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Les fonds immobiliers ont souffert en 2022

Le ralentissement du marché tout au long de l’année 2022 a fait perdre de la valeur à de nombreux fonds d’investissement immobilier. Si parler de crise serait sans doute trop fort, ces structures ont toutefois dû apprendre à faire le gros dos.

Si les chiffres ne sont pas encore officiels, les signaux venus des professionnels du secteur, eux, sont clairs : le volume de transactions immobilières a considérablement diminué en 2022, au Luxembourg mais aussi de façon globale. Cette situation s’explique principalement par la crise économique à laquelle nous sommes confrontés depuis la guerre en Ukraine, marquée par une forte inflation et la hausse des taux d’intérêt. Et elle a eu des conséquences sur les acteurs de l’immobilier d’investissement. « Dans ce secteur qui, au Luxembourg, concerne principalement les bureaux et le retail, on s’est retrouvé tout à coup dans une situation où il était difficile de savoir quel était le prix du marché, étant donné que plus aucune transaction n’avait lieu, explique Jérôme Coppée, director Capital markets au sein de CBRE Luxembourg. Sur certains marchés plus profonds que le Luxembourg, quelques transactions ont tout de même eu lieu, donnant une direction aux investisseurs. Mais ce n’était pas le cas au Luxembourg, où quasiment aucune transaction majeure n’a eu lieu depuis le début de la crise. »

Alors que l’année 2023 est bien entamée, peut-on s’attendre à une reprise rapide du marché de l’immobilier d’investissement ? « La relative stabilisation des taux d’intérêt à long terme depuis un gros trimestre donne une meilleure visibilité aux investisseurs, qui commencent à sortir de leur position attentiste. Les transactions commencent donc à reprendre doucement , poursuit Jérôme Coppée. Cela dit, nous estimons que les taux d’intérêt vont encore augmenter d’ici l’été 2023, avec un impact négatif sur les rendements, avant une vraie stabilisation au mois de septembre. » Pour les propriétaires qui ont une échéance de refinancement, le coût de leur prêt s’avérera beaucoup plus élevé qu’il y a quelques années… De quoi les inciter à vendre – alors qu’ils n’en voyaient pas l’intérêt avant – et alimenter à nouveau le marché.

Des pertes brutales

Cette marche au ralenti du marché a donc eu de nombreuses conséquences sur le secteur de l’immobilier d’investissement. Les fonds, qui placent de l’argent dans différents actifs immobiliers, ont notamment accusé le coup. « Nous ne suivons pas directement les fonds d’investissement immobilier, mais nous savons qu’ils ont connu des pertes de valeur au cours des derniers mois, plus brutales que dans l’immobilier physique , relève Jérôme Coppée. Si l’on excepte les fonds actifs dans le retail, toutes les structures de ce genre, en Belgique et au Luxembourg, ont souffert en 2022. »

Pour maintenir le bateau à flot, différentes options s’offrent aux gestionnaires de ces fonds. Elles dépendent en grande partie des conditions de refinancement qu’ils obtiennent une fois leur financement arrivé à échéance. « Il n’est pas facile de recapitaliser le fonds lorsqu’il a perdu beaucoup de valeur. Pour certains, il sera indispensable de vendre, de se séparer de certains actifs », estime le director Capital markets de CBRE. Heureusement, nous ne nous trouvons pas dans un véritable contexte de crise. « Il y a de la liquidité sur ce marché : si un fonds doit vendre, il trouvera des acheteurs , assure Jérôme Coppée. Ce n’est peut-être pas le meilleur moment pour vendre, mais, si on y est obligé, on devrait y parvenir sans que la perte soit trop importante. Je ne pense toutefois pas qu’au Luxembourg et en Belgique, nous nous trouvions dans une situation où les fonds d’investissement soient contraints de liquider. La situation pourrait être par contre nettement plus tendue pour les fonds résidentiels aux Pays-Bas ou dans les pays nordiques, par exemple, qui ont investi dans des actifs avec des rendements initiaux très faibles, sous le niveau des taux d’intérêt actuels. »

Des fondamentaux dans le vert S’il est difficile de savoir précisément quand le marché repartira à la hausse –et, avec lui, l’activité des fonds d’investissement immobilier –, on peut toutefois se rassurer en se rappelant que tous les fondamentaux du marché au Luxembourg sont au vert. « Même en 2022, la diminution des prises en occupation était fondamentalement liée à un manque de produits disponibles sur le marché. Le pourcentage de vacance a d’ailleurs lui aussi baissé. Aujourd’hui, de nombreuses sociétés sont à la recherche de nouveaux bureaux, et d’autres arrivent encore sur le marché luxembourgeois », commente Jérôme Coppée.

Qui plus est, l’inflation que l’on connaît pour les prix de l’immobilier résidentiel au Grand-Duché ne concerne pas tant les biens de bureau ou retail, qui sont le cœur de cible des fonds d’investissement immobilier au Luxembourg. Les transactions restent donc « abordables » et devraient se multiplier dans les prochains mois, lorsque les perspectives macroéconomiques se seront améliorées…

3,6 %

C’est le rendement qu’offrent, au troisième trimestre 2022, les fonds immobiliers luxembourgeois actifs dans les biens de bureaux, soit un pourcentage qui se situe à peu près au niveau du taux de financement. De quoi éviter la « panique à bord » constatée dans d’autres pays.

Le Luxembourg, mal outillé face à l’ESG ?

La mise au point d’une série de réglementations, au niveau européen, dans le cadre du New Green Deal, a également un impact important sur l’investissement immobilier au Luxembourg. Ces règles – notamment la taxonomie verte qui définit quel investissement peut être considéré comme durable – concernent en effet en priorité le secteur financier… et donc les fonds d’investissement immobilier. « Les banques et les fonds d’investissement demandent dès aujourd’hui des garanties sur le caractère durable d’un immeuble dans lequel ils veulent investir. Or, aujourd’hui, le Luxembourg est mal outillé pour pouvoir donner des arguments cohérents à ces acteurs », estime Jérôme Coppée.

La difficulté est de parvenir à s’accorder sur un certain nombre de standards qui attesteraient du respect, au niveau d’un immeuble, des critères ESG tels que définis dans la réglementation européenne.

« Il faudrait pouvoir disposer d’une base de données recensant les différents bâtiments du pays, ainsi que leur certification énergétique, par exemple la certification européenne EPC, avance Jérôme Coppée. Cela nous permettrait d’offrir plus de garanties aux fonds qui souhaitent acquérir un bien durable  pour respecter leurs engagements en la matière. » Le director Capital markets de CBRE estime ainsi qu’il serait intéressant que les pouvoirs publics luxembourgeois planchent, avec différents bureaux d’études, sur un tel projet.

En attendant, la situation est aujourd’hui très délicate, puisque les acteurs de l’immobilier luxembourgeois sont obligés, pour évaluer le caractère durable d’un bien, de se baser sur ce qui se fait aux Pays-Bas ou en Flandre, où la façon de calculer l’efficacité énergétique d’un bâtiment, par exemple, n’est pas comparable.

« On se retrouve donc dans une situation un peu absurde où la méthode utilisée ne correspond pas vraiment à la réalité. Or, il serait tout de même intéressant d’avoir un outil qui permette aux promoteurs ou aux propriétaires de faire les bons choix afin de développer des bâtiments réellement durables aux yeux du législateur européen », conclut Jérôme Coppée.

Loin d’être anecdotique, cette démarche permettrait en effet de pérenniser le secteur de l’investissement immobilier, qui ne pourra plus retarder très longtemps sa transition verte…

Conversation Marc Baertz

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