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NICOLAS MACKEL

NICOLAS MACKEL

ESG Finance durable : un défi réglementaire complexe

À travers une série de textes réglementaires, l’Union européenne veut soutenir le développement de la finance durable. Toutefois, pour les acteurs financiers, ces exigences ne sont pas faciles à appréhender. Il n’est tout simplement pas évident de déterminer par où commencer.

FRÉDÉRIC VONNER Partner, Regulatory Advisory Services PwC Luxembourg

« Bien que ne disposant pas de tous les éléments, les acteurs doivent faire face à une contrainte réglementaire pour les textes déjà entrés en application. »

Les implications réglementaires associées à la finance durable constituent un enjeu conséquent pour les acteurs du secteur financier. « Une série de textes entrent progressivement en application, souligne Frédéric Vonner, partner, Regulatory Advisory Services chez PwC Luxembourg. Cela a commencé avec le règlement Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR), qui vise à apporter plus de transparence par rapport aux produits présentés comme ‘durables’. Après l’entrée en vigueur d’un premier niveau de la réglementation en mars 2021, de nouvelles exigences s’imposeront aux acteurs des marchés financiers, y compris les gestionnaires d’actifs, à partir du 1er janvier 2023. » Le règlement SFDR est l’un des piliers devant soutenir le développement d’une finance plus durable. D’autres textes, comme la taxonomie européenne, encore en évolution, ou Mifid II, participent aussi à cet objectif. « À côté de ces textes, qui concernent les entités régulées du secteur financier, on peut également évoquer la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD). Celle-ci oblige des acteurs régulés et non régulés à produire annuellement un rapport relatif aux impacts sociaux et environnementaux de leur activité .»

Imbrication réglementaire Ces textes ont été pensés pour fonctionner de manière complémentaire. Le règlement SFDR est nécessaire pour pouvoir proposer en toute transparence des produits ESG aux investisseurs auxquels, selon Mifid II, il est désormais exigé de demander les préférences « durables » en matière d’investissement. Pour pouvoir concevoir et proposer des projets durables, dans le cadre du règlement SFDR, les gestionnaires d’actifs doivent pouvoir disposer de données relatives aux impacts environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance. La directive CSRD doit répondre à ce besoin de données. La taxonomie permet enfin de qualifier ce qui est durable ou non.

Ces évolutions réglementaires devraient donc soutenir un modèle vertueux en faveur d’une finance plus durable. Le conditionnel reste toutefois de rigueur avec la mise en œuvre. « Dans un processus normal de mise en conformité, il s’agit de considérer une réglementation donnée et ses attentes précises, afin de mettre à jour sa stratégie et son organisation et de s’assurer de répondre aux exigences à la date d’entrée en application, rappelle Frédéric Vonner. La difficulté, avec les réglementations en matière de finance durable, réside dans le fait qu’elles sont souvent encore en train d’évoluer au moment où elles entrent en application. Pour un compliance officer, garantir la conformité de l’activité avec un cadre réglemen-

Anthony Dehez (archives)

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taire mouvant, sans tendances de marché claires, est particulièrement compliqué.»

Calendrier chahuté Si Mifid II contraint à proposer des produits durables, ceux-ci sont difficiles à mettre en œuvre en raison de l’absence de données suffisantes. Or, la directive CSRD, qui doit faciliter l’obtention de ces données auprès des entreprises européennes, ne produira ses premiers effets qu’à partir de 2025. Vis-à-vis d’acteurs situés hors Europe, rien ne permet de dire que ces données relatives aux impacts « durables » de leur activité seront un jour disponibles. La taxonomie, qui doit contribuer à classifier plus facilement ce qui est durable ou non, n’est que partiellement aboutie. « Jusqu’à présent, la taxonomie n’a avancé que sur les aspects environnementaux, ne considérant que deux des six objectifs en la matière. Pour les quatre autres enjeux environnementaux, les discussions doivent se poursuivre. Toutefois, il semble que ce dossier soit actuellement entreposé, non pas au frigo, mais au congélateur, tout comme les éléments relatifs aux taxonomies sociale et de bonne gouvernance.»

Si les intentions du régulateur sont bonnes, le calendrier d’entrée en application des diverses mesures fixe des exigences auxquelles les acteurs peineront à répondre tant que le cadre réglementaire dans son ensemble ne sera pas davantage complété. La situation peut parfois sembler ubuesque. « Bien que ne disposant pas de tous les éléments, les acteurs doivent faire face à une contrainte réglementaire pour les textes déjà entrés en application, commente Frédéric Vonner. Dans ce contexte, l’enjeu pour le compliance officer est non seulement de parvenir à comprendre la réglementation et la manière avec laquelle elle évolue, mais aussi d’aider le business à bien se positionner vis-à-vis de ces enjeux. »

Des contraintes contre-productives Selon le règlement SFDR, si un gestionnaire de fonds souhaite proposer un fonds ESG ou durable, il devra se plier à certaines contraintes, ne serait-ce que pour garantir la plus grande transparence vis-à-vis des investisseurs. Le texte parle de « fonds article 8 » ou de « fonds ESG » si la stratégie d’investissement fait la promotion de critères ESG sur une partie plus ou moins grande du portefeuille. Quant à lui, un fonds article 9, ou durable, ne se contente pas de considérer des critères, mais poursuit effectivement des objectifs de développement durable.

«La classification des fonds, jusqu’il y a peu, dépendait beaucoup des interprétations que les gestionnaires faisaient de la réglementation, et ce en l’absence de spécifications techniques des régulateurs, explique-t-il. Celles-ci sont arrivées tardivement, obligeant des acteurs à déclassifier des fonds durables en fonds ESG en raison de contraintes qu’ils ne pouvaient pas honorer.» Le manque de données, par exemple, fait qu’il n’est tout simplement pas possible de répondre à certaines exigences. « Face à ces contraintes, plusieurs scénarios peuvent être envisagés. Certains pourraient simplement revoir à la baisse les ambitions durables qu’ils avaient affichées au niveau de leurs documents précontractuels. » Un gérant d’actifs peut très bien fixer à 5 % de son portefeuille le volume d’actifs faisant la promotion des critères ESG. De cette manière, il peut répondre sans trop de risques à la réglementation. « Réduire la part d’investissements ESG à la portion congrue n’est sans doute pas l’idée qui était poursuivie à travers cette démarche réglementaire », analyse Frédéric Vonner. La réglementation, au cas où un gestionnaire n’aurait pas respecté ses engagements ESG, l’oblige aussi à en expliquer la raison. « À ce niveau, nous ne connaissons pas encore précisément les conséquences liées à un non-respect des objectifs fixés », précise le partner de PwC. Plutôt que de s’exposer à un tel risque, de nombreux gestionnaires préféreront sans doute revoir leurs ambitions à la baisse. En procédant de la sorte, bien que répondant aux exigences réglementaires, les gestionnaires s’exposent aussi à des dénonciations de greenwashing portées, par exemple, par des ONG. Si la tendance, en Europe, est favorable aux investissements durables, les contraintes pourraient pousser les gestionnaires à minimiser leurs ambitions en la matière. La réglementation, sans doute, doit encore évoluer pour éviter ces probables effets contre-productifs.

41

Selon Morningstar, au troisième trimestre, 41 fonds durables (article 9) ont été rétrogradés à l’article 8, en raison notamment des nouvelles contraintes SFDR. D’autres devraient suivre dans les mois à venir.

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