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« Notre priorité est de verdir les immeubles »
Le secteur de l’immobilier vert connaît un essor dans une volonté d’investir de manière durable sur le long terme. L’occasion de décrypter les nouvelles opportunités et les nouveaux enjeux du verdissement de l’immobilier professionnel avec Aymeric De Sérésin, lead portfolio manager chez
Fidelity International.
Les principales émissions carbone des entreprises de services proviennent de leurs occupations immobilières, rappelle Aymeric De Sérésin.
Quels sont les enjeux ESG de l’immobilier ?
Nous constatons que 40 % des émissions de CO2 dans le monde proviennent du stock immobilier. Dans les villes, ce chiffre tourne même autour de 60-70 %. Un autre constat est qu’au moins 80 % du stock immobilier se trouve encore loin de là où il devrait être pour répondre aux attentes de l’accord de Paris. Le stock de l’immobilier commercial est tout particulièrement concerné. Mais ce n’est pas tout. Notre secteur d’activité est assez lent, et nous voyons qu’à peine 1 % du stock immobilier est rénové chaque année. En continuant sur cette trajectoire, il y a un risque de manquer les objectifs de l’accord de Paris d’ici 2050.
Comment accélérer alors la transition du stock immobilier ?
Il y a l’idée un peu folle de tout mettre par terre pour ensuite reconstruire des actifs hyper-efficients. Mais il existe la notion d’embodied carbon qui implique qu’une destruction-reconstruction émet l’équivalent de quasiment 50 % des émissions carbone de l’immeuble. Cela veut dire que si nous devions opter pour cette solution, nous émettrions des quantités énormes de CO2 dans l’atmosphère. Il ne faut surtout pas faire ça. Notre choix porterait donc plutôt sur la rénovation du stock existant : en nous focalisant uniquement sur le stock existant, et sans faire de la rénovation lourde de bâtiments, nous pouvons contribuer à accélérer la transition vers du « net zéro carbone » pour l’immobilier tout en minimisant l’embodied carbon.
Quelles sont les opportunités pour les propriétaires d’immeubles ?
Nous observons que les entreprises qui occupent les immeubles ont un agenda « net zéro carbone » qui s’accélère. Il y a encore cinq ans, les gens commençaient à prendre de plus en plus conscience du problème climatique, et les entreprises prenaient des mesures pour s’aligner sur l’accord de Paris. C’est déjà du passé, à l’heure actuelle. Les entreprises accélèrent. Elles ne disent plus qu’elles doivent être prêtes pour 2050, mais bien pour 2030. Le secteur immobilier doit s’adapter pour accompagner cette tendance. Pour les entreprises dans le secteur des services, la plus grosse partie des émissions carbone provient de leur occupation immobilière.
Quels obstacles y a-t-il au verdissement du stock immobilier ? Nous savons malheureusement que le stock immobilier n’est pas encore prêt. L’industrie immobilière a, pour sa part, un agenda « net zéro carbone » qui porte jusqu’en 20402045, alors que celui des sociétés se rapproche davantage de 2030. Nous entendons d’ailleurs même que certaines sociétés annoncent des dates autour de 2026-2027. Comment vont faire ces sociétés si elles ne peuvent pas louer des bâtiments qui ne sont pas capables d’opérer selon une approche « net zéro carbone » ?
C’est donc là que vous intervenez ?
La stratégie que nous avons mise en place consiste en effet à rénover des bâtiments existants, les rendre « net zéro carbone » pour ensuite les relouer. Nos chiffres montrent que la demande locative est très forte. Ce qui va alors nous permettre de profiter de cette situation au cours des cinq ou six prochaines années. Il y a un déséquilibre très fort entre, d’une part, la demande de plus en plus forte et, d’autre part, l’offre qui reste limitée. Nous voulons tirer avantage de ce marché.
Quels types d’actifs permettraient d’obtenir le plus d’impact ?
Il est plus pertinent, selon nous, de se positionner sur les secteurs des bureaux et de la logistique. Ces deux secteurs restent de loin les secteurs les plus liquides au niveau locatif, et ce sont aussi les deux secteurs sur lesquels un investisseur peut avoir le plus d’impact en matière de réduction de CO2. Nous considérons que le secteur retail reste plus limité et compliqué en raison du moindre niveau d’alerte – pour l’instant – des occupants retail sur les aspects ESG. Ils sont, dès lors, moins sensibles aux améliorations ESG que nous pouvons apporter à un bâtiment. Mais je ne doute pas que cela va arriver.
La rénovation du parc immobilier est donc la clé. Comment vous y prenez-vous pour réduire les taux d’émissions lors des rénovations ?
Nous sommes bien conscients des impacts CO2 d’une rénovation. Il y a cependant des statistiques qui nous montrent qu’entre une démolition-reconstruction et notre type de rénovation, il y a un facteur d’un à quatre en termes d’émissions carbone. Nous demandons donc à nos fournisseurs de comptabiliser tous les effets des émissions carbone sur leurs travaux, comme les entrées et sorties des camions sur les chantiers, ou le sourcing des matériaux et leur recyclage. Nous exigeons de leur part qu’ils réduisent l’impact carbone au maximum. Le but n’est pas de le mettre à zéro, on ne le pourra pas. Nous ne sommes pas favorables non plus à la réalisation d’offsetting que d’autres acteurs font en finançant de la reforestation. Ce n’est pas ce que nous voulons. Nous mesurons ce que nous faisons pour en minimiser l’impact au maximum.
D’où l’intérêt d’un monitoring et d’un reporting stricts ?
Nos fournisseurs doivent effectuer le reporting de leurs activités et nous le faire parvenir. Il sera disponible à tous nos investisseurs.
Pour y parvenir, comment allez-vous surmonter les défis posés par la disponibilité des données ?
Nous avons un partenariat avec une société tierce pour nous aider justement dans la collecte de ces données. Il existe énormément de données sous-jacentes, bien au-delà des simples consommations. Nous les collectons, les monitorons, en faisons des calculs et un reporting clair, aussi bien pour nous que pour nos investisseurs et le régulateur, dans le but de démontrer trimestriellement la progression de chacun des immeubles. Nous avons environ 20 indicateurs sur lesquels nous allons faire du reporting en temps presque réel.
Ces enjeux de reporting sont d’autant plus importants que la réglementation se renforce...
En effet, la réglementation en matière d’investissements responsables se durcit. L’harmonisation de cette réglementation va dans le bon sens, même si cela demande au secteur de s’adapter. Cela s’applique aussi au secteur de l’immobilier. Dans
VOUS AVEZ DIT FONDS ARTICLE 9 ?
Dans les colonnes de la presse financière, il est régulièrement fait référence aux fonds Article 6, Article 8 et Article 9. Il s’agit des articles du règlement européen sur la divulgation des informations relatives au financement durable, dit SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation).
Les fonds de l’Article 8 utilisent des critères de durabilité dans leur processus d’investissement, les fonds de l’Article 9 ont un objectif de durabilité pour leurs investissements, tandis que les fonds de l’Article 6 ne font aucune déclaration de durabilité.
cette optique, nous envisageons de transformer des immeubles pour les rendre compatibles avec les nomenclatures Article 8 et, surtout, Article 9 de demain. Ces fonds commencent à avoir des intransigeances sur ce qu’ils voudront acheter. Par exemple, ils ne pourront bientôt acheter que des immeubles capables d’opérer selon une approche « net zéro carbone ».
Comment identifiez-vous les immeubles à rénover ?
Plus de 80 % du stock immobilier doit être rénové. Nous allons donc puiser dans ce stock-là, qui est immense. De plus en plus de propriétaires d’immeubles sont conscients qu’ils font face au risque d’avoir des immeubles dans leur portefeuille dits stranded, des immeubles qui requièrent donc une injection de travaux assez importante. Tous les propriétaires ne disposent pas forcément des capacités, des équipes et de la connaissance pour ce faire. Et, chose aussi très importante, tout le monde n’a pas toujours le cash disponible pour cela. Nous connaissons ces propriétaires et avons des discussions avec eux pour leur proposer des solutions.
L’immobilier ESG apporte-t-il de meilleurs rendements que le non-ESG ?
Plus qu’une amélioration de rendement apportée par l’ESG, nous préférons regarder le risque induit par le non-ESG. En effet, nous sommes persuadés que si vous ne verdissez pas votre patrimoine, alors, à terme, votre patrimoine connaîtra une décote. Les investisseurs et les banques commencent à appliquer des décotes sur leurs prix. Ainsi, de plus en plus d’acteurs sont en train de procéder à l’analyse de leur portefeuille pour déterminer si – et à quelle date – chacun de leurs immeubles peut devenir stranded (non compatible avec l’accord de Paris 2050). Les évaluateurs immobiliers commencent eux aussi à refléter de telles décotes.