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2. COMMENT L’APPROPRIATION INTERVIENT DANS L’HABITAT
from ARCHITECTURE ET APPROPRIATION - EXPÉRIMENTATION ET LOGEMENT COLLECTIF EN FRANCE - MARIUS CAILLEAU
2. COMMENT L’APPROPRIATION INTERVIENT DANS L’HABITAT
A. Comment Habiter son logement grâce à l’appropriation?
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Selon Sabine Vassart « Perla Serfaty définit les caractéristiques fondamentales de l’habiter selon trois aspects principaux »26: L’instauration d’un dedans et d’un dehors, la question de la visibilité et du secret, et le processus d’appropriation. « L’habitat est le lieu dans lequel on réalise l’action d’habiter et où se développe notre intimité, on adapte notre logement à notre mode de vie, notre culture, notre personnalité. »27 Comme nous l’avons vu dans la première partie, la notion d’appropriation ne peut pas avoir de standard prédéfini a cause des demandes et besoins extrêmement variés en fonction des habitants mais aussi en lien avec les évolutions sociétales qui poussent à se questionner sur la notion de l’habiter : « Si l’habitat est produit, l’appropriation de l’habitat n’est pas un sous-produit mais l’aventure même de l’habiter »28 . Cette citation de la sociologue Marion Segaud, exprime le fait que bien qu’on puisse acheter un logement, il faut y vivre pour ressentir une appartenance au lieu et y développer son appropriation qui, contrairement à l'habitat, ne s'achète pas. Dans son livre Anthropologie de l’espace29, elle exprime que la diversité est présente, il y a autant de manières d’habiter que d’habitants. On en vient donc à se demander ce que l’appropriation apporte en plus de la notion d’habiter pour l’habitant ? Habiter signifie selon le Dictionnaire Larousse « Avoir son domicile quelque part, y résider de manière relativement permanente, y vivre ». 30 Cette définition offre un succinct aperçu de ce qu’est habiter, mais la définition est plus complexe. Certains auteurs spécifiques permettent d’éclaircir cette notion.
Les écrits de Heidegger et Bachelard ont été fondateurs dans les recherches de la relation entre l’habitat et l’habitant. Au 20ème siècle, ces auteurs ont analysé la relation entre soi et l’espace, qui semble être un prémices à la notion d’appropriation. Selon Heidegger le verbe « être » est la racine des termes bâtir, habiter, penser. Il précise que le verbe ne définit pas seulement le fait d’être physiquement dans un espace, il faut en plus s’y affirmer en le marquant de notre personnalité. Selon lui en construisant « notre habitat » on se construit « nous même », menant à un développement personnel, devenant un élément fondamental dans la condition humaine. On note ici l’importance de l’appropriation d’un lieu permettant de rendre sien un logement.
Ce qui rejoint le précepte de Bachelard, lorsqu’il dit « Être un homme veut dire d’abord habiter »31 . Lors de ses réflexions il compare souvent l’homme à un animal, s’inspirant de travaux d’ethnologues dans le but de définir leur appareil méthodologique et conceptuel pour ainsi trouver des éléments de comparaison. Dans l’une de ses devises il explique que comme le mollusque l’homme doit habiter sa maison pour habiter son chez soi « Il faut vivre pour bâtir sa maison et non bâtir sa maison pour y vivre »32 Jodelle Zetlaoui-Léger, reprend ces auteurs en disant « Quels que soient les courants théoriques considérés, le recours à la notion d’appropriation de l’espace a pour origine une réflexion sur les interactions entre l’homme et le milieu dans lequel il vit. » 33 Nous avons donc encore une fois recours à la notion d’appropriation, dès la définition de l’habitat.
26 Ibid. 27 Ibid. 28 Caroline Buffoni, Marion Segaud Anthropologie De L’espace. Habiter, Fonder, Distribuer, Transformer , 2007, Armand Colin, vol. N° 162, Paris, 2009, p. 200. 29 Ibid. 30 Définitions : habiter - Dictionnaire de français Larousse, en ligne, <https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/habiter/38780>, consulté le 9 mai 2021. 31 Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, Paris, France, Presses universitaires de France, 1972, p. 32. 32 Ibid. 33 Jodelle Zetlaoui-Leger, op. cit., p. 4.
« En philosophie, l’approche phénoménologique des années 1950 conçoit l’habiter comme une expression de l’être (Heidegger, 1958), la maison devenant une sorte d’extension du corps et de la conscience humaine (Bachelard, 2012) » . 34 Cette phrase issue du texte de l’architecte Charles Garnier résume les deux préceptes vus. Pour ces précurseurs Heidegger et Bachelard, c’est bien la relation entre l’habitant et l’homme qui permet de développer la notion « d’habiter », le logement est ici humanisé.
« Au 1er siècle avant J.-C., Vitruve développe dans son traité d’architecture l’idée de la cabane primitive aux origines de l’architecture : bien que dépendant de l’activité de l'homme, la cabane est une réalisation naturelle et innée qui compte parmi les besoins primaires. C’est donc la relation entre l’homme et sa demeure qui permet l’habiter. ».35 C’est un espace qui est délimité, permettant d’établir son « chez soi ». Quand on s’approprie un lieu on met en relation son corps à l’espace en s'imprégnant physiquement, mentalement, mais aussi par les différentes actions qu’on lui soumet, cela permet de générer une histoire. Pour Nadia Leroux « L’habitat est à la fois le nid, l’habit, le repère ».
36 Cependant selon Pascal Amphoux et Lorenza Mondada, architectes et professeurs, la notion d’appropriation « ne concerne pas seulement le marquage ou les signes que l’occupant des lieux appose, mais aussi la façon de les poser ou de les reconnaître. ». 37 Ainsi la question du chez-soi et son attribution représentent un degré d’intensité changeant selon la période ou le lieu que s’approprie l’habitant. Plus clairement « Habiter » viendrait à s’approprier un espace défini créant une distinction entre l’intérieur et l’extérieur de ce lieu. P. Serfaty confirme cette réflexion en disant « Le chez-soi renvoie à la conscience que l’habitant se fait de sa propre intériorité ».
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B. L’élaboration d’un chez soi
La notion d’habiter ne prend pas forcément en compte le fait de s'approprier un lieu puisque nous pouvons habiter un lieu sans se sentir forcément chez soi. Par exemple, nous pouvons habiter dans un hôtel durant une période de vacances sans forcément se sentir « chez soi », ou en s’appropriant l’espace et inversement. Comment au sein d’un logement pouvons-nous passer d’un simple habitat à un « chez soi » ? L’architecte Alain Sarfati exprime une potentielle solution, qui s’avère être urgente dans l’habitat « Moins la répétition, le tout pareil, sera perceptible plus le « chez soi » sera appréciable. Mais si on continue de concevoir les logements comme des « conteneurs », c’est la mort annoncée, non seulement de l’architecture mais du plaisir d’être « chez soi » »39
Comment passer d’un logement standard au « chez soi » en passant par cette notion d’appropriation ? Pour répondre à cette question je prendrai pour références 3 auteurs qui ont travaillé avec des approches complémentaires :
Premièrement les écrits de Perla Serfaty permettent de définir la notion du chez soi en la décomposant, à travers le Dictionnaire critique de l’habitat et du logement, sous la direction de Marion Segaud.40 Pour traiter de l’élaboration du chez soi je me suis particulièrement intéressé au chapitre « le chez soi : intimité entre repli et hospitalité ».
34 SILAAM, « De l’habitat à la pratique : habiter ? Présentation », Anthropologie Aix-Marseille. 35 Nadège Leroux, Qu’est-ce qu’habiter ?, vol. n° 97, Érès, 2008, p. 24. 36 Ibid. 37 Pascal Amphoux et Lorenza Mondada, Le chez-soi dans tous les sens, vol. 5, Colloquia/ Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, 1989, p. 12. 38 Serfaty-Garzon, op. cit. 39 Alain Sarfati, « Logements, normes et uniforme... Uniformité », Universités d’été de l’architecture 2014, 2014, en ligne, <http://2014.universitesarchitecture.org/logements-normes-uniforme-uniformite/>, consulté le 8 mars 2021. 40 Marion Segaud, Jacques Brun et Jean-Claude Driant, Dictionnaire critique de l’habitat et du logement, Paris, France, Armand Colin, 2003.
Selon P. Serfaty « le « Chez » représente la préposition exprimant la relation à l’intérieur de soi, cet intérieur étant considéré comme le siège de phénomènes typiques. Le « Soi » renvoie à l’habitant, à sa maîtrise de l’intérieur, mais aussi à sa manière subjective d’habiter ». 41 Ce qui amène à penser qu’il s'agit de traiter l'intérieur de soi à travers notre logement, reflétant une fois de plus la notion d’appropriation. « La notion de chez-soi intègre l’habitation et l’un de ses modes majeurs d’expérience, soit l’intimité. Le chez-soi, l’habitat et l’intimité dessinent les pôles d’un même champ d’intelligibilité, qui est celui de l’habiter »42 Selon elle, le chez soi correspondrait donc à habiter en intimité avec soi-même, plus précisément à développer mutuellement le logement et son identité.
S. Vassart le résume en disant « qu’Habiter participerait à l’expression de soi, à la découverte et la fabrication identitaire de l’habitant. »43 L'élaboration du chez soi permet donc de constituer son identité qui évolue avec son habitant, car son élaboration s'exécute dans le temps, permettant de développer des habitudes, et ainsi sentir l’appropriation de son logement.
Le second livre étudié est Être chez soi, être soi d’Agata Zielinski, 44 je me suis référé à la partie « Domicile et identité : être chez soi, être soi »45. L’auteure explique qu’« Être chez soi, c’est d’abord être soi. ».46 Pour elle le chez soi correspond à un perfectionnement de la notion de l’habiter, il définit le fait d’être chez soi, mais surtout, ce que signifie être soi. Le fait de rester chez soi permettrait de conserver son identité puisque l’habitant et l’habitat dialoguent entre eux. Selon l’auteur « Ce qui constitue mon identité, c’est à la fois ce qui fait que je demeure le même, et ce qui fait que je suis moi et pas un autre, ce qui me distingue des autres : la singularité. »47 De cette manière le chez soi connaît une appropriation. Le constat est que nous évoluons dans le temps en fonction de nos « potentialités du temps ; ou au contraire, les effets subis du temps »48. Ainsi le chez soi retranscrit notre évolution et devient le lieu de la sécurité. Nous établissons les limites de l’intime, développant ainsi notre autonomie, qu’il représente comme la capacité de « choisir par soi-même et pour soi-même ».
49 Elle conclut en disant que l’attachement au chez soi se développe dans un travail continu, en s’adaptant, et en s’appropriant notre habitat. L’appropriation du chez-soi permet donc à l’habitant d’exister dans son intimité et de se retrouver avec lui-même, l'indépendance de l’individu est souvent rattachée à son lieu de vie personnelle, la liberté d’exister est conditionnée par l'influence de la sphère extérieure au logement, on en vient à être dépendant de la possibilité de se replier ou de partager un lieu qui nous appartient.
Et pour finir le livre j’habite donc je suis, écrit par Fabrice Larceneux50 permet de mettre en valeur la qualité de l’individualité et de notre identité. Dans son texte il décrit la dimension identitaire, afin qu’il corresponde à un soi à délimiter et à sécuriser tout en le laissant connecté au contexte, passant par l’appropriation. L’auteur exprime une interaction entre l’individu et l’espace qu’il s’approprie, pour cela il décrit quatre objectifs indispensables pour y arriver : « délimiter, sécuriser, relier et rassurer ».
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41 Serfaty-Garzon, op. cit., p. 65. 42 Ibid. 43 Sabine Vassart, op. cit. 44 Agata Zielinski, Être chez soi, être soi. Domicile et identité, vol. juin, Cairn.info, Paris, 2015. 45 Ibid., p. 55. 46 Ibid. 47 Ibid. 48 Ibid. 49 Ibid. 50 Fabrice Larceneux, J’habite donc je suis, Etudes foncières, Compagnie d’édition foncière, Paris, 2011. 51 Ibid., p. 23.
- Délimiter, « L'espace habité est un subtil équilibre entre intérieur et extérieur ».
52 Cependant l’auteur explique que le logement collectif aujourd’hui ne permet pas l’intimité espérée, générant des conflits avec le voisinage. Selon son étude, 85% des habitants estiment que les nuisances sonores et les appartements collectifs sont associés. - Sécuriser, « Dans une société où les questions de sécurité sont omniprésentes, le besoin de trouver sa place au sein d’un espace sécurisé »53. Il exprime ici le besoin pour chaque habitant de se sentir en sécurité dans un espace protégé et clôturé, mais que c’est avant tout une sensation qui reste présente malgré les protections apportées, car plus on cherche à montrer qu’on est en sécurité moins on s’y sent. - Relier, « Le choix d'un nouveau logement implique un lien avec une identité spatiale »54 Il exprime ici le besoin de se relier à une identité. L’auteur prend l’exemple d’une adresse considérée comme une marque permettant de définir l’habitat mais surtout de s’inclure dans un espace défini correspondant à un groupe social, renforçant le besoin du lien avec le voisinage. - Rassurer, « Un gain de sécurité et de sécurisation. Les bénéfices perçus de l’acquisition d’un actif tangible rassurent et donnent un sentiment de protection, permettent le confort et le développement de l’intimité. »55 L’aspect sécuritaire semble donc important dans la notion d’appropriation, il permet d'être rassuré, se sentir bien au sein du logement permettant le développement du confort.
C. Une notion de Confort
On en vient à se poser la question : Le confort est-il la clé d’une meilleure appropriation ? Pour cela j’ai choisi d’évoquer le livre Du confort au bonheur d’habiter56, écrit par Yankel Fijalkow dans lequel il tente de répondre à la question : Comment les sciences sociales conçoivent-elle le bonheur dans l’habitat tout en les mettant en comparaison avec des modes de vie liés à leurs époques et leurs contextes ? A travers ce livre il définit quelles sont les valeurs de l’habitat qu’il met en comparaison avec ce qui est produit, pour voir les situations qui posent problème dans les logements collectifs aujourd’hui en France avec une remise en cause de l’habitat moderne. L’auteur explique que depuis le XXème siècle la qualité de l’habiter semble être remise en cause par la volonté d’association avec la notion de « confort »57 justifiant l’action des constructeurs et des politiques. De plus, cette notion de confort de l’habitat a fortement évolué depuis les années 50 dans la conception du logement.
Dans son livre Y.Fijalkow détaille cette évolution : « Dans les années 1950, la notion de confort s’exprimait par la construction de tours et de barres équipées du confort moderne. Dans les années 1970 on considérait que le chauffage central relevait du confort. Aujourd’hui, celle-ci relève d’une grande diversité d’équipements contrôlant les ouvertures, l’énergie et les circulations. Que signifie cette évolution pour les habitants ? ».
58 On en vient donc à se poser aujourd’hui la question : Qu’est-ce que l’habitant attend d’un logement contemporain ? Pour cela l’auteur se questionne sur l’insalubrité de quatre millions d’habitants encore mal logés, selon les pronostics de l’Abbé Pierre en 2016.59 Selon moi, ces derniers ont une attente très différente du confort du logement par rapport à ceux qui cherchent un logement toujours plus agréable. Cela repose sur une vision complexe et économique qui différencie l’appropriation en fonction de la condition sociale de l’habitant.
52 Ibid. 53 Ibid. 54 Ibid. 55 Ibid. 56 Yankel Fijalkow, Du confort au bonheur d’habiter, Sociologie du logement, Paris, coll. « VI. Du logement à l’habiter », 2016. 57 Ibid., p. 98. 58 Ibid. 59 Ibid.
Dans son analyse, Y.Fijalkow demande aux habitants de raconter leurs arrivées dans leurs logements tout en expliquant les transformations qu’ils y ont réalisées. Selon leurs récits il en dégage trois sous catégories du confort qu’il met en relation avec des témoignages, nous allons étudier les différents cas :
Le confort hédonique60
Son origine vient selon le Dictionnaire Larousse du grec « hêdonê » qui veut dire plaisir, il représente un système philosophique qui fait du plaisir le but de la vie. Cette première catégorie représente donc de mettre en priorité le fait de « se sentir bien ». Selon Madame Etienne, habitante Parisienne « Le confort, c’est pouvoir se ressourcer quand on est chez soi, ne pas être importuné par le bruit. C'est se sentir bien, ne pas être importuné par les voisins, notamment les nuisances sonores ». On comprend que son habitat est considéré comme un refuge où elle peut couper avec le rythme oppressant de la ville tout en pouvant en profiter. De plus on comprend un besoin de se couper des autres, de s’en protéger. L’exemple de Mr Hubert illustre parfaitement ce choix « Ce que je crains c’est surtout les voleurs : le portail est ouvert, tout le monde rentre comme ça. Avant-hier on a eu le facteur, les éboueurs, ils rentrent directement à la porte comme ça. J’aimerais une caméra qui permette de voir la personne qui sonne et que je puisse décider de la faire rentrer ou non »61 . On se renferme sur nous-même afin de ne pas se confronter aux autres par la peur, de plus en plus le logement se referme sur lui-même cherchant de nouveaux processus pour limiter le franchissement au détriment même de notre confort d’habitat, devenant une obsession.
Le confort cognitif62
Par ce terme l’auteur exprime l’importance de l’évolution des logements à partir du 19ème siècle. En effet, la politique hygiéniste a permis la modernisation des logements, et ce depuis les années 50. On assiste à l’arrivée de la lumière, les salles d’eau, la modernisation de la cuisine avec ses équipements aménagés : « Au nom du confort, ils ont renforcé la cellule et la croyance de l’habitant à être maître chez lui, fier de ses équipements, témoin de sa réussite »63. Le luxe devient peu à peu d’être à la page des dernières nouveautés, le logement devient un lieu d’exposition et son habitant un « utilisateur ». « Le confort, c'est se sentir à l’aise, avoir tout ce que vous avez envie d’avoir comme produits ménagers, que tout soit facile, la télécommande pour allumer la tv ou les lumières, la facilité de la vie. Et aussi en essayant de faire attention aux consos d’énergie, d’eau etc. ».64 Le témoignage de Catherine, future retraitée, nous exprime clairement le besoin de l’habitant de faciliter sa vie pour être à l’aise. Cependant ce besoin de consommation important, dans un logement collectif standardisé permettant d’améliorer le quotidien, favorise-t-il l’appropriation par ses habitants ?
60 Yankel Fijalkow, op. cit. 61 Ibid. 62 Ibid. 63 Ibid. 64 Ibid.
Le confort conforme65
Conforme du latin « conformis », semblable est défini par ce qui correspond exactement à la norme, à la règle générale, à l'idéal social dominant. C’est la volonté de pouvoir mutualiser les habitats. Cependant nous allons voir que ce n’est pas le cas et qu’il y a encore un grand écart générationnel. Selon l'auteur, le fait de rendre son logement conforme pousse l’habitant à s’enfermer dans un confort de vie qui le conditionne à rester chez lui. Les logements collectifs deviennent des « machines à habiter » comme le disait le Corbusier. Cependant certaines personnes refusent cette évolution dans le logement. Par exemple Y. Fijalkow cite l’exemple des personnes âgées qui refusent les rénovations accrochées à l’histoire qu’ils ont pu accorder au bâtiment « le confort se niche dans des habitudes et des pratiques distinctives »66 . Cela me fait penser au témoignage d’une femme âgée veuve dans le film de Guillaume Meigneux 67 sur la rénovation des appartements de la cité Bois le Prêtre qui lors d’une réhabilitation demanda à l’agence d’architectes Lacaton et Vassal de ne rien modifier comme pièces chez elle. En effet, elle avait une histoire dans chacune de ses pièces, par exemple la cuisine avait un carrelage au mur offert par son fils et elle préférait les garder au lieu d’améliorer son espace de vie car pour elle c’était son histoire qui rendait confortable le lieu. Le logement devient ainsi un lieu de mémoire. Cependant, les nouvelles générations se dirigent vers une autonomisation de l’habitat « acceptent de vivre selon un modèle fondé sur la tranquillité, la quiétude et la confiance à l’égard des machines » 68 Les maisons programmées deviennent une nouvelle notion d’un confort conforme aux nouveaux modes d’habiter.
Nous avons donc plusieurs attentes décrites dans ces trois catégories, dans lesquelles on sent que l’habitant veut être maître de son logement, pouvant tout contrôler, avoir tout ce qu'il désire. Ceci est parfaitement illustré par ce paragraphe issu du livre, pour l’auteur « Non seulement les critères du confort ne sont pas hiérarchisables, mais ils sont modulables et négociables selon les valeurs des individus et leurs contextes sociaux ». 69 Autrement dit, il n'y a donc pas de généralités possibles, encore aujourd’hui dans la conception du logement.
Cependant, la notion de confort comme nous l’avons vue avec Y. Fijalkow ne suffit pas à se sentir chez-soi, il faut ressentir cette sensation de bien-être. Selon l'anthropologue Jacques Pezeu-Massabuau,70 le bien-être s'établit sur trois niveaux complémentaires, mais différents : la notion de confort est liée au bien-être matériel, la paix intérieure liée au bien être moral, et pour finir la reconnaissance des autres liée au bien-être social. Une fois ses 3 niveaux réunis, l'habitant se sent enfin en cohésion avec son logement. Malheureusement il est rare que ses 3 niveaux soient acquis ce qui limite l'appropriation.
Dans l’interview TEDx Des villes sensibles aux architectures subtiles, l’architecte Eric Cassar dit de bien faire attention à différencier la notion de confort de celle du bien-être, « Moi je préfère de loin cette notion de bien être, quand on est dans une cabane au milieu de la forêt, ou sur un bateau on est bien, pourtant ce n’est pas forcément confortable »71. Je pense qu’il exprime un message similaire qui vient appuyer le propos de J. PezeuMassabuau dans lequel l’habitant a une demande plus forte envers la notion de bien-être que celle du confort proposé.
65 Ibid. 66 Ibid. 67 Guillaume Meigneux, Documentaire: «Habitations légèrement modifiées», Paris, Celulo Prod & Interland Films, 2013, 76 min. 68 Yankel Fijalkow, op. cit. 69 Ibid. 70 Jacques Pezeu-Massabuau, Habiter: rêve image projet, Paris, France, 2003, p. 128. 71 TEDx Talks, Des villes sensibles aux architectures subtiles | Eric Cassar | TEDxLyon, 2015, 12:27.