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Isabelle Gruca et Enrica Galazzi

Isabelle GRUCA

Université Côte d’Azur

Avant tout, je tiens à dire combien je suis émue de participer à ces journées particulières et à dire aussi combien je suis honorée de présider une session du colloque organisé en hommage à Louis Porcher que je considère, après et avec bien d’autres, comme un des maîtres fondateurs de notre discipline, à l’origine même de la création du champ de la didactique du français langue étrangère (FLE).

Je voulais mettre, en exergue, une citation de Louis Porcher pour tenter de résumer sa pensée. Je n’ai pas réussi à en trouver une, mais mille, toutes plus pertinentes les unes que les autres, et du coup, j’ai abandonné l’idée, car je la trouvais trop réductrice. Mais en re-parcourant ses écrits, j’ai été frappée, une nouvelle fois, par l’éclectisme – au sens philosophique du terme – de sa pensée et par son regard visionnaire : ses réflexions ont non seulement marqué l’histoire du champ, mais ont aussi anticipé les besoins sociétaux, créant de nouvelles perspectives de recherches pour notre époque actuelle. Louis Porcher est toujours parmi nous et les générations futures se nourriront encore très longtemps de sa pensée.

J’ai beaucoup « fréquenté » Louis Porcher de manière livresque depuis la décennie 1980 et ce sont ses ouvrages, ainsi que quelques autres parmi les grands noms du champ, qui m’ont formée en tant qu’enseignant-chercheur. Lorsque je l’ai rencontré pour la première fois, j’étais très émue et intimidée, mais immédiatement il m’a considérée comme une paire ! Je me souviens que notre échange a porté sur le rôle que pouvait jouer la littérature dans le dialogue interculturel que permet l’enseignement-apprentissage des langues étrangères. Par la suite, nos échanges se sont bien diversifiés, mais le culturel avait souvent la primauté.

Enrica GALAZZI

Université catholique de Milan

J’ai eu le privilège d’être considérée par Louis Porcher comme quelqu’un de sa famille, il nous a pratiquement adoptées ma famille et moi, grâce à ma longue amitié avec Élisabeth, son épouse, ce qui m’a permis de le voir évoluer dans son milieu le plus intime. Nous sommes restés des journées entières et des soirées à discuter et on ne voyait pas le temps passer. Je l’interrogeais sur ses expériences multiples aux

États-Unis, aux cours d’été de Middlebury, en Suisse (Eurocentres), au Conseil de l’Europe, au CRÉDIF… Je lui demandais conseil pour mes recherches. Il m’a fait l’honneur d’un avant-propos « La jeunesse de l’autrefois » à l’ouvrage Les sons à l’école, publié en 2002. Il aimait revenir sur le passé et parler de ses anciens doctorants, dont beaucoup participent à ce colloque. Il rappelait les rencontres avec ces jeunes, leurs travaux de thèse, leur carrière qu’il suivait avec attention ; il n’oubliait pas les personnalités qui avaient marqué sa vie, sa réflexion. Il évoquait les dérives du FLE… Il m’encourageait à lire Bourdieu, Bachelard, de Certeau, Canguilhem, Lévinas…

Son cerveau travaillait très vite. Sans pratiquement sortir de son bureau, il était au courant de tout ce qui se passait dans le monde. Son esprit critique toujours en éveil portait un regard lucide, parfois désabusé (mais souvent amusé) sur notre petit monde académique. Fils d’instituteurs, il était fortement engagé dans la formation et dans l’éducation des futurs citoyens qui lui tenaient particulièrement à cœur. En fait, il aimait beaucoup les jeunes. Sous une carapace qui ne trompait pas ceux qui le connaissaient de plus près, il cachait beaucoup de tendresse pour les jeunes générations.

De cette situation « dans la marge » qu’il avait délibérément choisie, il suivait de près les changements de notre société, les évolutions incontournables liées aux nouvelles technologies. Un des derniers livres qu’il lisait, Petite Poucette de Michel Serres dont on avait discuté ensemble, est resté ouvert sur son bureau…

Je me suis rendu compte, au cours de ce colloque qui lui est dédié, qu’il a ouvert de nombreuses pistes : ce qu’il a écrit est très moderne. Pourtant, il n’a pas été assez lu, en tout cas en Italie, mais sans doute en France non plus. Est-ce à cause de son irrespect des frontières déjà évoqué, car quand on est dans le pluridisciplinaire on a du mal à se faire écouter, tout au moins en Italie. Peut-être était-il né trop tôt… Je dirai que Louis Porcher était ancré dans le futur, projeté dans le futur mais avec un regard toujours attentif et respectueux pour ceux qui nous ont précédés et pour les racines de notre champ disciplinaire. La connaissance de l’histoire nous aide à comprendre ce que nous sommes aujourd’hui.

Si je devais définir en quelques mots ce qui m’a davantage marquée, en plus de ses énormes capacités de réflexion et de synthèse, je rappellerai sa mémoire exceptionnelle, peu commune : il n’oubliait jamais rien. Il me disait souvent : « Comment, je t’ai dit ça il y a 3 mois, tu as déjà oublié ? »

Nous avons partagé les bons livres, les bons restaurants, les bons mots, les bonnes blagues. Car il avait beaucoup d’humour : j’ai encore dans les oreilles l’écho de son rire franc. Élisabeth et moi n’étions pas toujours bon public (« trop lentes à la détente », disait-il !). Heureusement mon mari était là pour rire de ses jeux de mots et de ses boutades.

Je terminerai en rappelant que, passionné de romans policiers, Louis Porcher avait écrit avec Louis-Jean Calvet un roman policier intitulé À la Sorbonne vôtre qui n’a jamais été publié. Car dans l’écriture, comme en amitié, il était exigeant. Exigeant mais fidèle ainsi que le sont tous ceux qui assistent à ce colloque qui lui est dédié, nombreux encore, pour rendre hommage à sa mémoire et lui dire notre gratitude.

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