Le Corbusier, panorama d'une œuvre

Page 1

G A L E R I E Z L OTOW S K I GALERIE ERIC MOUCHET

Le Corbusier

1887 — 1965

Panorama d’une œuvre

LE CORBUSIER Panorama d’une œuvre



LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:08 Page1

Le Corbusier 1887 – 1965 PANORAMA D’UNE ŒUVRE PEINTURES

- COLLAGES - DESSINS - EMAUX - SCULPTURES

45 rue Jacob 750 06 Paris – +33 (0)1 42 96 26 11

20 rue de Seine 75006 Paris – +33 (0)1 43 26 93 94

info@ericmouchet.com – www.ericmouchet.com

info@galeriezlotowski.fr – www.galeriezlotowski.fr


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:08 Page2

Ce catalogue est édité à l’occasion de l’exposition qui se déroule conjointement dans les Galerie Zlotowski et Galerie Éric Mouchet du 23 avril au 25 juillet 2015, dans le cadre des célébrations du cinquantenaire de la disparition de l’artiste, le 27 août 1965.


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:08 Page3

Préface

Afin de commémorer le cinquantenaire de la disparition en Méditerranée de Le Corbusier le 27 août 1965, de nombreuses institutions ont prévu de rendre hommage, dans des expositions spectaculaires, aux multiples facettes du talent de l’architecte et urbaniste le plus célèbre du vingtième siècle. Parmi eux, le Musée de La Chaux-de-Fonds a présenté Le Corbusier et la photographie1 dès l’automne 2012 ; le MoMA de New York, le Corbusier et le paysage2 pendant le second semestre 2013, suivi de peu par Marseille qui s’est penché sur le tournant du brutalisme dans l’œuvre de l’architecte3. Le Centre Pompidou leur emboîte le pas à partir du 29 avril 2015, en convoquant « Le Corbusier : Mesures de l’homme »4. Comme on le voit, la recherche corbuséenne ne cessant d’ouvrir de nouveaux horizons, chacune de ces expositions a permis d’approfondir un aspect particulier du travail du créateur, et ainsi de montrer à quel point chez lui, chaque préoccupation spatiale, sociétale ou temporelle, ou chaque mode d’expression constitue un élément d’un ensemble dont il est impossible de l’isoler complètement. Chaque idée, chaque croquis, chaque phrase de l’artiste naît dans la globalité de sa réflexion. Et quiconque entend bien comprendre tel ou tel pan de l’œuvre de Le Corbusier, que ce soit sa peinture, son urbanisme, sa poésie ou ses tapisseries… se doit d’avoir au préalable envisagé l’immensité et la cohérence du puzzle auquel ce détail est intriqué. Spécialiste de l’œuvre plastique de Le Corbusier depuis 15 ans, la Galerie Zlotowski s’associe cette année à la Galerie Éric Mouchet, nouvellement créée mais dont l’initiateur étudie l’œuvre peint, dessiné et gravé de l’artiste depuis 25 ans, afin de proposer dans leurs deux lieux, rue de Seine et rue Jacob, un panorama aussi représentatif que possible de la production artistique du grand architecte et urbaniste.

3


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:08 Page4

Organisatrice d’expositions monographiques consacrées à Le Corbusier en 2001, 2004, 2007, 2010, puis au purisme en 2014, la Galerie Zlotowski a choisi cette année de montrer ses nouvelles acquisitions, mais également de les mettre en parallèle avec quelques œuvres importantes ou particulièrement significatives qui ont autrefois appartenu à la galerie et font maintenant partie de collections privées. Puisse cet ensemble d’œuvres plastiques empruntant de nombreuses techniques, et qui embrasse la quasi-totalité de la longue carrière artistique de Le Corbusier, donner aux visiteurs l’envie de connaître mieux la variété du travail de cet artiste touche-à-tout, qui est aussi universellement célèbre que son œuvre est en fait mal connue.

Michel Zlotowski Eric Mouchet Paris, mars 2015

1

Construire l'image : Le Corbusier et la photographie, La Chaux-de-Fonds, Musée des Beaux-Arts, 30 septembre

2012-13 janvier 2013.

Le Corbusier: An Atlas of Modern Landscapes, New York, MoMA, 15 juin-23 septembre 2013. LC au J1 - Le Corbusier et la question du brutalisme, Marseille, 11 octobre-22 décembre 2013. 4 Le Corbusier - Mesures de l'homme, Paris, Centre Pompidou, Galerie 2, 29 avril-3 août 2015. 2 3

4


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:08 Page5

Le Corbusier dans son atelier vers 1963. Photographie Peter Willi, ŠFLC/ADAGP, 2015.

5


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:08 Page6

L'atelier de Le Corbusier, rue Nungesser-et-Coli, à la fin de sa vie. On distingue à droite un exemplaire de la sculpture n° 63, Petite Confidence. Photographie Peter Willi, ©FLC/ADAGP, 2015.

6


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:08 Page7

Charles-Édouard Jeanneret (1887 - 1965), qui prit le pseudonyme de Le Corbusier durant les années vingt, compte parmi les architectes et urbanistes les plus décisifs du XXe siècle. Il fut également un important peintre et plasticien. Il le fut même avant tout, si l’on en croit cette assertion dont il émaille, sous différentes versions les écrits de sa maturité : « c’est dans la pratique des arts plastiques (phénomène de création pure), que j’ai trouvé la sève intellectuelle de mon urbanisme et de mon architecture. »1 Si ces liens revendiqués, entre son travail de plasticien et son exercice de l’urbanisme et de l’architecture sont parfois difficilement perceptibles, cependant ils existent, et les reconnaître est primordial pour la compréhension de son processus créatif. L’observation attentive de la peinture de Le Corbusier est par conséquent indispensable pour mieux appréhender son œuvre construite et vice versa. Parallèlement à son activité architecturale et urbanistique, le Corbusier a consacré de façon presque confidentielle, dès le début des années vingt, plusieurs heures quotidiennement à la peinture, au dessin, et même à l’écriture, dans son appartement de la rue Jacob, puis dans le vaste atelier qu’il aménage dans son appartement de la rue Nungesser-et-Coli à partir de 1934. Auteur de plus de quatre cents tableaux, il fut aussi un dessinateur prolifique, qui a réalisé des milliers d’œuvres sur papier (dont la plupart sont encore aujourd’hui conservés à la Fondation Le Corbusier). Chercheur infatigable, il expérimenta toutes les techniques du dessin, de l’ancestrale pointe d’argent sur papier spécialement apprêté, au stylo-feutre dans les années soixante (cat. n° 66), en passant par le pastel lavé qu’il affectionna particulièrement. Le « papier collé » tint également une place capitale dans son travail. Il s’y adonna avec méthode et application dès au moins 1934 (cat. n° 17), et fit considérablement évoluer toute son expression picturale d’après-guerre, grâce à cette technique spécifique et l’exercice sur les vides et les pleins qu’elle induit. A l’image de l’entrepreneur et coordinateur qu’il est au sein de son atelier d’architecture, et afin de donner plus de visibilité à une œuvre artistique qu’il considère capitale et estime trop mal connue, Le Corbusier organise à partir de 1945 la production de son œuvre plastique en s’entourant de collaborateurs artisans qui travaillent sous son strict contrôle. Pierre Beaudouin produit ainsi des tapisseries d’après les propres cartons de l’artiste, Joseph Savina des sculptures en taille directe d’après ses esquisses (cat. n° 31 et 63), Mourlot et les frères Crommelynck des estampes d’après ses collages, voire d’après ses propres matrices gravées. Lorsqu’il veut lui-même mettre la main à la pâte, il n’hésite pas, pour bénéficier de leurs conseils, et de leur équipement, à aller séjourner chez certains de ces collaborateurs tel l’émailleur Jean Martin à Luynes, chez qui il peint personnellement, entre 1952 et 1965 quelques dizaines de plaques « en émau » toutes différentes (cat. n° 60).

1

Citation de Le Corbusier extraite de : Jean Petit, Le Corbusier lui-même, éditions Rousseau, Genève, 1970, p.100.

7


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:08 Page8

Itinéraire pictural et plastique de le Corbusier Charles-Édouard Jeanneret naît à La Chaux-de-Fonds, dans le Jura suisse le 6 octobre 1887, d’un père émailleur de cadrans de montres, et d’une mère professeur de piano. Pendant sa période de formation à l’École d’Art de cette ville, où on le destine en premier lieu à la gravure pour l’industrie horlogère, Le Corbusier réalise de très nombreux croquis de paysages et de végétaux alpestres au naturel, qu’il convertira dans un premier temps en motifs d’ornementation de boîtiers de montres, puis de ses premiers édifices, dits de « style Sapin » réalisés dans sa ville natale dès 19072. L’arrivée d’un jeune professeur, Charles L’Eplattenier, dont l’influence sera déterminante, transforme soudainement le destin du jeune Jeanneret - qui se voyait devenir peintre - non sans lui causer quelqu’état d’âme : « l’un de mes maîtres m’arracha doucement à un destin médiocre. Il voulut faire de moi un architecte. (...) J’avais 16 ans, j’acceptai le verdict et j’obéis ; je m’engageai dans l’architecture. »3 De deux grands voyages d’étude qu’il effectue en Italie en 1907, puis dans les Balkans, la Grèce et la Turquie en 1911, il rapporte un modèle idéal d’habitat communautaire minimal grâce à sa découverte de la Chartreuse d’Ema, le souvenir perpétuel de l’éblouissement ressenti devant le Parthénon, et nombre de croquis de paysages et de détails d’architecture4, qui commencent à constituer un vivier d’images dans lequel il piochera toute sa vie. Alors qu’il débute sa carrière d’architecte et d’enseignant à La Chaux-de-Fonds, de 1912 à 1917, son activité dessinée ne se limite déjà plus à la prise de notes. Il peint également quelques aquarelles à sujet intimiste ou mythologique, d’inspiration fauve ou cubiste, qui démontrent sa tentation de se joindre au débat pictural de son époque. L’ambiance chaudefonnière lui pèse cependant, et après de nombreuses hésitations (il prétend être parti pour Munich et avoir changé d’avis in extremis sur le quai de la gare), Jeanneret quitte définitivement sa ville natale en 1917 pour s’installer à Paris. Purisme Amédée Ozenfant, rencontré cette année-là5 lui enseigne la pratique de la peinture à l’huile et redonne ainsi confiance à l’artiste qui sommeille en Jeanneret. 1918 est l’année de l’affirmation de sa vocation pour la peinture, et si Le Corbusier dispose encore de peu de temps à consacrer à son art, il s’ingénie à peindre à un rythme régulier. Cf. l’ouvrage : Une expérience Art Nouveau – Le Style Sapin à La Chaux-de-Fonds, Ville de La Chaux-de-Fonds et Somogy, Paris, 2006. Ibid., p.170. 4 Tous les dessins de cette époque ont été étudiés et inventoriés dans la thèse de Patricia M. Sekler : The Early Drawings of Charles-Edouard Jeanneret (Le Corbusier) 1902–1908, Harvard University, Cambridge Massachussets, April 1973. 5 La rencontre entre Jeanneret et Ozenfant intervient selon les différents auteurs entre avril 1917 et janvier 1918. 2 3

8


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:08 Page9

Il rédige alors avec son nouveau mentor, le manifeste polémique Après le cubisme qui scelle la naissance du purisme. Trois expositions de peinture puriste de Jeanneret et Ozenfant suivent en 1918, 1921, et 19236. La création avec Paul Dermée de la revue L’Esprit nouveau, en 1919, finit d’assoir leur statut au sein d’une époque fertile en nouvelles théories sociales et artistiques, et essaime les concepts puristes à travers l’Europe et le Nouveau Monde. La rupture avec Ozenfant intervient cependant dès 1925, et L’Esprit nouveau cesse de paraître après

28 numéros.

Objets à réaction poétique Le Corbusier a probablement fait la connaissance de Léger en 1920, et une profonde amitié les liera jusqu’à la disparition de ce dernier en 1955. Pendant les années vingt et trente, ils se rencontrent souvent, que ce soit lors de la croisière de travail des quatrièmes CIAM (Congrès Internationaux d’Architecture Moderne) en Méditerranée en 1933, ou de vacances d’été en couple, en Bretagne ou à Vézelay chez l’architecte Jean Badovici où tous deux travaillent à la réalisation de peintures murales dès 1935. Les influences mutuelles sont nombreuses et inévitables, et peuvent notamment expliquer la présence de gants usagés jusqu’à la déformation au sein de l’oeuvre peint de l’architecte. C’est à cette époque que tous deux concentrent leurs recherches picturales à ces Objets selon le mot que Léger choisit comme titre à sa célèbre exposition à la Galerie Vignon d’avril 1934, et que Le Corbusier nommera Objets à réaction poétique7. « Ce sont des objets que l’on a pu rencontrer dans la nature : des cailloux, des pierres que la mer a façonnées et polies, des morceaux d’écorce, des racines, un os blanchi... »8, autant d’objets dont la beauté plastique indéniable n’est pas directement due à la main de l’homme (cat. n° 9, 10 et 11). A la fin de l’époque puriste, après l’introduction dans son répertoire iconographique passé de quelques figures humaines isolées et hiératiques, Le Corbusier met à profit ses vacances entre amis du début des années trente pour remplir ses cartons à dessin d’esquisses très dynamiques de femmes, à la plage ou dans leur intérieur. Ces nouvelles études sur le corps (cat. n° 12, 13, 15, 16, 23) deviendront le substrat d’une succession de recherches plastiques à venir (cat. n° 14, 17 à 22…). Mariage des contours Cependant, les années trente voient Le Corbusier effectuer les premiers grands voyages (cat. n° 25) Respectivement à la galerie Thomas du 15 au 28 décembre 1918, à la galerie Druet du 24 janvier au 4 février 1921, et à la Galerie L'Effort Moderne de Léonce Rosenberg, du 28 février au 28 mars 1923. 7 Une sélection d’Objets à réaction poétique collectés par Le Corbusier semble avoir été présentée dans le Pavillon de l’Esprit nouveau à l’Exposition des arts décoratifs de Paris en 1925, bien avant leur apparition dans sa peinture en 1928. 8 S. Giedion, extrait du catalogue de l’exposition de la Kunsthaus de Zurich en 1938, traduit in Le Corbusier, peintures (non paginé), Galerie Balaÿ et Carré, Paris, 1938. 6

9


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:08 Page10

qu’il consacre à la promotion de ses idées urbanistiques9 et, parallèlement à son intérêt pour les Objets à réaction poétique et à quelques sujets rustiques, ses premiers travaux picturaux significatifs sur le Mariage des contours appliqué au thème de la femme (cat. n° 14, 17, 23, 24). Pendant ces voyages, Le Corbusier qui n’a pas la possibilité matérielle de se consacrer à la peinture proprement dite partage donc sa curiosité artistique de tous les instants entre les croquis sur le vif de thèmes nouveaux qui alimentent son vivier formel, et surtout la reprise et la transformation incessante de ses sujets récurrents selon des principes créatifs en perpétuelle évolution. La notion souvent évoquée dans les études sur la peinture de Le Corbusier de Mariage des contours, notamment, est apparue dans un texte d’Ozenfant et Jeanneret, publié dans L’Esprit nouveau n° 27 : « La composition puriste est issue de la composition cubiste ; mais on sait que dans le cubisme, l’objet point de départ est modifié (…) en vue de son organisation dans le tableau. Le purisme, lui, attribue de l’importance à conserver aux objets les normes de leur constitution.(…) Il choisit donc ses points de départ de telle sorte qu’ils s’agencent entre eux normalement sans déformation qui en modifierait le type ; ainsi s’expliquent, par exemple, ces mariages d’objets par un même contour commun »10. Si Le Corbusier met effectivement ce principe en oeuvre durant sa période puriste, en choisissant « ses points de départ de telle sorte qu’ils s’agencent entre eux normalement sans déformation »11, il donne une nouvelle signification et un nouveau souffle au concept de Mariage des contours dès la fin des années vingt (et pour plusieurs décennies), dès lors que les formes humaines et naturelles (ou modelées par la nature des Objets à réaction poétique) enrichissent son répertoire d’images. Alors que les superpositions de transparence qu’autorisaient carafes et verres puristes ne sont plus adéquates pour représenter un être humain, Le Corbusier fait maintenant subir à ses sujets des déformations bien plus importantes qu’auparavant pour parvenir à ses fins. L’usage “optimisé ” de la perspective (rarement), et d’audacieux raccourcis de corps (souvent) - qui ne sont pas sans rappeler ceux des précurseurs de cet art (notamment Uccello et Mantegna) – constituent autant le moyen que le résultat de cette recherche du Mariage des contours : aboutir avec un seul trait à dessiner deux formes contiguës, sans que cette recherche ne trahisse aucune de ces deux formes. Le même exercice somme toute, que réalise l’architecte, pour qui un trait n’est pas un simple trait, mais la limite de DEUX espaces. Peinture murale Avec la découverte de son intérêt pour la peinture murale - une peinture à Vézelay en 1935-36, huit à

9

1929 : Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay, 1931 : Algérie, 1935 : États-Unis, 1936 : Brésil...

10 11

10

A. Ozenfant et C.E.Jeanneret, Idées personnelles, in L’Esprit nouveau, n° 27, Paris, 1925. Maurice Raynal préfère le terme “exagération”, à “déformation” in Le Corbusier, Peinture, op.cit.


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:08 Page11

Cap-Martin en 1938 dans la villa d’Eileen Gray et Jean Badovici, et une à Paris en 1940 - Le Corbusier voit s’ouvrir devant lui un champ d’expérimentations picturales toujours plus vaste. Une forme de totémisation déjà discernable dans certaines natures mortes puristes, essentiellement à partir de 1926, occupe à nouveau Le Corbusier, dès 1937 notamment, pour la représentation de figures humaines, et à l’occasion d’un regain d’intérêt pour la nature morte en 1939 et 1940. Formes acoustiques Durant la guerre, Le Corbusier trouve asile successivement à Vézelay, puis à Ozon dans les Pyrénées, et à nouveau en Morvan en 1942. Dans ces lieux de recueillement, il observe la nature et le monde paysan qui s’étendent sous ses yeux et lui procurent une nouvelle matière à des créations aussi figuratives, que parfois totalement oniriques lorsque « les éléments d’une vision se rassemblent. La clé est une souche de bois mort et un galet (...). Des boeufs de labour passaient tout le jour devant ma fenêtre. A force d’être dessiné et redessiné, le boeuf - de galet et de racine devint taureau. »12 Ces formes alimentent son répertoire d’images et constituent la base d’une série d’études de sculptures (cat. n° 29 et 30), dessinées en deux dimensions, dont les thèmes sont nouveaux, mais qui découlent directement des essais de totémisation amorcés à la fin des années 30. Dans un article intitulé L’Espace indicible, publié en avril 194613, Le Corbusier nous dévoile sa conception des interactions des formes au sein d’un espace, et avec force métaphores musicales, crée le concept de Phénomène acoustique. Cette réflexion sur les formes acoustiques trouvera son premier aboutissement dès 1945, dans la collaboration de Joseph Savina, ébéniste breton, auquel Le Corbusier confiera la réalisation en trois dimensions de ses études (cat. n° 31), souvent intitulées Ozon ou Ubu, ainsi que dans l’étonnant projet de la Chapelle de Ronchamp (1950-54) : « Le Corbusier a accepté d’entreprendre cette construction (...) La récompense étant l’effet des formes architecturales et l’esprit d’architecture de construire un vaisseau d’intime concentration et de méditation. Les recherches plastiques de Le Corbusier l’avaient conduit à la perception d’une “ intervention acoustique dans le domaine des formes ”. Une mathématique, une physique implacables doivent animer les formes offertes à l’œil ; leur concordance, leur récurrence, leur interdépendance, et l’esprit de corps ou de famille qui les unit, conduisent à l’expression architecturale, phénomène, dit-il, aussi souple, aussi subtil, aussi exact, aussi implacable que celui de l’acoustique »14.

Le Corbusier, Poème de l’angle droit, Tériade, Paris, 1955, pp. 75-76. Dans le numéro spécial intitulé Art, de la revue l’Architecture d’aujourd’hui, pp. 9-7. 14 W. Boesiger, Le Corbusier, Œuvre complète, volume 5 – 1946-52, Birkhäuser Publishers, Basel, Boston, Berlin, 1953. 12 13

11


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:08 Page12

Papiers collés et Le Poème de l’angle droit 1948 est une année faste pour la recherche picturale corbuséenne. Les recherches sur le Modulor

aboutissent et le long travail entrepris pour le Poème de l’angle droit engendre la peinture murale du pavillon Suisse de la Cité universitaire, cette étonnante synthèse mystique, qui fait appel à la mythologie méditerranéenne (cat. n° 41) aussi bien qu’à Mallarmé, et s’appuie sur un passionnant travail d’étude en collage de papiers découpés. Mais cette époque consacre aussi le développement d’un nouvel axe de recherche, initié par la pratique du collage, et dédié essentiellement à l’émancipation des zones de couleur relativement au tracé du dessin ; travail sur l’usage de la couleur en aplat, auquel la recherche polychromique effectuée pour l’Unité d’habitation de Marseille ne sera pas étrangère (cat. n° 39 et 40). L’après-guerre voit l’activité architecturale de Le Corbusier s’accentuer, se diversifier et s’internationaliser. Outre Marseille en 1952, ce seront notamment le Pavillon Philips à Bruxelles en 1958, et le début du travail sur la nouvelle capitale du Pendjab : Chandigarh, qui sont autant de surprises sensorielles nouvelles que Le Corbusier réserve au monde. Chandigarh, Taureaux, et Mains ouvertes Parallèlement à un travail récurrent sur quelques thèmes historiques (cat. n° 46, 53 et 54…) qui subissent une synthétisation encore accentuée notamment dans le Poème de l’angle droit, Le Corbusier élabore à partir de 1952, dix-huit images nouvelles intitulées Taureaux qui ont peu à voir avec son corpus d’images antérieur (n° 58 à 66). Ces grandes oeuvres sophistiquées constituent un renouveau remarquable dans la carrière d’un peintre alors âgé de 65 ans. Construites d’après le Modulor, ces toiles empreintes de poésie mystique, de mystère et de géométrie sont le fruit de sa découverte récente de l’Inde (1951) et de la redécouverte de ses racines méditerranéennes. 1952 est en effet la date de la construction par Le Corbusier d’un Cabanon à Roquebrune-Cap-Martin, havre de paix et de travail dans lequel il aime dès lors à se ressourcer durant un mois d’été chaque année. Cependant, limiter cette période aux seules peintures sur les thèmes de Taureaux serait réducteur, car cette série, et ses nombreux dessins préparatoires et collages, contribue également à apporter une dimension abstraite jusque-là inusitée à des thèmes aussi récurrents dans l’oeuvre de Le Corbusier que la Main (n° 46 à 53) ou les Objets à réaction poétique (n° 53, 55, 57), et a également donné l’occasion à des développements nouveaux, dans les domaines de la tapisserie, et de l’édition notamment.

12


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:08 Page13

La diversité que l’oeuvre pictural de Le Corbusier revêt selon les époques, et par là même sa grande richesse, résident dans cette alchimie créée par l’architecte, entre un thème sans cesse retravaillé (la nature morte, la figure féminine...), les différentes expérimentations formelles successives que le thème et l’époque suscitent, les techniques plastiques mises en oeuvre, et “une confiance dans l’avenir” qui se matérialise par l’expérience acquise comme base d’une incessante recherche d’une nouvelle expression. Comme tous les artistes de son époque, Le Corbusier bénéficiait d’une exceptionnelle culture classique, artistique bien sûr, mais aussi mathématique, spirituelle et symbolique. Les grandes expositions organisées ces dernières années et consacrées à sa peinture, nous ont montré qu’au-delà des indéniables influences occasionnelles qu’il a pu subir des grandes figures du siècle qu’il a côtoyées, Picasso, Léger, Matisse ou Miró, Le Corbusier est un peintre cérébral, parfois abscons mais toujours brillant, qui a produit une œuvre tout à fait personnelle, très exigente et extrêmement cohérente. Eric Mouchet

La version princeps de ce texte a été publiée dans le catalogue Le Corbusier de la Galerie Zlotowski de 2010. Cette version légèrement modifiée en 2015, tente d’en éliminer les lourdeurs, tout en en respectant les efforts de précision.

13


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:08 Page14

Au début de la période puriste, Le Corbusier compose ses tableaux avec une extrême application. Ses peintures strictement construites ne doivent rien à la spontanéité, et nécessitent de nombreuses esquisses préparatoires. L’artiste procède alors comme l’architecte, qui fait évoluer un plan ou une coupe, en superposant une feuille neuve très fine (papier calque ou pelure) à son esquisse précédente, afin de redessiner cette dernière en la transformant légèrement, et ainsi de suite jusqu’à l’obtention de la composition finale voulue. Cela explique que les deux esquisses n° 1 et n° 2 présentées ici soient exactement du même format. Ces deux dessins (cat. n° 1 et n° 2) sont des esquisses préliminaires pour une peinture que Jeanneret réalise dans la précipitation à la fin de l’année 1921, spécifiquement pour le 33e Salon des Indépendants qui se déroulera du 28 janvier au 28 février 1922 sous la coupole du Grand Palais.

01. Étude pour la Nature morte du Salon des Indépendants Fin de l’année 1921 Crayons de couleur et mine de graphite sur papier calque Sujet : 8,3 x 11,6 cm / Feuille : 14 x 17 cm Porte au verso le cachet humide de la Fondation Le Corbusier avec le numéro 1604, les deux cercles concentriques au crayon gras que l’artiste apposait sur les œuvres qu’il considérait comme importantes, et l’annotation autographe Suite / Silhoue(t)te / Stamboul Provenance : Fondation Le Corbusier, Paris Galerie Heidi Weber, Zurich Galerie Denise René, Paris Galerie Conkright, Caracas Rachel Adler Gallery, New York Expositions : Le Corbusier, Paris, Galerie Denise René, décembre 1971 ; Le Corbusier, New York, Galerie Denise René, février 1972 ; Toward the "Restructuring of the Universe", One View of the 1920's, New York, Rachel Adler Gallery, 3 mai-7 juin 1986, n° 13. Bibliographie : Le Corbusier, Galerie Denise René, Paris et New York, décembre 1971-février 1972, illustré en noir et blanc (sans numérotation ni pagination) ; Jornod N. et J-P., Le Corbusier - Catalogue raisonné de l’œuvre peint, Tome I, Skira, Milan, 2005, n° 68 p. 363.

14


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:08 Page15

15


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:08 Page16

02. Étude pour la Nature morte du Salon des Indépendants Fin de l’année 1921 Mine de graphite sur papier calque Sujet : 7,5 x 11,5 cm / Feuille : 14 x 23 cm Monogrammé et daté postérieurement en bas à droite : L-C 1922 Porte un ancien cachet de douane au verso

16


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:09 Page17

17


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:09 Page18

Après sa rupture avec Ozenfant en 1925, Jeanneret continue de son côté ses recherches puristes en peinture, selon une évolution régulière jusque vers 1928. La gouache et aquarelle n° 3 de 1928 est donc l’aboutissement de dix années d’étude sur la représentation de la nature morte. Dans sa composition, le plateau du guéridon est redressé comme s’il était à la verticale, dans la pure tradition cubiste, alors que les ustensiles standard représentés, carafes, verres à pied posés tête-bêche, œuf et coquetier, pichet, verre cannelé et dé à jouer sont figurés frontalement et comme en deux dimensions. Certains de ces objets sont alors à peine reconnaissables, tant Le Corbusier les a intellectualisés tout au long des précédentes années, afin d’en extraire leur essence d’« objetstypes », jusqu’à les nommer “invariants”. L’économie de moyens, et la gamme de couleurs limitée sont symptomatiques de la démarche puriste. L’encadrement noir de la composition, qui donne à voir dans une même surface indifférenciée le rebord du guéridon en même temps que l’ombre portée de ce dernier, annonce le passage à une nouvelle période – les années 1928-32 – au cours de laquelle une inspiration surréaliste envahira les tableaux de Jeanneret au détriment de la précédente rigueur géométrique des formes et de l’absence du contexte. Ici, grâce à cette ombre qui donne la notion de la perspective, le guéridon devient donc plus tangible qu’il n’était durant les années précédentes. La même année, Le Corbusier commence à introduire le paysage en fond de ses natures mortes, et la figure humaine devient même le sujet central de certains tableaux. Ce dessin, très analogue au dessin FLC 1184 est une des études préparatoires au tableau référencé FLC 339 par la Fondation Le Corbusier (Paris).

03. Nature morte au coquetier sur un guéridon 1928 Aquarelle, encre de Chine et mine de graphite sur papier vélin fin, monté, du vivant de l’artiste, sur vélin fort Feuille : 21,05 x 26,9 cm / Montage : 34,9 x 42,4 cm Signé et daté en bas à gauche : Le Corbusier / 28 Porte au dos du montage les annotations manuscrites à la mine de graphite : Pernelle (21 x 27) 1928 / aquarelle, et : n° 2 de la list (e tronqué). Ces indications, vraisemblablement de la main de Denise René semblent attester la présence de cette œuvre dans l’exposition qu’elle a consacrée à l’artiste en 1952, à l’occasion de laquelle Le Corbusier a choisi dans un annuaire téléphonique, des noms de rues de Paris en guise de titres à ses œuvres (ici Pernelle).

18


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:09 Page19

19


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:09 Page20

Cette nouvelle version de nature morte avec un coquetier témoigne de l’abandon lent et progressif par l’artiste, de la rigueur géométrique de la doctrine puriste. Non seulement la carafe de droite est ici d’une forme très libre qui évoque une certaine négligence au regard des dessins rigoureusement maîtrisés des travaux puristes des dix années précédentes, mais Le Corbusier y ajoute au premier plan un Objet à réaction poétique sous la forme d’un gant usagé qui a pris la forme de la main qu’il a abritée.

04. Nature morte puriste au gant et au coquetier 1929 Gouache, aquarelle, encre de Chine et mine de graphite sur papier vélin fin 20,9 x 26,5 cm Monogrammé et daté en bas vers la gauche : L-C / 29

20


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:09 Page21

21


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:09 Page22

Ce thème atypique de 1928 semble anachronique car il rompt la progression lente, mais linéaire des recherches corbuséennes à la fin de la période puriste. L’expression naturaliste de l’ombre, qui, de plus, vient en direction du spectateur, évoque les recherches entreprises anciennement par Ozenfant plutôt que celles de Jeanneret toujours apparemment plus synthétiques. La réutilisation d’ustensiles rangés au placard depuis longtemps comme la pile d’assiettes vue de profil, ou encore l’isolement de la bouteille orange, nous indiquent que Le Corbusier est à la recherche de nouveaux codes.

05. Étude pour Le Déjeuner près du phare (FLC 30) 1928 Aquarelle, crayons de couleur, lavis d'encre et mine de graphite sur papier pelure 21 x 14,7 cm Monogrammé et daté en bas à droite : L-C / 1928

22


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:09 Page23

23


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:09 Page24

Cette composition ambitieuse est essentiellement constituée d’une nature morte complexe posée sur un guéridon qui occupe pratiquement tout l’espace de la feuille. Mais au second plan, un paysage d’île dans le lointain se reflète dans la mer. La nature morte comprend, au premier plan, une paire de gants et un coquillage qui appartiennent au registre des Objets à réaction poétique ; au second plan, un verre à pied, un gobelet à côtes, et un grand verre sur pied. La partie droite du guéridon est occupée sur toute sa hauteur par une immense bouteille, dont le contour du goulot épouse la courbe d’une cuillère, dans la plus parfaite observance de l’idéal du Mariage des contours. Les deux verres qui dépassent en hauteur de la limite du guéridon contribuent à une transition imaginaire d’inspiration surréaliste entre la nature morte du premier plan et le paysage du second. La lune quasi invisible car simplement laissée en réserve sur le ciel beige très clair, se reflète dans la mer à travers le verre de gauche en un disque ocre jaune qui ressort bien sur fond gris, et se trouve alignée avec l’axe du pied du verre. L’ouverture du verre bleu dessine simultanément une barque qui s’inscrit alors dans le paysage du second plan.

06. Étude pour Nature morte avec la lune reflétée 1929 Gouache, encre de Chine, aquarelle et mine de graphite sur papier 102 x 65,5 cm Signé et daté en bas vers la gauche : Le Corbusier / 29 Porte sous le sujet à gauche l’indication C.P de la main de l’artiste, qui signifie vraisemblablement « Collection personnelle », et qui se retrouve sur certaines œuvres que l’artiste considérait comme très importantes.

24


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:09 Page25

25


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:09 Page26

En 1927, les règles de la doctrine puriste historique s’effondrent, et Le Corbusier aborde la nature morte avec plus de liberté, et d’expressivité qu’auparavant. Au répertoire puriste traditionnel ce grand dessin emprunte bouteille et grosse carafe, feuille de papier, le violon, son ombre portée et sa boîte, pipe, dé à jouer, verre à côtes, et, emblème corbuséen par excellence : la composition de deux verres à pied posés tête-bêche que l’on distingue dans l’angle supérieur droit de la composition. S’y ajoutent, dans l’angle inférieur gauche, une pomme de pin, symbole naturel de la perfection géométrique, un écheveau de laine et un accordéon. Comme les autres éléments de la composition, ces derniers constituent l’environnement familier de l’architecte. Mais à la différence de la pomme de pin, issue de sa collection d’Objets à réaction poétique, les deux autres symbolisent la présence d’Yvonne Gallis à ses côtés, et attestent donc d’une nouvelle approche plus spontanée de sa peinture par l’artiste. Si l’environnement des natures mortes puristes est toujours resté exempt de fioritures, abstrait, voire totalement vide, à partir de 1927, la fin du purisme s’illustre également par un nouveau rapport entre le sujet central du tableau et son environnement, qui devient souvent un vrai paysage. Différentes curiosités viennent alors parasiter l’arrière-plan de l’œuvre, autrefois austère mais magnifiant la composition. D’invariante, la représentation devient pittoresque. La boîte à violon, maintenant coupée horizontalement comme par la ligne d’horizon d’un paysage en toile de fond de la composition, se métamorphose insensiblement en une île – noire – et son reflet – bleu – sur la mer. Le Corbusier surmonte cette île – étui à violon, d’un phare, vraisemblablement inspiré de celui du Cap Ferret, qui fait face à Andernos, où ont été réalisés les premiers dessins puristes en 1918. Le titre de notre œuvre – Lodi – semble attester sa présence dans l’exposition que Denise René a consacrée à l’artiste en 1952, à l’occasion de laquelle Le Corbusier a dû choisir dans un annuaire téléphonique, des noms de rues de Paris en guise de titres à ses œuvres (ici, d’après la rue du Pont-de-Lodi). 07. Lodi 1927 Gouache, aquarelle, encre de Chine, mine de graphite et collage sur papier contrecollé sur carton Sujet : 38,1 x 48,3 cm / Feuille : 48,3 x 61,6 cm / Montage : 62,2 x 71,8 cm Signé en bas à gauche : Le Corbusier Provenance : Galerie Denise René, Paris Galeria Conkright, Caracas Expositions : Le Corbusier, Paris, Galerie Denise René, décembre 1971 ; Le Corbusier, New York, Galerie Denise René, février 1972. Bibliographie : Le Corbusier, Paris, Galerie Denise René, Paris et New York, décembre 1971- février 1972, illustré en pleine page en noir et blanc (sans numérotation ni pagination)

26


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:09 Page27

27


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:09 Page28

Parmi les quelques peintures de femmes, des années 1927 à 1929, qui sont typiques du passage de la période puriste à la suivante, cette représentation de Femme à la balustrade associe dans une même composition, une figure de femme frontale, à un fragment de balustrade dont les éléments galbés semblent avoir beaucoup intéressé l’artiste. Le balustre, cet élément architectonique géométriquement parfait, associant un corps tout en rondeurs, à une base et à un chapiteau quadrangulaires, présente toutes les qualités spatiales requises pour figurer au nombre des objets représentés dans une peinture puriste, même si ce ne fut apparemment pas le cas chez Jeanneret entre 1918 et 1927. Les prémices de la recherche du Mariage des contours appliqué à la figure humaine sont visibles ici, alors que le mollet s’inscrit presque parfaitement entre deux balustres, et en reprend la forme inversée. Dans sa simplification de la représentation des objets et des corps, la peinture de Le Corbusier n’a jamais, ni avant ni après, été aussi proche de celle contemporaine de son ami Fernand Léger. Invité à exposer une œuvre dans le Pavillon de l’Esprit nouveau à l’Exposition internationale des Arts modernes décoratifs et industriels de 1925, Léger n’y présente-t-il d’ailleurs pas une toile intitulée Le Balustre, alors que celle d’Ozenfant, intitulée Vases montre un vase cannelé en forme de balustre ? Les membres en fuseau de la femme font également immanquablement penser aux figures de danseur du peintre et théoricien du Bauhaus Oskar Schlemmer, également proche sympathisant du mouvement puriste.

08. Femme à la balustrade Vers 1929-1930 Crayons de couleur et mine de graphite sur papier vélin fin 27,2 x 21,2 cm Porte le cachet humide de la Fondation Le Corbusier et le numéro 3786 au verso Inventorié à la Fondation Le Corbusier sous le numéro d’inventaire 3786

28


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:09 Page29

29


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:09 Page30

Objets à réaction poétique Comme le dessin précédent, n° 8, les trois dessins n° 9, 10 et 11 témoignent dans un genre différent, de la proximité intellectuelle qui lie alors Le Corbusier et Fernand Léger. Comme ce fut le cas pour les femmes hiératiques quelques années auparavant, ces deux artistes partagent au début des années trente un intérêt pour ces objets dont les hautes qualités plastiques sont dues à la nature, ou au hasard, mais surtout pas à un geste humain délibéré : les Objets à réaction poétique. Indéniablement influencé par l’imagerie surréaliste omniprésente à cette époque, et déjà à la recherche de résonances entre les formes, le Corbusier compose ses propres « cadavres exquis » en associant parfois des instruments domestiques, des symboles mathématiques ou des figures humaines et ses Objets à réaction poétique dans autant de rébus autobiographiques. Le pastel n° 9 a fait l’objet d’une retranscription très fidèle en lithographie pour le portfolio Le Corbusier, L’œuvre plastique, édité par Albert Morancé en 1937, alors que des motifs organiques et minéraux des œuvres n° 10 et 11 sont également fidèlement restitués, et confrontés à la façade très orthogonale de la Villa Savoye, sur l’affiche de l’exposition de l’œuvre plastique de Le Corbusier au Kunsthaus de Zurich au début 1938.

09. Roche (?), coquillage et femme lisant 1932 Pastel et mine de graphite sur papier 20,9 x 31 cm Signé et daté en bas à gauche : Le Corbusier / 1932

30


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:09 Page31

31


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:09 Page32

10. Roche (?), coquillage et écorce 1934 Pastel, pastel lavé, encre et mine de graphite sur papier 21 x 31 cm Signé et daté en haut vers la droite : Le Corbusier / 1934

11. Coquillage et écorce Vers 1938 Aquarelle, pastel, encre et mine de graphite sur papier 25,2 x 21 cm Monogrammé et daté en bas à gauche : L-C / vers 1938 Dédicacé, signé et daté en bas à droite : pour Ducret / amitié / et / anniversaire / Le Corbusier / 28 juin / 52

32


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:09 Page33

33


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:09 Page34

Le début des années trente, décidément prolifique et riche d’expériences graphiques nouvelles, voit Le Corbusier s’intéresser à la représentation de la femme sous un jour plus sensuel, et moins architectonique qu’à la fin des années vingt. Les deux exemples qui suivent, n° 12 et 13 sont des représentations très figuratives de femmes dans des postures cependant non dénuées d’érotisme. Les mains des femmes ont encore des proportions raisonnables, et leurs chevelures sont assez réalistes. La recherche du Mariage des contours, qui a vu le jour à l’époque puriste, mais qui s’épanouira pleinement quelques années plus tard dans la représentation de femmes nues n’est encore ici qu’effleurée.

12. Femme nue étendue sur une serviette Vers 1933-36 Pastel, pastel lavé et encre de Chine sur papier 21 x 31 cm Signé en bas à droite : Le Corbusier

34


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:09 Page35

35


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:09 Page36

13. Deux femmes nues assises sur un fauteuil 1932 Pastel, pastel lavé et mine de graphite sur papier 31 x 21 cm Signé et daté en haut à droite : Le Corbusier / 1932

36


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:10 Page37

37


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:10 Page38

En 1932 et 33, durant une période très circonscrite et très intéressante, Le Corbusier parvient dans une petite série d’œuvres sur papier à une synthétisation du trait extraordinaire qui contraste singulièrement avec la relative sagesse des études figuratives de femmes, telles que les n° 12 et 13. A coups de pinceau magistraux, qui calligraphient le contour d’une figure en même temps qu’ils en tracent les ombres, l’artiste donne une série de portraits de femmes dont les postures sont tout à fait lisibles, malgré le caractère très vif et abstrait du trait. Mains et chevelures prennent dès lors une amplitude très symbolique. L’artiste de Stuttgart Willi Baumeister, avec qui l’architecte est régulièrement en rapport et s’est lié d’amitié depuis que l’artiste allemand a suivi, à la fin des années vingt, le chantier des deux maisons conçues par Le Corbusier et Pierre Jeanneret pour la cité de Weissenhof à Stuttgart, réalise de son côté à la même époque une série de dessins de sportifs, d’où émane la même recherche de synthétisation aux confins de l’abstraction.

14. Trois Femmes assises 1932 Encre de Chine et aquarelle sur papier 52,5 x 73,3 cm Signé et daté en bas à droite : Le Corbusier 32

38


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:10 Page39

39


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:10 Page40

15. Couple à cheval 1933 Encre de Chine et aquarelle sur traits de mine de graphite sur vélin fin ; monté sur vélin fort à la demande et du temps de l’artiste Feuille : 20,9 x 30,8 cm / Montage : 30,8 x 40,5 cm Signé et daté en bas à droite : Le Corbusier / 1933 Dédicacé et signé en bas à droite sur le montage : pour Tiggy Ghyka* / avec mon amitié / Le Corbusier

40

* Tiggie Ghyka, poète et épouse du peintre Nicolas Ghyka (1906-1994).


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:10 Page41

Les Papiers collés Salubra Le Corbusier, très attentif à la polychromie tant intérieure qu’extérieure de ses constructions, étant à la recherche de teintes constantes, qui ne varieraient pas selon les dosages de pigments effectués par l’artisan sur le chantier comme cela se faisait à l’époque, s’est vu proposer par la société suisse de papiers peints Salubra, de concevoir une gamme de teintes et de motifs. Envisageant dans cette proposition une réponse à son problème, il conçut en 1931 sa gamme de papiers Salubra comme de la « peinture à l'huile vendue en rouleau »1. A de nombreuses teintes naturelles, de terres et d’ocres, Le Corbusier associa un motif de losanges et de pois de deux tailles distinctes. C’est très vraisemblablement la présence dans son atelier d’échantillons de ces papiers, qui l’incita, quelques années plus tard alors qu’il ne s’y était jamais essayé auparavant, à entreprendre la réalisation de collages. Il les intitulera dès lors Papiers collés. De fait, très peu de papiers collés à base de papier Salubra sont connus à ce jour : huit figurant des groupes de femmes dans des poses alanguies, le neuvième étant une maquette de peinture murale pour le Pavillon des Temps Nouveaux de l’Exposition de 1937. Un a été réalisé en 1934, trois en 1935, deux respectivement en 1936 et 1937, et le dernier vraisemblablement en 1938. L’importance de ces œuvres est cependant primordiale, car avec le collage, c’est un nouveau champ créatif qui s’ouvre à Le Corbusier ; champ dans lequel il excellera après-guerre, et qui lui sera d’une grande utilité tant pour la conception d’estampes, que de tapisseries et d’émaux. Le premier papier collé Salubra étant réalisé en 1934, juste après la période pendant laquelle Le Corbusier dessine de façon très calligraphique, nous retrouvons très naturellement dans l’encre n° 16, et le collage n° 17 de même sujet, la même fougue, quoiqu’exprimée dans deux mediums antagonistes, l’exécution d’un tel collage nécessitant beaucoup de soin et de patience. Outre la grande qualité des pigments employés à l’époque par Salubra, qui ont conservé jusqu’à aujourd’hui une vigueur intacte, les motifs géométriques de certains échantillons de papier, font de cette série de collages des œuvres exceptionnelles dans le corpus corbuséen parce qu’elles montrent de façon tangible l’interaction permanente, mais souvent moins évidente, qui existe entre les deux disciplines exercées quotidiennement par Le Corbusier : l’art – discipline de créativité pure – et l’architecture – discipline extrêmement contrainte.

1

Rüegg Arthur, Le Corbusier – Polychromie architecturale, Birkhäuser, Basel-Boston-Berlin, 1997, p. 49.

41


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:10 Page42

16. Deux Femmes attablées sous un arbre 1933 Aquarelle, encre de Chine et mine de graphite sur papier 20,7 x 30,8 cm Signé et daté en bas à gauche : Le Corbusier / 1933

17. Deux Femmes attablées à la terrasse du Piquey 1934 Collage de papier peint Salubra et encre de Chine sur papier 82 x 102 cm Signé et daté en bas à droite : Le Corbusier /34

42


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:10 Page43

43


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:10 Page44

Parmi les nombreux sujets féminins réalistes qu’il a dessinés depuis 1930, Le Corbusier sélectionne quelques compositions, les plus riches de potentiel plastique, qu’il va désormais reprendre perpétuellement, en les adaptant à ses nouveaux mediums, comme aux nouvelles évolutions de sa pratique picturale. Il avait fait de même en sélectionnant un nombre très limité de compositions puristes, les plus abouties, qu’il réalisera encore en collage jusqu’à ses derniers jours. Parmi les compositions féminines les plus fréquentes et emblématiques se trouve La Femme au livre, que l’on a déjà vue apparaître dans le pastel n° 9, et qui sera l’objet du collage de papier Salubra n° 18, ainsi que de l’huile n° 19, jusqu’à aujourd’hui inédite.

18. Femme assise lisant 1936 Encre de Chine sur collage de pièces de papier peint Salubra monté sur papier vergé 37,6 x 25,4 cm Signé et daté en bas à droite : Le Corbusier / 1936

44

* Tiggie Ghyka, poète et épouse du peintre Nicolas Ghyka (1906-1994).


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:10 Page45

45


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:10 Page46

L'ambiance familiale de ce portrait nu de Femme au livre que Le Corbusier a souvent dessiné et peint, est généralement attestée par une pelote de laine et des aiguilles à tricoter posées au pied du personnage, comme dans le cas du papier collé n° 18. Dans cette huile n° 19, l'élément domestique réside dans la tête d'un chien, dont on distingue la silhouette dans l'angle supérieur gauche du tableau. L'artiste et son épouse Yvonne Gallis ont effectivement aquis un griffon à poil dur l'année précédente comme il l'écrit à sa mère dans une lettre du 29 avril 1934. Ce chien figure dans deux autres peintures contemporaines : une de 1934 qui représente une femme nue sur un divan et le chien à ses pieds (FLC 109 ; CR 161), et sur une de 1935 qui figure deux baigneuses étendues sur la plage et le chien devant elles (FLC 9 ; CR 170). L'épais contour noir et sinueux du corps de la femme est une réminiscence des dessins graphiquement sculptés des années 1932 et 1933. Cette peinture découverte récemment, et totalement inconnue jusqu'à aujourd'hui – même des spécialistes, n'a apparemment jamais été montrée, ni publiée. Son format imposant – 130 x 97 cm – en fait une redécouverte d'autant plus importante qu'elle abonde le corpus de l'année 1935, déjà riche d'au moins dix toiles de grand format – toutes consacrées aux femmes – dont l'iconique Pêcheuse d'huîtres (FLC 150 ; CR 165).

19. Femme au livre 1935 Huile sur toile 129,5 x 96 cm Signé et daté en bas à droite : Le Corbusier / 35 Provenance : Galerie Louise Leiris, Paris

46


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:10 Page47


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:10 Page48

Les deux femmes étendues n° 20 ont ceci de remarquable qu’un autre collage du même sujet a été réalisé en employant les mêmes échantillons de papier, le corps bleu clair de la femme du haut de notre collage étant sur l’autre œuvre de couleur terre de Sienne comme le fond de notre œuvre, et inversement. Cet emploi de deux pièces de papier complémentaires, constitue un jeu des pleins et des vides qui ne pouvait échapper à l’architecte, et qu’il approfondira considérablement après-guerre, notamment lors de la réalisation des collages originaux du Poème de l’angle droit.

20. Deux Femmes étendues / étude pour tapisserie 1935 Collage de papiers peints Salubra et encre de Chine sur papier 65 x 88 cm Signé et daté en bas à droite : Le Corbusier /1935 Monogrammé en bas au milieu : L.C Bibliographie : Le Corbusier, New World of Space, Reynal & Hitchcock, New York The Institute of Contemporary Art, Boston, 1948, non paginé.

48


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:10 Page49

49


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page50

21. Deux Femmes étendues 1938 Pastel lavé et encre noire sur traits de mine de graphite, et une pièce de papier collé (repentir de l’artiste) sur papier vélin fin, contrecollé sur vélin fort Feuille : 20,7 x 30,6 cm / Montage : 30,9 x 41,2 cm Signé et daté en bas à droite : Le Corbusier / 1938 Le montage a été effectué du vivant et à la demande de Le Corbusier. Il porte au verso les restes de deux cercles concentriques au crayon gras que l’artiste apposait sur les œuvres qu’il considérait comme importantes, mais qui ont partiellement disparu lors d’une légère réduction du support de montage.

50


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page51

22. Deux Femmes nues à la plage, étendues sur une serviette bleue Vers 1938 Collage de papier peint Salubra et encre de Chine sur papier 20,2 x 31,2 cm Signé et dédicacé en bas vers le milieu : Le Corbusier / à Madame Cuttoli

51


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page52

Ce dessin de femmes nues au bord de la mer est un exemple très représentatif de l’usage original que fait Le Corbusier du pastel à partir de cette époque. Sur une ébauche grossière au crayon, il applique quelques traits de pastel pour délimiter de grandes surfaces colorées. Avec un pinceau gorgé d’eau, il dilue ensuite et diffuse ce pastel pulvérulent. Cela présente les deux vertus de créer de grandes zones de couleur d’intensité uniforme, d’une part, et d’autre part de fixer relativement bien le pastel ainsi diffusé. L’artiste complète son œuvre en précisant certaines formes à l’aide d’une plume ou de graphite. Les nombreuses compositions associant plusieurs femmes que Le Corbusier conçoit au milieu des années trente donnent toujours une importance considérable aux mains. Ces deux femmes semblent être nues, assises, et approchant leurs mains dans un geste étonnant. A l'exception de ces mains démesurées, dont le dessin détaillé les distingue nettement du reste des corps, chaque femme n'est essentiellement identifiée que par un aplat de couleur uniforme et quelques traits rapidement mais pertinemment jetés. Les deux femmes apparaissent ainsi strictement dans un même plan, comme si elles étaient le fruit d’un collage, technique que Le Corbusier découvre effectivement à cette époque.

23. Deux Femmes au Piquey 1935 Pastel lavé et encre sur traits de graphite sur papier vélin fin monté sur vélin fort du vivant de l’artiste Feuille : 20,8 x 30,9 cm / Montage : 36 x 48 cm Signé et daté en bas à droite : Le Corbusier / 1935 Dédicacé et date en bas à gauche sur le montage : pour l’anniversaire de Noëlle / avec l’amitié d’Yvonne et Corbu / 2 / I / 57

52


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page53

53


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page54

La notion de Mariage des contours est l’objet d’une recherche picturale entreprise par Le Corbusier dès l’époque puriste, et qui consiste à trouver un contour commun, généralement réalisé d’un seul trait, à deux formes contiguës (ou vues comme telles grâce à la perspective, notamment lorsqu’il s’agit de représentations de femmes comme ici ). Cette recherche constitue un jeu pictural manifestement issu de l’expérience de l’architecte, qui doit penser avant tout, lorsqu’il conçoit et dessine un mur, que ce dernier a deux « bords », et sera vu et vécu des deux côtés et non d’un seul. Ce sujet représentant quatre femmes debout, qui a fait l’objet d’une retranscription en papier collé en 1950, est un exemple de réussite de cette recherche d’imbrication des formes.

24. Quatre Femmes 1942 Encre et pastel lavé sur papier 27 x 42 cm Provenance : Heidi Weber, Zurich (n° 1096)

54


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page55

55


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page56

De son premier voyage à Alger en 1931, Le Corbusier rapporta de nombreux croquis très réalistes de femmes, notamment de prostituées, insistant souvent sur leur costume traditionnel. Il rapporta également de nombreuses cartes postales de femmes arabes dans des poses lascives et dénudées. Dans les années qui suivent, notamment en 1935, il s'inspire souvent de cet abondant matériau fantasmatique, puis interprètera ces images pendant des décennies, selon ses recherches graphiques, picturales, et symboliques successives. Dès l’année suivante, Le Corbusier réalise une série de dessins aux crayons de couleur, dans lesquels il reprend la partie haute de la composition initiale, les mains des deux femmes reposant alors (virtuellement) sur le bord inférieur de la feuille, ou sur une rambarde de balustrade que Le Corbusier ajoute alors à la composition. Si l’aspect de la femme de gauche reste inchangé dans ces nouveaux dessins de 1936 et 1937, le costume de celle de droite est en revanche considérablement enjolivé, et un motif géométrique occupe tout le second plan. Ce thème fait également l’objet de trois peintures en 1936 et 37, et, comme le pastel n° 9 d’une lithographie dans le livre Le Corbusier, Œuvre plastique, édité par Albert Morancé l’année même où ce dessin a été réalisé, en 1937.

25. Femmes fantasques 1936 Pastel gras et mine de graphite sur papier 21 x 30,4 cm Signé et daté en haut à gauche : Le Corbusier / 1936

56


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page57

57


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page58

Le thème de l’amitié, cher à Le Corbusier, apparaît dans son œuvre pictural au début des années trente à la suite de ses séjours au Piquey, dans la baie d’Arcachon, où les intellectuels parisiens aimaient aller prendre du repos. Il se symbolise alors par des groupes de femmes, soit assises sous le figuier dans une pose domestique comme dans les n° 16 et 17, soit jouant de la musique, comme dans le cas des trois œuvres suivantes, n° 26, 27 et 28. En 1959, Le Corbusier réalisera un grand collage dont il fera également tirer une lithographie, qui présente quatre femmes nues jouant de la musique. Son titre L’Ennui régnait au dehors, pour une fois rédigé en grands caractères sur l’œuvre elle-même montre l’association que Le Corbusier fait de façon récurrente entre un groupe de femmes nues jouant de la musique, et l’idée d’amitié et de confort. L’ensemble des œuvres n° 26, 27 et 28, montre comment l’artiste réemploie un thème sélectionné à travers les médiums et les époques.

26. Musiciennes 1937 Pastel lavé et encre sur traits de graphite sur papier monté sur carton 20,3 x 30,2 cm Signé et daté en bas à droite : Le Corbusier / 1937 / b Dédicacé au dos : à Madame Friedrich / Bien amicalement / en souvenir de janvier 1938 / Le Corbusier Provenance : Emil et Clara Friedrich, Zurich

58


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page59

59


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page60

27. Musiciennes 1947 Pastel sur papier 41 x 53,8 cm Signé et daté en bas à gauche : Le Corbusier /47

60


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page61

28. Musiciennes Vers 1950 Encre et collage de papiers couleur et gouachés sur papier 20,6 x 26,5 cm Dédicacé, signé et daté en bas à droite : pour Madame / Chastanet / Le Corbusier / 1/1/51

61


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page62

« Les éléments d’une vision se rassemblent. La clef est une souche de bois mort et un galet ramassés tous les deux dans un chemin creux des Pyrénées »1. C’est dans ces termes que Le Corbusier décrit dans le Poème de l’angle droit les premiers assemblages qu’il dessine des objets qu’il ramasse au gré de ses promenades d’homme oisif par obligation à Ozon. Avec différentes techniques, graphite, pastel, aquarelle ou plume, sur différents papiers de formats variés, et au gré de la pénurie de matériaux, Le Corbusier dessine pendant la guerre des dizaines de variantes de ces assemblages. A l’issue de la guerre, Le Corbusier entend accentuer son activité plastique, et s’entoure pour certaines disciplines comme la tapisserie et la sculpture, de fidèles collaborateurs auxquels il confie la mission d’exécuter ses oeuvres selon ses consignes précises et strictes. Joseph Savina, ébéniste breton qui avait demandé, à la fin des années trente, des conseils de technique du dessin à Le Corbusier, se voit appelé par ce dernier pour réaliser des tailles directes sur bois d’après ses dessins. Après deux essais sculptés d’après des œuvres anciennes de Le Corbusier, Joseph Savina entame la sculpture d’Ozon 1940, rapidement suivie par celle d’Ozon Opus 1, d’après les nombreux dessins, souvent colorés, issus de l’imagination de l’artiste devant les formes naturelles (galets et racines) qu’il observa dans le village d’Ozon dès octobre 1940. Cette sculpture est sans conteste la première grande réussite du couple Le Corbusier – Savina dans cette discipline, et la plus emblématique « des sculptures de nature acoustique, c’est à dire projetant au loin l’effet de (leurs) formes, et par retour, recevant la pression des espaces environnants »2. Prévue pour être réalisée à 6 exemplaires (l’original, et 5 déclinaisons numérotées), nécessairement tous légèrement différents puisque tous sculptés et peints à la main, cette sculpture semble ne pas avoir été éditée à plus de 3 épreuves. Cet exemplaire, le deuxième, est celui qui était réservé à Joseph Savina.

1 2

62

Le Corbusier, Le Poème de l’angle droit, Tériade éditeur, Paris, 1955, p. 75. W. Boesiger, Le Corbusier – Œuvre complète 1946 - 1952, Birkhäuser Publishers, Basel, Boston, Berlin, p.225.


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page63

29. Ubu – Panurge 1940 Aquarelle et encre sur traits de graphite sur papier pelure Sujet : 21 x 17 cm Feuille : 27 x 21 cm Monogrammé et daté en bas à droite : L-C / 40

63


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page64

Le Corbusier (1887 – 1965) et Joseph Savina (1901 – 1983) 31. Ozon opus I 1947 Bois sculpté et polychromé 73 x 48 x 38 cm Monogrammé et daté au dos : L-C. JS 47 2/5 Provenance : Descendance directe de Joseph Savina

30. Étude pour la sculpture : Ubu – Panurge 1946 Mine de graphite, pastel et pastel lavé sur papier 26,8 x 20,7 cm Monogrammé et daté en bas à droite : L-C / 46

64

Bibliographie : Répertorié sous le n° 4 de l’ouvrage Le Corbusier / Savina dessins et sculptures, FLC / Philippe Sers éditeur Paris, 1984. (Un autre exemplaire illustré) Une liste complète des publications dans lesquelles figure cette œuvre est disponible sur demande aux galeries.


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page65


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page66

La période de la guerre va influer de différentes manières sur la production artistique corbuséenne. Non seulement, comme on l’a vu avec le dessin n° 29, vraisemblablement réalisé à Ozon, s’ouvre l’ère des sculptures acoustiques, mais la raréfaction des matériaux en général et des toiles en particulier oblige l’artiste à peindre sur des plaques de contreplaqué de petit format, comme dans le cas de l’huile n° 32, qui reprend librement un sujet puriste ancien et récurrent. Le collage n° 33, réalisé sur un papier noir, vraisemblablement de récupération d’un emballage comme ce sera fréquent durant toutes les années cinquante, est également une reprise de l’époque puriste. Il montre vers quelle simplification des formes Le Corbusier tend, et que la recherche du Mariage des contours est maintenant une préoccupation obsolète. Le leitmotiv de l’art contemporain est alors dans le rapport entre le dessin et les surfaces colorées. Le collage, auquel Le Corbusier va dès lors beaucoup s’adonner est le médium idéal pour résoudre cette équation. Dans ses collages, même si les surfaces colorées ne coïncident généralement pas parfaitement avec le dessin qui surligne le sujet, souvent réalisé en noir, à la plume ou au pinceau, il y a cependant toujours un lien étroit entre les deux techniques mises en œuvre. Le pastel n° 34, conçu comme un collage, avec une pièce de forme libre violette sur un fond jaune, est rehaussé de deux dessins qui se chevauchent : une réinterprétation d’une nature morte d’époque puriste peinte en rouge, et une Icône au fusain. Même si aucun de ces motifs n’est abstrait – Le Corbusier revendiquait de ne pas être un peintre abstrait - cette œuvre étonnante, qui peut paraître confuse au sein du corpus corbuséen toujours très structuré, annonce les papiers collés presque abstraits que l’artiste réalisera subitement et de façon éphémère en mai 1954, comme les n° 55, 56, et 57. 32. Nature morte 1944 Huile sur panneau de contreplaqué 34,7 x 22,2 cm / 44,2 x 31,5 cm (avec le cadre) Monogrammé et daté en haut à droite sur la bouteille : L-C / 44

66


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page67

67


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page68

33. Nature morte 1945 Collage et gouache sur papier 27,7 x 35,8 cm Monogrammé et daté en bas à droite : L-C / 45

68


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page69

34. Icône 1946 Gouache, pastel et pastel lavé sur papier 53,9 x 40,9 cm Signé et daté en bas à gauche : Le Corbusier / 46

69


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page70

Comme on l'a vu en évoquant les papiers collés Salubra des années trente, le thème de la femme, seule au foyer, ou en groupe à la plage, a inspiré la quasi-totalité des peintures que le Corbusier réalise entre 1934 et 1937. Le sujet ci-contre, également parfois intitulé Le Pique-nique, qui figure deux femmes, une assise et une allongée autour de deux tasses à thé et d'un compotier rempli de fruits, remonte à une aquarelle de 1917 – comme l'artiste l'a lui même indiqué sur le dessin avant la date 1952. L'artiste manie ici les pastels gras, matériau rare dans son œuvre et vraisemblablement nouveau pour lui quand il réalise ce dessin, avec une fougue toute gestuelle.

35. Deux femmes au compotier et aux tasses à thé 1952 Pastel gras et mine de graphite sur papier vélin fin doublé 32,8 x 42,2 cm Signé et daté en bas à droite : Le Corbusier / 1917 - 1952

70


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page71

71


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page72

36. Deux Femmes 1948 Collage, gouache, encre et mine de graphite sur papier 48,5 x 36,7 cm

72


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page73

Comme on l’a vu, les collages réalisés par Le Corbusier avant la Seconde Guerre mondiale ont eu une importance capitale pour l’évolution graphique du son travail de peintre, mais se comptent pratiquement sur les doigts des deux mains. En 1948, en revanche l’artiste entreprend trois projets picturaux d’envergure, pour lesquels le collage devient, à divers titre, un outil de travail fréquent, et riche de ressources. Le premier projet, pour lequel il réalise au moins trois esquisses du même sujet en collages, est la peinture qu’il effectue sur un mur de son Atelier du 35 rue de Sèvres. Le second réside dans la grande peinture murale du Pavillon Suisse de la Cité Internationale Universitaire, que l’artiste compose également d’après quelques petits papiers collés. Cette dernière œuvre résultant de l’association de quatre thèmes conçus antérieurement, les collages que l’artiste réalise en juin 1948, constituent le procédé idéal pour associer avec justesse les surfaces colorées représentatives de chaque thème, et le trait qui dessine et unit le sujet. Le troisième projet, qui n’est pas le moins ambitieux, est le Poème de l’angle droit, un grand livre édité par Tériade, composé de 80 lithographies, et dont les dix-neuf hors-texte en couleur sont imprimés d’après les collages que l’artiste crée à partir de l’automne 48. Pour cette épopée picturale, architecturale et philosophique, il apparaît manifeste que Le Corbusier a commencé par réaliser des collages selon ses thèmes historiques favoris, autour desquels il a ensuite seulement rédigé le texte du Poème. Reconnaissable par son style, mais également par les matériaux mis en œuvre, et par ses dimensions, le collage n° 36 – quoique non retenu pour l'édition – fait assurément partie des papiers collés effectués en 1948 dans le cadre du projet du Poème de l’angle droit. La comparaison entre le pastel n° 37, de 1937 et le collage n° 38 de 1952, montre encore une fois comment l’artiste va rechercher dans un corpus limité d’images anciennes le sujet de nouveaux moyens d’expression artistique, comme le collage pour lequel il se passionne maintenant. Le thème de ce pastel est en effet récurrent au sein du travail de l’artiste durant les années 30. Deux huiles lui sont déjà consacrées en 1929, puis une autre en 1931, à laquelle notre composition doit la nouvelle chevelure volumineuse du personnage et la main pleine de tension qui repose sur le rebord du guéridon au premier plan. Ces trois premières compositions figurent la femme en sens inverse, regardant vers la gauche. A partir de 1937, la femme regarde vers la droite, et son nouveau titre usuel, « Femme à la Cléopâtre », dont l’origine certaine ne nous est pas connue, peut provenir du serpent qui, sur l’huile réalisée cette même année, lui ceint le cou. En 1938, enfin, Le Corbusier peindra 4 huiles qui reprennent la plupart des caractéristiques des premières compositions de 1929 – notamment le tête ronde sans chevelure – mais qui sont orientées vers la droite comme notre dessin n° 37. Ces dernières peintures sont intitulées « Athlète » et ont manifestement constitué le matériel de base pour la réalisation du collage n° 38.

73


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page74

37. Femme à la Cléopatre 1937 Pastel lavé et mine de graphite sur papier vélin fin 27 x 21 cm Signé en bas à droite : Le Corbusier

74


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page75

38. Athlète 1952 Encre de Chine, collage de papier journal et de papiers gouachés sur papier vergé 50,5 x 35,5 cm Signé et daté en bas à droite : Le Corbusier / 52 Monogrammé et daté : LC / 52


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:11 Page76

Dans la foulée de son engouement pour le papier collé après-guerre, Le Corbusier réalise des œuvres rapides et expérimente toutes sortes de langages que le collage facilite. La femme est toujours un de ses sujets favoris. La facilité d’exécution de ces œuvres, et le jeu des aplats de couleur que le collage suscite, amènent l’artiste à réaliser souvent des plus grands formats qu’avant-guerre. Pour les surfaces colorées, Le Corbusier découpe indifféremment dans des feuilles de papier gouachées ou peintes à la caséine comme pour le n° 39, ou dans des papiers colorés industriellement comme c’est le cas du n° 40.

39. Trois Femmes 1947 Encre et collage de papiers gouachés sur papier 38 x 48 cm Monogrammé et daté en bas à droite : L-C / 47 Signé en bas à droite : Le Corbusier

76


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page77

40. Quatre Femmes Décembre 1950 Collage de papiers de couleur et encre sur papier 50 x 65 cm Signé et daté en bas au centre : Le Corbusier / Dec 50

77


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page78

La fin des années quarante, parallèlement à sa passion nouvelle pour les papiers collés, voit Le Corbusier s’intéresser à la mythologie, notamment méditerranéenne. Invité en 1948, peut-être par Pierre Faucheux qui en réalise la maquette, à produire une illustration pour L’Odyssée d’Homère dans la collection Les Portiques, il conçoit une estampe du même thème que le collage n° 40. Son titre exact nous est donné par cette publication. Le Corbusier a beaucoup étudié cette image en préparant le cliché trait qui est imprimé en noir seulement dans l’édition des Portiques. Il a en effet également conçu diverses œuvres en prévision d’une éventuelle édition en couleurs qui ne vit le jour qu’à titre d’épreuve vraisemblablement unique. Fait exceptionnel, mais symptomatique, il a dessiné d’un côté des esquisses très figuratives à l’encre de Chine noire, et a par ailleurs réalisé un collage totalement abstrait, uniquement fait de taches de couleurs. Seule la superposition du dessin et du collage permet de comprendre l’utilisation des taches de couleur du papier collé. Alors qu’il joue toujours, sur ces collages conçus comme des œuvres achevées, du dialogue entre taches de couleur et dessin, ce papier collé abstrait ne se justifie qu’en tant que projet pour la réalisation des plaques destinées à imprimer la couleur de l’estampe. Ulcéré en 1955 par le néo-classicisme des reproductions d’illustrations de John Flaxman dans un exemplaire de L’Iliade dans la même collection des Portiques, Le Corbusier rehausse ce livre de nombreuses illustrations aux crayons de couleurs et projette d’en réaliser une transcription personnelle avec l’aide du lithographe Mourlot, qui ne verra malheureusement jamais le jour.

41. Les îles sont des corps de femmes à demi immergés qui reçoivent les bateaux dans leurs bras 1949 Collage, gouache, encre (huile ?) noire, craie blanche et graphite sur papier 27,5 x 37,5 cm Signé et daté en bas à droite : Le Corbusier 49

78


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page79

79


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page80

La licorne ailée qui ne figure apparemment pas dans les mythologies classiques apparaît au sein du bestiaire corbuséen dès 1948, sur la peinture murale du Pavillon suisse de la Cité Universitaire Internationale, ainsi qu’à deux reprises parmi les 19 hors-texte en couleurs du Poème de l’angle droit. Cet animal composite figure souvent une aile posée dans une main humaine disproportionnée, et associée au vers de Mallarmé « Garder mon aile dans ta main »1. Mais, dans plusieurs dessins, et dans le Poème, cette licorne est associée à l’image d’un couple étendu, surimposé d’une troisième silhouette humaine, association d’images qui a donné lieu au cours des dernières décennies, à de très nombreuses interprétations sur la vie et les aspirations de l’artiste.

42. Femme à la Licorne ailée 1954 Huile sur panneau de contreplaqué 22 x 26,5 cm Monogrammé et daté en bas au centre : LC / 54 Dédicacé, signé et daté au verso : pour / Germaine / Emery / amicalement / Le Corbusier / avril 54 Provenance : Germaine Emery, épouse de Pierre-André Emery, architecte et collaborateur de Le Corbusier Bibliographie : Jornod N. et J-P., Le Corbusier - Catalogue raisonné de l’œuvre peint, Tome II, Skira, Milan, 2005, n° 409 p. 905. Inventorié à la Fondation Le Corbusier sous la référence : FLC 276

1

80

Mallarmé Stéphane, Autre éventail, publié en 1884 dans la Revue critique


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page81

81


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page82

82


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page83

Le Corbusier possède un registre d’images finalement assez réduit et aime retravailler à l’infini des thèmes anciens, en mettant en œuvres les nouvelles problématiques de l’art de son époque, qu’il traduit particulièrement bien, tout au long des années cinquante à l’aide de son nouveau médium de prédilection : le papier collé. Le sujet du collage n° 43, composé de deux figures humaines associées, voire superposées à un cheval, date du milieu des années trente et est également connu sous les intitulés Cirque ou Menace selon les cas. Le papier collé n° 44 est une association de deux thèmes : la reprise d’une nature morte de la seconde moitié des années vingt accolée à une femme – nue – malgré le titre de l’oeuvre – assurément donné par l’artiste – qui évoque la vie domestique bourgeoise. L’essentiel du collage n° 45, en revanche ne naît qu’au début des années cinquante. Le Corbusier retranscrit dans un de ses sketch-books l’image de la tête d’homme d’après un « scrafitti »1 du chantier de l’Unité d’habitation de Marseille pendant l’été 1952, puis l’associera à différents portraits de femme. Cette femme qui apparaît nue par la porte de la maison nous rappelle à nouveau cette évocation du bien-être et de l’amitié, que Le Corbusier réalise en collage en 1959 sous intitulé L’Ennui régnait au dehors, qui figure un groupe de femmes jouant de la musique.

43. Les Amazones 1957 Collage, encre de Chine et mine de graphite sur papier 43 x 34,2 cm Signé et annoté en bas au centre : Le Corbusier / 57 Exposition et bibliographie : Exposition de Papiers collés, Zurich, Mezzanin Heidi Weber, 16 mai - 22 juin 1962, cat. n° 15, ill. en noir et blanc.

1

graffiti

83


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page84

44. Madame, la table est dressée 1961 Encre et collage de feuille de journal et papiers gouachés sur papier 39 x 52,2 cm Daté et signé en bas à gauche : Pentecôte / 21/5/61 / Le Corbusier

84


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page85

45. Julot 1955 Encre de Chine, collage et mine de graphite sur papier 34 x 43 cm Signé et annoté en bas à droite : Le Corbusier / Cap Martin / août 54 / Chandigarh / 27 nov 54 / Paris 31 janvier 55

Signé et annoté en bas à gauche au verso : 12 (dans un cercle) / « JULOT...» / 34/43 (dans un cartouche) Signé et annoté en bas à droite au dos : Le Corbusier / Cap Martin / août 54 / Chandigarh / 27 nov 54 / Paris 31 janvier 55

85


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page86

Dans ce collage, Le Corbusier reprend un ancien thème sur lequel il a déjà réalisé plusieurs dessins en 1930 ainsi que deux peintures en 1930 et 1932, puis un burin en 1948. Avec la date “30”, qu’il indique spécifiquement sur une œuvre réalisée en 1951, l’artiste entend rappeler la date de l’invention de ce thème, et donc préciser que le mode expressif employé compte plus que le sujet même de l’œuvre, inlassablement repris et retravaillé. Le silex de cette composition est le prototype des Objets à réaction poétique (voir les dessins n° 9, 10, 11), alors que la main devient un des thèmes corbuséens primordiaux des années cinquante. Le découpage vigoureux, dans des papiers de deux couleurs complémentaires et très contrastées, ne peut manquer de faire penser que la vision de Jazz, publié par Matisse en 1947 a influencé Le Corbusier dans l’exécution minimaliste de cette œuvre. Ce “papier collé” a été fidèlement reproduit en lithographie en couleurs, en couverture de l’ouvrage double de Le Corbusier Architecture du bonheur – L’Urbanisme est une clef, publié en 1955.

46. Main et silex 1951 Plume fine et encre de Chine sur traces de fusain sur collage ; ce dernier constitué de papier laqué rouge sur papier fort peint en Matroil vert, montés sur vélin blanc très fin 33 x 26,1/26,3 cm Monogrammé et daté vers le bas à droite : LC / 30-51 Comme c’est souvent le cas dans le corpus corbuséen d’œuvres sur papier, ce collage porte les deux dates, de l’invention de ce thème par l’artiste (1930), et de la réalisation du présent collage (1951) d’après ce thème ancien. Ce collage a été reproduit (sans l’indication des dates), en 1955, en couverture de l’ouvrage de Le Corbusier Architecture du bonheur – L’Urbanisme est une clef, publié sous la direction de Jean Petit, dans la collection Cahiers Forces Vives, aux Presses d’Ile de France.

86


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page87

87


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page88

La main ouverte Comme on l’a vu, les mains que Le Corbusier alloue à ses portraits de femmes des années trente et quarante, sont puissantes, fréquemment surdimensionnées, et expriment souvent la relation entre les différents personnages d’une même composition (voir notamment le dessin n° 23). Déjà porteuse d’un symbole fort avant-guerre, la main devient à partir de la fin des années quarante le support du message altruiste de Le Corbusier. Refusant d’enseigner dans les structures traditionnelles qui l’y invitent, il veut faire de son œuvre plastique, diffusée le plus largement possible, un support de réflexion pour les générations futures. Nombre de ses œuvres de l’après-guerre ont donc une portée ouvertement pédagogique, tant dans les domaines de la création – avec la lithographie Modulor – que dans celui de la morale. Cette Main ouverte, « pour recevoir et pour donner », illustre ainsi un message corbuséen essentiel des années cinquante et soixante : l’obligation faite aux détenteurs de la connaissance de partager cette connaissance ; sa mission de la passation de la connaissance entre les générations. Ce collage est la maquette originale de l’affiche pour la présentation du Poème de l’angle droit à la galerie Berggruen du 22 novembre au 3 décembre 1955. Après correction de l’orthographe du nom Berggruen erroné sur ce collage, cette maquette fut lithographiée par Mourlot.

47. Maquette d’affiche pour l’exposition du Poème de l’angle droit à la galerie Berggruen 1955 Collage de papiers gouachés et découpés et encre de Chine 60,5 x 40,5 cm Monogrammé et daté à gauche : LC / 55

88


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page89

89


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page90

48. La Main ouverte 1950 Gouache sur papier Mongolfier 63,5 x 48,3 cm Signé et daté en bas à gauche : Le Corbusier / 50

90


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page91

49. La Main ouverte 1950 Gouache et aquarelle sur papier 63,5 x 48 cm Signé et daté à gauche : Le Corbusier / 50 Dédicacé, titré et signé en bas à droite : pour Simone Wogensky / « la main ouverte » / emblème optimiste / avec mon amitié / Le Corbusier

91


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page92

Vers 1954, Le Corbusier met tout en œuvre pour qu’une sculpture monumentale sur le thème de la Main ouverte, localisée dans « la Fosse de la Considération », occupe le cœur de la cité de Chandigarh, la nouvelle capitale du Pendjab dont l’architecte établit alors le plan et les principaux monuments. Le projet ne se concrétise pas faute de moyens, et Le Corbusier en relance l’idée en 1962 avec une grande dépense d’énergie. Le monument ne sera finalement réalisé qu’une vingtaine d’années après la disparition de l’architecte. « Toute sa vie fut une grande main ouverte. Parfois il la referma sur le secret de luimême. Et n’y a-t-il pas aussi, dans « La Main Ouverte » qu’il dessina pour Chandigarh, un secret, un appel, un cri vers l’insaisissable, un cri que personne n’entend ? »1. Comme s’il regrettait de n’avoir pu l’aider à le réaliser, André Malraux évoquera ce projet inachevé par deux fois dans l’Hommage du gouvernement, qu’il prononce dans la Cour Carrée du Louvre le 1er septembre 1965 : « Il disait, à la fin de sa vie : « j’ai travaillé pour ce dont les hommes d’aujourd’hui ont le plus besoin : le silence et la paix. » Et le principal monument de Chandigarh devait être surmonté d’une gigantesque Main de Paix, sur laquelle seraient venus se poser les oiseaux de l’Himalaya. La Main de Paix n’est pas encore en place (…) Comme le cortège des femmes de l’Inde portant la terre vers le piédestal vide de la Main de Paix, avec le geste des porteuses d’amphores… »

50. La Main ouverte 1951 Huile et gouache sur papier 21 x 27 cm Monogrammé et daté en bas à droite : L-C / 51

1

92

A. Wogensky, Les Mains de Le Corbusier, Editions de Grenelle, Paris, s.d. p. 21


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page93

93


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page94

51. Chandigarh, la Main ouverte 1951 Collage de papiers et feuille de journal gouachés sur carton 40 x 50 cm Monogrammé et daté en bas à droite : L-C / 51 Cachet de l’ATELIER LE CORBUSIER au verso

94


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page95

52. La Main ouverte 1951 Pastel lavé rehaussé de pastel noir et stylo-bille sur papier vélin fin 21 x 27 cm Daté en bas à gauche : août / 51 Signé et dédicacé en bas à droite : pour Pierre Jeanneret / avec mon / amitié / Le Corbusier

95


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page96

La silhouette ondulante de danseuse, qui se trouve à gauche de la composition et que l’on pourrait croire inspirée par la statuaire indienne que Le Corbusier découvre au début des années 50 avec le commencement du chantier de Chandigarh, apparaît en fait dès 1932 dans une quantité d’esquisses et dans trois tableaux intitulés Arabesques animées (1 et 2), et La Danseuse et le petit félin. Dans ces compositions, la silhouette de danseuse, effectivement constituée principalement d’une ligne sinueuse et d’à-plats de couleur d’où ne se distinguent que le visage, la poitrine et les deux pieds, est confrontée à un violon démesuré au profil non moins sinueux. C’est l’époque où Le Corbusier ne craint pas d’associer dans un même sujet formes organiques et géométriques les plus variées, représentées sans aucune notion réaliste d’échelle. Cette habitude est perpétuée ici, avec la confrontation de la femme à une main et un coquillage gigantesques.

53. La Danseuse dionysiaque, la main, la coquille 1952 Collage, aluminium, stylo-bille et mine de graphite sur papier 22,6 x 34,4 cm Annoté, titré, daté et monogrammé au dos : 18 (dans un cercle) La danseuse dionysiaque / la main, la coquille / 22/34 (dans un cartouche) LC

96


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page97

97


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page98

54. Nature morte 1953 Pastel, pastel lavé et mine de graphite sur papier 23,9 x 35 cm Daté en bas à gauche : 28 août / 53 Monogrammé et daté en bas à droite : LC / 53

98


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page99

99


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page100

Durant quelques jours de mai 1954 (apparemment seulement du 14 au 18), Le Corbusier réalise une curieuse série de collages, essentiellement inspirés de natures mortes et d’Objets à réaction poétique, tous exécutés à l’aide de pièces de papier de journal plus ou moins gouaché et d’un fusain d’un noir intense énergiquement manipulé. Si la spontanéité du geste est une caractéristique de l’art corbuséen, ces œuvres font preuve d’une liberté doublement étonnante au regard de tout son corpus. Leur originalité essentielle réside dans la quasi « abstraction » de ces compositions, ou tout au moins dans le rapport très libre que l’artiste établit entre les collages et le sujet dessiné au fusain. Les pièces de papier coloré y sont généralement peu nombreuses, et ne se chevauchent pas ou peu. Elles laissent plus de place qu’habituellement au fond blanc de la feuille qui les supporte. Elles sont surtout découpées, voire déchirées, selon des contours peu en rapport avec le dessin que l’artiste effectue par la suite. Une constante du travail artistique de Le Corbusier, (quelque soit le médium mais c’est notamment caractéristique de ses papiers collés) réside dans une composition des sujets, où les aplats de couleur interagissent avec les traits du dessin. Chacun de ces deux composants est individuellement utilisé de la façon la plus elliptique, et c’est l’association des deux qui nous rend l’œuvre compréhensible. Rompant avec cette habitude, cette série de collages constitue ainsi une véritable exception au sein de son travail.

55. Boîte d’allumettes 16 mai 1954 Collage de papier de journal gouaché, de papier peint Salubra et de papier noir d’emballage, et fusain sur papier vergé 63 x 48 cm Signé et daté à droite : Le Corbusier / 16 mai 54 Porte au verso le n° d’inventaire de la Fondation Le Corbusier : 96 Provenance : Fondation Le Corbusier, Paris

100


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page101

101


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page102

56. Deux Verres à pied 16 mai 1954 Collage de papier de journal gouaché, de papier peint Salubra et de papier noir d’emballage, et fusain sur papier vergé 47,5 x 62 cm Signé et daté en bas à droite : Le Corbusier / 16 mai 54 Exposition et bibliographie : Venise, Museo Correr, Le Corbusier pittore e scultore, 1986, cat. n° 144, p. 150.

102


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page103

57. Corde et Verres 16 mai 1954 Collage de papier de journal gouaché, de papier peint Salubra et de papier noir d’emballage, et fusain sur papier vergé 48 x 62 cm Signé et daté en bas à gauche : Le Corbusier / 16 mai 54

103


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page104

Les premiers croquis de la série des Taureaux apparaissent, vraisemblablement réalisés en Inde, dans les Sketchbooks de Le Corbusier au printemps 19521. L’artiste note sur une page rassemblant quelques croquis de têtes d’animaux issues de thèmes antérieurs : « intuitivement depuis vingt ans j’ai conduit mes figures vers des formes animales porteuses du caractère, force du signe, capacité algébrique d’entrer en rapport entre elles et déclenchant ainsi un phénomène poétique » 2. Puis sur le feuillet suivant, portant les premières esquisses de tête composée de divers éléments : « faire un groupement de ces formes et idées et notions en les rassemblant isolées du contexte / Opérer de même avec les Mains. Et aussi les pieds. / un Bestiaire »3. Le Corbusier expliquera plus tard (en 1960), page 232 de l’Atelier de la recherche patiente, que c’est simplement par hasard, en voyant à 90° un ancien dessin puriste tombé à terre, que l’idée lui vint de la figuration du premier Taureau. Les deux interprétations ne sont pas contradictoires. Les Taureaux, naturellement conçus grâce au Modulor, sont des œuvres syncrétiques porteuses de toutes les « appartenances » et sources d’inspiration dont Le Corbusier s’est nourri au long des décennies : la géométrie et les proportions, la symbiose de l’homme avec son milieu naturel, le monde méditerranéen et sa mythologie (Cat. n° 61 et 62), sa rencontre récente avec l’Inde… Ils constituent une sorte de bilan pictural entamé à l’âge de soixante-cinq ans, de la vie d’un poète et d’un humaniste. De 1952 à 1959, Le Corbusier invente dix-huit sujets différents sur des thèmes de Taureau, notamment matérialisés par dix-neuf grandes huiles, et une immense tapisserie rebrodée, qui fait fonction de rideau de scène du théâtre Bunka Kaikan à Tokyo.

58. Taureau IX 1960 Collage de pièces de papier de journal gouaché sur papier noir, rehaussé du dessin à la gouache blanche 85,5 x 49 cm Monogrammé et daté en bas à droite : L-C / 54 / 59/60 Le Corbusier, Sketchbook F 24, aussi intitulé INDES 16 mars 1952 MARS, FLC. Op. cit. p. 1. 3 Op. cit. p. 3. 1 2

104


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:12 Page105

105


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:13 Page106

59. Taureau XII Février 1956 Pastel lavé et fusain sur papier vergé 46,7 x 54,6 cm Annoté d’indications de couleur

60. Taureau XII 1956 Peinture unique à l'émail sur tôle par Le Corbusier cuite dans l'atelier de Jean Martin à Luynes 46 x 55 cm Signé dans un cartouche en bas à gauche : Le Corbusier / 2/56 Monogrammé et daté au dos : L-C / 56

106


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:13 Page107

107


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:13 Page108

61. Naissance du Minotaure 1955 Gouache et collage sur papier 47 x 62 cm Signé et dédicacé à gauche : pour / Savina / Amitiés / Le Corbusier Monogrammé et daté en bas à gauche : LC / 55

108


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:13 Page109

62. Naissance du Minotaure 1956 Pastel lavé sur traces de fusain sur papier vélin fin 34,5 x 43 cm Monogrammé et daté en bas à droite : L-C / 56

109


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:13 Page110

63. Petite Confidence 1962 Bois sculpté 66,5 x 57 x 14 cm Estampillé de la signature : Le Corbusier / No.30 2e Provenance : Heidi Weber, Zurich Collection privée, Suisse (1964) Exposition et bibliographie : Zurich, Kunsthaus, Sammlungen Hans und Walter Bechtler, 20 août - 3 octobre 1982, ill. en couleur p. 17, et ill. p. 173 ; Paris, Musée de la Seita, 80 tapisseries tissées de 1947 à 1970, 27 février - 25 mai 1985 ; Venise, Museo Correr, Le Corbusier pittore e scultore, 1986, n° 157, p. 163, ill. p. 193. Exemplaire de la Fondation Le Corbusier répertorié sous le n° 22 de l'ouvrage Le Corbusier, Savina, sculptures et dessins, FLC, Philippe Sers Editeur, Paris, 1984, ill. pleine page couleur p. 80.

110


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:13 Page111

111


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:13 Page112

64. Taureau 1952 Gouache, pastel, encre, crayon noir et stylo-bille sur papier 32,8 x 22,8 cm Dédicacé en bas à gauche : pour / Brigitte / Corbu Situé et daté en bas à gauche : Chandigarh 12/5/52

65. Taureau 1952 Collage de feuilles de journal et papiers gouachés rehaussés de gouache blanche et noire, sur papier 42,5 x 38,3 cm Monogrammé, daté en bas à gauche : L-C / 52

112


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:13 Page113

113


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:13 Page114

Dans un ultime retournement à 90° comme celui qui selon leur auteur a transformé en 1952 une ancienne nature morte post-puriste en Taureau (voir p. 104), Le Corbusier découvre en 1964, dans l’image du Taureau XVI de 1958, l’évocation d’un paysage marin. Un croquis conservé à la Fondation Le Corbusier (FLC 3653) réalisé comme le collage n° 66 en « octobre 64 », mais enrichi légèrement postérieurement de nombreuses annotations de la main de Le Corbusier, nous démontre à nouveau ce processus : Octobre 64 / Composition marine / avec Taureau XVI 1958 Ce croquis de fin octobre 64 fait par L-C le 31 octobre ‘’ ? expliquait le Taureau XVI 1958. Considéré ici horizontalement. pour faire une tapisserie Baudouin + un emau Luynes

66. Composition marine (d'après Taureau XVI de 1958) 1964 Collage de papiers colorés et papier journal sur papier noir, rehaussé à la gouache et au marker 80 x 122 cm Daté et signé en bas à gauche : Le Corbusier / 31/10/64 Annoté et daté en bas en-dessous : p(our) tapisserie Baudouin / et emau Luynes / 2 / II / 64

114


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:13 Page115

115


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:13 Page116

Texte de l'hommage du Gouvernement, rendu à la dépouille de Le Corbusier par Monsieur André Malraux, ministre d'Etat chargé des Affaires culturelles, au cours de la cérémonie solennelle qui s'est déroulée le soir du 1er septembre 1965 dans la cour Carrée du Louvre, retranscrit dans Le Moniteur du 4 septembre.

116


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:13 Page117

117


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:13 Page118

Avertissement

Le Corbusier dans l’atelier de son appartement, rue Nungesser-et-Coli. ©FLC/ADAGP, 2015.

Titres des œuvres Les titres des oeuvres sont donnés à titre indicatif ; Le Corbusier a réalisé plusieurs ouvrages consacrés à son oeuvre peint, tels l’Oeuvre plastique, éditions Albert Morancé, Paris, 1937, ou New World of Space, éditions Reynal & Hitchcock, New York, 1948, dans lesquels il ne donne aucun titre aux oeuvres. Cependant, le catalogue de l’exposition du Kunsthaus de Zurich en 1938 en indique quelques-uns, et l’on sait que Le Corbusier a tardivement titré certains de ses dessins puristes du début des années vingt, de noms incongrus piochés dans l’annuaire des rues de Paris, lors de leur accrochage à la Galerie Denise René en 1952. Les carnets de notes, enfin, donnent également quelques indications de titres, mais les croquis sommaires des oeuvres ne permettent pas toujours de leur associer un titre avec assurance. Seuls quelques toiles et collages sont titrés au verso.

Date De nombreuses oeuvres de Le Corbusier portent deux indications d’année. Sauf en de très rares exceptions où les oeuvres ont été retravaillées, ces deux dates indiquent, pour la première, l’année où le thème a été “ inventé ”, et la seconde, celle où l’oeuvre a réellement été effectuée (cf. n° 35, n° 46, n° 58…). Pour cette raison, pour des dessins annotés de deux dates, ce catalogue ne retient que la date - généralement la dernière - qui indique réellement l’année de sa réalisation.

Commentaires des œuvres Certains textes de ce catalogue sont des versions modernisées ou remises à jour de textes du même auteur déjà précédemment publiés.

118


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:13 Page119

Le Corbusier en quelques dates ayant trait à son œuvre plastique. Le 6 octobre 1887, Charles-Édouard Jeanneret naît dans la ville horlogère de La Chaux-de-Fonds, dans le Jura Suisse. 1900-07

Apprend la ciselure de boîtiers de montres, à l’École d’Art de La Chaux-de-Fonds, où Charles l’Eplattenier le convainc finalement de se destiner à l’architecture, et non, selon son penchant naturel, à la peinture.

1907-11

Réalise des stages chez de grands architectes modernes, tels Perret à Paris, et Behrens à Berlin, et de grands voyages d’étude à travers l’Europe, notamment en Italie ( 1907), et dans les Balkans, en Grèce, et en Turquie, desquels il rapporte de très nombreux croquis. C’est une période de formation et de découverte fondatrice pour l’évolution de Le Corbusier.

1911-16

Début d’une carrière d’architecte à La Chaux-de-Fonds, et enseignement.

1917

Quitte définitivement La Chaux-de-Fonds, et s’installe à Paris. A la fin de l’année, fait la connaissance d’Amédée Ozenfant, qui l’initie à la peinture.

1918

Jeanneret se consacre délibérément à la peinture. Avec Ozenfant, il rédige Après le cubisme, qui scelle les fondements du mouvement puriste, et expose du 15 au 28 décembre à la Galerie Thomas.

1919

Jeanneret et Ozenfant fondent avec Paul Dermée la revue L’Esprit nouveau.

1920

Dans la revue L’Esprit nouveau, Jeanneret signe pour la première fois un article de son pseudonyme : Le Corbusier. Sa peinture atteint une phase de maturité.

1925

Rupture avec Ozenfant, et fin de parution de L’Esprit nouveau après 28 numéros. La peinture puriste de Jeanneret entre dans une troisième phase.

1928

Fondation des CIAM : Congrès Internationaux d’Architecture Moderne. Jeanneret introduit la figure humaine dans sa peinture et prend définitivement le pseudonyme Le Corbusier pour signer ses toiles. Fin de la période puriste.

1929

Effectue un grand voyage en Amérique latine. Sa peinture, qui intègre les Objets à réaction poétique flirte avec le surréalisme.

1931

La figure féminine devient le sujet principal de sa peinture.

1936

Réalise sa première peinture murale à Vézelay, chez l’architecte Jean Badovici et ses premiers collages, à l’aide de papiers peints Salubra, dont il a établi la gamme colorée. Premières esquisses de tapisseries.

1938

Grande exposition rétrospective de son œuvre plastique, à la Kunsthaus de Zurich, exposition de peintures à la Galerie Balaÿ et Carré, et première monographie : Le Corbusier, œuvre plastique, avec des textes de Jean Badovici et Le Corbusier. Réalise une série de huit peintures murales dans la maison d’Eileen Gray et Jean Badovici à Roquebrune-Cap-Martin.

1940

Séjourne (depuis fin 1939) à Vézelay, puis à Ozon (Pyrénées), où une nouvelle phase de recherches plastiques naît, centrée sur la représentation de sculptures.

1945

Reçoit la commande de l’Unité d’habitation de Marseille. Commence à travailler avec Joseph Savina à la réalisation de sculptures.

1948

Pierre Baudouin l’incite à créer des cartons de tapisseries, qui seront dès lors tissées à Aubusson.

1950

Publication de Modulor qui est l’aboutissement d’une recherche sur les proportions, récurrente dans son travail.

1951

Commence à travailler sur Chandigarh, la nouvelle capitale du Pendjab. Sa peinture entre dans sa dernière grande phase, dite des Taureaux.

1953

Exposition au Musée National d’Art Moderne, qui sera dès lors suivie de très nombreuses autres expositions à travers le monde.

1955

Publication de l’album entièrement lithographié : Le Poème de l’angle droit, et consécration de la chapelle de Ronchamp.

1958

Fait la connaissance de Heidi Weber, qui l’incite à graver.

1965

Le 27 août : meurt en se baignant, à Roquebrune-Cap-Martin

119


LeCorbusier_pano_interieur91.qxp_Mise en page 1 29/04/15 13:13 Page120

Michel Zlotowski et Eric Mouchet tiennent à remercier tous ceux sans qui cette exposition n’aurait pas pu avoir lieu : La Fondation Le Corbusier Monsieur Michel Richard, son Directeur, Madame Isabelle Godineau, sa Chargée des expositions Monsieur Alain Agazar La Galerie Berès, Paris La Galerie Brame & Lorenceau, Paris Madame Simona Calza, Restauratrice, Paris Madame Deniz et Monsieur Pierre Darier Monsieur Jean-Marc Decrop Madame Catherine Duret Monsieur David Ghezelbash Madame Iana Kobeleva Madame et Monsieur Lebois-Albertini Madame Odile et Monsieur Jean-Pierre Limousin Madame Françoise et Monsieur Michel Macary Madame Claudia et Monsieur Fernando Moreira Salles Madame Marie-Pierre et Monsieur Jacques Raffegeau Monsieur Daniel Salmon La Galerie Natalie Seroussi, Paris La Galerie Henrik Springmann, Berlin-Fribourg Madame Sora et Monsieur Stephan Wrobel Catalogue : Le texte de présentation de l’œuvre pictural de Le Corbusier, ainsi que les commentaires et la documentation de chaque œuvre, ont été conçus par Monsieur Eric Mouchet avec la collaboration de Madame Sandrine Lesage et Monsieur Julien Bouharis Crédit photographique : Les photographies des œuvres sont de Monsieur Jean-Louis Losi Maquette : Madame Maïwenn Cudennec Achevé d’imprimer sur les presses de l’imprimerie Chirat, en avril 2015 Œuvres de Le Corbusier : © FLC / ADAGP, Paris, 2015 En couverture : Taureau XII (détail), 1956, cat. n° 60, p. 106.



G A L E R I E Z L OTOW S K I GALERIE ERIC MOUCHET

Le Corbusier

1887 — 1965

Panorama d’une œuvre

LE CORBUSIER Panorama d’une œuvre


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.