MÉMOIRE
L’habitus créatif
Définition et qualification à partir de l’étude du Centquatre et des écrits d’Henri Lefebvre
Marie Antoinette RULLIÉ - 20130599
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L’HABITUS CRÉATIF Définition et qualification à partir de l’étude du Centquatre et des écrits d’Henri Lefebvre
Mémoire proposé par Marie Antoinette Rullié Encadré par les professeures du séminaire MS913 Milieux habités, Céline BODART et Antonella TUFANO
Janvier 2018
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Fig 1 - Le 104, collage participatif, Superposition Victor/Marin/Inconnu 4
Avant Propos
Qui aurait cru que l’ancien site des Pompes Funèbres de Paris puisse devenir, un jour, un lieu d’expression, de création et de vie ? C’est chose faite, le 104 accueille aujourd’hui des centaines d’artistes, qu’ils soient sous contrat avec l’organisme, ou de simples anonymes en quête d’inspiration et d’espace. Ils animent tous le Centquatre, et le transforment en un lieu atypique, hors de l’espace urbain, hors de l’indifférence générale qui pourrait régner au dehors. Semblable à un centre culturel, dans son accès, ses horaires, ses volumes, mais totalement différent dans ses usages, ses comportements et finalement, son habitus1. C’est cette émulation qui m’a fascinée, dès ma première visite, en 2015. Bien que n’étant ni danseuse, ni actrice, ou encore acrobate, j’ai vu dans cet endroit, un lieu de partage, un lieu social, avec la vie et les qualités que tout architecte aimerait produire. Car à mon sens, et à travers les enseignements que j’ai suivis au cours de mon cursus, c’est vers cet idéal que nous tendions tous : créer la vie, instiller l’essence sociale dans un lieu, le rendre vivant, utile, iconique, et surtout, présent dans l’imaginaire de tous : « approprié » en quelques sortes.
Notion d’Henri Lefèbvre, Le droit à la ville, 3ème édition, Éditions Economica et Anthropos, 2009, 135 pages
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Sommaire
Avant Propos ....................................................................... Sommaire ............................................................................ Introduction ......................................................................... Un peu d’histoire - le Centquatre ..........................................
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I. L’habitus créatif plutôt que l’appropriation de l’espace public .......
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1. Habitus urbain plutôt qu’appropriation de l’espace public
2. Conçu, perçu, vécu, définition et hypothèses de l’habitus urbain
3. Analyse par la praxis, construction de l’objet théorique
4. L’habitus créatif avec pour objet d’étude le Centquatre
II. Le Centquatre, lieu d’habitus créatif ? ........................................
a. Description générale
b. La halle Curial
c. La halle d’Aubervilliers
d. Le sol, la lumière
e. Décalage entre conçu et exploitation, naissance de l’habitus
2. Le perçu, observations dans l’espace central .............................
a. L’usager dans le milieu
b. Les éléments d’accroche
c. L’espace sonore
d. Écoles, groupes et camaraderie
e. La position du spectateur
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1. Le conçu, entre volonté des architecte et exploitation concrête
3. Le vécu, reconstruction verbale des usagers ..............................
a. Sortir de l’observation pour aller vers l’entretien
b. Les différents types d’entretiens, l’importance du contexte
25 26 26 32 34 36 38 40 42 43 45 46 48 50 50 51
c. Questionner le vocabulaire employé dans chaque contexte
Aller à la rencontre de l’usager
Discuter avec l’usager familier
Attirer l’usager inconnu à soi
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4. L’habitus créatif, conclusion issues des observations
III. Synthèse, revenir vers les usagers, représenter et faire représenter .....................................................................................
1. Transparence et liens entre les notions
2. Faire représenter, retour aux usagers
3. Le Centquatre, lieu d’habitus créatif
59 60 62 64
Ressources................................................................................................ Remerciements ........................................................................................
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. Annexe - Carnet d’observations
Deuxième livret
Annexe - Film
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Fig 2 - Le 104 Superposition Mallaury/Marie
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Introduction
Les deux premières années furent catastrophiques pour le jeune Centre culturel. Critiqué2, de toute part et boudé par le public et les artistes, le Centquatre ne trouvait pas sa place. Deux causes peuvent être avancées concernant ce premier échec. D’une part, il pourrait s’expliquer par la situation géographique : il est éloigné du centre de Paris, en lisière d’Aubervilliers. Mais on pourrait avancer aussi ce que l’on appelle la période d’assimilation d’un lieu. C’est à dire le temps d’adaptation à partir duquel le site est rentré dans la culture et les habitudes du quartier et de la ville. Pourtant, avant sa rénovation, les deux majestueuses halles furent le décor de défilés de mode et d’évènements artistiques, mais de manière ponctuelle seulement. Le lieu post-rénovation n’ayant plus rien à voir, dans ses espaces et sa matérialité, n’est pas rentré dans les mœurs et habitudes des parisiens de manière évidente et directe. D’autre part, l’opinion, la presse et les artistes eux mêmes, critiquaient vivement la première direction, en les accusant du déclin du lieu, en allant jusqu’à occuper le lieu, manifester, et diffuser leur mécontentement. D’ailleurs aujourd’hui encore, tous s’accordent à dire que les premières années ne comptent pas et que tout était « une histoire de direction »3 . En effet, le Centquatre était à l’époque le siège de salon du numérique et d’autres événements commerciaux et privés. Sa programmation artistique était quasi nulle et la plupart des locaux destinés aux résidences d’artistes étaient vides, les artistes ayant peur de montrer leurs travaux. Les espaces centraux étaient encombrés par des œuvres, ne laissant pas d’espace à la création spontanée, mais surtout, la population du quartier ne se reconnaissait pas dans cet anti-musée4. Ce n’est finalement que dans le courant de l’année 2010 qu’un collectif5 d’artistes décide d’occuper les lieux afin de les requalifier. S’ensuivit un changement de direction, et par le même biais, un changement de stratégie. Ouvrir l’espace à la pratique spontanée6 . Laisser le vide, vide. Le laisser « libre et gratuit »7 où chacun peut « se poser ». Grâce au bouche-à-oreille, aux programmations artistiques et aux invitations à résidence, le Centquatre a peu à peu fait sa place. Il dépasse aujourd’hui le monde artistique professionnel et s’adresse à tous et à toutes disciplines d’expression.
cf références des articles sources en p75 3 Entendu plusieurs fois lors d’entretiens 4 Termes utilisé par les premiers directeurs du Centquatre dont l’idée était de montrer «l’art en train de se faire». 5 Collectif « Le Centquatre occupé», initié par le magazine Mouvement entre autres 6 Termes entre guillemets issus des 2
entretiens – cf Annexe I 9
Il émeut, il intrigue, il fascine, il attire et surtout c’est un lieu qui crée. Un lieu qui crée ? Qui crée de l’art, de la danse, des liens, de la discussion et du partage. Est-ce possible ? Est-ce le lieu ou est-ce seulement grâce aux personnes actives dans leur environnement. Plusieurs fois, lors d’entretiens, les artistes eux-mêmes qualifièrent le Centquatre de lieu unique, qui n’existerait nulle part ailleurs dans le monde. Ce mémoire porte sur cette attitude de création des uns et des autres mais aussi sur les interactions sociales qui en découlent, entre artistes et spectateurs. Il s’agit de l’attitude collective et individuelle adoptée dans un lieu de création, qui produit, et qui agit sur son lieu. Dans une première partie, il s’agira de définir théoriquement cette attitude à l’aide de notions de sociologie et de philosophie. Nous la nommerons dès lors l’habitus créatif. Ce terme, inspiré d’Henri Lefebvre, sera défini selon les mêmes critères que ceux exprimés par le philsophe, mais adaptés à cette attitudesi particulière que l’on peut observer au Centquatre. La seconde partie portera sur l’étude de l’objet théorique, de ses facteurs et hypothèses sur le terrain, le Centquatre. Il s’agira de vérifier, de détecter et d’affiner la définition. La troisième partie sera plus conclusive et confrontera la théorie à l’expérience pour arriver jusqu’à un imaginaire possible du Centquatre, construit à l’aide des différents entretiens, témoignages et profils.
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Un peu d’histoire
« À l’époque, mille cinq cents employés environ venaient chaque jour sur le site, qui pour découper le bois, qui pour vernir les cercueils, qui pour coudre les tentures, laver ou réparer les corbillards, nourrir les chevaux puis les moteurs, choisir et recevoir les fournisseurs, visiter les chefs d’atelier, parler aux familles, aller chez le coiffeur, manger à la cantine, faire cirer ses bottes ou draguer les secrétaires. C’était une activité tous azimuts qui mettaient aux prises des vivants bien entraînés, entreprenants, joyeux, blagueurs, souvent alcoolisés et presque essentiellement de sexe masculin, avec la mort.» Extrait de Viandes froides [reportages], p.53, écrit par Olivia ROSENTHAL
Fig 3 - page suivante Frise chronologique de l’histoire du 104, pré-inauguration
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Fig 4 - Le 104, AliĂŠnor
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I L’habitus créatif
Plutôt que l’appropriation de l’espace public
Avant de s’intéresser précisément au Centquatre, il est utile de définir des notions importantes sur l’espace public et son appropriation, et de revenir à l’échelle de la ville grâce aux écrits d’Henri Lefebvre7. Selon lui, la ville est difficile à penser, car elle est une synthèse de toutes ses parties. Les parties, multiples et variées, peuvent être perçues indépendamment, mais se pensent les unes par rapport aux autres afin de penser la ville. Il ne s’agira pas, dans ce développement de faire la synthèse mais plutôt d’en définir une partie : l’espace social urbain. Cet espace social peut présenter des similitudes avec l’espace social du Centquatre. En effet, le mot espace peut à la fois représenter le matériel, comme la place, la rue, et même la halle, et l’immatériel comme les échanges sociaux, commerciaux, les projections. L’espace social urbain peut être dès lors compris comme le regroupement de ces deux sous espaces. Cette partie s’appuiera sur les recherches et écrits déjà effectués par les sociologues et fera l’état de l’art des moyens d’analyse de l’espace social urbain. Dans cette optique, nous aborderons, la raison du remplacement du terme « appropriation » par celui de « habitus » et tenterons de définir précisément les notions sous-jacentes à ce mot. Ensuite, nous définirons ce qu’est l’espace public, d’après les sociologues et notamment Henri 7 LEFEBVRE Henri, Le droit à la ville, Lefebvre. Nous exposerons les moyens d’études et d’observation de l’es- 3ème édition, Éditions Economica et pace social urbain donnés par la sociologie. Et enfin, nous expliciterons Anthropos, 2009, 135 pages les points communs avec l’espace social du Centquatre et les hypothèses du terme d’habitus créatif qui pourraient justifier sa genèse.
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I plutôt que l’appriation de l’espace public
1.L’habitus urbain
8 Citation de l’article de Frédéric Gonthier, « HABITUS », Encyclopædia Universalis 9 SEMOUD, Nora, La réception sociale de l’urbanisme, L’Harmattan, 2007, 251 pages 10 FERRAND-BESCHMANN Dan, « A propos de Henri Lefebvre et Henri Raymond », Socio-logos
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Tout d’abord, la notion d’habitus remonte à l’Antiquité, du mot « habere », en latin, avoir. Elle désigne, selon Aristote, l’attitude d’un homme vertueux vis à vis d’un contexte social et spatial. Cette notion est donc connotée positivement et subjectivement. Elle sera ensuite réintroduite par les sociologues, d’abord par Pierre Bourdieu en 1969, pour désigner une « médiation entre les pratiques sociales et les structures objectives des champs sociaux où elles s’inscrivent »8. Cette définition écarte l’individualité pour le global, mais associe néanmoins l’objectif et le subjectif. Elle est ensuite enrichie, comme définissant un état psychique stable et positif. En 1976, la notion d’individualité est aussi approfondie par Henri Lefebvre9, entre autres. Avec Henri Raymond10, ils recentrent l’étude sociologique, non plus sur des chiffres ou des statistiques, le global objectif, mais sur la praxis, la pratique sociale de la ville, l’individuel subjectif, afin de diminuer au mieux le décalage entre ville conçue et ville vécue. L’habitus est « l’espace vécu » qu’il soit social, spatial, individuel ou global. Cette notion est complexe, puisqu’elle renseigne à la fois sur des échelles différentes, et représente la synthèse de ces dernières. Elle regroupe ainsi les notions de matérialité des usages, tels que la fréquentation d’un lieu, les déplacements, les évitements et les flâneries. C’est ce que le sociologue peut percevoir, par observations et statistiques. C’est ce que l’urbaniste étudie pour connaître les besoins d’un quartier, ou les potentialités d’échanges commerciaux par exemple. C’est un point de vue objectif. Mais l’habitus englobe aussi le subjectif, comme énoncé plus haut, avec les représentations, les valeurs et significations individuelles vis à vis de l’espace, c’est le résultat de l’entretien. Les usagers reconstruisent par le discours les espaces qu’ils pratiquent et leur vocabulaire renvoie à leur représentation propre, leur appropriation. Et enfin, l’habitus est défini par les projections imaginaires et symboliques d’un espace. C’est le degré supérieur à l’appropriation verbale. Autrement dit, si on se représente en reconstruisant verbalement un espace, alors ensuite, on peut se projeter dans cet espace, avoir des désirs relatifs à cet espace, et agir sur ce dernier.
Ça n’est pas « rendre propre à soi » mais construire, créer, au travers de l’espace social urbain. C’est ce qu’Henri Lefebvre appelle la valeur d’usage11. Les projections imaginaires et symboliques d’un espace vécu11 s’observent par la pratique sociale, la participation et non plus l’observation, puisque c’est une notion subjective collective ou individuelle, relative à un imaginaire commun. Par exemple, pour le Centquatre, la danse, les mouvements, dans le centre, sont des projections imaginaires et symboliques. Le danseur répond à l’architecture qui l’entoure, mais aussi aux personnes, pour créer un 11 LEFEBVRE, Henri, La production de imaginaire commun. ***
l’espace, 4ème édition, Éditions Anthropos, 2000, 485 pages
Fig.5 - Valeur d’un élément de l’espace urbain dans deux espaces différents, l’un d’usage, le parc l’autre d’échange, le café 17
I Définition et hypothèse de l’habitus urbain
2.Conçu, perçu, vécu
12 LEFEBVRE Henri, La production de l’espace, Anthropos première édition. 1974, 4ème édition 2000, 512 pages
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L’espace public fait interagir, dans sa conception, dans sa fabrication, et ensuite dans son existence, trois perceptions différentes. Ces trois perceptions interagissent elles mêmes entre elles par l’intermédiaire de l’espace public. Il s’agit du conçu, du perçu et du vécu12. *** Le conçu concerne les urbanistes et les architectes essentiellement. Comme son nom l’indique, c’est la ville pensée en projets, en aménagements, et parfois de manière déconnectée de ses habitants. C’est lorsque que l’on déplace un banc sur un trottoir à égale distance d’un second, alors qu’auparavant, deux mètres plus loin, ce banc donnait une vue splendide sur la ville. Et au lieu de ça, on s’assoit en face d’un immeuble austère, ou on ne s’assoit pas, d’ailleurs. Le conçu reste abstrait et peut se faire hors de l’espace matériel, hors du site. Le perçu, c’est la vision du sociologue, de l’observateur, du passant ou du flâneur. C’est ce que l’on voit de la ville. Le perçu fait appel à tous nos sens, la vue, le toucher, l’ouïe. Il y a une matérialité que le conçu n’a pas. Nous prenons part à l’espace de manière consciente et observatrice. Notre habitus n’est pas totalement spontané, dans le sens où l’espace ne nous est pas familier, nous n’habitons pas cet espace que nous percevons. Notre état psychique n’est pas stable, il est dans l’adaptation immédiate. Les touristes perçoivent, les flâneurs perçoivent, les personnes habituellement motorisées, une fois à pieds, perçoivent la ville. Il y a une notion de temporalité. C’est une réaction immédiate à l’espace public. Bien sûr nous participons à cet espace social, et au fur et à mesure que nous l’arpenterons, alors il se transformera en vécu. Il se transformera puisqu’au fil du temps, nous aurons une représentation claire et sensible, et nous pourrons nous l’approprier verbalement. Et il pourrait s’ensuivre les projections, et l’utopie liée, telle qu’énoncée précédemment. *
L’habitus, dans cet espace vécu, possède trois caractéristiques, qui restent des hypothèses pour certains sociologues, et des faits pour d’autres13. La première est l’agglomération d’habitus, c’est à dire que les habitus influent les uns sur les autres pour créer un habitus commun, une mémoire collective. Il s’agit de ce que l’on appelle communément « l’esprit de quartier » par exemple. Les habitants influencent les habitus des nouveaux arrivants, et vice versa, pour créer un agglomérat d’habitus, un nouvel espace social. Pour résumer, l’habitus découle de la pratique collective. La seconde hypothèse/fait, c’est l’habitus qui découle du lieu physique et de ces caractéristiques matérielles. C’est une des hypothèses que défend Henri Raymond avec ses études et entretiens pour l’habitat pavillonnaire14. L’espace physique influe sur l’habitus. Et enfin, le dernier aspect renvoie au décalage entre le conçu et le vécu. Lorsque la scission entre ces deux derniers est trop forte, alors l’habitus est « contrarié » et si l’espace n’est pas l’objet d’une rectification ou d’une réadaptation parses habitants, alors il est 13 SEMOUD, Nora, La réception sociale abandonné. Pour reprendre l’exemple dubanc, soit je m’assoie et je de l’urbanisme, L’Harmattan, 2007, 251 pages m’adapte à cette façade triste, soit je repeins le mur d’en face, ou le banc, 14 RAYMOND, Henri, L’habitat pavillonnaire, éditions l’Harmattan, je rectifie, et dès lors, je donne une autre qualité à ce banc. 2001, 114 pages
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Fig.6 - Schéma synthétique des différentes parties de l’habitus urbain.
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I Construction de l’objet théorique
3.Analyse par la praxis
D’après Henri Lefebvre, ces trois caractéristiques ont des relations entre elles, et se répondent. Il n’y en a pas une plus forte que l’autre et il faut les prendre en compte toutes les trois dans l’analyse de l’espace public. Tous les aspects de l’habitus doivent être alors relevés et analysés pour comprendre ce que je nommais plus haut, à tort, l’appropriation de l’espace public. C’est par la méthode de transduction, qui diffère de la méthode classique, qu’il faut procéder. La méthode classique d’analyse s’appuie sur des hypothèses, pour construire un modèle et ensuite faire une simulation. Les résultats de la simulation permettent le réajustement de l’hypothèse et ainsi de suite. La méthode de transduction repose sur le fait réel. De ce constat, on en tire une problématique, qui vise un objet théorique possible issu du constat. Et enfin, on recherche cet objet dans la réalité, on le décrypte, on le définit et on répète la boucle. Au fur et à mesure, l’objet théorique possible se précise pour aboutir à un phénomène intelligible et maîtrisé.
Fig.7 - Schéma de la méthode de transduction, par la praxis, contre la méthode classique 20
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Dans notre développement, l’objet théorique possible est « l’appropriation de l’espace public » ou plutôt, comme nous l’avons montré, « l’habitus urbain ». L’analyse s’appuie sur les manifestations de l’habitus définies plus haut, soit la matérialité, les systèmes de représentation et les projections. Ces manifestations sont à penser en transparence, elles agissent les unes par rapport aux autres. Bien qu’observables de manières dissociées, elles doivent être étudiées ensemble. La matérialité se traduit par le trio forme/fonction/structure, soit l’architecture du lieu, son aménagement, ses hauteurs, ses circulations et ses programmes. Cette réalité s’observe, se mesure et se capture en image, par le dessin ou la photographie. Ensuite, le système de représentation et de signification, plus subjectif, se collecte par le biais d’entretiens. Le choix du vocabulaire utilisé, les images associées à l’espace, qu’il s’agisse d’un espace global ou singulier, tout doit être minutieusement recueilli et décortiqué, afin de comprendre l’image dégagée par le lieu, socialement et spatialement. Enfin, par la synthèse des deux premières études, des projections particulières vont apparaître. Que ce soit, des désirs, des projets, des fantasmes, des idées, il s’agira ensuite de les nommer, de les matérialiser (par des images ou des gestes) et de les confirmer par des entretiens plus approfondis. Il faudra, tout au long de l’étude, l’enrichir avec l’avis et la subjectivité de l’observateur. En effet, la temporalité de ses relevés va embrasser l’enquêteur pour le transformer en acteur, et transformer le perçu en vécu. Ainsi se mêlent, global et particulier, subjectif et objectif, pour comprendre l’habitus d’un lieu, sa façon d’être utilisé, perçu, vécu. * Pour conclure, l’habitus urbain, ses hypothèses et espaces relatifs, peuvent se résumer sous forme du schéma qui suit. Il permet de mettre en exergue les différents moyens d’études et leurs relations qui peuvent exister entre les espaces vécu,conçu et perçu.
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I 3. Fig 8 - Schéma résumant l’habitus
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I
4.L’habitus créatif
Avec pour objet d’étude le 104
Dans les années 70, alors que la ville planifiée à la grande échelle fait ses premières victimes, en oubliant ses usagers, ignorant ses habitants en offrant un logement plutôt qu’un habitat, dans des ensembles plutôt que des quartiers, la notion d’habitus d’Henri Lefebvre refait surface. Le droit à la ville, fortement cité et utilisé pour expliquer la notion d’habitus, est tel un cri contre cette urbanisation de masse qui prive la population de la ville, sociale, vivante, privilégiant la valeur d’échange à la valeur d’usage, créant une scission entre le conçu et le vécu, et ainsi un habitus contrarié15. Le Centquatre est, au contraire, un lieu où la valeur d’usage prévaut sur la valeur d’échange. Sa taille, ni immense, ni minuscule, permet des évènements d’envergure, de la pluridisciplinarité et de la mixité, mais aussi des amitiés et des rencontres. Il unit des personnes différentes autour d’un même but, la création. Il est le lieu, de manière très certaine, d’un habitus, mais lequel ? C’est un espace social, qui est dans la ville mais pas urbain, de par son échelle et sa structure. Il est accessible après franchissement d’une porte, d’une sécurité, et régit par d’autres règles que celles de la ville. L’habitus pourrait-il se transposer au Centquatre ? Mais alors, il ne s’articule plus autour de cette notion d’urbain et de ville mais plutôt autour du but créateur. Il s’agit dès lors de construire un objet d’étude, par la méthode de transduction, en vérifiant et en adaptant les critères et les hypothèses énoncés plus haut. Cet objet d’étude n’est autre que le sujet de ce mémoire : l’habitus créatif. Le constat aujourd’hui est le suivant : le Centquatre est un lieu de création, intégré dans la mémoire du quartier et de ses usagers, il est à la fois le parc et le centre culturel, la balade et le musée. Est-ce le fait d’un habitus aggloméré ? Un esprit de quartier en quelques sortes, ou bien, est-ce dû au lieu et à ses qualités ? Y-a-t-il eu une adaptation qui passe par la modification du lieu par ses usagers ? Ou enfin, est ce finalement, 15 SEMOUD, Nora, La réception sociale l’association de ces trois caractéristiques ? La suite de ce mémoire est la de l’urbanisme, L’Harmattan, 2007, «Processus de recomposition sociale de description de ces recherches et leur analyse et s’attachera à répondre à l’espace», pp. 157-161 ces questions.
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Fig 4 - Le 104, Croquis aoรปt 2017
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II Le Centquatre Lieu d’habitus créatif ?
« Façade en briques et enduites, hautes fenêtres, menuiseries blanches, grilles, musique, rires. Beaucoup de personnes, bien plus que dans la rue, et de toutes origines, de tout style, de tout âge. Escaliers, cour à l’anglaise, œuvre en installation. Première halle, avec une placette centrale, décollée des galeries latérales, plus hautes de cinq marches avec une grande hauteur, sous la verrière. Lumineux, monumental, grandiose même. Des danseurs, des jongleurs, contorsionnistes avec leurs écrans noirs réfléchissants pour miroir. Et dessous, le trou, le trou sous la placette, le trou sous la scène. Avec la rampe, derrière, originalement pour mener les chevaux à l’écurie en sous sol. D’ailleurs, en se penchant pour voir le vide entre le plateau et la galerie, il y a encore les linteaux cintrés en briques, murés aujourd’hui, parkings aujourd’hui. Le trou sous le plateau, il est rempli de cartons, une œuvre de carton.(...) Chacun son style, chacun sa musique, chacun sa danse. Dans la halle ouverte d’Aubervilliers résonnent les dissonances. Ambiance très différente de celle du plateau. « Zone technique en montage ». Œuvre en perpétuelle construction. Au fond de la halle, une sorte de pont roulant, comme on en voit sur les chantiers navals, ou les usines tout simplement. Support de lumières, la seconde halle est aussi une scène, mais extérieure cette fois-ci. Le sol, du béton ciré, avec des points bleus, des blancs, des tirets, des angles, Extrait du Carnet d’observation, «Le c’est bien une scène. mois d’aout, en vrac» pp.8-9 Troisième cours, la cours d’Aubervilliers, déserte.» 25
II Entre volonté des architectes et exploitation concrète
1.Le conçu
Fig. 9 Tissu urbain autour du Centquatre Image satellite- Maps
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a.Description Générale
L’analyse de l’habitus créatif commence dès lors par la description de sa matérialité, par ce que nous avons nommé plus haut le conçu. Il est la forme, la fonction et la structure du bâtiment. Le Centquatre est une reconversion de patrimoine industriel, il possède alors une double identité : un premier conçu industriel et fonctionnel et un second réadapté. Cependant, nous ne nous intéresserons qu’au second usage, puisque c’est dans ce second conçu qu’a lieu le phénomène qui nous intéresse. L’utilisation des caractéristiques architecturales industrielles afin de différencier les espaces, est un conçu en soi. La reconversion, bien qu’étant une adaptation, a été repensée non pas par ses usagers, mais par les architectes, designers, sociologues, etc.
Fig. 10 Schéma des accès et traversée du Centquatre
N
Fig. 11Les axes et flux environnants le Centquatre
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II 1.a 28
Le Centquatre est un ensemble de deux grandes halles à trois nefs sur un terrain de 200 mètres de long sur 70 m de large. Il relie la rue Curial à l’Est, au bout de la longue rue de Crimée, à la rue d’Aubervilliers à l’Ouest, en bordure des voies de stockages de la SNCF et proche de la gare de Rosa Parks. Les deux halles s’appellent respectivement la halle Curial et la halle d’Aubervilliers, rapport aux rues auxquelles elles se connectent. La première mesure 100 mètres de long pour 50 de large, chauffée intérieurement, et la seconde 50 mètres de long pour 70 m de large, pour une nef centrale aérée et extérieure. Elles sont séparées par la Cour de l’horloge de 12 mètres. Chaque halle se compose d’une nef principale, lumineuse et d’un volume continu de 18 mètres de haut pour la halle d’Aubervilliers, et de 12 mètres pour la halle Curial. Ces volumes amples, sous la nef principale, sont à valeur d’usage. Ils sont chacun encadrés de deux nefs secondaires, moins larges et moins hautes, fermées partagées entre valeur d’usage et valeur d’échange , occupées par les ateliers des artistes en résidence, l’incubateur de start-up, mais aussi les salles de spectacles, les commerces, et salles d’expositions. L’interface avec la rue est la même à l’Est et à l’Ouest. L’accès aux volumes centraux n’est pas direct mais s’effectue d’abord par le franchissement d’un corps de bâtiment R+1 très ajouré au rez-de-chaussée et paré de grilles, puis d’une petite cour de 12 mètres de large pour l’accès Curial et 10 mètres de large pour celui d’Aubervilliers. L’accès le plus fréquenté est celui de la rue Curial, plus passante et connectée au reste de la ville. De plus, il existe une butte qui crée une différence de niveau de 1,90 mètres entre les rues Aubervilliers et Curial que l’ensemble bâti compense en différents endroits. La première cour, rue Curial, compense entre 75 centimètres jusqu’au niveau de l’accueil et 1,70 mètres avec sa composition tripartite, sur deux niveaux : le niveau de la rue au centre, et les deux plateaux de part et d’autre donnant accès latéralement à la halle, mais aussi au corps de bâtiment de l’entrée. La différence restante est compensée sur la longueur de la halle d’Aubervilliers, légèrement en pente avec le point le plus haut à la fin de la halle Curial.
Accès rue Curial
Fig. 12Plan du rez-de-chaussĂŠe Atelier Novembre
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II 1.a Fig. 14Coupe sur la halle Aubervilliers Atelier Novembre
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Fig. 13Coupe longitudinale, avec en rouge, le passage Atelier Novembre
Fig. 15Coupe sur la halle Curial Atelier Novembre
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II 1.b 32
b.La halle Curial La halle Curial concentre la plupart des programmes commerciaux et les salles de spectacles. Il ne s’agit pas, dans ce mémoire, d’exposer plus en détail les volumes latéraux fermés et privés, parce qu’ils ne sont pas sujet à l’habitus créatif tel que nous l’entendons, c’est à dire ouvert et gratuit, mais répondent à une offre à valeur d’échange, bien qu’étant lieu de création. Le volume central possède quatre niveaux différents visibles et intelligibles dès la première visite : - Le niveau de l’accueil, qui est aussi le niveau de la rue Curial - Le niveau des galeries latérales et de l’arrière de la halle Curial - Le niveau de la placette, au dessus - Et enfin, le niveau sous la placette, qui est accessible de manière ponctuelle, au gré des évènements et des spectacles. Finalement, seuls deux niveaux sur quatre sont occupés par la pratique spontanée. Mais l’habitus créatif n’exclut aucun niveau puisque de chaque plateforme on aperçoit les artistes. Le niveau le plus animé, le plus haut de l’espace central est celui de la placette. Et le second est celui des coulisses et de la partie arrière centrale, qui donne sur la Cour de l’Horloge. La structure est empreinte du passé industriel, avec ses hauts poteaux de fonte et d’acier, ses fermes métalliques fines, ses chainons de briques en façade. Cette esthétique est confirmée par les choix de matériaux concernant la placette, avec son caillebottis métallique et ses gardes corps simples et ses grillages, et par l’ajout d’une passerelle transversale côté accueil, qui met en relation les parties latérales du niveau 1. Un point invisible de la structure de la halle, mais qui a son importance dans l’habitus créatif, est le traitement acoustique des épaisseurs et volumes. Il permet, nous le verrons plus tard, de créer des espaces sonores différents. Les traitements acoustique et spatial permettent à la fonction de la halle Curial d’être mutable. La placette de 27 par 15 mètres, peut servir de plateforme de salon d’exposition ponctuellement et l’espace arrière peut se transformer en une immense salle de spectacle, équipée de gradins rétractables. De fait, la grande halle est à la fois dissociée en niveaux, en fonctions, mais aussi en sons. L’espace n’est pas gelé et c’est ce qui en fait son succès.
Fig. 16La placette et les diffĂŠrents niveaux
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II 1.c
c. La halle d’Aubervilliers
La halle d’Aubervilliers, moins longue, paraît plus massive. Elle ne dispose pas des rangées de poteaux s’étirant jusqu’à la toiture, mais de murs maçonnés, épais, de briques et enduits. Il s’agit bien d’un espace extérieur, par ses façades environnantes. Il n’y a pas de sous-espace, comme dans la halle précédente. Celle-ci, entre deux cours, est d’une unité de 50 mètres par 27. C’est une unité d’espace, mais aussi de niveau. Les quelques marches qui permettent l’accès aux parties latérales ne constituent pas une partition évidente comme dans le cas des galeries latérales. Les marches d’accès sont reliées au bâti. De plus, le traitement acoustique y est moins important, puisque la halle est entièrement aérée et ouverte. Son rappel esthétique industriel récent est le pont roulant et ses rails, qui parcourent toute la longueur de la halle. Il permet, comme dans la seconde partie de la halle Curial, de moduler l’espace libre en un lieu de concert et de spectacle. C’est un support possible de lumière, de son, un pont lumière. La fonction est mutable, mais privilégie l’exposition et les installations d’œuvres plus que la pratique spontanée. De plus, les parties latérales du rez-de-chaussée se partagent entre lieux d’expositions, petites salles de spectacles et salle de répétition pour les danseurs. En effet, l’atelier 6 est le refuge des artistes assidus de la placette lorsque cette dernière est occupée et qu’il fait trop froid pour répéter dehors. *
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Fig. 17Le Pont Lumière
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II 1.d
d.Les cours, le sol et la lumière Dans leur forme et leur fonction, les cours constituent une épaisseur de transition entre la rue et le Centquatre mais aussi au sein du bâtiment entre l’espace de création intérieur et l’espace de création extérieur. C’est donc le lieu de pause pour les employés ou fumeurs, un lieu de restauration avec quelques baraques vendant de la nourriture et du café et échangeant des livres. Les cours mêlent valeur d’échanges et valeur d’usage, elles sont mutantes, car ce sont les seuls endroits ou la distinction spatiale n’est pas franche. * «17. On garde les anciens pavés c’est obligatoire mais on les enlève on les numérote on les met en tas on applanit le terrain puis on les repose on respecte l’ordre(...)» Viande Froides, Olivia ROSENTHAL, p66 Le sol est en béton ciré, lisse, afin de pouvoir y danser, y glisser. Seuls les cours ont gardé leurs pavés d’origine et cela confirme leur fonction mutante. *
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La nef centrale des deux halles est vitrée et permet le passage de la lumière naturelle. Ainsi, l’espace central est lumineux, et les motifs de la structure ancienne se projettent sur le béton ciré et les murs du Centquatre.Ces vitres sont occultables dans le cas de la halle Curial, dans la seconde partie, pour permettre le contrôle total de la lumière lorsque un scène est installée.
Fig. 18L’occupation de la Cour de l’Horloge, Entre usage et échange
Fig. 19Le sol, entre pavé et béton ciré
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II
e. Décalage entre conçu et exploitation, naissance de l’habitus
1.e
L’histoire chaotique des débuts du Centquatre, comme nous l’avons explicité dans l’introduction, viendrait, pour tous, d’une mauvaise direction. Il n’est pas question, ici, de trouver un coupable, mais bien de définir l’habitus créatif. Et cet événement est capital. Au vu des décisions prises au cours de la première année, des choix faits en terme d’installation, j’aurais tendance à confirmer le fait qu’il y avait une dissonance entre la direction et le lieu. Pourquoi ? Les décisions d’exploitations du lieu étaient en opposition avec les potentialités offertes par la rénovation. Les espaces, conçus comme multifonctions, mutables, riches par leurs volumes et non par leur remplissage, étaient occupés, remplis de manière figée et verrouillée, tel un musée16 ou bien totalement vides. L’habitus créatif tel qu’il est aujourd’hui n’avait pas sa place. Le second fait, assez étonnant, est le choix de l’entrée principale. En effet, historiquement, l’entrée se faisait par le 104 rue d’Aubervilliers, d’où le nom du centre. Cependant, les architectes de l’atelier Novembre, conscients de l’attractivité de la rue Curial, tournée vers Paris, contre la rue d’Aubervilliers, coincée à l’arrière par les voies ferrées, avaient choisi l’entrée Curial comme entrée principale17. Ce n’est pas cette entrée qui fut privilégiée lors de la première année d’ouverture. La remise en cause de la première direction est, en quelques sortes, la naissance de cet habitus créatif. Cet événement montre qu’il est contenu et induit par le conçu, non pas dans sa fonction, mais dans sa forme. Les résidents, les artistes, les concernés, ont pris conscience que le vécu était en contradiction avec le conçu dans le Centquatre, qu’il 16 Site du collectif d’artiste Le104occupé, y avait une incohérence entre l’utilisation du lieu et ses potentialités. Dès URL : https://le104occupe.wordpress. lors, ils se sont organisés, autour d’un collectif, pour modifier l’espace com 17 CARPENTIER, Laurent (2013), Com- du Centquatre, pour le rendre à l’habitus créatif. La réadaptation du lieu, ment Gonçalvès a sauvé le Centquatre, autrement dit le réalignement entre ses qualités possibles et réelles, s’est Le Monde 18 Deuxième nom du collectif Le 104 opérée sous la forme d’un changement de direction. Ces acteurs n’avaient occupé et titre de l’édito écrit le 7 avril probablement pas pleine conscience des possibilités du Centquatre, mais 2010, qui suivit l’appel à la mobilisation du 1er avril par le magazine Mouvement croyaient qu’ « un autre Centquatre [était] possible »18. le 1er avril 2010
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C’est une des premières hypothèses concernant l’habitus : ce dernier est issu du lieu. C’est aussi pourquoi il est important de revenir sur ces premières années d’échec. Ce succès final, aujourd’hui, relève autant de l’intelligence de la rénovation, que de la réalisation de ses potentialités, jusqu’à même les dépasser. Plus rien n’est verrouillé, tout bouge, un peu à la manière d’un Fun Palace de Cédric Price. ***
Fig. 20La placette occupée Le vide rempli par l’objet et non l’action Photo originale de Jean Christophe BENOIST Juillet 2009 39
II Entre volonté des architectes et exploitation concrète
2.Le perçu
PÉREC, Georges, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, 1975 20 Enquête, « Avant-propos », Enquête [En ligne], 6 | 1998 19
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Une fois le décor du Centquatre installé, il est temps de commencer l’observation, afin de définir le perçu, socialement et spatialement, individuellement et collectivement. La description s’est faite sur deux plans à la fois, qui ne peuvent être dissociées : un premier plan et un arrière plan. Le premier plan est la singularité de l’action, un évènement ponctuel, qui peut se présenter sous forme d’une anecdote, d’un récit d’une petite aventure, ou encore, sous la forme d’un entretien informel avec un usager. C’est, ce qu’on pourrait nommer dans une pièce de théâtre, l’action principale. L’arrière plan est constitué quant à lui des évènements répétés qui peuvent être témoins d’une tendance globale des usagers envers leur lieu. C’est le décor, matériel et social qui entoure la scène principale. Pour cela, il suffisait, dans un premier temps, de rester à un endroit un certain moment, et à la manière de Georges Pérec, dans Tentative d’épuisement d’un lieu parisien19, de décrire chaque action effectuée sous nos yeux. Dans un second temps, il fallait repérer des comportements répétitifs et généralisables. Enfin, il s’agissait de faire la synthèse de toutes les observations pour différencier les deux plans, mais sans les dissocier. La description est une pratique laissant une part d’interprétation à l’observateur20, aussi, il est important de préciser que les observations présentées ici restent mono focales, c’est à dire d’un seul point de vue. Tout ce travail de description sensible est présenté dans l’annexe de ce mémoire, dans le carnet d’observations. De plus, la retranscription et l’analyse de cet exercice anthropologique qui vont suivre dans cette partie restent personnelles et s’appuieront à maintes reprises sur ce carnet. Voici les six observations principales, qui construisent le décor matériel et social du Centquatre. Nous détaillerons dans cette partie en y ajoutant des détails du premier plan.
1.Le centre géométrique de la placette ou de la halle Aubervilliers n’est pas ou peu utilisée par ses usagers. 2.L’usager s’accroche aux éléments architecturaux tels que les gardes corps, les rambardes, les poteaux, et même les éléments éphémères tels que les panneaux de signalétique. 3.Le son crée un espace, que ce soit de la musique ou de la parole, il délimite un espace de création d’un danseur ou acteur. 4.Les usagers, quelle que soit leur pratique artistique, se parlent, communiquent, s’entraident. 5.Le spectateur reste en retrait et n’est pas regardé – presque ignoré.
6.Lorsque le Centquatre change de forme, ses usagers s’adaptent *
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II
a.L’usager dans le milieu
2.a
Qui sont les usagers du Centquatre ? La majorité des usagers sont des danseurs, de toutes sortes : les danseurs de hip hop, de tango, de salsa, de reaggetone ou bien encore de jazz, ils sont nombreux, ce sont les plus vieux usagers du Centre. La proximité du Cours Florent a entrainé à son tour la fréquentation du lieu par les acteurs. Et plus récemment, les circassiens ont fait leur entrée. Ils ne sont pas tous professionnels, nous le verrons plus tard dans le développement. Le centre accueille aussi des groupes de danses de quartier, tel qu’un groupe de country, ou bien encore, de zumba. Toutes les pratiques spontanées21 sont les bienvenues. Globalement, la majorité des usagers se concentre dans la halle Curial, été comme hiver. Plus on avance dans le Centre, moins il est animé. Les danseurs se répartissent à peu près partout, en fonction de la musique, s’ils en mettent ou non, et s’installent à proximité des circulations. Les circassiens utilisent, lorsqu’elle est disponible, la seconde partie de la halle Curial, sinon, ils se retrouvent dehors, lorsque le temps le leur permet. Les circassiens sont les artistes du cirque, jongleurs, acrobates ou les deux. Ils ont nécessairement besoin de place et de volume pour exercer leur art, lancer leurs quilles ou nunchaku à travers les airs. Au fil des observations, voici les types d’espaces utilisés qui sont représentés dans la figure 21.
Fig. 21Types d’espaces
José Manuel Gonçalvés cité dans l’article de CARPENTIER, Laurent (2013), Comment Gonçalvès a sauvé le Centquatre, Le Monde mais aussi terme entendu lors d’un entretien avec une employée du Centquatre 42
21
b. Les éléments d’accroche La présence d’éléments d’accroche est l’une de mes premières observations. En effet, s’accrocher au lieu, c’est en faire partie, surtout au Centquatre. On s’accroche avec son corps, ou ses proches, et/ou ses affaires. J’ai remarqué à plusieurs reprises que si le centre géométrique de l’espace était fui, c’est parce qu’il était vide d’attaches. C’est un comportement simple et compréhensible : l’usager arrive, il trouve un espace sous la grande hauteur qui lui sied, pose ses affaires et se met à s’exercer. Il ne va pas mettre ses affaires par terre, ou du moins, pas en plein milieu de l’espace, ce qui pourrait gêner d’autres danseurs. Il les pose donc à côté d’un garde corps, ou d’un poteau, là où ça ne dérangera personne, où il identifiera rapidement son espace. Dans le même temps, il va lui aussi rester à proximité. La seule configuration pour laquelle le centre géométrique d’un des espaces sous la halle est occupé, c’est lorsqu’un groupe se déploie. Si le nombre de personnes est suffisamment important, alors, le groupe, par l’espace qu’il occupe, lie ses affaires au centre, tout simplement. La nature de ces éléments d’accroche est diverse. Il peut s’agir d’un garde corps, comme sur la placette, d’un poteau, dans la seconde partie de la halle Curial, d’une vitre opacifiée, dans les espaces latéraux avant la placette, de marches d’escalier, de mobilier comme dans la halle d’Aubervilliers ou bien encore dans la Cour de l’Horloge. Finalement, n’importe quel élément peut servir d’accroche, à partir du moment où il est en retrait, qu’il ne dérange personne, qu’il est proche d’une circulation, et surtout, s’il sort du sol. En effet, dès qu’un élément s’extrait de la surface de béton lissé, alors il reconfigure l’espace d’expression, le limite, et devient un point d’accroche, une frontière. Voici une liste d’éléments d’accroche propres au Centquatre et leur identification sur le plan figure 22.
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II 2.b Fig. 22Éléments d’accroches et localisation
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Dans la cour -Tables -Plantes -Escaliers -Grilles Espaces latéraux avant la placette -Borne incendie -Vitre opacifiée du bistrot ou de la façade -Mobilier éphémère -Murs Sur la placette -Garde corps -Blocs techniques -Chaises pliantes lorsqu’il y en a -Vitre du bistrot -Tuyau à incendie Deuxième partie halle Curial -Muret -Garde corps -Poteau -Mobilier signalétique -Grande porte Dans la cour de l’horloge -Bancs -Tables -Écrans noirs réfléchissants -Marches -Pont roulant
c. L’espace sonore Le son, la musique ou le bruit, sont des facteurs primordiaux pour la création. En effet, le danseur a besoin de sa musique, de son rythme et l’acteur, tout comme le jongleur a besoin de sa concentration. Finalement, on observe que l’espace sonore est plutôt bien géré à l’intérieur de la halle Curial, mais devient plus chaotique lorsque l’on se dirige vers la Cour de l’Horloge et la halle d’Aubervilliers. À chaque espace, un son, peu importe la discipline des artistes alentours. Le premier arrivé, met sa musique, les suivants s’adaptent ou se déplacent pour avoir leur propre espace sonore. La première cour, et presque la rue, est un premier espace sonore. Il peut se subdiviser en cinq sous parties : deux de part et d’autre de l’entrée proche des grilles et en bas de l’escalier, deux autres qui sont les deux cours au niveau de la halle, et un dernier qui est la cour d’entrée. La cour d’entrée est quasiment toujours silencieuse, ou animée par des conversations. Tandis que les quatre autres peuvent être la scène d’une tragédie ou d’une danse. Une fois à l’intérieur, sur la placette, il y a une première mélodie, qui est souvent celle du groupe le plus nombreux. Sur la seconde partie de la halle Curial, lorsqu’elle est praticable, l’espace sonore se divise généralement en trois sous-parties. Une première zone de transition, entre la placette et la halle, sans musique, occupée par des acteurs ou danseurs munis de leurs écouteurs. Une zone centrale plutôt oscillante, en fonction du niveau sonore de la troisième zone. Et la troisième partie avec son propre son. Une fois à l’extérieur, tout est plus chaotique. Une première musique dans la Cour de l’Horloge, deux ou trois dans la halle d’Aubervilliers, cela peut s’avérer désagréable, à la fois pour le danseur et le spectateur. Si la halle Curial peut accueillir différents sons, c’est en majeure partie grâce aux traitements acoustiques des parois et de la toiture. Tandis que la halle d’Aubervilliers, ouverte et ventilée, ne dispose pas du même luxe, et, par conséquent, peut être plus facilement sujette à la cacophonie. En ce qui concerne le bruit, de pas, de paroles, je ne l’ai jamais entendu aussi fort que lorsque se tenait un salon du numérique, et que, pour l’occasion, la halle Curial avait été privatisée et occupée par des 45
II 2.c
professionnels et étudiants du numérique. Sans pratique créative, le lieu était devenu bruyant. Les espaces de consommation des galeries latérales, eux, restent silencieux. Sans musique d’ambiance. L’activité extérieure étant plutôt intense, rentrer dans un commerce s’avère être une transition remarquable. Ainsi, le bistrot, la librairie ou encore la friperie, sont des endroits plutôt silencieux, hors de l’espace sonore central. C’est ce qui différencie le Centquatre d’un centre commercial.
Fig. 23Espaces sonores
d. Écoles, groupes et camaraderies
José Manuel Gonçalvés cité dans l’article de CARPENTIER, Laurent (2013), Comment Gonçalvès a sauvé le Centquatre, Le Monde 22
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La seconde hypothèse de l’habitus tel que le décrit Lefebvre lie l’habitus à la pratique collective d’un lieu. Peut on alors parler de pratique collective au Centquatre ? Mes observations m’amènent à affirmer cela. Mais commençons par le début de cette pratique. En effet, à plusieurs reprises, le terme « bouche-à-oreille » a été prononcé par les danseurs, circaciens, acteurs… Il y a alors eu un phénomène de propagation de cette pratique, pour finalement aboutir, après sept années, à une image indissociée. Indissociée dans le sens où, le Centquatre évoque d’abord cette pratique collective, puis ensuite tous les évènements qui peuvent s’y dérouler. Cependant, j’admets ne pas savoir qui est la première bouche à avoir soufflé. Certains affirment qu’il s’agit du second directeur, José Manuel Gonçalvés, pour qui l’art « reste un moyen d’émancipation »22 et qui a fait renaitre le centre une troisième fois. Mais comment ? Par des invitations à résidence, des évènements d’envergure tels que des salons du tatouages ou des représentations gratuites dans l’espace central,
par des partenariats avec des associations, et des écoles, etc. Cette pratique collective s’est construite au fur et à mesure sous l’impulsion d’une institution. Revenons ensuite sur la pratique collective en tant que telle, et sur les observations qui m’amènent à affirmer son existence. Grâce à l’interpellation choisie par l’institution de différents groupes, les pratiques collectives ont perduré et se sont développées. Des « familles » se forment, par pratique. Mais les disciplines se mélangent peu entre elles. Il peut s’agir d’une compagnie de danse, d’une école, ou simplement d’un groupe d’amis de longue date ou non. Les danseurs par exemple, peuvent évoluer seuls, avec leurs écouteurs ou avec la musique ambiante. Mais aussi en groupe, avec leur équipe, pour répéter une danse coordonnée ou juste pratiquer chacun ses mouvements sans se répondre corporellement mais tout en échangeant oralement. Des conseils, des cours, des discussions, voilà les échanges qui peuvent avoir lieu entre les danseurs. « J’ai rencontré les plus belles personnes de ma vie » 23, me dit un danseur. Ici, il vient seul mais s’est construit un environnement, avec ses amis, ses professeurs et parfois même ses mentors, sans pour autant rentrer dans une association ou une structure de la sorte. Les acteurs, quant à eux, se connaissent quasiment tous entre eux, puisque tous issus du cours Florent. Ils répètent seuls ou en groupe, agissent ou restent spectateurs assis en rond, pour discuter de leur rôle et de leur possible interprétation ou juste pour être tranquille hors des murs de l’école, sans avoir à consommer. Les circassiens sont solitaires, souvent les écouteurs sur les oreilles, chacun règle ses mouvements. Cependant, au premier abord, ils apparaissent comme un groupe, telle une école, toujours rassemblés dans la même zone. Il n’en est rien. Tous ou presque, se connaissent, mais leur pratique les oblige à s’exercer seuls. Ils échangent malgré tout hors de leur entrainement, se donnent des conseils, parfois même des 23 cours. Voir l’entretien complet dans le carnet Les écoles, écoliers, collégiens, lorsqu’ils ne dansent pas, sont d’observation p. souvent en visite dans le Centquatre. Ils passent à côté de l’espace central, 47
II 2.d
Ils passent à côté de l’espace central, parfois s’assoient et filment les danseurs. C’est l’endroit de la pause déjeuner, l’endroit où l’on traine le mercredi. Certains dansent, côtoient les professionnels, d’autres juste discutent et rient ensemble. Le lundi, quelques classes ont le privilège de voir les portes du Centquatre s’ouvrir pour eux. Mais le lundi, la pratique collective est quasi morte, aussi, il n’est pas nécessaire de s’attarder sur ce jour particulier. Les employés du Centquatre, eux, paraissent errer dans le Centquatre. Ils s’assurent du bon fonctionnement, de l’ambiance cordiale. Ils peuvent traverser l’espace, saluer les uns et les autres, s’arrêter pour discuter. Toujours avec leurs talkies, ils sont aussi à l’écoute des demandes des usagers si un problème survient. Globalement, même si les pratiques ne se mélangent pas, et que les employés sont présents en tant que gardiens de la bonne entente, on peut constater qu’il règne dans cette espace une franche camaraderie. Elle n’est ni forcée, ni hypocrite. Elle se traduit par des sourires, de l’entraide24 par moments, de l’amitié naissante même. Si certains se gênent, car cela peut arriver, ils s’éloignent ou se le font remarquer. Les médiateurs que sont les employés ne servent qu’à la communication entre l’espace central et latéral, entre l’habitus créatif, et les espaces de travail. * e. La position de spectateur
cf. le Carnet d’Observations p.24 Henri LEFEBVRE, explication de cette notion partie I p.17 24 25
48
Le spectateur est toujours en retrait, dans un volume plus petit et plus sombre. Il parcourt le Centquatre d’Est en Ouest à travers les galeries latérales. Il y est forcé par l’accès. Rue Curial, il doit monter les escaliers dans la première cour afin de rejoindre la circulation latérale. Et s’il s’aventure par la porte au centre, il se retrouve à côté de l’accueil, presque derrière celui ci, mais surtout face à l’impressionnant volume de la halle Curial. Là, deux options s’offrent à lui : monter les escaliers tout droit en face et se retrouver sur la placette sans issue qui s’adresse au créateur, ou bien rejoindre la galerie latérale à valeur d’échange25, qui
s’adresse à lui, le consommateur-spectateur. Le choix est vite fait, le spectateur se dirige sur les galeries latérales, tout en observant soit les créateurs, soit les boutiques. Il n’est pas attiré, à proprement parler, par les commerces, il est plutôt intimidé par l’autre alternative et, par défaut, se voit déambuler dans les coulisses. « Est ce que j’ai le droit de monter sur la placette ? », c’est la question qu’il se pose. Il m’est arrivé d’observer deux jeunes filles26 arriver au milieu de la placette, au milieu des danseurs et de se retrouver là, à ne pas savoir par où aller. Bien évidemment des escaliers de part et d’autre au bout de la placette permettent de rejoindre les circulations. Mais intimidées je suppose, et ne sachant où regarder, elles étaient restées sans oser bouger pendant quelques minutes, pour vite redescendre et continuer leur rôle de spectatrices, mais sur le côté, « à leur place ». Pourtant, elles n’étaient pas les seules spectatrices sur le lieu de création, mais au centre, non accrochées à des éléments, donc ignorant les « codes » et se voyaient étrangères. Cet événement n’est pas isolé. En effet, ce n’était pas la première fois que j’en étais la témoin. Ainsi, le lieu, dans son architecture, crée une séparation claire entre acteurs et spectateurs.Et cette différence se vérifie dans les usages et les comportements. L’hypothèse selon laquelle le lieu donne naissance à l’habitus est alors vérifiée pour ce cas-ci. * D’après le perçu, deux hypothèses de l’habitus créatif sont vérifiées, quelques critères spatiaux ont notamment été définis et décrits. Qu’en est-il de la rectification et réadaptation du lieu en cas de scission ? Et qu’en est-il du vécu ? La partie la plus difficilement perceptible et représentable… Cette troisième sous partie s’attachera modestement à extraire des témoignages et entretiens, le vocabulaire du lieu, c’est à dire, 26 cf. le Carnet d’Observations p.20 la reconstruction verbale du lieu par ses usagers acteurs et spectateurs. ** 49
II Reconstruction verbale des usagers
3. Le vécu
a. Sortir de l’observation pour aller vers l’entretien Durant ces observations, je n’ai pas été la seule témoin, j’ai fait appel à des proches pour examiner le lieu avec moi, en tant que spectateurs. Le simple fait de ne pas être seule face à tout ce monde m’a tranquillisée et m’a donné du courage pour aller vers les usagers. Être accompagnée, c’est se créer une zone de confort, se mettre à l’aise, et alors, être dans le même état corporel, en quelques sortes, que l’habitué au Centquatre. Cette attitude d’observation, cette impression de scruter, c’est un peu délicat, presque voyeur. Surtout lorsqu’il faut, à un moment, sortir de cette position pour devenir acteur, aller vers les autres. Alors qu’on connaît presque leurs codes, leurs manières d’agir, c’est une barrière un peu épineuse à franchir. Je pense qu’elle est en partie due à la manière dont est construit le lieu. Il faut littéralement « sortir de l’ombre » des galeries latérales pour se placer sous la lumière, sous le grand volume de la halle, et c’est vrai que c’est impressionnant. La situation est semblable à une scène : pour jouer un quelconque rôle, il faut sortir des coulisses. Néanmoins, il est toujours plus compliqué d’aborder un groupe seule et plus commode d’aborder une personne solitaire seule. Or, comme je l’ai décrit précédemment, les personnes seules sont moins abordables. Elles s’isolent volontairement, pour se concentrer et travailler leurs gestes ou leurs textes. Être accompagnée devient alors une clé qui ouvre à des entretiens de groupes, à des conversations informelles, amicales, spontanées et détendues pour les deux partis, les observateurs et les acteurs. * b. Les différents types d’entretiens – l’importance du contexte
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Pour comprendre les usagers et capter leur sentiment le plus spontané vis à vis du Centquatre, j’ai tenté plusieurs approches. Le contexte dans lesquels les témoignages ont lieu est tout aussi important que leur
contenu27 . Aussi il est capital de le décrire pour comprendre le vocabulaire choisi par la personne interrogée, l’imaginaire auquel elle fait appel par rapport à la situation à laquelle elle est confrontée. Les contextes sont tous uniques : lors d’une pause d’un danseur, en ayant l’air perdue au milieu d’un espace, en allant vers une personnes qui s’exerce… Tous les contextes sont décrits dans les entretiens retranscrits dans le carnet d’observations28. Cependant, si les contextes sont multiples, les méthodes d’entretien sont au nombre de trois : informels non enregistré, formels non enregistrés et formels enregistrés. Cette nomination nous renseigne sur la connaissance qu’a l’interlocuteur de mes motivations et sur mes moyens de cristallisation de ces entretiens. Cependant pour rattacher les échanges au contexte, il est plus logique de les nommer en terme d’espaces et de rencontre. Alors, elles s’intitulent : - Aller à la rencontre de l’usager – soit informel, non enregistré, l’usager est inconnu et je ne l’informe pas de mes motivations, je me déplace - Discuter avec l’usager familier – soit formel, l’usager est au courant de mes motivations, moi même je le connais plus ou moins et l’entretien peut être ou non enregistré. Il s’agit d’une rencontre coordonnée et statique - Attirer l’usager à soi – formel ou informel, l’usager est au courant de mes motivations mais l’échange ne se présente pas comme un entretien. Je demande une participation à l’usager, il vient vers moi et la conversation s’engage ensuite, enregistrée ou non.
27 MONDADA Lorenza, Décrire la ville, La construction des savoirs urbains dans l’interaction et dans le texte, Collection Villes, 2000 28 Lorenza Mondada souligne l’importance de retranscrire les entretiens «dans leur oralité», ils sont en annexe dans le Carnet d’observation
Fig. 23Les trois méthodes d’entretien en plan
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II 3.c Ce sont les premiers entretiens retranscrits dans le carnet d’observations p 42, 44, 50 29
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c.Questionner le vocabulaire employé dans chaque contexte Aller à la rencontre de l’usager29 Dès lors, dans un souci de spontanéité et de vérité, j’ai abordé quelques personnes de manière informelle, comme si je souhaitais sympathiser, sans les prévenir de mes motivations. Lorsque ces personnes s’accordaient un moment de répit et que je captais leur regard, je les saluais et leur demandais des renseignements sur le Centquatre de manière innocente. Ma grille de question était assez simple. La personne m’accompagnant et moi, nous découvrions le lieu, nous souhaitions le comprendre et savoir s’il nous était possible, à nous aussi, de participer et d’occuper l’espace. Nous voulions savoir aussi si les groupes étaient en réalité des classes qui se donnaient rendez vous. Certains moments, nous quittions par mégarde cette posture de visiteurs innocents pour poser des question plus directives : « Comment tu définirais le Centquatre finalement ? » ou bien encore « Qu’est ce que c’est pour toi ? ». Cette dernière question les déstabilisait et nous trahissait. Le rôle était difficile à tenir. Un « espace », c’est ainsi qu’ils le définissent en premier lieu, par rapport à sa taille et sa grandeur. Un espace « libre » et « gratuit », sont des qualificatifs revenus plusieurs fois. Les usagers définissent l’espace par rapport à leurs mouvements, qu’ils sont libres d’exécuter comme ils le veulent, et par rapport à leurs moyens financiers. Le mot « libre » renvoie aussi au remplissage de l’espace, en effet, le mobilier est quasi inexistant, l’espace est vide. Mais plutôt que d’utiliser le mot « vide » qui renverrait à une absence d’activité, de vie, d’objets, ils choisissent le mot « libre » qui lui, renvoie bien à leur liberté. « Gratuit », peu de choses le sont encore à Paris. D’ailleurs, ils nous le diront : cet endroit est « unique ». Pas de limite, et pas de contraintes, même si dans la réalité il en existe. Les horaires, la cacophonie parfois, le monde… Lors de nos entretiens dans ce type de contexte, seul le « voyeurisme » a été cité comme inconvénient par un danseur, en comparaison à l’endroit où il dansait auparavant.
Un espace « pour tout le monde », « ouvert », les usagers pointent ici l’accessibilité et la pluridisciplinarité du centre. Presque systématiquement, ils énumèrent les pratiques et les différents usagers du centre, de l’acteur au consommateur. L’espace central ne ségrégue personne, que ce soit par rapport à sa pratique ou sa provenance, chacun peut venir s’exercer. Un espace où l’on peut « se poser », qui est « cool ». « Se poser », synonyme de « s’asseoir », est une expression qui acquiert une autre dimension de nos jours. « Je suis posé » sous entend un état de détente, et de bien être. « On est posé là » signifie aussi « on est bien là ». Et lors des entretiens, c’est cette notion méliorative qui m’a frappée. Le ton, les épaules qui descendent et le sourire naturel et spontané qui a ccompagnait l’expression, signifiait très clairement « ici, on peut être bien ». Ajouté à cela le mot « cool », qui confirme cette impression de calme et de détente, nécessaire à l’attitude de création. Ce type d’entretien donne une image plutôt lisse à l’espace de pratique spontanée du Centquatre mais assez globale. Le contexte, la manière d’aborder n’engage pas les interrogés à exprimer de manière plus approfondie leur point de vue. Je suis une inconnue, ils ne partagent rien avec moi, pas même la danse, pourquoi me parleraient-ils de ce qu’ils ressentent dans cet endroit, ce qu’il signifie vraiment pour eux. Discuter avec l’usager familier30 L’usager familier est l’amie d’amie, ou bien encore une employée du Centquatre, que j’informe de mes motivations et qui, dans ce contexte, essaie de répondre au mieux à mes questions. Au mieux, dans le sens où ces personnes répondent en gardant en tête mon objectif, et dont les réponses sont alors quelques peu changées, embellies ou argumentées. Le rapport est un peu faussé, car l’interlocuteur est concentré sur ce que je lui demande. Malheureusement ce type d’entretien, bien qu’intéressant, se place en dehors de l’espace central, comme on peut le voir sur la figure 26. Ils concernent des créateurs, mais annexes à l’espace central. Leur témoignage permet d’avoir une vue d’ensemble mais souvent, il
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Cf le carnet d’observations p 34, 46, 55
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II 3.c 31
Cf le carnet d’observations
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concerne des créateurs, mais annexes à l’espace central. Leur témoignage permet d’avoir une vue d’ensemble mais souvent, ils m’avouent ne plus profiter de cet espace car trop chargé de connotations pour eux. Ces personnes sont pourtant fières de travailler au Centquatre et en parlent avec le sourire. « Travailler ici c’est hyper agréable » me dit Manon, qui travaille pour l’agence Encore Heureux, dans l’avant corps du bâtiment qui donne sur la première cour côté Curial. Usage de superlatifs, de l’adjectif « cool », on est dans le même registre qu’auparavant sauf que la durée permet d’aller plus en profondeur sur les points noirs possibles du Centquatre. Les « théâtreux » sont les moutons noirs, « ils se jettent des escaliers et font parfois trop de bruit ». La musique est trop forte dans la cour, elle les empêche de travailler correctement, « le chauffage marche bien, ou encore », « tout est accessible par carte »… Ces témoignages concernent la logistique du Centquatre plus que l’attitude de création. Ou peut être n’ai je pas posé les bonne questions ? Quoiqu’il en soit, le Centquatre est leur lieu de travail, d’une manière plus intense que les artistes de l’espace libre.
Attirer l’usager inconnu à soi31 Le troisième et dernier type de contexte est celui qui m’a permis d’entrer dans un rapport beaucoup plus intime avec les interrogés : créer ensemble. N’étant ni danseuse, ni acrobate, mais architecte en devenir, j’ai ramené au Centquatre mes propres moyens de création : du papier, des calques, des photographies du centre vide que j’avais prises un lundi, des éléments pour coller, des feutres, des crayons, etc. Je me suis accrochée au lieu, dans un coin visible dans le second espace de la halle Curial, j’ai étalé mon matériel, j’ai dessiné, créé, et une heure plus tard, j’ai invité les gens à venir créer avec moi. « Dessine-moi un Centquatre » était affiché devant moi. « Ce n’est pas assez grand, tu devrais faire une pancarte énorme !», me dit Victor, un danseur. Chose faite. Cette posture permet un rapport d’égalité, acteur-acteur et non acteur-observateur. Ainsi, les interrogés, au nombre de quatre en deux heures et demi, se sont livrés. Ils répondaient à mes questions sans se se préoccuper de mes attentes, penchés sur leur feuille à dessiner, et moi
penchée sur la mienne. J’ai alors perdu cette impression de curiosité mal placée, d’intrusion et de voyeurisme. Et eux, ils ont arrêté de me parler du Centquatre en général, mais de ce qu’ils ressentaient dans cette espace, ce qui les fascinait ou pouvait les décevoir. Ils se mettaient à l’aise sur le sol pourtant froid et me parlaient d’eux. Ils s’intéressaient aussi à ma pratique du Centquatre, me donnant même des conseils pour que plus de personnes viennent participer. Dans ces entretiens, des termes oniriques ont fait leur apparition. Les interrogés ont exprimé un rapport sensible et fort qu’il avait au Centquatre. Le bâtiment est plus qu’un lieu de travail, ou un espace ouvert. Il a une place particulière dans l’esprit de nos usagers. Voici deux témoignages, particulièrement parlant, qui ne nécessitent aucune dissection ou extraction de mot clés, tant ils livrent sur cet étroit lien qui peut exister entre une personne et un lieu, le Centquatre est le support de la création de soi par soi 32, au dela de l’acte pur de l’artiste. « Mais ici, j’ai appris à amplifier mes mouvements, à être plus sûr de moi. J’ai rencontré les plus belles personnes de ma vie ici ! J’ai progressé… Je suis resté sur Paris grâce à cet endroit ! » «(…) il y a des fois ou j’arrive pas à … ou j’arrive pas à danser parce que je me sens … c’est la musique ou le regard des gens qui m’oppresse des fois, ça marche pas. J’arrive pas à être dans l’ambiance Centquatre, ça marche pas. » Victor, danseur « L’ambiance Centquatre » dit il simplement, comme on parlerait d’un esprit de quartier, ou d’un événement. C’est l’habitus par agglomération, une des hypothèses énoncées dans la première partie, qui est même énoncée par un usager. Mais il y a aussi Mallory, qui est fascinée par la crèche, qui regarde le Centquatre avec des yeux d’enfants, qui dit même qu’elle aurait aimé grandir en voyant cette émulation, parce que cet endroit est « magique » . Dans son témoignage, elle met en avant la construction de la personnalité qu’offre le lieu. Il est évident dans le cas des enfants, plus réceptifs, mais on ne peut négliger l’impact qu’il a sur les usagers, comme nous le prouvent ces échanges.
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BERGSON Henri, L’Énergie spirituelle,
« La conscience et la vie », écrit en 1919 55
II Conclusions issues observations
4. L’habitus créatif 56
Ces observations dissociées du conçu, perçu et vécu, ont permis de définir l’habitus créatif et de valider ses hypothèses. Il s’agit maintenant de faire la synthèse de ces trois parties, notamment en revenant vers les usagers, en représentant et en faisant représenter à ces derniers leur Centquatre. Voici un schéma récapitulatif, qui permet une synthétisation des différents éléments d’observation, au regard de l’habitus défini à partir des notions d’Henri Lefebvre (cf. figure 8, p.22).
Fig. 24L’habitus créatif
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III Synthèse
Revenir au lieu, aux usagers, représenter et faire représenter «L’effort est pénible, mais il est aussi précieux, plus précieux encore que l’œuvre où il aboutit, parce que, grâce à lui, on a tiré de soi plus qu’il n’y avait, on s’est haussé au-dessus de soi-même. Or, cet effort n’eût pas été possible sans la matière : par la résistance qu’elle oppose et par la docilité où nous pouvons l’amener, elle est à la fois l’obstacle, l’instrument et le stimulant ; elle éprouve notre force, en garde l’empreinte et en appelle l’intensification. (...)Mais la joie annonce toujours que la vie a réussi, qu’elle a gagné du terrain, qu’elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal. Or, si nous tenons compte de cette indication et si nous suivons cette nouvelle ligne de faits, nous trouvons que partout où il y a joie, il y a création : plus riche est la création, plus profonde est la joie.(...) Si donc, dans tous les domaines, le triomphe de la vie est la création, ne devons-nous pas supposer que la vie humaine a sa raison d’être dans une création qui peut, à la différence de celle de l’artiste et du savant, se poursuivre à tout moment chez tous les hommes : la création de soi par soi, l’agrandissement de la personnalité par un effort qui tire beaucoup de peu, quelque chose de rien, et ajoute sans cesse à ce qu’il y avait de richesse dans le monde ? » Bergson, L’Énergie spirituelle, « La conscience et la vie » La création de soi par soi, fait partie l’habitus créatif. En effet, le spectateur, comme l’enfant qui grandit ou l’adulte qui visite, trouve sa place, même en retrait. La création pure, les échanges sociaux, les amitiés construisent un espace social détendu où l’on peut voir la joie s’exprimer, et ainsi, par l’habitus collectif, se transmettre. 59
1. Transparence
et liens entre les notions
III
Henri Lefebvre écrivait à propos de la ville moderne que « le moment de création a disparu »33. Le Centquatre est la preuve qu’il n’en est rien. Un espace public peut abriter des moments de création, et même être à la genèse de celle-ci. Comme nous l’avons longuement décrit dans la seconde partie de ce mémoire, l’espace central du Centquatre, dans sa matérialité, sa spatialité et ses usages, devient le support de la création. C’est le lieu de projections des usagers créateurs sur cet espace. Ces projections dans l’espace apparaissent à travers des mouvements, des acrobaties, des déplacements, des discussions, etc. En revenant à la première partie de ce mémoire, qui suppose l’existence d’un habitus créatif, et qui l’explique sous la forme du schéma en figure x, on peut maintenant décrire chaque élément de ce schéma au regard des descriptions précédentes. Les hypothèses sont même vérifiées. L’habitus créatif du Centquatre est issu du conçu qui, lorsqu’il a été en désaccord avec le vécu, a été réadapté, sous la forme d’une nouvelle gouvernance dans notre cas. De plus, il existe un habitus aggloméré, les comportements dans l’espace sont les mêmes pour les artistes, et au-delà de ça, on peut parler d’ « une ambiance Centquatre ». Et c’est cet esprit du lieu qui a permis à ce centre culturel de devenir tel qu’on le connait. Ainsi, il y a bien une transparence entre les trois hypothèses, elles sont liées entre elles et ce lien existe aussi entre conçu, perçu et vécu. **
LEFEBVRE Henri, La production de l’espace, Anthropos première édition. 1974
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2. Faire représenter
III 62
La dernière approche des usagers et du lieu, avait donc pour but, d’une part d’être dans un rapport plus intime pour reconstruire verbalement le Centquatre plus en profondeur. Mais d’autre part, et surtout, de reconstruire le Centquatre à travers les trois bulles de notre schéma. Le collage, le dessin, la parole, la photo, sont des outils de synthétisation et de représentation de cette notion si particulière qu’est l’habitus créatif. En effet particulière car difficile à exprimer, mais si simple à montrer. Il m’a souvent été périlleux d’expliquer sur quoi je travaillais, mais si facile de simplement tendre la main vers les artistes, et de leur dire : « voilà, on appellera ça comme on veut, mais je travaille sur ce que vous ressentez ici, ce que vous voyez, ce que cela vous évoque, comment vous vous comportez ». Finalement, la concrétisation de ce travail est cet exercice de « faire représenter » (voir fig.25, 26, 27, 28 et 29) Il est composé à la fois des différents dessins et leur superposition, mais ne peut pas se dissocier de la parole de ses créateurs. Le conçu, c’est la base du dessin. Je proposais sur grands formats des photos du Centquatre vide, dans sa matérialité la plus brute. Les participants pouvaient dessiner directement sur la photo, ou recréer leur propre dessin grâce au calque. La construction de leur image, c’est leur perçu. À l’aide de personnages prédécoupés représentant des danseurs, des jongleurs, des spectateurs, des lampes ou même des transats, à des échelles différentes, ils pouvaient, même s’ils étaient peu à l’aise au crayon, se représenter eux mêmes, ou ce qu’ils pensaient de la fréquentation du Centquatre. A ma grande surprise, tous, dessinèrent. Il y avait aussi des couleurs, des feutres, du papier, etc. Enfin, le vécu a été capturé grâce à la vidéo. A l’aide d’un ami vidéaste, Marin Menant, il a été possible de capter ces moments de représentation de l’habitus créatif. Le petit film qui en résulte (voir en annexe), accompagné des productions des participants et des entretiens complets relatés dans le carnet d’observation sont, selon moi, une synthèse presque complète de l’habitus créatif.
Les représentations sont toutes uniques, mais on peut, sans nul doute, tirer quelques conclusions analytiques sur les résultats. Les danseurs accordent une grande importance à la structure. Ils la redessinent, ou bien dessinent à même la photo. Ils représentent leurs mouvements dans l’espace, mais aussi la musique, par touche de couleurs, par petites ondes colorées. Les acteurs, utilisent des mots, leurs outils, pour définir de manière parfois poétique cet espace ; ils les juxtaposent aux dessins déjà existants, comme lorsque l’on entend une tirade déclamée depuis l’autre côté du Centquatre. Les circassiens, malheureusement, n’ont pas le temps, et n’ont pas participé. De même que les employés qui m’ont même découragée de leur demander de dessiner : « Ah, si je dessinais mon Centquatre, ça vous donnerait mal à la tête ! » Les spectateurs, eux, s’écartent de la placette, ils représentent l’extérieur, ce qu’ils voient. Certains, attachés au lieu, connaisseurs, viennent y ajouter de l’histoire, des doubles sens… Il est dangereux de généraliser, aussi…, je m’arrêterai là pour laisser la parole aux dessins et représentations. **
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lieu d’habitus créatif
3. Le Centquatre,
III
Fig. 25Superposition Morgane/Marie
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III Fig. 26Superposition Victor/ Marie Ajout Marin/Inconnu/ Mallory
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III Fig. 27Superposition AliĂŠnor/ Marie
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III Fig. 28Superposition Marin/ Marie Ajout Inconnu
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III Fig. 29Superposition Morgane/ Marie Ajout Mallory/Marin/Inconnu
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Ressources
1. Bibliographie 2. Articles a. Articles scientifiques b. Articles de presse
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1. Bibliographie
Atelier Novembre Architectes, Reconversion des anciennes pompes funèbres de Paris en centre de création artistique, le 104, Ante Prima AAM Éditions, 2009 BERGSON Henri, L’Énergie spirituelle, « La conscience et la vie », Payot, 2012 (écrit en 1919), 242 p. BOUCHAIN Patrick, Construire Autrement Comment faire ?, Éditions L’impensé Actes Sud, 2006, 190 pages BUREN Daniel, À force de descendre dans la rue, l’art peut il enfin y monter ?, Éditions 11&24, 1997, 92 p. CHOMBARD DE LAUWE, Paul-Henri, Recherches sur le terrain et études de cas, Études des groupes et des personnes dans les milieux urbains, Manuel de la recherche sociale dans les zones urbaines, 1965, Unesco impr. Firmin-Didot, 233 p. CLAVEL, Maïté, Sociologie de l’urbain, Anthropos, 2002, 123 p. HALL, Edward T., La dimension cachée, éditions du Seuil, 1971, 254p, collection Points KAUFFMANN, Jean Claude, L’entretien compréhensif, Armand Colin 3ème édition 2011, 1996, 128 p. LEFEBVRE, Henri, Le droit à la ville, 3ème édition, Éditions Economica et Anthropos, 2009, 135 p. LEFEBVRE, Henri, La production de l’espace, 4ème édition, Éditions Anthropos, 2000, 485 p. LYNCH Kevin, L’image de la Cité, 1999, trad. par Marie-Françoise Vénard et Jean-Louis Vénard de The Image of the City (1960), Paris, Dunod, 221 p.
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MATHEWS S., AURELI P.V., Potteries thinkbelt & Fun Palace, Éditions B2, Collections territoire, 2016, 144 pages MONDADA Lorenza, Décrire la ville, La construction des savoirs urbains dans l’interaction et dans le texte, Collection Villes, 2000 PÉREC, Georges, Tentatives d’épuisement d’un lieu parisien, Christian Bourgeois Éditeur (2009), 1975, 49 p. ROSENTHAL, Olivia, Viandes froides [reportages], Éditions Lignes et coédition avec le 104, 2008, 118 pages SEMOUD, Nora, La réception sociale de l’urbanisme, L’Harmattan, 2007, 251 p. SENNETT Richard, La conscience de l’œil (1990), traduit de l’anglais par Dominique Dill, Verdier Poche, 2009, 406 p. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise et IZENOUR Steven, Learning from Las Vegas, Revised Editions, 1972, 192 p.
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Dan Ferrand-Bechmann, « A propos de Henri Lefebvre et Henri Raymond », Socio-logos [En ligne], 2 | 2007, mis en ligne le 28 mars 2007, consulté le 14 octobre 2017. URL : http://socio-logos.revues.org/90 Enquête, « Avant-propos », Enquête [En ligne], 6 | 1998, mis en ligne le 15 juillet 2013, URL : http://journals.openedition.org/enquete/1363 GONTHIER Frédéric , « HABITUS », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 06 octobre 2017. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/habitus/ HILLAIRE Norbert, « L’Art, l’extension des industries du loisirs et la reconversion d’anciens sites industriels en divertissement », Article de ECT Quebec n°77, 2007 LASSAVE Pierre, MONDADA Lorenza, Décrire la ville, La construction des savoirs urbains dans l’interaction et dans le texte, Collection Villes, 2000. In: Les Annales de la recherche urbaine, N°86, 2000. Développements et coopérations. pp. 164-165; http://www.persee.fr/doc/aru_0180930x_2000_ num_86_1_2325_t1_0164_0000_3 REAL Emmanuelle, « Reconversion, architectures industrielles réinventées », article de InSitu n°26, 2015 WERNER, Karla, « Appropriation of public space », Architecture et Comportement, 1992 1er trimestre n°1 78
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Remerciements Je remercie toutes les personnes qui m’ont accompagnée, que ce soit lors de visites au Centquatre, lors d’entretien ou encore tout au long de la construction de ce mémoire, Céline Bodart, Antonella Tufano et Anne Frémy, professeures à l’école d’architecture de Paris La Villette Arthur Rozand, Marie Christine,Charline et Dominique Rullié, Louise Savalle, Marin Menant, Rose Guegan, Manon Dol, Aliénor,Mallory, Morgane, Victor et toutes les personnes rencontrées au Centquatre...
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