa vie, mais aussi de Martin Luther King et de Nelson Mandela). Sait-on, cependant, que, habité par le sentiment d’une dette des privilégiés envers le peuple, les paysans de son domaine, les soldats russes déracinés, il ouvre dans sa maison d’Iasnaïa Poliana, en 1859, une école pour les enfants des paysans ? Il y inaugure une méthode pédagogique révolutionnaire, fondée sur le rejet de toute contrainte et l’appel à la curiosité des élèves. Sait-on, également, que les droits d’auteur du récit millénariste Résurrection sont allés à un fonds de secours pour les doukhobors, la secte religieuse des « lutteurs de l’esprit » qu’il défendait contre les persécutions ? Dans Maître et serviteur, la
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présence de l’hiver dans un espace indistinct anticipe les récits de Soljenitsyne (Une journée d’Ivan Denissovitch, L’Archipel du goulag) et de Chalamov (Récits de la Kolyma) qui, au XXe siècle, associent la brutalité de l’hiver russe aux extrémités de la violence politique, quand les voix de la liberté empruntent les voies de la fiction romanesque ou de la description poétique pour se faire entendre. L’actualité du centième anniversaire de la mort de Tolstoï permet de revenir sur cet écrivain engagé, celui que Gorki surnomme l’« homme-humanité », celui qui porte sur le monde un regard plein de tendresse, mêlant bonté, générosité et L’actualité du centième charité, incarnant anniversaire de la mort pour ainsi dire la de Tolstoï permet de revenir dignité du « philososur cet écrivain engagé, phème » forgé par Rousseau : la pitié ou celui que Gorki surnomme la compassion. Cherl’« homme-humanité ». cheur de Dieu et de la beauté du monde, le « vieux Lev d’Iasnaïa Poliana », comme l’appelle son disciple Ivan Bounine, interroge ces grandes énigmes de l’existence que seul le roman peut approcher, oui, le sens et l’origine de la vie, les mystères de la naissance et de la mort. On a souvent remarqué, et particulièrement Stefan Zweig, que les romans de Tolstoï sont des cures de désillusion. L’insatisfaction de soi y conduit le héros à une sorte de dépouillement, jusqu’à l’ultime combat. Comme le dit Marc-Aurèle, que cite souvent Tolstoï : « Se préparer à la mort est notre plus haute destination. » De son lit de mort, Tourgueniev lui écrit : « J’ai été heureux d’être votre contemporain, vous êtes le plus grand écrivain de la terre russe. » Le plus grand, sans doute, parce qu’il exprime à la fois l’éclat magnifique et la souffrance du monde, parce qu’il saisit ce qui à la fois nous séduit et nous indigne. Aliocha Wald Lasowski