QUEER(ING) ARCHITECTURE DE L’ESPACE QUEER À LA QUEERISATION DE L’ESPACE
MAHE CORDIER·JOUANNE
Mémoire de projet de fin d’étude Sous la direction de Dominique Rouillard et Brent Patterson Département : Théorie, Histoire, Projet École Nationale Supérieure d’Architecture Paris – Malaquais Année 2018 · 2019
NOTES
ÉCRITURE INCLUSIVE : Une attention particulière est portée sur l’écriture inclusive dans la rédaction de ce mémoire. Il s’agit d’un procédé récent qui se heurte encore à de nombreuses réticences, notamment de la part de l’académie française. Il peut demander un temps d’adaptation, et certes, il alourdit un peu le texte. Mais je considère que le discours est déjà lourd de sens et qu’il est important d’identifier les valeurs qu’on veut le voir véhiculer. Il existe différentes méthodes d’écriture inclusive, aussi j’ai pris le parti de prioriser l’usage du neutre caractérisé par un point médian « · ». Cette queerisation des accords permet de choisir de se reconnaître dans le masculin, le féminin, ou autre. Par exemple, le terme « théoricien » au masculin, « théoricienne » au féminin, devient « théoricien·ne·s » au pluriel.
GLOSSAIRE : Les mots dans le texte suivi d’un astérisque (*) sont définis dans le glossaire en fin d’ouvrage. En cas de répétitions, l’astérisque n’est marqué qu’à la première apparition.
9 . INTRODUCTION 13 . QUEER, HORS (DES) NORMES 15 23 29 37
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Historique du terme et définition(s) Héritage féministe et militant Espace queer Entre-soi et « safe space »
45 . INTERLUDE : LE PLACARD 55 . VERS LE QUEER COMME DÉMARCHE 57 61 67 73 79 83
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Une approche queer pour l’architecture Transgression et performativité Attitude « Camp » Post-modernisme Nouveau paradigme du numérique Queering : méthode queer
93 . GLOSSAIRE 103 . RÉFÉRENCES 112 . SOURCE DES IMAGES 116 . REMERCIEMENTS
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INTRODUCTION
Il paraît que dans le projet de diplôme c’est l’expérience qui est la plus importante, que c’est à ce moment-là que les étudiant·e·s ont l’opportunité d’explorer et d’approfondir les questionnements qui leur tiennent à cœur, que chacun·e peut exprimer sa fragilité, développer son obsession, parfois s’identifier, voire s’impliquer trop personnellement dans un sujet de diplôme. Ce n’est qu’une étape dans la vie d’un·e architecte, mais la pression est grande et on pense souvent faire le projet de notre vie. Il faut à la fois « s’amuser une dernière fois » à faire un projet totalement libre avant les contraintes du milieu professionnel et par le même projet convaincre ce milieu qu’on est capable d’être professionnel·le. Personnellement, mon « truc » ce sont les études de genre. J’ai longtemps cru que ça n’avait rien à voir avec l’architecture, que cela resterait un intérêt personnel séparé de ma pratique professionnelle. Et pour cause, les questions de genre et de sexualité sont généralement sources d’embarras, particulièrement en France, où beaucoup 9
considèrent qu’elles appartiennent exclusivement à la sociologie, à l’anthropologie, à l’histoire et à la politique, mais pas à l’architecture (comme si elle existait dans un univers à part déconnecté du monde). Progressivement, à force de lectures, d’expériences et de rencontres, j’ai compris que l’architecture était une construction sociale comme une autre, qu’elle est le produit d’une société et qu’elle véhicule et reproduit les idéaux ancrés dans cette société. Beaucoup m’ont mis·e en garde contre l’aspect « engagé » du sujet, par peur du caractère clivant de la problématique. C’est un risque que je prends, non pas que je pense pouvoir faire l’unanimité et éviter toute dissonance cognitive*, mais parce que je crois en cette approche et que je suis convaincu·e de ce qu’elle peut apporter à l’architecture. Cette démarche c’est aussi la volonté d’être un sujet actif et non plus un sujet d’étude. C’est « permettre à ceux qui sont habituellement les objets des discours des experts, à ceux dont on parle et qui restent silencieux sur leur propre expérience, de parler en leur propre nom, de manière à ce qu’ils deviennent maîtres de la formulation de leur besoin. Que les parlés parlent, qu’ils résistent à des effets de domination sociale et symbolique, que les objets de discours deviennent les sujets de leurs propres discours ».1 Mon approche de l’architecture est construite, ou plutôt déconstruite par les outils du « queer ». Queer est à la fois un nom, un adjectif, un verbe. Queer est une personne, un qualificatif, une action. Aussi, il s’agira ici de montrer ce que peut être le queer, d’abord d’un point de vue identitaire, puis au niveau des 1 BOURCIER Sam, Queer Zones, Politique des identités et des savoirs (trilogie), éditions Amsterdam, 2001 et 2011 10
espaces qu’il produit pour finalement en extraire une démarche de projet. Volontairement ce mémoire ne donne pas d’informations précises sur la forme du projet présenté à l’examen. Il exprime avant tout une démarche architecturale dont le projet sera une proposition de mise en pratique et une interprétation particulière de la méthodologie. Par ailleurs, la partie « références » en fin d’ouvrage propose une liste non exhaustive des principales œuvres qui m’ont inspiré·e, accompagné·e et nourri·e pendant cette réflexion, autant les ouvrages académiques que les essais, les romans, les bandes-dessinées, les films et les pièces de théâtre.
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QUEER HORS
NORMES (DES)
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HISTORIQUE DU TERME ET DÉFINITION(S)
Le mouvement queer, à la fois théorique et militant, est apparu dans le champ académique à partir des années 1990 comme résultante d’une traduction américaine des French théoriciens (principalement Foucault, Derrida et Deleuze). Cette théorie propose de reformuler la notion d’identité. Elle présente une approche constructiviste qui conteste tout caractère essentialiste et critique les discours dominants. C’est un mouvement post-féministe et post-moderne, qui réfute la notion d’universalité et revendique une production de savoirs à partir d’un point de vue minoritaire. L’origine étymologique du terme queer (en anglais) évoque ce qui est bizarre, excentrique ou « de travers » et devient l’équivalent de « pédé » à partir de la fin du XIXème siècle. Puis, cette insulte populaire qui désigne les personnes homosexuel·le·s est progressivement réappropriée par la communauté concernée et devient le symbole d’un mouvement d’affirmation des sexualités et des genres subversifs. Ce terme, à forte dimension antisexiste et antiraciste, regroupe désormais les personnes qui 15
QUEER, adjective · Strange, odd · Slightly ill [British dated] · Homosexual [informal, offensive] Denoting or relating to a sexual or gender identity that does not correspond to established ideas of sexuality and gender, especially heterosexual norms.
« in Queer Street » In difficulty, typically by being in debt. [informal, dated]
QUEER, noun · A homosexual [informal, offensive]
« Queer someone’s pitch » Spoil someone’s plans or chances of doing something, especially secretly or maliciously. [informal]
QUEER, verb · Spoil or ruin (an agreement, event, or situation) [informal]
« Queer fish » A person whose behaviour seems strange or unusual. [informal]
« We queer things when we resist « regimes of the normal »: the normative ideals of aspiring to be normal in identity, behavior, appearance, relationships, etc. » Michael Warner, The trouble with normal, 1999
[ On queerise les choses quand on résiste aux « régimes du normal », c’est-à-dire les idéaux normatifs qui nous incitent à vouloir être normal que ce soit dans notre identité, notre comportement, notre apparence, nos relations, etc. ]
n’adhèrent pas à une vision binaire des genres (homme / femme), des sexualités (hétérosexuelle / homosexuelle) et ne veulent pas être catégorisées selon les normes imposées par une société hétéronormative*. Le mouvement queer se situe hors de la norme cisgenre* et hétérosexuelle, mais aussi hors des normes gays et lesbiennes conventionnelles. À l’origine il est plutôt anticapitaliste et anarchiste et se détache du mouvement LGBT dans la mesure où il refuse toute forme de politiques intégrationnistes ou de stratégies assimilationnistes. Les institutions que sont le mariage, la société de consommation, l’engagement militaire, etc, visent à être questionnées plutôt que rejointes.2 L’insulte est progressivement assumée, revendiquée et réemployée par la communauté et les théoricien·e·s comme outils, comme pratique et comme démarche qui s’oppose, pas seulement à l’hétéronormativité*, mais fondamentalement au « normal ». Le queer revendique le lieu d’énonciation du savoir dans la marge et apparaît comme un positionnement stratégique contextuel qui vise à ouvrir un espace critique et à se distancier du point de vue dominant, dans une démarche que l’on peut qualifier d’intersectionnelle*. Cette démarche permet de résister de l’intérieur en usant de la parodie, de l’exagération et de prendre les codes au sens littéral pour mieux les détourner. De nombreux·se·s théoricien·ne·s, même hors de la théorie queer se sont posé des questions similaires sur l’identité. Alors que Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre parlaient de l’existence comme d’une construction, d’autres comme 2 Voir notamment le manifeste de Queer Nation, groupe transpédégouine radical fondé en mars 1990 à New York aux Etats Unis par des militant·e·s d’ACT UP. 17
Michel Foucault, Michel de Certeau et Henri Lefebvre faisaient le lien entre l’environnement bâti et l’identité en redirigeant l’attention sur les actions à l’intérieur de l’enveloppe architecturale. La théorie queer se nourrit aussi du post-structuralisme de Jacques Derrida et de Jacques Lacan. Elle sera formulée pour la première fois dans le champ académique en 1990 lors d’une conférence de Teresa de Lauretis à Santa Cruz pour mettre en avant une pluridisciplinarité d’identités déviantes à la matrice hétéronormée. De nombreux·ses théoricien·e·s se sont par la suite réapproprié le terme, dont Judith Butler, Gayle Rubin, Eve Kosofsky Sedgwick ou encore Sam Bourcier en France, puis aujourd’hui Sara Ahmed, José Esteban Munoz ou encore Paul B. Preciado qui proposent des approches transversales du queer et montrent la transdisciplinarité de la notion. Le terme « queer » a revêtu différentes significations parfois contradictoires au cours du temps et il fait l’objet de plusieurs interprétations3. Queer est un terme en mouvement et par essence en redéfinition perpétuelle. Néanmoins, on pourrait identifier une constante : Queer = Hors du Mainstream* En effet, certains aspects semblent toujours essentiels : résister à la catégorisation des personnes et remettre en question l’idée d’identités essentialistes4 ; questionner les 3 L’ouvrage Queer, a graphic history de Meg-John BARKER & Julia SCHEELE (2016) donne un bon aperçu de l’origine du terme « queer », historiquement et tel qu’il est utilisé aujourd’hui 4 Autant les Queer Studies, la Queer Theory et le Queer Activism s’opposent aux politiques identitaires qui ont tendance à fixer les individus dans des cases par catégories de personnes, certes parfois pour obtenir certains droits, mais souvent pour justifier de discriminations et pathologisations. Paul B. Preciado parle notamment de cette problématique dans l’épisode du 25 avril 2019 du podcast Les couilles sur la table de Victoire Tuaillon produit par Binge Audio. 18
binarismes ; démontrer que les choses sont contextuelles, basées sur un lieu, une histoire, une culture ; analyser les relations de pouvoir cachées derrières certaines croyances, catégories, identités ; et de manière générale, queeriser la connaissance, le savoir normatif, les identités et les institutions, les délégitimer en montrant leur absurdité. Aussi, l’approche queer que j’énonce ici me permet de mettre en évidente l’importance de situer les savoirs et les lieux d’énonciation des discours. Comme le montre Donna Haraway5, professeure, autrice et pionnière du cyberféminisme, les modèles théoriques sont autant liés à leur époque qu’aux corps qui les produisent. Toute vérité (même scientifique) est partielle en ce qu’elle est issue d’une lecture politisée et singulière qui la rend subjective. Cette subjectivité permet de contrer toute vision universalisante et normative, car « une identité globale qui effacerait les histoires des constructions culturelles personnelles, de la classe, de la race et du genre les subordonnerait à la fiction humaniste de l’Universel »6 . Ainsi, le queer est avant tout un terme qui vise à déconstruire, à rendre flou et qui permet d’étudier les stratégies par lesquelles les objets et les sujets subvertissent les catégorisations. Ici la transgression est assumée et la revendication est subversive. Il ne s’agit pas de renverser l’existant, mais
5 La notion de « savoirs situés » est notamment développée dans le Cyborg manifesto de Donna HARAWAY, Manifeste Cyborg et autres essais, Exils Éditeurs, 2007 (première traduction 2002, parution originale : Cyborg manifesto, revue The Berkeley Socialist Review Collective, 1983-1985, puis Simians, Cyborgs and Women, The Reinvention of Nature, Routledge, 1991) 6 BOURCIER Sam, Queer Zones, Politique des identités et des savoirs (trilogie), éditions Amsterdam, 2001 et 2011 21
de proposer d’autres standards, de détrôner le sérieux et de construire de nouvelles subjectivités. Les normes communément partagées sont réinterprétées. Il s’agit de se définir à la fois avec et contre ce qui domine, dans un espace rendu autre.
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UN HÉRITAGE FÉMINISTE ET MILITANT
Ces recherches autour de la théorie queer s’inscrivent dans la continuité des travaux de nombreux·ses théoricien·ne·s féministes et des études de genre qui ont initié depuis bien longtemps le processus de déconstruction des codes genrés. Les mouvements féministes ont permis de redéfinir les modèles et la place des femmes, ce qui permettra notamment à la théorie queer de prendre en compte la pluralité des modèles de genre et de remettre en question l’existence même de ces catégories. Je me pose ici directement dans un contexte théorique post-identitaire7 qui met en évidence l’entité « humain » 7 « La post-identité : identité non essentialiste. Une post-identité est une identité stratégique et contingente qui s’articule à la pratique politique du sujet, elle-même articulée au contexte politique global dans lequel cette pratique s’insère. La notion de vérité et d’authenticité du sujet est évacuée. Les individus se définissent eux même selon leurs ambitions et la lecture qu’ils font de leurs constructions sociales. » CERVULLE Maxime, Réception et traduction culturelle du queer en France, Doctorat en Études Culturelles sous la direction de J.M Berthelot, Paris La Sorbonne, 2005. 23
plutôt que « homme » ou « femme ». Dans ce contexte de remise en question des identités de genre, certain·e·s théoricien·ne·s comme Judith Butler, pionnière de la théorie queer8, prennent leurs distances avec le féminisme de la différence sexuelle. Mais il ne s’agit pas de nier les apports et les combats féministes de déconstruction des rôles de genre encore valables aujourd’hui. Si la théorie queer existe au-delà de ces catégories, elle ne nie pas leur existence dans la vie quotidienne et vise justement à les déconstruire. Pour Monique Wittig, « femme » est une catégorie sociale qui appartient au système politique straight 9, donc d’après elle, les catégories homme et femme deviennent obsolètes dès lors que l’on s’échappe de ce modèle (encore faut-il réussir à en sortir). Depuis le début du XXème siècle, les approches féministes du rapport à l’espace (domestique et public) participent à la remise en question des normes patriarcales, hétéronormatives et reproductives. Virginia Woolf et Simone de Beauvoir en sont les pionnières avec Une chambre à soi (1929) et Le deuxième sexe (1949). Le travail de Charlotte Perriand et celui d’Eileen Gray sont aussi évocateurs de la position de ces femmes qui peinent à s’imposer dans le monde masculin de l’architecture. On remarque notamment un travail important sur l’architecture éphémère et sur les intérieurs, ce qui interroge la monumentalité de l’architecture et montre qu’une position marginalisée ou moins favorisée permet aussi d’expérimenter une autre architecture. On peut aussi noter le travail de Dolores Hayden et de Beatriz 8 Notamment avec l’ouvrage de référence : BUTLER Judith, Trouble dans le genre, pour un féminisme de la subversion, éd. La Découverte, Paris, 2005 (parution originale : Gender Trouble, Feminism and the Subversion of Identity, Routledge, New York, 1990) 9 WITTIG Monique, La pensée Straight, éditions Amsterdam, Paris, 2013 (parution originale : Straight Mind, Beacon Press, 1992) 24
Colomina, ainsi que certaines architectures modernes qui semblent aussi amorcer une déconstruction des limites traditionnelles entre intérieur et extérieur (notamment la Glass House de Philippe Johnson et la Farnsworth House de Mies van der Rohe qui proposent des mises en scène alternatives de l’expression du genre et de la sexualité avec une nouvelle compréhension de l’intimité et du privé). Dans un autre registre, à partir des années 1950, on commence à observer quelques exemples de déconstruction des codes traditionnels masculins. Notamment, l’univers du magazine Playboy, décrypté par Paul B. Preciado dans Pornotopie10, véhicule une nouvelle vision de l’homme célibataire moderne, homme d’intérieur émancipé de la structure familiale. L’idéal domestique alternatif et l’esthétique revendiquée comme virile véhiculés par Playboy théâtralise la masculinité et l’hétérosexualité. Mais ces représentations sont si caricaturales qu’elles en deviennent un bon exemple pour mettre en évidence le rapport genré porté par l’architecture. Progressivement les normes sociétales et spatiales sont remises en question, les « sphères séparées »11 et l’« impératif hétérosexuel »12 sont condamnés. Elles mettent en évidence les rapports entre genre et espace, et surtout le rôle de l’architecture dans la reproduction de ce biopouvoir* foucaldien.
10 PRECIADO Paul B. (Beatriz), Pornotopie : Playboy et l’invention de la sexualité multimédia, éd. Climats, 2011 11 Théorie des « Sphères séparées » dans DAVIDSON Cathy, HATCHER Jessamyn, No More Separate Spheres!: A Next Wave American Studies Reader, Durham & London : Duke University Press, 2002 12 RICH Adrienne, “Compulsory Heterosexuality and Lesbian Existence”, dans Signs, vol. 5, n. 4, 1980, p.631-660 27
ESPACE QUEER
À la base, le queer vient d’une sous-culture gay qui fait face à une culture dominante hostile. On peut donc comprendre l’espace queer comme un espace occupé et investi par les personnes queer. Ce serait alors les espaces communautaires, les lieux de rassemblement, les espaces de drague, de cruising*, les bars, les backrooms*, les clubs, les ballrooms* et tous les lieux de vie des personnes qu’on peut identifier comme queer. Certains de ces espaces sont fixes (bars, locaux associatifs, saunas, quartiers roses) mais la majorité d’entre eux sont plus éphémères. Ce sont des recoins dans l’espace public, des parcs, des rues, parfois des locaux, qui à un moment donné deviennent lieux de rencontre, de rassemblement, de drague, de fête, d’actes sexuels13 et qui accueillent une 13 Ce bouleversement de l’architecture normative par un acte sexuel, applicable ici à la queerisation d’un espace par la pratique du cruising* par exemple, est notamment défini par le concept de « Minor Architecture » de John Paul Ricco (« Coming together. Jack-off rooms as minor architecture » dans Architecture, Research, Criticism, vol. 1, n°5, Dublin, 1994). 29
population queer le temps d’une nuit, d’un évènement. Ce sont tous ces moments où l’espace devient espace queer par une simple appropriation du lieu.14 Dans l’ouvrage de référence Queer Space : Architecture and same-sex desire (1997), Aaron Betsky propose une lecture queer des espaces du quotidien de la communauté LGBT (principalement des hommes homosexuels) et relit l’histoire de l’architecture à travers le prisme de l’homosexualité. Il dit pour définir l’espace queer : « c’est un genre d’espace que je trouve libérateur, et qui je pense pourrait nous aider à éviter quelques-unes des caractéristiques opprimantes de la ville moderne. C’est un espace inutile, amoral et sensuel qui ne vit que dans et pour l’expérience. C’est un espace de spectacle, de consommation, de danse et d’obscénité. C’est le détournement ou la déformation d’un lieu, une appropriation des bâtiments et des codes de la ville à des fins perverses. C’est un espace entre le corps et la technologie, un espace de pur artifice. »15 Si certains de ces espaces affirment leur place dans l’espace urbain, on remarque que la majorité de ces espaces queer sont cachés, par essence dans la marge, dans l’underground
14 Voir à ce sujet la thèse de Cha PRIEUR, Penser les lieux Queers : entre domination, violence et bienveillance, Université Paris-Sorbonne, déc. 2015 15 « It is a kind of space that I find liberating, and that I think might help us avoid some of the imprisoning characteristics of the modern city. It is a useless, amoral, and sensual space that lives only in and for experience. It is a space of spectacle, consumption, dance, and obscenity. It is a misuse or deformation of a place, an appropriation of the buildings and codes of the city for perverse purposes. It is a space in between the body and technology, a space of pure artifice. » BETSKY Aaron, Queer Space: Architecture and Same-Sex Desire, éd. William Morrow, 1997 (p.5) 30
et les espaces résiduels. Ce sont des niches de liberté généralement invisibles aux yeux du monde. En revanche, avec l’émergence des nouvelles technologies de nouveaux espaces se créent. Si les réseaux communautaires existent depuis longtemps, les réseaux sociaux permettent aujourd’hui de créer de nouveaux espaces de rencontre et de partage. Les groupes et pages Facebook, les forums et les applications mobiles permettent l’existence d’espaces queer virtuels. Aussi, depuis l’émergence des applications de rencontre (Tinder, Grindr) on remarque que les espaces matériels et numériques fusionnent. Cet espace virtuel se diffuse et se mêle à l’espace physique, fait entrer le public dans l’espace privé et projette l’intime dans l’espace public. Cette nouvelle perception de l’espace brouille les binarismes public / privé et fait exister d’autres espaces queer. En 1994, l’exposition « Queer Space »16 au Storefront for Art and Architecture à New York est la première exposition grand public qui questionne la relation entre sexualité, genre et architecture. Mais malgré l’appel à projets manifeste d’Eve Kosofsky Sedgwick et au-delà de proposer une expérience scénographique non traditionnelle en troublant les limites entre intérieur et extérieur, cette exposition se concentre encore exclusivement sur une interprétation du Queer Space comme un espace de vie qui serait caractéristique des personnes homosexuelles, et certain·e·s participant·e·s commencent à révéler l’absurdité de chercher de telles caractéristiques essentialistes.17 16 Exposition organisée notamment par Beatriz Colomina, Dennis Dollens, Cindi Patton, Eve Kosofsky Sedgwick, Henry Urbach et Marc Wigley 17 Par exemple la série de photo “Family Values (Honey, I’m Home) » des architectes Mark Robbins et Benjamin Gianni montrent que les espaces domestiques occupés par des personnes queer sont tout aussi normatifs que les autres. Réflexion reprise dans la série « Households » (2003-2006) 33
« What makes space queer? How to give queer space a history and a future, a powerful presence? What’s the queerest in utopias, in diasporas, in environments, in intimacies, in bowling leagues, in health and illness, in solidarity, in urban pets, in nationalism and cosmopolitanism, in self-defense, in cyberspace, in jobs and no jobs, in film and video, in the Christian Right, in memory, in the hypothalamus, in the high schools, in dancing and walking, in civil society, and in interior decorating ?» Eve,KOSOFSKY DEGWICK, « Wanted: Queer Space Manifestos / Proposals », Queer Space, New York, Storefront for Art and Architecture, 1994
[ Qu’est-ce qui fait l’espace queer ? Comment donner à l’espace queer une histoire et un futur, une présence puissante ? Qu’est-ce qu’il y a de plus queer dans les utopies, dans les diasporas, dans les environnements, dans les intimités, dans les lignes de bowling, dans la santé et la maladie, dans la solidarité, dans les animaux domestiques, dans le nationalisme et le cosmopolitisme, dans l’autodéfense, dans le cyberespace, dans l’emploi et le chômage, dans les films et les vidéos, dans la droite chrétienne, dans la mémoire, dans l’hypothalamus, dans les lycées, dans la danse et la marche, dans la société civile, et dans la décoration intérieure ? ] 34
En effet, une autre approche permet de comprendre que l’espace queer n’est pas exclusivement lié à des espaces destinés aux sexualités « déviantes ». Sur le plan conceptuel, la théorie queer permet de dépasser ce rapprochement, et comme nous le verrons ultérieurement ces recherches permettent l’émergence de nouvelles méthodologies et de nouvelles manières d’envisager la pratique de l’architecture.
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ENTRE-SOI ET SAFE SPACE
La communauté queer étant marginalisée, elle a souvent besoin de se rassembler dans des entre-soi en non-mixité (ou en mixité choisie). Ces espaces tentent de constituer un « safe space », un espace inclusif où les personnes se sentent (moins) jugées et plus libres d’exister à leur manière. Ils peuvent être des refuges face à un monde oppressif voire violent, ou simplement des espaces de repos qui permettent de lâcher prise dans la sécurité de la communauté. Certain·e·s rêvent de vivre dans ces entre-soi, de s’isoler des autres pour vivre librement à leur façon. Beaucoup de ces utopies communautaires questionnent avant tout la division sexuelle de nos sociétés. Des ouvrages de fiction comme La cité des dames, Herland, La servante écarlate ou encore Les sorcières de la République ont construit des mondes, utopiques ou dystopiques, qui questionnent la place des femmes. Il existe aussi toute une littérature qui envisage d’autres constructions sociales et un autre rapport aux genres, notamment les ouvrages de Donna Haraway, d’Ann Leckie et d’Ursula K. Le Guin pour la science-fiction, mais 37
aussi plus récemment Dominique ou encore Les Argonautes qui s’essaient à ne pas genrer les personnages.18 Mais les constructions physiques conçues dans l’espace de nos constructions sociales actuelles sont plutôt des refuges que des cités idéales. Ces entre-soi (féministe et / ou LGBT) sont souvent des centres d’accueil, des centres d’hébergement d’urgence ou encore des formes d’habitats groupés comme la maison des Babayagas à Montreuil. Ils peuvent fonctionner à petite échelle, mais sont généralement des espaces sécurisants insérés dans un contexte urbain. Dès lors que l’on change d’échelle, la cité idéale ressemble rapidement à une Gated Community qui vise un public privilégié et continue de mettre en marge d’autres minorités. Le projet BOOM Community19 envisagé au tournant de 2010 dans le désert de Palm Springs en Californie en est une bonne incarnation. La ville est une oasis isolée destinée à des retraités homosexuels et prévue en deux phases pour 300 puis 700 personnes. Certes elle présente quelques propositions spatiales intéressantes, mais reste un espace réservé à une clientèle masculine, aisé et blanche, qui s’illustre dans des formes très stéréotypées. Ces espaces sont peut-être queer par certains de leurs occupants mais certainement pas dans leur démarche. Par ailleurs, la notion même de « safe space » est questionnable car elle peut évoquer des phénomènes différents. Être safe est la fois se sentir à l’aise et en confiance dans un espace ou avec des personnes, mais aussi 18 Tous ces ouvrages sont référencés en fin de mémoire dans les parties « Utopies / dystopies féministes » et « Romans et fictions ». 19 Joel Sanders Architects, Diller Scofidio + Renfro, J. Mayer H., L2 Tsionov-Vitkon, Hollwich Kushner, Rudin Donner, Lot-Ek, Sadar + Vuga, Arakawa + Gins, SurfaceDesign (projet interrompu faute de reprise de la construction immobilière suite à la crise financière de 2008) 38
se sentir en sécurité et / ou protégé·e·s physiquement et psychologiquement par rapport à des oppressions et / ou agressions. Ce sont deux réalités différentes exprimées par le même mot qui parfois invisibilise les raisons politiques, clôt le débat et décale l’attention sur le ressenti d’un individu (souvent déjà privilégié s’il se sent légitime de l’exprimer) et pas sur le fond du problème. « Si on entend par le mot « safe » la recherche d’espaces confortables et sans confrontation parce que c’est plus facile et reposant, on a envie de questionner ce désir. Cette aspiration est souvent motivée par des mécanismes de protection qui font que l’on désire des espaces-temps où rien ne pourrait nous atteindre ou surprendre, où nous serions protégé·e·s et en sécurité par rapport à des « attaques extérieures », comme si nous voulions créer un espace idéal où tout serait parfait. Tout ça, ça nous renvoie aussi à des espaces policés où tout serait « sous contrôle », alors on a du mal à voir ce qu’il y aurait d’intéressant. On préfère être confronté·e·s à la différence de vécus et de réalités sociales, parce que c’est ça qui nous fait évoluer et ne pas rester sur nos positions. Nous ne disons pas qu’il faut toujours se confronter avec tout le monde et qu’on ne voit pas l’intérêt des espaces non-mixtes. En fait, on cherche dans les nonmixités autre chose que des « espaces safe ». Dans l’envie de faire ensemble, on préfère mettre en place des rapports de confiance qui font que la confrontation et les conflits sont possibles plutôt que d’être dans des situations où tout semble bien se passer parce que personne n’ose parler de ce qui pourrait être conflictuel. » [ Les espaces “Safe” nous font violence ? Zine (brochure militante) anonyme, Grenoble, 2011 ]
Un espace « safe » n’existe que s’il y a confrontation avec une différence environnante, c’est un non-lieu dans ces 41
espaces d’entre-soi. Queeriser c’est rendre « autre », donc pour queeriser il doit exister une altérité. C’est une démarche de détournement qui se sert de l’existant pour le subvertir. Le queer coexiste avec le monde et n’a plus de sens s’il est hors du monde. L’entre-soi c’est rassembler mais aussi exclure des groupes, voire des catégories de personnes. Ces catégories sont parfois nécessaires de façon temporaire, elles peuvent être utiles pour identifier certains phénomènes d’oppressions, mais elles ne constituent pas une solution à long terme et surtout deviennent dangereuses dès qu’elles sont essentialisées. La démarche queer s’oppose à la catégorisation en général et s’oriente plutôt vers une subversion des identités figées. Comme le montrent les réflexions du moment sur l’anthropocène, les problématiques actuelles doivent se régler à l’échelle planétaire. L’enjeu politique présent est à l’inclusivité. Il ne s’agit pas d’uniformiser mais de reconnaître la nécessité de la mixité pour dépasser les clivages et travailler à une autre perception de la différence. On peut aussi sortir le queer de l’obscurité et de l’underground. Ces univers marginaux peuvent aussi être visibilisés, faire du bruit, occuper l’espace, infuser la ville et subvertir l’architecture. Finalement, l’espace queer n’existe pas. Il n’existe pas d’espace qui par lui-même, fondamentalement et hors contexte puisse être qualifié d’espace queer. Il y a des moments queer dans l’espace, mais le volume, la forme, la typologie et le dispositif en eux-même pourront toujours être réappropriés autrement. En revanche, ce qui existe ce sont des démarches de queerisation de l’espace. Le queer est une approche, un certain regard et surtout un processus de subversion des normes dominantes. Queer c’est pas quelque chose que l’on est, c’est quelque chose que l’on fait.
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INTERLUDE
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LE PLACARD
« Queer space is born in the closet. What is the closet? It the ultimate interior, the place where interiority starts. It is a dark space at the heart of the home. It is not a place where you live, but where you store the clothes in which you appear. It contains the building blocks for your social constructions, such as your clothes. The closet also contains the disused pieces of your past. It is a place to hide, to create worlds for yourself out of the past and for the future in a secure environment. (…) It is where you can define yourself, constructing an identity out of what you have collected, in a space that is free and boundless exactly because it hides in the dark recesses. It is a constructed version of the womb that contains not biological but socially produced building blocks for the person you become in the real world. It is also a place where you return to your body - especially the « water closet » or toilet. » [ L’espace queer est né dans le placard. Qu’est-ce que le placard ? L’ultime intérieur, l’espace où commence l’intériorité. C’est un espace sombre au cœur de la maison. Ce n’est pas un espace où tu vis, mais où tu stockes les vêtements dans lesquels tu apparais. Il contient les éléments constitutifs de tes constructions sociales, comme tes vêtements. Le placard contient aussi les pièces abandonnées de ton passé. C’est un espace pour se cacher, pour créer des mondes pour toi-même hors du passé et du futur dans un environnement protégé. (…) C’est là où tu peux te définir, construire une identité à partir de ce que tu as collecté, dans un espace libre et illimité précisément parce qu’il se cache dans les recoins sombres. C’est une version construite de l’utérus qui contient les composants, non-biologiques mais socialement construits, de la personne que tu deviens dans le monde réel. C’est aussi un espace où tu retournes à ton corps – particulièrement dans les « water closet » ou toilettes. ]
« First, queer space finds its origin in the closet, the space of hiding and constructing one’s own identity. It creates itself in the darkness, in the obscene, in the hidden. (…) Rather than allowing you to live in the fiction of established structures, (…) it proposes a world of fantasy that is directly related to the body and has no definite space. This is a harrowing, spooky space, but also one that is free from outside constraints. » [ D’abord, l’espace queer trouve son origine dans le placard, l’espace où chacun·e se cache et construit son identité propre. Il se créé dans l’obscurité, l’obscène, le caché. (…) Au lieu de te laisser vivre dans la fiction des structures établies, (…) il propose un monde de fantaisie directement lié au corps et qui n’a pas d’espace défini. C’est un espace angoissant, effrayant, mais aussi un espace libre de toute contrainte extérieure. ]
Aaron BETSKY, Queer Space: Architecture and Same-Sex Desire, éd. William Morrow, 1997
« Coming out of the closet » 20 Placard est un mot, un symbole, un espace. C’est le lieu de l’intime, l’endroit où on range, où on archive, où on met de côté, parfois jusqu’à oublier. Le placard est un contenant caché pour cacher un contenu21. Il est rempli d’affaires personnelles, de vêtements, de tenues d’une autre saison, de souvenirs, d’objets plus ou moins utiles, qu’on ne veut pas voir, ou qu’on ne veut pas donner à voir. Dans le placard on cache. Dans le placard on se cache. C’est un espace mystérieux, effrayant. On y a peur de l’obscurité, peur de l’inconnu, peur du monstre dans le placard et peur de la sorcière du placard à balais. Parfois le placard est un passage, une porte dérobée, parfois même il mène à un monde parallèle. Mais je suis mis·e au placard si on ne veut plus de moi, placardisé·e, rejeté·e, mis·e à l’écart, mis·e en dehors, en dehors à l’intérieur du placard. J’ai un cadavre dans le placard si j’ai quelque chose de louche à cacher. Je vais au placard s’il avait vraiment un cadavre à cacher. Dans le placard ce qu’on ne doit pas voir. Cent-vingt par soixante, placard standard, étagères et penderie, bien plié, bien repassé. Dans le placard celles, ceux et celleux qu’on ne veut pas voir.
20 « Sortir du placard », expression signifiant l’annonce d’une orientation sexuelle, d’une identité de genre, ou par extension de toute caractéristique personnelle jusque là tenue secrète. 21 URBACH Henry, “Closets, Clothes, disclosure” in Assemblage n°30, Massachusetts Institute of Technology, 1996 49
Dans le placard pour invisibiliser son allosexualité. Coming out et sortir du placard, coming out et se montrer, sortir du placard et se faire placarder une identité. Il y a le monde du dedans et le monde du dehors, ce qui est caché, ce qui est visible, l’intimité et l’extimité, ce qui est public et ce qui est privé. L’espace où l’on est abrité·e, en sécurité, l’espace confortable et rassurant, l’espace dans lequel on est enfermé·e, isolé·e, coincé·e dans l’ombre et mis·e de côté. C’est un espace dans l’espace, une séparation entre une norme et une anorme, un passage d’un monde à un autre. Superlatif de l’intériorité, le placard est le vaisseau du queer qui voyage dans l’hétéronormativité. C’est l’espace dans lequel une personne est supposée vivre tant qu’elle n’est pas « out », tant que le monde n’est pas averti de sa différence. Puisque tout le monde est présumé cisgenre et hétérosexuel par défaut, certain·e·s considèrent qu’il est nécessaire de signaler lorsqu’on sort de la norme. Et si d’un côté cela ne devrait pas avoir d’importance, de l’autre il est certain que la visibilisation est aussi nécessaire pour proposer d’autres modèles. Dans Épistémologie du placard22, l’un des ouvrages fondateurs de la théorie queer, Eve Kosofsky Sedgwick montre les jeux et les enjeux de dissimulation et d’exhibition et analyse le canon occidental observé au travers de lunettes queer. Elle affirme que l’ensemble de la culture occidentale moderne s’articule autour de l’opposition entre homosexuel et hétérosexuel, et démontre que l’hétéronormativité ne peut être dépassée qu’à partir du moment où la sexualité 22 KOSOFSKY SEDGWICK Eve, Épistémologie du placard, éditions Amsterdam, Paris, 2008 (parution originale : Epistemology of the Closet, University of California Press, 1990) 50
est dissociée du genre, aussi, l’orientation sexuelle pourrait plutôt être définie par des préférences de pratiques23. Pour Eve Kosofsky Sedgwick cette opposition est telle qu’elle affecte même les binarismes qui structurent les épistémologies contemporaine de « savoir / ignorance » à « privé / public » en passant par « santé / maladie ».
23 « Il est plutôt étonnant de constater que, parmi les très nombreuses dimensions par lesquelles l’activité génitale d’une personne peut être différenciée de celle d’une autre (dimensions qui incluent la préférence pour certains actes, certaines zones et certaines sensations, certains types physiques, une certaine fréquence, certains investissements symboliques, certaines relations d’âge ou de pouvoir, certaines espèces, un certain nombre de participant(e)s, etc., etc., etc.), un seul, le genre du choix d’objet, soit apparu au tournant du siècle et soit resté la dimension dénotée par la catégorie désormais omniprésente de l’ ‘‘orientation sexuelle’’. » KOSOFSKY SEDGWICK Eve, Épistémologie du placard, éditions Amsterdam, Paris, 2008 (parution originale : Epistemology of the Closet, University of California Press, 1990) p.30 Par ailleurs, la « Sex hierarchy » du « Charmed circle » théorisé par Gayle Rubin dans les années 1980 propose une autre classification des sexualités plutôt orientée sur les pratiques que sur les identités, chacune mise en opposition avec sa version moins socialement acceptée (sexualité reproductive ou non, mariée ou adultère, vanille ou sado-masochiste, à domicile ou dehors, gratuite ou rémunérée, etc.) 53
VERS LE
QUEER
COMME
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DÉMARCHE
AUGMENTER L’ARCHITECTURE
À partir des années 1980, certains discours sur l’architecture s’inscrivent dans les mouvances théoriques du poststructuralisme, du post-modernisme, du déconstructivisme et s’enrichiront d’un regard queer inscrit comme un outil supplémentaire pour redéfinir l’héritage de l’architecture moderne. Aujourd’hui la théorie queer en architecture fait l’objet d’une nouvelle compréhension et semble se formaliser par une mutation programmatique et une déterritorialisation* méthodologique des normes spatiales traditionnelles. Comme montré précédemment, le queer devient avant tout une démarche. Au lieu d’essentialiser un espace par ses usages, ses occupant·e·s ou une forme stéréotypée, il s’agit désormais de se concentrer sur la théorie pour en extraire une méthode. L’origine identitaire du mouvement est essentielle, mais elle permet aussi d’envisager une autre pratique de l’architecture.
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Notre environnement construit existe avec et dans une société. L’architecture est ainsi indissociable des constructions sociales et fait partie intégrante des institutions normatives des dispositifs* du bio-pouvoir*. Comme le montre Henri Lefebvre dans Le Droit à la ville24 en 1968, tout espace construit est social et la ville fonctionnelle produite dans un système capitaliste reproduit des rapports de domination entre ses habitant·e·s. L’espace construit est chargé de significations culturelles, il reproduit les mécanismes sociaux et génère des instances de violence et d’opposition aux corps qui dévient de l’hétéronormativité. L’espace dans lequel nous vivons est à l’image de l’ordre social dominant, c’est en cela que Paul B. Preciado le dénonce comme « destiné à produire des corps straights »25. Si l’architecture et les sciences sociales sont intrinsèquement liées, alors je considère qu’une approche queer ne peut qu’enrichir la pratique de l’architecture. Si les sociétés évoluent, leurs espaces doivent évoluer avec elles.
24 LEFEBVRE Henri, Le droit à la ville, éd. Ellipses, 2009 (parution originale 1968) 25 PRECIADO Paul B., « Notes pour une politiques des anormaux », dans Multitudes queer, vol. 2, n. 12, Paris : Association Multitudes, 2003 58
[ Le queer n’est pas encore là. Queer est un idéal. Autrement dit, nous ne sommes pas encore queer. Nous pourrions même ne jamais l’atteindre, mais nous pouvons le ressentir comme la lumière chaleureuse d’un horizon imprégné de potentialités. Nous n’avons jamais été queer, pourtant le queer existe pour nous comme un idéal qui peut être inspiré du passé et utilisé pour imaginer un futur. ]
« Queerness is not yet here. Queerness is an ideality. Put another way, we are not yet queer. We may never touch queerness, but we can feel it as the warm illumination of a horizon imbued with potentiality. We have never been queer, yet queerness exists for us as an ideality that can be distilled from the past and used to imagine a future. » José Esteban MUÑOZ, Cruising Utopia: The Then and There of Queer Futurity, New York University Press, 2009
TRANSGRESSION ET PERFORMATIVITÉ
Certains discours interprètent le queer non pas comme un moyen de production d’espace, mais comme une méthode de subversion des catégories essentialistes en architecture. Pour Christopher Reed26, le queer est une contradiction en soi et est impossible à atteindre, aucun espace ne peut être fondamentalement queerisé ou inqueerisable. En revanche le queer, étymologiquement « tordu, oblique, transversal » devient un outil « de travers » pour transgresser les normes. Il s’agit donc de composer avec des catégories existantes, le queer devient une méthode et non pas une finalité, un processus relationnel qui cherche à détourner les normes spatiales. Fondamentalement, queeriser c’est transgresser, subvertir, détourner les normes dominantes. Cela pourrait donc se
26 REED Christopher, « Imminent Domain: Queer Space in the Built Environment » in Art Journal, vol. 55, n. 4, New York : College Art Association, 1996 61
traduire par une opposition systématique à toute norme et une remise en question perpétuelle de toute nouvelle norme produite. La démarche queer est une pratique du contre-projet, elle pose toujours un regard « autre(s) ». Aussi, la démarche consiste avant tout à subvertir les normes, non pas à les détruire mais à s’en servir pour mieux les transgresser. Il s’agit de prendre conscience de l’existence de ces constructions hégémoniques, de comprendre que justement elles sont construites et donc potentiellement à déconstruire. Non pas pour vivre dans le chaos, ni pour formaliser un nouveau type d’espace, mais au contraire pour critiquer des catégorisations essentialistes récurrentes en architecture, pour laisser la place à d’autres constructions, plus riches, plus variées, moins autoritaires et se permettre d’en jouer librement. D’après Judith Butler, l’identité de genre est une répétition d’attitudes, de comportements, de gestes fabriqués qui résultent de constructions institutionnelles et d’un discours hétérosexuel hégémonique qui se conforme à un référent originel inexistant. L’identité de genre, socialement supposée comme « naturelle », apparaît alors comme une construction instable, sans véritable correspondance avec un sexe biologique. C’est une construction sociale performative pour laquelle chaque individu se conforme à un modèle féminin ou masculin dans le but (plus ou moins conscient) d’une reconnaissance sociale. Ce concept de « performativité »27 relève d’une pratique plus ou moins volontaire, mais elle révèle son artificialité dans la performance. La façon dont les artistes du Drag* parodient à l’excès les catégories de genre et jouent avec ces codes révèle le caractère construit et préfabriqué des attributs que la majorité considèrent comme normaux et 27
BUTLER Judith, Trouble dans le genre, pour un féminisme de 62
naturels. Comme dans la pratique du Drag, l’architecture queer peut jouer avec les stéréotypes. Elle peut s’approprier et détourner des symboles architecturaux stéréotypés, les exagérer et les pousser jusqu’au cliché. D’après Butler, le queer permet de transformer les consciences. Le faux, l’artificiel et le parodique démontrent la faillibilité des discours d’experts et soulignent comment est construit ce que la société prend pour « naturel ». Aussi, le concept d’intra-action théorisé par Karen Barad28 permet d’envisager cette performativité comme une action radicale qui annule la nature prédéterminée d’un objet et subvertie les catégories spatiales préexistantes en créant de nouvelles compositions. La théorie queer permet ainsi de déconstruire la matrice dominante en se glissant dans les interstices du système normatif pour permettre leur intraaction.
la subversion, éd. La Découverte, Paris, 2005 (parution originale : Gender Trouble, Feminism and the Subversion of Identity, Routledge, New York, 1990) 28 BARAD Karen, “Posthumanist Performativity: Toward an Understanding of How Matter Comes to Matter” in Signs: Journal of Women in Culture and Society, vol. 28, n. 3, Chicago, The University of Chicago Press, 2003, p. 801-831 65
ATTITUDE CAMP
Le camp est un mouvement aussi issu de l’univers queer qui propose une posture singulière pour la pratique de l’architecture. Tout comme le queer, c’est un terme utilisé tant dans les clubs underground que dans le milieu universitaire. C’est une attitude qui émerge dans le milieu homosexuel new-yorkais des années 1940 et qui sera théorisée par Susan Sontag dès 196429. Le camp glorifie l’artificialité et l’exubérance, il évoque la communauté et l’infiltration dans le réel. Ce terme évoque l’idée de « champs ouverts, de limites, de territoire spatial, de territoire social, de postures adoptées, de mauvais goût, de kitsch et de private joke »30 . Le camp est une attitude, une disposition de l’architecte qui prévaudrait sur sa production.
29 SONTAG Susan, Notes on camp, 1964, in A Susan Sontag reader, Straus & Giroux, 1982 30 LAFORE Benjamin, Camp, Now Camp, Quand les postures deviennent architectures, mémoire de Master, ENSA Paris-Malaquais, 2007
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Au début des années 1970, Charles Jencks transpose le concept défini par Sontag dans l’architecture31, ce qui lui permet de classifier les productions architecturales du High Camp au Non-Camp selon des critères de formalisme, de morale et de référence personnelle. De manière similaire, Benjamin Lafore32 utilise les critères d’une posture camp pour analyser les œuvres de Philip Johnson, Robert Venturi & Denise Scott Brown, Monica Bonvicini, Elmgreen & Dragset et Didier Faustino. Il montre comment ces architectes utilisent la subjectivité, l’amoralité et l’ironie pour critiquer les normes architecturales et déconstruire le standard idéal. L’architecture y est alors considérée comme un outil fondamental dans le processus d’identification des individus, où les affirmations identitaires s’apparentent à des postures intellectuelles qui prennent forme architecturalement. Lafore cherche ainsi à comprendre comment les architectes qui adoptent des postures identitaires affirmées conçoivent des objets architecturaux et quels liens existent entre l’identité sexuelle d’un·e architecte et sa production. Pour les premiers théoricien·ne·s queer des années 1990, le camp est présenté comme un outil de résistance identitaire par lequel les individus se distinguent des identités hégémoniques en contestant tout caractère essentialiste (alors que Sontag privilégiait la dimension esthétique et non militante). Le camp est amoral et devient résolument pervers. L’architecture camp prend conscience de sa nonuniversalité, puis l’affirme et la revendique dans une logique autobiographique, identitaire puis post-identitaire.
31 JENCKS Charles, Mouvements modernes en architecture, Chap. « Camp – Non Camp » (1972), éd. Mardaga, 1987 32
LAFORE Benjamin, op. cit. 68
Le camp n’est pas seulement un style, mais plutôt une attitude, une « ouverture d’esprit riante »33 en réaction au fonctionnalisme ennuyeux. Il veut produire du spectaculaire qui oscille entre le sublime et le ridicule. Le camp est une sensibilité communautaire permettant de reconfigurer le réel, d’envisager une architecture qui remet en cause les standards établis et le queer apporte les méthodes pour résister à ces standards. « L’universel, la neutralité, les limites privé / public, les distinctions binaires (homme / femme, …) sont autant d’illusions, de fictions socialement construites. Les rapports de pouvoirs sont dissimulés et disséminés, rien n’est neutre, surtout pas l’architecture ni les architectes. » (Benjamin Lafore)
33
JENCKS Charles, op. cit. (p. 223) 69
« Behind the ‘straight’ public sense in which something can be taken, one has found a private zany experience of the things” Susan SONTAG, Notes on camp, 1964, in A Susan Sontag reader, Straus & Giroux, 1982
[ Derrière le sens public « straight », on a trouvé une expérience bizarre, propre à chacun·e. ]
« L’attitude camp est essentiellement une tournure d’esprit à l’égard de toutes sortes d’objets qui ratent quand on les regarde avec sérieux. Au lieu de condamner ces manquements, elle les prend en considération et en partie s’en amuse. » Charles JENCKS, Mouvements modernes en architecture, éd. Mardaga, 1987 (p. 223)
« I like elements which are hybrid rather than «pure», compromising rather than « clean », distorted rather than « straightforward », ambiguous rather than « articulated », perverse as well as impersonal, boring as well as « interesting », conventional rather than « designed », accomodating rather than excluding, redundant rather than simple, vestigial as well as innovating, inconsistent and equivocal rather than direct and clear. I am for messy vitality over obvious unity. I include the non sequitur and proclaim the duality. » Robert Venturi, Complexity and Contradiction in Architecture, New York, Museum of Modern Art, 1966, (p. 22)
[ Je préfère les éléments hybrides plutôt que « purs », issus de compromis plutôt que « propres », tordus plutôt que « directs », ambigus plutôt qu’« articulés », pervers autant qu’impersonnels, ennuyeux autant qu’intéressants, conventionnels plutôt qu’ « élaborés », accommodants plutôt qu’excluants, redondants plutôt que simple, vestigiaux autant qu’innovants, inconsistants et équivoques plutôt que directs et clairs. Je préfère la vitalité du désordre à l’évidence de l’unité. J’inclus le non sequitur et proclame la dualité. » ]
POSTMODERNISME
Dans l’histoire de l’architecture, ce rejet des normes universalistes fait écho au mouvement postmoderne qui apparaît plus ou moins en même temps que la théorie queer, tous deux symptômes d’un rejet des règles normatives. Les post-modernes s’opposent au rationalisme structurel de l’architecture moderniste supposé résoudre les questions du logement et d’autres problèmes sociaux. Ces architectes célèbrent l’hétérogénéité et reconnaissent la valeur des éléments existants et diversifiés des villes, préférant comme Robert Venturi « le désordre de la vie » à « l’évidence de l’unité ». Ils·elles s’orientent souvent vers des programmes pluri-fonctionnels et éclectiques et rejettent le fonctionnalisme naïf34 selon lequel « la fonction dicte la forme ». Dans Queer Space35, Aaron Betsky interprète le travail des architectes postmodernes comme une queerisation des 34
ROSSI Aldo, Architecture of the City, Padova, Marsilio, 1966
35
BETSKY Aaron, Queer Space: Architecture and Same-Sex 73
principes du mouvement moderne en soulignant l’impasse de l’hyperfonctionnalisme et l’échec des ambitions universelles. « Un architecte comme Frank Israel a réalisé le potentiel du post-modernisme queer. Pour lui, la technologie moderne du verre et de l’acier, mais aussi de l’air conditionné et de l’électricité, pourrait être libératrice. Cela nous a donné des espaces et abris ouverts sans devoir nous enfermer derrière des murs et sous d’immenses toits. Cela a servi comme l’équivalent construit du changement d’attitude envers la sexualité d’une personne : chacun pouvait se construire luimême de manière ouverte. »36 « Les leçons du postmodernisme, et de l’architecture queer en général, sont celles de l’ambiguïté et de la contradiction résolues à travers le corps. La manière dont chacun·e se construit dans le monde réel peut servir les interventions et miroirs de l’architecture. En faisant des espaces à travers lesquels chacun·e peut se représenter ses relations et dans lesquels chacun·e peut s’identifier, trouver une place pour lui·elle-même dans le monde. Tu réalises que les règles du monde qui pourraient vouloir te dire quoi faire, que faire de toi-même, comment paraître et comment être sont remplies de contradictions internes. C’est principalement parce qu’elles essaient de s’imposer dans la vitalité de l’expérience vécue alors qu’elles ne pourront jamais vraiment y parvenir. Après avoir réalisé cela, tu peux les considérer comme des Desire, éd. William Morrow, 1997, Chap. Queering Modernism (p.98) 36 « An architect like Frank Israel realized the potential of queer postmodernism. To him, the modern technology of glass and steel, but also of air-conditioning and electricity, could be liberating. It gave us open space and shelter without having to enclose us behind closed walls or under giant roofs. It served as the built equivalent of the changing attitudes towards one’s sexuality: one could construct one’s self in an open way » BETSKY Aaron, op. cit. Chap. Queering Modernism 74
masques ou des mises en scènes à utiliser dans ton apparence. En apportant une chorégraphie de plaisirs sensuels, tu peux créer ta propre relation au monde matériel. »37 Dans L’enseignement de Las Vegas notamment, le chapitre « L’architecture de la majorité - blanche - silencieuse » rejette cet idéal de l’Homme universel. L’erreur des architectes modernes est qu’« ils construisent pour l’Homme et non pour les gens. Ce qui veut dire pour leur propre agrément, c’està-dire ce qui convient à leurs propres valeurs particulières de cadres des classes moyennes qu’ils attribuent à tout le monde »38. Ainsi, pour Venturi et Scott Brown, « les gens » deviennent autorités et sont porteurs de significations mobiles. En revanche, si les architectures postmodernes rejettent les codes du modernisme, elles relèvent parfois de la blague et ne sont pas toujours justifiées par une idéologie. Il semble que ces architectes s’orientent soit vers l’élaboration d’une architecture dénormée qui prête attention au pluralisme et à l’hétérogénéité du monde, aux corps et aux relations 37 « The lessons of postmodernism, and of a queer architecture in general, are those of ambiguity and contradiction resolved through the body. The way that one constructs one’s self in the real world can use the mediations and mirrors of architecture. By making spaces through which one can map one’s relations and in which one can mirror one’s self, one can find a place for one’s self in the world. You realize that the orders of the world that might want to tell you what to do, what to make of yourself, how to appear, and what to be are filled with internal contradictions. This is mostly because they try to impose themselves on the vitality of lived experience and can never quite accomplish that task. Having come to this realization, you can treat them as masks or stage sets to use in your appearances. By providing a choreography of sensual delights, you can create your own relationship to the physical world.» BETSKY Aaron, op. cit. Chap. Queering Modernism 38 VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven, L’Enseignement de Las Vegas, éd. Mardaga, Wavre (Belgique), 2008, (parution originale : Learning from Las Vegas, MIT Press, 1977) 75
sociales, soit vers la pure fantaisie comme pour les parcs d’attraction dessinés par Robert A. M. Stern . Pendant les années 1970, les architectes postmodernes s’attaquent à une version parfois caricaturale du modernisme, qui certes avait combattu les institutions architecturales bourgeoises et élitistes dans les années 1920, mais est tournée en ridicule face à l’échec de ses espoirs d’accompagner un changement social. Ce qui est assez contradictoire est que certain·e·s de ces architectes post-modernes semblaient n’incarner aucun rêve mais glorifiaient toujours le pouvoir de l’architecture à transmettre du sens, ou à exprimer par la forme des critiques de la société contemporaine. « Dès lors, paradoxalement, ils réaffirmèrent le pouvoir de la forme, ainsi que le leur en tant qu’architectes, tout en méprisant les aspirations utopiques des premiers modernistes. »39 Peut-être que la majorité des post-modernes n’ont été que des anti-modernes et n’ont pas réussi à proposer de théorie plus féconde. Ils·elles se sont souvent concentré·e·s uniquement sur la question du style en rejetant explicitement toute préoccupation sociale et sans aucune attention aux conséquences des nouvelles formes d’architecture. Finalement cela montre certainement que la simple opposition n’est pas suffisante et que la dimension politique du queer évite l’écueil de la transgression gratuite.
39 GHIRARDO Diane, Les architectures postmodernes, éd. Thames and Hudson, Paris, 1997 (parution originale Architecture after Modernism, Thames and Hudson, Londres, 1996), p.27 76
NOUVEAU PARADIGME DU NUMÉRIQUE
L’ère computationnelle dans laquelle nous vivons aujourd’hui engendre un nouveau cadre culturel et induit une redéfinition des bases de nos sociétés. Nous sommes face à de nouveaux paradigmes et la matrice même de nos espaces se trouve fondamentalement transformée. Puisqu’il n’y a pas de retour en arrière possible, peut-être devonsnous nous saisir de ce modèle à repenser. Lors du colloque international « Espaces genrés, sexués, queer »40, Eric de Thoisy, doctorant en architecture, a proposé de repenser une fondation : nous vivions sur les vestiges des mythes d’Adam, Eve et les autres, dans la ville genrée par le capitalisme au XIXème siècle, peut-être pouvons-nous désormais construire d’autres modèles. Dans le « jeu de l’imitation »41 d’Alan Turing (fondateur de l’informatique), 40 Colloque internationale “Espaces genrés, sexués, Queer”, ENSA Paris la Villette et ENSA Paris Belleville, 19 et 20 octobre 2017 41 Expérience fictive imaginée par Alan M. Turing dans Computing Machinery and Intelligence (1950) qui explore la possibilité d’un dialogue entre l’humain et la machine. 79
tout commence par l’annulation de la reconnaissance des genres. De même, l’altérité initiale des genres est manifeste chez Donna Haraway42. À l’ère du transhumanisme* la métaphore du cyborg redéfinit le rapport au corps humain, déjà augmenté par la cybernétique et la biotechnologie, et devient une figure hybride potentiellement queer qui brouille les frontières et les catégories existantes. Peut-être que cette nouvelle ère et ce nouveau paradigme pourraient être ceux d’une évolution émancipatrice d’une condition humaine héritée, préétablie et figée, de la neutralisation des corps ou bien de la fin de la peur des identités fracturées, et pourraient permettre la reconstruction collective de nouvelles définitions. Si l’ère computationnelle est déjà omniprésente, il est encore temps de décider comment l’orienter et de s’inscrire dans un optimisme technologique pour demain. Dans le nouvel espace infini de l’information, la pensée straight43 est à parodier plutôt qu’à éradiquer, et le queer est capable de dynamiter sa rigueur. Par ailleurs, les rapports de genres sont intimement liés aux sphères séparées de l’espace privé / espace public. Aussi, le numérique pourrait favoriser la queerisation de l’espace domestique normatif. En effet, « l’espace domestique ne se définit plus en retrait du public, mais devient un espace surexposé qui se dématérialise via les technologies de partage et de communication, remettant ainsi en cause sa
42 HARAWAY Donna, Manifeste Cyborg et autres essais, Exils Éditeurs, 2007 (première traduction 2002, parution originale : Cyborg manifesto, revue The Berkeley Socialist Review Collective, 1983-1985, puis Simians, Cyborgs and Women, The Reinvention of Nature, Routledge, 1991) 43 WITTIG Monique, La pensée Straight, éditions Amsterdam, Paris, 2013 (parution originale : Straight Mind, Beacon Press, 1992) 80
relation avec l’extérieur »44. La liberté online (en ligne) permet d’échapper aux normes offline (hors ligne) patriarcales, et ce malgré une tendance actuelle au puritanisme sur les réseaux sociaux45. Le numérique permet ainsi de remettre en question la binarité espace - programme et rend obsolète l’attribution d’un usage stable et prédéfini pour chaque espace, par exemple l’ajout d’un écran dans un espace délimité ouvre son usage à de nouvelles potentialités qui modifient par la suite notre lecture et notre attitude vis-àvis du lieu.
44 MAKHLOUTA Jean, Queeriser l’espace domestique à l’ère numérique, mémoire de Master, ENSA Paris-Malaquais, 2019 45 Aujourd’hui, les réseaux sociaux tels que Facebook ou Instagram véhiculent des images ultra-normées et censurent tout ce qui est considéré comme « immoral » selon des critères bien particuliers (tout ce qui touche à la sexualité, les tétons, mais seulement les « féminins » - voir le mouvement #freethenipples, le sang menstruel, etc), mais laisse circuler des images de violence et / ou oppressifs envers certaines minorités. 81
« Queer space is not one place: it is an act of appropriating the modern world for the continual act of self-construction. It is obscene and artificial by its very nature. It creates its own beauty. It allows us to be alive in a world of technology. There we can continually search within ourselves as we mirror ourselves in the world for that self that has a body, a desire, a life. Queer space queers reality to produce a space to live. » Aaron BETSKY, Queer Space: Architecture and Same-Sex Desire, éd. William Morrow, 1997
[ L’espace queer n’est pas un lieu spécifique : c’est un acte d’appropriation du monde moderne en faveur d’une auto-construction continue. Il est obscène et artificiel par nature. Il créé sa propre beauté. Il nous permet d’être vivants dans un monde de technologie. Ainsi nous pouvons continuellement chercher à l’intérieur de nous-même comme nous nous reflétons dans le monde pour ce soi qui a un corps, un désir, une vie. L’espace queer queerise la réalité pour produire un espace pour vivre. ]
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QUEERING : MÉTHODE QUEER
Porter un regard queer sur l’architecture est avant tout un moyen de la dé-normer. Cette posture, en reconnaissant l’existence et l’importance de la pluralité des individus, s’oppose au prétendu standard universel et au fonctionnalisme qui lui est associé. L’homme de Vitruve, le Modulor, les normes du Neufert, tous ces archétypes de l’individu « neutre » et universel apparaissent comme obsolètes au regard de la multiplicité des individus. Puisqu’on ne vit pas forcément de la même façon et que nos valeurs peuvent fluctuer en fonction de notre genre, notre âge, notre taille, notre orientation sexuelle, notre culture, notre race, notre santé physique et mentale, notre milieu social, notre mode relationnel, familial, etc., il semble évident que l’architecture ne peut pas être universelle, qu’elle doit s’adapter et permettre ces différences plutôt que de s’uniformiser.
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Aujourd’hui, le terme « queer » est souvent un terme parapluie qui permet de regrouper l’alphabet soup (LGBTTIQQ2SA+*) en un seul terme qui évoque une communauté aux problématiques plus ou moins communes. Le mot « queer » est de plus en plus présent dans l’espace mainstream où il apparaît un peu à toutes les sauces, des émissions Queer Eye46 aux collections de vêtements unisexes, en passant par tous les évènements qui utilisent le label queer pour sembler moins hétéro / homonormatifs. Mais outre le pinkwashing* dont il peut faire l’objet aujourd’hui, le queer est avant tout un outil, une méthode qui peut se traduire en démarche de projet. Aussi, cette démarche queer permet la reconnaissance d’« espaces autres » que Michel Foucault considère nécessaires à la société. Elle permet l’existence d’hétérotopies*, ce sont « des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des contre emplacements, sortes d’utopies [...] qui sont à la fois représentées, contestées et inversées »47. Par ailleurs, la non-binarité* est une notion clé de la démarche. Elle permet d’éviter les couples d’oppositions trop stéréotypées et de s’approprier les dichotomies pour explorer la fluidité des nuances. Certains modèles théoriques pourraient permettent de sortir de cette binarité, comme le ruban de Möbius, qui n’a qu’une seule face mais fluide, en mouvement, sans fin, sans intérieur ni extérieur, ou encore 46 Émission de téléréalité américaine reprise en 2018 (d’après l’émission Queer Eye for a Straight Guy diffusée aux États-Unis entre 2003 et 2007) qui met en scène cinq « experts » homosexuels qui usent de leurs talents pour transformer le style une personne hétérosexuelle jugée sans goût et égayer sa vie pour un nouveau départ. 47
FOUCAULT Michel, « Des espaces autres », in AMC N°5, 1984. 84
le rhizome* théorisé par Deleuze et Guattari48, système ouvert fait de multiplicités de directions mouvantes. De même qu’une architecture queer est non-universelle, elle permet de remettre en question le fonctionnalisme selon lequel la beauté d’une œuvre dépendrait de son adaptation à sa fonction. Cette norme architecturale mène à questionner la notion même du « beau », déjà mise à mal par le camp et le kitsch. Tout comme on peut « user d’éléments conventionnels de manière non conventionnelle »49, le queer peut faire émerger une pratique qui interroge le rapport normé entre forme et fonction, entre espace et usage. « Si l’architecture sublime, l’espace queer exprime. Si les intérieurs au sein des structures architecturales confortent, l’espace queer séduit. »50 Cette démarche architecturale s’inspire aussi des notions d’« espace strié » et d’« espace lisse »* théorisées par Deleuze et Guattari51. En effet, l’espace strié est métrique, hiérarchisé, sédentaire, rapporté au modèle du tissu (trame filaire orthonormée, finitude et ordre dynamique). Alors que l’espace lisse est nomade, en devenir, espace de proximité et d’affects intenses, non polarisé, ouvert, 48 DELEUZE Gilles et GUATTARI Félix, Capitalisme et schizophrénie, tome 2 : Mille plateaux, éd. Minuit, Paris, 1972 49 VENTURI Robert, architecture, op. cit. p. 46.
Complexity
and
Contradiction
in
50 « If architecture sublimates, queer space expresses. If the interiors within most architectural structures accommodate, queer space seduces. » BETSKY Aaron, op. cit. 51 DELEUZE Gilles et GUATTARI Félix, « le lisse et le strié », dans Capitalisme et schizophrénie, tome 2 : Mille plateaux, éd. Minuit, Paris, 1972, p.592-594 89
non mesurable, anorganique et peuplé d’évènements, luimême rapporté au modèle du feutre comme anti-tissu (enchevêtrement aléatoire de fibres). Aussi, l’espace strié correspond à l’espace normatif, mais l’espace lisse n’est pas nécessairement l’incarnation du queer. En revanche, on peut dire que la démarche queer est la subversion de l’espace strié par l’espace lisse. Aussi par l’action transversale du queer, les deux espaces se mélangent et l’espace normatif est perverti par l’espace lisse. L’objectif n’est pas de créer un espace totalement lisse, infini, non structuré et en perpétuelle transformation, mais de subvertir localement l’espace strié pour lui offrir de nouvelles possibilités permises dans l’espace lisse. Le mouvement est transgressif, mais surtout générateur de potentiels. Finalement, je crois que l’architecture doit se rendre vulnérable, permettre le décentrement, la confrontation avec les valeurs de la marge et la réinterprétation, avec et contre ce qui domine. Queering devient une méthode pour déconstruire les typologies, la programmation, l’espace, la forme, les usages. Ces espaces autres sont ceux du horschamp, des espaces en dehors des discours hégémoniques, des contre-pratiques, des résistances, des interstices et de l’usage mineur*. C’est une architecture amorale, choquante, décentrée, plurielle, post-identitaire, communautaire, qui joue des codes et use de la parodie comme arme pour révéler et questionner les normes essentialisées. Elle propose de nouveaux standards, qui délibérément ne conviennent pas à tout le monde. Si la théorie queer a d’abord permis d’identifier et de déconstruire la binarité des normes de genre, elle permet a posteriori d’adopter un certain mode de pensée, un regard paticulier, une réflexion qui remet en question normes hégémoniques et ouvre à de nouvelles clés 90
de compréhension du monde. L’architecture ne peut probablement pas répondre à toutes ces problématiques, mais ce qui est certain, c’est qu’elle doit au moins se poser ces questions. Le queer est une théorie critique, mais il s’agit également d’une pratique, d’un mouvement qui encourage la performance et la création comme outil de déconstruction des normes. C’est un regard analytique applicable à l’architecture qui permet de comprendre que l’anorme fait partie du monde. On peut voir les différences comme des contraintes, ou bien comme une source immense de possibles. Tout le monde est normal. Le normal n’existe pas. Alors regardons la beauté de tout ce qui est anormal, pour construire avec, pour, et par les hors-normes.
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GLOSSAIRE
BALLROOM : Nés à Harlem (New York) dans les années 1960, les ballrooms sont des lieux d’expression d’une sous-culture LGBT, principalement noire et latino, dans lesquels des personnes performent en compétition dans le but de faire remporter un trophée à leur « maison ». Les compétitions peuvent inclure de la danse, comme le voguing, ou des catégories de drag* imitant d’autres genres et classes sociales. BIO-POUVOIR : Le bio-pouvoir (ou la bio-politique), théorisé par Michel Foucault, est une forme d’exercice du pouvoir qui porte sur la vie des individus d’un point de vue physique, politique et social. Cela passe, entre autres, par l’assignation des corps à des rôles politiques au sein de la société : les corps des femmes sont assignés à un rôle reproductif, etc. Il prend en charge la vie des individus, avec d’un côté le corps (pour le discipliner) et d’un côté la population (pour la contrôler). L’élément commun au corps et à la population est la norme. C’est elle qui fait en sorte que ce biopouvoir s’exerce, de 93
manière rationnelle, à la fois sur un ensemble statistique (une collectivité) et sur un individu. CISGENRE : Les personnes cisgenres sont les personnes dont le sexe assigné à la naissance correspond à leur identité de genre*. Ce terme a été créé en opposition au terme trans*, pour rappeler que les minorités ne sont pas seules à être « particulières » et par conséquent que les majorités (ou celles et ceux qui sont considéré·e·s comme « normaux·ales ») sont aussi une composante « particulière » de la société qu’il convient de nommer. CRUISING : Pratique de drague issue de la culture homosexuelle masculine qui consiste en une quête de partenaires sexuels occasionnels et anonymes. DARKROOM / BACKROOM : Espace sombre et plutôt à l’écart dans un bar, un événement ou une discothèque (généralement destinés aux hommes homosexuels) qui permet de pratiquer un acte sexuel souvent rapide et anonyme sur place. DÉTERRITORIALISATION : La déterritorialisation est un concept théorisé par Gilles Deleuze et Félix Guattari dans Capitalisme et schizophrénie, tome 1 : L’Anti-Œdipe (1972) qui consiste à quitter une habitude, une sédentarité, à échapper à une aliénation, à des processus de subjectivisation précis. Elle est suivi par la reterritorialisation où la conscience retrouve son territoire mais sous de nouvelles modalités, jusqu’à la prochaine déterritorialisation. DISSONANCE COGNITIVE : La dissonance cognitive désigne la tension qu’une personne 94
ressent lorsqu’un comportement entre en contradiction avec ses idées ou croyances. La rectification des idées acquises est alors difficilement supportable, ce qui empêche l’acceptation d’idées nouvelles pour lesquelles on ne possède pas encore l’expérience. DISPOSITIF : Dans le sens foucaldien, le dispositif instaure des rapports de pouvoir visant à contrôler, orienter, réglementer l’attitude et le comportement dans un espace donné. DRAG : Pratique de travestissement performé par une personne qui construit une apparence féminine (drag-queen) ou masculine (drag-king) souvent stéréotypée et exagérée, de façon temporaire et souvent dans le cadre d’un spectacle. EPISTEMOLOGIE : Partie de la philosophie qui a pour objet l’étude critique des postulats, conclusions et méthodes d’une science particulière, considérée du point de vue de son évolution, afin d’en déterminer l’origine logique, la valeur et la portée scientifique et philosophique. ESPACE LISSE / ESPACE STRIÉ : Concepts théorisés par Gilles Deleuze et Félix Guattari dans l’ouvrage Capitalisme et schizophrénie, tome 2 : Mille plateaux (1980). Espace de proximité, d’affects intenses, non polarisé et ouvert, non mesurable, anorganique et peuplé d’événements ou d’héccéités, l’espace lisse s’oppose à l’espace strié, c’est-à-dire métrique, extensif et hiérarchisé. Au premier sont associés le nomadisme, le devenir et l’art haptique, au second, le sédentarisme, la métaphysique de la subjectivité et l’art optique. L’espace strié est rapporté au modèle du tissu, avec sa structure (fils de trame, fils de chaîne et croisement perpendiculaire des deux), sa finitude 95
(largeur du tissu définie par le cadre de la chaîne et l’allerretour du fil de chaîne dans ce cadre fermé) et son ordre dynamique (les fils de chaîne s’écartent pour laisser passer le mouvement régulé des fils de trame), alors que l’espace lisse sera pensé sur le modèle du feutre, comme « antitissu » qui n’implique aucun dégagement des fils, aucun entrecroisement, mais seulement un enchevêtrement aléatoire des fibres, à la fois homogène (lisse), susceptible de croître en tous sens et infini en droit. L’espace lisse est un espace sans profondeur, un espace d’immédiateté et de contact, qui permet au regard de palper l’objet, de se laisser investir par lui et de s’y perdre. L’espace lisse, enté sur la notion de proximité, est aussi un espace aformel. Il ne contient ni formes ni sujets, mais se peuple de forces et de flux, constituant un espace fluide, mouvant, sans ancrage ni polarisation, sans empreinte qui ne soit éphémère. [déf. Mireille Buydens, « Espace lisse / Espace strié » in Le vocabulaire de Gilles Deleuze (sous la dir. Robert Sasso et Arnaud Villani), Les Cahiers de Noesis n° 3, Printemps 2003, p. 130.]
GENRE : Le genre est un concept utilisé en sciences sociales pour désigner les différences non biologiques entre les femmes et les hommes. Alors que le type sexuel fait référence aux différences biologiques, le genre réfère aux différences sociales entre femmes et hommes. Ces différences produisent des conséquences psychologiques, mentales, économiques, démographiques ou encore politiques. Le genre peut être défini comme l’ensemble construit des rôles et responsabilités sociales assignés aux femmes et aux hommes à l’intérieur d’une culture donnée à un moment précis de l’histoire. Le genre n’est ni une donnée purement biologique, ni une évidence historique, ni même une norme fixe (socialement comme individuellement).
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HÉTÉRONORMATIVITÉ : Croyance selon laquelle tous les individus appartiennent à l’un des deux genres distincts et complémentaires (homme et femme) possédant des rôles naturels dans la vie. Elle suppose que l’hétérosexualité est la seule orientation sexuelle ou seule norme acceptable, ce qui implique un alignement entre le sexe biologique, la sexualité, l’identité et les rôles de genre. Dans La pensée straight (1992), Monique Wittig énonce l’hétérosexualité comme un régime politique. HÉTÉROTOPIE : L’hétérotopie (du grec topos « lieu », et hétéro, « autre » : « lieu autre ») est un concept forgé par Michel Foucault lors d’une conférence intitulée « des espaces autres » donnée en 1967 au cercle d’études architecturales. Il y définit les hétérotopies comme une localisation physique de l’utopie (qui elle n’a pas de lieu réel). Ce sont des espaces concrets qui hébergent l’imaginaire (théâtres), qui sont utilisés pour mettre à l’écart (maisons de retraite, asiles, cimetières), ou de façon plus générale qui peuvent être définis dans l’emploi d’espaces destinés à accueillir un type d’activité précis (stades, lieux de culte, parcs d’attraction). Ce sont des lieux à l’intérieur d’une société qui obéissent à des règles qui sont autres, génèrent des différences de comportements et des écarts à la norme. L’hétérotopie peut être éphémère, comme lorsqu’un événement change provisoirement les règles et les normes dans un espace donné. Michel Foucault dégage six principes permettant une description systématique des hétérotopies : elles sont présentes dans toute culture sous des formes variées, selon qu’il s’agisse de sociétés primitives ou modernes ; une même hétérotopie peut voir son fonctionnement se modifier dans le temps ; elle peut juxtaposer en un seul lieu plusieurs espaces eux-mêmes incompatibles dans l’espace réel ; au sein d’une hétérotopie existe une hétérochronie, à savoir une rupture avec le temps réel, soit, l’hétérotopie atteint 97
son plein potentiel lorsque les personnes qui la font naître rompent avec la chronologie traditionnelle ; l’hétérotopie peut s’ouvrir et se fermer, ce qui à la fois l’isole, la rend accessible et pénétrable ; les hétérotopies ont une fonction par rapport aux autres espaces des sociétés : elles sont soit des espaces d’illusion soit des espaces de perfection. IDENTITÉ DE GENRE : L’identité de genre fait référence à l’expérience intime et personnelle du genre profondément vécue par chacun·e, qu’elle corresponde ou non au sexe assigné à la naissance. INTERSECTIONNALITÉ : Concept visant à révéler la pluralité des discriminations de classe, de sexe, de race, de handicap, d’orientation sexuelle et désigne la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de domination ou de discrimination dans une société. LGBT, LGBTQ, LGBTQQIA+ : Ce sont plusieurs acronymes utilisés pour parler de toutes les sexualités et identifications de genre non hétéronormatifs, qui se traduisent par Lesbienne, Gay, Bisexuel.le, Trans, Queer, en Questionnement, Intersexe, Asexuel.le, et « + » pour les autres termes qui se rajoutent parfois à l’acronyme (Alliés, Two-spirited, Autres…) MAINSTREAM : Massivement populaire, grand public, courant dominant suivi et accepté par la masse, voire conformiste. MAJEUR / MINEUR : D’après Deleuze et Guattari, ce qui définit une situation est une certaine distribution des possibles, le découpage spatiotemporel de l’existence. Il ne s’agit pas tant de rituel que de la forme même, dichotomique, de la possibilité : ou bien 98
- ou bien, disjonctions exclusives de tous ordres (masculinféminin, adulte-enfant, humain-animal, intellectuel-manuel, travail-loisir, blanc-noir, hétérosexuel-homosexuel, etc.) qui strient d’avance la perception, l’affectivité, la pensée, enfermant l’expérience dans des formes toutes faites, y compris de refus et de lutte. Il y a de l’oppression en vertu de ce striage, comme on le voit à ces couples d’opposés qui tous enveloppent une hiérarchie : chaque disjonction est au fond celle d’un majeur et d’un mineur. [François Zourabichvili, Le vocabulaire de Deleuze, Ed. Ellipses, 2003, p.40-41]
NON-BINARITÉ : Dans le contexte des sciences sociales, les termes nonbinaire et genderqueer désignent les personnes dont l’identité de genre trouve dans le spectre du genre, c’est-àdire, qui ne sont ni hommes ni femmes, entre les deux ou un « mélange » des deux. La non-binarité s’oppose à la binarité sexuelle et à la hiérarchie des genres qui peut l’accompagner. PARADIGME : Un paradigme est une représentation du monde, une manière de voir les choses, un modèle cohérent du monde qui repose sur un fondement défini (matrice disciplinaire, modèle théorique, courant de pensée). Les révolutions scientifiques induisent de nouveaux paradigmes, le nouveau modèle doit vaincre les obstacles épistémologiques* et être assez robuste pour remettre en cause le précédent. Les paradigmes étant fluctuants, la « vérité scientifique » à un moment donné ne peut représenter qu’un consensus temporaire. En sciences sociales, il décrit l’ensemble d’expériences, de croyances et de valeurs qui influencent la façon dont un individu perçoit la réalité et réagit à cette perception. Ce système de représentations lui permet de définir l’environnement, de communiquer à son propos, 99
voire d’essayer de le comprendre et de le prévoir. PINK-WASHING : Expression critique qui révèle une technique de communication par laquelle une entreprise, une entité politique ou une institution « lave » son image et se rachète une réputation en s’affichant bienveillante envers les personnes LGBT, alors que les faits révèlent qu’il ne s’agit que d’une stratégie de relations publiques sans véritables actions et investissements. RHIZOME : Concept théorisé par Gilles Deleuze et Félix Guattari dans l’ouvrage Capitalisme et schizophrénie, tome 2 : Mille plateaux (1980). Le rhizome est un système ouvert de « multiplicités » sans racines, reliées entre elles de manière non arborescente. « À la différence des arbres ou de leurs racines, le rhizome connecte un point quelconque avec un autre point quelconque, et chacun de ses traits ne renvoie pas nécessairement à des traits de même nature, il met en jeu des régimes de signes très différents et même des états de non-signes. Le rhizome ne se laisse ramener ni à l’Un ni au multiple. Il n’est pas fait d’unités, mais de dimensions, ou plutôt de directions mouvantes. Il n’a pas de commencement ni de fin, mais toujours un milieu, par lequel il pousse et déborde. Il constitue des multiplicités. » (p. 31) STRAIGHT : Droit, rectiligne, hétérosexuel, voire hétéronormatif*. TRANSHUMANISME : Mouvement qui promeut l’utilisation des découvertes scientifiques et techniques pour l’amélioration des performances humaines, qu’elles soient physiques ou mentales, via un usage avancé de nanotechnologies et de biotechnologies. Il peut s’agir de rendre la vue à une personne 100
non voyante, de faire marcher un homme paralysé avec des prothèses animées via un processeur ou encore de stimuler le cerveau pour lutter contre la maladie de Parkinson. Les travaux se multiplient dans de nombreux domaines pour améliorer les conditions de l’humain, pouvant même aller jusqu’à l’idée de s’extraire de cette condition.
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031 La Mutinerie, bar féministe, Paris, photographie Gaëlle Mathieu, 2017 Gay Village, Montréal (Canada), photographie personnelle, 2016
032 The Cruising Pavillon, op. cit.
036 Queer Island, Alaska, carte réalisée par The United States Geological Survey en 1987
039 La cité des dames, Christine de Pizan, 1405
040 BOOM Community, projet de Joel Sanders Architects, Diller Scofidio + Renfro, J. Mayer H., L2 TsionovVitkon, Hollwich Kushner, Rudin Donner, Lot-Ek, Sadar + Vuga, Arakawa + Gins, SurfaceDesign (projet interrompu faute de reprise de la construction immobilière suite à la crise financière de 2008)
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043 Queering the map, carte interactive initiée par Lucas La Rochelle (Montréal, 2018) et générée par la communauté queer qui géolocalise des moments, des souvenirs et des récits queer mis en relation avec l’espace physique.
044 Réalisation personnelle, Closet Door, dessin, 2018
048 Réalisation personnelle, F. & D. Closet, Paris 2019
051 Tout contre (série), Claudia Huidobro, 2008-2014
056 Bodies in Urban Spaces, Cie Willi Dorner, Photographie Lisa Rastl, 2014
060 Réalisation personnelle, capture d’écran (logiciel Rhino3D) et photomontage avec images de la drag-queen Lolla Wesh, 2019
063 Réalisation personnelle, photomontage, publicité pour lingerie Aubade en façade des galeries Lafayette (Paris) détournée avec une publicité pour jockstrap, 2018
064 Vandalisme sur le château-d’eau de Virginia (EtatsUnis), « Virginia Queer (Queen) City », 2009
066 Never Again (Hamburger Bonvicini, 2005
Bahnhof,
Berlin),
Monica
072 Réalisation personnelle, capture d’écran (fond : bombe nucléaire ‘Priscilla’, Nevada Test Site, 1957), 2019
078 Générateur de programmes d’architecture random, version alpha, MLAV.LAND, 2019
085 Ruban de Möbius, décrit en 1858 par le mathématicien August Ferdinand Möbius
087 Home palace, Residence Faustino, 2004
in
Beijing
(Chine),
Didier
092_102_110 Réalisations personnelles, Queering architecture, 2019
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REMERCIEMENTS Je tiens particulièrement à remercier Dominique Rouillard et Brent Patterson pour le temps qu’il·elle m’ont consacré, pour la richesse de leurs références et pour leurs précieux conseils tout au long de la construction de ce diplôme. Je remercie mes proches, ami·e·s, amours et famille qui m’ont soutenu·e dans cette période tourmentée. Mais aussi merci à tous·tes les auteur·rice·s, conférencier·es, personnalités et rencontres variées qui m’ont fait avancer, ouvrir les yeux sur certaines choses et prendre conscience de l’importance de l’engagement. Merci à celles, ceux et celleux qui ont le courage d’exister et de lutter pour une société plus juste et égalitaire. Merci aux personnes qui sont capables d’écouter les autres, de remettre en question leurs certitudes, de chercher par elles-mêmes, de soutenir les êtres qui leur importent et d’oeuvrer à leur échelle pour améliorer les conditions de vie de chacun·e. Allez bisous.