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Indrajit Banerjee

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Geneviève Zarate

Geneviève Zarate

Communication, médias et les objectifs de développement durable

Indrajit BANERJEE

Division des sociétés du savoir Secteur de la communication et de l’information de l’UNESCO

Résumé

Le présent article décrit les missions de l’UNESCO concernant les sociétés du savoir inclusives afin de permettre un développement humain et économique durable aux pays les plus démunis. Elle s’efforce notamment de réduire la fracture numérique en offrant l’accès aux technologies de l’information et de la communication et en créant des centres multimédia communautaires. Mots clés : médias / développement durable/ partage du savoir / centre multimédia communautaire / société du savoir inclusive /

Louis Porcher a stimulé, avec ses travaux sur le multilinguisme et les médias, une vision plus large notamment celle des sociétés du savoir inclusives. L’émergence de ce type de sociétés est aujourd’hui la clé pour un développement humain et économique durable.

Par sociétés du savoir inclusives, l’UNESCO entend des sociétés dont les membres possèdent les compétences nécessaires, non seulement pour l’acquisition d’information, mais aussi pour sa transformation en connaissances et en concepts, leur permettant de prendre en main leur existence et de contribuer au développement économique et social de leur communauté.

L’idée des sociétés du savoir est centrale dans la contribution de l’UNESCO aux efforts mondiaux pour mobiliser les technologies de l’information et de la communication, les TIC, pour le développement durable. L’UNESCO reconnaît l’utilité des TIC comme moyen et outil pour le développement durable, mais souligne cependant l’importance d’intégrer les technologies tout en veillant à leur impact sur le développement humain. En effet, les TIC peuvent constituer un outil considérable pour le développement, mais elles ne doivent pas être considérées comme une fin en soi.

L’accès à l’information est au centre des efforts destinés à l’avancement des sociétés du savoir et comporte de multiples dimensions, dont l’accès aux installations physiques et aux ressources intellectuelles nécessaires pour en faire une utilisation efficace.

L’accès à des services TIC abordables et à l’information qu’ils peuvent transmettre reste limité pour bon nombre d’habitants dans maints districts et pays à faible revenu, ainsi que pour des groupes sociaux défavorisés, toutes sociétés confondues.

Ces sociétés de savoirs prennent différentes formes, dans différents pays. Afin de rendre cette idée plus tangible, je m’appuierai sur certains aspects et projets concrets, qui s’inspirent implicitement des travaux de Louis Porcher et contribuent ainsi à poursuivre notre dialogue avec lui.

L’initiative internationale de l’UNESCO pour les centres multimédias communautaires (CCM) a contribué à réduire la fracture numérique dans les communautés les plus démunies des pays en voie de développement ou en transition. Les centres multimédias communautaires, ou CCM, associent la radio et les infrastructures de télé-centres communautaires avec l’apprentissage ouvert et d’autres formes d’action sociale. Il en existe dans plusieurs pays, comme par exemple au Mali, au Mozambique et au Sénégal. Plus récemment, l’UNESCO, consciente du potentiel de la connexion sans fil, a décidé de dépasser le concept des CCM en promouvant les stations de radios communautaires et les possibilités d’utilisation des téléphones mobiles qu’elles offrent afin de garantir une meilleure interaction avec leurs auditeurs et, en particulier, l’inclusion des contenus en rapport avec des régions isolées et des groupes marginalisés.

Une dimension fondamentale est celle de la création, de l’acquisition, de la préservation et du partage du savoir. Pour le partage du savoir, l’UNESCO promeut des approches suivant le modèle du « libre accès » (open access), qui favorisent l’innovation et la participation dans le domaine de l’information et des communications. Elle soutient aussi le développement et l’utilisation des logiciels libres et ouverts et de leurs applications, ceci sans attaquer ou mettre en question des programmes propriétaires. Mais le maintien de normes ouvertes comme fondement de l’expérimentation et de l’inventivité ont fait de l’Internet une ressource à la fois précieuse et dynamique, possédant de multiples vertus. L’UNESCO soutient également l’accès libre à la recherche scientifique et aux ressources éducatives libres. En 2013, cette organisation est devenue la première institution des Nations Unies à adopter une politique de libre accès sous licence pour ses propres publications, en appliquant le système de licences récemment mis en place pour les organisations internationales.

Cette même année, elle publie également les conclusions d’une étude menée en collaboration avec l’Internet Society (ISOC) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), intitulée La relation entre le contenu local, le développement de l’Internet et les prix d’accès1. Cette étude réaffirme l’importance des politiques et de programmes holistiques qui intègrent le développement humain et technologique pour faciliter la transition de la société de l’information vers des sociétés du savoir. À la lumière de l’expérience de différents pays, elle démontre

qu’investir dans les infrastructures et fixer les prix des services Internet à un niveau abordable stimule le développement de contenu local, en particulier le contenu en langues vernaculaires. Ce contenu stimule à son tour la demande de services Internet au sein des communautés. Cette étude incite les gouvernements et les autres parties prenantes à adopter des approches globales pour définir des politiques capables de tenir compte de ce « cercle vertueux » des bénéfices transversaux pour produire des résultats socio-économiques dynamiques.

Le programme Mémoire du monde2 est un autre volet de l’accès à l’information, qui reflète aussi les diversités des langues et des médias. Lancé en 1992, il a pour objet de conserver le patrimoine documentaire des différentes cultures qui existent dans le monde. Il vise à créer des possibilités de préservation de la diversité culturelle, mais aussi à faire en sorte que l’expérience de ces cultures soit plus largement disponible grâce aux TIC, dans leur(s) communauté(s) d’origine comme dans le reste du monde.

L’inclusion de tous les groupes sociaux est un aspect central de la vision de l’UNESCO sur les sociétés du savoir de demain. L’attention que porte cette organisation à l’inclusion se traduit aussi dans son action en faveur du multilinguisme. Le langage étant le premier outil permettant la communication d’informations et de connaissances, la possibilité d’utiliser sa langue sur Internet déterminera donc le degré d’implication de chacun dans les sociétés du savoir émergeantes.

Il existe cependant sur Internet des problèmes comme l’utilisation prédominante d’un nombre restreint de langues, en particulier de l’anglais, et la difficulté à utiliser des alphabets non latins. Aujourd’hui encore, de nombreuses langues ne sont pratiquement pas représentées sur Internet, ce qui en limite l’intérêt pour ceux qui ne connaissent pas les langues dominantes, et risque d’accentuer la fracture numérique entre ceux qui peuvent accéder à la richesse de l’information et du savoir qui circulent sur Internet et ceux qui n’y ont pas accès. Les utilisateurs de langues peu répandues doivent également pouvoir s’exprimer et avoir un véritable impact culturel, créer leur propre contenu culturel dans leur langue et le faire voyager à travers le cyberespace.

Il est essentiel de s’assurer qu’Internet soit un espace multilingue et culturellement composite, où chaque culture et chaque langue sont représentées.

Pour que des individus puissent tirer un bénéfice optimal des TIC, il ne suffit pas que l’accès à des infrastructures et à des contenus ait un coût abordable. Il faut aussi que les individus en question possèdent les compétences, les connaissances et les capacités leur permettant d’utiliser efficacement les réseaux, les services et l’information auxquels ils ont accès. Les nouvelles technologies ont permis d’élargir l’accès à l’information et au savoir, mais leur valorisation dépend autant des aspects humains du développement que de l’éducation, de la liberté d’expression et de la technolo-

gie même. Résoudre la fracture numérique ne suffira pas à résoudre les fractures de savoir. Car l’accès aux savoirs utiles et pertinents n’est pas une simple question d’infrastructures ; il dépend aussi de la formation, des capacités cognitives développées, et d’une réglementation adaptée sur l’accès aux contenus.

Venons-en à un autre thème central, étroitement lié : L’UNESCO insiste à la fois sur l’importance de l’éducation aux médias et à l’information – comme moyen essentiel d’autonomisation – et sur la nécessité de veiller à ce que l’information et le savoir soient partagés sur une base équitable (c’est-à-dire diffusés dans une perspective inclusive et renforcés grâce à l’éducation et au développement des compétences). L’éducation aux médias et à l’information fait référence à un ensemble de compétences, autrement dit, des connaissances, des attitudes, des savoir-faire et des pratiques dont l’acquisition aide les individus à utiliser un contenu informationnel et médiatique en y accédant, en l’interprétant et en l’évaluant. Mais elle fait aussi référence à la possibilité de créer et de produire par soi-même un contenu, de façon à pouvoir prendre en main leur vie personnelle, professionnelle, sociale et économique, à la fois en ligne comme dans l’interaction et dans les échanges en face-à-face.

En résumé, j’ai donné un nombre d’exemples concrets qui démontrent comment l’UNESCO axe son action en faveur de l’édification de sociétés du savoir inclusives sur plusieurs thèmes prioritaires : développement de l’apprentissage en réseau, diffusion rapide du savoir scientifique, mise en place de nouveaux modèles économiques autour de la propriété intellectuelle qui mettent à profit le potentiel offert par les innovations technologiques, mise en avant des partenariats entre les gouvernements, les entreprises et la société civile, valorisation de la diversité culturelle et de la participation des populations et des communautés locales aux décisions qui les concernent, y compris par l’éducation aux médias et à l’information.

L’UNESCO reconnaît aussi que même si les sociétés du savoir vont chacune évoluer différemment d’un pays à l’autre – en fonction des cultures, des expériences et des capacités locales – elles doivent néanmoins toutes se fonder sur quatre piliers essentiels : la liberté d’expression, l’accès universel à l’information et au savoir, le respect de la diversité culturelle et linguistique, et la mise en place d’une éducation de qualité pour tous.

À l’UNESCO, la création des sociétés du savoir repose sur la conviction que l’accès universel à l’information est indispensable à la construction de la paix, du développement économique durable et du dialogue interculturel. Les sociétés dont les citoyens possèdent un haut niveau de compétence(s) et d’expérience(s), et sont capables d’assimiler l’information et de l’utiliser pour développer de nouveaux produits et services dans leurs langues, ont des chances de prospérité plus grandes dans un monde où la complexité technologique va grandissante. Les sociétés du savoir sont mieux à même d’atteindre l’équité sociale, la prospérité économique, et la viabilité environnementale ; ces trois piliers du développement durable sont aussi les fondements

de l’exercice des droits de l’homme. Le savoir est d’une importance capitale dans le domaine des sciences comme dans la vie sociale et culturelle, étant une source d’enrichissement humain, favorisant le dialogue interculturel et l’harmonie internationale.

Penser et agir dans cet esprit, n’est pas forcément facile, c’est souvent un défi et c’est toujours un apprentissage. Un apprentissage qui s’appuie sur les travaux de Louis Porcher, qui nourrissent notre réflexion à tous et auront très certainement un impact sur les futures générations.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

■ OECD, ISOC, UNESCO The relationship between local content, Internet development and access prices. OECD Digital Economy Papers, 2013, n° 217, OECD Publishing. En ligne : http://dx.doi.org/10.1787/5k4c1rq2bqvk-en ■ UNESCO Construire des sociétés du savoir. Document EX/INF.6, 2002. En ligne : http://unesdoc.unesco.org/images/0012/001256/125647f.pdf ■ UNESCO Vers les sociétés du savoir. Rapport mondial de l’UNESCO, Éditions UNESCO, 2005. En ligne : http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001419/141907f.pdf ■ UNESCO Édifier des sociétés du savoir inclusives. Examen de l’action de l’UNESCO visant à mettre en œuvre les résultats du SMSI. Éditions UNESCO, 2015. En ligne : http://unesdoc.unesco.org/images/0022/002279/227938f.pdf

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