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2. MACHU PICCHU, SOPHIE DELHAY

2. MACHU PICCHU DE SOPHIE DELHAY

A. Les pensées du concepteur

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Sophie Delhay 322 s’intéresse à l’appropriation dans ses créations principalement ancrées dans le domaine du logement social. Dans une société où la conception du foyer traditionnel évolue comme nous l’avons vu précédemment, Sophie Delhay prend une place importante dans l'expérimentation contemporaine du logement collectif en France. Elle obtient notamment le prix d’équerre d'argent, catégorie habitat en 2019 pour son projet de la résidence Quadrata, constitué de 40 logements sociaux modulables et comprenant un espace partagé dans la ville de Dijon. Dans ce projet elle a appliqué la plupart des expérimentations qu'elle avait menées jusqu'alors, créant ainsi un projet complètement abouti plaçant l'habitant au cœur de l'habitat. J'ai choisi pour mon étude le projet Machu Picchu situé à Fives pour y mener une enquête auprès de ses habitants. Dans l'interview de l'École spéciale d'architecture qui a eu lieu le 11 mars 2019, l'architecte présente sa manière de travailler ainsi que ses pensées quant à l’architecture, lors d’une conférence nommée « Le logement espace de liberté ». 323 Elle commence par présenter des images qui font sens pour elle dans l'architecture.

Fig 37. Photographie de l’architecte Sophie Delhay 322

L'une de ses premières images est une photo détaillée d’un tissu en dentelle. Elle explique que dans l'architecture du logement collectif particulièrement, il y a un programme très détaillé, avec une multitude de pièces à connecter les unes aux autres. Elle compare donc son travail d’architecte à celui d’une tisseuse qui doit travailler dans le détail et constituer un motif qui tienne la route malgré toutes les difficultés qu’elle va rencontrer dans le projet.

Puis elle présente une illustration de l'architecte Yamamoto qui parle de l’évolution de la société. Elle explique qu’aujourd'hui, quand on est architecte, on est confronté à des programmes de logements qui sont issus d'une idée de la société des années 60. Les différentes typologies correspondent à des familles traditionnelles, alors qu'aujourd'hui en fait la société évolue et les générations deviennent donc plus complexes et inconnues, et surtout inadaptées comme nous l’avons vu dans la partie liée à l’évolution de l’habitant. Sophie Delhay concentre son travail sur les usages de l’architecture prônant un objectif aussi bien social qu'environnemental, dans un contexte où la fabrication du logement se tourne vers un regroupement domestique « Puisqu’il faut resserrer les logements sur le territoire, comment faire aussi pour que la densité devienne une valeur positive pour l’habitant

? »324

Elle explique que dans ses projets elle va orienter ses choix dans une dimension de partage plutôt que d'importer des limites, car il faut que la ville soit en continuité avec le logement et inversement. Pour cela elle s'intéresse à la notion du « vivre ensemble » comme levier pour ses projets liant les proximités entre les différentes dimensions qui relient le paysage, la ville et l’architecture.

322 Biographie: Sophie Delhay, en ligne, <http://sophie-delhay-architecte.fr/636-2/>, consulté le 5 mai 2021. 323 Ecole Spéciale d’Architecture, Conférence : Le logement : un espace de liberté, Sophie Delhay , l’École Spéciale, coll. « Champs Critiques », 2019, 01h05, Journée thématique « Cycle de l’Usage ». 324 Alice Bialestowki, loc. cit.p. 66.

Sophie Delhay travaille l’aspect collectif sous différentes échelles : La grande échelle correspondant au territoire et la petite qui concerne le logement. Pour S. Delhay la fabrication du logement s’oriente aujourd’hui vers une demande de plus en plus collective : « stimulée par l’aspect pluriel du regroupement domestique »325 Elle cherche à adapter son architecture à une société contemporaine changeante devenue « multiple, mouvante, protéiforme. » Selon elle, « Le logement doit pouvoir rendre possible une multitude de réalités évolutives qui nous font sortir de la standardisation ».

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Elle ajoute « J’aime que les logements soient interprétables par les habitants, qu’ils déclenchent quelque chose qui s’appellerait l’appropriation, quelque chose qui déclencherait le désir et la liberté d’habiter »327 La notion d’appropriation est omniprésente dans son travail prônant le bien-être de ses habitants; elle se questionne notamment sur le fait de redonner de l'individuation dans des habitats collectifs, elle justifie: « Je ne peux imaginer le « vivre ensemble » que si l’intimité est rendue possible ». 328 Sur le site de son agence, la description parle d’elle-même: « J’aime que les logements soient interprétables par les habitants, qu’ils déclenchent quelque chose qui s’appellerait l’appropriation, l’invention, la rencontre, le multiple pour soi et avec les autres. Quelque chose qui déclencherait le désir et la liberté d’habiter. » 329

325 Ibid. 326 Ibid., p. 71. 327 Alice Bialestowki, loc. cit. 328 Ibid. 329 Biographie: Sophie Delhay.

B. Présentation du projet

Nom du projet : Résidence Jeanne Leclerc "Machu Picchu"

Localisation : Fives, Lille

Architecte : Sophie Delhay

Année de construction : 2014330

Rapport à la notion d’appropriation : Liberté spatiale et espace collectifs

Fig 38. Lanoo (Julien) , Vue de la façade de l'immeuble haut côté espace public, Fives, 2015 331 La Résidence Jeanne Leclerc, aussi connue sous le nom de « Machu Picchu » est le premier projet réalisé en livraison indépendante, elle y applique toutes ses intentions générales que nous avons pu voir dans la partie précédente, elle met en avant la participation de l’habitant pour l’appropriation. Dans la conférence de l’école d’architecture, Sophie Delhay présente son projet : « C’est la première fois qu’on faisait un collectif si haut” 331 elle se questionne donc : Comment peut-on habiter en hauteur en proposant des espaces partagés ? Comment étaler notre habitat vers l'extérieur afin de s’approprier son logement ainsi que les parties communes dans une volonté d’équité, pour que ceux qui habitent en bas puissent aussi profiter de la vue d’en haut ? « Partager une relation à son territoire pouvait enrichir l'expérience de l'habiter, faire en sorte qu’on habite au-delà de son logement ».

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Pour cela elle développe une rue extérieure couverte qui n'était pas comprise dans le programme mais qu’elle a réussi à appliquer en simplifiant la construction. Cette rue se développe le long du bâtiment permettant de monter étage par étage en accédant aux logements par des coursives extérieures passant par plusieurs espaces collectifs, considérés comme le point fort du projet.

Sur le site de l’agence, on peut lire la description suivante « En offrant un parcours inédit du public à l'intime, de la rue à chez soi, le projet invite à rendre possible ce qui n'est souvent qu'une promesse, et propose plus que des logements collectifs : des situations à vivre, partagées à l'échelle du foyer, de la résidence, du quartier et de la ville, qui trouvent leur aboutissement sur la terrasse partagée de l'immeuble le plus haut, panorama et belvédère à la fois qui fédérera les habitants dans une vision commune. » 333

Selon l’anecdote de l’architecte334, c’est d'ailleurs cette intention qui a justifié la sélection du projet au concours retenant l’attention du bailleur car elle représentait pour lui une opportunité d’expérimenter une nouvelle forme d'appropriation extérieure pour ses locataires.

Il a apprécié cette intention quant aux relations humaines, car selon lui les habitants se renferment de plus en plus sur eux même, dans leurs logements, développant des problèmes sociaux qui engendrent la violence, les dépressions, l’enfermement, ... Qu’il espérait voir disparaître grâce à la présence de ces 6 terrasses, dédiées à différentes activités spécifiques créant un parcours rythmé et vivant pour les habitants.

Il explique qu’il ne pensait pas que le métier d’architecte pouvait traiter des à-côtés comme les relations de voisinage, de la possibilité d’habiter au-delà de chez soi et ainsi apporter des réponses à ces questions sociales. Cette remarque laisse perplexe face à l'évolution des possibles dans le logement collectif Français, car elle symbolise le manque de communication entre les différents acteurs de la construction requestionnant le rôle de chacun.

330 « 53 logements et espaces partagés - Sophie Delhay architecte - nominée à l’équerre d’argent 2014 - AMC Architecture », AMC Archi, en ligne, <https://www.amc-archi.com/photos/53-logements-et-espaces-partages-sophie-delhay-architecte-nomine-a-l-equerre-d-argent-2014,1015/53logements-et-espaces-partag.2>, consulté le 12 avril 2021. 331 Ecole Spéciale d’Architecture, Conférence : Le logement : un espace de liberté, Sophie Delhay. 332 Ibid. 333 Machu Picchu - Sophie Delhay Architecte, en ligne, <http://sophie-delhay-architecte.fr/portfolio/lofiv/>, consulté le 5 mai 2021. 334 Ecole Spéciale d’Architecture, Conférence : Le logement : un espace de liberté, Sophie Delhay.

Fig 39. Delhay (Sophie), Plans du RDC à la terrasse partagée, parcours collectif du "vivre ensemble" 335

Les espaces collectifs des logements de Sophie Delhay, sont pensés avec des espaces extérieurs partagés, afin d’offrir un réel vivre ensemble visant l’appropriation extérieure par les habitants.

Le service gestionnaire de SIA Habitant a proposé différents ateliers de travail ouverts aux services d’habitat de la mairie ainsi qu’à des associations de quartier pour définir au mieux les usages ainsi que la gestion des parties communes impliquant ainsi un dialogue direct avec les futurs habitants « Le projet avait pour objectif une participation collective, « Faire ensemble est une condition de fabrication du vivre ensemble. ». 336 Cependant l’architecte explique lors de la conférence, les inquiétudes des représentants de la mairie quant à ces espaces, qui seront selon eux rapidement inutilisés et dégradés. L’agence a donc démontré la variation et la qualité de ces différents espaces à l’aide de petites cartes d’usages, il y a eu des ateliers tripartites (architecte, maître d’ouvrage, mairie) créés pour traiter de cette question d’appropriation par les habitants. La conclusion exposée a été que le maître d’ouvrage a proposé durant 2 ans différentes activités pour lancer cette appropriation et de laisser ensuite les habitants continuer seuls. 337

Avec les associations de quartier, plusieurs projets d’usage ont été proposés : au R+1 un espace de rencontres et débats accueillant un écrivain public, au R+2 un cinéma de plein air en été, au R+3 un espace sportif, au R+4 une galerie d’exposition, au R+5 un espace de prêt de livres aménagé en mobilier mobile et des lectures de contes par la médiathèque du quartier, au R+6 le festival « Ici et ailleurs » de la maison de la photographie comme le montre les différentes illustrations ci-contre.

Fig 40. Delhay (Sophie), Photomontages des différentes ambiances selon les terrasses, illustrations de son concours. 338 L’architecte a donc pris le parti de développer des espaces extérieurs collectifs, à défaut de proposer des espaces personnels à chaque logement, un parti pris prônant l’esprit d’une société se dirigeant vers une dimension collective appropriée par les habitants. Cet extrait de l’article AMC exprime clairement la volonté architecturale mise en place, « La société ancienne mettait en avant les valeurs traditionnelles dans une dimension familiale, cependant la société contemporaine évolue vers une standardisation et une individualisation. Dans ce projet l’architecte tente une reconnexion entre les habitants d’un même collectif, pour partager des espaces communs

».

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335 Sophie Delhay, « Libre appropriation, Logements Fives », Sophie Delhay Architecte, en ligne, <http://sophie-delhay-architecte.fr/portfolio/libreappropriation/libre-approp_lofiv-2/>, consulté le 12 avril 2021. 336 Alice Bialestowki, loc. cit. 337 Ecole Spéciale d’Architecture, Conférence : Le logement : un espace de liberté, Sophie Delhay. 338 Sophie Delhay, « Libre appropriation, Logements Fives ». 339 Alice Bialestowki, loc. cit.

Ce projet aborde donc la question du « vivre ensemble » mettant en relation deux barres de logements par un jardin central assurant une reconnexion à l'échelle du quartier s’ouvrant sur la rue de Lannoy. Citant une seconde fois l’article, « Bien au-delà de la simple échelle des cellules, ce sont plus largement celles de la résidence et du territoire alentour qui sont interprétées pour accroître le lien social et le confort d’habiter ».

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Les deux bâtiments comprennent en tout 53 appartements traversants permettant de profiter d’une double orientation, proposant 3 types de typologies allant du T2 au T3. Dans la conférence S. Delhaye explique qu’elle avait eu un programme très précis détaillant toutes les dimensions au préalable, cependant elle a pris le parti de les mutualiser « On pousse la porte et on arrive directement dans une pièce ». 341 Les plans sont donc organisés à partir d’une grande pièce traversante dite de « jour » d’environ 28m² étant considérée libre d’appropriation avec les espaces d’eau qui eux sont fixes au centre et les « espaces aménageables » de part et d’autre, laissant au locataire le choix de sa répartition pour les pièces de son appartement. « Le logement est interprétable, à l’envie des habitants »342 .

Le projet s’oppose à la logique du logement collectif « prêt à habiter » qui ne permet qu’un usage unique face à la qualification des espaces selon des typologies fixes. Ici l’invitation à la transformation du lieu pousse à s’investir dans la conception de son logement, l’habitant est maître de l’appropriation spatiale. L’occupation d’un logement se réfère à son évolutivité tout comme l’homme il évolue, se pratique, se transforme, ... tout en lui permettant une évolution d’usage réinterrogeant les espaces qu’il pratique en fonction de ses besoins, comme le montre les différents aménagements proposés ci-dessous.

Fig 41. Delhay (Sophie) , Plans de différents aménagements, Projet du Machu Picchu343

Le premier espace dès l’entrée, est pensé libre d’appropriation, il peut être utilisé comme un coin repas, un bureau, une salle de jeu pour enfant, ... Et le second plus large pour un espace séjour qui met en enfilade la fenêtre de la chambre et celle du séjour pour faire un large panoramique sur l'extérieur. Ces larges ouvertures sont appliquées de manière à conserver le contact du corps avec l'extérieur. La volonté est confirmée par l’architecte « Dès la porte franchie, on embrasse du regard toute l’épaisseur de l’immeuble jusqu’à la fenêtre panoramique, une vaste baie de 2,15 mètres par 4,2 mètres. »344 On retrouve cette volonté commune d’un contact de l’habitant avec son contexte et l'extérieur environnant comme dans les projets de J. Renaudie et J. Nouvel mais qui s’adapte ici à une vocation collective.

340 Ibid. 341 Ecole Spéciale d’Architecture, Conférence : Le logement : un espace de liberté, Sophie Delhay. 342 Ibid. 343 Sophie Delhay, « Libre appropriation, Logements Fives ». 344 Ibid.

À travers ce projet on sent que l’enjeu dans la société actuelle n’est pas de traiter la mixité comme une fin en soi, mais plutôt de tendre vers une flexibilité des espaces et offrir des possibilités de transformation de ceux-ci. Elle cherche à travers son travail à montrer qu’il est possible, par la liberté d'usage et la polyvalence des espaces, de mettre en place une mixité, et donc du vivre ensemble, en donnant un maximum de liberté et d’espaces aux habitants dans l’univers commun comme privé à s’approprier. Nous allons voir maintenant, grâce à une étude que j’ai réalisée à l’aide d’un sondage pour questionner les habitants, leurs visions de l'occupation de ce logement collectif dit « innovant ».

C. Processus d’appropriation par les habitants

Pour ce projet, j’ai pris l’initiative d’aller directement sur place interroger les habitants sur leurs manières de s'approprier leurs logements. Après avoir installé des affiches pour avertir de ma venue, je me suis rendu sur place l'après-midi du samedi 17 avril 2021, afin de réaliser un « porte à porte » avec une liste de questions prédéfinies comme le montre le questionnaire avec les retranscriptions placées en Annexe 6 : p.93-97. Malgré le contexte actuel, j’ai pu réaliser 10 entretiens grâce aux habitants qui m’ont ouvert leurs portes et que je remercie.

Ci-après le résumé des réponses obtenues à mes dix questions :

A la première question posée : « Pensez-vous que la notion d'appropriation est possible au sein d’un logement collectif? », 9 personnes sur 10 ont répondu oui et une non. Etonné par la seule réponse négative, j’ai questionné Ashraf qui m'a expliqué que la cause de sa réponse venait de l’insonorisation mal faite dans la construction, et le nombre croissant des habitants devenant trop nombreux en est la raison ce qui impacte son confort, frustrant son appropriation. Il ajoute qu’au début la cohabitation était plutôt correcte entre les habitants, jusqu’au jour où les logements ont commencé à se remplir. Le logement qu’il avait tant idéalisé sur papier se transformait peu à peu. Au fur et à mesure, le bruit est devenu compliqué, le silence n’était plus respecté, selon lui le projet aurait pu fonctionner s'il ne prenait pas en compte tant de logements qui menaient à une individualisation des habitants, il y a trop de monde pour que les contacts se créent. Cependant le constat me paraît quand même assez positif, puisque qu’au sein du projet Machu Picchu, sur mon échantillon, 90% des habitants pensent que l'appropriation est rendue possible.

A la seconde question posée : « Comment s’applique-t-elle dans votre logement ? » Pour 5 d’entre elles, l'appropriation passe par le fait de personnaliser son logement : Cela représente le fait que chacun doit aménager en y « mettant ses affaires » et en appliquant une « Décoration à son goût » (2 personnes), elles ont présenté divers exemples : mettre ses photos, mettre des affiches, ses meubles, en repeignant, … Pour Nathalie, la notion d’appropriation s’applique lorsque le logement permet de faire « une différence entre la partie individuelle et la partie collective », ce qui permet selon elle de renforcer l’intimité de l’habitant, amenant au confort d’un « chezsoi », elle apprécie notamment la ruelle intérieure qu’elle emprunte fréquemment permettant, selon elle, de créer des seuils d'intimité entre la rue et son logement. Selon la famille Alabbasi, la priorité était que le logement soit bien isolé, ce que la mère de famille trouve indispensable notamment avec ses enfants. Je n’ai eu qu’un retour, celui de Clawrence, qui a fait le choix de laisser tel quel l’appartement, se sentant bien dans cette neutralité, comme dirait Ashraf « Chacun fait ce qu'il veut dans son logement ».

A la troisième question posée : « Que pensez-vous de la disposition de votre appartement, êtes-vous satisfait » ? Les réponses étaient partagées de manière égale. 5 personnes ont estimé avoir eu le choix de la disposition des pièces, voici leurs ressentis : « c 'est nous qui avons choisi où est-ce que nous mettons notre chambre, notre salon, tout ça », « Oui, de base c’est vraiment une salle avec des pièces, mais vraiment vide, juste blanc. Et ensuite on a mis et on a installé nos chambres. », « Oui j’ai trouvé ça bien (La liberté d'appropriation) ». Ces retours mettent en valeur la liberté d’appropriation que propose Sophie Delay par le libre-choix des fonctions attribuées aux pièces. Chaque personne avait une attribution particulière pour la pièce dite libre à l’entrée il y avait des bureaux, espaces de rangements, salle de jeu pour enfant … Cependant certains auraient préféré un espace plus grand car la petite taille limite la diversité des fonctions.

En contrepartie, 5 personnes s’estiment insatisfaites, certaines revendiquent de ne pas avoir eu le choix, car la disposition de l’appartement ne permettait pas les typologies spéciales, par exemple les appartements d’angles: « Non ça a été imposé », « Pièces prédéfinies selon leurs fonctions », « ça a été fait sur plan avant qu'on construise la résidence, on était venus, il mettait les plans il y a ça, ça, ça vous voulez, vous voulez pas». D’autres n’ont pas su quoi faire devant cette liberté d’appropriation, perplexes de ne pas avoir un logement « standard », questionnant par exemple la cuisine centrale et ouverte : « On aurait bien aimé changer la cuisine et la pièce du fond, la cuisine au centre ça sent dans tout l’appart ».

A la quatrième question posée : « C’est vous qui l’avez décidé ou elle était déjà présente à votre arrivée? » Venant compléter la précédente question, 8 personnes ont estimé avoir choisi et 2 non. Comme je l’ai expliqué dans la question précédente, il y a des typologies spéciales qui n’ont pas pu offrir la liberté d’agencement qu'offrent les autres appartements. Cependant, selon les habitants, les surfaces des pièces sont agréables à vivre, lumineuses, et facilement aménageables.

A la cinquième question posée : « Ressentez-vous une différence entre un logement standard et le vôtre? » Trois personnes estiment que non, pour certains, il n’y a pas de changement notable entre un logement collectif standard et le leur. D’autres remettent en question les espaces collectifs mis en place dans le projet au détriment d’espaces privés. Ashraf quant à lui, m'a exposé ses inquiétudes quant au bâtiment, qui avait été construit rapidement posant des problèmes de dégâts des eaux, dévalorisant son habitat et les habitats voisins, freinant leur sensation de bien-être et d’appropriation du logement. A la sixième question posée : « Que pensez-vous des espaces communs partagés ? Sont-ils utilisés pour les fêtes de voisins, expositions, projection de film… comme l’avait énoncé l'architecte ? » Ces espaces n’étaient pratiquement pas utilisés. Dans les entretiens, j’ai eu beaucoup de retours similaires, m’expliquant que les terrasses avaient été utilisées au début mais que depuis peu elles étaient délaissées, les personnes interrogées en parlent aujourd’hui au passé : « Oui on se connaît. Dans le temps il mettait des films ». Les programmes culturels proposés ne correspondent pas aux attentes des habitants ne leur donnant pas l’envie de s’investir dans la communauté, de plus aucun équipement n’est installé, ne permettant pas le développement d’appropriation de ses habitants. A la septième question posée : « Auriez-vous préféré des espaces privés ? » En lien avec les réponses précédentes, beaucoup m'ont répondu qu’ils auraient aimé disposer d’un espace individuel préférant avoir leur propre espace plutôt que l’espace perdu par les terrasses collectives. Il se crée chaque été un jardin partagé développant les relations de voisinage, autour du jardinage, favorisant cette volonté du « vivre ensemble ».

A la huitième question posée : « Êtes- vous satisfait de votre logement donnez une note sur 10? » Quatre 10/10 - un 9/10 - un 8/10 - trois 7/10 - un 6/10 - un 5/10 - un 0/10. On constate que la majorité des habitants sont satisfaits de cette expérimentation. « Finalement, l’appropriation collective s’est faite sans les habitants, c’est peut-être pour ça que ça n’a pas accroché ? » La question du faire avec revient une fois de plus comme indispensable à l’appropriation, elle semble être une piste importante à prendre en compte dans de futures expérimentations.

De plus j’ai remarqué lors de ma venue, plusieurs interventions participant selon moi à une meilleure appropriation du logement que je vais retranscrire avec l’appui de mon reportage photographique :

Appropriation des coursives

Fig 42. Photographies personnelles, Appropriation des coursives, Projet du Machu Picchu, Fives, 17 avril 2021

L’appropriation des coursives par les habitants permet de marquer un seuil avant d'entrer dans le logement, cela compense certainement l'absence d’une entrée marquée dans les logements. Malheureusement, comme nous pouvons le voir c’est majoritairement en bout de coursives que les appropriations sont le plus visibles afin d’éviter un encombrement du passage, cependant certains arrivent à optimiser l’espace pour y installer des assises, plantes, rangements...

Couleurs des boîtes aux lettres

Les boîtes aux lettres ont attiré mon attention, contrairement à un hall d’appartement standard avec une rangée de boîtes aux lettres blanches, celles-ci proposent 4 gammes de couleurs (jaune, gris, noir, blanc…) une légère intervention qui permet malgré tout de rompre avec la monotonie des halls standard et favorisant selon moi une appropriation dès l’entrée, on imagine facilement un habitant dire : « Ma boite aux lettres c’est la jaune du haut, tu peux pas la louper ! ».

Fig 43. Photographie personnelle, Couleurs des boîtes aux lettres, Projet du Machu Picchu, Fives, 17 avril 2021

Trace des ouvriers sur le mur

De nombreuses empreintes de mains sont présentes éparpillées sur l’ensemble du bâtiment, j’ai appris dans l’une des conférences de Sophie Delay, qu’elles représentent les empreintes des ouvriers ayant participé à la construction, afin de cacher les traces de banchage du béton. Cette inclusion de l’ouvrier qui, en plus de rendre unique le bâtiment, me fait penser à la participation du maçon que nous avons relevée dans le projet La Mémé de Lucien Kroll.

Fig 44. Photographie personnelle, Trace des ouvriers sur le mur, Projet du Machu Picchu, Fives, 17 avril 2021

Dessins à la craie sur les murs de béton

Lors de l’arrivée au dernier étage, j’ai constaté sur les murs de béton monochrome, d'étranges silhouettes dessinées à la craie, j’ai immédiatement eu l’image des films, où les enfants dessinent sur les murs sous les cris des parents, mais ici je me suis dit, « et pourquoi pas ? ». En effet, le bien-être des enfants est une priorité. Ils étaient fiers de me montrer leurs dessins, sur une façade neutre on voit directement quels sont leurs appartements. De plus l’intervention n’est pas définitive et permet d'être réitérée en continu, la craie pouvant s'effacer.

Fig 45. Photographie personnelle, Dessins à la craie sur les murs de béton, Projet du Machu Picchu, Fives, 17 avril 2021

Jardin collectif

Dans ma première interview, j’ai discuté avec un petit groupe d’habitants réunis au bout du jardin collectif. A l’heure du café les jours de beaux temps, les voisins sortent une table et s'installent pour discuter ensemble. Une fois fini, le jardin reprend sa forme initiale, cependant on remarque des marques d’appropriation restantes : Un micro-onde, quelques mobiliers, une réserve d’eau pour planter quelques légumes la période d’été bien que ça ne soit plus vraiment d'actualité selon les habitants.

Fig 46. Photographie personnelle, Jardin collectif, Projet du Machu Picchu, Fives, 17 avril 2021

Jardins individuels

D’après les différents échanges que j’ai eus avec les habitants, ils sont très satisfaits d’avoir un espace extérieur privatif lié à leurs logements, notamment avec le confinement qui s'est produit l’année dernière, ils sont devenus un lieu à vivre que beaucoup d’autres habitants envient. On remarque avec l’appui de cette photo différents aménagements créant une continuité de leurs logements sur l'extérieur, offrant une qualité de vie supplémentaire.

Fig 47. Photographie personnelle, Jardins individuels, Projet du Machu Picchu, Fives, 17 avril 2021

Rue couverte

Pour clore cette analyse, bien que comme nous l’avons vu les espaces de terrasses extérieures ne soient plus utilisés par les habitants comme le proposait le logement de base, j’ai remarqué en repartant, que l’espace du rez de chaussée était approprié par les enfants des différents logements qui viennent y jouer et ranger leurs vélos. Même si son usage est éphémère, c’est devenu une « cabane sous ma maison » selon les dires de l’imaginaire de l’enfant que j’y ai croisé.

Fig 48. Photographie personnelle, Rue couverte, Projet du Machu Picchu, Fives, 17 avril 2021

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