Paperjam Avril 2020

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ÉDITO

Faire bloc après le choc A

près le choc, quand nous aurons pleuré les morts et célébré la vie, quand les héros auront été récompensés à leur juste mérite et que la science saura nous prémunir contre la maladie, alors il faudra prendre le temps de se poser pour réfléchir à la suite. Avant de reconstruire. Jamais dans son histoire, l’humanité n’avait connu de coup d’arrêt si brutal, si global et si rapide. Il aura suffi de trois mois pour qu’un virus apparu sur les étals douteux d’un marché chinois contamine la planète ; contraigne l’humanité à se claquemurer en redoutant le pire ; abolisse la liberté fondamentale d’aller et venir ; et paralyse toute activité économique. En un hiver, l’infiniment grand s’est vu terrassé par l’infiniment petit, renvoyant chacun d’entre nous à son angoisse existentielle et à ses réflexes de survie. C’est le propre des crises de faire vaciller les certitudes et les habitudes. On ne sort pas indemne d’un tel traumatisme. Mais c’est aussi dans l’adversité qu’apparaissent les lignes de force. Celles qui dessinent un chemin pour l’avenir et dressent une méthode pour y parvenir : faire bloc. Faire bloc, c’est d’abord espérer que la solidarité l’emporte pour une fois sur l’individualisme. Parce qu’une pandémie ne se combat pas tout seul, mais de façon collective. Parce que la seule arme dont on dispose, le confinement, revient à se protéger soi-même en protégeant autrui. Parce qu’au-delà de quelques

égoïstes capables d’en venir aux mains pour remplir leurs placards de spaghettis­ou de papier toilette, des hommes et des femmes mettent en jeu leur santé tous les jours pour sauver celle des autres ou remplir leurs assiettes. On a vu fleurir ici et là au Grand-Duché des initiatives pour fabriquer des masques, en distribuer, ou encore venir en aide aux plus démunis. Il faut aujourd’hui s’en féliciter, et il faudra demain s’en souvenir. Faire bloc, c’est ensuite comprendre que, dans notre modèle de société, il existe des biens immatériels plus précieux que d’autres. Que la santé, comme l’éducation, est un sujet trop important pour être abandonné aux seuls aléas du marché. Le système hospitalier, les réseaux de soins, les maisons de retraite ont un prix qui paraît soudain bien dérisoire quand survient une tragédie. « Cela coûtera ce que cela devra coûter », a promis le Premier ministre, en présentant son programme d’aide historique. Gageons qu’il ne l’oubliera pas non plus pour la suite. Faire bloc, c’est encore reconnaître que lorsque tout bascule, chacun finit toujours par s’en remettre à la puissance publique. L’État et ses fonctionnaires, parfois raillés ou critiqués, font aujourd’hui figure de sauveurs en dernier ressort, y compris chez les chantres du libéralisme. Alors, bien sûr, on ne pourra sans doute pas aider toutes les entreprises, a déjà prévenu le ministre de l’Économie. Il n’empêche, tout le monde est bien content que l’État soit

là aujourd’hui. En particulier lorsqu’il a été géré, comme ici, en bon père de famille et qu’il dispose de marges de manœuvre pour relancer la machine. Faire bloc, c’est enfin exiger que l’on repense la bonne marche du monde. La globalisation ne peut plus se limiter au règne du profit pour soi, mais elle doit garantir une forme de progrès pour tous. L’épidémie n’aurait sans doute pas connu la même ampleur si la Chine qui se pose aujourd’hui en sauveur du monde avait sonné l’alarme en temps et en heure, et de façon transparente. L’Europe n’aurait peut-être pas été aussi durement touchée si ses gouvernants avaient fait jouer la solidarité à plein régime plutôt que de se barricader ou se voler des masques. L’Histoire se souviendra que, dans ces heures sombres, le Luxembourg n’a pas fermé ses frontières et qu’il a pris en charge des patients français. Juste retour des choses dans un pays largement tributaire de ses frontaliers, diront certains. Il n’empêche, il fallait le faire. Matthieu Croissandeau Directeur éditorial

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Avril 2020 —

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