N° 03 | MAI 2009 |
Paul Andreu l’équerre et la plume musée de cluny GESTES de beauté Hokkaido grandeur nature Pascal Bruckner CRISE de conscience
isabelle HUPPERT mADAMe la présidente Supplément au Monde n° 19993 daté jeudi 7 mai 2009 | Ne peut être vendu séparément
Rencontre
LE MONDE
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LE MONDE
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Andreu
aul Andreu habite rive gauche, à Paris. Un appartement vaste, clair et classique. Ce n’est pas ce qu’on appelle aujourd’hui un « appartement d’architecte ». Il ne ressemble pas à ces lieux extravagants que l’on visite en feuilletant les pages des magazines de décoration. Non, ici tout semble « normal », ni outré ni ostentatoire. Une belle lumière parisienne baigne cette habitation simplement faite pour y vivre confortablement. La pièce dans laquelle Paul Andreu reçoit est toute blanche, évidente… Les moulures caractéristiques des appartements bourgeois sont encore en place tout comme les petits vitraux géométriques de la fenêtre de l’entrée. Les œuvres d’artistes contemporains – beaucoup sont des amis de l’architecte – donnent au lieu une énergique modernité. Il y a chez cet homme célèbre, couvert d’honneurs et de récompenses, une grande retenue. Sa pensée et son propos sont limpides, mais souvent ses phrases restent en suspens, inachevées, comme pour donner aux mots prononcés le temps de s’installer et de prendre leur sens.
Vous êtes un architecte célèbre ; que représente pour vous le fait d’être académicien ? Question terrible ! D’abord, c’est un honneur. Dans le cursus d’un bon élève, d’un artiste méritant, d’un universitaire, l’appartenance à l’Académie des beaux-arts relève de la reconnaissance d’un mérite et, en même temps, de la sublimation de tout ça. Ensuite, bien sûr, la question que chacun se pose c’est : « Et, mon Dieu, pour quoi faire ? » Mis à part ce costume extrêmement agréable et élégant, bien qu’un peu contraignant – honnêtement, on ne le mettrait pas pour pique-niquer –, on se demande toujours si ces académies remplissent leur rôle et quel est-il exactement.
Et ? Ce pourrait être un cercle où les gens viendraient se rencontrer, parce que, effectivement, il est bon que les artistes se rencontrent. Mais il est quand même dommage de ne voir que les gens de son académie. Moi, j’aurais envie de voir des scientifiques, des gens de sciences morales et politiques… Il me semble que les séances devraient être bien plus agitées. Le rôle d’une académie n’est certainement pas de fixer les règles du bon goût et de créer l’académisme. D’ailleurs, l’académisme existe depuis toujours, et il est au-delà des académies. Je pense que le rôle des académiciens devrait être d’aider les autres à créer ; modestement, non pas en leur disant ce qu’il faut faire ou en leur donnant des conseils, mais en favorisant les conditions de la création. Je pense que l’Académie des beaux-arts devrait s’intéresser à la possibilité de créer dans ses domaines et elle ne le fait pas toujours. Voilà l’euphémisme du jour.
Vous venez de publier La Maison, qui ne ressemble pas aux ouvrages que vous avez écrits jusqu’ici sur votre travail. Non, ce livre-là est beaucoup plus intime. C’est un texte dont j’avais une vague idée. Je voulais que le personnage principal soit cette maison. Mais comment écrit-on un roman dont le héros est une maison ? Je n’en savais rien, mais, en revanche, je savais que je ne décrirais ni le sol, ni le plafond, ni la cave. J’ai simplement commencé. Et j’ai continué… Ce qui me guide avant tout, ce sont les mots ; la découverte des mots que je rassemble d’une manière qui me plaît.
D’où vient ce désir de raconter votre enfance ? Ce n’est pas l’histoire de mon enfance. C’est juste un prétexte à écrire, à faire… Il y a une chose que j’adore, c’est la vérité par le mensonge.
l’équerre et la plume
architecte reconnu dans le monde entier, membre de l’académie des beaux-arts, ce bâtisseur vient de publier « la maison ». écrit à la première personne, ce roman, dont le héros est l’habitation familiale, compose une juxtaposition de moments, d’émotions, d’impressions. ces fragments « qui font sens » racontent l’histoire du début d’une vie. Anne-Line Roccati
GÉRARD UFÉRAS
Rencontre
Paul
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Le « mentir-vrai » d’Aragon ? Oui. La littérature, c’est le mensonge vrai, qui fait du sens et qui, du coup, prend un caractère transmissible. Je peux raconter des tas de choses sur ma jeunesse, elles n’ont peut-être pas d’intérêt sauf si l’ensemble résonne d’une certaine manière. De ce point de vue, la littérature se rapproche de la peinture, de l’architecture. La maison, ce sont des fragments qui s’articulent entre eux et qui finissent par faire une image. Ce livre reste un livre d’architecte. Dans le déroulement du récit, on voit bien comment l’espace intervient dans la vie des résidents. Oui, sans doute. On n’évite pas d’être soi. Comment faire autrement ? J’ai été architecte toute ma vie.
Vous êtes ingénieur aussi. Je suis ingénieur, mais je suis avant tout un scientifique. Ce que j’ai aimé par-dessus tout dans ma jeunesse, ce sont mes études scientifiques. Ce qui m’a libéré, totalement et intellectuellement, c’est d’avoir été reçu à l’École normale supérieure, même si, après, je n’y suis pas allé, pour des tas de raisons… C’est comme si j’avais grimpé l’Himalaya. C’était vraiment un achèvement, au sens anglais du terme.
Mais pourquoi ? Parce que je trouve ça beau. Parce que j’aime les raisonnements, j’aime la physique, toujours en mouvement, toujours en transformation. J’aime cette vérité provisoire dont toute une commu nauté convient en vertu de règles communes. Ensuite, les arts m’ont plu parce qu’il y avait la même communauté mais sans aucune règle. J’ai vécu toute ma vie avec ce sentiment que, entre scientifiques et artistes, il n’y a presque pas de distance dans leur manière d’être, dans leurs intuitions absolues suivies d’exécution, de travail, de démonstration. Au fond, les uns et les autres travaillent par intuition. Ils se disent : « Là il y a quelque chose », sans forcément savoir exactement quoi.
Mais les artistes nous font entrevoir ou sentir leur monde particulier. C’est un chemin individuel. Les sciences, comme vous le disiez, rassemblent une communauté autour de certitudes qui parfois se révèlent fausses… C’est la grande différence. Il y a une convention entre les scientifiques qui dit qu’on doit apporter quelque chose de l’ordre de la démonstration, qui est codifiée d’une certaine
Comment écrit-on un roman dont le héros est une maison ? Ce qui me guide avant tout, ce sont les mots ; la découverte des mots que je rassemble d’une manière qui me plaît.
anière. On a démontré, c’est précis. C’est une vérité m transitoire, tout le monde en convient. Mais au fond, qu’est-ce qui plaît à un physicien ? C’est que cette certitude soit mise en péril. S’il a le sentiment que le phénomène qu’il observe est contraire à tout ce que disent tous ses collègues, il est fou de joie ! Et c’est là son ressort : trouver de l’inconnu. Je ne comprends pas toujours les scientifiques ; je lis leurs ouvrages, mais ça ne veut pas dire que je les comprends. Mais il me reste cet appétit d’inconnu.
Et que représente pour vous l’architecture ? C’est avant tout la fonctionnalité et la construction. Une architecture qui n’est pas fonctionnelle, c’est peutêtre de la super sculpture, mais pour moi, c’est surtout un objet vague et douteux. Le propre de l’architecture est de s’occuper de l’espace à habiter, de la construction et de l’économie qui va avec – l’argent est au cœur de l’architecture. Donc, il ne faut pas se libérer de la fonction. Mais il ne faut pas en être esclave. Certains bâtiments trop étroitement fonctionnels sont dépassés à peine construits. Un bâtiment va, durant sa vie, changer d’utilisateur et d’utilisation. Il faut qu’il ait cette possibilité d’évoluer sinon, à terme, il est voué à disparaître. L’architecture est au-delà, c’est finalement la poésie de l’espace et du volume. C’est une création faisant apparaître au monde quelque chose de neuf qui le complète, même si c’est extrêmement orgueilleux de le dire ainsi. Tous les artistes complètent le monde. L’architecture le fait aussi.
L’architecte comme artiste ? Oui. De plus, comme il est tenu d’obtenir des budgets, il est obligé de réfléchir à son propre travail pour son œuvre. Je crois qu’un créateur cherche toujours une chose jamais vue, inouïe, qui vaut par sa valeur universelle et pas seulement comme un bourgeonnement de l’ego.
Aujourd’hui, dans les grandes villes du monde, les constructions, les bâtiments sont « griffés ». Ils s’affirment comme des monuments, des œuvres uniques, peut-être au détriment de l’urba nisme. Effectivement, c’est la tendance actuelle. amais les architectes n’ont été aussi près des stars. J Ces objets individuels, séparés, brillant à des distances infinies dans le ciel, ça peut les entraîner à voir très grand, avec la bénédiction de leurs clients car, aujourd’hui, la plupart exigent que vous produisiez des icônes. « Ce bâtiment doit être “iconique” » vous répètent-ils… Ça m’amuse énormément ! Mais j’insiste : l’architecture est faite pour être habitée, pour répondre à une économie, et on l’oublie trop souvent. Ceci dit, dans l’histoire de l’urbanisme et de l’architecture, il y a un va-et-vient continuel entre le bâtiment singulier et l’accompagnement ; entre l’ordinaire et l’exceptionnel. Selon les périodes, il y en a un qui prend le dessus.
Selon les périodes… Vous voulez dire, suivant les politiques ? Surtout suivant les architectes. Frank Lloyd Wright faisait son bâtiment et ne s’occupait de rien d’autre. Il pouvait le poser à cinq mètres d’un
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regards en face
Issu de l’école allemande, le photographe Albrecht Fuchs est réputé pour ses portraits de personnalités artistiques. Pour « M », des célébrités se sont prêtées au jeu du mélange entre art et mode. Ses clichés, sobres et élégants, posent un regard à la fois intime et distant sur ses modèles. Albrecht Fuchs RÉALISATION Spela Lenarcic-Spinoza
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Pierre Carron, peintre Costume Académicien ; montre homme marine en acier, Breguet.
lbrecht Fuchs est alleJean-Charles Blais, mand, et on peut se depeintre mander si c’est une Veste en laine et mohair chance. Car la grande marine, Hermès ; chemise majorité des photograen lin blanche, Hermès ; phes qui viennent de ce jeans noirs, Energie ; pays, du moins ceux ceinture en cuir noire, que l’on voit à l’étranGiorgio Armani ; chaussures ger, ont adopté un style en cuir noires, Emporio presque caricatural. Ce Armani ; bijoux (personnel). style est un mélange de plusieurs ingrédients : images statiques, frontalité du point de vue, précision optique, couleurs métalliques, distance froide avec le motif, tirages souvent de grand format, images réunies en séries et non isolées. Les sujets ? Vues urbaines, portraits, architecture. Plutôt la ville que la campagne, l’industrie que l’agriculture, la consommation que l’errance poétique. Bref, on contemple, on se recueille, on ne rigole pas. Du pur sérieux. La biographie d’Albrecht Fuchs, né en 1964, le rapproche un peu plus de cette tradition autant prestigieuse que pesante. Il est originaire de Bielefeld, à deux pas de la région industrielle de la Ruhr et de villes comme Cologne, Essen, Düsseldorf, qui ont vu passer tout ce que la photographie allemande a de célébrités. Il vit et travaille à Cologne et réalise surtout des portraits. La référence est encore plus pesante. C’est la ville d’August Sander, à qui l’on doit une sorte de portrait de la République de Weimar à travers des milliers de visages classés en typologies, métiers, activités, qui est sans doute aussi l’un des trois plus grands portraitistes de l’histoire avec Félix Nadar et Richard Avedon. Fuchs a fait ses études à Essen, une ville historique de la photographie par son école mais aussi son musée Folkwang qui possède des trésors. Il a enseigné, entre 2006 et 2008, à l’Académie des Beaux-Arts de Düsseltout le bien qu’il pensait dorf, considérée comme la plus impor- Il instaure une des images claires et ditante école de photographie au monde : distance rectes de Fuchs. nombre de célébrités de l’image fixe y D’autres artistes im sont passées, comme Bernd et Hilla intimidante avec portants ont été photoBecher, Andreas Gursky, Thomas son modèle alors graphiés par Fuchs : Struth, Thomas Ruff, Candida Höfer, même que la Lawrence Weiner, Mike Axel Hütte, autant de noms que les prise de vue est musées du monde entier aiment et Kelley, John Baldessari, le résultat d’une Sigmar Polke, Richard dont les prix en salle de vente affolent collaboration Prince, Jonathan Meese, le marché de l’art. Généralement, quand on veut sortir avec celui-ci. Ed Ruscha, Matthew Barney, Paul McCarthy… d’un moule et d’une tradition histo Certains sont des bêtes rique, on a peu de chance d’exister. de scène, mais d’autres Albrecht Fuchs est moins connu que sont rétifs devant l’appareil. Citons tous les noms cités plus haut. Mais il existe et avec encore la comédienne Isabella Rossellini élégance. Ses images citent les repères esthétiques ou le musicien Ennio Morricone, ce qui et photographiques de son pays, mais elles prennent élargit la palette. des libertés avec cette école documentaire que l’on a appelée « objective » ou « néo-objective ». Après avoir beaucoup regardé ses portraits, on pourrait définir ainsi l’oriLa tradition d’abord. Ses portraits en couleur, sans ginalité d’Albrecht Fuchs : il instaure une même que l’œil ne cherche à identifier les visages, évoquent cette école allemande par leur sobriété. Il distance intimidante avec son modèle alors même que la prise de vue est le place souvent le modèle au centre du cadre, lui résultat d’une collaboration avec celui-ci, demande de fixer l’objectif sans sourire, et basta. Ce notamment dans sa façon de poser. D’où n’est pas de la fadeur, plutôt un refus de l’esbroufe, l’impression de faire face à des images de l’ornementation, des effets, du sentiment facile. familières sans familiarité. Des gens loinPas de connivence avec la personne photographiée. tains et accessibles à la fois, aussi natuFuchs ne veut pas séduire son modèle ni le rendre rels qu’un costume qui tombe bien. séduisant. Il reste à sa place, ne fait pas le malin, Cette ambivalence renvoie au statut contrairement à la plupart de ses confrères qui veud’Albrecht Fuchs. Il est tout-terrain. lent épater le client et le spectateur – profil avantaMoins repéré jusqu’à présent dans le geux ou inédit du modèle, angles dynamiques, poses monde de l’art que ses illustres compafarfelues, décor inattendu, objet paradoxal ou famitriotes, il est quand même représenté lier qui pimente le modèle. Rien de tout cela chez par trois galeries : à Cologne (Michael Albrecht Fuchs, respectueux du climat élégant qui entourait les portraits d’August Sander. Wiesehöfer), à New York (Mireille Mosler), à Knokke-Zoute, en Belgique (Stephane Simoens). Mais il est beaucoup plus présent que ses confrères dans le monde de la presse, répondant à des comMais à regarder de plus près ses portraits, on voit mandes de revues d’art mais aussi de prestigieux bien que Fuchs a pris des libertés avec le dogme. Les suppléments de quotidiens allemands (Zeit Magazin, couleurs sont chaudes, les lumières parfois sombres. SZ Magazin, FAZ Magazin…). Les poses sont libres et variées. Souvent, nous sommes Dans la série que nous publions, on retrouve des chez les personnes, dans leur atelier ou dans la rue. personnalités estimables. On perçoit bien une Comme s’il avait extrait quelques secondes ces perdominante cinéma – Tsai Ming-liang, Chantal Akersonnalités de leur univers. Et puis, il y a l’identité des man, Isabelle Huppert, Charlotte Rampling, Julie modèles. La plupart sont des artistes, ou alors des Gayet, Nicole Garcia, Jalil Lespert, Claire Denis – gens de culture. Des personnages qu’il apprécie ou mais qui va au-delà des noms cités, et qui colle à la respecte. Un photographe qui aime autant la compapériode puisque le Festival de Cannes pointe son gnie des créateurs ne peut pas être foncièrement nez. Sinon, l’ensemble hésite entre la série de mode mauvais. Surtout quand on sait en quelle compagnie et l’instantané amical. Que signifie par exemple ce est née cette passion. Il s’agit de l’Allemand Martin portrait de Gabriella Wright, comme en lévitation Kippenberger (1953-1997), un des artistes les plus déjantés et brillants de la fin du xxe siècle, qu’il a devant une verrière et un fond étrange, le regard absorbé, entre inquiétude et sérénité ? Pas de réaccompagné en plusieurs endroits à partir de 1995, ponse. Peu importe. Ce statut flottant, ambigu, est notamment au Canada. Fuchs suggère qu’il a pu être bien sa marque. n Michel Guerrin inspiré par Kippenberger, qui a lui-même exprimé
Un photographe tout-terrain
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Oda Jaune, peintre Robe bustier en crêpe noire, Giorgio Armani ; collier diamants légers, Cartier.
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William Nadylam, comédien et réalisateur Veste longue noire coton et soie, Versace ; chemise en coton blanche, Brioni ; pull cachemire et laine gris, Benetton ; pantalon en velours noir, Rick Owens ; derbys en veau box anthracite, Zilli ; montre Carrera Day Date acier noir, Tag Heuer ; bijoux (personnel). Maïwenn, comédienne et réalisatrice Veste rebrodée en denim noire, Balmain ; chemise en coton blanche, Carven ; leggins Stretch noirs, Repetto.
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Jalil Lespert, comédien et réalisateur Veste en coton noire, Dolce & Gabbana ; chemise en popeline de coton blanche, Louis Vuitton ; jeans bleus, Diesel ; montre Vintage Rolex (personnel) ; bijoux (personnel) ;
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Claire Denis, réalisatrice Tailleur pantalon et veste en soie noir, Gucci ; chemise en lin blanche, Hermès ; escarpins en cuir vernis noirs, Christian Louboutin ; montre Première en acier, diamants et céramique noire, Chanel Joaillerie ; collier Victoire de Castellane pour Dior (personnel).
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Élodie Bouchez, comédienne Robe bustier en crêpe de chiffon fuchsia, Christian Dior ; bracelet Love ouvert en or gris, un diamant, Cartier. Kim Chapiron, réalisateur Chemise en jersey de soie noire, Yves Saint Laurent ; pantalon en faille de soie noir, Prada ; bijoux (personnel).
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Chantal Akerman, réalisatrice Chemise en chiffon satin de soie noire, Kris Van Assche ; pantalon masculin en coton noir, Comptoir des Cotonniers ; ballerines en cuir noires, Repetto ; collier Mimioui fait sa précieuse, or blanc et diamants, Dior Joaillerie ; bijoux (personnel).
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Julie Gayet, comédienne Veste de smoking en grain de poudre de laine, Kris Van Assche ; pantalon avec minijupe noire en satin et grain de poudre de laine froide, Kris Van Assche ; bague Engagement or blanc, pavée diamants taille princesse, Poiret. Au sol : Escarpin cuir noir, Pierre Hardy ; escarpin cuir noir, Hermès ; bottine cuir noire, Kris Van Assche.
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Tsai Ming-liang, réalisateur Blazer tissu et mohair noir, Prada ; tee-shirt en jersey blanc, Prada ; jeans bleus (personnel). Grégoire Colin, comédien Veste en crêpe de laine noire, Dior Homme ; chemise en popeline de coton blanche, Dior Homme ; pantalon en crêpe de laine noir, Dior Homme ; richelieus en veau noirs, Hermès ; montre Day Date or gris, Rolex.
Anna Mouglalis, comédienne et réalisatrice Manteau en organza noir, Chanel ; débardeur satin et dentelle noir, Vannina Vesperini ; sandales en cuir vernis noires, Pierre Hardy ; collier plastron recouvert de pierres noires, Chanel.
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Charlotte Rampling, comédienne Veste de crêpe de soie noire détails satin, Yves Saint Laurent ; chemise de coton blanche, Brioni ; pantalon en crêpe de laine noir, Hermès ; escarpins noirs, Walter Steiger ; bracelet et bague perlée en or gris et diamants, pendentif Romance à Paris, Van Cleef & Arpels.
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Nicole Garcia, comédienne et réalisatrice Veste et pantalon de smoking en laine, grain de poudre et satin noirs, Anne Valérie Hash ; chemise en popeline de coton blanche, Dior Homme ; sandales noires, Jimmy Choo ; collier, ligne composée de diamants forme poire et bague composée d’un diamant forme poire, Harry Winston.
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Roxane Mesquida, comédienne Robe fuchsia en taffetas de coton et soie, Lanvin ; pendentif Crown Key, Tiffany & Co.
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Latitudes
Page de gauche : La mer d’Okhotsk, au nord d’Hokkaido, transporte les vents de Sibérie sur les rivages du parc national de Shiretoko. Ci-dessous à gauche : Les voyageurs en gare de Kawayu prennent un bain de pieds dans une source d’eau chaude en attendant le train de la ligne Senmo. Ci-dessous à droite : Le port de Kushiro, sur le Pacifique, est réputé pour la qualité de ses poissons vendus sur les étals du marché Washo.
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Hokkaido, grandeur nature
Au nord du Japon, entre l’île principale de Honshu et la Sibérie, flotte une terre à mille lieues de l’image que l’on se fait des cités nippones. La nature d’une beauté intacte y est reine, entre mers, lacs, rivières, montagnes et forêts où il n’est pas rare de croiser un ours. Jean-Luc Toula-Breysse
L
Éric RECHSTEINER
es esprits de la nature veillent sur les sentes étroites du bout du monde. À des rizières des mégalopoles, les soupirs de la brise, le fracas des cascades étourdissent les habitants du grand est d’Hokkaido. En ce Japon des marges, tel un idéogramme posé sur l’écume d’eaux généreuses, Hokkaido, la plus septentrionale des quatre grandes îles du pays, deuxième par sa superficie, est entourée de la mer du Japon, de l’océan Pacifique et de la mer d’Okhotsk. Sur son littoral, la parole de l’héroïne du documentaire Le Mystère Koumiko (1965) de Chris Marker prend sens : « L’esprit japonais, c’est d’abord… l’air mouillé. » Même si la région ne subit pas la saison des pluies. Ici, les embruns balaient les côtes. Les vents sibériens s’engouffrent à l’intérieur de l’ancien territoire des Aïnous, population autochtone de l’archipel. Séparée de l’île principale, Honshu, par le détroit de Tsugaru, Hokkaido fut longtemps considérée comme une « île sans mémoire », une « île isolée ». Jusqu’au jour de l’inauguration du tunnel ferroviaire de Seikan. Le projet de creuser un ouvrage sous la mer pour relier les deux terres était la volonté des dirigeants japonais depuis le terrible naufrage d’un ferry faisant, en septembre 1954, plus de mille victimes. Le plus long tunnel sous-marin au monde s’étirant sur près de 54 kilomètres sort de ce chantier le 13 mars 1988. Une étape supplémentaire à la conquête de l’Est. Par-delà ce détroit, barrière naturelle de la flore et de la faune, Hokkaido abrite six parcs nationaux. De Sapporo, la capitale régionale, les trains Tokachi 3 puis Super Ozora 5 mènent à la lisière orientale de l’île. Les agitations urbaines s’estompent. Les pieds dans l’océan Pacifique, Kushiro, premier port de pêche au Japon à l’ère Showa (19261989), réputé pour la qualité des poissons et crusta
cés capturés dans ses flots féagréable », reconnaît monsieur conds, demeure une halte Masahiro Wada. Quand il ne gourmande avant la randonnée. dirige pas son hôtel, tenu par Son marché central, Washo, où sa famille depuis 1916, ce cuisiil est bon de prendre un petit nier de formation photographie déjeuner des plus iodés, regorau fil des saisons le marais et ge de crabes, coquilles Saintses résidents. Ardent défenseur Jacques, saumons, et de shisha de son village, Tsurui, fromamo, une variété d’éperlans ger à ses heures et fier de son introuvable ailleurs. Une fraî- Ici, les embruns balaient camembert, il tente aussi d’excheur qui ferait pâlir les meil pliquer à ses voisins agriculles côtes. Les vents teurs qu’il faut mettre en leurs mareyeurs du marché de sibériens s’engouffrent Tsukiji à Tokyo. valeur les qualités des produits À Hokkaido, il n’y a pas de à l’intérieur de l’ancien locaux. Conscient de son cadre train à grande vitesse. À partir territoire des Aïnous, de vie exceptionnel, ce passionde Kushiro, le tortillard de la né prône le respect de l’écosyspopulation autochtone ligne Senmo, une simple voitème. Les plus jeunes l’ententure, serpente sur un chemin de l’archipel. dent. Le parc national apparaît de fer à voie unique. Les paysacomme un éden de la vie sauges défilent lentement. Le vage. Écureuils, grenouilles, temps de voir une faune peu farouche. Voilà le parc salamandres, serpents et insectes cohabitent avec national Kushiro Shitsugen, reconnu en 1987 comme près de 170 espèces d’oiseaux. À Onnenai, l’un des le sanctuaire des grues et des oiseaux migrateurs. centres pour les visiteurs et point de départ pour une La grue du Japon, tancho, symbole de paix, d’harmopromenade pédestre, le maître et gardien des lieux, nie et de longévité, quand elle n’est pas le motif monsieur Koichi Wakayama, ne se lasse pas d’expliimprimé sur les kimonos de mariage, lisse majesquer l’équilibre fragile des marécages. De l’autre côté tueusement son plastron dans les marais avant de du parc, de l’observatoire Hosoka aménagé pour proprendre son envol. Un spectacle sans pareil. fiter du paysage, les amoureux de la nature, spécialement à l’heure du soleil couchant, contemplent la rivière et au loin les montagnes d’Akan. Le train qui monte de Kushiro à la petite plaine Ces échassiers blancs à crête rouge, oiseaux côtière d’Abashiri s’arrête à la gare de Shiretoko aujourd’hui sédentarisés, reviennent de loin. Dans Shari. De là, il faut rejoindre le village portuaire les années 1950, seule une trentaine étaient dénomd’Utoro pour pénétrer dans le parc national de brés. Grâce à des associations protectrices et à des Shiretoko, littéralement « fin de la terre » en langue particuliers qui leur déposent de la nourriture en aïnou. Inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco hiver, plus de mille sujets ont été recensés en 2006. depuis juillet 2005, le site est éblouissant. Massifs C’est là que Jacques Perrin est venu réaliser des montagneux, lacs, falaises abruptes et forêts primaiscènes de son film Le Peuple migrateur (2001), notamres composent d’impérieux panoramas. Lichens et ment la parade de séduction d’un couple ailé. « Être fougères tapissent les sous-bois. Dans le matin des dans les marécages sans rien faire, c’est vraiment montagnes, cerfs, renards et aussi espèces en voie de
L’éden de la vie sauvage
Le dernier mot
LE MONDE
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crise de conscience
par Pascal Bruckner
Pascal Bruckner, né en 1948, essayiste et romancier, est un intellectuel critique de la modernité et de ses mœurs. Sa carrière commence dès la fin des années 1970 dans le sillage des recompositions de la « nouvelle philosophie » et de la culture « antitotalitaire ». Après avoir été notamment coauteur avec Alain Finkielkraut du Nouveau Désordre amoureux (1977), il publie trois livres importants qui l’imposent comme penseur indépendant : Le Sanglot de l’homme blanc, une relecture du tiers-mondisme ; La Mélancolie démocratique (1990), réflexion sur un régime triomphant mais désormais sans ennemi après la chute du communisme ; et La Tentation de l’innocence (1995) qui stigmatise la « correction politique » importée des ÉtatsUnis. L’un des ses romans, Lune de fiel (1981) a été adapté au cinéma par Roman Polanski. Il a été l’un des membres fondateurs du comité Vukovar-Sarajevo. Lauréat du prix Médicis « Essai » en 1995, il obtient le Renaudot en 1997. En 2002, il s’est vu décerner celui du meilleur livre d’économie pour Misère de la prospérité (Grasset). Son dernier ouvrage, La Tyrannie de la pénitence, est paru chez Grasset en 2006.
qu’est-ce que la crise économique va changer ou a déjà changé dans notre façon de penser, de consommer ? contrer la logique du profit revient-il à revenir à l’âge de pierre dans un acte désespéré de contrition ou au contraire à se servir des potentialités d’aujourd’hui pour inventer un nouvel art de vivre où le vrai luxe ne serait pas l’argent ?
Pages coordonnées par Nicolas Weill
est une manifestation de sagesse. Rester calme en période de chaos, c’est se donner les moyens intellectuels de la traverser et éventuellement de la juguler. Notons d’ailleurs une double réaction contradictoire des opinions publiques : prudence et épargne des uns, dilapidation des autres qui dépensent tout en attendant l’abîme. Gestion anxieuse du futur, jouissance panique de l’instant.
La passion de la contestation
l y a près de onze ans, deux pontes de Wall Street *, analystes financiers, publiaient un livre mi-roublard, mi-provocateur où ils invitaient leurs lecteurs à « mourir fauchés » : payez comptant, déchirez vos cartes de crédit, évitez les achats compulsifs, ne manifestez aucune loyauté envers votre entreprise, ne partez pas à la retraite, distribuez vos biens à vos enfants tant qu’ils sont jeunes. Et faites un chèque en bois aux pompes funèbres pour votre enterrement ! Contrition de surface ou désenchantement réel vis-à-vis du système, plaidoyer pour une existence plus épanouie, moins asservie à la convoitise artificielle ? Un tel ouvrage, même s’il parut à l’époque un canular, semble aujourd’hui prémonitoire. Innombrables sont ceux qui, depuis des décennies, mettent en application de tels mots d’ordre, acceptant de gagner moins pour vivre plus, s’exilant à la campagne, refusant les contraintes de l’automobile, du consumérisme, s’installant en petites unités de production autonomes, bref, contestant que l’existence authentique soit syno nyme d’avantages matériels et monétaires sans fin et appelant à un art de vivre fondé sur ce que les siècles passés nous ont légué de meilleur. Reste que la dépression actuelle est, pour beaucoup, l’occasion de remettre en musique le vieil idéal ascé tique. Entendez la longue cohorte des cafards, des bigots, à droite et à gauche, qui nous prêchent sur tous les tons la nécessité du repentir. Ils fustigent l’insouciance coupable de nos concitoyens qui partent en vacances, vont au cinéma, surfent sur l’ordinateur, sortent et s’amusent alors qu’ils devraient se couvrir la tête de cendres. Maintenant que la fête industrielle est finie et que le capitalisme meurt de sa propre victoire, il est temps de se serrer la ceinture, de revenir à la lampe à huile et à la carriole à cheval. Vous jouissiez hier, maintenant expiez ! Il semble, au contraire, que le sang-froid de nos compatriotes, en dépit des souffrances endurées,
Autre rengaine : nous vivrions les derniers soubresauts de l’économie de marché. Mais la crise du système capitaliste, c’est d’abord la crise de sa contestation : on est soufflés par l’absence de propositions concrètes des révolutionnaires professionnels et autres néobolcheviques. Hormis la soviétisation intégrale du pays, avec punition publique des entrepreneurs, ils n’ont rien à offrir. Collectivisme et camps de rééducation. L’anticapitalisme n’est pas un projet, c’est une passion qui peut enflammer un jeune homme épris d’idéal, qui peut tirer de la naphtaline de vieux intellectuels staliniens, mobiliser des militants soucieux d’en découdre avec l’ordre établi. Mais c’est la passion d’être contre, tout contre ; on met à s’acharner contre le libéralisme une délectation qui se suffit à elle-même. C’est une posture intel lectuelle de vitupération comme si, des anciennes prophéties, on n’avait gardé que le goût de la malédiction. Le pire tour que le marché pourrait jouer à ses détracteurs serait de disparaître ! Ils se retrouveraient du jour au lendemain au chômage. Cette culture de l’anathème est d’ailleurs propre à certaines élites européennes alors que Nord-Américains, Chinois, Indiens, plus pragmatiques, préfèrent mobi liser les bonnes volontés pour sortir de la spirale destructrice. Que ce qui suivra le krach soit du postcapitalisme ou du néosocialisme n’a aucune importance, pourvu qu’y soient assurés la production des biens, leur redistribution plus équitable et un meilleur respect de la planète. On se retrouve dans la situation de désarroi du xixe siècle moins les espé rances de dépassement de la société bourgeoise, mortes en 1989. C’est le trou noir actuel : notre monde n’est que ce qu’il est, sans horizon radieux, c’est en lui qu’il faut chercher des solutions, non dans le secours d’un avenir hypothétique. Pareillement, nous n’avons pas quitté la sphère maudite du consumérisme, même si de plus en plus de citoyens, sous l’emprise de la nécessité, pratiquent le hard discount, surveillent les prix. Acheter malin, c’est encore rester obsédé par les objets, se livrer à de savantes comparaisons entre les produits au lieu de s’en affranchir. C’est une mutation importante peut-être, mais à l’intérieur du monde de la marchandise ; le contre-pouvoir des clients signifie qu’ils maîtrisent mieux les règles du jeu, non qu’ils cessent de jouer. Jamais nous n’avons été aussi immergés dans la logique économique : ce qui se généralise au quotidien, pour chacun de nous, c’est la victoire de l’esprit de calcul ! Nous ne cessons de négocier, avec l’espérance d’un rabais, l’achat de nos voitures, le prix des hôtels, des restaurants, des vête ments. Que nous demande à juste titre l’écologie ? C’est de préserver l’énergie, de fermer le robinet, de prendre des douches, d’éteindre l’électricité derrière nous, de sélectionner nos déchets. Même les émissions de gaz intestinaux de nos bovins sont comptabilisées dans la formation du trou de la couche d’ozone ! Rien n’échappe à notre vigilance : nous ne quittons pas le domaine mesquin de l’avoir pour la patrie splendide de l’être, nous vivons plus que jamais dans la fascination du quantitatif. La seule sagesse qui est requise de nous c’est de trier, sauvegarder, préserver. Nouveau snobisme bio nous montrant une Michelle Obama binant son jardin, telle Marie-Antoinette dans sa bergerie. Voyez ce couple de Californiens qui stockent depuis un an
La crise du système capitaliste, c’est d’abord la crise de sa contestation : on est soufflés par l’absence de propositions concrètes des révolutionnaires professionnels et autres néobolcheviques.
LE MONDE
au cinéma, les musées sont pleins, le livre ne se porte pas si mal, le théâtre non plus. Dans la pénurie surnage l’essentiel. Une enquête établie par le Daily Telegraph, en décembre dernier, soulignait que les Britanniques s’adonnaient frénétiquement aux jeux de l’amour et que les ventes de préservatifs avaient explosé. Gageons qu’il en est de même pour tous les peuples. Retour aux fondamentaux : culture et volupté. Saluons aussi la vitalité démographique des Français qui constitue, dans la débâcle actuelle, un beau gage de confiance. La religion économique des trente dernières années ramenait l’existence humaine aux seules dimensions de la cupidité et du consumérisme, célébrant, dans l’appât du gain et le shopping, les modèles de la liberté par excellence (« une Rolex pour tous dès la majorité ! »). Quoi de plus sinistre, pourtant, qu’une galerie commerciale quand elle devient le seul horizon, la seule ambiance de millions de gens. Quoi de plus triste que ces petites villes, si nombreuses en Amérique du Nord et en Europe, qui se partagent entre l’habitat privé et les grandes surfaces, où l’espace public n’est que la rue qui mène des uns aux autres ? Quand l’orgie mercantile veut se faire passer pour un style de vie, le supermarché devient la plus lugubre des utopies. Ne nous y trompons pas toutefois : désertion ne veut pas dire démolition. C’est la marchandisation intégrale qui est récusée, l’uniformité des comportements, la confusion des ordres entre le marketing et la gratuité, la volonté de transformer l’être humain en hamster laborieux réduit aux seules activités de producteur et de consommateur. L’intolérance aux débordements de la spéculation, au féodalisme financier de nos élites n’est pas synonyme d’un refus global. Car l’on conteste le capi talisme, comme la démocratie, au nom des promesses qu’ils nous font et ne tiennent pas. On veut bien des avantages du marché sans ses conséquences dommageables ; on veut bien de lui comme logique économique, on n’en veut pas comme civilisation.
dans leur cave leurs ordures, les recyclent, les transforment en compost, en racontent la décomposition sur leur blog, comme s’ils couvaient dans leur soussol un trésor ! Merveilleuse épopée du rebut, sainteté des épluchures ! Certains mettent à se res treindre la même énergie que d’autres à s’enrichir. Aux fins de préserver la nature, l’écologie l’a fait entrer dans un vaste système de computation où tout ce qui était forces telluriques, ouragans, phéno mènes saisonniers a été soumis à une stricte m athématique. On n’est plus chez Rousseau ou T horeau, chantres de la vie naturelle, mais chez Harpagon dont la cassette a la taille du globe tout entier. Réhabilitation du bout de chandelle : l’avarice (dont l’étymologie est la même qu’avidité) est devenue, en ce début de siècle, une vertu civique, en quoi nos activistes verts et autres décroissants se tiennent, quoi qu’ils en aient, sous la coupe d’un ethos utilitariste qui les obsède. Le marché a contaminé jusqu’à ses ennemis les plus farouches qui parlent sa langue en croyant le démolir.
La lutte des classes est plus forte que jamais
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47 N° 03
En quête de la vraie liberté
© Andersen Ulf/Gamma
Quant à la dénonciation de l’argent roi, elle est légitime à condition d’ajouter que le vrai scandale de l’argent n’est pas son existence mais sa rareté, sa confiscation par une poignée de privilégiés. Contrairement à ce qu’écrivent de pieux sociologues, les Français ne sont pas « en manque de sens » mais en manque de sous, et le principal problème des revenus réside dans leur inégale répartition. Dans tous les cas de figures, l’argent est à classer, avec la santé et la beauté, parmi les « préférables » (Sénèque) dont il est permis de disposer si la destinée nous met en situation d’en avoir. Il reste un moyen de préserver la liberté individuelle, il fait partie des accessoires de la vie bonne même s’il ne se confond pas avec elle. Rien de plus laid, de plus tordu que l’éloge de la pauvreté mené par certains doctrinaires, comme si elle était par elle-même dotée d’une vertu suprême. Espérer qu’à la faveur de la crise la question du pouvoir d’achat s’évanouira d’elle-même est un grossier contresens : grèves et combats seront d’autant plus âpres qu’ouvriers et employés seront sans illusions. Vingt années de compression salariale au nom de l’emploi ou des grands équilibres ont échaudé leur patience. Le spectre du déclassement poussera chacun à extorquer au patronat ou à l’État le maximum de concessions en attendant une amélioration. Croire qu’à la faveur de la déroute présente les égoïsmes disparaîtront dans le partage et la générosité retrouvée relève du vœu pieux. Certaines solidarités se renforceront peut-être, mais au prix de violences et de vengeances sociales, car la rareté des biens, la réduction des patrimoines rendront les conflits d’intérêt plus âpres au sein des familles et des entre prises. Vingt ans après la chute du mur, la lutte des classes est plus forte que jamais dans nos démo craties – une lutte des classes, a dit le millionnaire américain Warren Buffett, déclenchée et gagnée par les riches. Le tort de ces derniers ne fut pas d’être capitalistes, mais de ne pas l’être assez et d’avoir détourné à leur profit les lois de la concurrence. On a tort d’appliquer à l’effondrement actuel les lunettes idéologiques du siècle dernier ; réchauffement climatique ou pas, nos contemporains ne sont pas prêts à renoncer à tous les bénéfices du progrès. Qu’il ait un coût exorbitant est incontestable, mais on ne sort pas six milliards et demi d’hommes de la misère sans effets funestes. Corriger ces effets est une urgence, revenir en arrière, à la pieuse simplicité biblique, une aberration. On ne résoudra cette crise que par le haut en multipliant les potentialités déjà présentes aujourd’hui. Il n’y a pas de développement matériel qui ne soit, aussi, spirituel, et ne fraye des voies nouvelles pour les individus. Le goût des aises n’est pas obscène ou ramollissant, il est
Le dernier mot
MAI 2009
On se souvient que la force des grands bouleversements du siècle passé en France – en 1936, en 1945, en 1968 – ne fut pas seulement de redistribuer le gâteau social mais de créer de nouvelles opulences pour le plus grand nombre : le temps libre grâce aux congés payés, la libération du désir, le sens de la transfigu ration quotidienne. En règle générale, une société est d’autant plus dynamique qu’elle invente des styles de vie qui échappent à l’attraction des plus fortunés. Les périodes d’émancipation ont été des moments où le bonheur officiel, c’est-à-dire le conformisme en cours a été dévalorisé au profit d’autres formules du « vivre ensemble ». Ne pas se contenter de gérer la pénurie, mais découvrir partout des biens non comptables qui échappent à la logique du profit, prolonger le vieux rêve du luxe pour tous, de la beauté offerte aux plus humbles. Le luxe, aujourd’hui, réside dans tout ce qui se fait rare : la communion avec une nature préservée, le silence, la méditation, la lecture, la lenteur retrouvée, le plaisir de vivre à contretemps, l’oisiveté studieuse, la jouissance des œuvres majeures de l’esprit, les béatitudes charnelles, autant de privi lèges qui ne s’achètent pas. Le goût du lucre ne disparaîtra pas, mais il peut être relativisé par d’autres formes de réussite. Ne pas se laisser piéger par l’affairement stérile, se désencombrer des babioles socialement valorisées, déplacer les fron tières du nécessaire et du futile, mettre le faste où la plupart ne voient que futilité et la misère où la plupart célèbrent l’abondance. Bref, ne pas se punir, mais multiplier d’autres félicités moins communément admises. À chacun de décider en son for intérieur de quels traquenards sociaux il est prêt à se passer, de quel faux éclat il entend se préserver. Se dépouiller peut-être, préférer sa liberté au confort, à un statut social arbitraire pour une existence plus vaste au lieu d’accumuler argent et objets comme un barrage dérisoire contre l’angoisse et la mort. Le vrai luxe en définitive, « mais tout ce qui est précieux est aussi difficile que rare » (Spinoza), c’est l’invention de sa propre vie, les liens d’affection et d’amour qui nous lient à quelques êtres essentiels. n
Les Français ne sont pas « en manque de sens », mais en manque de sous, et le principal problème des revenus réside dans leur inégale répartition.
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émancipateur. Il nous permet de ne pas rester assujetti au monde extérieur. Il n’est rien de strictement marchand qui n’ait des résonances psychiques, le consumérisme va de pair avec la passion d’être soi, et la technique, contrairement à ce que croient les passéistes, n’est nullement artificielle, elle est devenue une seconde nature, une extension de notre système nerveux qui agrandit chacun de nous.
Le retour aux fondamentaux C’est ainsi qu’il faudrait interpréter ce que certains appellent déjà la « nouvelle frugalité » : moins un retour aux vertus anciennes de parcimonie, que la découverte de nouvelles richesses. Aux espèces sonnantes et trébuchantes, opposer d’autres sources de faste esthétique, spirituel. La libération de la nécessité matérielle n’est qu’une des conditions de la liberté, elle ne l’épuise pas. En pleine dégringolade boursière, les Français ne sont jamais autant allés
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* Stephen M. Pollan et Mark Levine, Die Broke, Harper Business, New York, 1997.
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