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La prudence reste de mise

Si le scénario du pire peut être évité d’un point de vue macroéconomique, l’incertitude règne encore en 2023. Malgré le rebond des marchés financiers depuis janvier, leur capacité à surperformer tout au long de l’année reste sujette à caution.

Comme il est de tradition vers la fin de chaque année, les gestionnaires d’actifs présentent leurs prévisions pour l’année suivante. Pour sa part, le 15 décembre 2022, J.P. Morgan AM avait donné rendez-vous à ses partenaires luxembourgeois pour leur présenter ses perspectives d’investissement. « Notre scénario de base prévoit que les économies développées entreront dans une légère récession en 2023 », s’exprimait alors Vincent Juvyns, executive director et global market strategist au sein du gestionnaire d’actifs.

Les prévisions ont-elles changé depuis lors ? « Le message donné en décembre reste d’application », confirme Vincent Juvyns. S’attendant à un recul de la croissance, sans pour autant « être catastrophique », il observe que les chiffres du quatrième trimestre de l’année précédente sont positifs un peu partout dans le monde, y compris en Europe. « Pour l’heure, il n’est donc pas question de récession. Elle peut toujours arriver, mais le consensus tablait sur une contraction de la croissance aux Q4 2022 et Q1 2023. » La patience reste donc de mise avant de crier victoire.

Fin 2022, l’expert de J.P. Morgan AM partait du principe que l’inflation allait finir par se normaliser en 2023. « Nous constations déjà qu’un pic de l’inflation était passé aux États-Unis. Entre-temps, nous pouvons considérer que ce pic est dépassé en Europe », affirme-t-il à présent.

Le rebond des marchés

Si les surprises positives vont bon train, tant du côté de la croissance que de l’inflation, « nous sommes dans un contexte relativement favorable », explique Vincent Juvyns, notant que les marchés avaient déjà augmenté en Europe et en Chine en décembre 2022 et qu’ils ont bien performé depuis le début de cette année. Prenant l’exemple des marchés des obligations souveraines, il relève des rendements entre 3 % et 3,5 %.

Après de forts vents contraires en 2022, les marchés des actions semblent, quant à eux, désormais être portés par un vent arrière. À un point tel que « les performances des marchés des actions sont allées un peu trop vite, interpelle Vincent Juvyns. Certains marchés, notamment la Chine ou l’Europe, affichent des performances qui atteignent parfois 10 %. On ne va pas pouvoir tenir ce rythme toute l’année. » Il est par conséquent attendu que le rythme de progression ralentisse.

Le rebond des marchés en ce début d’année n’est cependant pas surprenant, au regard de la réouverture « plus franche » de l’économie chinoise et de l’hiver doux qui relâche légèrement la pression sur les prix de l’énergie. Ce qui a permis, du coup, à la dynamique inflationniste de ralentir. « Il est certain que les bonnes nouvelles sur une croissance plus résiliente et une inflation qui baisse plus rapidement sont venues soutenir l’optimisme des marchés », confirme Vincent Juvyns.

La performance des marchés n’est peutêtre pas étonnante, mais sa rapidité ne laisse pas les prévisionnistes de marbre. La reprise « trop rapide » de ce début d’année augmente dès lors le risque de prises de bénéfices à un moment, en raison soit de résultats décevants, soit d’incidents imprévus dus à l’environnement fragile actuel. « Les marchés ont pris conscience maintenant qu’on ne se dirige pas vers la catastrophe économique qui était annoncée. Le spectre d’une récession dure et d’une crise énergétique s’éloigne quelque peu. Par contre, il faut garder à l’esprit qu’on fait toujours face à un conflit géopolitique, une véritable épée de Damoclès. » À cela, il faut ajouter que de nombreux résultats d’entreprises se trouvent sous pression.

Les marchés obligataires

Les conditions macroéconomiques, combinées à la reprise des marchés, devraient en revanche promettre une année positive pour les actifs sous gestion dans l’industrie de l’asset management. « C’est une certitude dans la mesure où il existe des opportunités dans à peu près toutes les classes d’actifs », commente Vincent Juvyns. Après une déconvenue, tant au niveau des performances que des actifs sous gestion dans les fonds, « en termes de flux, il y a matière à ce que les investisseurs reviennent sur les marchés », juge l’executive director. Outre les marchés des actions qui attirent de nouvelles souscriptions, il constate que le cash est à nouveau devenu attractif, avec les encours des fonds monétaires qui augmentent significativement, et que les marchés obligataires redeviennent attractifs. Malgré tout, un ralentissement conjoncturel se trouve à l’horizon. Vincent Juvyns appelle donc à la prudence sur les segments les plus spéculatifs, tels que la dette d’entreprise et la dette à haut rendement. Quoi qu’il en soit, la situation est propice à un retour sur les marchés des investisseurs à long terme.

Selon les analyses de J.P. Morgan AM, les actifs des fonds communs et des ETF européens ont reculé de 250 milliards de dollars en 2022, frappés par les performances des marchés financiers.

L’ère des fonds ESG

Les vents contraires macroéconomiques ajoutés au resserrement de la politique monétaire en Europe ont largement affecté les rendements sur titres en 2022. Sur un portefeuille composé à 60 % d’actions et à 40 % d’obligations, le rendement annuel moyen était d’environ -17 % entre le 1er janvier et le 11 novembre 2022, selon les calculs de J.P. Morgan AM. Les rendements annuels de ce type de portefeuille étaient pourtant de +10 % en 2021 et +14 % en 2020. Les rendements offerts par les marchés ont, par conséquent, amené les investisseurs à opérer de nombreuses rédemptions de leurs avoirs dans les fonds. Ce sont ainsi 250 milliards de dollars qui seraient sortis des fonds communs de placement et des ETF européens l’année dernière. Force est toutefois de constater que les fonds qui ont connu les plus grands volumes de rédemptions sont ceux qui ne sont pas classés comme durables, les fonds Article 6 et Article 8, selon la catégorisation de la Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR). Pour leur part, les fonds Article 8 plus et Article 9, qui investissent respectivement partiellement et entièrement dans des actifs durables, ont connu des flux positifs de souscriptions. « En 2022, c’est la classe d’actifs ESG qui a été la catégorie la plus plébiscitée. C’est d’ailleurs la seule qui a enregistré des flux positifs, alors que le marché était en flux négatifs », confirme Vincent Juvyns. À la fin octobre 2022, environ 13 milliards de dollars avaient déjà afflué depuis le début de l’année dans les fonds Article 8 plus, et près de 36 milliards de dollars dans les fonds Article 9. Dans cet afflux positif de souscriptions dans les fonds durables, certains perçoivent les premiers effets des exigences de transparence imposées par la SFDR et la prise en compte des critères de durabilité des investisseurs au travers de Mifid II. Pour autant, la tendance à la canalisation des flux financiers vers les actifs ESG n’est pas neuve, à en croire les observations de J.P. Morgan AM. Sur les trois dernières années, les fonds spécialisés dans les green bonds ont affiché une hausse de 52 % de leurs actifs sous gestion ; les fonds obligataires classés Article 9 ont enregistré une croissance de 47 % ; et les fonds obligataires Article 8 plus ont connu une hausse de 29 %.

L’augmentation des actifs gérés par les fonds durables reste cependant encore marginale par rapport aux investissements massifs requis par la transition énergétique, estimés par J.P. Morgan AM à 5.000 milliards de dollars annuels d’ici 2030 pour atteindre le « net zéro » d’ici 2050.

Ces investissements s’élevaient à près de 1.200 milliards de dollars en 2022, contre 1.000 milliards en 2015.

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