.1 INTÉRIEUR CRÉOLE
Texte : Corinne Daunar Crédits photos : Fondation clément
LA SALLE À MANGER Elle est aujourd’hui la pièce sociale, le point de ralliement, le lieu où l’on se retrouve, au creux de chaque foyer. Et pourtant, à l’origine, la salle à manger n’était pas la priorité des concepteursconstructeurs : sa fonction, évolutive, secondaire, s’inscrit à mesure dans le bâti, lorsque peu à peu, l’espace se gagne et le confort devient norme.
Priorité au pratique Dans l’habitat premier, que ce soit dans les logements de colons ou les baraquements sommaires d’esclaves, la vie intérieure s’enroule souvent autour d’une pièce unique et centrale : la salle à manger, dans cette structure fruste, se veut d’abord cet espace aux destinations multiples, selon le besoin et l’instant. Bien qu’insaisissable, elle est donc précocement bien inscrite dans les premiers dessins des bâtisseurs, dans les premières maisons modestes. Parfois, Delawarde, fidèle chroniqueur des habitus des îles, décrit une seconde pièce, la « salle de réunion », lieu de la rencontre, de l’utile et là encore, des usages transverses. Pas tout à fait un salon, dans un volume restreint, pas non plus une cuisine, mais bien le cœur du foyer : la salle à manger. Dans les demeures plus cossues, que le temps et les moyens voient s’agrandir à
mesure, cette pièce apparait souvent quand la maison s'élève. C’est alors dans une ancienne chambre, ou au couvert d’une galerie savamment retirée du soleil qu’elle est installée. Dans cet habitat
de bouche qu’occasionnent les scènes trop généreuses. Dès le XVIIIe siècle, dans ce jeu d’opulence, la salle à manger bourgeoise prend ses airs d’apparat : elle est moins le centre de la socialité que celui de l’affirmation du privilège et de l’aisance.
La salle de réception dans le logis de ville
confortable, la salle à manger se carrèle, là où le parquet souffre des nombreux débris
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Aussi, ce qui achève de lui donner corps, c’est son mobilier. D’abord très rudimentaire, l’ameublement s’y déploie sans façon autour d’une planche de bois grossière, montée sur tréteaux et agrémentée de chaises brutes et bigarrées : nous sommes au détour du XVIIe siècle. C’est à mesure de sédentarisation, lorsque les générations de créoles s’affirment, que les revenus se gonflent et que les artisans, modes et circulations de biens étoffent les entrepôts que le mobilier se fait remarquable.
Magazine MAISONS CRÉOLES GUADELOUPE n°138