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Valérie Lemeunier

Valérie LEMEUNIER

Responsable de l’unité Formations Centre international d’études pédagogiques (CIEP)

Résumé

Le public des salles de classe aujourd’hui est largement constitué d’experts en jeux vidéo et d’adeptes d’écrans en tout genre. Mobiliser leur attention est un défi auquel les enseignants sont confrontés quotidiennement.

Depuis plus de quinze ans, le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL, Conseil de l’Europe, 2001) invite à considérer l’apprenant comme un acteur social et à favoriser l’apprentissage actif et collaboratif.

Le jeu étant avant tout une activité sociale qui développe le comportement coopératif des individus et dont l’enjeu est réel, son utilisation en classe peut s’avérer pertinente qui plus est dans le cadre d’un enseignement s’inscrivant dans une perspective de type actionnel.

Mais, comment faire du jeu un véritable outil pédagogique efficace et motivant ? Son utilisation en classe est-elle aussi aisée qu’il y paraît ? Dans quelle mesure la formation en didactique des langues étrangères peut-elle répondre aux besoins des enseignants désireux d’introduire le jeu dans leurs pratiques de classe ? Mots clés : jeu / motivation/ formation / apprentissage actif et collaboratif /

Introduction

Depuis plus de quinze ans maintenant, le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL, Conseil de l’Europe, 2001) invite les enseignants de langues à considérer l’apprenant comme un acteur social et à favoriser l’apprentissage actif et collaboratif. Les difficultés rencontrées par les enseignants au moment de traduire ce discours pédagogique en pratiques de classe révèlent des besoins de formation et de ressources auxquels les concepteurs de matériel pédagogique et les acteurs de la formation initiale et continue s’efforcent de répondre.

En croisant les enjeux de l’enseignement-apprentissage des langues décrits dans le CECRL (ibid.), les résultats des recherches sur l’agir professoral (Bigot et Cadet, 2011) et les nombreuses informations recueillies sur le terrain auprès d’enseignants en exercice, il apparaît que les problèmes rencontrés sont étroitement liés à la difficulté de mobiliser l’attention d’un nouveau public d’apprenants, experts en jeux vidéo et adeptes d’écrans en tout genre. Face à cette difficulté, les enseignants tentent de trouver des solutions, les concepteurs de matériel pédagogique tentent d’en

apporter. C’est ainsi que le jeu et le numérique1 ont fait leur entrée en force dans la classe et les manuels pédagogiques ces dernières années.

Mais le jeu peut-il devenir un véritable outil pédagogique ? Si tel est le cas, son utilisation est-elle aussi aisée qu’il y paraît ? Et dans quelle mesure la formation en didactique des langues étrangères peut-elle répondre aux besoins des enseignants désireux d’introduire le jeu dans leurs pratiques de classe ?

Afin de répondre à ces questions, nous nous attarderons, d’abord, sur l’utilisation du jeu comme outil pédagogique et ses enjeux en classe de langue. Nous nous interrogerons ensuite sur la nécessité de faire évoluer le jeu en activité ludique. Pour finir, nous proposerons des orientations pour un plan de formation pouvant répondre aux besoins des enseignants désireux de faire évoluer leurs pratiques pédagogiques en vue d’intégrer le jeu en classe.

1. LE JEU COMME OUTIL PÉDAGOGIQUE ET SES ENJEUX EN CLASSE DE

LANGUE

Selon Roger Caillois, « […] le mot jeu appelle les mêmes idées d’aisance, de risque ou d’habileté. Surtout, il entraîne immanquablement une atmosphère de délassement ou de divertissement. Il repose et il amuse. Il évoque une activité sans contrainte, mais aussi sans conséquence pour la vie réelle. Il s’oppose au sérieux de celle-ci et se voit ainsi qualifié de frivole. Il s’oppose d’autre part au travail comme le temps perdu au temps bien employé. En effet le jeu ne produit rien : ni biens ni œuvres. Il est essentiellement stérile. […] » (Callois, 1958, p. 2). De ce fait sans doute et comme le souligne Haydée Sylva (2008), le jeu apparaît en classe de français langue étrangère (FLE) assez tardivement en tant qu’outil pédagogique à part entière (années 70) et, il n’acquiert une certaine légitimité que dans les années 1980 et 1990, sous l’impulsion notamment de Francis Debyser et Jean-Marc Caré (Caré et Debyser, 1978 ; Caré et Talarico, 1983) par l’utilisation de jeux de mots, de lettres, de jeux de société et d’activités d’expression dramatique. Néanmoins, ses atouts comme support pour l’enseignement-apprentissage du FLE ne manquent pas.

1.1. LES ATOUTS DU JEU POUR L’ENSEIGNEMENT

1.1.1. Sa nature

Le jeu est par nature, une activité sociale (tâche) qui développe le comportement coopératif des individus et dont l’enjeu est réel. Son utilisation peut donc s’avérer pertinente pour tout enseignant s’inscrivant dans une perspective de type actionnel d’autant que le fait de jouer est sans aucun doute l’une des actions sociales les plus faciles à transposer dans la classe de langues.

1. L’utilisation du numérique en classe de langues fait l’objet de nombreuses publications : Abou Haidar, Barthélémy, Cadet et Soubrié, 2014 ; Soubrié, 2014 ; Ollivier et Puren, 2013 ; Knoerr, 2005.

Pour rappel :

« Est définie comme tâche toute visée actionnelle que l’acteur se représente comme devant parvenir à un résultat donné en fonction d’un problème à résoudre, d’une obligation à remplir, d’un but qu’on s’est fixé. Il peut s’agir tout aussi bien, suivant cette définition, de déplacer une armoire, d’écrire un livre, d’emporter la décision dans la négociation d’un contrat, de faire une partie de cartes, de commander un repas dans un restaurant, de traduire un texte en langue étrangère ou de préparer en groupe un journal de classe. » (Conseil de l’Europe, 2001, p. 16).

« La notion de tâche renvoie à une action finalisée, avec un début, un achèvement visé, des conditions d’effectuation, des résultats constatables (réparer une machine, remplir un formulaire, acheter un billet de train sur Internet, jouer au loto). » (Coste, 2009, p. 15).

La schématisation ci-après (Figure 1) confirme que le jeu possède toutes les caractéristiques d’une tâche ou action sociale. Les acteurs sociaux qui évoluent dans un contexte donné vont devoir mobiliser des stratégies, des compétences et des connaissances pour réaliser les activités langagières nécessaires à l’accomplissement de la tâche dont le résultat est identifiable.

En outre, différentes enquêtes2 démontrent un vif intérêt des acteurs sociaux pour le jeu, or, comme le soulignent les auteurs de À l’école du jeu, « […] une activité qui intéresse à ce point les hommes ne peut que constituer un argument didactique particulièrement efficace. » (Ferran, Mariet et Porcher, 1978, p. 61).

2. En 2010, selon une enquête de l’Insee sur l’emploi du temps, les Français consacrent en moyenne 33 minutes quotidiennement aux jeux (de société, individuels – de type mots croisés – …) ou à Internet. En 2012, près de 20 millions de jeux de société ont été vendus en France, soit + de 3% en comparaison à 2011. En 2013, une enquête TNS Sofres sur les pratiques de consommation de jeux vidéo des Français révèle que 92,3% des 10-14 ans jouent à des jeux vidéo. Source : http://www.latribune.fr/entreprises-finance/20131202trib000799040/pourquoi-le-jeu-de-societe-survit-il-si-bien-a-l-ere-du-2.0-et-des-jeux-video-12.html

Figure 1 - Schématisation d’une partie de Trivial poursuit. Le jeu comme tâche.

1.1.2. Son authenticité et sa rentabilité

En effet, il ne fait désormais plus de doute que le document authentique constitue un support qui a toute sa place au centre d’un dispositif de formation en langue (Claudel et Lemeunier, 2012, p. 140) :

– il permet, en effet, à l’apprenant de mieux comprendre les contextes d’utilisation de la langue cible ; – il l’expose à une langue naturelle et à des aspects culturels tels que ceux éprouvés dans des situations réelles puisque les contenus véhiculés ne subissent aucune modification.

Il n’en reste pas moins vrai que la didactisation de supports authentiques, et le jeu n’échappe pas à cette règle, nécessite généralement un investissement important en temps et peut s’avérer peu rentable. Tant il est indéniable qu’un document temporellement marqué devient rapidement obsolète.

L’absence d’ancrage temporel du jeu est donc un atout dans une perspective d’optimisation du temps de préparation de classe.

Le caractère cyclique de certains jeux peut également retenir l’intérêt du pédagogue. Bien que temporellement marqués, certains documents peuvent être retenus du fait de leur diffusion à intervalles réguliers comme c’est souvent le cas des émissions de divertissement (jeux télévisés ou radiophoniques, retransmission du tirage du loto, retransmission de compétitions sportives…). L’exploitation de ces documents étant transférable, l’investissement en temps devient rentable.

Par ailleurs, « [l]es multiples facettes que renferme un même document et la modulation possible de sa didactisation permettent d’en faire l’objet de diverses exploitations pédagogiques. Ainsi peut-il être réutilisé avec des groupes de différents niveaux. De même que si, dans un premier temps, il a été sélectionné comme support de compréhension, il peut être, dans un second temps, source d’inspiration pour un exercice de systématisation ou utilisé comme support de production. » (Claudel et Lemeunier, ibid., p. 157).

Le jeu peut, en effet, être intégré à toutes les étapes de l’unité didactique, qu’il s’agisse d’exploiter un extrait de jeu télévisé pour exposer les apprenants à des ressources langagières (illustrant la demande d’information, par exemple), de proposer un mémo pour repérer et conceptualiser une règle de grammaire (le féminin des noms de métier), d’utiliser le « Qui est-ce ? » pour faire systématiser les outils langagiers nécessaires pour décrire quelqu’un, de concevoir un Trivial pursuit pour faire réemployer le questionnement.

1.2. LES ATOUTS DU JEU POUR L’APPRENTISSAGE

1.2.1. Son universalité

L’universalité du jeu, même si ses formes peuvent varier d’un espace culturel à un autre, facilite son utilisation : – pour des activités d’exposition à la langue, « [l]e recours à des documents circulant dans la langue/culture source constitue [en effet] un facilitateur pour l’apprenant : le document offre de ce fait un degré d’anticipation élevé sur la situation d’énonciation

et la possibilité d’hypothèses prévisibles sur sa visée pragmatique ; de la sorte, son mode de saisie s’en voit simplifié. » (Claudel et Lemeunier, ibid., p. 152) ; – pour des activités de découverte de la langue, de systématisation ou de production qui impliqueront de jouer, la connaissance des modalités du jeu en langue source offrira un gain de temps en classe de langue étrangère : « Dans tous les cas, l’expérience de l’apprenant en tant que locuteur natif favorise la prise de conscience de la mise en œuvre de stratégies facilitant [la réalisation de la tâche à accomplir] et le transfert de ces stratégies en langue étrangère. Elle réduit également l’appréhension que tout enseignement-apprentissage peut engendrer, la démarche reposant sur du familier. » (Claudel et Lemeunier, ibid.).

1.2.2. Son pouvoir socialisant

Le jeu est souvent une activité collective qui implique des partenaires et des adversaires. Pour jouer ensemble, il faut, d’une part, s’accorder sur les règles du jeu et respecter les autres joueurs et, d’autre part, collaborer avec ses partenaires (Ferran, Mariet et Porcher, 1978). Cette collaboration permet d’atteindre un degré de performance que l’on n’aurait bien souvent pas pu obtenir seul. Le jeu contribue ainsi à renforcer la cohésion du groupe et participe à la socialisation des (jeunes) apprenants en développant un comportement coopératif et en favorisant l’apprentissage de la vie en collectivité.

Le jeu est en outre une activité qui, plus que toute autre, mobilise des connaissances et des compétences variées, et fait appel à des intelligences (Gardner, 1996) qui ne sont pas forcément celles que l’école sollicite habituellement le plus. La force d’une équipe dans un jeu, c’est sa complémentarité. Chaque apprenant, quel que soit son profil, peut contribuer à la victoire de son équipe en mettant ses connaissances, ses compétences et ses stratégies au service du groupe. La victoire, tout comme la défaite d’ailleurs, est collective et ne dépend pas forcément ou uniquement des compétences en langue. Le jeu permet de ce fait de valoriser des apprenants dont les performances en langue ne sont pas forcément les meilleures et de mieux gérer l’hétérogénéité.

1.2.3. Son pouvoir libérateur

Le jeu provoque des prises de parole spontanées (Caré et Debyser, 1978, p. 116). Préoccupé par le but à atteindre, le joueur ne ressent pas le stress lié à la peur de s’exprimer (en français). Pour cette raison, mais aussi par le caractère souvent répétitif des échanges qu’il peut générer et pour le plaisir qu’il procure, le jeu facilite la mémorisation. Il permet en outre d’aborder, en les dédramatisant, des sujets qui peuvent être, dans certains contextes, difficilement abordables dans une classe. Les jeux de rôles inscrits dans une situation imaginaire peuvent faciliter la circulation de points de vue contradictoires sur des sujets graves sans heurter les sensibilités des uns ou des autres. À titre d’exemple : l’immigration interplanétaire ou la condition de la femelle dans le monde animal…

2. DU JEU À L’ACTIVITÉ LUDIQUE MOTIVANTE

Au vu de tout ce qui précède, le jeu semble être un outil particulièrement intéressant à introduire en classe. Toutefois, comme le préconise Haydée Sylva (2005), il faudra « aborder le jeu de manière rigoureuse, car à l’instar de tout autre outil son efficacité tient moins à ses qualités intrinsèques qu’à l’usage que l’on en fait ». Le défi pour l’enseignant : faire du jeu une activité ludique qui soit aussi motivante pour les apprenants que le jeu peut l’être pour les joueurs.

2.1. LA MOTIVATION

« La motivation en contexte scolaire est un état dynamique qui a ses origines dans les perceptions qu’un élève a de lui-même et de son environnement et qui l’incite à choisir une activité, à s’y engager et à persévérer dans son accomplissement afin d’atteindre un but. » (Viau, 1997, p. 7)3 .

Pour déterminer le pouvoir motivationnel d’une activité de classe, Rolland Viau (ibid., p. 44-73) propose de s’interroger sur les perceptions de l’apprenant : – sa perception concernant la valeur de l’activité ; – sa perception concernant ses capacités à réaliser l’activité ; – sa perception concernant le contrôle qu’il a sur l’activité.

2.1.1. La perception de la valeur d’une activité

Il s’agit du jugement que porte un apprenant sur l’utilité d’une activité dans la perspective d’atteindre les buts qu’il poursuit (sociaux et scolaires) (Viau, ibid., p. 4). a. L’activité est-elle signifiante ? Est-elle en lien avec les centres d’intérêt ou le projet personnel de l’élève ? Est-elle appropriée ? – D’après différentes enquêtes4, les occupations audiovisuelles, les activités relationnelles et les activités autour du jeu (notamment jeux électroniques, Internet…) sont les loisirs, quotidiens ou hebdomadaires, qui prédominent chez les jeunes. – Le jeu correspond donc encore aux centres d’intérêt des apprenants. – Il doit cependant s’inscrire dans le contexte et la progression d’apprentissage afin que l’apprenant ne le juge pas en inadéquation avec son projet personnel. b. L’activité contribue-t-elle à la diversification ? Le choix de l’activité tient-il compte de la nécessité de varier les plaisirs ?

3. Viau précise que cette définition est inspirée des travaux de Scunk (1990), Zimmerman (1990) et Pintrich et Schrauben (1992). 4. Par exemple : a. La santé des collégiens en France : http://inpes.santepubliquefrance.fr/CfESBases/ catalogue/pdf/1412.pdf b. Health Behaviour in School-aged Children (HBSC), 2010 : http://www.euro.who.int/__data/assets/ pdf_file/0003/163857/Social-determinants-of-health-and-well-being-among-young-people.pdf c. d’après l’enquête sur les pratiques culturelles et les loisirs des jeunes (par la Jeunesse ouvrière chrétienne), les loisirs favoris des jeunes sont les soirées entre amis (59,4%), le sport (33,8%), Internet et les jeux vidéo (25,2%) : http://blogdelorientation.com/2009/04/16/ enquete-sur-les-pratiques-culturelles-et-les-loisirs-des-jeunes-par-la-joc/

– L’éventail de jeux existant doit pouvoir faciliter la diversification. – En outre, le déroulement et l’issue d’un jeu n’étant pas toujours identiques, son utilisation répétée mais contrôlée contribue sans doute davantage à la diversification que l’utilisation répétée d’exercices plus traditionnels. c. L’enjeu de l’activité est-il authentique ? – Le jeu est, sans doute, l’une des activités en classe qui répondrait le mieux à ce critère pour les raisons que nous avons évoquées précédemment et dans la mesure où il ne s’agit pas en classe de faire semblant de jouer comme on fait semblant d’interagir dans le cadre d’une simulation, par exemple. – L’enjeu d’un jeu est forcément authentique puisque le jeu aboutit à un résultat observable : gagner ou perdre. d. L’activité est-elle interdisciplinaire ? – Les jeux peuvent faire appel à la culture générale des participants qui pourront mobiliser des connaissances et des compétences acquises dans d’autres disciplines. Le jeu peut également permettre d’acquérir des connaissances et des compétences nécessaires dans d’autres disciplines. – Le jeu implique souvent la mise en œuvre de compétences et de stratégies transversales qui peuvent s’avérer utiles dans différentes disciplines : l’adresse, l’habileté, la réflexion, la déduction… e. La durée de l’activité est-elle satisfaisante ? Ni trop long, ni trop court… – La durée d’un jeu est variable et certains jeux peuvent durer trop longtemps pour être utilisés en classe, à moins d’intégrer une limite de temps dans les règles du jeu.

2.1.2. La perception de sa compétence à l’accomplir

Il s’agit de « […] [la] perception de soi par laquelle [une] personne avant d’entreprendre une activité qui comporte un degré élevé d’incertitude quant à sa réussite, évalue ses capacités à l’accomplir de manière adéquate (Bandura, 1986 ; Schunk, 1991, 1989b, 1987) » (Viau, 1997, p. 55). L’activité représente-t-elle un défi ? Nécessite-elle un engagement cognitif ? – Le jeu implique un effort intellectuel. – Une trop grande simplicité ou complexité provoque en effet le désintérêt.

2.1.3. La perception de la contrôlabilité

C’est « […] la perception qu’un élève a du degré de contrôle qu’il possède sur le déroulement et sur les conséquences d’une activité qu’on lui propose. » (Viau, ibid., p. 64). a. Les instructions de l’activité favorisent-elles ce contrôle des opérations ? – Les règles du jeu sont préétablies, elles ont été testées. Elles doivent être suffisamment claires et précises (quoi faire ?, comment faire ?, pourquoi faire ?) pour que

l’élève comprenne. En outre, si le jeu est déjà connu en langue source le stress lié à sa contrôlabilité est moindre. b. L’activité responsabilise-t-elle l’apprenant ? – Le jeu favorise l’autonomie de l’apprenant puisqu’il l’incite à prendre des initiatives et à mettre en œuvre des stratégies pour atteindre l’objectif visé. c. L’activité favorise-t-elle l’interaction avec les autres ? – Les jeux collaboratifs s’y prêtent particulièrement. – Le jeu devrait de plus réduire l’intervention de l’enseignant.

Au vu de ce qui vient d’être dit, il ne fait pas de doute que le jeu peut être motivant pour les apprenants. Toutefois, le jeu n’est pas toujours utilisable en l’état et devra être pédagogisé.

2.2. L’ACTIVITÉ LUDIQUE MOTIVANTE

En croisant différentes conceptions du jeu, celle de G. Brougère (2005) et celle de P. Ferran, F. Mariet et L. Porcher (1978), on peut dégager les traits constitutifs du jeu et mettre en regard jeu et activité ludique :

Jeu

Le jeu est une activité de loisirs, de détente.

Le jeu est circonscrit dans des limites d’espace et de temps précises fixées à l’avance.

La participation au jeu est volontaire et le joueur choisit de s’engager dans tel ou tel jeu.

Le jeu s’inscrit dans la fiction mais le joueur s’y investit avec autant de sérieux que dans la réalité.

Le jeu est soumis à des règles indispensables pour sa structuration. Sans le respect des règles, le jeu est impraticable. L’activité ludique doit également être soumise à des règles qu’il faut respecter.

Activité ludique

L’activité ludique est une activité d’enseignement-

apprentissage.

L’activité ludique est délimitée dans le temps et dans l’espace classe.

La participation à l’activité ludique n’est pas volontaire : elle s’impose et peut éventuellement avoir fait l’objet d’une négociation

contractuelle.

L’activité ludique s’inscrit dans une aire intermédiaire entre fiction et réalité pour que l’apprenant s’y investisse avec autant de sérieux que dans la réalité.

Le bénéfice de la participation au jeu est hédoniste. Le jeu n’a aucune conséquence sur la réalité, il invite à de nouvelles expériences sans prises de risques qui freinent.

L’issue du jeu est incertaine. C’est le moteur du jeu. La partie peut se dérouler et se terminer différemment à chaque fois.

Le jeu contribue au développement de la sociabilité de l’enfant, mais aussi de l’adulte, en l’ouvrant à son partenaire, ou à son adversaire, en le préparant à envisager des solutions face à un problème, en le poussant à communiquer, interagir, pour atteindre l’objectif du jeu.

Le jeu implique la compétition et va confronter l’individu à la réussite et à l’échec.

Le jeu s’inscrit dans un cadre social et il est indépendant des activités qui le précèdent ou qui le suivent. Le bénéfice de la participation à l’activité ludique doit en plus être langagier et/ou culturel, y compris pour des jeux qui peuvent ou doivent s’effectuer sans échanges (voir exemple ci-après).

L’issue de l’activité ludique doit demeurer imprévisible.

L’activité ludique doit aussi favoriser la socialisation en incitant les apprenants à collaborer avec leurs partenaires, à respecter les adversaires, en le préparant à surmonter ses difficultés, en stimulant la communication et l’interaction pour atteindre l’objectif du jeu en langue étrangère.

L’activité ludique ne peut pas se distinguer du jeu qu’il s’agisse d’une compétition à l’égard de soi-même, d’autrui ou à l’égard d’un être fictif.

L’activité ludique doit s’inscrire dans un cadre social. Elle est fortement dépendante des activités qui la précédent et qui la suivent et s’inscrit dans un cadre

méthodologique cohérent.

Figure 2 - Les traits constitutifs du jeu.

On constate donc un écart entre le jeu et l’activité ludique, essentiellement lié aux contraintes qui pèsent sur l’activité ludique. On peut alors légitimement s’interroger : l’introduction du jeu dans la classe ne risque-t-elle pas de lui faire perdre son pouvoir motivationnel ?

Afin de réduire l’écart entre le jeu et l’activité ludique mais aussi de favoriser l’adhésion des apprenants, il est impératif de renforcer le caractère stimulant de toute activité ludique. À cette fin, l’adoption de techniques d’animation s’avère utile. À titre d’exemple : proposer aux élèves de trouver la sortie d’un labyrinthe les yeux fer-

més en suivant les consignes d’un camarade de classe ou de réaliser un origami par deux en utilisant une main chacun.

Une typologie d’activités ludiques s’appuyant sur des techniques de dynamique de groupe et des techniques théâtrales et tenant compte de la théorie des intelligences multiples (Gardner, 1996) est proposée dans des ouvrages comme En jeux (Lemeunier, Cardon et Gracia, 2010) et Ligne directe (Lemeunier et al., 2011).

3. LE JEU DANS LA FORMATION DES ENSEIGNANTS DE FLE

« À partir du moment où l’on met en place une pédagogie du jeu et par le jeu, il importe de l’harmoniser avec l’ensemble de la démarche éducative. » (Ferran,

Mariet et Porcher, 1978, p. 72).

L’utilisation de techniques et d’activités ludiques doit donc s’inscrire dans une stratégie pédagogique et un cadre méthodologique cohérent.

L’efficacité du jeu en classe ne va donc pas de soi, elle est fortement conditionnée. Elle requiert, en effet, de solides compétences professionnelles, outre celles nécessaires à la construction, au pilotage et à l’évaluation des apprentissages que l’on peut désormais trouver dans de nombreux dispositifs de formation. La conception et l’animation d’activités ludiques dans le cadre d’un apprentissage actif et collaboratif impliquent l’adoption de techniques de dynamique de groupe et de techniques théâtrales, la prise en compte de la théorie des intelligences multiples ainsi que la mise en œuvre d’approches non conventionnelles (Dufeu, 1996).

Pourtant, l’approche par le jeu reste quasiment inexistante dans la formation initiale des enseignants même si elle trouve sa place en formation continue. Des centres de formation comme le CIEL de Brest, Accord école de langues, le CIEP… proposent notamment des modules spécifiques sur la thématique du jeu.

À titre d’exemple5 :

Exploiter et concevoir des jeux à des fins pédagogiques

– Public Ce module est ouvert à des professeurs de français et des professeurs de DNL (disciplines non linguistiques) soucieux de motiver les apprenants. – Prérequis Ce module s’adresse à des enseignants ayant une expérience de l’enseignement d’une langue étrangère, une connaissance du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) et maîtrisant les compétences nécessaires à la construction, au pilotage et à l’évaluation d’un apprentissage actif et collaboratif.

5. Module de formation conçu et animé par Valérie Lemeunier dans le cadre d’actions de formation organisées par le CIEP.

– Présentation du module Les participants seront d’abord amenés à mutualiser leurs représentations et leurs pratiques de classe, à s’accorder sur une définition de concepts liés au jeu, à mener une réflexion sur les enjeux de son introduction en classe et à distinguer les différents types de jeux. Après avoir expérimenté des activités ludiques, les participants les analyseront afin d’en déterminer les caractéristiques. Ils seront alors invités à les adapter à différentes disciplines et/ou différents contextes d’enseignement. Après avoir identifié les étapes de conception d’une activité ludique, les participants seront invités à élaborer un outil pédagogique ludique et à en expérimenter l’animation. L’analyse réflexive qui suivra permettra d’affiner l’activité. – Objectif général À l’issue de ce module, les participants seront en mesure de renforcer la dynamique de groupe et la motivation des apprenants en proposant des activités ludiques en classe. – Modalités de travail Le module se déroule sur 12 heures (6 séances de 2 heures). La formation est conçue selon une approche de type formation/action, participative et interactive, où alternent les séquences d’apports théoriques et les ateliers pratiques. – Compétences visées Ce module vise l’adoption de techniques d’animation et de démarches pour concevoir et animer des activités ludiques afin de favoriser un apprentissage actif et collaboratif, de renforcer la motivation et de susciter le plaisir d’apprendre. – Contenus des séances

Séance 1 : Mutualiser ses représentations et ses pratiques de classe. Analyser des jeux pour s’accorder sur une définition et identifier les caractéristiques et les atouts du jeu. Distinguer les différentes catégories de jeu et identifier les éléments constitutifs d’un jeu.

Séance 2 : Rappeler les principes retenus par les courants pédagogiques actuels et définir la pertinence du jeu comme outil pédagogique. Sélectionner des jeux en adéquation avec des objectifs et des situations d’apprentissage. Dresser une typologie de jeux cadres.

Séance 3 : Expérimenter et analyser des activités ludiques et des techniques d’animation. Identifier les paramètres qui font qu’un jeu devient un outil pédagogique efficace.

Séance 4 : Faire évoluer les activités expérimentées pour les adapter à différentes disciplines et/ ou différents contextes d’enseignement. Identifier les étapes de conception d’une activité ludique.

Séance 5 :..Concevoir une activité ludique à partir d’un jeu cadre. Réaliser le matériel et tester l’activité. Réaliser la fiche pédagogique de l’activité conçue.

Séance 6 : Animer les activités conçues. Mutualiser l’expérimentation. Mener une analyse réflexive et finaliser l’activité et la fiche pédagogique. Faire une synthèse des contenus de la formation.

Figure 3 - Exemple d’un module de formation autour de l’exploitation du jeu à des fins pédagogiques.

L’utilisation du jeu en classe et, davantage encore, son évolution en activité ludique, comme tout ce qui peut contribuer à l’amélioration de la qualité de l’enseignementapprentissage, passent par la professionnalisation de l’enseignant. Tant il est vrai que la traduction du discours pédagogique en pratiques de classe demeure complexe pour tout enseignant ayant bénéficié d’une formation initiale exclusivement axée sur l’acquisition de compétences langagières et culturelles et/ou de connaissances théoriques en didactique du FLE.

Conclusion

« Plusieurs idées-force se dégagent ainsi : 1. L’emploi des jeux à l’école est potentiellement d’une très grande richesse […]. 2. Ils ne sont vraiment efficaces que s’ils restent des jeux distrayants, amusants […]. 3. […] Il faut les adapter à la stratégie pédagogique d’ensemble de l’enseignant, et non transformer celle-ci en fonction d’eux. […] 4. Leur utilisation doit donc privilégier la coordination, l’articulation des outils entre eux. 5. Il est nécessaire de savoir et d’admettre, que pour les enfants, les jeux sont toujours plus intéressants que le travail scolaire : ne luttons donc pas contre cela, en un combat perdu d’avance […]. 6. La solution passe par la multiplication des jeux éducatifs à condition que ceux-ci soient d’abord des jeux, ayant, par ailleurs, des qualités pédagogiques. » (Ferran, Mariet et Porcher, 1978, p. 73-74).

Comme le soulignent les auteurs de L’école du jeu, le jeu est un support qui ne manque pas d’intérêt en classe de FLE, mais dont l’utilisation requiert un savoirfaire. Avant de proposer un jeu en classe, il convient de s’interroger sur la pertinence du jeu en fonction de la progression d’apprentissage, des objectifs visés et de la place qu’on souhaite le voir prendre dans l’unité didactique, afin de lui apporter les modifications nécessaires pour faire de ce jeu une activité ludique motivante.

Au vu des avantages que représente le jeu, il serait regrettable toutefois que les enseignants ne puissent s’en emparer, faute d’une formation adéquate.

Il serait sans doute opportun que des liens s’opèrent entre les universités en charge de la formation initiale des enseignants et les organismes en charge de leur formation continue. Le cloisonnement entre les deux formations limite les échanges entre des professionnels débutants, ayant souvent une bonne formation théorique, et des professionnels qui bénéficient d’une grande expérience de terrain. Le décloisonnement favoriserait sans nul doute le transfert de connaissances et de compétences et alimenterait la réflexion de ceux qui se lancent dans la conception de matériel pédagogique.

Il participerait également à mieux répondre aux besoins des enseignants de langues sur le terrain.

On peut donc supposer qu’un rapprochement entre l’université et les centres de formation continue permettrait d’améliorer la qualité des formations (initiales et continues) et contribuerait fortement à la professionnalisation de l’agir professoral qui donnerait une meilleure attractivité au métier d’enseignant de FLE.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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