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Face aux crises, les Reif et l’enjeu de la gestion de la liquidité

Alors que les marchés sont en proie à une grande incertitude, dans un contexte économique marqué par l’inflation et la hausse des taux d’intérêt, comment les enjeux de liquidité sont-ils appréhendés par les gestionnaires de fonds immobiliers ?

L’industrie des fonds joue un rôle-clé au niveau du système financier. Elle constitue une source de financement indispensable au fonctionnement de l’économie, permettant le développement de projets entrepreneuriaux et soutenant aussi le secteur public face à ses besoins divers. Pour l’investisseur, l’activité de gestion d’actifs permet de mettre son épargne au travail, notamment pour pourvoir à des besoins financiers futurs, liés à la retraite par exemple, ou encore pour préserver son patrimoine face à l’inflation.

L’écosystème, pour répondre aux besoins des uns et des autres, doit toutefois veiller à certains enjeux, et notamment à une gestion responsable de la liquidité. Imaginons la situation d’investisseurs souhaitant, pour une raison ou une autre, récupérer les montants investis en revendant leurs parts d’un fonds et que, en raison d’une immobilisation des ressources financières, celui-ci soit incapable de les leur restituer. « Les vulnérabilités structurelles dues à une inadéquation des liquidités sont des problèmes bien connus qui sont abordés depuis des années par les régulateurs nationaux et internationaux, ainsi que par les gestionnaires d’actifs, reconnaît David Zackenfels, senior legal adviser au sein de l’Alfi (Association luxembourgeoise des fonds d’investissement). L’alignement de la liquidité

DAVID

Senior legal adviser Alfi

entre les actifs et les passifs d’un fonds est, et a toujours été, une considération essentielle pour les gestionnaires d’actifs. »

Inquiétudes seulement à court terme La nature de l’actif immobilier, plus particulièrement, exige d’opérer avec prudence lorsque l’on évoque les enjeux de liquidité. En effet, l’investissement immobilier implique une immobilisation importante du capital au niveau du bien acquis. Ces montants ne peuvent être libérés qu’au moment de la revente de l’actif. Et alors que le marché semble ralentir au Luxembourg et dans d’autres régions du monde, en raison d’une hausse des taux d’intérêt, de nouvelles inquiétudes apparaissent. «  Nous sommes actuellement confrontés à de fortes hausses des taux d’intérêt sur une période relativement courte. Or, il est vrai que la hausse des taux d’intérêt est souvent associée à une baisse des prix de l’immobilier », commente David Zackenfels, prenant soin de tempérer la situation et d’inviter à la prudence. À ses yeux, il est à ce jour difficile d’anticiper l’impact de la décision d’une banque centrale de relever les taux d’intérêt. En outre, il faut prendre un peu de recul à l’égard de ces transformations et distinguer les effets à court et moyen termes. « En résumé, si le tableau s’assombrit, c’est principalement pour les investissements immobiliers à court terme, mais cela fait partie de l’évolution normale du marché, avec une hausse des taux qui intervient après une longue période où ils ont été très bas. En outre, l’immobilier, en raison de sa nature, demeure avant tout un investissement générant des revenus récurrents et de la valeur sur le long terme. »

Fonds ouverts vs fonds fermés Y a-t-il lieu de s’inquiéter, au regard de la situation de marché, vis-à-vis de ces enjeux de liquidité ? Dans le domaine de l’investissement immobilier, ces problématiques sont bien appréhendées, tant par les régulateurs que par les acteurs qui font l’objet de leur surveillance. « Les fonds d’investissement immobilier sont souvent fermés, commente David Zackenfels. Selon notre enquête Alfi Reif Survey 2022, c’est le cas de près de deux tiers (64 %) des fonds immobiliers. »

Qu’en est-il toutefois des fonds immobiliers ouverts, offrant plus de flexibilité aux investisseurs ? Les gestionnaires de ces véhicules doivent mettre en place des mécanismes de liquidité appropriés, au regard de la nature des actifs et des enjeux de marché, pour répondre aux demandes des investisseurs. « Notre enquête de 2022, basée sur des données de 2021, révèle que ces outils ne sont que rarement mobilisés. Compte tenu de l’évolution des marchés, il y a lieu de voir si, dans les mois à venir, le recours à ces outils sera ou non plus important. »

Pas de risque substantiel Selon une récente mission de surveillance menée par l’Esma autour de ces enjeux de liquidité, il n’y a actuellement pas de risque substantiel pour la stabilité financière. La clé, lorsque l’on évoque les enjeux de liquidité, réside dans une bonne anticipation et préparation des éventualités qui pourraient survenir. « Nos membres affirment qu’ils testent régulièrement leur capacité à réagir, sur un plan opérationnel, à diverses situations particulières, comme des rachats importants de la part des investisseurs ou des problèmes liés à la valorisation, commente le conseiller de l’Alfi. Il faut que les outils de gestion de la liquidité soient adaptés en permanence aux besoins et à la situation de marché. » En tant qu’association, l’Alfi maintient un dialogue permanent avec ses membres autour de ces enjeux d’actualité. « Si la hausse des taux d’intérêt peut être un sujet de préoccupation, souligne David Zackenfels, on constate aussi une demande croissante pour le segment des investissements alternatifs et des actifs privés, dont l’immobilier est un pilier solide dans une perspective à long terme. »

Selon l’enquête Alfi Reif Survey 2022, 64 % des fonds d’investissement immobilier sont fermés. David Zackenfels explique que, « pour ces véhicules, pendant toute leur durée de vie, on ne devrait pas avoir de répercussions liées à certains effets de marché causés par l’évolution des taux d’intérêt, de prêt, etc. ».

Des outils de gestion de la liquidité

Le régulateur européen des fonds (Esma), en collaboration avec les autorités compétentes nationales (dont la CSSF), a récemment réalisé une étude portant sur le risque de liquidité au niveau des fonds de dettes accordées aux entreprises et des fonds immobiliers. Les résultats montrent que les fonds inclus dans le champ de l’analyse ne présentent pas de risque substantiel pour la stabilité financière. Si le degré de conformité global est satisfaisant, l’étude met également en évidence certaines possibilités d’amélioration et de surveillance continue, notamment en ce qui concerne les tests de résistance des liquidités et l’évaluation des actifs moins liquides. Si l’on évoque les outils de gestion de la liquidité des fonds ouverts, la CSSF a récemment présenté un travail d’évaluation empirique de leur efficacité. Ces outils sont les suivants : la gestion du portefeuille des fonds, y compris des liquidités et autres actifs liquides, l’utilisation du swing pricing ou encore la suspension temporaire des rachats. Dans les conclusions de son document de travail, la CSSF indique notamment que, pour la plupart des fonds, « le ratio d’actifs liquides dépasse généralement les rachats quotidiens maximums, ce qui suggère que ces fonds ont des tampons de liquidité suffisants pour faire face à des rachats élevés ». Le document précise aussi que les estimations des gestionnaires de fonds sur la manière dont la liquidité du portefeuille du fonds serait affectée dans un scénario de stress varient considérablement d’un fonds à l’autre. « Certaines évaluations peuvent sous-estimer l’impact potentiel des ventes concertées des mêmes actifs, ou d’actifs fortement corrélés, par d’autres fonds », lit-on dans les conclusions. Une autre gestion de la liquidité, bien que peu utilisée par les fonds immobiliers, réside dans le mécanisme de swing pricing, dont l’objet vise à répercuter les coûts de transaction sur les investisseurs. Le swing pricing atténue la dilution de la valeur du fonds. Il atténue aussi les sorties de fonds lors d’épisodes de volatilité élevée du marché. Enfin, les fonds suspendent rarement les rachats.

« Les suspensions précèdent souvent la fermeture définitive et la liquidation du fonds. Elles peuvent également entraîner des sorties plus importantes de fonds ayant des portefeuilles similaires, précise le communiqué. Des taux de survie plus faibles et des effets de signal négatifs peuvent impliquer que les fonds attendent trop longtemps avant de suspendre les rachats. » Dans l’ensemble, ces résultats confirment généralement la pertinence et l’efficacité de ces outils pour contribuer à la gestion globale du risque de liquidité des fonds ouverts, en particulier pour aider les fonds ouverts à gérer les sorties importantes.

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